Un certain nombre d'objets étaient exempts du portorium en raison de leur destination plutôt que de leur nature. Tels étaient : 1° Ceux qui devaient être employés à un service public. Fiscus ab omnium vectigalium præstationibus immunis est, dit le jurisconsulte Paul[1]. C'est comme conséquence de cette règle que l'immunité est accordée aux approvisionnements que les publicains ou les agents du fisc apportent dans les magasins de l'État[2], à ceux envoyés aux armées[3] et à tous les objets que les proconsuls ou légats impériaux font venir pour eux ou pour les officiers de leur suite. En vue de prévenir les fraudes qui pourraient se commettre à l'aide de leur nom, Hadrien recommande à ces magistrats de remettre à leurs envoyés une lettre écrite de leur main afin que ceux-ci puissent justifier auprès des publicains de la destination des marchandises qu'ils transportent[4]. Malgré les conséquences qui en découlent, il nous semble que la formule employée par Paul est trop étroite. Symmaque ne peut l'invoquer pour réclamer l'exemption de l'impôt en faveur des ours destinés à figurer dans les jeux que son frère était tenu de donner en sa qualité de questeur. Ces ours n'appartiennent pas au fisc, ils ne doivent cependant pas être soumis à l'impôt comme ceux d'un marchand, car ils sont destinés à un service public : Magis populi romani quant meo nomine prerogativa delata est, dit en effet Symmaque[5]. 2° Les moyens de transport instrumenta itineris. Cette règle est écrite dans un passage de Quintilien qui se rapporte vraisemblablement au portorium d'Italie[6] et dans le tarif de Zraïa[7]. On peut donc considérer cette règle comme générale, mais seulement en ce qui concerne les impôts affermés au profit de l'État ; car le tarif de Palmyre, dont nous reproduisons plus loin les dispositions relatives au portorium, montre que les cités libres ou fédérées qui percevaient pour leur compte des droits de douane ou de péage n'étaient pas tenues d'inscrire une disposition semblable dans leurs lois fiscales. 3° Les objets destinés à l'agriculture[8]. Cette disposition parait devoir être rattachée aux réformes économiques et fiscales de Constantin[9]. 4° Les objets que l'on transportait ad usum proprium[10]. Nous nous abstenons de traduire ces deux mots dont le sens demande à être précisé. Il nous semble en effet dangereux de dire que les objets destinés à l'usage des voyageurs étaient exempts de droits, car le corollaire naturel de cette formule serait que les objets destinés au commerce étaient seuls passibles de l'impôt. Cette idée se trouve, il est vrai, exprimée dans une lettre de Symmaque. Mais, pour écarter sur ce point l'autorité de cet auteur, il suffira de remarquer que, loin de discuter la question de savoir si des ours importés par un particulier pour son propre usage doivent être assujettis au paiement du portorium, il revendique simplement, comme un privilège pour l'ordre sénatorial tout entier, le droit de faire venir en franchise de l'impôt les bêtes féroces destinées aux jeux que les magistrats doivent donner au peuple à l'occasion de leur entrée en fonctions. N'est-il pas évident qu'il cherche, à l'aide d'un contraste, à frapper plus vivement l'esprit du consul auquel il adresse la réclamation dont nous avons plus haut examiné la portée ? On ne traite pas un questeur comme un marchand[11] ! Avant d'entrer dans l'examen du texte, à l'aide duquel nous essayerons de formuler une règle précise, demandons-nous s'il peut exister une législation fiscale dans laquelle les objets destinés au commerce soient seuls passibles de l'impôt de douane. A cette question il ne faut pas hésiter à répondre non. Comment aurait-on perçu, en Italie, des droits sur les esclaves et les objets de luxe, s'il avait suffi, pour qu'ils en fussent exempts, qu'ils eussent été importés par ceux auxquels ils étaient destinés ? Que rapporterait à notre budget le droit sur les tapis d'Orient, par exemple, si l'on en exemptait les particuliers qui seraient à même de prouver que les tapis qu'ils importent sont destinés à leurs appartements ? Les différentes législations douanières ne peuvent pas différer sensiblement sur ce point. C'est, d'ailleurs, ce qui résulte d'un texte d'un jurisconsulte qui vécut au seuil de l'époque classique et qui est resté aussi célèbre par la pureté de son style que par la sagesse de ses doctrines. La lex portus Siciliæ portait, vraisemblablement, comme toutes les autres leges censoriæ, la clause suivante : Servos quos domum quis ducet suo usu, pro his portorium ne dato[12]. Consulté sur le point de savoir si une personne qui envoyait des esclaves de Sicile à Rome fundi instruendi causa devait payer les droits de douane, Alfénus Varus, répond que l'interprétation de la lex censoria fait naître deux questions : d'abord qu'est-ce que domum ducere ? ensuite qu'est-ce que sua usu ducere ? A la première, il répond par une définition du domicile, plus courte que celle de la loi 7 De incolis au code de Justinien, mais qui, comme celle-ci, constituerait un excellent commentaire de l'article 102 de notre code civil. A la seconde question, qu'il déclare plus délicate, le jurisconsulte répond, par une formule non moins claire, quid victus sui causa paratum est, formule dont les termes correspondent très exactement à ce que l'on appelle aujourd'hui mobilier et effets à usage[13]. Appliquée aux esclaves, cette partie importante du mobilier des anciens, la définition d'Alfénus Varus comprend les esclaves attachés à la personne de leur maitre, c'est à dire ceux qui sont chargés de lui administrer des frictions et des parfums, les valets de chambre, les cuisiniers et tous les autres serviteurs auxquels incombent des fonctions analogues. A cette catégorie d'esclaves, le jurisconsulte oppose les intendants des propriétés urbaines ou rurales, les concierges, les tisserands, les ouvriers des champs, en un mot, tous les esclaves du travail desquels on compte tirer profit. C'est donc dans un sens très étroit, analogue à celui des dispositions de faveur insérées dan s les différents tarifs de douane publiés en France depuis un siècle qu'il faut entendre l'immunité accordée par les leges censoriæ aux objets que les particuliers transportaient ad usum proprium. |
[1] Loi 9, § 8, Digeste, XXXIX, 4.
[2] Lex Antonia de Termessibus, § 7.
[3] Loi 9, § 7, Digeste, XXXIX, 4.
[4] Loi 4, § 1, Digeste, XXXIX, 4.
[5] Symmaque, V, 62, édition de 1897.
[6] Quintilien, Declam. CCCLIX.
[7] C. I. L., tome VIII, n° 4508, ligne 22. — M. Héron de Villefosse, Le tarif de Zraïa, page 17.
[8] Loi 5, Code Justinien, IV, 61.
[9] Cagnat, Impôts indirects chez les Romains, page 107. — Vigié, Des Douanes dans l'empire romain, extrait du Bulletin de la Société languedocienne de géographie, année 1883, pages 193 et 191.
[10] Loi 5 princ., Code Justinien, IV, 61.
[11] Symmaque, V, 65. Edition de 1697.
[12] Loi 203, Digeste, L, 16.
[13] Lettre du ministre des contributions, du 17 octobre 1791.
Tarif général des droits d'entrée, édition d'octobre 1822, notes 475 et 476.
Tarif général des douanes de France, édition de mars 1844, note 720.
Loi du 16 mai 1863, art. 25.
Tarif officiel des douanes de France, édition de 1877. Observations préliminaires, n° 342 et 343.
Tarif officiel des douanes de France, édition de 1885. Observations préliminaires, n° 354.