HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

XII. — LES REPRÉSENTANTS POURVUS DE GRADES MILITAIRES.

 

 

De tout temps les grades militaires ont été fort recherchés de ceux qui pouvaient présenter quelque titre à leur possession, et malgré leur amour de la sainte égalité, les Conventionnels n’ont pas négligé cet accroissement d’importance. Les abus amenèrent bientôt des réclamations, et dans la séance du 14 mai 1793, Barbaroux terminait ses plaintes par cette véhémente apostrophe : Je voudrais, par exemple, savoir pourquoi Dubois-Crancé et Châteauneuf-Randon ont été faits maréchaux de camp ; pourquoi Lacroix, homme de loi comme moi, a reçu le même grade.

 

La lettre suivante, émanée de l’un d’eux, va nous donner la réponse.

 

Paris, ce 6 avril 1703.

Châteauneuf-Randon, colonel de la légion des Alpes et représentant député à la Convention nationale, au citoyen ministre de la Guerre.

 

J’ai été instruit, citoyen ministre, que le général Custine demandait avec instance que le citoyen d’Hilliers, son aide de camp, de colonel fût nommé général de brigade.

Je n’ai aucune réflexion particulière à vous présenter contre ou au désavantage de cet officier ; mais je ne puis m’empêcher de vous observer que ce citoyen n’a été fait l’un des lieutenants colonels de la légion que j’ai l’honneur de commander, ou dont le commandement m’a été confié lorsque je remplissais les fonctions d’adjudant général et de chef de l’état-major de la réserve intérieure de l’armée du Midi, qu’au mois de septembre dernier ; et qu’il ne fut appelé par Custine pour être son aide de camp qu’au mois de février dernier. De manière qu’ayant dans le corps un plus ancien lieutenant-colonel de service que le citoyen d’Hilliers, ainsi que d’un mérite rare, l’on m’observe qu’il serait utile de voir aussi ce dernier parvenir au grade de colonel, et ne pas lui donner le désagrément de voir son cadet avancer si subitement de deux grades, sans qu’il eût au moins l’avantage d’en obtenir un. L’on m’observe, dis-je, que le moyen d’y parvenir serait d’être promu moi-même au grade de général de brigade, que vingt-deux ans de service et cinq ans de commission de colonel peuvent me rendre susceptible d’obtenir en même temps au moins que le citoyen d’Hilliers.

Je réclame donc à ces différents titres, citoyen ministre, cette justice. Je pensais devoir être de la dernière promotion, par mon rang d’ancienneté de service ; mais m’étant trompé, le ministre Beurnonville m’offrit de me nommer au choix, comme l’a été fait mon collègue Dubois, moins ancien colonel que moi. Je le remerciai pour le moment ; mais la circonstance relative au citoyen d’Hilliers et au lieutenant-colonel de mon corps qui deviendrait colonel m’invite à vous faire cette sollicitation. Il me sera doux de vous devoir cette justice pour tous.

CHÂTEAUNEUF-RANDON.

 

Bouchotte, on l’a vu, s’était empressé d’obtempérer à cette requête qui contenait une sommation à peine déguisée. A ce moment, la vanité se cachait sous l’apparence du désintéressement et de l’ancienneté. Mais quand Dubois-Crancé, pourvu d’une mission active devant Lyon, réclama le traitement affecté à son grade, les représentants revêtus du même titre, qui continuaient à siéger sans danger à la Convention, s’aperçurent qu’il valait mieux être général que député, et demandèrent à être traités comme leur collègue. C’est encore Châteauneuf-Randon qui prit l’initiative et, de même que la première fois, il confondit sa réclamation avec celle de son camarade Roux-Fazillac.

 

Au citoyen Bouchotte, ministre de la Guerre.

 

Paris, le 20 août 1793.

Citoyen ministre,

Informés que Dubois-Crancé et Aubry, nos collègues, comme nous généraux de brigade, ont reçu le traitement de ce grade conformément aux lois qui les y autorisent, nous vous prions de donner des ordres pour que nous puissions percevoir le même traitement, à dater du jour de notre nomination (8 mars). Nous joignons ici une note séparée pour chacun de nous.

Nous sommes prévenus que le commis de la trésorerie nationale pourrait bien nous faire la difficulté de nous dire, qu’ayant reçu l’indemnité de député, nous sommes supposés avoir opté pour ce traitement ; mais vous ne serez pas trompé par cette subtilité financière et vous voudrez bien, nous le présumons ainsi, ordonner que nous recevrons le traitement des généraux de brigade, défalcation faite de celui de député que nous avons déjà reçu.

Nous sommes, citoyen ministre, avec fraternité, vos serviteurs,

ROUX, député et général de brigade,

CHÂTEAUNEUF-RANDON, député et général de brigade.

 

Tombé en disgrâce à la chute de la Terreur, Châteauneuf-Randon reprit bien vite sa double carrière militaire et politique. Tour à tour général et préfet sous le Directoire, il demanda également à l’Empire de l’employer. Nous reproduisons sa supplique à Napoléon ; elle peint bien l’homme qui se vante d’avoir été premier page de Louis XVI, sans ajouter qu’il a voté la mort du Roi.

 

État des services de M. le général de division Châteauneuf-Randon.

 

Alexandre-Paul Châteauneuf-Randon — Guérin Tournel de —, membre du collège électoral de la Lozère, né à Tarbes (Basses-Pyrénées), le 29 octobre 1757, marié le 1er avril 1780, veuf depuis quatre mois, a une fille mariée et un fils sous-lieutenant au 112e régiment.

Est entré dans les pages à l’âge de douze ans ; a été successivement premier page, sous-lieutenant et capitaine de dragons, colonel et commandant de légion à l’armée du Midi, dite ensuite des Alpes.

Nommé général de brigade après la prise de la Savoie et du comté de Nice, il avait dirigé les bataillons de grenadiers des départements du Gard, de l’Hérault, de l’Ardèche, de l’Aveyron, du Tarn et de la Lozère, qu’il avait organisés.

Promu général de division après le siège de Lyon et de Toulon, autant par son ancienneté de grade dans l’armée, que pour le récompenser d’avoir fait finir celui de Lyon et d’en avoir dirigé les forces pour achever celui de Toulon.

A été civilement membre des assemblées des États-Généraux et Constituante, pour la ci-devant noblesse de l’ancienne province de Languedoc (Gévaudan), présentement Lozère ; président de ce département ; élu par un corps électoral à la Convention nationale et, en dernier Heu, nommé par Sa Majesté alors premier Consul, préfet des Alpes-Maritimes, pour y rétablir l’état constitutionnel et l’harmonie troublée entre les autorités civiles et militaires.

Est de plus membre des collèges électoraux du département de la Lozère (origine de sa famille), et des Alpes-Maritimes, choisi par les premières élections des assemblées cantonales, quoiqu’il fût absent du premier, et qu’il ne fût plus préfet du second.

A fait très peu sans doute, en comparaison de ce que tant d’autres ont fait, et de ce que son zèle lui inspirait ; mais les circonstances ne l’ont pas voulu autrement. Cependant, au .commencement de la guerre de la Révolution, il fut chargé, autant comme général que comme représentant du peuple, toujours aux armées et sur la brèche, à l’intérieur comme à l’extérieur, de la réorganisation et de la confection des règlements sur la discipline des troupes, ainsi que de mettre en état de défense la frontière du midi de la France.

Aux armées du Rhin et d’Allemagne, il a commandé plusieurs divisions actives et celles territoriales des 3e, 5e, 8e, 9e et 10e ; ces deux dernières réunies en chef et remplaçant l’armée des Pyrénées-Orientales devenue armée d’Italie, où il fit passer ses troupes et où son illustre chef avait daigné lui écrire qu’il l’y attendait ; mais le Directoire exécutif s y opposa.

Il a pacifié et terminé les troubles dans les départements méridionaux, notamment dans ceux du Gard, de l’Ardèche, de l’Aveyron, du Cantal, du Puy-de-Dôme et de la Haute-Loire, surtout dans celui de la Lozère à Jalès, à Lyon où il fut spécialement envoyé comme général et représentant du peuple, avec des pouvoirs illimités sur les généraux et ses collègues, pour terminer d’après le plan qu’il en avait donné les longueurs du siège. Il y est entré le premier, au bout de huit jours de mouvements pour le cerner, après s’être emparé avec les braves qu’il dirigeait des immenses redoutes qui ont empêché, pendant plus de deux mois, les divers généraux en chef et représentants du peuple de faire la circonvallation de cette forteresse de la nature.

La présentation des officiers de la légion qu’il a formée en cavalerie et infanterie, et qui lui a coûté non seulement beaucoup d’avances, mais encore beaucoup d’argent, lui ayant été confiée, il les a choisis avec tant de jugement que la plupart sont devenus officiers généraux ou supérieurs de la plus grande distinction.

Membre du Comité de défense générale et militaire dans les Assemblées nationales, il a été un des principaux appuis et défenseurs des officiers généraux et militaires les plus marquants à présent et qui étaient persécutés alors, soit par leurs talents, soit par la prévention qui existait contre leurs anciens services ou leur ci-devant noblesse.

Après avoir rendu compte à Sa Majesté de la terminaison de sa mission comme préfet, et des difficultés qu’il éprouvait de la part de quelques fonctionnaires fiscaux accoutumés par système révolutionnaire d’indépendance à lutter contre l’autorité surveillante, qu’ils étaient déjà parvenus à faire changer ; et ayant demandé, pour l’intérêt du service et le bien du pays, leur changement qui a eu lieu depuis, ou le sien avec son retour aux anciennes fonctions de son état primitif, Sa Majesté, encore premier Consul, a bien voulu accéder aux vœux qu’Elle lui avait permis de former et Elle a arrêté, en autorisant son remplacement, qu’Elle le destinait et appelait à d’autres fonctions.

Depuis cette époque, il n’a cessé de réclamer celles de son état, surtout à tous les renouvellements de guerre. Son âge et sa santé lui permettent parfaitement de les exercer. En attendant, il habite la campagne près Paris, dont la poursuite d’anciennes affaires de famille exige la proximité. Il voyage quelquefois dans les départements de la Lozère et de la Haute-Loire dans lesquels sont situés les restes de ses propriétés et celles de sa femme ; partout il vit retiré, jouissant de la considération publique, quoiqu’il ne soit plus employé. Livré à l’agriculture, seule consolation pour les anciens fonctionnaires privés de la faveur de leur prince ; heureux sinon de cette privation, du moins par le souvenir inappréciable de n’avoir jamais abusé de ses pouvoirs, d’avoir empêché, partout où il a eu l’autorité, le fléau des maux politiques ou de circonstance qui ont eu lieu pendant la Révolution ; et il jouit bien plus qu’un autre, comme solitaire, delà douceur inexprimable d’avoir été des premiers à rendre hommage aux vertus privées de Sa Majesté Impériale, à servir sous ses ordres, à mériter son estime et ses bontés, et dont il est et sera toujours, avec tous les militaires au moins, le très ancien et fidèle sujet, dévoué malgré qu’il n’ait pas l’avantage de la servir, comme il sollicite de nouveau dans cette circonstance.

Je certifie le présent état de services militaires et civils véritable.

CHÂTEAUNEUF-RANDON.