HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

IX. — CUSTINE ET SON CONFESSEUR.

 

 

Pendant toute l'année 1793, et tant que le culte de la Raison ne fut pas venu remplacer officiellement le culte constitutionnel, on daigna laisser un confesseur aux condamnés. C’était l’Évêque de Paris qui le désignait, et il chargeait habituellement de cette triste mission un prêtre allemand nommé Lothringer. Nous avons retrouvé la lettre écrite par le greffier du Tribunal révolutionnaire à l’occasion de la mort de Custine. Elle est ainsi conçue :

Au citoyen Évêque de Paris,

Citoyen, vous êtes prié d’envoyer au citoyen Custine, qui vient d’être condamné à mort et doit être exécuté demain à 9 heures du matin, un ministre du culte. Il désire l’avoir tout de suite ; c’est ce qu’il vient de faire dire.

Le 27 août 1793.

WOLFF,

Commis-greffier du Tribunal révolutionnaire.

 

Une heure après que la tête de Custine eut roulé sur l’échafaud, Lothringer était dénoncé comme ayant montré quelque sympathie au condamné. Les dénonciateurs étaient un gendarme et le bourreau, dont voici les déclarations :

Commune de Paris.

Le 28 août 1793.

S’est présenté par devant nous, les administrateurs du département de police, le citoyen Martin Henry, gendarme de la 1re division près les tribunaux, lequel nous a déclaré que le citoyen Dellaitre, son confrère, lui a dit avoir entendu, hier le soir, étant en faction auprès de Custine condamné à mort, que lors de l’arrivée du confesseur auprès de Custine, il dit à ce dernier : J’ai lu vos neuf interrogatoires et vous mourrez très innocent ; et que Custine lui dit : je meurs pur ; à quoi le déclarant a cru être de son patriotisme de déclarer ce qui est contenu ci-dessus et a signé.

MARTIN HENRY.

 

Commune de Paris.

Le mercredi 28 août 1793.

Cejourd’hui, nous administrateurs au département de police, nous sommes transportés à la maison de justice de la Conciergerie à l’effet de nous assurer de Tordre et de la tranquillité de cette maison, et ce relativement à l’exécution du jugement rei^du contre Custine ; et comme nous étions dans un des guichets de ladite maison, le citoyen Samson père, 9xécuteur des jugements criminels, nous a observé que le citoyen Lothringer, confesseur dudit Custine, avait affecté de vouloir rester seul avec le condamné, et que Custine même avait recommandé à la gendarmerie de s’éloigner de lui et de ne laisser approcher personne ; que ledit citoyen Samson, en sa qualité d’exécuteur des jugements criminels, étant entré malgré la recommandation de Custine, il a remarqué que le confesseur et le condamné se parlaient mystérieusement et en langue allemande ; que cette conversation a d’autant plus paru suspecte audit citoyen Samson, que le confesseur et le condamné étaient tous deux séparés, tant de la gendarmerie que des autres citoyens présents, et ce par une cloison vitrée servant de séparation au greffe et à une pièce qui conduit aux cachots.

Ajoute le citoyen Samson que Custine tenait une plume et paraissait vouloir s’en servir, sur une feuille de papier, qui était devant lui. Déclare en outre ledit citoyen Samson que, lors de l’exécution et mort de Miaczinski, le fils de lui déposant, son frère et son cousin ont entendu le même prêtre Lothringer, qui était aussi confesseur de ce dernier condamné, lui dire : Il est bien glorieux pour vous de mourir à la même place que celle où votre roi est mort. Et c’est tout ce qu’il a dit savoir.

SAMSON.

 

Sur quoi, nous administrateurs au département de police, après avoir pris connaissance des déclarations ci-dessus et des autres parts, disons que le citoyen Lothringer sera à l’instant conduit à la maison d’arrêt de l’Abbaye, et le présent et pièces y jointes envoyés au Tribunal révolutionnaire, pour être statué ce qu’il appartiendra.

Fait audit département de police le 29 août 1793.

N. FROIDURE, FIGUET.

 

Les administrateurs de police Baudrais, Marino et Michel aggravèrent encore la mesure, et firent mettre Lothringer au secret. Il n’était cependant inculpé, d’après son écrou, que de propos inciviques, mais suivant la terrible législation de cette époque, les propos de cette nature pouvaient entraîner une condamnation à mort.

Le 3 septembre, il fut interrogé par le célèbre Coffinhal, alors simple juge au Tribunal révolutionnaire[1]. L’impitoyable inquisiteur s’informe tout d’abord si Lothringer a prêté le serment constitutionnel ; puis il lui demande si, dans sa confession, Miaczinski ne lui a rien révélé, et si lui-même n’a pas dit au condamné, au pied de l’échafaud, qu’il était glorieux de mourir pour son roi et à la même place où celui-ci avait été sacrifié.

Je ne puis avoir tenu un pareil langage, répond Lothringer ; car suivant les principes de la religion, on ne peut point dire à un homme qu’il meurt pour un homme. Quand un condamné se prétend innocent, on lui dit pour le consoler qu’il meurt pour le salut de son âme, pour la gloire de Dieu, pour la religion ; mais on ne lui dit jamais qu’il est glorieux de mourir pour un homme.

Coffinhal passe alors aux faits relatifs à la seconde exécution.

D. — Pendant la confession de Custine, n’avez-vous pas affecté de demeurer seul avec le condamné ; et Custine même n’a-t-il pas recommandé à la gendarmerie de s’éloigner de lui et de ne laisser entrer personne ?

R. — Je me suis rendu près de Custine à neuf heures du soir ; il avait auprès de lui deux gendarmes. Lorsqu’il m’aperçut, il me dit qu’il était un grand pécheur qui venait demander consolation.

Je lui fis le discours que tiennent tous les confesseurs ; je lui dis que puisqu’il était jugé et condamné, puisqu’il n’était plus possible de sauver son corps, il devait songer à sauver son âme. Le premier devoir du confesseur étant de gagner la confiance du condamné, je l’embrassai et je lui dis que j’allais lui rendre sa confession facile, en lui retraçant les commandements de Dieu et ceux de l’Église. Alors Custine se confessa et sa confession dura jusqu’à onze heures.

D. — Custine s’est-il confessé en allemand ou en français ?

R. — En français.

D. — Pendant la confession n’avez-vous pas fait retirer les gendarmes ?

R. — Pendant la confession, les gendarmes étaient auprès des grilles des fenêtres. Personne ne leur avait dit de se retirer.

D. — En entrant dans le lieu où se trouvait Custine, ne lui avez-vous point dit : J’ai lu vos neuf interrogatoires, vous mourrez très innocent ; Custine n’a-t-il pas répondu qu’il mourrait pur ?

R. — Je n’ai rien dit de cela. Il se peut que, dans le cours de la confession, il ait été question des interrogatoires et même du procès de Custine ; mais tout ce qui a été dit à cet égard n’avait trait qu’à la confession. En supposant que, dans le secret de la confession, lorsque le confesseur, pour consoler le patient toujours désespéré, est obligé de saisir ses idées, il me fût échappé quelque mot sur le jugement, on ne pourrait m’en faire un crime, puisqu’il n’en saurait rien résulter, le condamné à mort emportant tout avec lui. Au surplus, il est très mal de répéter ce qu’on a pu entendre d’une confession.

 

L’interrogatoire dura longtemps encore ; mais Coffinhal n’en put faire sortir aucune inculpation précise contre Lothringer, et, le jour même, ce dernier fut mis en liberté en vertu d’une ordonnance de non lieu rendue par le Tribunal révolutionnaire.

Le pauvre homme, qui étalait si naïvement les banalités de son éloquence usuelle avec tous les condamnés, n’était pas au bout des tribulations inséparables de sa pénible besogne. Il ne fut pas, il est vrai, inquiété pour son attitude envers Tin-fortunée Reine qu’il accompagna jusqu’à l’échafaud. Marie-Antoinette avait opposé un refus persistant à tous les discours qu’il lui avait adressés, et il avait dû se borner à un rôle muet pendant la sanglante tragédie du 16 octobre. Mais quelques mois après, Lothringer fut l’objet de nouveaux soupçons. Le 25 mai 1794, il fut arrêté par ordre du Comité de sûreté générale, avec son portier et sa portière que l’on accusait d’être ses complices.

Le 29 messidor an II, il adressait la lettre suivante au Comité de sûreté générale :

Maison des Écossais, ce 29 messidor an II de la République.

Citoyens représentants,

Dans le nombre des détenus, aucun peut-être n’a plus de droit que moi de demander, et l’espérance d’obtenir, une liberté que ma morale, ma conduite et mes principes ne m’ont jamais exposé à perdre.

Appelé par mes fonctions de ci-devant Vicaire Épiscopal de Paris à l’emploi pénible et touchant d’aplanir, aux coupables frappés du glaive de la loi, le chemin effrayant et terrible de l’éternité, j’ai rempli cette mission avec zèle et à la satisfaction du Tribunal. Remords du crime, confiance dans la clémence de l’Être suprême, conviction intime de l’immortalité de l’âme, déclaration de leurs complices ; voilà, Législateurs, ce que j’ai dit, ce que j’ai fait, ce que j’ai répété aux conspirateurs qu’on m’ordonnait d’accompagner à l’échafaud. A cela se bornaient les fonctions de mon ministère. Je les ai strictement remplies.

Jugez-moi par mon propre intérêt ; il tient essentiellement à la Révolution. L’aristocratie expirante du ci-devant Conseil souverain de Colmar, le 28 avril 1789, a supprimé mon petit bénéfice de 700 livres ; alors j’ai tout perdu. La révolution du 14 juillet étant survenue, le 27 de ce mois j’étais déjà à Paris pour y prendre part ; j’y ai tout retrouvé ; j’y ai retrouvé ma liberté ; j’y ai trouvé une place de 3.000 livres ; par sa suppression, j’y ai encore trouvé une pension qui ne doit point me mettre du nombre des mécontents et des suspects.

Au moment de mon arrestation, j’étais en chambre garnie chez mon cordonnier, qui est aussi patriote qu’il est pauvre. Je lui ai cédé beaucoup de papiers de rebut et inutiles, n’étant plus de saison ; ne sachant ni lire ni écrire non plus que sa femme, par crainte imaginaire qu’il n’y ait quelque chose de suspect, ils ont jeté le reste desdits papiers dans le feu chez eux ; on s’en est aperçu ; tous deux ont été arrêtés dans le jour, et la douleur me déchire le cœur de me voir la cause innocente du malheur de pauvres patriotes.

Ajoutez, Législateurs, une autre douleur d’être dans les prisons en compagnie des ci-devant nobles, des ci-devant généraux du tyran, des ci-devant chevaliers, des ci-devant écuyers, des prêtres réfractaires, des Anglais, des Prussiens, des Autrichiens, qui me détestent comme prêtre assermenté autant que j’ai toujours détesté les satellites du royalisme et de la tyrannie. Un patriote brûle ici dans un enfer tout vivant, qui m’est cent fois plus douloureux que ma destruction.

Législateurs, j’ignore les motifs de mon arrestation. Je les ai ignorés jusqu’à mon interrogatoire, lorsque j’ai été arrêté comme confesseur de Custine. J’ignore s’il existe encore dans Paris des Michonis qui m’aient dénoncé à votre Comité pour me faire arrêter. J’interroge ma conscience ; elle me répond que je suis sans reproche. Mais je ne suis pas justifié devant vous. Je vous prie, par votre patriotisme qui est autant intéressé de trouver des innocents qu’il est de trouver des coupables, de me faire interroger et juger selon mes mérites. Si vous trouvez que je sois innocent, je vous demande provisoirement la liberté d’être avec vous dans Paris. Si le Comité daigne me l’accorder, la République pourra, je le jure, compter parmi ses enfants un citoyen toujours utile et patriote. Les papiers qu’on a trouvés chez moi par deux reprises le prouvent ; la députation du Haut-Rhin à la Convention l’atteste ; le patriotisme et la pauvreté de ma famille entière le confirment ; le divorce avec Gobel quoique son vicaire, depuis son retour de Porrentruy, en est la preuve incontestable.

Salut et fraternité.

LOTHRINGER.

 

Le Comité de sûreté générale resta sourd à ces plaintes, et un mois après le 9 thermidor, Lothringer adressait au nouveau Comité la supplique suivante :

Paris, maison d’arrêt des Écossais, le 7 fructidor an II de la République.

Citoyens, ayant été arrêté par ordre du Comité de sûreté générale le 5 prairial dernier, je vous prie de m’envoyer les motifs de mon arrestation et vous ferez justice.

Salut et fraternité.

LOTHRINGER.

 

La liberté se fit encore attendre et Lothringer ne sortit de prison que le 12 brumaire suivant. Malgré toutes nos recherches, nous n’avons pu découvrir quelle fut, après la tourmente révolutionnaire, la destinée du malheureux vicaire de Gobel.

 

 

 



[1] Nous n’avons pas cru devoir donner en entier l’interrogatoire de Lothringer, qui est très long, et nous avons mis, à la première personne, les demandes et les réponses qui sont à la troisième. On trouvera, dans l’intéressante Histoire du Tribunal révolutionnaire de M. Campardon, tome Ier, page 92, toute la partie de cet interrogatoire qui est relative à Custine.