HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME HUITIÈME

 

LIVRE XLV. — LA RÉSISTANCE RÉPRIMÉE.

 

 

I

Nous avons laissé la Vendée au moment où Henri de La Rochejacquelein se jetait dans la mêlée[1]. Une série de succès marque les premiers pas de ses héroïques paysans. Ils marchent au secours de l’armée d’Anjou, reprennent Bressuire et emportent Thouars[2].

Un moment, la victoire semble déserter leurs drapeaux devant Fontenay ; mais ils ne tardent pas à prendre leur revanche avec Lescure et à s’emparer de cette ville. Ces triomphes répétés imposaient l’obligation d’une organisation régulière. Les chefs vendéens le comprirent et décidèrent, à la fin de mai, la création d’un Conseil supérieur dont les attributions, assez mal définies, consistaient à faire des proclamations, à prendre des arrêtés et à adresser des réquisitions pour le service des subsistances. Ce Conseil fut en partie composé d’ecclésiastiques, et c’était de bonne politique, car les prêtres avaient plus d’autorité que les chefs mêmes pour retenir, après le combat, les paysans toujours empressés de rentrer chez eux. L’abbé Guyot de Folleville, célèbre sous le faux titre d’évêque d’Agra, en reçut la présidence ; mais l’âme de l’assemblée était l’abbé Bernier, curé de Saint-Laud d’Angers, qui, dès le début, avait prêché avec ardeur les idées de résistance, et qui devait plus tard jouer un rôle si différent dans les négociations du Concordat.

Le Comité de salut public répondit à ces mesures d’ensemble par une plus grande concentration des troupes républicaines. Il en forma deux armées, celle des côtes de La Rochelle, dont le ressort d’action s’étendait de la Gironde à la basse Loire, et celle des côtes de Brest, qui avait son rayon militaire de Nantes à Saint-Malo. La première fut confiée à Biron, la seconde reçut pour chef Canclaux. Ils étaient tous deux officiers de l’ancien régime, et le dernier surtout jouissait d’une réputation justement méritée. Mais la faction montagnarde n’en était pas encore arrivée à proscrire les généraux qui avaient le tort grave de n’être point sortis de ses rangs. Elle se réservait seulement, en cas d’échec, la faculté de les rendre responsables de ses propres fautes et le soin de les déférer à la justice révolutionnaire.

Sur le papier, l’armée des côtes de La Rochelle comptait environ 40.000 hommes, mais Biron aurait pu en mettre à peine le quart en ligne. A l’exception de quelques compagnies d’élite, débris des anciens régiments de la monarchie, ses troupes ne comprenaient que des gardes nationaux dont le personnel et le nombre variaient à tout instant. Leur temps de service achevé, ceux qui avaient acquis quelque instruction militaire rentraient dans leurs foyers et cédaient la place à des bataillons de nouvelle réquisition sans cohésion, sans tenue, et souvent sans armes. Ces soldats improvisés, arrachés malgré eux à leurs travaux, étaient au moins honnêtes. Mais quelle confiance pouvait-on avoir dans les volontaires recrutés par la Commune, à prix d’argent, dans Paris et amenés en Vendée par Santerre, le général du 10 août ? Ivrognes, lâches et pillards, véritable rebut de la population parisienne, ils ne surent mériter que le surnom dérisoire de Héros à cinq cents livres. Un autre corps auxiliaire les dépassa pourtant en atrocités et en brigandages ; ce fut la Légion germanique, racolée elle aussi dans la capitale, mais parmi les réfugiés allemands ou hollandais, dont le commandement avait été donné a Westermann[3].

Pendant que Biron cherchait à mettre un peu d’ordre dans ce chaos, les Vendéens reprennent l’offensive. Ils occupent successivement Cholet, Vihiers et Doué. Le 10 juin, ils attaquent Saumur dont les vieilles fortifications étaient plus imposantes que redoutables ; mais il fallait montera l’assaut, chose nouvelle pour de simples paysans. Pendant qu’ils hésitent, La Rochejacquelein, s’inspirant de Condé à Rocroy, jette son chapeau pardessus le retranchement en criant : Qui va le chercher ? et bientôt la ville est prise.

Le lendemain, on procéda à la nomination du généralissime et, dans cette guerre où tout était imprévu, la désignation de l’élu ne devait pas être moins extraordinaire que le reste. L’année ne manquait pas de chefs d’un grand courage et d’un grand talent. Les uns étaient doués des plus belles qualités du cœur et du caractère, comme Lescure et Bonchamp ; les autres, des dons extérieurs les plus brillants, comme La Rochejacquelein. Certains s’étaient élevés de la condition la plus humble au premier rang, comme Stofflet, garde-chasse du comte de Maulevrier ; comme Cathelineau, colporteur et voiturier au Pin-en-Mauge. Au lieu de s’adresser aux plus nobles, c’est parmi ces derniers que le Conseil, sur la proposition de Lescure, alla chercher le chef suprême. Cathelineau fut nommé, et tout le monde applaudit au choix de celui qui, par son éloquence naturelle, avait provoqué les premiers rassemblements et qui avait mérité, par son ardente piété, le litre glorieux de Saint de l’Anjou. Ce fut une nomination politique, ont écrit quelques historiens ; c’était une nomination forcée, dirons-nous à notre tour, dans un pays où, pour défendre leur foi, les paysans avaient pris l’initiative de la résistance, et dans une armée où régnait une vraie et saine égalité.

La prise de Saumur marque l’apogée delà fortune des armes vendéennes. Jamais l’entente entre les chefs n’avait été plus complète et, du Bas-Poitou où jusqu’alors il avait opéré seul, Charette demandait à entrer dans l’action générale. Le premier résultat de cette union fut une expédition sur Nantes, grande mais dangereuse entreprise, dont le but était d’ouvrir la mer aux royalistes.

La situation de cette ville était critique : à l’intérieur, Nantes reproduisait l’image de l’Assemblée ; les girondins y représentaient le mérite et le nombre, les montagnards la violence et l’audace. Au dehors, les Nantais ne cessaient pas de réclamer des secours ; mais ils n’avaient plus l’oreille de la Convention épurée, et celle-ci ne voulut pas s’intéresser au sort d’une cité dont les autorités, le maire Baco et le représentant Goustard, tenaient toujours pour cette Gironde encore mal abattue. Le danger commun rapprocha les partis, et Nantes résolut de se sauver elle-même.

Cathelineau disposait à peine de 10.000 hommes. Les Vendéens comprenaient mal l’importance de cette expédition lointaine, et beaucoup d’entre eux s’étaient débandés sur la route. Seuls les soldats de Charette, désireux de prendre leur revanche des expéditions dirigées de Nantes contre le Bas-Poitou, étaient remplis d’ardeur. Les chances se trouvaient donc égales entre les assaillants, soutenus par leurs précédents succès, et les habitants combattant pour leurs foyers.

La lutte s’engagea, le 29 juin, avant l’aurore. Cathelineau menaçait Nantes, du côté de la terre ferme, par les trois routes de Paris, de Rennes et de Vannes, tandis que Charette s’avançait par la rive gauche de la Loire. Un moment la ville sembla perdue : Cathelineau se glissant, avec quelques hommes déterminés, au travers des ruelles et des jardins, était parvenu jusqu’à la place Viarmes. Là il s’arrête ; et, croyant la victoire assurée, il s’agenouille pour prier, son chapelet à la main. Au même instant, un coup de feu part de la lucarne d’un grenier et l’étend à terre mortellement blessé. Il ne fallait plus songer à s’emparer de Nantes, et les chefs vendéens donnent le signal de la retraite. Elle se fit dans un désordre tel que les généraux républicains ne pouvaient croire à l’étendue de leur succès[4]. Il était surtout gros de conséquences. Cathelineau représentait le génie populaire des campagnes. Il était l’âme du pieux et sombre Bocage, et le coup qui sauvait Nantes frappait la Vendée même.

La guerre n’était pas près de finir pour cela. Elle allait seulement changer de caractère et prendre des habitudes d’inhumanité dont la première responsabilité incombe à Westermann. Déjà célèbre par la façon dont il avait pillé et dévasté les églises de Belgique, ce général commandait à Saint-Maixent la légion germanique et rêvait de nouveaux exploits. Ami de Danton, convive habituel du banquier de Cock avec Hébert, Vincent et Ronsin, il était certain de ne pas être désavoué en terrorisant la Vendée.

Le 1er juillet, il se porte sur A maillon. Sous prétexte de venger les bons patriotes de Parthenay auxquels on n’a laissé que les yeux pour pleurer, et de leur remplacer les objets qu’ils ont perdus, il livre ce village au pillage et y fait ensuite mettre le feu. Le lendemain, c’est le tour du château de Clisson, demeure de Lescure. Il n’est pas resté une pierre sur l’autre, écrit Westermann ; partout les brigands fuient devant moi et j’irai les voir à Châtillon, après avoir brûlé le château de La Rochejacquelein. Il ajoute comme dernier commentaire : L’exécution terrible d’Amaillou et du château de Lescure a semé partout la terreur et, dans chaque commune, je déclare hautement aux habitants que je brûlerai tous les villages qui fourniront des hommes à l’armée des rebelles[5].

Le 3 juillet, les républicains occupaient Châtillon, malgré les efforts de La Rochejacquelein et de Lescure qui avaient inutilement tenté de défendre les hauteurs du Moulin-aux-Chèvres. C’était dans cette ville que les Vendéens avaient établi leurs magasins ; ils regorgeaient de vin, de farines, d’eau-de-vie et, l’abondance succédant tout à coup aux privations d’une marche rapide, les Bleus perdent toute prudence et se livrent à mille excès. Au même moment, l’armée vendéenne, refoulée de Nantes, arrivait à Cholet. Westermann avait été prévenu et songeait à battre en retraite sur Bressuire ; mais il était trop tard et, le 5 juillet, les Vendéens, fondant à l’improviste sur les avant-postes républicains, les surprennent les habits bas, le verre en main et les. armes en faisceaux. Rien ne résiste à leur élan ; l’artillerie est précipitée pêle-mêle avec la cavalerie et l’infanterie dans le ravin qui précède Châtillon, et le désordre prend de telles proportions, que c’est avec la plus grande peine que Westermann parvient à s’ouvrir un chemin du côté de Bressuire.

Dans sa retraite, il rencontre à Parthenay Bourdon (de l’Oise) et Goupilleau (de Fontenay), qui se rendaient à Châtillon. Les habitudes de pillage de la légion germanique et de son chef avaient depuis longtemps indisposé les représentants. Ces incendies allumés sans ordres, ces succès interrompus par une déroute sans exemple, n’étaient pas de nature à modifier leurs premières impressions. Séance tenante, ils écrivent au Comité de salut public pour demander la destitution de Westermann et la dissolution de ses volontaires. La Convention ajoute encore à ces rigueurs et enjoint à Westermann de se rendre à sa barre[6].

Pendant ce temps, la division de l’armée de Tours partie au secours de Nantes avait fait sa jonction à Angers avec Canclaux. Un moment il avait été question de continuer le mouvement commencé et d’occuper les deux rives de la Loire, afin d’assurer les communications de l’armée des côtes de La Rochelle avec celle des côtes de Brest. Le désir de rejoindre les royalistes fit préférer la marche sur Brissac d’où l’on pouvait tout à la fois surveiller les rassemblements qui se formaient à Vihiers et menacer Chemillé et Cholet. Vainqueurs à Martigné-Briant, le 15 juillet, les républicains, deux jours plus tard, sont battus à leur tour à Vihiers. Ce désastre empruntait une gravité exceptionnelle à cette circonstance que, les principaux chefs royalistes étant absents ou blessés, c’étaient les paysans seuls qui, sous la conduite des capitaines de paroisse, avaient remporté la victoire.

 

II

Ces alternatives de succès et de revers auraient dû ouvrir les yeux de la Convention. Elles confirmaient les plaintes des généraux et les rapports des représentants ; elles montraient que l’insurrection vendéenne ne pourrait être réduite que par des troupes habituées au feu et à la discipline.

L’aveuglement du jour fit préférer aux mesures de prudence l’emploi des moyens révolutionnaires.

Pourquoi, disait Barère dans la séance du 26 juillet, cette guerre extraordinaire s’est-elle composée jusqu’à ce jour de petites victoires et de tics grandes défaites ? C’est que vos généraux conservent les formes de l’ancien régime ; c’est que votre armée ressemble à celle d’un roi de Perse. Elle a cent soixante voitures de bagages, tandis que les brigands marchent avec leurs armes et un morceau de pain noir dans leur sac. Il est une vérité actuellement bien reconnue, c’est que jamais vous ne ferez la guerre avec avantage aux rebelles tant que vous ne vous rapprocherez pas de leur manière de la faire. Us se cachent dans les bois, dans les haies, dans les ravins. Faites la récolte des brigands, portez dans leurs repaires le feu et des travailleurs qui aplanissent le terrain.

Sous l’emphase de ces paroles retentissantes se cachaient une menace à peine voilée à l’adresse de Biron et une ardente flatterie pour les passions de la Convention. L’une et l’autre étaient assurées d’un favorable accueil, et un décret ordonne qu’il sera formé sur-le-champ, dans l’armée des côtes de La Rochelle, vingt-quatre compagnies de pionniers et d’ouvriers pour les opérations extraordinaires de la guerre qui devra être faite contre les rebelles[7].

Le 1er août amène de nouvelles sollicitations et de nouvelles rigueurs. Cette fois le parti est pris et la mesure est terrible.

L’organisation des compagnies d’ouvriers et de pionniers, dit la Convention, sera accélérée : ils seront choisis dans les communes les plus patriotes.

Il sera envoyé par le ministre de la guerre des matières combustibles de toute espèce pour incendier les bois, les taillis et les genêts des pays insurgés.

Les forêts seront abattues, les repaires des rebelles seront détruits, les récoltes seront coupées par les compagnies d’ouvriers pour être portées sur les derrières de l’armée, et les bestiaux seront saisis.

Aussitôt que l’armée sera réorganisée et prête à marcher, les représentants du peuple s’entendront avec les administrations des départements voisins pour faire sonner le tocsin et faire marcher sur les rebelles tous les citoyens depuis rage de seize ans jusqu’à l’âge de soixante ans.

Les femmes, les enfants et les vieillards seront conduits dans l’intérieur ; il sera pourvu à leur subsistance et à leur sûreté avec tous les égards dus à l’humanité.

 

On se demande ce qu’on doit le plus admirer ici, du sang-froid avec lequel s’édictaient ces atrocités, ou de l’ironie qui inscrivait, dans de pareils actes, la mention des égards dus à l’humanité. Il est vrai que la philanthropie des démagogues avait une façon toute spéciale de s’exercer ; elle consistait à entasser les femmes, les vieillards et les enfants dans des prisons dix fois trop étroites, où les maladies contagieuses les enlevaient par centaines, quand la fusillade ou la guillotine ne venait pas abréger leur supplice.

Sur la proposition de Thuriot, qui fit remarquer qu’il y aurait peut-être des citoyens patriotes et vertueux dont les propriétés seraient dévastées, on ajouta une dernière disposition digne des précédentes.

Les biens des rebelles de la Vendée sont déclarés appartenir à la République. Il en sera distrait une portion pour indemniser les citoyens demeurés fidèles à la patrie des pertes qu’ils auraient souffertes[8].

Pour exécuter de pareils ordres, il fallait un chef de bandits et non un général. La Convention le rencontra dans Rossignol.

Nous avons déjà eu occasion de parler de ce sinistre personnage et de son rôle actif dans les prisons, les massacres des 2 et 3 septembre 1792[9]. Ces gages donnés à la révolution l’avaient rendu cher à la faction jacobine et, quand on organisa les bataillons de volontaires pour la Vendée, il reçut, avec le grade de lieutenant-colonel, le commandement de la 35e division de gendarmerie à pied. Par cette sanglante ironie, le loup devenait berger ; mais il gardait son caractère et devait être aussi fatal aux siens qu’à ceux qu’il avait mission d’exterminer.

Attaché à la division de Niort, moins pour se battre que pour surveiller Biron, Rossignol fut à Saint-Maixent ce qu’il avait été partout, un ivrogne, un indiscipliné, un vantard et un incapable. Il acquit de la sorte de nouveaux titres à la confiance des démagogues et se trouva naturellement indiqué au choix de la Convention, quand elle résolut de révolutionner la guerre elle-même. Il ne manquait à Rossignol que le grade. L’inepte Bouchotte le lui conféra en moins d’une semaine en le nommant colonel le 10 juillet, général de brigade le 12, et général de division le 15 du même mois. Comme on le voit, en matière de favoritisme, les jacobins laissaient bien loin derrière eux les ministres de Louis XIV et de Louis XV. Jamais, au temps de leur plus grande faveur, les Villeroi et les Soubise n’obtinrent des promotions pareilles à celles que l’on prodiguait à l’idole de la populace parisienne.

Rossignol, malgré tout, avait conscience de son incapacité et hésitait à accepter[10]. La pression des jacobins et l’intervention de Ronsin ne lui permirent pas de céder à ses scrupules. Comme son ami, Ronsin avait été fait général en trois jours[11]. C’était un auteur dramatique fort obscur dont le théâtre n’avait pas récompensé les efforts et qui cherchait une revanche dans la politique. En 1792, pendant l’occupation de la Belgique, il avait été le fléau de l’armée du Nord ; en 1793, il devint celui de l’armée des côtes de La Rochelle.

Au moment de l’envoyer en Vendée, Bouchotte l’avait pris pour adjoint. Il était arrivé à l’armée muni de pleins pouvoirs avec dix aides de camp, un essaim de filles publiques et un état-major de jeunes drôles plus disposés à parader avec leurs épaulettes qu’à marcher au feu. Quand, à quelques mois de là, il reçut un grade militaire, il n’en conserva pas moins ses fonctions d’adjoint au ministre de la guerre : il y joignit seulement le titre de général ministre^ étrange cumul qui lui permettait de passer des revues, comme général, les jours de fête, et de rester en arrière, comme ministre, les jours de danger. En réalité, il ne songeait qu’à ses plaisirs ou à ses rancunes et, pendant qu’il accordait sa protection ouverte aux fournisseurs les plus véreux, il dénonçait les honnêtes gens qui ne voulaient pas plier devant lui. Le Comité de salut public appréciait tout particulièrement ce dernier genre de services et était disposé à pardonner beaucoup à ceux qui avaient le triste courage de les rendre. Il laissa donc, au grand ‘ scandale de tous, Ronsin acquérir, par ses excès mêmes, de nouveaux titres à sa confiance jusqu’au jour où, comme récompense, il lui commit, avec le commandement de tous les coupe-jarrets de la capitale, la direction suprême de l’armée révolutionnaire.

 

III

Tels étaient les hommes qui allaient présider aux destinées de la Vendée. Il est vrai que Barère avait dit : Ce qu’il faut pour réduire les rebelles, c’est moins du talent militaire que de l’audace révolutionnaire.

Ce n’était point l’avis des représentants qui suivaient de près, sur les lieux, les péripéties de la lutte. La conduite de Rossignol ne tarda point à leur donner raison.

Un premier conflit éclate à l’occasion du général Tuncq, qui avait succédé à Sandoz dans le commandement de la division de Luçon. Ses succès sur les Vendéens, au Pont-Charron, le 25 juillet, et dans les environs de Luçon<, le 30, lui avaient valu In protection des représentants. Il n’en fallait pas davantage pour le rendre suspect à Rossignol qui, sans prévenir personne, demande sa révocation et l’obtient. L’arrêté ministériel récompensant ainsi Tuncq d’avoir trop bien battu ses adversaires arriva au camp le 13 août, à onze heures du soir. A ce moment, les troupes républicaines étaient en présence de toute l’armée vendéenne, renforcée des bandes de Royrand et de Charette. La bataille était imminente, et les représentants n’hésitèrent pas à maintenir dans son commandement le général révoqué. Le lendemain Tuncq justifiait, par une éclatante victoire, la confiance de ses défenseurs. C’était la troisième en dix-huit jours et, en l’annonçant au Comité de salut public. Bourdon et Goupilleau purent lui dire :

Tous les jours on accorde des brevets d’adjudants et de généraux à des hommes qui n’ont peut-être jamais monté la garde. Nous avons pris sur nous de nommer provisoirement le général Tuncq général divisionnaire, et nous espérons que la Convention voudra bien confirmer cette nomination[12].

Quelques jours plus tard, c’est avec Rossignol lui-même que la lutte s’engage au quartier-général de Tuncq, à Chantonnay. Rossignol faisait une tournée d’inspection, en compagnie du représentant Bourbotte. On était aigri de part et d’autre, et la délibération prit de suite un tour orageux. Bourbotte reproche à Bourdon de n’avoir pas encore appliqué le décret du 1er août. Bourdon riposte que ce décret renferme des dispositions atroces, qu’il ne le fera point exécuter et qu’il ne permettra pas qu’on l’exécute, quand bien même il devrait faire incarcérer son collègue au château de La Rochelle.

On se sépare au plus mal et Rossignol continue sa route dans la direction de Fontenay. Là, on lui donne pour logement la maison d’un riche habitant récemment passé aux Vendéens. Tous les meubles se trouvaient sous les scellés ; mais le respect delà loi était le moindre souci de l’étrange état-major que Rossignol traînait après lui, et dans lequel l’imprimeur Momoro, délégué du département de Paris, coudoyait le comédien Grammont, métamorphosé en adjudant-général par la grâce de Ronsin. Sous prétexte que les biens des royalistes doivent être confisqués et constituent des propriétés nationales, on brise les scellés, on fouille les armoires et l’on se partage les vêlements, les bijoux et tous les objets de valeur qu’elles renferment. Le général en chef lui-même prend part à la curée. Il s’adjuge la voiture de son hôte et, joignant l’ironie au pillage, il écrit en partant au maire de Fontenay qu’il l’emmène pour le service de la République. Déjà le 21 août, en traversant Niort, Rossignol, non content de succéder à Biron, avait volé ses chevaux[13].

La municipalité de Fontenay ne pouvait pas rester inactive. Elle dresse un procès-verbal de ces actes de pillage et l’envoie à Chantonnay aux représentants Bourdon (de l’Oise) et Goupilleau. Ces derniers jugent l’affaire assez grave pour suspendre Rossignol de ses fonctions. De son côté, Bourbotte défend aux troupes d’exécuter les ordres de ses collègues et part en poste pour Paris, accompagné de Rossignol, après avoir confié à Santerre le commandement provisoire de l’armée.

La Montagne n’avait pas attendu l’arrivée de son favori pour faire de sa révocation une question de parti. A la première communication de l’arrêté de suspension, Tallien s’était écrié, au milieu des murmures de la Convention[14] :

Lorsque j’ai vu Rossignol nommé général en chef, j’ai été le premier à dire qu’il n’était pas capable de commander une armée de cette importance. Mais c’est un des vainqueurs de la Bastille ; je sais que Biron ne pouvait pas souffrir l’âpreté du caractère républicain de Rossignol ; il s’est toujours montré en héros. Eh ! que m’importent à moi quelques pillages particuliers, je veux dire le pillage de quelques maisons d’aristocrates ! Rossignol a la confiance de l’armée. Je demande que le Comité de salut public fasse demain son rapport sur cet arrêté.

A la séance du 28 août[15], la discussion recommence plus animée et plus vive, en présence de Bourbotte et de Rossignol. Cette fois encore, personne ne s’occupe des faits imputés au général, et Bourbotte détourne l’attention de la Convention sur les causes présumées de sa destitution.

Il faut, dit-il, vous faire connaître les vrais motifs qui ont porté Goupilleau et Bourdon à de semblables dispositions. Goupilleau, envoyé en mission dans son propre département, a senti qu’il avait beaucoup à perdre dans l’exécution des mesures décrétées à l’égard des rebelles de la Vendée, et tout à craindre de la part d’un général qui n’avait que le salut public à consulter et qui avait manifesté hautement ses intentions à cet égard.

Qui de nous, ajoute Drouet, n’a pas éprouvé le patriotisme de Rossignol ? L’injustice dont il a été l’objet est évidente. Je demande que sa destitution soit levée et que Bourdon (de l’Oise) et Goupilleau soient rappelés pour rendre compte de leur conduite.

Pourquoi, reprend un troisième membre, Goupilleau a-t-il eu la faiblesse de se rendre dans un pays où étaient ses propriétés, lorsqu’il savait que la résolution formelle des Français était de porter le fer et le feu dans les repaires des brigands ? Était-il assez ferme pour exécuter une pareille mesure ? Etait-il un nouveau Brutus pour en ordonner l’exécution ? Depuis les premiers jours de la malheureuse guerre de la Vendée, nous avons eu un grand nombre de commissaires et les affaires n’en ont pas été mieux. Choudieu n’a vu qu’Angers ; Goupilleau n’a vu que la Vendée. Je demande le rappel de tous les commissaires qui sont dans ce pays. Ce sont tous des malheureux qui nous ont perdus.

Cette proposition était trop libérale et provoque des murmures. Tallien en profite pour recommencer l’éloge de Rossignol.

On n’a pas rapporté contre lui, dit-il, un seul fait relatif à ses fonctions de général.

Qu’a-t-il fait pour être général ? s’écrie une voix.

On demande ce qu’a fait Rossignol, reprend Tallien. Je répondrai : depuis le commencement de cette guerre, il s’est battu plus de cinquante fois à la tête de la 35e division de gendarmerie qu’il commandait. Comme général, il a trouvé une armée débandée et il l’a réorganisée. Pourquoi Rossignol ne trouverait-il pas de défenseur dans une assemblée où l’on a répondu de Beysser et de Westermann ? Serait-ce parce qu’il est un véritable sans-culotte ? Non, l’Assemblée sera plus juste ; elle lèvera la suspension et il sera beau de voir Rossignol, sorti de cette classe tant dédaignée par la noblesse, succéder à monseigneur le duc de Biron.

La Convention applaudit à ce dernier trait et Rossignol, réintégré dans ses fonctions, est admis aux honneurs de la séance. J’ai juré, dit-il en remerciant, d’exterminer les brigands et de détruire leurs asiles ; je le ferai.

 

IV

L’anarchie qui régnait parmi les républicains était faite pour relever le courage et la confiance des Vendéens.

Déjà ils avaient remplacé Cathelineau et élevé d’EI-bée aux fonctions de généralissime. Dans les premiers jours de septembre, ils divisent le pays en cinq districts militaires et se préparent à reprendre l’offensive sur tous les points à la fois.

L’arrivée de la garnison de Mayence changea la face des choses. Elle avait dû, lors de la capitulation, souscrire l’engagement de ne pas porter les armes pendant un an contre les puissances alliées. Cette condition, en apparence si dure, en rendant à la défense intérieure 8.000 hommes de troupes exercées, était au contraire pour la Convention une chance inespérée de salut.

Le premier moment d’émotion passé, Barère fait voter un crédit de trois millions destinés à conduire en poste jusqu’en Vendée les héroïques défenseurs de Mayence. Le 17, un nouveau décret envoie les représentants Merlin (de Thionville) et Rewbell rejoindre leurs frères d’armes. Canclaux et Rossignol se disputaient ce précieux renfort ; le Comité de salut public charge un conseil de guerre, composé de généraux et de représentants, de trancher la question et d’arrêter le plan de campagne.

Deux projets étaient en présence. L’un donnait l’initiative à l’armée des côtes de Brest. Il consistait à combiner, entre les deux divisions de Mayence et de Nantes et les troupes de Rossignol, un mouvement demi-circulaire et convergent, destiné à refouler les rebelles jusqu’au cœur du pays insurgé et à les écraser sous l’effort des deux armées réunies. Le second, beaucoup plus simple, se bornait à concentrer toutes les forces républicaines à Saumur, et à organiser une battue en ligne, de l’est à l’ouest, afin d’acculer les Vendéens entre la Loire et la mer.

Le Comité de salut public avait déjà donné son approbation au premier plan, dans la crainte de jeter la Vendée dans les bras de la Bretagne et de l’Angleterre. Ce fut également l’avis du conseil de guerre tenu à Saumur, le 2 septembre, où assistaient onze représentants et autant de généraux. L’armée de Mayence resta donc sous le commandement de Canclaux, pendant que Rossignol faisait sonner le tocsin et procéder à la levée en masse dans les départements limitrophes.

La campagne s’ouvrit par un revers. Le général Lecomte, qui remplaçait Tuncq malade, se laissa surprendre, le 5 septembre, à Chantonnay. Cet échec, qui n’avait rien d’irréparable, compromit tout le reste des opérations.

D’après le plan arrêté à Saumur, l’armée des côtes de Brest et celle des côtes de la Rochelle devaient se trouver réunies le 16 septembre devant Mortagne. Les troupes de Canclaux se mirent donc en marche dès le 9 ; mais Rossignol, soit crainte, soit dépit, n’apporta pas la même rapidité dans l’exécution du mouvement convenu. Le 17, la division de Saumur n’était encore qu’à Vihiers, pendant que Canclaux, obligé d’attendre, s’arrêtait à Clisson et apprenait que des ordres contradictoires avaient imposé aux divisions de Niort et des Sables des marches et des contre-marches inutiles.

Au milieu de ces hésitations, les Vendéens attaquent, les unes après les autres, ces troupes abandonnées à elles-mêmes sans cohésion et sans lien. Le 18 septembre, Santerre avec la division de Saumur est battu à Coron. Le 19, le chevalier Duhoux met en déroute, à Beaulieu, la division d’Angers commandée par son oncle, — les jeux de la fortune et de la guerre ! — Le même jour, l’avant-garde de l’armée de Mayence, malgré les efforts de Kléber, est écrasée à Torfou par les forces réunies de Bonchamp, d’Elbée, Charette et Lescure ; le 21, ces deux derniers surprennent, à Montaigu, Beysser et la garnison de Nantes, et couronnent leur succès, le 23, en refoulant à Saint-Fulgent la division des Sables, dont le commandement venait d’être donné au général Mieskowski.

Jamais la cause vendéenne n’avait brillé d’un si vif éclat. Il ne fallait plus songer à rester dans un pays exalté par cinq victoires en six jours, et Canclaux se replia sur Nantes.

Comme l’on devait s’y attendre, chacun se renvoya la responsabilité de ces désastres. Deux hommes surtout tonnaient l’un contre l’autre et s’accusaient réciproquement de trahison. C’étaient le dantoniste Philippeaux, en qui s’incarnait la représentation de Nantes, et le général ministre Ronsin, qui personnifiait plus spécialement l’armée des côtes de La Rochelle. En réalité, personne n’avait trahi ; mais l’incapacité de Rossignol, la haine de Ronsin contre les militaires et la difficulté de concerter des mouvements précis entre des soldats improvisés et des troupes régulières avaient tout compromis. Le Comité de salut public, ne sachant auquel croire, se tira d’embarras en frappant à droite et à gauche sur les généraux. D’un côté, il suspend Canclaux et rappelle Aubert Dubayet : de l’autre, il confie à Ronsin le commandement de l’armée révolutionnaire récemment organisée à Paris, et charge Rossignol de la direction de l’armée des côtes de Brest diminuée des divisions de la Loire. Le surplus des forces républicaines en Vendée reçoit pour chef, avec le titre d’armée de l’Ouest, un ancien maître d’armes de Saintes, nommé Léchelle, jacobin exalté, aussi poltron qu’incapable, qu’on ne vit jamais au feu et qui savait à peine signer son nom.

Cependant, après quelques jours de repos, Canclaux avait quitté Nantes et repris la campagne. Comme la première fois, son objectif était Mortagne, et il avait besoin, pour l’atteindre, du secours des divisions de Chalbos et de Mieskowski. Le plan des opérations, communiqué à Saumur le 26septembre, avait reçu l’approbation des représentants Choudieu et Richard, quand un conseil de guerre, tenu par ces derniers le 2 octobre, prescrivit à Chalbos de rétrograder sur Bressuire, et à Mieskowski de rester dans ses positions, pour défendre éventuellement Luçon. L’armée de Nantes restait encore une fois seule ; mais il était trop tard pour reculer, et Canclaux continua résolument le mouvement commencé.

Les Vendéens de leur côté marchaient à sa rencontre. Un premier combat s’engage, le 6 octobre, à la hauteur du village des Treize-Septiers, près de Saint-Symphorien. Kléber, à l’avant-garde comme toujours, brûlait du désir de prendre sa revanche. Dès le début de l’action, il fait charger à la baïonnette, et la lutte devient bientôt si serrée qu’il est impossible de part et d’autre de se servir de l’artillerie. A la fin, les royalistes sont obligés de plier, et quelques coups de canon, tirés à toute volée, achèvent leur déroute. L’échec de Torfou était réparé et la route de Mortagne se trouvait libre ; mais Canclaux n’eut pas le temps de profiter de sa victoire. La nouvelle de sa destitution venait d’arriver et, le soir même, il quittait l’armée en compagnie d’Aubert Dubayet. Le sot et l’intrigant triomphent, écrivit à cette occasion Merlin (de Thionville), et, en attendant qu’on vienne prendre le commandement, j’ai tout réorganisé de manière qu’on ne sent plus le vide. Il avait confié à Kléber la direction provisoire de l’armée.

Au même moment, Chalbos tentait une diversion sur Châtillon. Un combat heureux au Moulin-aux-Chèvres, Ie9 octobre, lui livre cette ville ; mais quand il veut, le 11, continuer sa marche sur Mortagne, il se heurte au gros de l’armée vendéenne et est obligé de reprendre en désordre la route de Bressuire. L’imprudence de Westermann, acquitté à Niort et récemment réintégré dans son commandement[16], avait causé tout le mal. Furieux d’avoir été une seconde fois battu à Châtillon, il ne larde pas à reconnaître le petit nombre de ceux qui le poursuivent, et conçoit le projet de faire volte-face et de reprendre la ville par un coup de main hardi. Il rallie donc quelques centaines de hussards et autant de grenadiers qu’il fait monter en croupe, renverse tout sur son passage et surprend à son tour les Vendéens assoupis et ivres d’eau-de-vie. Ce fut un horrible massacre, où l’on n’épargna ni les femmes, ni les enfants, et que l’incendie termina le lendemain.

Pendant que Châtillon brûlait, la division de Mayence reprenait sa marche et les Blancs évacuaient Mortagne, pour se masser à Cholet. Kléber et Lescure se trouvèrent de nouveau en présence, le 15 octobre, à la hauteur du château de la Tremblaye. On se battit de part et d’autre avec acharnement, et la victoire balança toute la journée ; mais vers le soir, Lescure ayant reçu une blessure mortelle à la tête, l’avantage resta aux Bleus.

Le moment était solennel. Par suite de nouveaux ordres, les divisions de Luçon et de Chalbos venaient d’arriver ; les représentants Bourbotte, Choudieu, Fayau et Bellegarde étaient accourus de Saumur et s’étaient joints à leurs collègues Merlin (de Thionville), Turreau et Carrier. Tous prirent part au conseil dans lequel allait se décider le sort de la guerre. Les Blancs avaient fui jusqu’à Beaupréau. Les généraux de l’armée de Mayence étaient d’avis de les poursuivre jusqu’à la Loire, sans tarder, afin de les battre en route, s’ils se retournaient pour résister, ou de les noyer dans le fleuve, s’ils tentaient de le franchir. Chalbos ayant fait observer que ses troupes étaient trop fatiguées, la majorité préféra une attaque en masse sur Beaupréau.

Cet excès de prudence sauva les Vendéens. Eux aussi délibéraient. Fallait-il, comme le proposait Bonchamp, transporter sur la rive droite de la Loire le théâtre de la lutte ? Valait-il mieux, suivant l’avis de d’Elbée, continuer dans le pays même une guerre désespérée de partisans ? L’amour du sol natal prévalut et l’on convint de s’emparer de Varades, pour assurer la retraite en cas d’échec, et de tenter une dernière fois le sort des armes avant de traverser la Loire.

Bonchamp et d’Elbée revinrent donc, à la tête de 40.000 hommes, attaquer Cholet, le 17 octobre. Ils avaient disposé leurs soldats en colonne serrée, et les Vendéens marchaient pour la première fois en ordre de bataille. Le point faible de la ligne républicaine était à l’aile gauche, et c’est sur elle que se porte le premier effort des assaillants, Victorieux un moment, ils ne tardent pas à être repoussés et se rejettent sur le centre. Là, ils sont décimés par l’artillerie de la division de Luçon, que son chef démasque à l’improviste et qui les mitraille à bout portant. Soutenus par l’énergie du désespoir, les Vendéens reculent, mais reviennent à la charge. Ën6n il faut céder et la déroute commence, impitoyable et sanglante. La nuit seule mit un terme à cette effroyable boucherie. De part et d’autre les pertes étaient immenses. Bonchamp et d’Elbée étaient frappés à mort et Kléber, dans sa seule division, avait vu tomber, le 15 et le 17 octobre, quatorze chefs de brigade, chefs de bataillon ou officiers d’état-major, ses amis et ses compagnons d’armes de Mayence. Il est vrai que l’honneur de la victoire revenait à lui seul. Les soldats de Chalbos avaient fui dès le commencement de l’action. Quant au général en chef Léchelle, on ne le vit qu’après le combat.

La question était tranchée : il fallait quitter la Vendée et, sans s’arrêter à défendre Beaupréau, les vaincus courent d’une seule traite à la Loire. Le 8 octobre, ils passent le fleuve à Saint-Florent, emmenant avec eux comme aux siècles d’invasion leurs chariots, leurs bœufs, leurs femmes, leurs enfants et leur Dieu. Lescure mourant avait été placé sur une barque ; La Rochejacquelein pleurait ; tous étaient animés des plus tristes pressentiments. La mort attendait les fugitifs sur ce rivage où ils croyaient trouver la délivrance. Comme Antée, l’armée vendéenne ne pouvait vivre qu’au contact du sol qui l’avait vue naître et, semblable à une bande d’oiseaux sous l’aile de l’autour, ce tourbillon humain allait s’élever, s’abattre, rebondir, retomber, se relever encore jusqu’à la chute finale qui devait les anéantir tous.

Ainsi finit victorieusement, mais sans gloire pour les armes républicaines, cette guerre de quelques mois. Il n’y en eut pas de plus cruellement et de plus maladroitement conduite. Une tourbe immonde d’intrigants, de pillards et de polirons en retarda le succès et ne put l’empêcher. La Convention vainquit malgré elle et avec la seule aide de ces généraux qu’elle ne savait que soupçonner et proscrire.

Les représentants s’attribuèrent naturellement la victoire et, dans la joie du triomphe, écrivirent à Paris : La Convention nationale a voulu que la guerre de la Vendée fût terminée avant la fin d’octobre ; nous pouvons lui dire aujourd’hui qu’il n’existe plus de Vendée. Une solitude profonde règne actuellement dans le pays qu’occupaient les rebelles. On ferait beaucoup de chemin dans ces contrées avant de rencontrer un homme et une chaumière, car nous n’avons laissé derrière nous que des cendres et des monceaux de cadavres[17].

Au même moment, dans un admirable élan de générosité et de miséricorde, Bonchamp, expirant sur les bords de la Loire, faisait grâce de la vie à 4.000 prisonniers républicains que les Vendéens traînaient après eux.

 

V

Le plan de résistance des Bordelais avait été bien combiné ; niais il avait besoin pour réussir de trouver, dans la Gironde, une direction énergique, et, au loin, un appui effectif dans la majorité des départements[18]. Cette double condition ne fut jamais remplie. A Bordeaux même, malgré la chaleur des discours et l’abondance des propositions généreuses, le recrutement de la force départementale rencontra mille difficultés et ne se fit qu’à prix d’argent par voie de remplacement[19]. Dans les départements, les délégués de la Commission populaire de salut public, précédés ou rejoints par les émissaires de la Montagne, revinrent en rapportant qu’ils n’avaient trouvé qu’hostilité ou qu’indifférence. La déroute de Pacy, en exagérant dans les esprits la force de la Convention, acheva de jeter le découragement parmi les plus vaillants. La Vendée, Marseille et Lyon restaient seuls en armes. Quel réveil après avoir rêvé le concours de soixante-huit départements ! Ne valait-il pas mieux, en présence d’un échec certain, essayer de fléchir, par une soumission volontaire, la faction triomphante ? Les Bordelais eurent un moment l’illusion de croire que cela serait possible et, le 2 août, la Commission populaire prononça elle-même sa dissolution.

Cette soumission était sans doute plus apparente que réelle, puisque chacun de ses membres, rentré dans le corps qui l’avait délégué, conservait sous un autre nom l’exercice des pouvoirs publics. Mais tous étaient prêts à se démettre sans réserve et, en présence de l’apaisement sincère des esprits, de grands malheurs pouvaient être évités. La Convention ne voulut écouter ni la voix de la raison, ni celle de l’humanité. A l’indulgence que conseillait la politique préférant les rigueurs que réclamaient les passions révolutionnaires, elle rendit, le 6 août, un décret terrible et mit hors la loi tous ceux qui avaient provoqué la création de la Commission populaire de salut public, concouru on adhéré à ses actes[20].

En exagérant la répression, la Convention fit renaître la résistance.

Chacun, en effet, se sentait menacé par un décret qui confondait, dans la même proscription, les chefs et les soldats, les égarés et les coupables ; chacun se demandait où s’arrêteraient les poursuites contre les adhérents dans une ville où tout le monde avait adhéré. L’émotion était à son comble quand, le 19 août, à sept heures du soir, les représentants Baudot et Ysabeau, chargés de l’exécution du décret, arrivent à Bordeaux. Dès leur première sortie, ils sont reconnus et poursuivis par les huées de la foule qui grossit sur leurs pas. Quelques personnes plus modérées se dévouent, les font monter dans une voiture et les conduisent à l’hôtel de ville. Là ils trouvent le conseil général en séance et prennent place aux côtés du maire. Pendant qu’on délibère, les sections, informées de la présence des représentants, envoient des députations pour réclamer le rapport ou tout au moins la suspension du décret du 6 août ; mais Baudot et Ysabeau résistent et, après une longue discussion, on les reconduit à leur hôtel sous bonne garde.

Le lendemain, les sollicitations recommencent au domicile des délégués de la Convention et sont repoussées, comme la veille, par un refus formel. Les deux, représentants n’avaient plus qu’une pensée, celle de quitter une ville où ils se heurtaient à une aussi forte opposition. Sur leur réquisition écrite, la municipalité leur fournit des chevaux de poste, et ils partent, au milieu de la nuit, avec une escorte, pour se rendre à La Réole, petite ville fort républicaine où ils étaient certains d’être reçus avec empressement. Pendant la route quelques cavaliers ayant, à la faveur de l’obscurité, gratté, avec la pointe de leurs sabres, le bonnet de la liberté peint en guise d’armoiries sur les panneaux de la voiture, ce fut un nouvea u grief à la charge des Bordelais.

De La Réole, Baudot et Ysabeau adressèrent au Comité de salut public un rapport rempli d’exagération. Feignant d’avoir couru un véritable danger de mort, ils reprochent à la municipalité de n’avoir rien fait pour les défendre ; ils dénoncent les riches égoïstes, les négociants cupides, les aristocrates connus qui remplissent les assemblées électorales, les sections populaires, les administrations locales ; ils rappellent que l’impunité accordée aux insultes faites à Treilhard et à Mathieu les a enhardis pour de nouveaux forfaits ; ils demandent justice des jeunes gens très élégants et des messieurs à belles lévites et à grosses cravates qui les ont menacés. Quant à la mission dont ils étaient chargés, le décret du 6 août paraissait à leurs yeux mêmes empreint d’une telle exagération, qu’ils sollicitent de la Convention l’autorisation d’en restreindre les effets aux membres de la Commission populaire et aux chefs de la faction. Sans cela, disent-ils, cent raille personnes peut-être sont menacées, et il faut alors une armée de 20.000 hommes pour réduire tant de rebelles. Dans leur bouche, cet aveu est précieux à recueillir[21].

La réponse de la Convention n’était pas douteuse. En l’attendant, les représentants chargent des agents sûrs d’occuper la citadelle de Blaye, la poudrière de Lormont, le fort Médoc, celui de Royan et le vaisseau stationnaire de l’embouchure de la Gironde. En même temps, pour réduire plus vite la population de Bordeaux en l’affamant, ils interceptent tous les convois de vivres dirigés sur cette malheureuse cité.

Les Bordelais se laissèrent bloquer sans résistance. Sûrs de l’ordre intérieur, avec la société populaire de la jeunesse que présidait l’avocat Ravez et qui comptait dans ses rangs l’élite de la garde nationale, ils attendaient encore une fois, du temps, un secours que leur énergie seule aurait pu leur procurer. Ce blocus d’ailleurs était, au début, plus nominal qu’effectif et n’empêcha pas la majorité des députés réfugiés à Caen de se rendre dans la Gironde. Duchâtel, Meillan, Bergoing, Salles et Cussy débarquèrent les premiers. Ils ignoraient l’aveuglement et l’inertie de leurs amis et ne purent les déterminer à agir.

Cependant les mesures prises par Baudot et Ysabeau commençaient à porter leurs fruits. Les grains surtout étaient rares et, depuis le 15 août, chaque habitant de Bordeaux était réduit à 7 onces de pain par jour. De La Réole, les représentants exploitaient habilement cette situation. Pendant qu’au dehors des commissaires, choisis parmi les plus fougueux jacobins, accumulaient aux portes de la ville les approvisionnements et les vivres, les révolutionnaires restés à l’intérieur parcouraient les quartiers pauvres, accusant les administrateurs en fonctions d’accaparer les grains et promettant que la disette cesserait le jour de l’entrée des délégués de la Convention. A la suite de ces excitations, un premier conflit éclate entre la Société de la Jeunesse et la section Franklin où dominait l’élément montagnard. Pour maintenir l’ordre, la municipalité est obligée de fermer les clubs ; elle envoie, en outre, une députation à Paris renouveler l’offre de sa soumission.

Citoyens législateurs, disait l’un de ses membres à la séance de la Convention du 30 août, l’objet de notre mission est de vous remettre une adresse de vingt-quatre sections[22] de la ville de Bordeaux, d’une commune dont vous avez si souvent loué le civisme, le zèle et les sacrifices pour la chose publique. Soyez indulgents pour la rédaction ; que des mots ne vous fassent pas juger de leurs sentiments ; qu’un seul instant d’erreur soit oublié. Il est si doux, pour les représentants d’une grande nation, de ne trouver dans les coupables que des frères égarés, que nous espérons de votre justice le rapport d’un décret qui a porté dans l’âme de tous les citoyens de Bordeaux la douleur la plus cruelle. Législateurs, qu’il nous soit permis de rappeler à cette auguste Assemblée un fait très important qui peut appuyer notre demande. Le citoyen Barère qui vous faisait, il y a quelque temps, un rapport sur Bordeaux, vous a dit que le Comité avait décidé dans sa sagesse d’accorder un délai de six semaines pour permettre à la ville de revenir de son erreur. Il avait bien jugé de nos sentiments, il avait bien jugé de cette cité, puisque, le 2 août, tout était rentré dans l’ordre et que c’était seulement le 6 qu’expirait le terme qu’il nous avait accordé[23].

A ces mots, Chabot s’élance à la tribune. Déjà, le 6 août, il avait déclaré insuffisantes les mesures de répression proposées par le Comité de salut public. Il voulait que les biens des membres de la commission populaire fussent partagés entre les habitants de Bordeaux ayant moins de 300 livres de revenu, et c’est sur sa proposition, amendée par Couthon, que la confiscation, au profit de la République, avait été ajoutée au décret. Cette fois il est plus impitoyable encore[24]. L’égarement des révoltés de Bordeaux, s’écrie-t-il, pouvait, avant l’acceptation de la constitution, avoir un prétexte ; mais, depuis la journée du 10 août, les habitants de cette ville, qui se sont permis d’interroger sur la sellette des représentants du peuple, sont des scélérats, dont il faut punir l’audace. Citoyens, les scènes affligeantes qui se passent maintenant à Lyon et à Marseille sont l’œuvre des marchands de Bordeaux. Ils en attendent le résultat afin de se découvrir et d’arborer l’étendard de la contre-révolution. Il y a dans Bordeaux des conspirateurs dont il faut se saisir et dont la tête doit tomber sur l’échafaud.

Delacroix ajoute : D’après le fait annoncé par Chabot, je ne conçois pas comment les sections de Bordeaux qui, il y a huit jours, méconnaissaient l’autorité de la Convention, osent vous envoyer aujourd’hui des commissaires pour implorer votre indulgence. Une ville ne doit point espérer de pitié tant qu’elle est en insurrection.

Sur leur proposition, la pétition des Bordelais est renvoyée au Comité de salut public, et l’Assemblée passe à l’ordre du jour.

De leur côté, Baudot et Ysabeau écrivaient à la Convention : Le peuple de Bordeaux n’a vu aucun grand mouvement de révolution, et il n’a pas l’activité nécessaire pour en faire une lui-même ; mais, avec un petit peloton d’armée, tout se fera au gré de vos désirs. La garnison de Valenciennes, qui est à Tours, pourrait peut-être fournir ce contingent. Elle était destinée à Lyon, et le Comité de salut public se contenta d’ordonner au ministre de la guerre d’expédier à La Réole et à Tonneins les objets d’armement et d’équipement nécessaires pour une armée de 4.000 hommes. Par le même arrêté, le général Brune, cher aux jacobins depuis sa participation aux affaires de Pacy, était envoyé dans la Gironde avec Tallien pour assister les représentants dans l’exécution des mesures militaires.

L’échec de la députation et les préparatifs de la Convention augmentaient dans Bordeaux l’audace des jacobins. Les ouvriers de l’atelier militaire du grand séminaire donnèrent le signal de la résistance ouverte en refusant de livrer les objets confectionnés par eux. Quelques jours plus tard, dans la matinée du 9 septembre, la section Franklin se présenta en masse à l’hôtel de ville et réclama l’exécution immédiate du décret du 6 août. Cette fois encore, la municipalité put résister ; mais la protestation désespérée qu’elle adressa le jour même à la Convention se terminait par ces paroles, indices d’une défaillance prochaine : Si le vœu de nos concitoyens désigne des hommes qui leur soient plus agréables ou plus utiles que nous, qu’ils le remplissent ; ils n’éprouveront de notre part aucune résistance. Pour conformer ses actes à ses paroles, elle prononçait la dissolution de la Société de la Jeunesse bordelaise, sa dernière ressource contre l’émeute.

Il semble, dit Ysabeau en envoyant au Comité de salut public cette dernière proclamation, que l’esprit public veuille se réveiller à Bordeaux. Le blocus moral est fait complètement, et nous sommes assurés que plus de trois mille citoyens se joindront à nous, aussitôt que nous aurons un petit corps d’armée, et qu’il en sortira autant au moins des faubourgs de la ville..... Mon collègue Baudot est parti pour l’armée de la Vendée, afin de rechercher avec les généraux les moyens de détacher quelques troupes..... Nous faisons rassembler sur trois points différents la partie de la gendarmerie nationale qui n’est pas nécessaire pour le service public et, si nous pouvons venir à bout de réunir quelques bataillons, nous vous répondons que Bordeaux fléchira.

Il n’en fallait pas tant pour réduire une population que les horreurs de la faim avaient pour un moment réunie dans une pensée commune de soumission. Sur un nouvel appel des représentants, les vingt-huit sections s’assemblent et désignent chacune deux commissaires destinés à former une municipalité provisoire ; le 19 septembre, les élus accompagnés d’une force imposante se rendent à l’hôtel de ville, où le conseil général remet sans combat ses pouvoirs entre leurs mains.

Une députation court aussitôt à Paris annoncer que Bordeaux s’est rendu. Elle apportait, avec la nouvelle de l’exécution du décret du 6 août, une proclamation du nouveau maire, l’horloger Bertrand, homme avide et cruel, dont ses complices devaient eux-mêmes faire justice quelques mois plus tard.

La victoire était complète et les jacobins ne cachèrent pas leur satisfaction. A la Convention, le président Cambon adresse aux délégués de Bordeaux ces paroles expressives : Les principes ont enfin triomphé dans votre ville[25]. A la Société des Jacobins, Desfieux, ancien marchand de vin à Bordeaux, annonce qu’il s’est entendu avec le Comité de salut public pour dénoncer par écrit les scélérats dont il est nécessaire de purger la ville[26]. La Commune de Paris délègue deux de ses membres, Violard et Dunouy, et les charge de remettre à ses frères de la Gironde, avec une médaille du 10 août, l’une des échappes portées dans les jours de cette glorieuse révolution[27].

Cependant le souvenir des difficultés de leur première mission pesait toujours sur l’esprit des représentants, et ils ne se pressaient pas de quitter La Réole. Leur défiance était même si grande que, le 9 octobre, Tallien écrivait à Pache que la nouvelle municipalité contenait à peine douze patriotes énergiques sur cinquante-six membres, et que les hommes qui criaient aujourd’hui : Vive la Montagne ! étaient les mêmes qui avaient voulu assassiner Baudot et Ysabeau, parce qu’ils étaient montagnards. Il ajoutait : Nous savons que nous sommes désirés à Bordeaux par les vrais sans-culottes ; mais nous savons aussi que les aristocrates veulent nous y attirer pour nous harceler sans cesse d’affaires minutieuses et nous empêcher de nous occuper de l’objet le plus important de notre mission. Nous n’y entrerons qu’avec une force qui puisse imposer aux malveillants. Il est aisé de voir ce que redoutait surtout cet intrépide jacobin ; il craignait que quelque généreux vengeur ne se levât dans Bordeaux, à l’exemple de Charlotte Corday, pour punir en sa personne les prescripteurs du 31 mai et du 2 juin.

Le Comité de salut public s’émut à la fin 4e tant de faiblesse, et Billaud-Varennes envoya l’ordre formel d’occuper immédiatement Bordeaux[28]. Il fallait obéir, et ces prudents vainqueurs se mirent en route. Brune menait l’armée révolutionnaire réunie à La Réole, véritable ramassis de sans-culottes et de paysans prêts à tous les excès. Précédés par elle, les représentants entrèrent à Bordeaux comme eu pays conquis, le 16 octobre, jour néfaste, marqué à Paris par l’exécution de la Reine. Dès le lendemain, on lisait avec stupeur, sur tous les murs de la ville, le programme du nouveau règne : l’arrestation des suspects, la création d’un tribunal extraordinaire et la contribution forcée sur les riches. Il n était plus question des subsistances. Les délégués de la Convention avaient promis l’impartialité et l’abondance ; ils apportaient l’échafaud et laissèrent la famine.

 

VI

Les Marseillais n’avaient pas tardé à se remettre de leur émoi[29]. Ils avaient repassé la Durance et étaient rentrés dans Avignon décidés à attendre, à l’abri de ses remparts, le choc des troupes de la Convention. Carteaux arriva devant la ville le 27 juillet. Il ne se doutait guère que sa petite troupe comptait par hasard dans ses rangs le plus grand génie militaire du siècle, un jeune officier d’artillerie, que le soulèvement du Midi empêchait de rejoindre son poste à l’armée d’Italie.

Les assiégés avaient négligé d’occuper une éminence qui domine Avignon ; c’est sur ce point que se porte l’attention du capitaine Bonaparte. Pendant que les troupes républicaines, reçues par un feu de mousqueterie des plus vifs, se brisent contre les énormes remparts de la vieille cité papale, il installe deux pièces de quatre, de l’autre côté du Rhône, afin de battre la plate-forme où les Marseillais ont réuni leurs canons. Pointant lui-même, le futur empereur du premier coup démonte une pièce et du second abat un servant. Il n’en faut pas davantage pour jeter le désordre parmi les survivants. A l’aspect de ces fuyards, la panique gagne le gros de l’armée et jusqu’au conseil de direction qui, depuis la démission de Rousselet, exerçait le commandement. Au même moment arrivait de Marseille un courrier porteur d’instructions générales dans lesquelles on lisait qu’il faudrait, en cas d’insuccès, se replier sur la rive gauche de la Durance. Dans l’état d’effarement où se trouvent les esprits, on prend cet avis pour un ordre, et l’évacuation d’Avignon s’effectue si précipitamment, que les Marseillais s’éloignent de la ville au moment même où Carteaux, trouvant l’entreprise trop périlleuse, se préparait à donner le signal de la retraite.

La déroute d’Avignon était due surtout à l’incertitude du commandement ; mais il restait à Marseille de grandes ressources en hommes, en matériel et en argent. De plus, Toulon venait de secouer le joug de la faction jacobine qui l’avait si longtemps opprimé, et promettait de joindre son contingent à l’armée départementale. Rien n’était donc compromis. La Commission centrale, un moment abattue, le comprit ; et, pour réparer sa faute, s’empressa d’appeler à la tête des troupes un militaire éprouvé, le chevalier de Villeneuve-Tourette, ancien lieutenant-colonel du régiment d’Artois infanterie. En même temps, elle donna l’ordre d’exécuter les sentences capitales que le tribunal populaire avait prononcées, pour bien montrer qu’elle entendait rester ferme en face du. péril et persévérer dans la résistance.

Cependant de part et d’autre personne ne se pressait de reprendre les hostilités. Villeneuve s’occupait de rallier les fuyards et d’organiser ses recrues ; Carteaux voulait attendre à Avignon les renforts qui lui étaient promis de l’armée de Lyon. Tel n’était pas l’avis des commissaires de la Convention. Ils sollicitaient Carteaux d’agir et exposaient, au Comité de salut public, dans le langage emphatique du temps, les dangers de l’inaction et leurs efforts pour en sortir : Nous sondâmes, disaient-ils, la Durance dans l’étendue de vingt-cinq lieues, et nous la trouvâmes guéable dans bien des endroits. Nous aperçûmes le Gard hypocrite, tout prêt a se venger de la frayeur qu’il avait éprouvée au Pont Saint-Esprit ; les Bouches-du-Rhône empoisonnées et prêtes à vomir de nombreux rebelles ; les Basses-Alpes dominées par Marseille et le Var, grossi d’un flot d émigrés, dirigeant la contre-révolution contre les habitants des bords de la Seine. Nous aperçûmes surtout les pavillons anglais et espagnol prêts à profiter de nos divisions. Ils auraient pu ajouter qu’ils avaient mis en réquisition les populations des districts pauvres de Carpentras et d’Arles, et qu’ils leur avaient promis le pillage.

Les représentants, dans leur impatience, avaient vu juste. Kellermann, déjà trop faible pour garder la frontière et réduire en même temps Lyon, n’envoya aucun secours, et Carteaux dut passer la Durance avec les seules forces dont il disposait. Les Marseillais au contraire avaient reçu de Toulon 800 hommes de troupes de ligne et un bataillon de garde nationale avec lesquels ils occupaient Salon et étendaient leurs avant-postes jusqu’à Lambesc. Le plan que se proposait Villeneuve consistait à tenter un mouvement tournant sur Apt, afin de placer les républicains entre deux feux. Les deux partis se rencontrèrent à Cadenet, et la lutte s’engagea d’abord avec une extrême vivacité. Mais le commandant des Marseillais étant tombé mortellement blessé dès le début de l’affaire, leur résistance ne tarda pas à faiblir. Comme à Avignon, Carteaux était maître des hauteurs qui entourent la ville. Pendant la nuit, il rapproche son artillerie et, au point du jour, les Marseillais sont foudroyés dans les rues de Cadenet. La confusion se met dans leurs rangs, et ils se retirent en désordre, semant sur la route leurs morts, leurs blessés, et laissant aux mains du vainqueur leur chef expirant, trois canons, leurs munitions et leurs vivres[30].

Il ne fallait plus songer à la diversion projetée. Le succès des armes de la Convention n’avait pourtant encore rien de définitif ; les troupes de Villeneuve cantonnées à Salon étaient intactes et ses réserves, échelonnées de Lambesc à Aix, couvraient Marseille. Le véritable danger était dans les ordres rigoureux du Comité de salut public dont les représentants pressaient l’exécution. Ils étaient résolus d’en finir et ils donnèrent à Carteaux l’ordre de marcher sur Salon.

L’attaque eut lieu le 19 août. Le combat durait déjà depuis deux heures sans avantage marqué de part et d’autre quand, tout à coup, les bataillons marseillais, postés sur la route d’Avignon, sont saisis d’une folle panique. Villeneuve essaie vainement de les arrêter ; sa voix est impuissante et il est obligé de donner le signal de la retraite. Les pertes des deux côtés étaient peu sensibles. Les Marseillais ne laissaient sur le terrain qu’une cinquantaine de morts, un canon et trois drapeaux ; les républicains n’avaient eu qu’un homme tué et trois blessés ; mais les conséquences de cette affaire étaient considérables, car la route de Marseille se trouvait ouverte et Carteaux pouvait communiquer avec l’armée d’Italie.

La déroute de Salon, coïncidant avec l’épuisement des vivres, jeta l’épouvante dans Marseille et rendit le courage aux jacobins. Ils se trouvaient en majorité, tout au moins en nombre, dans plusieurs sections, et commencèrent à insinuer que la proclamation de la constitution et la déchéance des administrations contre-révolutionnaires étaient les seuls moyens d’apaiser la Convention. Ce langage perfide était d’autant mieux fait pour monter les télés qu’il semblait plus raisonnable à une population affolée par la crainte de la famine. En présence de ces excitations, la Commission départementale sentit qu’elle devait raffermir son autorité, et demanda aux sections de nommer un comité de sûreté générale composé de cinq membres et investi de pouvoirs illimités. La mesure aurait été excellente, si la Commission avait elle-même résigné son mandat ; mais l’existence de deux conseils indépendants et rivaux, au moment où l’unité d’action devenait une impérieuse nécessité, créait comme à plaisir des occasions de récriminations et de conflits.

Le désaccord ne se fit pas attendre et l’audace des jacobins s’en accrut d’autant. Déjà ils avaient plusieurs fois parcouru les rues en armes, quand le bruit se répand, le 23 août, que le Comité de sûreté générale a ouvert des négociations avec le commandant (le la flotte anglaise. II s’agissait de demander la libre circulation des blés achetés à Gênes. Les partisans de la Montagne prétendent qu’on veut au contraire livrer la ville et, sous prétexte de la défendre, se réunissent au nombre de quatre ou cinq cents dans l’église des Prêcheurs avec deux pièces de canon. Il était facile de les en déloger, mais le premier jour on se contenta de les cerner. Le lendemain, la résistance continuant, le Comité (le sûreté générale donna l’ordre de bombarder l’église. La chute de quelques pierres suffit à mettre les jacobins en fuite ; cependant ils réussissent à sortir de la ville et leur bataillon va porter à l’armée républicaine un nouvel élément de fureur et de vengeance.

Les sections étaient une fois encore maîtresses de la situation ; mais cette guerre des rues et ces deux jours d’émotions avaient épuisé ce qui restait d’énergie. De la ville, le découragement avait gagné le camp de Septèmes, où les soldats de Villeneuve se demandaient à quoi bon défendre une cité qui se déchirait elle-même en face de l’ennemi, et que les révolutionnaires du dedans menaçaient autant que ceux du dehors. Aussi, quand les troupes de la Convention paraissent en vue de Marseille, la garde nationale refuse-t-elle de marcher. De leur côté, les canonniers de l’armée départementale, craignant d’être écrasés entre deux feux, prennent la fuite en précipitant leurs pièces des hauteurs qu’elles défendent. Les soldats de ligne, envoyés de Toulon, achèvent de mettre le comble à la terreur générale en passant, tambours en tête, à l’armée de Carteaux. La résistance de Marseille était vaincue et Villeneuve se dirige désespéré vers Toulon, avec quelques débris ralliés à grand’peine.

Carteaux ne pouvait pas croire à son succès, et l’armée victorieuse ne fit son entrée que le lendemain, à neuf heures du matin, ayant à sa tête les représentants Albitte, Escudier, Gasparin, Nioche et Salicetti. Les sectionnaires chassés le 23 ouvraient la marche ; les jacobins restés dans la ville se joignirent à eux, et tous défilèrent en commun. Nous avons été reçus au milieu des plus vives acclamations, écrivaient les commissaires de la Convention... Il est midi. Nous embrassons nos collègues Bô et Antiboul qui ont couru les plus grands dangers[31]. Le peuple marseillais reconnaît dans les prétendus brigands les meilleures gens du monde[32].

Ce qui était vrai, c’est que la terreur régnait dans Marseille et, en l’organisant, les représentants ne firent que la rendre plus complète. Leur premier soin avait été de rappeler l’ancienne municipalité, de rétablir la Société populaire, d’ouvrir les prisons et d’ordonner un désarmement général, en annonçant d’avance qu’on rendrait les armes aux bons citoyens. Deux décrets de la Convention avaient mis hors la loi et puni de la confiscation de leurs biens les membres du Comité général des sections, les juges du tribunal populaire et fous ceux qui avaient conspiré contre la sûreté de la République. Pour en assurer l’application immédiate, Albitte, Gasparin el Salicetti instituèrent un tribunal révolutionnaire dont le président et l’accusateur public, incarcérés après le 31 mai, se trouvaient de la sorte avoir à juger leurs adversaires politiques. Un emprunt forcé de quatre millions frappant tous les commerçants formait le complément de ces actes de rigueur.

Ces mesures parurent encore trop douces à la Convention. La nation, disait Danton dans la séance du 31 août, vient de donner une grande leçon à l’aristocratie marchande dans la personne des Marseillais. Il faut que cette leçon ne soit pas perdue ; il faut que ceux qui ont conquis Marseille à la liberté soient récompensés ; il faut que les commerçants, qui ont vu avec plaisir l’abaissement des nobles et des prêtres, dans l’espérance de s’engraisser de leurs biens, et qui aujourd’hui désirent la contre-révolution avec plus de perfidie, soient abaissés ; il faut nous montrer aussi terribles envers eux qu’à l’égard des premiers[33].

Cette motion est accueillie par des applaudissements, et le Comité de salut public est chargé, séance tenante, de déterminer le mode de partage entre les patriotes de Marseille des biens des contre-révolutionnaires qui les ont opprimés[34]. C’était l’inauguration du système général de répression récemment inventé par la Montagne et dont Bordeaux, Nantes et Lyon devaient être les plus lamentables victimes. A Marseille, l’ardeur des passions méridionales et le désir de venger la défection de Toulon en exagérèrent encore les odieux excès et la sanglante horreur.

 

VII

Au moment où la Convention célébrait sa victoire sur Marseille, les Toulonnais ouvraient leurs portes aux Anglais.

Comment cet acte de désespoir antipatriotique avait-il pu s’accomplir ? L’étude de la situation intérieure de cette malheureuse cité va nous donner la clef de mystères qui, sans cela, seraient incompréhensibles et sembleraient contradictoires.

A la fin de 1792, un souffle insurrectionnel avait passé sur les principales villes du Midi. Toulon n’avait pas échappé à l’influence générale ; le sang avait coulé dans ses rues, et neuf victimes, parmi lesquelles on comptait le procureur général syndic, étaient tombées sous les coups des démagogues. Les Toulonnais se plaignirent à l’Assemblée[35] ; mais la conspiration du 10 août était triomphante et les massacres recommencèrent[36]. L’impulsion partait de la Société populaire, que présidait un jacobin envoyé de Paris, et qui profitait de la complicité latente de la municipalité patriote. Peu à peu le club concentra tous les pouvoirs entre ses mains, grâce à la constitution d’un Comité central, composé de délégués des différentes associations démagogiques du département. L’armée, la ville et l’arsenal étaient soumis à sa censure, et l’on essaya vainement de résister. Le tribunal criminel subissait, comme les autres autorités, le joug de la faction montagnarde, et ceux que ne frappait pas la justice révolutionnaire étaient soumis à des contributions forcées.

A la crise politique s’ajouta bientôt la disette des subsistances. Le séjour prolongé de l’escadre dans le port et le passage des troupes destinées à l’armée d’Italie avaient absorbé les approvisionnements disponibles. Les assignats, trop nombreux, tombèrent dans le discrédit, et le prix des denrées s’éleva à des taux si exorbitants qu’il devint impossible aux ouvriers de vivre, bien que le prix de leurs journées eût été doublé.

Le malaise était à l’état aigu quand, dans le courant du mois de mai, les meneurs du club, qui rejetaient comme d’habitude la responsabilité de leurs propres fautes sur les aristocrates et les riches, arrachèrent ii la faiblesse des corps administratifs une nouvelle liste de proscription. Quatre-vingts citoyens, suspects pour leurs qualités morales et les services que plusieurs d’entre eux avaient rendus à la cité ou à l’Etat, furent enfermés au fort Lamalgue, et auraient péri sans l’énergie du commandant, qui refusa de les livrer à leurs bourreaux.

L’émotion produite par cet attentat durait encore quand les représentants Pierre Bayle et Beauvais, envoyés pour faire accepter la Constitution, arrivèrent à Toulon, le 28 mai. Ils n’étaient pas dans le secret des événements qui se préparaient à Paris et cherchèrent à calmer les esprits en ordonnant la mise en liberté des prisonniers[37].

L’ouverture des sections de Marseille rendit inutile cette tentative de conciliation. Les clubistes voulaient à tout prix empêcher Toulon d’imiter l’exemple de sa voisine et ils redoublèrent d’audace. La ville offrait à ce moment un spectacle étrange ; les administrations jacobines continuaient à y commander de nom, mais chacun sentait que le pouvoir allait leur échapper. La Société populaire précipita les événements en dressant une liste (le suspects plus étendue que la première et en faisant la nuit, dans les rues, une manifestation armée. Déjà les maisons des victimes étaient marquées à la craie. En présence de ce péril imminent, les sections secouèrent leur torpeur et proclamèrent, le 14 juillet, la déchéance des autorités qui les opprimaient.

Les représentants Bayle et Beauvais, qui avaient vainement attendu à Toulon l’arrivée de la Constitution, durent sanctionner par leur présence le triomphe des sections. Le 18 juillet, jour où le Comité général entra en fonctions, on les conduisit processionnellement, un cierge à la main, de leur demeure à la principale église de la ville, pour assister au Te Deum chanté en signe de réjouissance ; mais on ne pouvait pas oublier non plus qu’ils avaient prêté leur concours à la faction abattue et, dès le lendemain, ils furent jetés en prison[38].

La marine, bien qu’elle fût en général peu sympathique aux idées nouvelles, était restée étrangère au mouvement, et cet acte de vigueur avait été accompli au nom et au profit de la cause girondine. Le commandement continua donc à s’exercer au nom de la République, comme si rien n’eût été changé. Le sentiment générai à cet égard était si nettement prononcé que, le 19 juillet, un canot anglais envoyé en parlementaire dut amener le pavillon blanc pour arborer le drapeau tricolore.

De leur côté, les administrateurs ne cessaient d’écrire et de répéter : Nous voulons la République une et indivisible ; on ne voit chez nous aucun signe de rébellion ; mais aussi nous voulons la paix et que les vertus et les mœurs règnent dans nos villes à la place du crime et des vices..... Les représentants Barras et Fréron mentent honteusement en nous peignant comme des contre-révolutionnaires d’intelligence avec les Anglais et les fanatiques de la Vendée... Nous voulons une Constitution inspirée par la sagesse et l’amour de l’humanité, discutée sans aigreur, acceptée librement. Pour conformer leurs actes à leurs paroles, ils ravitaillent l’armée d’Italie et partagent avec elle les fonds déposés dans les caisses de la marine.

Toulon et Marseille avaient sainement jugé les événements du 31 mai en s’opposant, au nom de la liberté, à la domination de la Commune de Paris ; mais leur cause était solidaire, et la chute de l’une des deux villes De laissait à l’autre d’autre alternative que la soumission ou la ruine. Depuis le milieu d’août, cette vérité devenait chaque jour plus éclatante. L’armée de Carreaux avançait à grands pas, refoulant devant elle tous ceux qui n’appartenaient pas à la faction montagnarde. Toulon était le seul refuge qui leur restât ouvert, et ils se précipitaient dans ses murs, racontant les excès dont ils avaient été les témoins ou les victimes, et jetant par leurs récits l’alarme dans tous les cœurs. A la fin, c’est Villeneuve lui-même qui arrive, quand tout est consommé à Marseille, ramenant les plus compromis, leurs amis et leurs parents. Cette fois, il n’y avait plus d’illusion à se faire. La famine, avec ce surcroît de population, était inévitable ; les exécutions se succédaient à Marseille. Du même coup, la résistance apparaît impossible et la répression impitoyable.

L’amiral anglais qui commandait la croisière alliée devant Toulon exploita ces craintes avec une perfide habileté. Déjà il était entré en rapport avec les délégués de Marseille pour l’approvisionnement de la ville ; il les charge d’offrir les mêmes Facilités aux Toulonnais, s’ils consentent à se mettre sous sa protection. Français, disait-il, vous êtes depuis quatre ans travaillés par une révolution qui a successivement amené sur vous tous les malheurs... Je viens vous offrir les forces qui me sont confiées pour rétablir l’harmonie et la tranquillité... Comptez sur la fidélité d’une nation franche... Prononcez-vous, et je ferai succéder des années de bonheur à quatre années de servitude et de calamité.

Le Comité général des sections prêta l’oreille à ces dangereux conseils et ratifia le traité qui lui était proposé[39]. Il était plus difficile de le faire accepter par la (lotte. Trogoff se trouvait malade et le contre-amiral Saint-Julien, qui le remplaçait, prenait des dispositions pour s’opposer à l’entrée des Anglais. On promit aux équipages leur congé avec le payement de leur solde en numéraire, et Trogoff ayant pu reprendre son commandement, toute résistance cessa. Le 29 août, l’escadre alliée vint mouiller dans la rade et mit garnison dans les forts.

La pensée de justifier un appel à l’étranger ne saurait entrer dans une âme française. Qu’il nous soit permis cependant de rappeler que la résistance à Top-pression était considérée comme un droit par la Constitution elle-même et, qu’après avoir épuisé les voies légales, l’intervention anglaise était la dernière chance de salut des Toulonnais. Il est certain, d’ailleurs, qu’ils n’auraient jamais ouvert leurs portes sans l’engagement écrit et répété de l’amiral Hood de rendre à la paix les vaisseaux et le matériel qu’on lui confiait. Les Toulonnais furent imprudents, sans doute, de traiter avec un général sans mandat défini : coupables même de livrer, dans leur intérêt particulier, les forces qui leur avaient été remises pour la défense générale. Mais ils furent les premiers trompés et les premiers punis. Quant à la préméditation, elle n’a jamais existé ; nous l’avons démontré. Si, au dernier moment, le drapeau de la monarchie couvrit la défection, on ne saurait oublier que les représentants autorisés des sections, librement consultées, avaient stipulé le maintien du drapeau tricolore.

 

VIII

Dans les premiers jours d’août, les troupes de la Convention, rassemblées à Bourg, recevaient l’ordre de se mettre en marche sur Lyon. Les habitants de cette ville étaient prêts à résister, grâce aux remarquables travaux exécutés pour sa défense par un habile ingénieur, enfant du pays. Bordé par le Rhône, traversé par la Saône, Lyon est commandé de trois côtés par les collines qui l’environnent. Agnel de Chenelette, négligeant quelques restes de fortifications commencées sous François Ier, augmentées sous Louis XIII, abandonnées depuis plus d’un siècle, avait multiplié sur les hauteurs les ouvrages avancés et établi, aux abords de la place, des redoutes que protégeaient de profondes tranchées. Lyon se trouvait ainsi à l’abri d’un coup de main, sans être pour cela plus fortifié que Mayence par l’art et la nature, comme Dubois-Crancé devait le dire quelques mois plus lard aux Jacobins.

Pendant que les travailleurs affluaient aux retranchements, les fonderies destinées à fournir les canons entraient en activité et la Commission populaire votait une contribution de trois millions. Elle fut répartie et payée en quelques jours par les personnes dont le revenu dépassait trois mille livres. Des dons volontaires vinrent encore grossir cet emprunt, et ces sommes réunies avaient permis d’équiper 9.000 hommes d’infanterie, une compagnie de canonniers, une centaine de cavaliers et un corps de tirailleurs, pour le service des avant-postes. C’était peu, sans doute, pour la défense d’une aussi vaste enceinte ; mais les habitants soutenaient les soldats, l’âme du peuple animait les combattants et l’on comptait sur le concours des villes voisines, de Montbrison surtout et de Saint-Etienne. D’ailleurs les forces républicaines n’étaient pas plus considérables.

Le Comité de salut public avait confié aux représentants Gauthier et Dubois-Crancé, en mission près l’armée des Alpes, le soin de rétablir l’ordre dans la ville de Lyon[40]. Pour se procurer les soldats qui leur manquaient, ils ne trouvèrent pas d’autre moyen que de demander à Kellermann un détachement de quelques milliers d’hommes. C’était dégarnir la frontière d’Italie en face de l’ennemi, et le général exigea, pour dégager sa responsabilité, un décret formel de la Convention[41]. A ce noyau de troupes régulières, Dubois-Crancé et Gauthier ajoutèrent, suivant l’usage révolutionnaire, un contingent de 9 à 10.000 hommes de réquisition, cohue de pillards, sans ombre de discipline et bonne tout au plus à former des lignes d’investissement. Le siège, en réalité, s’ouvrit avec douze bataillons de 400 hommes dont la majorité n’avait pas vu le feu, cinq escadrons de cavalerie, une centaine de canonniers et douze bouches à feu approvisionnées pour 2.000 coups à peine[42].

Avec d’aussi faibles ressources, il était impossible de combiner un véritable plan d’attaque. On pouvait seulement tenter un coup de force ou préparer une surprise, et, en cas d’échec, il fallait se résigner à attendre des renforts et à convertir le siège en blocus, sauf à bombarder la ville comme argument suprême. Surtout il était urgent de barrer la route à l’armée sarde, si elle tentait un mouvement pour secourir les assiégés. Cette dernière considération détermina Kellermann, qui avait suivi le détachement de ses troupes, et lui fit préférer comme point d’attaque le plateau de Montessuy aux hauteurs de Fourvières.

Parties de Bourg le 6 août, les troupes républicaines étaient arrivées devant Lyon le 8 au matin. Le même jour, Dubois-Crancé et Gauthier intimèrent à ses défenseurs l’ordre d’ouvrir leurs portes sous une heure. Malgré sa modération apparente, la proclamation des représentants ajoutait encore aux rigueurs de la Convention[43], en punissant de la confiscation de ses biens tout individu dont le fils, le commis, le serviteur et l’ouvrier d’habitude auraient porté les armes contre les soldats de la République ou contribué aux moyens de résistance[44]. De telles mesures de proscription ne s’étaient vues que dans la Rome des Césars, où la loi de lèse-majesté frappait de mort le maître dont l’esclave avait pris part à un complot.

Ce délai dérisoire n’était pas encore expiré quand les hostilités commencèrent. Elles ne furent interrompues qu’un moment, le 10 août, à l’occasion de la fête de la Fédération, pour laquelle assiégés et assiégeants s’adressèrent des invitations réciproques. Peu importantes par elles-mêmes, ces escarmouches indiquaient de la part des Lyonnais la ferme volonté de se défendre et, après une dernière attaque infructueuse, le 15 août, Dubois-Crancé et Gauthier résolurent de recourir au bombardement.

Déjà, afin d’isoler les assiégés, ils avaient réuni au district de Vienne, dans l’Isère, le faubourg de la Guillotière, depuis longtemps hostile à l’agglomération lyonnaise, et formé, avec les districts de Montbrison, Roanne et Saint-Étienne, un nouveau département dont Feurs devenait le chef-lieu.

Pour exécuter ce dernier décret, il fallait soulever les campagnes, et refouler les garnisons que les Lyonnais avaient laissées à Montbrison et à Saint-Étienne. Javogues, Laporte et Reverchon se chargèrent de ce soin. Délégués en Saône-et-Loire dès le mois de juillet, ils avaient rejoint leurs collègues, au début du siège, avec un premier ban de réquisitionnaires. Ils retournèrent dans le Forez et y levèrent de nouvelles recrues. Si le contingent du Puy-de-Dôme eût montré la même diligence, le cercle d’investissement se serait trouvé Terme en août. Mais le général Nicolas, envoyé à sa rencontre, se laissa surprendre de nuit à Saint-Anthême, et les communications de Lyon avec le Forez restèrent libres jusqu’à la mi-septembre.

De leur côté, Dubois-Crancé et Gauthier ne perdaient pas de temps. Ils vidaient les places de Besançon, d’Embrun, de Gap, de Grenoble et étendaient leurs réquisitions jusqu’à soixante lieues. Cinq mille chevaux servirent à transporter un immense matériel de siège, qui fut successivement porté à cent trente pièces de gros calibre, quatorze raille bombes, trente-quatre mille boulets, sans compter la poudre et les cartouches.

Le 21 août, tout était prêt pour le bombardement, et le 22, à onze heures du soir, les bombes et les boulets rouges commencèrent à pleuvoir sur la ville. Dans cette première nuit, beaucoup de-maisons furent endommagées et huit brûlèrent. Les Lyonnais avaient riposté en incendiant le faubourg de la Guillotière. Interrompu un instant le matin, le feu recommença avec une nouvelle violence le 23 et le 24.

La lutte pourtant n’avait pas encore perdu tout caractère d’humanité. Les assiégeants manquaient d’ambulances et avaient demandé aux Lyonnais de recevoir leurs blessés. Ceux-ci y consentirent et les déposèrent à l’Hôtel-Dieu pour les soigner avec leurs propres victimes. Il semblait que cet acte de générosité dût mettre le saint asile de la souffrance à l’abri des coups de l’armée républicaine. Un drapeau noir arboré, suivant l’usage, sur le dôme de l’hôpital, indiquait sa destination. Aussi quelle ne fut pas la stupeur des Lyonnais quand ils virent cet appel à la neutralité considéré comme un signe de rébellion et l’ambulance servir de cible aux canonniers de la Convention ! Le feu prit quarante-deux fois aux bâtiments dans la même nuit et, sans le dévouement de la population, l’édifice entier eût été réduit en cendres. A la fin, il fallut évacuer, au péril de leur vie, les malades et ceux qui les soignaient.

Dans la nuit du 24, l’arsenal saute. La Convention avait conservé des partisans dans la ville, et le feu avait été allumé par une femme affiliée aux jacobins. Elle fut bientôt découverte et fusillée ; mais la perte était irréparable.

La responsabilité de ces scènes d’horreur retombe de tout son poids sur Dubois-Crancé, qui dirigeait effectivement le siège en l’absence de Kellermann, momentanément rappelé à l’armée des Alpes par un mouvement offensif des Piémontais. Quand il revint, le 25, après avoir cerné l’armée sarde sur la Maurienne et la Tarentaise, les Lyonnais, exaspérés par l’atrocité de la répression, étaient déterminés plus que jamais à la résistance. Le bombardement reprit donc avec une nouvelle violence ; mais, tandis qu’à Lyon les munitions et les ressources s’épuisaient avec rapidité, les troupes de la Convention recevaient chaque jour de nouveaux renforts.

Le plus utile fut la garnison de Valenciennes, obligée par traité à ne plus servir contre l’armée austro-prussienne. Elle arriva devant Lyon dans les premiers jours de septembre et y rendit les mêmes services que la garnison de Mayence dans la Vendée. A cette date, la disette commençait déjà à se faire sentir parmi les assiégés. Ils recevaient encore quelques vivres du Forez, mais le détachement laissé à Montbrison ayant été obligé de se replier, le blocus se trouva complet le 17. Le fléau de la famine se joint dès lors aux ravages de la canonnade et, pour en accélérer les effets, les représentants qui. d :puis six semaines, accordaient quelques aliments aux ouvriers émigrés de Lyon avec leur famille, restreignent subitement leurs secours et essayent même d’intercepter toute sortie.

Ce n’était pas encore assez au gré du Comité de salut public. Il trouvait Kellermann trop mou et Dubois-Crancé trop lent. Accusé de trahison par Amar en pleine Convention[45], dénoncé aux jacobins comme conspirateur par Robespierre[46], Kellermann est sacrifié le premier et reçoit pour successeur Doppet, devenu subitement célèbre à la suite de l’expédition de Marseille. Quant à Dubois-Crancé, on hésitait encore à le remplacer, en raison de sa popularité à la Société des Jacobins ; mais ses collègues Couthon, Châteauneuf-Randon et Maignet, délégués dans les départements voisins de Rhône-et-Loire, ne devaient pas tarder à se faire les exécuteurs des dé6ances du terrible Comité.

En attendant, ils révolutionnaient le Puy-de-Dôme et cherchaient à instituer pour les besoins de leur cause une sorte de Jacquerie. Le département s’est levé tout entier, écrit Couthon le 5 septembre[47] ; les hommes, les femmes, les vieillards, les enfants ont voulu marcher, et la seule peine que nous ayons eue a été de modérer l’ardeur de ces braves montagnards. Le district de Clermont-Ferrand seul a fourni de 8 à 10.000 hommes. Châteauneuf-Randon est parti avant-hier avec la première colonne, composée de près de 3.000 hommes ; son aide de camp s’est mis en route hier avec 12 à 1.500 hommes. Maignet accompagne aujourd’hui la troisième colonne, forte à 2.000 hommes. Je reste pour faire partir le surplus.

Quelques jours plus tard, il ajoute : Nous avions mal calculé en comptant sur 25.000 hommes. Le Puy-de-Dôme fournira, je pense, plus de 50.000 hommes. Les départements de la Haute-Loire, de la Lozère, de l’Ardèche et de l’Allier enverront aussi beaucoup de monde. Nous avons accordé un secours provisoire aux pères, mères, épouses et enfants des citoyens qui marchent sur Lyon[48].

Couthon n’exagérait rien. La prédication du redoutable paralytique avait suscité la croisade révolutionnaire : chaque vallée, chaque montagne fournissait son contingent pour la guerre sociale. Il vint jusqu’à des pâtres armés de piques et munis de sacs pour emporter le butin qu’on leur avait promis.

Ces hordes sauvages dont l’ensemble, au dire de Dubois-Crancé, ne valait pas six liards, permettaient du moins de disposer en toute liberté des troupes régulières. L’heure des engagements décisifs avait sonné. Le 21 septembre, le faubourg de Vaise est pris ; une attaque générale est organisée pour le 29, et le soir même Dubois-Crancé écrit à la Convention : Nous sommes aux Brotteaux, à Perrache, à Sainte-Foy. L’horizon est en ce moment chargé de flammes et de fumée. Tous les Brotteaux sont incendiés ; Perrache commence à brûler ; il fait grand vent. Vive la République ![49]

A ce moment, Couthon entre en scène, et ses premiers mots sont des paroles de surprise et de blâme. 11 voulait qu’on donnât l’assaut le lendemain de son arrivée, et consentit à grand’peine à accorder deux jours de délai pour emporter les hauteurs de Fourvières. La tactique, disait-il, est l’opium des insurrections populaires, et la vive force est le seul moyen qui convienne à un peuple tout-puissant. Couthon, en s’exprimant de la sorte, visait ses deux collègues Dubois-Crancé et Gauthier, dont le premier surtout était devenu suspect au Comité de salut public.

Billaud-Varennes se fit l’interprète de ces défiances, dans la séance de la Convention du 6 octobre, en voilant sous le masque de l’intérêt public 1’intrigue ourdie dans le sein du Comité. La députation, disait-il[50], qui se trouve à l’armée de Lyon, est composée de huit membres. Six ont constamment été d’avis d’attaquer cette ville de vive force ; Dubois-Crancé et Gauthier sont les seuls qui aient été d’un avis contraire. La Convention n’en sera pas étonnée, lorsqu’elle apprendra que Dubois-Crancé a réuni sur sa tête la qualité de représentant du peuple et celle de général, et qu’à ce dernier titre, plus la guerre sera longue, plus elle lui sera avantageuse. J’ajoute un autre fait. Le Conseil exécutif vous a annoncé, il y a quelque temps, la destitution du général Kellermann, qui a tant de fois trahi la patrie et qui remporte aujourd’hui des victoires pour détourner l’attention de la Convention sur sa conduite passée. Eh bien ! ces deux mêmes individus se sont permis de le maintenir dans le généralat. C’est une intrigue infernale. Il est temps que la justice soit égale pour tous, et je crois que la Convention ne doit pas balancer à faire rentrer dans son sein Dubois-Crancé et Gauthier.

L’Assemblée, avec sa docilité ordinaire, rappelle les deux représentants. Mais déjà le Comité de salut public avait prévenu Couthon[51], et ce dernier, sûr de n’être pas désavoué, n’attendit pas l’avis officiel de la révocation de ses collègues pour concentrer tous les pouvoirs entre ses mains.

Dès le 7, il adresse aux assiégés une sommation pour leur notifier sa nouvelle autorité et leur accorder un dernier sursis. Depuis soixante-deux jours que durait le siège, l’artillerie républicaine n’avait pas lancé moins de 27.691 bombes, 11.674 boulets, 4.641 obus et 5.377 boîtes de mitraille ; Lyon avait vu cette pluie de feu consumer ses plus beaux édifices. Ses défenseurs étaient réduits au nombre de 3.000 à peine et, depuis le 1er octobre, les combattants recevaient seuls quelques onces de pain d’avoine.

Tant de souffrances vaillamment supportées allaient être inutiles. Les troupes de la Convention occupaient les hauteurs et une partie des faubourgs. Aucune illusion n’était plus possible sur l’issue de la lutte. Les assiégés essayèrent néanmoins de négocier ; mais la Convention ne voulait pas de conditions et, le 8 au soir, Couthon, après avoir repoussé les propositions que lui apportait une députation des trente-deux sections, donna l’ordre d’entrer dans la ville.

Pendant ce temps, Précy préparait une sortie nocturne. Il voulait essayer de remonter la Saône jusqu’à Trévoux, pour de là gagner le plateau de la Bresse et pénétrer en Suisse par le Jura. Quelque incertain que fût le succès, c’était la seule chance de salut qui restât, et les plus compromis parmi ceux qu’attendaient les rigueurs de la Convention prirent place au milieu des soldats avec leurs femmes et leurs enfants. Leur présence compliquait singulièrement la retraite, mais Précy ne veut laisser personne derrière lui. Il divise cette foule confuse en deux colonnes : à l’arrière, il place Virieu avec le trésor de l’armée et, prenant lui-même le commandement de l’avant-garde, il donne le signal du départ le 9 octobre, à six heures du matin.

La nécessité avait tracé d’avance la route à suivre, et les Lyonnais se dirigent en silence vers le faubourg de Vaize. Les assiégeants veillaient de leur côté et avaient pris leurs précautions pour qu’aucun des défenseurs de Lyon ne pût échapper. De forts détachements occupaient tous les passages avec de la cavalerie et du canon, et de nombreux espions informaient les représentants des moindres mouvements des Lyonnais. Ceux-ci apparaissent enfin et s’engagent dans le chemin creux de Saint-Cyr. Ils se croyaient sauvés, quand une effroyable décharge éclate tout à coup. C’était le feu de cinq batteries républicaines qui leur barraient le passage.

La colonne commandée par Précy, l’arrière-garde aux ordres de Virieu, sont successivement écrasées. Les survivants se dispersent dans toutes les directions ; mais où trouver un refuge ? Les paysans, dont on a excité d’avance les plus basses convoitises, sont en embuscade sur les routes, derrière les murs ou derrière les haies. Partout le tocsin sonne. Dans les champs comme dans les villages, on traque les fugitifs, on les poursuit jusque dans les bois, on les tue et on les pille. C’est une vraie chasse à l’aristocrate. Pour ces réquisitionnaires, venus des monts de l’Auvergne ou des plaines de la Bresse et du Beaujolais, s’enrichir des dépouilles de leurs victimes, c’était bien mériter de la patrie. Quelques-uns pourtant parvinrent à échapper aux fureurs de ces bêtes fauves. Précy fut de ce nombre. Quant à ceux de ses malheureux compagnons qu’épargna un reste de pitié, ils furent jetés sur des charrettes, pieds et poings liés, et conduits à Lyon, où le tribunal militaire se chargea d’en faire justice.

Le triomphe de la Convention était complet et, le 9 octobre, à neuf heures du matin, les troupes républicaines entrèrent dans Lyon par le faubourg Saint-Just. Pendant qu’elles défilaient, un morne silence régnait dans les mes. Vainement les soldats, émus de compassion, offraient comme des sauveurs leur propre pain ; chacun ne voyait en eux que des messagers de mort, et l’on eût dit que la grande cité, vaincue mais non découragée, se recueillait devant l’image des nouvelles horreurs qui allaient l’ensanglanter.

Instruite à la fois de la prise de Lyon et de la sortie de Précy, la Convention ressentit plus d’inquiétude que de satisfaction. Depuis longtemps, s’écrie Bourdon (de l’Oise), vos commissaires vous ont écrit que Lyon était cerné. On vous apprend aujourd’hui que Lyon est pris, mais que tous les hommes armés en sont partis. Ils vont aller faire une Vendée dans la Lozère. Il vaudrait mieux que Lyon ne fût pas pris.

On s’est amusé trop longtemps à parlementer, ajoute Albitte. Je déclare qu’il y a ici une faute, je dis plus, un crime. Le Comité de salut public a été instruit de mon opinion sur Lyon. Je demande que ceux, qui ont dirigé le siège viennent rendre compte de leurs opérations, car il y a ineptie ou trahison.

Il y a huit jours, reprend Osselin, que Dubois-Crancé et Gauthier sont rappelés. Ils ont reçu le décret et ne s’y sont pas conformés.

Le décret a été rendu le 6, réplique Clausel, et ils ne pouvaient pas le connaître le 8.

Le Comité de salut public se hâte d’envoyer Barère pour fournir les explications qu’on réclame. Le Comité, dit-il, n’est pas au-dessous de ce que vous deviez attendre de lui. Je vais vous lire sa correspondance. Il en résulte que, depuis le 24 septembre, il n’a pas cessé de presser les représentants de réduire Lyon par la force et d’y entrer la torche à la main, plutôt que de traîner le siège jusqu’à l’hiver. Il vient encore de leur ordonner de faire sonner le tocsin dans les campagnes afin que le peuple éveillé puisse exterminer tous les fuyards.

On applaudit ; mais les soupçons de la première heure ont ému le Comité et Barère ajoute : Mes collègues n’ont pas pensé qu’ils devaient se borner à communiquer leurs dépêches ; il faut un grand exemple, et je vous apporte un décret destiné à attester à la postérité le crime et la punition des ennemis de la liberté.

Cet exemple, c’était la destruction de Lyon, mesure aussi absurde que monstrueuse, qui risquait de ruiner l’une des principales branches de l’industrie nationale. Mais à quelle époque les passions révolutionnaires ont-elles respecté les lois éternelles de la justice et de l’humanité ? La Convention, dans un mouvement d’enthousiasme frénétique, vole sans discussion le projet qui lui est soumis et aggrave, en l’appliquant à la seconde ville de France, le système de répression odieuse qu’elle a déjà inauguré dans la Vendée[52].

Le courrier qui portait à Lyon le décret du 12 octobre était également chargé d’un ordre d’arrestation contre Dubois-Crancé et Gauthier ; mais les deux représentants étaient déjà partis, laissant le champ libre à Couthon. La lutte épistolaire n’en continuait pas moins entre eux. Le 9 octobre, Dubois-Crancé, en annonçant la reddition de Lyon, ajoutait qu’une partie des rebelles s’était échappée par le côté qu’on savait le plus favorable, ce qui impliquait la responsabilité de Couthon et motivait, de la part du représentant Dupuy, une demande de renvoi au Comité de salut public[53].

De son côté, Couthon écrivait le 11 : Dubois-Crancé et Gauthier intriguent dans toute la ville pour que les citoyens réclament contre le décret qui les rappelle. Nous ignorons les motifs d’une conduite aussi étrange. Que feront les citoyens quand ils verront que les députés leur donnent un exemple aussi dangereux ?[54]

Gette lettre arrivait mal. La Convention avait hâte d’apprendre l’anéantissement des fugitifs et n’était que trop disposée à voir des coupables dans ceux qui paraissaient retarder ce moment. Plusieurs députés demandent qu’on décrète d’arrestation Dubois-Crancé et Gauthier. L’ordre est donné, répond Barère, désireux de faire confirmer, dans un moment d’émotion, la mesure dont le Comité de salut public avait pris l’initiative deux jours auparavant[55].

Il était difficile de tenir longtemps en suspicion un homme aussi populaire que Dubois-Crancé et, le 19, Barère annonce à la Convention que le Comité de salut public a trouvé la conduite des représentants irréprochable. Cela ne suffit pas à Dubois-Crancé : il veut encore glorifier ses actes. Plusieurs de ses collègues essaient de le soutenir, mais les partisans de Couthon interviennent.

Je ne m’oppose point à la levée du décret d’arrestation, objecte Clauzel, pourvu que Dubois ne soit entendu qu’après l’arrivée des autres commissaires.

Je ne veux, répond Dubois-Crancé, accuser personne. Je dirai seulement, à l’égard de nos collègues absents, qu’arrivés les derniers, ils ont voulu avoir l’honneur d’avoir tout fait. La France entière me croit coupable ; il faut que je me justifie. Puisque la Convention ne veut pas entendre ma défense, je la prie d’ordonner qu’elle sera imprimée.

Puis, de dénoncé se faisant dénonciateur, il ajoute : J’apporte à la Convention une pièce bien importante, datée du 17 août, postérieurement au décret contre Lyon ; c’est un arrêté signé individuellement de 20.000 Lyonnais, qui prouve leur rébellion contre la Convention et contre la France entière. Tous les signataires sont les plus riches de Lyon. J’ai calculé que le séquestre des biens de ces traîtres donnerait à peu près pour deux milliards de propriétés à la nation. Je propose que ce monument de honte pour les Lyonnais soit déposé aux Archives, qu’il soit imprimé et les signataires poursuivis.

Ces paroles achèvent la justi6cation de Dubois-Crancé et produisent l’effet qu’il en attendait. Je demande à Dubois-Crancé, interrompt Billaud-Varennes, s’il a laissé une copie de cette pièce aux représentants restés à Lyon, afin qu’ils puissent connaître les traîtres, les poursuivre et se saisir de leurs biens.

Cette pièce m’a paru si importante, répond Dubois-Crancé, que je n’ai pas voulu m’en dessaisir. Durant le siège, je l’avais mise dans un lieu sûr afin que, dans le cas où j’aurais été tué, elle pût parvenir à la Convention. Au surplus, je demande, comme Billaud, qu’il en soit envoyé une copie à mes collègues qui sont à Lyon. La Convention ne pouvait hésiter et, comme toujours, ce sont les vaincus qui sont destinés à payer les frais de la réconciliation de leurs persécuteurs[56].

Les plaintes du Comité de salut public avaient produit leur effet et, le 16 octobre, Cou thon, Châteauneuf-Randon et Maignet lui écrivaient : Nous vous avons mandé que les scélérats qui avaient tenté une sortie avaient presque tous été tués ou pris. Nous avons dit la vérité et nous ne voyons pas ce qui a pu vous faire croire qu’ils s’étaient portés vers la Lozère et sur Toulon. Ils n’en ont jamais pris la route. Soyez tranquilles, rassurez la Conventions ses principes sont les nôtres, sa rigueur est dans nos âmes[57].

Ils avaient en effet pris toutes les mesures que les passions révolutionnaires et les circonstances pouvaient exiger. Lyon avait été mis en état de siège, ses habitants étaient désarmés, la municipalité déchue au 29 mai venait d’être rétablie, et le club central des jacobins avait repris ses réunions. Quant aux coupables, une commission militaire, instituée pour juger les rebelles pris les armes à la main, deux commissions de justice populaire, chargées de statuer révolutionnairement, l’une à Lyon, la seconde à Feurs, sur le sort des autres criminels politiques, indiquaient assez haut, qu’au dedans comme au dehors, les vengeances des montagnards se trouvaient assurées. Une seule chose avait échappé aux représentants ; ils n’avaient pas songé à détruire Lyon. Mais, comme ils l’écrivirent au Comité de salut public, la lecture du décret du 15 octobre les pénétra d’admiration.

Pour exécuter les ordres de la Convention, il fallait de l’argent et des bras. Les représentants frappèrent une contribution de six millions sur les riches, et chargèrent la municipalité de requérir, jusque dans les départements voisins, les ouvriers nécessaires. On vit alors revenir les pâtres de la Lozère et de l’Auvergne, armés cette, fois de pioches au lieu de piques, mais toujours avec leurs sacs[58].

La démolition devait commencer par les maisons de la place Bellecour, car ce sont celles, avait dit Couthon, qui annoncent le plus de faste et qui offensent le plus la sévérité des mœurs républicaines. En effet le 26 octobre, à 8 heures du matin, Châteauneuf-Randon, Laporte et Maignet se réunissent pour inaugurer solennellement ces scènes de vandalisme. Six cents ouvriers, armés de pioches, marteaux, haches et autres instruments de destruction, les attendaient sur la place Bellecour. Le paralytique Couthon présidait la cérémonie, porté dans un fauteuil. Il frappa lui-même le premier coup de marteau, sur la plus belle maison, en prononçant cette courte et significative allocution : Au nom de la souveraineté du peuple, outragée dans cette ville, en exécution du décret de la Convention nationale et de nos arrêtés, nous frappons de mort ces habitations du crime, dont la royale magnificence insultait à la misère du peuple et à la simplicité des mœurs républicaines. Puisse cet exemple terrible effrayer les générations futures et apprendre à l’univers que, si la nation française, toujours grande et juste, sait honorer et récompenser la vertu, elle sait aussi abhorrer le crime et punir les rebelles ! Vive la République ! La foule répète ce cri et les ouvriers commencent leur triste besogne.

De la place Bellecour, les représentants se transportent au château de Pierre-Scize. Ils mettent en liberté les quelques prisonniers qui s’y trouvent et, montant sur le sommet de la tour, ils recommencent la cérémonie qui vient de finir. A ce signal, dit la relation officielle, avec le langage ampoulé du temps, des milliers de bras se sont levés, pour écraser cet édifice hideux, dont l’existence fil frémir la nature, et ne fut pourtant qu’un des moindres crimes des rois.

La mission des représentants semblait terminée, et ils demandèrent leur rappel. La Convention leur donna pour successeurs Collot-d’Herbois et Fouché, personnages sinistres, dont les atroces exploits devaient faire regretter la modération relative de leurs devanciers. Ce contraste peut-il modifier le jugement de la postérité ? Pour notre part, nous ne croyons guère à la prétendue mansuétude de Couthon, et nous cherchons vainement, dans sa conduite, un moment où il ait obéi à un véritable sentiment d’humanité. L’ordre avec lequel l’armée victorieuse est entrée dans Lyon et la lenteur des tribunaux révolutionnaires à frapper les premiers coups de hache ne sauraient être des arguments en sa faveur ; car on pouvait craindre un retour offensif chez les Lyonnais affolés, et il était indispensable de laisser aux pourvoyeurs de la guillotine le temps de dresser les listes des victimes. A défaut d’actes, peut-on au moins trouver dans les paroles de Couthon quelque signe d’hésitation ou de regret ? Loin de là ; nous le voyons demander aux Jacobins, le 13 octobre, quatre jours après la reddition de Lyon[59], des patriotes éprouvés, afin de révolutionner le pays. Tout s’explique, au contraire, quand on songe aux infirmités physiques du sombre conventionnel et à sa conduite ultérieure dans le sein du Comité de salut public régénéré. Faible et impotent, Couthon se sentait incapable d’un effort continu et préférait, aux fatigues des missions, les travaux plus calmes des comités. Mais en devenant, à Paris, la troisième personne, avec Robespierre et Saint-Just, de cette impitoyable trinité qui couvrit la France entière de ruines et de sang, il a interdit lui-même à ses défenseurs le droit de prétendre qu’il se fût montré plus clément à Lyon, et qu’il eût reculé devant les excès des rigueurs qu’il avait préparées. Nous dirons donc qu’il entra autant de lassitude que de calcul dans la détermination de Couthon, et que son seul mérite, en s’éloignant de Lyon, fut de partir à temps.

 

 

 



[1] Tome VII, livre XXXIV, § VII, in fine.

[2] Le général Quétineau, qui commandait à Thouars, avait dû rendre la place, faute de forces suffisantes pour résister. Les Vendéens, qui le gavaient suspect aux Jacobins, lui offrirent de rester parmi eux sans combattre. Quétineau, en homme de cœur, refusa. Dénoncé à la Convention par Tallien, poursuivi dans sa prison par le représentant Goupilleau (de Montaigu), il fut déféré au tribunal révolutionnaire de Paris, condamné à mort et exécuté le 26 ventôse.

Quétineau était allé se constituer prisonnier lui-même, ainsi qu’en fait foi le certificat que lui délivra Santerre.

Au quartier général, à Tours, le 15 juin 1793, 2e de la République.

Le général de brigade Santerre, au président du Comité de salut public de la Convention nationale, à Paris.

Citoyen président, comme j’étais à l’entrée de la ville de Tours, il s’est présenté à moi un particulier qui m’a dit être le citoyen Quétino (sic) et venir, après s’être échappé des prisons de Saumur, se rendre à ma discrétion. Je l’ai adressé à la commission centrale, qui lui a ordonné de se rendre à Paris accompagné d’un gendarme. Le citoyen Quétino désirant rester en état d’arrestation avec un gendarme à Paris, où il est envoyé, j’ai cru que je devais lui donner déclaration de la manière loyale et franche de sa conduite, afin que, comme il le désire, vous lui accordiez la permission de rester chez lui, sous la main de )a justice, avec un gendarme.

Le général de brigade,

SANTERRE.

[3] On avait incorporé de force dans la légion germanique les malheureux débris de la garde suisse échappés au massacre du 10 août Elle était administrée à Paris par un conseil composé de révolutionnaires ardents et de membres de la Commune, dont Anacharsis Clootz avait été nommé président. Ils furent soupçonnés d’avoir détourné à leur profit une partie des fonds remis entre leurs mains pour l’équipement de la légion.

Minier, commissaire de la Commune dans la Vendée, rendant compte de sa mission au conseil général, le 15 juin 1793, dit textuellement : Une de nos légions dite germanique se livre aux débauches et aux plus grands excès. Elle est suivie de quatre cents femmes.

Moniteur du 18 juin 1793.

[4] Moniteur du 7 juillet 1793.

[5] Lettres du 2 juillet 1793 au général Biron. Moniteur du 7 juillet 1793.

[6] Moniteur du 12 juillet 1793.

[7] Moniteur du 29 juillet 1793.

[8] L’arrêté du Comité de salut public qui servit de base à ce décret est signé Couthon, Barère, Saint-Just, Thuriot, Hérault-Séchelles et Robespierre. Il inaugurait l’entrée de ce dernier au Comité.

[9] Tome II, note XI, et tome III, livre XII, § IV.

[10] Moniteur du 30 août 1793.

[11] 1er juillet 1793, capitaine au 43e régiment de chasseurs à cheval : 2 juillet 1793, chef d’escadrons ; 3 juillet 1793, adjudant général chef de brigade ; 4 juillet 1793, général de brigade.

[12] Moniteur du 18 août 1793.

[13] C’est ce qui résulte du certificat suivant :

Aujourd’hui, 22 août 1793, l’an II de la République, je soussigné, Jacques Jacob, piqueur du général Biron, certifie que le citoyen Rossignol, général en chef de l’armée des côtes de La Rochelle, s’est emparé hier de dix chevaux appartenant au général Biron, laissés à Niort ; de même que de cinq autres chevaux que lui, déclarant, avait vendus au général de brigade Mieskowski ; il certifie, en outre, qu’indépendamment des chevaux, le citoyen Rossignol s’est permis de s’emparer de toutes les selles, brides de voiture, etc., appartenant aussi au général Biron.

En foi de quoi j’ai signé les présentes.

J.-J. JACOB.

[14] Moniteur du 28 août 1793.

[15] Moniteur du 30 août 1793.

[16] Voir plus haut, § I de ce livre.

[17] Moniteur du 24 octobre 1793.

[18] Voir plus haut, livre XLIII, § II, in fine.

[19] Par un étrange retour des choses humaines, le bataillon formé pour renverser la faction jacobine fut, après la soumission de Bordeaux, envoyé dans la Vendée où il aida à défendre l’autorité de ceux qu’il avait eu mission de combattre.

[20] Le décret du 6 août 1793, sur les événements de Bordeaux, est ainsi conçu :

Art. 1er. Tous les actes faits par le rassemblement qui a pris à Bordeaux le titre de Commission populaire de salut public, sont anéantis comme attentatoires à la souveraineté et à la liberté du peuple français.

Art. 2. Tous les membres qui composent ce rassemblement, ainsi que tous ceux qui ont provoqué, concouru ou adhéré à ses actes, sont déclarés traîtres à la patrie et mis hors la loi. Leurs biens sont confisqués au profit de la République.

Art. 3. La commune de Bordeaux réintégrera, dans l’heure de la notification du présent décret, les 357.320 piastres enlevées à main armée, à l’hôtel de la monnaie, et qui étaient destinées au service de la marine.

Art. 4. Tous les dépositaires actuels de l’autorité publique, dans la ville de Bordeaux, répondent individuellement sur leur tête de la somme de 357.320 piastres et des atteintes qui pourraient être portées à la sûreté des fonds et des caisses de la République.

Art. 5. La trésorerie nationale fera parvenir, dans le plus court délai, aux commissaires qui seront nommés par les sections de Bordeaux, la somme de deux millions dont le prêt a été décrété le 30 mars dernier pour pourvoir aux subsistances de cette ville ; lesquels commissaires ne pourront être choisis parmi les membres des autorités constituées, ni parmi les citoyens qui ont coopéré ou adhéré aux actes liberticides et contre-révolutionnaires des individus composant le rassemblement connu sous le nom de Commission populaire de salut public.

Art. 6. Le présent décret sera porté sur-le-champ, par un courrier extraordinaire, aux représentants du peuple actuellement à Toulouse et à Montauban, qui demeurent chargés de prendre tous les moyens d’instruction et de force qu’ils jugeront convenables pour amener sa prompte exécution, faire respecter les lois et garantir les citoyens de l’oppression.

[21] Nous avons retrouvé les observations manuscrites adressées au Comité de salut public par Baudot et Ysabeau, en marge de la copie du décret du 6 août qui leur fut transmise. Elles prouvent, mieux que toutes les réflexions, combien ces représentants montrèrent peu de franchise en maintenant leurs exigences. Ils disaient :

Art. 1er. Cet article ne peut souffrir aucune difficulté dans son exécution.

Art. 2. Cet article a beaucoup servi aux vrais coupables, aux meneurs de la Gironde, pour faire embrasser leur parti par toutes les sections, en leur persuadant qu’elles étaient comprises dans le décret, et que les biens de toute la ville étaient confisqués pour avoir provoqué, concouru et adhéré. De là les hauts cris qu’on a jetés. Qui prouve trop ne prouve rien. Les commissaires demandent que les dispositions de cet article soient restreintes aux chefs de la faction dont ils ont la liste, aux membres de la Commission populaire, aux administrateurs, etc. Par ce moyen, il y aura jour à exécuter ce décret, ou plutôt le peuple de Bordeaux y concourra volontiers. Il nous suffira d’une lettre du Comité de salut public pour nous croire suffisamment autorisés à agir contre les seuls meneurs, sans qu’il soit besoin d’un nouveau décret.

Art. 3. Les piastres sont réintégrées ; mais nous pensons qu’il serait bon de les retirer promptement de Bordeaux. Nous nous sommes aperçus qu’elles étaient encore un objet de convoitise. Le numéraire est rare. 11 ne faut pas exposer ces messieurs à une nouvelle tentation.

Art. 4. Nous découvrons tous les jours que les administrateurs du département se sont emparés des fonds qui leur étaient envoyés pour divers objets, tels que les routes, les piques, etc. Avis pour envoyer sobrement de nouveaux fonds à ces intrigants. Il vaut mieux les adresser directement aux districts qui sont bons en majeure partie.

Art. 5. Il y aurait un grand inconvénient à remettre les deux millions entre les mains des commissaires de toutes les sections, parce que la majeure partie est encore dominée par les factieux. Nous connaissons les citoyens sûrs et fidèles ; c’est à eux que nous confierons le sort et le pain du peuple, et non aux insolents agioteurs qui le mangent.

C.-ALEX. YSABEAU.

M.-A. BAUDOT.

[22] Bordeaux renfermait vingt-huit sections. La grande majorité appartenait, comme on le voit, à l’opinion modérée.

[23] Moniteur du 8 août 1793.

[24] Moniteur du 1er septembre 1793.

[25] Moniteur du 29 septembre 1793.

[26] Moniteur du 4 octobre 1793.

[27] Moniteur du 30 septembre 1793.

[28] La lettre du Comité de salut public, condamnation énergique de la conduite des représentants, porte la date du 22 du premier mois (13 octobre 1793), et est ainsi conçue :

Nous vous adressons, citoyens collègues, le décret qu’a motivé la reddition de Lyon. C’est un exemple donné à toutes les villes rebelles et fédéralistes, qui doit devenir dans vos mains l’arme la plus puissante pour faire rentrer Bordeaux dans le devoir. Surtout que la faute commise par les représentants du peuple, qui ont conduit si lentement le siège de Lyon, ne devienne pas commune avec vous. Nous vous avouons avec franchise que nous trouvons que vous apportez beaucoup trop de retards dans vos mesures contre Bordeaux. Le moment est venu d’agir au lieu de délibérer éternellement. Vous avez des forces à votre disposition, un général digne de .votre confiance. Une entrée prompte, à la tète d’une armée imposante, dans une ville plus qu’équivoque, est le seul moyen de l’assurer à la République et de prévenir les dangers d’un siège toujours à craindre, tant que vous ne serez pas dans les murs de Bordeaux. Que votre première opéra-ion soit un désarmement général et l’épurement complet de toutes les autorités constituées. Faites proclamer le décret relatif à Lyon ; faites en un mot tout ce que l’énergie, le zèle et l’amour de la liberté doit {sic) inspirer à des républicains comme vous.

Salut et fraternité.

COLLOT D’HERBOIS, BILLAUD-VARENNES.

[29] Voir plus haut, livre XLIII, § II in fine.

[30] Moniteur du 29 août 1793.

[31] Cette accolade fraternelle n’eut pas plus d’effet que le célèbre baiser Lamourette. Antiboul, accusé de faiblesse par ses collègues, fut déféré au tribunal révolutionnaire de Paris, et condamné à mort le 9 brumaire an II.

On trouvera aux Pièces justificatives le curieux interrogatoire que lui firent subir les autorités girondines de Marseille.

[32] Moniteur du 2 septembre 1793.

[33] Moniteur du 2 septembre 1793.

[34] Nous avons retrouvé l’original de ce décret, qui est ainsi conçu :

Art. 1er. Les commissaires de la Convention nationale dans le département des Bouches-du-Rhône prendront les mesures les plus promptes et les plus sévères pour faire punir les auteurs et complices de la rébellion des contre-révolutionnaires de Marseille, des violences et des assassinats commis dans la personne des républicains de ces contrées.

Art. 2. Les biens des individus qui, à Marseille et dans les départements circonvoisins, ont levé l’étendard de la contre-révolution et de la révolte contre l’autorité nationale, sont confisqués et affectés spécialement aux indemnités dues aux patriotes opprimés de ces contrées.

Art. 3. Le ministre de l’intérieur disposera de la somme de 50.000 livres, mise à sa disposition pour fournir un secours provisoire aux veuves et enfants des citoyens de Marseille assassinés par les contre-révolutionnaires de cette ville.

[35] Moniteur du 9 août 1792.

[36] C’est ce que Jean Bon Saint-André, dans son rapport à la Convention, le 9 septembre 1793, appelait s’être distingué par ce patriotisme ardent qui, dans l’âme brûlante des habitants du Midi, devient une passion impétueuse et forte.

[37] Voici en quels termes ils annonçaient cette mesure à la Convention :

Toulon, le 4 juin 1793.

Les représentants du peuple près l’armée d’Italie,

Au citoyen président de la Convention nationale.

Nous adressons à la Convention nationale, citoyen président, copie du procès-verbal de la séance des trois corps administratifs de la ville de Toulon, en date du 34 mai dernier, qui a ordonné l’élargissement des personnes détenues au fort Lamalgue, et réglé \es conditions de leur sortie.

Nous avons concouru par notre présence et nos avis à cet arrêté sage qui a porté le calme et la consolation dans un grand nombre de familles plongées dans l’inquiétude et le chagrin.

L’excès de la douleur eût peut-être servi de prétexte à quelques limitations qu’il nous a paru utile de prévenir. La surveillance la plus exacte sur toutes les personnes suspectes est sans doute nécessaire, et les mesures de précaution prises vis-à-vis d’elles sont un devoir ; mais les actes de vigueur qui vont au delà deviennent répréhensibles ; ils blessent l’humanité et la politique, et ce juste milieu qu’il faut tenir, et que, de part et d’autre, on ne se permet que trop sou-V nt de méconnaître. — Vigilance et impartialité — est la règle de notre conduite, et nous ne nous en écarterons jamais.

Le représentant du peuple,

PIERRE BAYLE.

[38] Pierre Bayle se suicida dans sa prison ; Beauvais ne fut délivré qu’après la prise de Toulon. Il languit quelques mois et mourut, à Montpellier, sans avoir pu siéger de nouveau à la Convention.

[39] Les propositions de l’amiral Hood comprenaient six articles que nous reproduisons textuellement :

Les vaisseaux qui sont à présent dans le port de Toulon doivent èin remis dans le port intérieur, pour faire assez de place pour le mouillage de la flotte anglaise, et tous les forts mis dans les mains de l’amiral et à sa disposition.

Le commandant s’engage et garantit aux ports de Toulon et de Marseille des grains et autres provisions, en quantité suffisante pour les habitants, jusqu’à la paix, qui sera très prochaine.

Le commandant garantit la propriété de tous les gens, qui seront protégés et sacrés dans leurs mains.

Le commandant s’engage de rendre tous les forts, vaisseaux, équipages, la ville et tout ce qui aura été en sa possession, dès que la paix sera faite.

Il s’engage de maintenir les officiers civils et militaires dans leur place, mais ils devront être sous ses ordres. Il s’engage encore à faire payer tout ce qui est dû aux équipages en numéraire.

Le port de Toulon continuera d’arborer le pavillon tricolore, s’il veut, lui laissant la libre faculté à ce sujet.

[40] Moniteur du 15 juillet 1793.

[41] Moniteur du 16 octobre 1793.

[42] Moniteur du 19 octobre 1793.

[43] Voir plus haut, livre XLIII, § I, et Moniteur du 24 juillet 1793.

[44] Moniteur du 12 août 1793.

[45] Moniteur du 29 août 1793.

[46] Moniteur du 11 septembre 1793.

[47] Moniteur du 9 septembre 1793.

[48] Moniteur du 15 septembre 1793.

[49] Moniteur du 5 octobre 1793.

[50] Moniteur du 8 octobre 1793.

[51] Moniteur du 11 octobre 1793.

[52] Le Moniteur du 13 octobre 1793 donne, ainsi qu’il suit, le texte du décret :

La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du Comité de salut public, décrète :

Art. 1er. Il sera nommé par la Convention nationale, sur la présentation du Comité de salut public, une commission extraordinaire composée de cinq membres, pour faire punir militairement, et sans délai, les contre-révolutionnaires de Lyon.

Art. 2. Tous les habitants de Lyon seront désarmés. Leurs armes seront distribuées sur-le-champ aux défenseurs de la République. Une partie sera remise aux patriotes de Lyon qui ont été opprimés par les riches et les contre-révolutionnaires.

Art. 3. La ville de Lyon sera détruite : tout ce qui fut habité par les riches sera démoli ; il ne restera que la maison du pauvre, les habitations des patriotes égorgés ou proscrits, les édifices spécialement employés à l’industrie et les monuments consacrés à l’humanité et à l’instruction publique.

Art. 4. Le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la République. La réunion des maisons conservées portera désormais le nom de ville affranchie.

Art. 5. Il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne qui attestera à la postérité les crimes et la punition des royalistes de cette ville, avec cette inscription : Lyon fit la guerre a la liberté ; Lyon n’est plus. Le 18e jour du 1er mois de l’an II de la République, une et indivisible.

Art. 6. Les représentants du peuple nommeront sur-le-champ des commissaires pour faire le tableau de toutes les propriétés qui ont appartenu aux riches et aux contre-révolutionnaires de Lyon, pour être statué incessamment, par la Convention nationale, sur les moyens d’exécution du décret du 12 juillet 1793, qui a affecté ces biens à l’indemnité des patriotes.

[53] Moniteur du 15 octobre 1793.

[54] Moniteur du 16 octobre 1793.

[55] Du 21e jour de l’an II de la République française, une et indivisible (12 octobre 1793).

Le Comité de salut public arrête que les citoyens Dubois-Crancé et Gauthier, représentants du peuple près de l’armée de la République, maintenant dans Lyon, seront mis en état d’arrestation et amenés à Paris. Les scellés seront mis sur leurs papiers.

Signé au registre : Billaud-Varennes, Barère, Hérault. Collot d’Herbois, Robespierre et Saint-Just.

[56] Moniteur du 21 octobre 1793.

[57] Moniteur du 28 octobre 1793.

[58] Les sexagénaires, les femmes et les enfants prirent part à la destruction. — L’ouvrier valide était payé trois francs par jour, les vieillards recevaient trente-cinq sols, les femmes trente sols, les enfants vingt sols. Bientôt la dépense s’éleva à 400.000 livres par décade.

[59] Cette lettre est insérée dans le Moniteur du 21 octobre 1793. On y lit notamment ce qui suit :

La ville de Lyon n’est plus au pouvoir des rebelles, mais le plus difficile reste à faire. L’esprit public est perdu dans cette malheureuse cité. Les patriotes y sont dans une minorité effrayante. Nous vous demandons quarante hommes d’un républicanisme éprouvé, pour transplanter sur cette terre étrangère les principes révolutionnaires. Nous leur confierons les fonctions administratives et judiciaires. Qu’ils viennent se réunira nous, et alors nous pourrons espérer faire une véritable révolution.