HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

VI. — GOSSIN ET TERNAUX, ADMINISTRATEURS DU DÉPARTEMENT DE LA MEUSE, DÉCRÉTÉS D'ACCUSATION LE 5 SEPTEMBRE 1792.

 

 

Nul épisode ne nous paraît plus propre que celui-ci à mettre en lumière la véritable physionomie du régime dont nous avons entrepris de raconter l'histoire.

Après la proscription des Girondins, l'Assemblée, qui réunissait dans ses mains tous les pouvoirs, en avait, pour ainsi dire, fait tacitement deux parts t'un~ confiée à de nombreux comités, où souvent les moindres pétitions étaient examinées avec un soin scrupuleux, où s'élaboraient parfois avec fruit et maturité les questions se rattachant aux plus hautes spéculations de l'intelligence humaine, à l'instruction publique, aux beaux-arts, au perfectionnement des sciences, à la fusion de toutes nos lois civiles dans un code unique l'autre, réservée à un comité dit de salut public, où quelques hommes disposaient, sans contrôle, de la vie des citoyens, des trésors de la France, des armées de la République. Dans ce dernier comité, la besogne se partageait encore entre les organisateurs des armées et les pourvoyeurs de la guillotine, entre ceux qui consacraient leurs veilles a expédier les innombrables ordres que nécessitait la défense du territoire et ceux qui ne songeaient qu'à enrichir le bulletin des lois de nouvelles tables de proscriptions, à décréter de nouvelles catégories de suspects, à perfectionner t'instrument de leur domination, le tribunal révolutionnaire. Le comité de sûreté générale n'était qu'une émanation du comité de salut public ; il lui était subordonné ; il exécutait ses ordres, mais en les amplifiant et en les rendant plus cruels, comme cela arrive toujours aux subalternes qui, ne pouvant faire acte de puissance par eux-mêmes, cherchent, au moyen d'un servile dévouement, à se faire compter pour quelque chose.

Ces diverses parties d'un même gouvernement étaient juxtaposées, et n'avaient entre elles que le moins de rapports possible. On s'empruntait des signatures quand cela était nécessaire, on délibérait en commun sur des questions mixtes, mais c'était .tout.

L'Assemblée, convertie en une véritable chambre d'enregistrement, adoptait sans mot dire les décrets que l'on présentai). à sa sanction. Tant mieux s'ils étaient bons, tant pis s'ils étaient mauvais. Elle ne s'informait ni de leur exécution ni de leurs conséquences. Les pouvoirs terribles dont avait été investi le tribunal révolutionnaire ne se révélaient, dans toute leur étendue et dans toute leur horreur, aux yeux des membres de l'Assemblée souveraine, que lorsqu'une circonstance fortuite leur faisait toucher du doigt les résultats pratiques des décrets qu'on avait arrachés à leur faiblesse.

Le 4 thermidor an II (22 juillet 1792), le désir de prêter a un ami, à un compatriote un appui qui semblait devoir être superflu, puisque l'innocence du prévenu avait été proclamée d'avance au sein de la Convention, amenait à l'audience du tribunal révolutionnaire quelques députés appartenant à cette partie de l'Assemblée que, par dérision, on appelait le Marais. La soudaineté de la condamnation qui frappa leur client, l'incroyable rapidité des formes, la froide cruauté des juges et des jurés, les glaça d'épouvante, mais probablement les éclaira. Bon nombre de leurs collègues reçurent leurs confidences et. partagèrent leur tardive, mais salutaire indignation. Qui peut dire toute l'influence que leur récit eut sur la détermination, prise cinq jours après par la majorité silencieuse de la Convention, de se débarrasser enfin de cet intolérable régime ? Mais, avant de raconter quelles furent les dernières conséquences du décret du 5 septembre 1792, lancé ab irato par l'Assemblée législative contre les deux administrateurs du département de la Meuse, Gossin et Ternaux, il nous faut reprendre l'exposé des faits qui les concernent là où nous l'avons laissé (p. 151 de ce volume), c'est-à-dire au moment même où, refusant d'obéir aux ordres du roi de Prusse, ils furent jetés en prison comme otages.

Gossin et Ternaux restèrent détenus à Verdun pendant six semaines, jusqu'après la réoccupation de cette place par l'armée française.

Lorsqu'ils recouvrèrent leur liberté, ils apprirent qu'en conséquence du décret d'accusation lancé contre eux, on avait mis les scellés sur leurs papiers et le séquestre sur leurs biens mais ils furent peu inquiétés dans leurs personnes ; pendant plus de quinze mois, ils se tinrent à moitié cachés. A cette époque, il valait cent fois mieux se faire oublier que de plaider sa cause, quelque juste qu'elle fut. Mais madame Gossin, par une malheureuse inspiration de l'amour conjugal, conçut l'idée de faire révoquer le décret rendu contre son mari, et l'engagea à purger sa contumace. Elle adressa dans ce but pétition sur pétition à t'Assemblée ses lettres furent renvoyées au comité de législation, et un décret en ordonna la communication au représentant du peuple Mallarmé, qui, à cette époque (nivôse an !i) était chargé d'organiser le gouvernement révolutionnaire dans les départements de la Moselle et de la Meuse. Ce représentant ne pouvait être soupçonné de partialité en faveur d'individus accusés d'avoir pactisé avec l'étranger. C'était un montagnard fougueux il avait présidé la Convention au 31 mai, lors de la proscription des Girondins. Dans la note précédente nous avons vu quel était le style de ses arrêtés.

Obéissant aux ordres du comité de législation, Mallarmé prescrivit qu'il fût fait, à la diligence des agents nationaux de Bar et de Verdun, une information minutieuse sur les faits reprochés à Gossin. Cette enquête fut annoncée dans ces deux villes par affiche et à son de trompe, avec invitation à tous ceux qui auraient à faire connaître des faits à la charge ou à la décharge de l'ex-procureur général syndic, de se présenter devant. t un membre du conseil de surveillance de la commune, délégué à cet effet ; plus de cent témoins comparurent dans l'enquête.

Mallarmé, en transmettant cette procédure au comité de législation, reconnut lui-même qu'il en résultait la preuve la plus complète que Gossin, au lieu de se rendre volontairement au pouvoir de l'ennemi, y avait été forcé par les autorités constituées de Bar ; qu'il avait offert sa démission, mais que )e Conseil général avait refusé de l'accepter que, contraint de partir, il ne l'avait fait que dans l'intention de se sacrifier pour son pays, afin de préserver par là ses concitoyens de l'invasion de l'ennemi et des horreurs de la guerre qu'à Verdun, il défendait à ceux qui venaient le consulter de fournir des subsistances à l'ennemi ; qu'enfin, il avait toujours été reconnu pour un bon citoyen.

Le rapport de cette affaire, pour laquelle les comités de législation et de sûreté générale s'étaient réunis, fut confié à Bézard (de l'Oise), qui en rédigea un compte rendu très-long et très-minutieux — il n'a pas moins de 15 pages d'une écriture serrée —. La parfaite innocence de Gossin était proclamée à chaque ligne on y proposait le rapport pur et simple du décret d'accusation. Mais, lors de la discussion au sein des deux comités, un montagnard, Charlier, prétendit que cette conclusion était contraire aux principes ; que, puisque la loi avait institué un tribunal pour le jugement de tous les délits contre-révolutionnaires, c'était à ce tribunal, et non à la Convention qu'il appartenait de prononcer sur la culpabilité ou la non-culpabilité de Gossin. La règle qu'invoquait Charlier avait été violée cent fois par la Convention mais il y a des hommes qui rappellent les principes lorsqu'il s'agit de prendre des mesures d'humanité, et qui les oublient, l'instant d'après, lorsqu'ils croient pouvoir les fou !er aux pieds pour satisfaire leurs passions sanguinaires. Quoi qu'il en soit, sur l'insistance de Charlier, les conclusions de Bézard furent modifiées ; le rapport présenté à la Convention le 28 messidor an n, se terminait en ces termes :

Toutes les pièces envoyées par Mallarmé, en exécution de voire décret, ont été mûrement examinées par vos comités de législation et de sûreté générale. En rendant hommage à la sagesse et a la prudence qui ont dirigé, tes opérations de Mallarmé et qui donnent aux témoignages qu'il a recueillis en faveur de Gossin tout le crédit dont ils ont besoin pour fixer votre jugement ; nous n'avons cependant pas pensé que nous puissions vous proposer le rapport du décret d'accusation.

Vous avez créé un tribunal révolutionnaire il jouit de votre confiance, il peut aussi mériter celle de Gossin. C'est dans la balance de ce tribunal que doivent être pesés les moyens qu'il peut fournir. Si la Convention se déterminait à rapporter le décret d'accusation rendu contre Gossin, il n'y aurait pas de raison pour qu'elle n'entendît pas et ne jugeât pas toutes les réclamations qui lui seraient adressées. Des citoyens qui se présenteraient même avec moins de faveur que Gossin, auraient le droit de dire que, la loi étant égaie, la Convention doit tes entendre et prononcer. Vos travaux ne vous permettent pas de vous occuper de semblables fonctions. Tels sont les motifs de vos comités pour passer à l'ordre du jour sur la pétition de la citoyenne Gossin mais comme il ne faut rien préjuger, et qu'un ordre du jour pur et simple pourrait faire croire que vous avez rejeté les pièces justificatives que vous a envoyées le représentant Mallarmé, nous proposons un décret ainsi conçu :

La Convention nationale, après avoir entendu ses comités de législation et de sûreté générale réunis sur la pétition de la citoyenne Gossin tendant à obtenir le rapport du décret d'accusation rendu contre son mari, ex-procureur général syndic du département de la Meuse, le 5 septembre 1792 ;

Considérant que, quels que soient les moyens de justification des accusés, ils doivent être portés devant les tribunaux, et que c'est aux jurés à en apprécier le mérite ;

Passe à l'ordre du jour :

La Convention ordonne que les pièces recueillies par Mallarmé, représentant du peuple dans le département de la Meuse, et les informations par lui faites en exécution du décret du 22 nivôse dernier, seront envoyées au tribunal révolutionnaire, avec le rapport fait au nom des deux comités.

 

Après de tels rapports, après un tel décret, la comparution de Gossin devant le tribunal semblait devoir être une affaire de pure forme ; tous ses amis le pensèrent ainsi, et, sur leur conseil, l'accusé se constitua prisonnier au corps de garde même du comité de sûreté générale. Six jours après (le 4 thermidor), il comparaissait devant le tribunal présidé par Dumas. Quatre membres de la Convention nationale avaient voulu, par leur présence, témoigner tout l'intérêt qu'ils portaient à la cause, pour ainsi dire déjà gagnée, de l'ex-procureur général syndic du département de la Meuse. C'était Harmand, son compatriote et son ami ; Bézard (de l'Oise), le rapporteur des deux comités, Ramel et Pémartin, avec lesquels il était lié d'amitié depuis l'Assemblée constituante.

Mais laissons parler un témoin, Harmand, qui nous a conservé tous les détails de cette audience[1] :

Nous entrons ; mes collègues, n'étant pas témoins, se placent près de la barrière du parquet, mais en dehors. Comme témoin, je suis introduit en dedans j'étais assis au-dessous du banc des jurés, en face des accusés. Ils étaient là quarante-deux ou quarante-trois réunis de tous les points de la France, sans se connaître, sans s'être jamais vus, et confondus dans la .même accusation.

 

Il y avait, parmi les inculpés, des grands seigneurs, des généraux, des jeunes gens, dont l'un n'avait que dix-sept ans, des dames de la plus haute naissance, et notamment trois dames de la famille de Noailles, des commis-marchands, des domestiques, des commissionnaires, etc.

A ces accusés qui composaient, suivant Fouquier-Tinville, la troisième fournée des conspirateurs du Luxembourg, on avait joint Gossin, un conducteur de bœufs prévenu d'en avoir volé trois dans un convoi destiné aux armées de la Vendée, et enfin une jeune paysanne du département du Doubs, à laquelle on reprochait d'avoir porté des lettres à des émigrés dans un bois limitrophe de la Suisse.

Dumas commença son interrogatoire par la duchesse de Noailles[2] :

Tu étais de la conspiration du Luxembourg ?

Mme DE NOAILLES portant un acoustique à son oreille : Citoyen président, je suis extrêmement sourde, je n'ai pas entendu.

LE PRÉSIDENT, d'une voix grossièrement et ironiquement élevée. Tu conspirais donc sourdement ? (Rires affreux des autres juges). Puis reprenant la parole encore plus haut : Tu étais de la conspiration du Luxembourg ?

R. Citoyen président, lorsque nous avons été arrêtées, il y avait six semaines que Dillon, que l'on disait le chef de cette conspiration, avait péri sous le glaive de la loi.

D. Mais tu connaissais les femmes Lévi ?

R. Citoyen président, lorsque nous étions dans le monde, nous n'étions pas de la société des femmes Lévi mais lorsque nous avons été conduites au Luxembourg, soit intérêt, soit curiosité, les citoyennes Lévi sont venues nous voir, et nous leur avons rendu leur visite.

LE PRÉSIDENT. Silence en voilà assez. Puis s'adressant aux jurés : Citoyens jurés, vous avez entendu que l'accusée, de son propre aveu, connaissait les femmes Lévi ; les femmes Lévi étaient de la conspiration et ont porté leurs têtes coupables sur l'échafaud donc.

Le monstre s'en tint à cette suspension assez indicative de la conclusion on verra dans un instant quelle en fut la conséquence. Après avoir interrogé sur le même ton plu- sieurs autres accusés, il arriva à un jeune homme d'environ dix-sept ans, qui était commissionnaire à la porte du Luxembourg.

LE PRÉSIDENT. Tu as porté la correspondance des conspirateurs ?

L'ACCUSÉ. Citoyen président, j'étais commissionnaire à la porte du Luxembourg mon état était de porter des lettres comme toute autre chose si on ne voulait pas que je le fisse, il fallait me le défendre et me renvoyer, je me serais retiré.

LE PRÉSIDENT. Tu as reçu un assignat de quinze sous pour porter cette lettre. Puis, montrant aux jurés une lettre qu'il tenait à la main, il leur dit : ... Citoyens jurés, cette lettre est de cette criminelle...

LES JURÉS. Oui, nous le savons.

L'ACCUSÉ. Citoyen président, je ne savais pas ce que contenait cette lettre.

LE PRÉSIDENT. Pourquoi ne l'as-tu pas portée au comité révolutionnaire de la section, ou au comité de sûreté générale ?

L'ACCUSÉ. Je devais la porter à son adresse, c'était mon devoir, et j'étais payé pour cela.

LE PRÉSIDENT. Tu as donc reçu l'assignat de quinze sous ?

L'ACCUSÉ. Oui, citoyen président.

LE PRÉSIDENT. C'est assez. Citoyens jurés, vous avez entendu ?

LES JURÉS. Oui ! oui !

L'interrogatoire des autres soi-disant conspirateurs du Luxembourg fut encore moins long. On passa assez légèrement sur l'accusation imputée à la jeune paysanne et au voleur de bœufs. On fit avouer à la jeune fille que le rendez-vous, auquel elle allait quand on l'avait arrêtée, était un rendez-vous d'amour, et l'un des jurés ajouta sentencieusement : La nature et la société ne défendent pas le sentiment qui vous a fait agir. Le voleur de bœufs avait été recommandé au président comme un bon patriote aussi Dumas s'empressa-t-il de déclarer que l'accusation qui pesait sur lui n'était qu'une calomnie lancée par quelque aristocrate.

Ce fut enfin le tour de Gossin on ne l'interrogea pas le président lui dit : Tu as parole. Il parla donc, et se justifia complètement et sans peine.

Pendant qu'il parlait, deux jurés, qui étaient derrière moi, me dirent : Citoyen représentant, sois tranquille, tout ira bien. Quand Gossin eut fini, on me donna la parole ; je confirmai par une déposition solennelle les faits justificatifs ; je fis valoir le courage avec lequel l'accuse avait refusé d'obéir aux ordres du roi de Prusse, quoique en sa puissance ; je protestai qu'il avait sauvé la ville de Bar-le-Duc d'une exécution militaire, ce qui était le devoir d'un bon magistrat.et la preuve d'un grand dévouement je fus écouté assez longtemps, et en apparence avec assez d'attention.

Après moi, Mallarmé, député du département de la Meurthe et qui, en qualité de commissaire de la Convention dans le département de la Meuse, avait pris et transmis les renseignements préliminaires, parla aussi et confirma ses premiers rapports, qui étaient tous favorables et justes.

Alors les jurés et les accusés se retirèrent.

En sortant, le malheureux Gossin me fit un signe de tête interrogatif sur mes espérances. Il avait vu les deux jurés qui s'étaient inclinés pour me parler ; je lui répondis par un autre signe de confiance. Je l'avoue cependant, je n'étais pas guéri de mon oppression elle n'était que trop fondée, je ne devais plus le revoir.

Après quelques minutes de délibération, les jurés rentrèrent et, s'étant remis à leur banc, ils prononcèrent l'un après l'autre leur prétendu verdict qui déclarait ennemis du peuple, et, comme tels, conspirateurs, tous les accusés, à l'exception de la jeune paysanne et du voleur de bœufs. En même temps, les deux scélérats d'entre eux qui m'avaient dit que tout irait bien eurent la cruelle audace de me dire : Eh bien, citoyen représentant, nous vous l'avions bien dit que tout irait bien ![3]

 

En entendant ce verdict, Harmand et ses collègues se précipitent hors de la salle, désespères, mais impuissants à arrêter le cours de ce qu'on avait l'audace d'appeler la justice.

Les amis de Gossin avaient tellement la certitude de son acquittement, qu'un repas avait été préparé pour fêter sa sortie de prison la femme de l'infortuné procureur-général-syndic devait en faire les honneurs. Déjà tout le monde est réuni, mais Gossin et Harmand n'arrivent pas. L'anxiété de madame Gossin redouble à chaque minute ; elle se reproche d'avoir engagé son mari à se confier à son innocence ; elle veut aller au tribunal plaider elle-même une cause si juste. Ses amis la retiennent enfin apparaît Harmand, il est seul madame Gossin comprend toute l'étendue de son malheur et tombe évanouie. A ce moment même, la tête de son malheureux époux roulait sur t'échafaud de la place de la Barrière renversée, aujourd'hui la barrière du Trône.

Ternaux n'avait pas cru à la justice du tribunal révolutionnaire, il fut sauvé. Cinq jours après la mort de l'infortuné Gossin, le règne de Robespierre finissait. Peu à peu l'humanité et la raison reprirent leurs droits ; le 4 thermidor an III (1er août 1795), le même rapporteur, Bézard, fut chargé d'appeler de nouveau l'attention de la Convention sur le décret rendu par la Législative contre les deux administrateurs du département de la Meuse. Il proclama une seconde fois leur parfaite innocence, et déclara qu'en se rendant à Verdun : Gossin et Ternaux avaient agi comme Regulus partant pour Carthage. La Convention, moins scrupuleuse que l'année précédente, ne crut pas devoir renvoyer à un tribunal l'examen de la conduite du magistrat survivant ; elle rapporta à l'unanimité le décret du 5 septembre 1792.

 

 

 



[1] Le récit d'Harmand (de la Meuse) se trouve consigné dans un opuscule publié par lui en 1815, sous ce titre : Anecdotes relatives à plusieurs évènements remarquables de la Révolution ; nous l'avons rapproché des indications données par le procès-verbal du tribunal révolutionnaire, et nous avons pu ainsi en vérifier la parfaite exactitude.

Nous avons eu soin de marquer par des guillemets les passages que nous avons empruntes textuellement au récit d'Harmand (de la Meuse).

[2] La duchesse de Noailles était sa petite-fille du chancelier d'Aguesseau. Elle avait dans ce moment à ses côtés la maréchale de Noailles, sa belle-mère, âgée de soixante-dix ans, et sa fille ainée, la vicomtesse de Noailles, âgée de trente-cinq ans.

[3] Une dernière circonstance de cet épouvantable procès nous a été révélée par l'examen des dossiers des affaires jugées le 4 thermidor par le tribunal révolutionnaire. Le tribunal était partagé en deux sections la première, qui siégeait dans la salle de la Liberté (la salle Saint-Louis, où siège aujourd'hui la Chambre civile de la Cour de cassation) ; la seconde, dans celle de l'Égalité (la Chambre des requêtes de la même Cour). Ce jour-là, on jugeait dans la salle de la Liberté la prétendue conspiration du Luxembourg dans la salle de l'Égalité, celle des soi-disant contre-révolutionnaires de Nevers. L'affaire de Gossin avait été mise au rôle de la première section ; c'est là qu'il comparut avec mesdames de Noailles, le jeune commissionnaire, la jeune fille du Doubs, etc. Dans le dossier de cette audience, on ne voit figurer qu'une seule pièce concernant Gossin : le décret de la Convention qui le renvoie au tribunal révolutionnaire, et dont nous avons donné le texte plus haut. La chemise qui renferme ce décret porte ces mots significatifs Pièce unique. Au contraire, dans le dossier de l'audience où l'on jugeait les accusés de Nevers, nous avons retrouvé le rapport de Bézard, celui de Mallarmé, et toutes les autres pièces à l'appui au nombre de quarante-trois. Ces pièces, si importantes pour la justification de Gossin, ne passèrent donc pas sous les yeux des juges et des jures. Fut-ce par une erreur involontaire ou avec une intention préméditée que ces pièces s'égarèrent dans te dossier de l'autre section, il est impossible de le dire ; mais un pareil fait démontre une fois de plus avec quelle incroyable insouciance des plus simples notions de la justice on agissait a cette époque. Un président ne s'apercevait pas que les pièces annoncées dans le décret de la Convention n'étaient pas jointes au dossier ; le président de l'autre section, qu'il avait entre les mains quarante-trois pièces qui ne concernaient aucun des accusés qu'il avait à juger.