HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

XXV. — LES COMPTES DE FOURNIER L'AMÉRICAIN.

 

 

Fournier avait été arrêté trois ou quatre jours après son retour d'Orléans ; mais il avait un trop grand nombre de complices, et ses complices étaient trop puissants pour qu'il eût beaucoup à redouter les suites de son arrestation ; il fut, en effet, relâché le 20 septembre 1792 par ordre de la commune, afin, dit le procès-verbal, qu'il pût réunir les pièces nécessaires à l'apurement de ses comptes. Avant de les présenter au ministre, il ne manque pas de se faire décerner par les hommes qui avaient été sous ses ordres des certificats de moralité ; probablement il les rédigea lui-même.

Le motif qu'on y donne pour expliquer le départ des volontaires parisiens démontre que le sort réservé aux malheureux prisonniers était déterminé d'avance. Que l'on pèse ces mots : pour mettre fin aux dépenses excessives qu'occasionne à l'empire français la trop longue détention des conspirateurs !

 

Premier certificat.

COMPAGNIE DE L'ÉGALITÉ.

L'an 1er de l'égalité et de la liberté, les fédérés des 83 départements et les patriotes parisiens soussignés, animés par le zèle et l'amour de la patrie, ennuyés de l'impunité des criminels de lèse-nation, ayant appris que ces traîtres avaient l'audace de menacer les sentinelles[1], fatigués de les surveiller, et vu le danger imminent de la patrie, se sont transportés à Orléans pour solliciter et veiller à l'exécution du décret concernant les perfides détenus dans la ville. Espérant par ce motif mettre fin aux dépenses excessives qu'occasionne à l'empire français la trop longue détention des conspirateurs qui en avaient juré la ruine et la perte, ces mêmes citoyens soussignés déclarent et certifient qu'ayant reconnu pour leur général le patriote Fournier, ils attestent qu'il s'est comporté en brave citoyen, avec tout le civisme et l'honnêteté possible envers ses égaux et ses camarades ; que c'est contre son gré, ses vœux et malgré lui qu'il n'a pu parvenir à conduire à Saumur les prisonniers d'État ; qu'il a eu pour eux, pendant la route, tous les soins possibles ; enfin, qu'arrivés à Versailles, lieu de leur destination, le peuple souverain, justement irrité à l'aspect de ses implacables ennemis, s'empara d'eux, et qu'il aurait péri plusieurs milliers de citoyens sans sa prudence et ses lumières. Ne pouvant mieux reconnaître le patriote Fournier, nous lui avons offert le présent certificat pour lui valoir et servir ce que de raison et de réponse à tous ceux à qui la liberté et l'égalité de cette conduite déplaît.

En foi de quoi les fédérés et Parisiens composant la compagnie de Lofficial, dite de l'Égalité, ont signé à Paris, le 22 septembre, l'an 1er de l'égalité et de la liberté.

 

Suivent cinquante et une signatures, celles entre autres de Lofficial, capitaine, Coste, lieutenant, et Dumas, sergent-major de cette compagnie de l'Égalité, à laquelle était attribuée l'initiative de la demande en faveur de Fournier. Viennent ensuite les signatures de Vernier pour tout le détachement de Toulon ; de Blochel, capitaine, pour les canonniers de la section du Finistère ; de Lemoine, capitaine, pour la 9e compagnie ; de Fieffé, capitaine de canonniers, pour sa compagnie ; d'Acquier, pour la compagnie de Briffault ; de Dijon, pour la compagnie d'Avignon. La plupart des autres signatures ne sont suivies que de la qualification de fédéré.

 

Deuxième certificat.

Paris, du 22 septembre, l'an tv de la liberté, le 1er de l'égalité.

Nous soussignés, volontaires nationaux à la section du Finistère, ci-devant des Gobelins, certifions que le citoyen Fournier, nommé pour aller à Orléans, pour la garde des prisonniers d'État, s'est comporté avec toute la décence et la fermeté qu'exigeaient les fonctions qu'il avait à remplir. C'est d'après les vœux de toute l'armée que ledit citoyen a résolu de conduire les prisonniers à Versailles. Ainsi il a donc été obligé de suivre la volonté générale. En foi de quoi nous lui avons délivré le présent arrêté.

Suivent quinze signatures sans aucune désignation.

 

Muni d'attestations aussi concluantes, Fournier se promena dans Paris, tête haute et toujours armé de ses pistolets, autre argument péremptoire à opposer à quiconque se serait permis d'incriminer sa conduite. Ce fut seulement le 5 octobre qu'il présenta au ministre de .l'intérieur le rapport de sa mission, accompagné d'un état des dépenses qu'elle avait occasionnées. Le dossier administratif des réclamations de l'Américain est certainement un des plus curieux que nos recherches nous aient fait découvrir.

Dans son compte rendu, Fournier ne dit pas un mot des motifs qui l'ont empêché d'obéir aux décrets de l'Assemblée nationale, ni des efforts qu'il a faits pour sauver les prisonniers confiés à sa garde. Il semble qu'il raconte une mission régulièrement accomplie. Il parle incidemment du crime de Versailles ; ce n'est sous sa plume qu'un détail insignifiant du voyage. Il ne songe point à se disculper. ; il n'a ni un regret, ni un remords, ni un mouvement de pitié. En revanche, il parle longuement des dépouilles restées entre ses mains, ou du moins de celles qu'il a déposées à l'Hôtel de ville.

Quant à son état de dépenses, il n'est ni beaucoup plus long, ni beaucoup plus clair, mais il l'est assez pour révéler à l'esprit le moins attentif et les désordres de la troupe et les malversations du chef.

 

Compte que rend à M. Rolland, ministre de l'intérieur, le sieur Fournier, citoyen, de la mission dont il a été honoré dans 1e courant du mois d'août dernier, par ordre du pouvoir exécutif.

1° Il a pris à Étampes, en allant à Orléans, deux pièces de canon avec leurs affûts, et trois caissons d'artillerie, le tout bien conditionné, et les a remis à l'Hôtel de Ville, dont le général Santerre doit rendre compte.

2° A Orléans il a fait remettre toutes les malles appartenant aux prisonniers d'État, ainsi que plusieurs autres effets, tant argenterie qu'autres objets trouvés dans les prisons ; le tout a été renfermé dans chaque chambre des prisonniers, dont il a lui-même fermé les portes et remis les clefs au geôlier, en présence de MM. Garran de Coulon et Bourdon la Crosnière, commissaires du pouvoir exécutif, pour le tout être remis à qui de droit.

3° Arrivé à Versailles, jour du massacre des prisonniers, tous leurs effets et bagages ont été remis entre les mains de la commune de Versailles ; ces mêmes effets m'ont été remis pour être déposés entre les mains du ministre de la justice, ce que j'ai fait en arrivant à Paris. M. Danton m'a observé qu'il fallait déposer le tout à l'Hôtel de Ville et ai rempli cette mission et ai fait faire un inventaire du tout, ainsi que d'une cassate qui m'avait été confiée, de même qu'un paquet que M. de Lessart m'avait remis en secret, contenant plusieurs lettres de change et d'autres papiers importants dont je me suis cru obligé de faire le dépôt plutôt que de le remettre à l'adresse qu'il m'avait indiquée.

4° Il a été remis par les volontaires du détachement de l'or monnayé et autre argent, ainsi que des billets national, montres et autres effets, à la commune de Versailles, en dépôt, pour en rendre compte.

Je certifie le tout sincère et véritable.

A Paris, ce 5 octobre 1792, an 1er de la République française.

FOURNIER.

 

État des dépenses faites par le sieur Fournier, commandant le détachement envoyé à Orléans par le pouvoir exécutif provisoire, depuis le 24 août jusqu'au 11 septembre 1792, an e de la République française.

1° Pour 1,531 hommes, suivant l'état coté n° 1, savoir :

1.000 citoyens gardes nationales pendant 18 jours, à 15 sols de décompte par jour, fait : 13.500 l.

Plus 531 hommes qui ont été accordés par le département d'Orléans, tant gardes nationales que troupes de ligne  Berwick et cavalerie, actuellement placés au camp de Paris pour neuf jours, à 15 sols : 3584 l. 5 s.

2° Une liasse de 31 pièces, montant à : 2.390 l. 6 s.

3° Une autre liasse de 43 bons : 619 l. 13 s.

4° Quittance de 517 1. 15 s. et 10 pièces justificatives : 517 l. 15 s.

5° Pour fourniture de 42 paires de souliers à 7 l. : 294 l.

6° Pour 2,200 brevets à 12 sols : 1.320 l.

7° Pour une voituré de pain achetée à Paris le jour du départ, 25 août : 100 l.

Pour la dépense de poste, etc. : 120 l.

Pour sept jours de dépense de 53 prisonniers, etc., à 2 livres : 742 l.

Pour différents déboursés énoncés mémoire ci-joint[2] : au 7.000 l.

Total : 30.187 l. 19 s.

Sommes reçues :

A l'Hôtel de ville, sur mon reçu, à la suite de l'arrêté de la commune : 6.000 l.

A Longjumeau, de MM. Bourdon et Dubail, commissaires : 600 l.

De la commune d'Orléans : 15.000 l.

Reste dû pour solde : 8.587 l. 19 s.

 

Etat des dépenses extraordinaires faites par M. Fournier, commandant le détachement envoyé sous ses ordres à Orléans par le pouvoir exécutif, qui sont à peu près, savoir :

Des dépenses considérables occasionnées par la mauvaise organisation des hommes qui s'étaient glissés pour chercher à mettre le désordre, dépenses qu'il faisait journellement, jusqu'à des vols qui se faisaient sous prétexte de faire des acquisitions. et ces mêmes gens disparaissaient, on ne pouvait plus les distinguer ; j'étais obligé de veiller pour mettre la paix ;

Dépenses pour les campements des canonniers et l'entretien journalier de l'artillerie ;

Dépenses pour les pailles pour coucher les prisonniers ;

Dépenses pour des fusils cassés et des tambours ;

Dépenses enfin que l'on ne finirait pas à en chercher le détail.

Si messieurs les ministres doutaient de la réalité de ma réclamation, j'offre de la faire attester par les officiers et volontaires du corps. Je rougirais ici, si, en vrai patriote, je vous rapportais les abus qui se commettaient journellement malgré ma surveillance, et que j'ai resté dix-huit jours sans me coucher.

J'ai continué jusqu'à ce jour les ordres que vous m'avez donnés, tant pour les soldats de Berwick et autres, la surveillance que m'a permise ma capacité et mon zèle à servir la chose publique, ainsi tous les ordres que vous voudrez bien me confier.

Le total des sommes de dépenses ci-énoncées se monte à la somme de sept mille livres.

 

Ainsi, d'après son propre compte, Fournier touche, le 24 août, 6.000 fr. sur la caisse municipale de Paris ; le 25 août, à Longjumeau, 600 fr. de la main des commissaires de Danton, Dubail et Bourdon ; le 4 septembre, 15.000 fr. de la commune d'Orléans, en tout 21,600 livres. Il présente un état de frais s'élevant à 30,187 livres 19 sols, et se constitue créancier d'une somme de près de 9.000 livres. Pour arriver à un pareil résultat, il compte la solde de mille hommes pendant dix-huit jours, c'est-à-dire du 24 août au 10 septembre inclusivement, quoique l'expédition ne datât légalement que du 26, et qu'en fait Bécard et la deuxième bande ne fussent partis de Paris qu'à cette dernière date. Il compte 530 hommes emmenés en plus par lui d'Orléans, et nous voyons, d'après les rapports des autorités d'Orléans, qu'une cinquantaine de gardes nationaux de cette ville et à peu près autant de soldats du régiment de Berwick s'étaient joints à la troupe pour le retour. Dans les propres rapports de Fournier, il est dit qu'un certain nombre de maraudeurs l'avaient quitté en route. N'importe, il Ies compte tous pour le prêt ; il n'appuie ses réclamations d'aucun état de présence, d'aucun document quelconque ; puis, quand il a tout compté, tout supputé au double et au triple de la dépense réelle, il termine sa réclamation en y portant une somme ronde de 7.000 fr. pour fusils cassés et paille fournie aux prisonniers, et autres dépenses que l'on ne finirait pas à en chercher le détail.

Aucune de ces monstrueuses irrégularités n'arrête un moment le ministre de l'intérieur ; il n'a pas même la curiosité de demander des renseignements sur les points obscurs du rapport, et particulièrement sur la manière dont cette escorte de 1.500 hommes a pu laisser égorger entre ses bras 53 prisonniers. Roland présente sur cette affaire deux rapports à la Convention, l'un le 5, l'autre le 6.

 

Monsieur le président de ta Convention nationale.

Paris, le 4 octobre 1791, an 1er de la République française,

Monsieur le président,

Je dois prévenir la Convention nationale que le sieur Fournier, chargé de conduire une force armée de mille hommes à Orléans, en ramena avec les prisonniers tous leurs effets, dont plusieurs sont très-précieux, tels que montres d'or à diamants, argenterie, assignats, etc. ; des malles remplies de hardes, et entre autres un paquet confié en secret par M. Delessart, contenant plusieurs lettres de change et d'autres papiers importants ; lesquels objets ont été remis à la commune de Paris par ordre de M. Danton, ministre de la justice.

Le sieur Fournier déclare également qu'il a été remis par les volontaires du détachement de l'or monnayé et de l'argent, ainsi que des billets nationaux, montres et autres effets à la commune de Versailles en dépôt, pour en rendre compte.

Comme les prisonniers d'Orléans étaient les prisonniers de la nation, s'il est une disposition à faire de leurs effets, elle ne peut et doit être faite que par la nation et en faveur de la nation. Or, je n'ai de connaissance de ces dépôts que par la dénonciation qui vient de m'en être faite ; je la transmets à l'Assemblée et je la prie de prendre une mesure qui empêche d'être nulles et sans effets toutes les demandes et réquisitions que je fais journellement au nom de la loi à la commune de Paris. Je vais écrire à celle de Versailles.

Le ministre de l'intérieur,

ROLAND.

 

Paris, le 6 octobre 1792, an 1er de la République,

Monsieur le président,

Le 26 août dernier, l'Assemblée nationale a rendu en décret portant que le pouvoir exécutif est tenu de faire passer à Orléans une force suffisante pour, de concert avec les citoyens d'Orléans, veiller à la garde et à la sûreté des prisant de cette ville, dans lesquelles étaient détenus les accusés auprès de k haute Cour nationale.

Le même jour, en vertu de ce décret, je chargeai le sieur Fournier de se transporter à Orléans avec mille gardes nationales parisiennes, pour donner une exécution entière à ce décret.

Le compte que ce particulier vient de me rendre de sa mission me parait être de nature à exiger que je le mette sous les yeux de la Convention nationale j'y joindrai quelques observations et j'attendrai les ordres de la Convention sur la conduite que je dois tenir pour terminer cette affaire.

Ce compte consiste dans les deux pièces ci-jointes :

L'une de ces pièces, cotée n° 1, présente un objet de dépense de 30.596 livres 5 sous[3], à compte de laquelle somme le sieur Fournier déclare avoir reçu celle de 21.600 liv., savoir :

Le 24 août, par la commune de Paris 6.000 liv.

Le 26 août, par deux commissaires : 600 liv.

Et le 4 septembre, par la commune d'Orléans : 15.000 liv.

Total : 21.600 livres

En sorte que ce particulier parait être en avance de 8,996 liv. 5 sous, dont il réclame le payement.

Je vois avec édification qu'il ne fait entrer dans ce compte ni le prix d'un cheval que je suis informé qu'il a perdu, ni la récompense qui lui est due pour les soins et peines qu'il s'est donnés dans cette périlleuse expédition où ses jours ont souvent été menacés par la troupe indisciplinée qu'il conduisait.

C'est à la Convention nationale à prononcer sur le dédommagement à accorder à ce citoyen, qui a montré beaucoup de zèle et de patriotisme...

Le ministre de l'intérieur,

ROLAND.

 

Ainsi Roland n'a que des éloges pour le complice au moins tacite des assassins de Versailles, et pas même un mot de pitié pour les victimes. Il ne s'aperçoit pas qu'on vole indignement le trésor public dont il est gardien ; la seule chose qui le préoccupe, c'est que la commune, avec laquelle il est depuis deux mois en lutte, a conservé entre ses mains les dépouilles des victimes. Quelle injustice ! quelle déprédation ! s'écrie Roland. Vous croyez qu'il pense aux familles ? Point ; c'est la nation qui, selon lui, doit hériter des gens qu'on a égorgés au nom du salut public.

Les deux rapports de Roland furent envoyés au comité de la guerre, parce qu'ils étaient relatifs à la soi-disant armée parisienne.

Le comité de la guerre faisait attendre son rapport. Fournier s'impatiente, et dans un même jour, le 13 octobre, il écrit deux fois à Roland. Le billet du matin n'est qu'une préface ; l'Américain a des scrupules, il fait au ministre cette confidence :

13 octobre 1792.

Monsieur le Ministre de l'intérieur,

Il me fut déposé entre mes mains, à Orléans, quatre croix de Saint-Louis, dont j'en ai remis deux à l'Assemblée nationale ; les deux autres ont été remises à deux officiers du détachement qui m'en ont donné un reçu ; prescrivez-moi, monsieur, ce qu'on doit en faire ; ne voulant rien prendre sur moi, mon premier devoir est d'en référer à vous.

FOURNIER.

 

Pris pour directeur d'une conscience si délicate, Roland se hâte de répondre :

14 octobre.

Monsieur Fournier,

Vous venez de me donner une nouvelle preuve de votre civisme et de votre honnêteté en m'informant que deux officiers du détachement que vous commandiez, lors de la mission dont vous avez été chargé pour Orléans, sont encore dépositaires chacun d'une croix de Saint-Louis. Je vous prie de les leur retirer sans délai, en leur rendant les reçus qu'ils vous en avaient passés, et de les déposer à la Convention nationale. Aussitôt que vous en aurez fait le dépôt, vous voudrez bien m'en instruire.

Le Ministre de l'intérieur,

ROLAND.

 

Le second billet contient la demande essentielle, le payement de ce que Fournier réclame pour solde de sa mission, de ce qui constituait la majeure partie de ses bénéfices. Il parle au nom de ses créanciers, c'est-à-dire de ceux qu'il avait avant son expédition, car c'est le cortège habituel de tous ces sacripants qui font des révolutions, des émeutes et des coups d'État pour payer leurs dettes. Roland n'y regarde pas de si près et appuie la réclamation de l'Américain d'une chaude apostille.

Au citoyen Ministre de l'intérieur.

Le citoyen Fournier, commandant le détachement chargé de la garde des prisonniers d'Orléans, a réclamé, à son retour, le payement des avances par lui faites ; et sur cette demande dont vous avez fait part à la Convention nationale, il a été renvoyé au comité militaire. Le citoyen Fournier, pressé par ses créanciers, vous prie, citoyen ministre, de recommander au comité militaire d'apporter une prompte décision dans cette affaire.

FOURNIER.

Paris, ce 13 octobre, an 1er de ta République.

En marge est écrit :

Je recommande, prie et sollicite le conseil militaire d'avoir à la demande de M. Fournier tout l'égard possible, sentant comme personne la justice de sa demande.

ROLAND.

 

Cependant la liquidation de ces comptes ne s'opérait pas avec la rapidité désirée par Fournier. Pressentant des réclamations, il veut se hâter d'y couper court en palpant d'abord les espèces. Il est obligé de revenir plusieurs fois à la charge ; ses obsessions finissent par arracher à Roland cette nouvelle lettre qu'il adresse à la Convention, et dans laquelle le malheureux ministre ne craint pas d'assumer la responsabilité morale de tout ce qui s'est fait à Orléans et à Versailles. C'est la dernière pièce, signée Roland, que nous ayons trouvée dans le dossier ; c'est aussi la condamnation définitive de cet homme auquel ses enthousiastes avaient décerné le titre de vertueux.

J'ai arrêté le compte du commandant Fournier pour l'expédition d'Orléans. J'étais autorisé par décret à faire faire cette expédition ; mais l'Assemblée n'a pas déterminé sur quoi seraient pris les fonds pour la dépense, et c'est sur quoi il y a lieu à prononcer.

J'ai fait ce qui m'était prescrit, le commandant Fournier a fait ce qui lui était ordonné. Il reste à payer la dépense, et c'est à la Convention nationale à décréter sur quels fonds elle doit être prise.

ROLAND.

Le 2 novembre, an 1er de la République.

 

Cinq semaines après, le 9 décembre, intervient enfin un décret qui met à la disposition du ministre de l'intérieur 30,598 livres 5 sous pour payement de la force armée envoyée à Orléans. Il y est dit :

La trésorerie nationale tiendra à la disposition du ministre de l'intérieur, jusqu'à la concurrence de la somme de 23.996 livres 5 sous, laquelle, jointe aux 6.600 livres que la commune de Paris a fournies au citoyen Fournier, et qu'elle portera en dépense dans les comptes qu'elle doit rendre, forme celle de 30.596 livres, pour être employées, s'il y a lieu, au payement des dépenses faites par la force armée envoyée à Orléans, en exécution de la loi du 26 août dernier, d'après l'aperçu fourni par le citoyen Fournier. Les comptes de dépenses présentés par le citoyen Fournier sont renvoyés au ministre de l'intérieur, chargé de nouveau de les vérifier et arrêter.

Roland venait de recevoir d'Orléans et d'Arpajon diverses réclamations qui semblaient devoir réduire de beaucoup la somme de 9.000 livres que l'Américain espérait toucher pour solde de tous comptes. Il faut voir dans sa correspondance comment il se débat contre les réclamations que les lenteurs administratives de la liquidation ont donné aux municipalités du Loiret et de Seine-et-Oise le tempe de faire parvenir.

 

Au citoyen Roland, ministre.

Paris, le 1er janvier 1793, l'an 1er de la République française.

Citoyen,

Pour répondre à toutes les demandes qui vous sont faites par plusieurs départements, notamment celui du Loiret, signées de la municipalité et autres idem, je vous déclare que je ne reconnais pas aucune des dépenses qui pourront vous être portées ; je proteste que je n'ai jamais donné d'ordre que par écrit. En conséquence, je proteste contre tous ceux qui pourront vous être présentés, et vous supplie de vouloir bien me les adresser. Ce n'est pas trois mois après une expédition que l'on fait des réclamations aussi insidieuses. Je suis bien étonné que la municipalité d'Orléans et la commune nous ait pas demandé aussi le payement de la (este qu'il a donné à l'armée parisienne, à son arrivée à Orléans. Si l'on a fait quelque générosité aux corps de garde des prisons, cela les regarde personnellement, citoyen ministre. Je vous prie instamment, aussitôt la présente reçue, toutes les réclamations quelconques qui vous seront faites, de me les adresser pour y répondre ; cette expédition ne doit plus vous importuner. Je prie instamment d'ordonner que le remboursement du dépôt que j'ai laissé me soit incessamment compté par le trésor national, conformément au décret. J'attends votre réponse pour me présenter, et suis avec fraternité,

Votre concitoyen,

FOURNIER, cul-de-sac du Doyenné.

 

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Au citoyen Ministre de l'intérieur.

En réponse de la vôtre du 11 février 1793 et de celle des officiers municipaux de la ville d'Arpajon au ministre de l'intérieur du 25 janvier, Fournier répond que toute la lettre de cette municipalité n'est qu'imposture ; le corps d'armée que Fournier commandait n'a point fait de séjour, ni couché en allant à Orléans, il n'a fait que brûler.

Il est encore faux que Fournier ait donné aucun pouvoir qui puisse autoriser personne à faire des bons. Fournier était parti de Paris trois jours avant Bécard et son détachement ; il n'a rejoint le corps d'armée de Fournier qu'à Étampes. En conséquence, Fournier proteste contre toutes les dépenses qui n'auront pas été souscrites par lui et de sa main ; la municipalité d'Arpajon peut s'adresser au citoyen Bécard, qui répond de ses actions, et, s'il est vrai qu'il était sous mon commandement à Arpajon, je déclare que lorsque j'ai rendu mes comptes, tant à la Convention qu'au Ministre de l'intérieur et à la commune de Paris, je n'ai jamais porté aucun compte des dépenses du citoyen Bécard ; je ne devais en être responsable que lorsqu'il a été sous mon commandement.

Je prie le Ministre de vouloir bien, à vue, faire ordonner que je sois liquidé sur le champ, et vous ferez justice.

FOURNIER.

Ce 13 février 1793. .

 

De guerre lasse, il fallut bien contenter Fournier, qui était armé du décret du 9 décembre 1792. On écarta toutes les réclamations des divers marchands de Versailles et d'Orléans, dont les fournitures n'étaient pas appuyées de pièces justificatives ; seulement on fit acquitter par le trésor public 824 livres 14 sous à la municipalité d'Arpajon, pour fournitures délivrées au détachement du sieur Bécard, sur les bons souscrits par cet officier.

Fournier donna quittance du solde qui lui fut compté et ne fut nullement inquiété jusqu'au moment où, en l'an in, les idées de morale et de justice ayant repris quelque empire, le tribunal de Versailles se saisit de l'affaire des meurtres de Versailles et voulut en demander compte à Fournier. On verra dans la note XXVII ce que devint l'homme à face livide et sinistre, comme l'appelle Mme Roland.

 

 

 



[1] Il est curieux de trouver reproduit contre les prisonniers d'Orléans le même reproche banal fait aux prisonniers de Paris par plusieurs des organisateurs des massacres, d'avoir l'audace de menacer les sentinelles. Cela prouve que cette calomnie était un mot d'ordre donné pour excuser les violences et les meurtres dont les prisonniers d'Orléans et de Paris allaient être victimes.

[2] Voir ci-après l'état de ces dépenses extraordinaires montant à 7.000 fr.

[3] Fournier, parait-il, avait ajouté à son compte de la veille quelques nouvelles dépenses, puisque de 30.187 livres 10 sous, le total montait le lendemain à 30.596 livres 5 sous.