HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

XXIV. — LETTRES ÉCRITES PAR LES PRISONNIERS D'ORLÉANS DURANT LEUR VOYAGE À VERSAILLES.

 

 

Nous croyons devoir donner presque in extenso les lettres écrites par les prisonniers de la haute cour, durant leur voyage d'Orléans à Versailles, et confiées au chef de l'armée parisienne, Fournier l'Américain, lettres qui ne furent point remises à leurs adresses, mais détournées par l'indigne dépositaire. Nous supprimerons seulement de quelques-unes d'inutiles répétitions ou des détails de trop peu d'importance.

Il n'existe pas de lettres de M. de Cossé-Brissac, mais nous en avons retrouvé des trois autres prisonniers que nous avons spécialement nommés au commencement de notre récit (livre XIII, § VI), MM. d'Abancourt, Delessart et Estienne Larivière. Des deux billets émanés de ce dernier, le premier est daté du 3 septembre, d'Orléans, et ouvre par sa date la série des lettres que nous avons eu le bonheur de retrouver.

A madame Senemand, née Estienne, à Limoges.

Je te prie, ma chère amie, d'instruire nos frères et sœurs que je dois être transféré avec tous les prisonniers de la haute cour demain à Saumur ; nous en sommes prévenus à l'instant et je t'avoue qu'il m'est impossible d'écrire plus longtemps. Adieu.

ESTIENNE LARIVIÈRE.

Orléans, le 3 septembre 1792, l'an IVe de la liberté.

 

A Monsieur Théodore Grenier, négociant, rue Saint-Louis-du-Palais, à Paris.

Nous sommes en route pour arriver à Paris. Je vous écris d'Étampes où nous sommes arrivés après trois jours de route. Je ne vous dirai pas, monsieur, tout ce que j'ai à souffrir en voyant les menaces de douze ou quinze personnes qui m'accusent d'être le plus cruel ennemi du peuple, d'avoir manqué à mes devoirs et trahi les fonctions qui m'étaient confiées. La mort qu'on m'annonce sera certainement un bienfait, et je la verrai sans me plaindre ; mais, mon cher collègue, il est affreux de prévoir que lorsque je ne serai plus, plusieurs personnes auront à se plaindre. Je ne laisse aucune fortune. Tout mon avoir consiste dans mon mobilier qui ne suffira pas pour payer. Prévenez, je vous prie, les dilapidations et faites en sorte que ceux qui auront à se souvenir de moi puissent dire : il mourut pauvre, mais il n'a rien fait perdre : je vais m'occuper de faire un état des personnes à qui je dois et du montant de leurs créances ; j'y joindrai l'état des petits recouvrements que j'ai à prétendre.

Adieu pour la vie[1].

 

Il existe deux lettres de M. d'Abancourt, toutes les deux datées, l'une du 7, d'Étampes, l'autre du 8, d'Arpajon. La première est adressée à un de ses amis intimes, l'autre à son homme d'affaires à Metz. Ce ministre, honnête homme, que les événements qui se succédèrent si rapidement avaient élevé en un moment du grade de lieutenant-colonel à celui de ministre de la guerre, n'était préoccupé, quelques heures avant de mourir, que de l'obligation de rendre un compte exact de sa gestion régimentaire ; car il n'avait pu l'établir ni pendant les dix jours de son ministère (du 1er au 10 août 1792), ni pendant les premiers moments de sa captivité.

A Monsieur Saint-Honoré, lieutenant-colonel du génie, à Paris.

Étampes, ce 7 septembre.

Vous aurez vu, mon cher Saint-Honoré, que les détenus d'Orléans, en vertu d'un décret de l'Assemblée, devaient être transférés à Saumur. Mais il en a été décidé autrement par les circonstances, et notre translation a lieu pour Versailles où nous arriverons le 9 ; j'ai un grand désir d'avoir de vos nouvelles et je désirerais bien savoir si vous auriez songé à causer de moi avec Dobterre et vos autres camarades. Adieu encore, mon cher Saint-Honoré, donnez-moi de vos nouvelles et croyez à l'amitié constante que je vous ai vouée pour la vie.

D'ABANCOURT.

 

Arpajon, le 8 septembre 1792, an IVe de la liberté.

Je vous annonçais par ma dernière, monsieur, que je vous ferais part de quelques dispositions, pour lesquelles je vous demanderai la même attention et la même exactitude que vous avez bien voulu mettre dans les différents objets que je vous ai confiés. Ne pouvant prévoir les événements qui m'attendent, quoique rassuré pour ce qui me concerne, mon cœur serait trop affligé de penser que quelqu'un avec qui je puis avoir des intérêts eût à souffrir de la sécurité que devait me donner ma position éloignée de toute espèce d'affaire. J'aurais désiré pouvoir donner à ceci plus d'authenticité, mais elle doit suffire pour la nature des objets dont il est question.

J'ai reçu du conseil d'administration du 5° régiment de chasseurs à cheval, dont j'étais lieutenant-colonel, une somme de 4.000 fr. pour pourvoir au payement de diverses fournitures que je m'étais chargé de prendre à Paris pour ledit régiment. N'ayant pas mes papiers sous mes yeux, je dois avoir recours à ma mémoire qui peut-être ne sera pas aussi exacte que je le désirerais, mais (un nom illisible) vous donnera des notions suffisantes : le premier objet est deux mille six cents et tant de livres dues au sieur Clément, maitre tailleur.

Suit le détail de cinq comptes inutiles à reproduire.

Je vais à présent vous entretenir de ce qui m'est personnel. J'ai, comme vous le savez, divers objets d'intérêt avec M. de Villeneuve... Je vous ai remis d'autres papiers relatifs à des rentes... il y en a pour lesquelles il faudrait retirer des coupons, ne m'ayant pas été remis lorsque j'ai fait toucher les derniers. Si je devenais réduit à l'impossibilité de lui rendre ces objets moi-même, voudriez-vous bien lui annoncer qu'ils sont entre vos mains. Mais, comme je vous le dis, vous attendrez que je sois réduit à cette impossibilité... Il me reste encore à liquider trois objets à Nancy... Toujours supposant mon impossibilité de faire mes affaires et qu'il ne me soit plus possible de m'en occuper, vous voudrez bien dans ce cas acquitter les objets courants que je puis avoir, qui consistent dans mon loyer et mon tailleur, et mes gens. Voilà, monsieur, mon cœur bien soulagé ; vous ne ferez cependant usage que suivant les circonstances. Je ne puis que vous offrir les témoignages de ma reconnaissance et de mon attachement.

D'ABANCOURT.

 

La lettre suivante est sans signature ; mais nous n'hésitons pas à l'attribuer à M. Delessart, l'ancien ministre des affaires étrangères de Louis XVI. Il y est question d'une certaine cassette à laquelle le signataire semble attacher une très-grande importance. Or, dans la correspondance de Fournier avec Roland, le général de l'armée parisienne parle de cette cassette comme lui ayant été remise par M. Delessart. Le doute n'est donc pas possible.

Étampes, le 7 septembre.

Nous avons séjourné comme il nous avait été promis ; nos commandants, joints aux commissaires venus de Paris, ont eu toutes les peines du monde à nous éviter Paris, quoique porteurs de décrets positifs. Mais ils ont eu une effervescence qui, de notre retraite, nous a paru telle qu'elle nous avait persuadés que nous allions être perdus sans ressource. Enfin ils ont tant fait et y ont mis tant d'intérêt que nous l'avons échappé et allons à Versailles. Il y a un excellent fonds dans notre escorte. Mais vous savez comme il faut se mettre en quatre dans les moments d'effervescence, et, d'après cela, vous devez être comme nous, persuadés que nous devons la vie aux chefs.

Je vous assure que dans ce moment nous sommes devenus très-tranquilles, parce que nous avons à espérer d'être promptement jugés par un nouveau tribunal qu'on nous annonce, qui sera formé de suite exprès pour cela, et, à moins d'effervescence nouvelle, nous aimons à nous persuader que nous ne courons plus de dangers, et même l'expérience que nous venons de faire nous donne à croire que, s'il renaissait des risques, rien ne serait épargné pour nous les éviter. Au reste, Dieu, mon innocence, voilà mon tout ; et je vous assure que, moi comme les autres, j'avais fait le sacrifice de ma tête et n'éprouvais d'angoisses que de l'idée horrible que, si je périssais dans un tumulte de Paris, j'aurais à éprouver non-seulement le long martyre de l'abbé de Fiquelmont, mais encore l'horrible spectacle du martyre de mes cinquante-deux compagnons d'infortune. Cependant, comme il ne faut crier victoire que sur le haut du fossé et que nous n'y sommes pas encore, je ne change rien aux dispositions de ma lettre d'hier. Seulement je vous observerai que la cassette que je vous ai annoncée, qui devait être remise aujourd'hui à l'un des curés d'Étampes, est au contraire déposée entre les mains de M. Fournier, commandant en chef de l'escorte, qui l'a prise dans ses propres effets pour plus de sûreté, et qui me la remettra quand il sera temps ou qui, en cas d'accident, s'est chargé de la remettre ou faire passer à la personne de Metz qui alors la réclamerait. Or cette cassette a sur son couvercle, écrit sur le bois près de l'anse, mon nom ; et vous seul êtes instruit du dépôt, d'où je conclus que votre réclamation, sans autre renseignement que ce détail que je vous fais, suffira pour vous valoir près M. Fournier titre suffisant de réclamation.

J'embrasse de tout mon cœur, mère, enfants, tous mes amis, et finis pour envoyer à temps cette lettre à M. le commandant Chappes.

Le peuple de Versailles sera-t-il bon ? Voilà maintenant ce qui décidera de notre sort. Je ne sais pas s'il est sujet à de grands mouvements de fermentation ou s'il se tient facilement sous l'empire de la loi.

 

Il y avait parmi les prisonniers d'Orléans vingt-huit officiers du régiment de Cambrésis, devenu le 20e régiment d'infanterie, et sept bourgeois et artisans de Perpignan qui avaient été arrêtés sous une seule et même accusation, celle d'avoir voulu livrer cette place aux Espagnols. Nous avons retrouvé les lettres d'un grand nombre de ces infortunés.

Commençons par les lettres des officiers et surtout des plus jeunes d'entre eux, de ceux qui avaient encore de longs jours à espérer, des parents à chérir, peut-être des fautes à expier. Les premières que nous allons donner, peut-être les plus touchantes, sont du jeune La Blinière. Nous ne les avons jamais pu lire sans un effroyable serrement de cœur, car on sent que leur signataire n'est pas un héros de roman ; il a vécu, il a souffert, il a prié, il a arrosé de ses larmes le papier que nous avons tenu entre nos mains. Trois jours après avoir mis son nom au bas de ces deux lettres, il a paru devant Dieu, ainsi qu'il l'avait prévu lui-même.

Étampes, le 6 septembre 1792.

Père et mère infortunés, vous aurez déjà versé bien des larmes quand cet écrit vous parviendra. Prévoyant les douleurs qu'il vous causera, je ne le destine à vous être présenté que lorsque les premières que vous aura causées ma triste fin seront passées ; mais le croyant indispensable pour la tranquillité de ma conscience, je me fais une indispensable nécessité de vous le faire parvenir. Prêt à rendre compte à Dieu de mes actions, pouvais-je espérer qu'il me fit miséricorde si je ne vous demande un dernier pardon de mes torts envers vous, et si je ne vous en faisais l'aveu ? Je me les reproche comme je me reproche en ce moment les erreurs de ma vie. Je vous ai trompés et vous ai causé des chagrins par mon inconduite ; elle a été telle que mon âme est oppressée par la douleur qu'elle me donne. Ce temps que j'ai passé loin de vous et que j'ai donné à mes plaisirs a produit la source de toutes vos peines. J'ai laissé enfin une malheureuse créature, fruit de mon commerce avec une fille avec laquelle je vis depuis mon arrivée à Bayonne. Cette innocente perd son père, qui d'avance verse des larmes sur son sort, quoique sa mère, faite pour s'immoler afin de lui procurer une aisance par son travail propre à la dédommager de la malheureuse condition où la condamne sa naissance, lui reste. Par bonheur autant que par nature, je me suis cru obligé de la recommander à mon frère dès l'instant qu'elle vit le jour. Je mis des lettres entre les mains de sa nourrice pour qu'au cas que quelque événement imprévoyable me retirât du monde, il en prit soin et eût pour elle les bontés que son cœur et son amitié pour moi lui suggéreraient. Je le priai, n'ayant pas de droits par moi-même, de lui faire 600 livres de rente ; depuis que la noirceur et la calomnie m'ont mis dans les fers, je lui ai réitéré la même prière par une lettre que j'ai adressée pour lui à mon intime ami Gérard. Je disais aussi à cet ami de se charger de régler quelques affaires. J'espère que l'un et l'autre seconderont mes intentions et se réuniront pour donner secours à ma pauvre petite fille et à veiller à sa conduite. Elle est sous la sauvegarde de tout ce que j'ai de plus cher après vous et je me sens rassuré sur son compte. Cependant je ne le serais pas entièrement si, en vous la faisant connaître, je ne vous implorais en sa faveur. Ayez donc pitié d'elle en pardonnant les égarements de son père, et dites-lui que si le ciel l'eût conservé, il aurait fait tout ce qu'il aurait pu dans le monde pour la consoler d'être née sans nom, sans rang et couverte de l'ignominie qu'une prévention barbare répand sur les enfants illégitimes. Je vous en conjure, mon tendre père, et vous aussi, mère inconsolable de ma cruelle mort, ne l'abandonnez pas. J'ai aussi de l'attachement pour celle qui lui a donné le jour. Elle le mérite, et je serais le plus ingrat de tous les hommes si je n'étais pas reconnaissant de l'amour qu'elle a pour moi et de sa sensibilité à mon affreuse position ; ma crainte est de lui causer la mort par la mienne, et qu'alors notre fille ne restât la plus à plaindre de toutes les créatures si vous la dédaigniez. Mais c'est votre sang, ma mère, la voix de la nature m'est un sûr garant que vous en aurez pitié. Sa mère se nomme Dominica Ducasse, marchande de modes. Ma fille, née le 17 décembre 1786, fut baptisée sous le nom de Gracieuse-Thimothée ; ce fut la sage-femme qui lui fit donner ce nom ; mais le chirurgien-major du régiment, appelé Goy, voulut être son parrain, en choisissant une marraine, et tous les deux lui substituèrent le nom de Marie-Jeanne de Bellegarde. Le vicaire de la paroisse Notre-Dame, nommé Bérygoyen, leur permit de faire les changements sur les registres ; ainsi vous pourrez vous procurer son extrait de baptême par ces renseignements. C'est assez vous avoir intéressés pour elle et pour sa mère ; je les aime toutes les deux ; je les plains et verse des larmes de sang sur la perte qu'elles vont faire. Il me reste peut-être peu d'heures, trois jours au plus pour vivre. Je tire donc dès celle-ci un rideau entre le monde et moi, je ne vois plus que les tourments qui m'attendent ; je ne dois m'entretenir que du compte que je rendrai à Dieu de mes actions.

Il me revient un remords de conscience ; en 1784, l'hiver que j'étais chez vous, je fis plusieurs engagements, entre autres celui d'un nommé Derieux, de la paroisse de Cœsme, que je tirai des prisons pour l'engager peut-être d'une manière forcée, et que je dégageai ensuite ; il me promit trois louis pour avoir sa liberté, mais il ne m'en donna qu'un, les deux autres devaient vous être remis ; rendez-lui celui que j'ai touché, car je ne crois pas qu'il me fût dû. Maintenant il me reste à vous faire mes adieux, comment vous les exprimer ? c'est à Dieu, s'il me fait miséricorde, que je demanderai pour vous ses bénédictions et sa grâce ; qu'il vous accorde des jours tant que vous pourrez faire du bien à vos semblables, et qu'ensuite il vous donne le bonheur dans l'autre vie.

R.-N.-F. POUGRET DE LA BLINIÈRE.

 

A Étampes, le 7 septembre 1792.

Je ne crois pas avoir longtemps à vivre, mon ami. Par la date de la présente, vous verrez que nous sommes en route pour Paris. Je vous préviens que je viens d'adresser mes dernières volontés pour être remises à ceux auxquels je les ai cachées jusqu'à présent. Au terme où je suis, on ne peut plus cacher ses affaires ; vous aurez donc plus de facilité à faire connaître ce que je vous ai confié d'après ce que j'ai fait.

J'ai écrit à M. Fuet pour le prier de vous envoyer mon portemanteau avec la petite boîte qu'il a depuis longtemps. Il vous fera passer aussi 938 liv. que M. Duroux père a touchées de ce qui m'était dû. Vous ferez payer 2.110 liv. que je dois à M. Goy, chirurgien du 20e régiment ; il a un billet. Jouen en a aussi un de 100 liv. que je lui dois ; je suis de plus, redevable à Maillé d'un louis. Voilà le reste de mes affaires, mon cher ami, dont j'espère que vous m'acquitterez. Le reste des 938 fr., ainsi que tous mes effets, sont, comme vous le savez, pour ma triste amie ; consolez-la et protégez-la, et faites pour la mère et la fille tout ce que votre attachement pour moi vous dictera. Adieu, mon cher Gérard, je suis si près de ma fin que je ne pense plus à ce monde ; recevez donc mon dernier adieu et conservez le souvenir de votre malheureux ami,

LA BLINIÈRE.

Je n'ai pas la force d'écrire à celle que j'aimerai jusqu'à mon dernier soupir ; dites-lui après moi mes derniers sentiments pour elle et pour l'objet de notre commun amour. Adieu.

Votre cousin attend son sort avec impatience, mais il n'en perd ni la gaieté ni l'appétit. Qu'il est heureux ! il est seul dans ce monde, et les douleurs de son cœur ne font pas ses tourments. Il vous embrasse ainsi que moi, et tous les deux nous nous recommandons aux prières de Mme Gérard.

 

Les deux lettres suivantes sont adressées par le même officier à deux représentants de la Législative ; le premier, Taillefer, montagnard, qui devint conventionnel, vota la mort de Louis XVI ; le second, Delfau, membre de la droite, et dont nous avons rapporté le courageux discours dans notre premier volume, livre III, § IX.

A Monsieur Taillefer, député à l'Assemblée nationale.

Étampes, le 6 septembre 1792.

Monsieur et cher cousin,

Accusé, avec trente-cinq autres malheureux comme moi, d'avoir eu l'intention de livrer la ville de Perpignan à des ennemis qui n'ont jamais existé et que personne n'a jamais vus, j'ai été compris dans un décret de l'Assemblée nationale ; il y a neuf mois que nous gémissons dans les prisons sans avoir pu obtenir un jugement, quelques démarches que nous ayons pu faire. Au bout de tout cela, on nous traduit fort durement à Paris ; et c'est notre escorte, du moins une partie, qui nous prédit que nous serons déchirés, quelque précaution qu'ils puissent prendre, en arrivant, ou dans les prisons. Nous croyons être à l'abri de tout reproche, persuadés que nous avions donné les meilleures preuves de notre civisme en observant la loi et la faisant observer autant qu'il nous était possible par nos soldats, point sur lequel ils nous ont rendu justice dans l'adresse qu'ils ont adressée à l'Assemblée nationale et qui fait pièce à notre procès. Je suis persuadé, mon cher cousin, que si vous vouliez venir au-devant de nous avec mon cousin Delfau, vous pourriez nous préserver de grands malheurs. J'ose assez compter sur votre attachement, quoique je n'aie pas l'honneur de vous connaître, pour espérer que vous voudrez bien le faire et nous faire juger de suite. Si nous avons le temps d'arriver à la prison, notre procès n'a besoin que d'un moment d'examen pour en voir toute l'absurdité. Je ne vous parle pas d'une route de vingt-neuf jours qu'on nous a fait faire dans l'hiver, d'une manière si dure que ce que nous avons éprouvé serait bien seul capable d'expier les plus grands crimes ; c'est bien malheureux quand on est accusé d'un crime qui ne pouvait pas exister. Nous nous étions tous promis de servir la patrie d'après les lois, et, jusqu'à notre malheureuse arrestation, aucun officier n'avait quitté son poste. J'ose croire que vous voudrez me donner la consolation que je vous demande en qualité de parent et de pays ; ma reconnaissance sera éternelle, je vous prie d'en être persuadé, comme du respectueux attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, etc.

ADHÉMAR AÎNÉ.

 

A Monsieur Delfau, député à l'Assemblée nationale.

A Étampes, le 6 septembre 1792.

On nous transfère à Paris, très-cher cousin, après neuf mois de prison. La plus grande partie de notre escorte nous prédit que nous serons massacrés en entrant dans la capitale Veuillez venir au-devant de nous, avec les marques distinctives de votre caractère ; vous ayant avec nous, je suis persuadé que nous serons à l'abri de tous les malheurs qui nous menacent ; nous sommes trente-cinq accusés dans le décret où je suis compris, sans aucune preuve. Nous avons gémi dans les prisons sans pouvoir obtenir un jugement. Si nous pouvons arriver dans les prisons, nous vous prions de vous intéresser pour nous faire juger le plus tût possible ; en voyant les pièces de notre procès, on verra les absurdités relativement aux intentions qu'on nous a supposées ; ne manquez pas de venir comme je vous le demande, mon très-cher cousin. J'ose croire que vous voudrez nous donner cette marque d'attachement. J'ai écrit à M. Taillefer pour le même objet ; je l'ai prié de vous en parler. Je suis persuadé que vous ne négligerez rien pour mettre nos jours en sûreté, et vous prie de me croire, etc.

ADHÉMAR AÎNÉ.

Mon frère me charge de vous dire les choses les plus honnêtes de sa part.

 

Pendant qu'Adhémar l'allié écrivait cet appel désespéré à deux parents, qu'en mourant il dut à tort accuser d'indifférence, son plus jeune frère s'efforçait de rassurer sa mère.

A Madame Adhémar à Belvès (Dordogne).

Étampes, le 7 septembre 1792.

Ma très-chère mère,

Nous sommes à la dernière journée de Paris, nous ne savons pas notre destination ; le général qui commande notre escorte a les meilleures intentions pour nous préserver des malheurs dont nous sommes menacés, ainsi que toute la troupe. Veuillez être rassurée sur notre compte ; quant à nous, nous le sommes, étant revêtus de l'innocence à l'abri de tout reproche. Ne vous donnez pas au chagrin ; on nous rendra justice. Je suis, avec le plus profond respect,

Votre soumis fils,

ADHÉMAR.

Mon frère se porte très-bien, me charge de vous assurer de son respect ; mon cousin vous fait les mêmes assurances.

 

Il y avait également, dans le régiment de Cambrésis, deux officiers du même nom de Montyon. Nous avons trouvé trois lettres signées de ce nom, mais sans prénom ; du reste, les deux frères étaient animés des mêmes sentiments envers leurs parents.

Madame de Montyon, près de l'Esplanade, à Arras.

Étampes, le 7 septembre 1792.

Nous sommes arrivés hier soir, chère mère, en très-bonne santé ; il est probable que nous pourrons obtenir un jugement plus prompt : c'est tout ce que nous désirons depuis longtemps. Après une captivité de neuf mois, la liberté nous sera plus précieuse ; il en est de cela comme de la santé, dont on ne connaît bien le prix que lorsqu'on a été longtemps malade. Soyez sans inquiétude sur nous ; notre garde, ainsi que leur commandant, paraissent disposés à nous garantir de tous événements fâcheux. Leur désir est d'accélérer notre jugement pour voir les innocents séparés de ceux qui ont le malheur de ne pas l'être. Certains que nous n'avons rien à nous reprocher, nous soupirons après le moment de nous justifier. Dès que nous serons libres nous volerons dans vos bras et nous y oublierons toutes nos souffrances et nos malheurs ; c'est le seul dédommagement que nous ayons à attendre ; il suffit à nos cœurs.

Mille tendres amitiés de notre part à mon père et à la petite Goton. Adieu, ma chère mère, nous vous embrassons de tout notre cœur et nous vous aimons de même. Notre attachement durera autant que nous.

MONTYON.

 

Madame Durand de La Roque, à Saint-Hippolyte, dans les Cévennes, en Languedoc.

Étampes, le 7 septembre 1792.

Je profite d'un séjour que nous faisons ici, ma chère tante, pour vous donner une marque de souvenir et vous en renouveler les assurances ; dans la position où nous sommes, il faut mettre à profit le présent, car l'avenir est incertain. Que cette réflexion ne vous alarme pas ; il est très-vrai que nous courons des risques, mais notre escorte et leur commandant sont très-résolus à nous en garantir autant qu'il dépendra d'eux. Nous sommes partis mardi d'Orléans, au nombre de cinquante-trois, pour être transférés dans les prisons de Paris. L'Assemblée n'a pas approuvé ce voyage et a envoyé en conséquence une commission pour arrêter notre marche pour cette ville ; on dit que nous n'y allons plus et que nous serons conduits à Versailles. Nous devons partir demain et nous arriverons à notre destination après-demain. Notre manière de voyager est peu agréable, mais notre route de Perpignan nous a aguerris. Nous nous trouvons moins malheureux que nos autres compagnons d'infortune à qui cette manière doit paraître bien pénible. Nous soupirons tous après le moment de notre arrivée, parce qu'on nous fait espérer un prompt jugement. Vous savez que nous soupirons après depuis bien longtemps ; il est affreux d'être privé de sa liberté lorsqu'on n'a aucun reproche à se faire et que l'on est victime de la calomnie.

MONTYON.

Attendez pour m'écrire que je vous donne de nouveau de mes nouvelles. Adieu.

 

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Monsieur de Montyon, maréchal de camp, par Massine, à Blesle, en Auvergne.

Étampes, le 7 septembre 1792.

Nous voici ici depuis hier, mon cher oncle, et nous partons demain pour Versailles. On nous conduisait à Paris, mais l'Assemblée ne l'a pas voulu. Notre santé est assez bonne, quoique notre manière de voyager soit très-fatigante. Nous sommes cinquante-trois prisonniers ; ce qui nous console d'une translation désagréable, puisqu'il n'est question que de changer de prison, c'est l'espoir d'être bientôt jugés et de pouvoir prouver notre innocence. Soyez sans inquiétude sur notre compte, les gardes nationales qui nous escortent paraissent très-disposées, ainsi que leur commandant, à nous garantir des risques du voyage. Le peuple nous croit coupables parce que nous sommes accusés : l'expérience lui prouvera que cette manière de juger est injuste ; il me tarde bien d'être libre pour pouvoir aller dans ma famille me dédommager de neuf mois de la plus dure captivité.

Adieu, mon cher oncle, je vous embrasse tendrement et suis pour la vie le plus affectionné de vos neveux.

MONTYON.

 

Transcrivons maintenant, sans ordre, les lettres émanées d'autres officiers du régiment de Cambrésis, et rétablissons, autant qu'il est possible, les signatures qui ne se trouvent pas au bas de quelques-unes de ces lettres. Pour ce travail de recherches, nous nous servons : 1° de l'acte d'accusation dressé contre ces officiers et inséré au Moniteur de 1791, n° 349, et des reçus donnés par Fournier et Bécard, lorsqu'ils prirent livraison des prisonniers qu'ils devaient conduire aux assassins apostés à Versailles.

Voici d'abord plusieurs billets très-courts. L'espérance d'être bientôt libres éclate à chaque ligne :

A Monsieur Mazelaigne (Paul), vis-à-vis les Minimes, paroisse Saint-Justin, à Lyon.

Étampes, le 6 septembre 1792.

Tu vois par ma lettre, mon bon ami, que nous faisons une route contraire à celle que je t'ai annoncée il y a deux jours. J'aime bien mieux aller à Paris, parce que j'espère que l'on nous jugera bien vite ; il est bien temps, depuis neuf mois que nous ne pouvons l'obtenir. Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur[2].

 

Mademoiselle Grammont, à Villefranche, département d'Avignon.

D'Étampes, le 8 septembre.

Par la date de cette lettre, vous verrez que la translation à Paris dont je vous ai parlé s'est effectuée. Jusqu'à ce moment j'ai fort bien soutenu les fatigues de cette manière de voyager. Je vois avec plaisir approcher le moment où des juges démontreront à la France entière le vrai but de notre conduite par un jugement dicté par l'équité et légalement rendu. Adieu, je vous écrirai quand je serai rendu à ma destination et que je serai certain que vos lettres me parviendront.

CHARLES LELAYROUL.

 

A Madame de Saint-Jouan, à Saint-Malo, Ille-et-Vilaine.

Étampes, à 12 lieues de Paris, 7 septembre.

Encore un mot, ma chère maman ; depuis dix jours nous avons plusieurs fois changé de destinée. L'autre jour nous partions pour Saumur, hier pour Paris et demain pour Versailles. Voilà, ce me semble, où nous devons séjourner sous la garde de Dieu et celle de MM. de la troupe nationale parisienne. Je ferai mon po4sible pour vous donner de mes nouvelles. Veuillez me rappeler au souvenir de ma famille et surtout des personnes qui tous entourent. Je n'ai aucun mérite à les aimer, je ne fais que céder à une impulsion de mon cœur, mais je les prie de songer quelquefois à celui qui est tout à vous et à elles.

J'ai remis à quelqu'un de confiance une lettre qu'il vous fera passer s'il y a lieu. Je ne l'ai point signée, mais je vous la recommande. Ma tranquillité serait troublée si je pouvais croire qu'il en fût autrement. Il me coûte de vous quitter, mais enfin il le faut[3].

 

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Viennent ensuite d'autres lettres beaucoup plus sombres. On voit que les infortunés qui les écrivirent ne conservent que très-peu d'espérances et qu'ils pressentent déjà où on les mène.

A Mademoiselle Pargade[4], à Pau (Basses-Pyrénées).

Étampes, le 6 septembre.

Encore une dernière épreuve, ma chère et tendre sœur, pour toi. Mes maux paraissent être à leur comble ; ils vont vraisemblablement finir ; prépare ma malheureuse maman à lire cette lettre fatale et dites l'une et l'autre que je ne serai plus lorsque vous la recevrez.

Je ne m'attendais pas, ma chère maman, de dater ma lettre d'Étampes ; on a voulu absolument nous mener à Paris. J'ai demandé l'agrément de pouvoir vous écrire encore une fois ; je ne vous cache pas que je suis bien persuadé que vous n'en recevrez jamais d'autre de ma main. Ma plus grande peine est de vous laisser en proie à une douleur 'éternelle ; pour ce qui me regarde, j'ai fait le sacrifice de ma vie en rapportant toutes mes pensées à Dieu. Si quelque chose peut adoucir ma position, c'est de savoir que je n'avais point mérité ma destinée, de connaître mon innocence. Puisse-t-elle faire votre consolation ! C'est le dernier vœu que je forme. Sarrante est resté à Orléans. Mes malheurs le ramèneront auprès de vous. Sa conduite auprès de moi est inimitable, ses bienfaits seront gravés dans mon cœur tant que je respirerai, vous vous en rappellerez également ; je suis forcé de céder ma plume à mes camarades d'infortune, pour jouir de cette dernière douceur. Adieu, ma très-chère sœur et trop sensible mère, que de pleurs ne verserez-vous pas dans toute votre vie !

Nous arriverons dimanche à Paris.

 

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Monsieur Larivière, administrateur du département de la Haute-Garonne, rue des Filateurs, à Toulouse[5].

Estampes, le 6 septembre 1792.

Mon départ d'Orléans te surprendra sans doute, mon cher ami, et je t'avoue que j'en ai été plus étonné que tu ne le seras sans doute. Rien, jusques il y a huit jours, ne nous promettait ce changement de domicile, mais le destin en a décidé autrement ; il faut suivre son sort. 1.500 hommes de la garde nationale parisienne sont venus à Orléans pour partager auprès de nous le service des habitants de cette ville. Leur séjour dans cette ville n'a attiré encore aucun événement fâcheux ; mais le troisième jour est arrivé un ordre de l'Assemblée nationale, je crois, pour nous transporter à Saumur. Le chef des volontaires parisiens et le corps entier ont eu des raisons pour changer notre destination, et notre départ pour Paris a été décidé. Nous nous sommes donc embarqués le 4 et arrivés ici il y a deux jours. Nous y séjournerons demain et arriverons dimanche dans la capitale. Nous désirerions jouir de l'incognito, mais cela ne se peut pas ; à deux heures après midi, 53 prisonniers et une escorte de 3.000 hommes, sans compter ce qui peut-être viendra au-devant de nous, en démontre l'impossibilité. A notre arrivée ici nous avons eu des commissaires de la municipalité de Paris. Ils sont, je pense, porteurs d'ordres qui ont pour objet notre sûreté ; il est bien difficile de la garantir. Notre parti est pris là-dessus. Je me porte bien et le reste ira comme ça pourra, je ne suis pas assez heureux pour désirer de vivre. Quel monde que j'aille habiter, tu me seras toujours extrêmement cher, toi et toute ma famille ; je ne répéterai que cela ; votre attachement pour moi ajoute beaucoup à la répugnance qu'on a nécessairement à l'approche de sa destruction. Je la redoute plus pour vous que pour moi. Votre amitié me garantit vos regrets, et c'est une de mes grandes peines peut-être.

Adieu, mon cher ami, j'ai toujours eu de l'attachement pour toi et je t'aime encore davantage. Adieu pour la vie.

 

Enfin les deux dernières lettres que nous ayons retrouvées des officiers du régiment de Cambrésis nous apprennent que le maire démagogue Lombard-Lachaux avait tenu à l'égard des prisonniers la même conduite que Fournier. Il s'était aussi posé vis-à-vis d'eux en protecteur et en ami ; mais ni comme maire d'Orléans, ni comme membre de la convention, il n'éleva la voix pour réclamer vengeance au nom de ceux qui avaient mis en lui leur confiance.

A monsieur Bigot, décoré de la croix de Saint-Louis, officier municipal à Montjoux, à Dieu-le-Fit (Drôme).

Étampes, le 6 septembre 1792.

Je vous préviens, mon cher ami, que j'ai laissé à Orléans, chez M. Picard, régisseur de la maison Saint-Charles, une malle contenant du linge, etc., que je vous prierai de faire retirer lorsque je vous en donnerai avis... Vous pouvez vous adresser à notre ami M. Lachaux, maire, qui se chargera de vous faire parvenir ces différents objets.

Adieu, mon cher ami, je me porte bien et je vous embrasse de tout mon cœur.

MONTJOUX.

Nous arriverons dimanche à Paris, où j'espère que nous ne tarderons pas à être jugés, et par conséquent libres. Je vous écrirai le plus tôt que je pourrai. J'ai deux malles à Perpignan, chez M. Flammant, mon hôte. Il est tailleur pour femmes, place Laborie.

 

A monsieur Lachaux, maire d'Orléans, à Orléans.

Étampes, 6 septembre 1792.

J'espère, monsieur, que vous aurez eu la bonté, comme vous avez bien voulu me le promettre, d'annoncer à ma mère mon départ pour Paris, n'ayant pu le faire moi-même à cause de la précipitation avec laquelle je suis parti.

Nous sommes arrivés tous ici sans le plus petit accident. Nous en avons été quittes pour quelques sottises de la part du peuple, mais nous avons beaucoup à nous louer des chefs de notre escorte. Ils sont on ne peut plus honnêtes et prennent toutes les précautions pour qu'il ne nous arrive rien de fâcheux, et je suis persuadé que nous arriverons sains et saufs à Paris, où nous attendrons notre jugement avec impatience et sécurité. Adieu, monsieur, soyez persuadé que je n'oublierai jamais vos honnêtetés et bontés pour moi et que ma reconnaissance égale le sincère et inviolable attachement avec lequel, etc.

MONTJOUX.

Je vous prie, monsieur, de vouloir bien assurer madame votre épouse de mon respect.

 

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Après les lettres des officiers du régiment de Cambrésis viennent naturellement celles des bourgeois et artisans de la ville de Perpignan, compromis pour la même affaire. Dans quelques-unes éclatent une espérance naïve et une confiance absolue à l'égard des chefs de l'escorte. La première est d'un ouvrier tourneur qu'une accusation absurde avait transformé en criminel d'État.

D'Étampes, le 7 septembre 1792.

Je t'écris, petite femme, pour te dire que nous sommes sur la route de Paris. Les personnes qui sont chargées de nous escorter nous traitent avec la meilleure douceur, l'Assemblée nationale a pris tous les moyens qui étaient en son pouvoir pour protéger notre translation ; toute notre confiance est en leur surveillance, et d'après les principes qui les dirigent, il faut espérer que nous arriverons heureusement à notre destinée, qui est Versailles. Les commissaires qui sont envoyés à notre rencontre ne font pas moins leurs efforts pour seconder les bonnes intentions du corps législatif et de la garde nationale qui nous conduit. C'est ainsi que dans notre position nous respirons des faveurs, que les malheureux désirent de jouir. Il ne peut plus nous rester aucun doute sur la pureté de leurs intentions, qui se bornent à faire accélérer les jugements, afin que ceux qui méritent de jouir de leur liberté n'en soient plus privés. Adieu, petite femme, je ne ferai faute de t'écrire dès que je serai rendu à notre destination, si toutefois on nous l'accorde. Je vous embrasse tous, et suis pour la vie ton bon époux.

Doc fils.

 

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A monsieur Comellas, place de Laborie, à Perpignan.

Estampes, le 6 septembre 1792.

Nous séjournons aujourd'hui à Estampes ; il paraît certain que nous partirons demain pour Versailles où nous arriverons vraisemblablement lundi. Comme toi, je ne crois pas tout ce qu'on peut vous avoir écrit d'Orléans. J'ai très-bon augure de notre voyage, nous nous portons tous bien. Je t'écrirai de suite après notre arrivée pour que tu connaisses ma position et mon adresse. Adieu, mon cher ami, embrasse pour moi ma chère cousine ; vous êtes les seuls objets qui m'occupent dans mon malheur ; je serais beaucoup plus malheureux si vous n'étiez plus heureux que moi. Donne de mes nouvelles à mes parents et amis, et crois moi pour la vie ton ami,

COMELLAS.

 

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A madame Margouet, grande rue de la Réole, à Perpignan.

Estampes, département de Seine-et-Oise, le 7 septembre.

Cinq commissaires, ma chère sœur, arrivés hier au soir, ont changé les dispositions de notre voyage. Nous séjournons ici aujourd'hui pour nous rendre demain aux prisons de Versailles, où l'on vérifiera, dit-on, nos procès pour nous juger définitivement ; c'est ce qui me console. Les chefs de l'escorte sont très-affables et très-honnêtes. J'espère que nous finirons notre route sans qu'il nous arrive rien ; enfin, si je ne peux te donner de mes nouvelles, prends patience, je serai pour toujours le plus affectionné frère. Adieu.

MOLINIER.

Procure-toi les papiers publics dans lesquels, sans doute, il sera fait beaucoup mention.

 

Deux autres accusés, portant le même nom et évidemment parents éloignés, ne sont pas aussi rassurés que leurs camarades ; mais ils dissimulent leurs trop justes pressentiments, afin de ne pas effrayer leurs familles. Le signataire de la première lettre est évidemment un négociant de Perpignan, car, par suite d'une longue habitude, il appose au bas de sa lettre la signature sociale.

 

A mesdemoiselles Anne Rocantalos de Marant, chez monsieur Vincent Boxader et Costa, à Perpignan.

A Estampes, le 6 septembre 1792.

Ma chère tante, nous sommes partis d'Orléans mardi dernier pour nous rendre à Paris. Je profite de la liberté que nous donnent les chefs de notre escorte pour vous donner des nouvelles de ma santé qui est fort bonne ; j'espère qu'il en sera de même dorénavant. Dès que je pourrai vous donner des nouvelles de notre arrivée à Paris qui sera dimanche, je le ferai. J'avais laissé une lettre à Orléans pour vous faire part que nous allions à Saumur, mais il en a été décidé autrement. Ainsi cette lettre devenant inutile, elle n'aura peut-être que l'avantage de me procurer plus tôt une réponse ; je ne sais où nous serons à Paris, ainsi je ne puis vous donner mon adresse. J'ai mis tous mes effets dans la malle du petit Boxader, que nous avons laissé à M. Picard, régisseur du couvent Saint-Charles, à Orléans, qui est à l'adresse de son oncle Gagnon. Ménagez, ma chère tante, votre santé, ce sera une consolation pour moi de vous savoir bien portante. Mille choses de ma part à Joseph, ainsi qu'à tous mes parents, amis et voisins.

V. BOXADER et COSTA.

 

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A monsieur Gagnon, directeur de la poste aux lettres, à Perpignan.

Mon très-cher oncle,

Cinq commissaires, envoyés de l'Assemblée nationale ici, ont fait changer les dispositions de notre route. Au lieu de nous rendre à Paris, nous serons transportés à Versailles pour que nos procès soient jugés définitivement. Dans l'état présent des choses, cette nouvelle est fort heureuse. La lettre, que je vous écrivis hier, était faite avant l'arrivée de ces commissaires, ainsi nous comptions encore nous rendre à Paris ; nous séjournons ici, nous n'en partirons que demain ; je vous ferai part de notre arrivée aussitôt. qu'il me sera permis. En attendant, ma sauté est fort bonne, ainsi que celle de tous mes camarades ; notre position s'améliorera après notre arrivée. Nous n'avons qu'à nous louer des chefs de notre escorte dont le zèle infatigable a fait obtenir le changement de destination. Je vous prie de m'écrire aussitôt que vous aurez reçu de mes nouvelles. Ma malle est à Saint-Charles, vous savez déjà mes dispositions à cet égard.

F. BOXADER.

A Étampes, le 7 septembre 1792.

 

Le signataire de la dernière est un ex-procureur de Perpignan. Celui-là connaît trop bien les passions humaines pour se faire la moindre illusion.

Adieu, mon cher ami, peut-être pour la dernière fois. Tu auras la bonté de dire à mon épouse, et d'agir pour elle pour retirer la malle que j'ai laissée à Orléans et l'ouvrir pour que chacun de mes parents puisse reconnaître les effets qui rions appartiennent, sans compter ce que j'ai remis à Thérèse Boulanger.

Nous allons à Paris ; tu peux te figurer que nous n'arriverons point aux prisons. Adieu donc pour la dernière fois. Priez pour moi.

BLANDINIÈRE.

Le 6 septembre 1792.

 

Les quatre dernières lettres que nous avons recueillies contiennent toutes des louanges en faveur de Fournier, tant, ce misérable avait su tromper tous les malheureux qu'il menait à la boucherie. Deux sont signées par des prisonniers appartenant à d'autres catégories et placés sous le poids d'accusations spéciales ; deux autres sont sans signature ; l'une d'elles est datée d'Arpajon, 8 septembre, quatre heures de l'après-midi ; c'est la dernière en date de toutes ces missives si palpitantes d'intérêt, au moyen desquelles nous avons pu, presque heure par heure, retrouver la trace des sentiments divers qui animaient les infortunés prisonniers pendant tout leur lamentable voyage.

Madame Mocette, à Bellenove (Allier).

Ma chère amie,

Je n'ai pas pu vous écrire avant mon départ d'Orléans, relativement à ce que nous avons été pressés de partir par un détachement de mille hommes, qui sont venus chercher tous les prisonniers de la haute cour pour les conduire à Paris pour y être jugés. Je vous écris en route pour vous prévenir de ne pas être inquiète de moi, car nous avons affaire à deux braves généraux qui répondent de nous conduire à bon port, et il vient de nous arriver deux commissaires députés par l'Assemblée nationale, qui nous ont promis qu'ils nous garantissaient toute sûreté et justice ; par conséquent je suis tranquille. L'on ne cherche point à punir les innocents, mais bien les coupables ; en conséquence je suis sûr de mon fait de ne pas être puni.

Je vous prie de vous acquitter de la commission que je vous ai chargée de faire par ma dernière lettre. Adieu, conservez-vous.

MOCETTE.

Estampes, le 6 septembre 1792.

 

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Madame Dubreuil, à la Guerche, par la Charité-sur-Loire (Nièvre).

Le 7 septembre, à Estampes.

Très-chère maman, c'est avec bien de la douleur que j'ai vu notre séparation ; votre position m'a plus inquiété que la mienne, connaissant votre sensibilité. Il vient d'être arrêté que nous changerions de destination, et nous allons définitivement à Versailles. A mon arrivée je serai plus en mesure de vous faire passer de mes nouvelles ; je vous ferai part en même temps de mon adresse. On nous fait redouter notre destination à Paris ; mais, par l'ordre des commissaires envoyés par l'Assemblée et la fermeté du général chargé de notre transfération qui a ramené le peuple à des voies de douceur et de justice, fait (sic) que j'espère la voix d'un jugement où mon innocence pourra pénétrer malgré la malveillance de mes ennemis ? J'aurai l'honneur de vous écrire plus particulièrement à mon arrivée. En attendant, recevez les assurances du plus sincère attachement, etc.

DUBREUIL.

 

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Monsieur Garodeau, rue Vivienne, 23.

Estampes, jeudi 6 septembre 1792.

Nous sommes arrivés ici ce matin entre dix et onze heures, par un fort beau temps et sans aucun accident. J'ai bien dormi et bien dîné ; nous séjournons ici demain, et je profiterai de ce séjour pour vous envoyer les éclaircissements et pièces que je vous avais promis. Toutes les personnes, qui s'intéressent à nous, doivent beaucoup de reconnaissance aux deux commandants de notre garde nationale qui, par leurs soins et leur intelligence, entretiennent l'ordre et procurent notre sûreté. Nous avons trouvé ici, en arrivant, trois commissaires de la municipalité, envoyés par le pouvoir exécutif en vertu d'un décret de l'Assemblée nationale ; nous ne connaissons point encore l'objet de leur mission et nous ne pouvons que faire des vœux pour qu'ils réussissent à faire exécuter les ordres du corps législatif.

Adieu, à demain, j'espère pouvoir satisfaire à tout ce que vous m'avez demandé.

 

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Madame d'Hérouville, boulevart Montmartre.

Arpajon, samedi 4 heures après midi.

Le général de notre petite armée a eu l'honnêteté de m'amener lui-même à midi, la personne que vous avez chargée de votre lettre écrite hier, dix heures du soir ; je l'ai reçue dans l'écurie du maréchal de Mouchy, où nous sommes tous rassemblés et où nous sommes très-bien. J'ai été charmé de voir quelqu'un qui pût me dire de vos nouvelles et de celles de ma mère ; les miennes sont bonnes. Je viens de faire un bon dîner et j'espère bien dormir cette nuit.

Vous me parlez d'un autre billet que vous m'aviez écrit dans la journée d'hier, il ne m'est point parvenu.

Adieu, madame ; continuez à donner vos soins à ma mère ; vous réunissez tous mes vœux et toutes mes affections.

 

 

 



[1] Cette deuxième lettre n'est ni datée ni signée, mais il n'est pu douteux qu'elle n'émane également d'Estienne Larivière. Non-seulement elle est de la même écriture que la précédente, mais le nom de la personne, à laquelle elle est adressée et que le signataire appelle son collègue, l'indique suffisamment. Dans l'Almanach royal de 1792, page 389, M. Théodore Grenier, négociant, est indiqué comme premier suppléant du juge de paix de la section Henri IV, lequel juge n'était autre qu'Estienne Larivière.

[2] Il y avait parmi les accusés du régiment de Cambrésis, un officier du nom de Mazelaigne.

[3] Il n'y avait pas d'officier du nom de Saint-Jouan parmi les prisonniers. Le seul nom Breton est celui de M. de Kersauson.

[4] Il y avait un officier de ce nom parmi les prisonniers.

[5] Cette lettre a dû être écrite par M. Larivière, officier du régiment de Cambrésis qui se trouvait parmi les prisonniers et qu'il ne faut pas confondre avec le juge de paix Estienne Larivière, dont nous avons rapporté plus haut les deux lettres.