HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

XIX. — VENTE DES EFFETS DES VICTIMES.

 

 

Les pièces relatives à l'inventaire et à la vente des effets des victimes des massacres de septembre se trouvent à la préfecture de la Seine et à la préfecture de police. Nous nous contenterons d'en extraire les passages les plus saillants et les plus caractéristiques.

La première pièce du dossier de la préfecture de police est ainsi intitulée :

État des effets dont nous nous sommes emparés sur les prévenus de trahison contre la liberté française au tribunal du peuple assemblé le deux septembre 1792, an quatrième de la liberté, premier de l'égalité.

Suit le détail des effets.

Au bas de cette pièce se trouvent neuf signatures inconnues dont deux de fédérés, puis la mention suivante signée par les deux délégués du comité de surveillance, qui, comme nous l'avons vu, se tinrent presque en permanence dans le greffe de l'Abbaye pendant les massacres.

Il a été remis au citoyen Maillard deux cent soixante-cinq livres pour frais faits à l'Abbaye.

Le 7 septembre 1792, l'an ive de la liberté, 1er de l'égalité.

CHANEY, LENFANT.

 

La seconde est un procès-verbal commencé, le 2 septembre même, par six délégués nommés par le peuple souverain pour fouiller les cadavres en présence du peuple ; sur ces six délégués, trois étaient des gendarmes nationaux, anciens gardes françaises.

A la fin du procès-verbal ils déclarent, dans leur stupide cynisme et dans leur français étrange, attester la fidélité des cadavres qui ont été fouillés et remis avec fidélité ce qui a été déclaré.

Le lendemain 3, l'inventaire des effets trouvés sur les cadavres continue, et le 4 septembre, à six heures du soir, deux commissaires de la municipalité provisoire, après les avoir fait laver et nettoyer, procèdent à la vente en bloc des vêtements des différentes personnes qui se sont trouvées mortes dans la cour conventuelle de la ci-devant Abbaye de Saint-Germain-des-Prés, lesquels vêtements étaient en très mauvais état et mutilés, épars dans ladite cour. Cette vente produit 375 livres 10 sols, à charge par l'adjudicataire de faire enlever le tout d'ici à demain matin neuf heures et de payer comptant entre les mains des commissaires de la commune.

Les dépouilles des victimes aux Carmes, aux Bernardins, à Bicêtre, à la Salpêtrière, paraissent avoir été abandonnées aux égorgeurs[1].

Cependant, quelques jours après, la commune, sur la réclamation de plusieurs parents des victimes, reconnut que ces dépouilles appartenaient aux familles, et, le 23 septembre, elle prit un arrêté par lequel elle invitait tous ceux qui avaient des réclamations à faire en effets et bijoux qui sont dans les prisons de Paris, appartenant à ceux qui sont morts, à se pourvoir dans l'espace de trois jours au secrétariat de la commune, annonçant qu'à défaut de réclamation dans ledit temps, lesdits effets seraient vendus au profit de la commune.

En vertu de cet arrêté, les effets appartenant aux victimes de la Force et qui n'avaient pas été réclamés furent vendus, le 5 octobre, par les soins des citoyens Dangé, Moneuse, Jams, Michonis et Marino, membres du conseil général de la commune et commissaires des maisons de justice et prisons de la ville de Paris.

La vente du 5 octobre produisit 3.647 livres 15 sols. Elle fut reprise le surlendemain dimanche et produisit ce jour-là 859 livres. On vendit un assez grand nombre d'objets de femme ayant probablement appartenu à Mme de Lamballe, car à la fin du procès-verbal de ce jour on voit comparaître Claude Louis Toscan, chargé de l'administration, maison et finances de Mme de Lamballe, qui fait opposition aux mains des commissaires présents à la délivrance des deniers de la vente, et notamment de ceux provenant ou à provenir des effets de ladite dame.

Le 28 octobre suivant, il fut procédé, dans l'une des salles du comité civil de la section du Pont-Neuf, à la vente des effets non réclamés de la Conciergerie. Elle produisit 1.099 livres 6 sols.

Il ne nous reste plus qu'à mettre sous les yeux de nos lecteurs des fragments d'un rapport fait, dans les premiers jours de décembre, par les commissaires de la section des Quatre-Nations au conseil général de la commune pour rendre compte des objets dont ils avaient été constitués comptables par suite des tristes événements de l'Abbaye. Rien ne peut mieux caractériser l'époque que nous racontons que cette pièce, dans laquelle on voit le rédacteur, en parlant de l'effroyable boucherie des prisonniers, allier la pénible emphase des paroles à la plus parfaite insensibilité.

Nous venons dans le sein des représentants de la commune de Paris et en présence de nos concitoyens vous rendre le compte que vous devait la section des Quatre-Nations.

La proximité des prisons de l'Abbaye, celle de supplément et surtout les prisonniers amenés de la mairie à notre comité, nous a fourni (sic) une ample matière pour occuper tous les instants de ceux que la confiance avait appelés au poste pénible de commissaires de cette section dans les circonstances dont nous avons tous été les témoins...

Nous ne vous rappellerons aucun de ces détails, nous ne vous parlerons que des mesures que nous avons employées pour mettre à couvert un dépôt précieux dont notre responsabilité s'est chargée depuis longtemps...

Nous vous devons aussi un compte exact des dépenses qu'ont nécessitées les événements, et d'ailleurs un arrêté de la municipalité nous autorisait à le faire, et le citoyen Billaud-Varennes en a approuvé la quotité. Dans l'état de ces dépenses sont compris les ouvriers qui ont travaillé à l'enlèvement et au dépouillement, les marchands qui ont fourni le vin, le pain, et toutes les choses absolument nécessaires, et chaque article est appuyé d'un bon des commissaires du comité.

Enfin nous vous présentons l'état comparatif des objets reçus, de ceux remis, et le résultat que présente l'état de ceux qui restent.

Dans cet état vous vous apercevrez que la plus grande partie du numéraire a servi à rembourser la dépense, et à cet égard nous devons vous expliquer que la section nous ayant autorisés à prendre les frais sur la chose, nous avons préféré prendre en numéraire pour profiter d'autant à la section en procédant de suite à l'échange de ce numéraire à la trésorerie nationale contre des coupons d'assignats et au pair, ainsi qu'il résulte des bordereaux de la trésorerie que nous avons joints aux pièces pour justifier de l'emploi des espèces.

C'est ainsi, citoyens, qu'en vous rendant un compte exact de toutes nos opérations, nous aurons rempli la tâche la plus douce pour des citoyens revêtus de la confiance d'une section, et que par une fidélité palpable nous aurons prouvé que nos efforts n'ont pas été vains.

 

 

 



[1] Voir Grenier de Cassagnac, p. 300.