HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

XVII. — MALVERSATIONS DU COMITÉ DE SURVEILLANCE DE LA COMMUNE DE PARIS.

 

 

Pour prouver les dilapidations auxquelles les organisateurs des massacres de Septembre se sont livrés, nous n'invoquerons que les pièces officielles émanées du conseil général de la commune de Paris. Le témoignage de ce conseil ne saurait être suspect ; car aucune autorité n'était mieux à même de connaître et d'apprécier le fond des choses, aucune n'était moins disposée à les exagérer.

Dès le lendemain des massacres, il décline la responsabilité des actes du comité de surveillance, désavoue Panis qui a étrangement abusé de ses pouvoirs[1], et demande qu'on lui rende compte de toutes les décisions prises par les autorités qui dépendent de lui.

On lit, en effet, dans le procès-verbal de la séance de la commune de Paris, en date du 5 septembre 1792 :

M. Panis, administrateur, membre du comité de surveillance, est invité à se rendre dans le sein du conseil pour donner des renseignements sur les plaintes amères qu'un membre du conseil a portées contre lui... Les administrateurs des différents départements (municipaux) seront tenus de rendre compte par écrit des décisions qui auront été l'objet de leurs délibérations, et de les soumettre à la sanction du conseil général ou à sa critique, s'il y a lieu.

 

Ce double arrêté reste, parait-il, sans effet. Le 22 septembre, le lendemain même de la réunion de la Convention nationale, la commune prend des mesures plus énergiques.

EXTRAIT DES REGISTRES DU CONSEIL GÉNÉRAL DE LA COMMUNE DE PARIS.

Arrêté du 22 septembre 1792.

Le conseil général, le substitut de la commune entendu, arrête à l'unanimité que, dès cet instant, tous les membres du comité de surveillance, tant ceux qui ont été nommés par le conseil général, que ceux qui s'y sont immiscés de toute autre manière, demeurent révoqués ; qu'ils seront sur-le-champ remplacés par quatre nouveaux membres, pris dans son sein, auxquels les membres révoqués rendront compte de leurs opérations, dans le jour. Le conseil général arrête, en outre, que les membres révoqués ne pourront, du moment de la notification du présent arrêté, s'immiscer dans aucune fonction, à peine d'être poursuivis, suivant la rigueur de la loi, à la diligence du procureur de la commune, que le conseil général charge spécialement de l'entière exécution de son arrêté, jusqu'après la nomination des quatre nouveaux membres, qui demeure ajournée à demain, à l'ouverture de la séance.

Arrêté du 23 septembre 1792.

Le conseil général, considérant combien il est instant d'organiser le comité de police et de la force armée, arrête que MM. Boula, Gorret, Duchesne et Gaudichon sont nommés commissaires pour remplacer les membres intrus qui en ont été éloignés par l'arrêté d'hier[2].

Arrête, en outre, que les quatre commissaires du conseil général, nommés depuis le 10 août, qui sont MM. Leclerc, Duffort, Lenfant et Cally, continueront d'exercer leurs fonctions concurremment avec ceux ci-dessus désignés.

 

Au commencement de 1793, deux nouvelles délibérations du conseil général viennent confirmer les mêmes accusations :

EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS DU CONSEIL GÉNÉRAL.

Du 18 février 1793, l'an Ile de la République française.

Le conseil général, considérant les soustractions, dilapidations et malversations que présentent les résultats des comptes, suivant le rapport de ses commissaires contre les citoyens Sergent et Panis, alors administrateurs du comité de surveillance des 10 août et jours suivants ; considérant que les scellés apposés sur partie des effets déposés audit comité ont été la plupart brisés, que les réponses des administrateurs entendus contradictoirement sont en opposition les unes avec les autres, et présentent un ensemble de violations de dépôts et d'infidélités ; que ces déclarations mêmes ne peuvent excuser ces infidélités ; que le prétexte vague qu'on n'a eu rien en maniement ne peut-être regardé que comme un moyen illusoire dans la bouche d'un administrateur toujours comptable de son administration ;

Arrête : 1° que le tableau de la situation du compte du comité de surveillance de l'époque du 10 août, ensemble copie des pièces justificatives déposées dans les registres du conseil général, et notamment la lettre du citoyen Sergent aux commissaires, et le procès-verbal du comité des Vingt-Quatre de la Convention seront envoyés au conseil exécutif, qui sera invité à prononcer, d'après ces pièces, s'il doit ou non poursuivre les comptes de ces deux citoyens, même à se retirer à la Convention pour faire prendre des mesures de rigueur qui puissent les forcer rendre leurs comptes, et les discuter devant le conseil général, d'autant plus intéressé à leur apurement, qu'on semble verser sur lui seul l'odieux du déficit ;

2° Que le présent arrêté sera envoyé au procureur de la commune pour en suivre l'exécution, imprimé et affiché à la diligence du procureur de la commune[3].

Signé : CAVAIGNAC, vice-président ; COULOMBEAU, secrétaire-greffier

 

EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS DU CONSEIL GÉNÉRAL DE LA COMMUNE DE PARIS.

Du 10 mai 1793, l'an IIe de la République française.

Le conseil général délibérant sur les comptes, la partie de la responsabilité matérielle du comité de surveillance relativement aux dépôts qui y ont été portés, mûrement examinée ;

Le procureur de la commune entendu ;

Considérant, d'après le rapport des commissaires et les déclarations subséquentes qui sont survenues au conseil, consignées au registre, et en partie imprimées, qu'il y a bris de scellés, violations, dilapidations de dépôts, fausses déclarations et autres infidélités ;

Arrête qu'il dénoncera, en la manière accoutumée, l'administration du comité de surveillance.

Le conseil général s'étant fait ensuite représenter son arrêté du 30 septembre dernier, portant que, sur la liste, donnée par le citoyen Lenfant, des membres du comité de surveillance, étaient les citoyens Panis, Sergent, Lenfant, Cally, Duffort et Leclerc, arrête qu'il charge le procureur de la commune de dénoncer lesdits citoyens Panis, Sergent, Lenfant, Cally, Duffort et Leclerc à l'accusateur public pour poursuivre la peine due aux délits, à l'effet de quoi toutes les pièces instructives lui seront remises dans le jour.

Arrête, en outre, que le présent arrêté sera imprimé au nombre de deux mille exemplaires et affiché dans le délai de deux jours, envoyé à la Convention nationale, à toutes les autorités constituées et aux quarante-huit sections.

Arrête, de plus, que le procureur de la commune rendra compte dans huitaine de l'exécution du présent arrêté.

Signé : CAVAIGNAC, vice-président ; COULOMBEAU, secrétaire-greffier.

 

Ainsi harcelés par la commune elle-même, les voleurs et leurs patrons comprirent qu'il n'y avait plus de temps à perdre, qu'il leur fallait un coup d'État pour se débarrasser de tout souci, s'exempter de toutes redditions de comptes et s'assurer l'impunité. Moins de trois semaines après cette dernière délibération, du 10 mai 1793, les Girondins étaient proscrits, les amis des héros de Septembre étaient maîtres souverains de la situation. Ils profitèrent de leur triomphe pour étouffer toutes les plaintes, supprimer toutes les recherches, faire disparaître toutes les preuves.

 

 

 



[1] Le conseil général de la commune avait pris, le 30 août, une délibération ainsi conçue :

M. Panis présentera demain au conseil une liste des membres qui s'adjoindront à lui pour le comité de police.

Au lieu de présenter cette liste au conseil général, Panis avait, de sa propre autorité, rendu le fameux arrêté du 2 septembre par lequel fut constitué le comité directeur des massacres. (Voir livre X, § VI.)

[2] Boula était l'un des membres les plus importants du conseil de la commune. Il avait été élu président le 9 septembre précédent. Nous avons tenu entre nos mains un billet par lequel il refuse d'accepter la succession de l'ancien comité, déclarant que la comptabilité lui parait trop embrouillée.

[3] La lettre du citoyen Sergent mérite d'être elle-même rapportée, car elle justifie toutes les accusations dirigées contre cet officier municipal que M. Louis Blanc a cherché à défendre, tome VII, p. 221.

La prétention d'un administrateur d'accepter, au prix d'estimation, des bijoux et des effets, dont il est comptable, n'est admissible sous aucun régime et dans aucune législation.

Paris, le 30 novembre 1792, l'an 1er de la République.

Je vous envoie, citoyens, pour être joints au dépôt, les objets dont j'avais été autorisé par mes collègues à faire l'acquisition. Comme, dans votre rapport, il m'a paru que l'un de ces effets est réclamé par des citoyens, je lei remets tous pour être portés à la caisse de l'extraordinaire, où je pourrai encore les acheter en ayant prévenu le directeur. Je vous prie de ne pas, en conséquence, arracher les petits numéros que j'y ai mis qui correspondent à ceux que je lui ai envoyés, car il importe peu à la République qui sera avec son argent possesseur de ces objets.

Votre concitoyen,

SERGENT.

P. S. Je vous prie, dans le compte qui va être imprimé, de mettre ces objets comme représentés.

 

Quant à la commission des Vingt-Quatre de la Convention, nous avons tenu entre les mains une lettre à elle adressée, à la date du 13 février 1793, par le secrétaire-greffier adjoint de la commune, Mettot, qui lui renvoie les portefeuilles de Septeuil, trésorier de la liste civile, et le procès-verbal du grand écrin trouvé chez lui, mais qui n'a pas été représenté lors du récolement.