HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

XV. — MADAME DE LAMBALLE ET LES DAMES DE LA REINE.

 

 

Plusieurs des dames attachées au service de la reine et de la famille royale les avaient suivies au Temple, mais elles leur furent enlevées dans la nuit du 19 au 20 août, amenées et interrogées à l'Hôtel-de-Ville, puis envoyées au petit hôtel de la Force[1].

C'était là que, d'ordinaire, on enfermait les femmes de mauvaise vie. On eut l'infamie d'y détenir ces infortunées qui n'avaient pas craint, au péril de leur vie, de donner à Marie-Antoinette, prisonnière, une dernière preuve de dévouement et de fidélité.

La princesse de Tarente fut seule envoyée à l'Abbaye. Nous n'avons pu découvrir pour quel motif. Les sept dames écrouées à la Force étaient Mme de Lamballe, Mme de Tourzel, gouvernante des enfants du roi, Mlle Pauline de Tourzel, sa fille, Mme de Navarre, première femme de chambre de Mme Élisabeth, Mme Bazire, femme de chambre de Madame Royale, Mme Thibault, première femme de chambre de la reine, Mme de Saint-Brice, femme de chambre du prince royal.

Mme de Mackau, qui était aussi une des daines de la reine, mais qui ne se trouvait pas au Temple le 19 août, ne fut écrouée que le 2 septembre.

Les termes mêmes dans lesquels est formulée la levée de l'écrou de chacune de ces dames méritent d'être pesés. Ainsi, les deux premières rendues à la liberté furent Mlle de Tourzel et Mme de Saint-Brice ; cette dernière était prête d'accoucher. Elles sont indiquées sur le registre d'écrou comme étant sorties le 2 septembre par ordre de MM. Truchon et Duval-Destain. Effectivement, on lit dans le procès-verbal de la séance du conseil général de la commune, à l'ouverture de la séance de la nuit du 2 au 3 septembre, que MM. Truchon et Duval-Destain sont nommés commissaires pour faire une visite à l'hôtel de la Force, quartier des femmes ; et, quelques heures après, Truchon, dans le rapport qu'il fait à l'Assemblée nationale, à deux heures du matin, mentionne la mise en liberté de ces deux dames.

Les cinq autres femmes de la reine, Mmes de Navarre, Bazire, Thibault, de Tourzel et de Mackau, sont indiquées comme sorties le 3, sans que l'on mentionne par quel ordre, sauf pour Mme de Mackau, qui est déclarée avoir été relâchée par ordre des administrateurs de police, membres de la commission de surveillance et de salut public[2].

Le registre s'explique d'une tout autre manière à l'égard de Mme de Lamballe. Voici la mention de l'écrou :

Marie-Thérèse-Louise de Savoie de Bourbon-Lamballe, conduite, le 3 septembre 1792, au grand hôtel de la Force.

Pendant que cette malheureuse princesse était amenée à ses bourreaux, les prisonnières de la petite Force étaient relâchées. Nous avons retrouvé un rapport de la concierge même de la prison qui, malgré ses termes vagues et ambigus, donne une idée assez exacte de la manière dont les choses se sont passées.

Rapport de la dame Hiancre, concierge ès prisons du petit hôtel de la Force.

Le lundi 3 septembre 1792, l'an IV de la liberté, etc., une multitude d'hommes armés est entrée dans le petit hôtel de la Force par le moyen de l'ouverture des portes de la prison des hommes. Aussitôt qu'ilS ont été dans la prison, ils ont demandé les prisonnières. On leur a observé qu'on ne pouvait pas leur livrer sans l'autorisation de la municipalité. Ils ont commencé par demander Mme Lamballe, ils ont forcé le guichetier dépositaire des clefs de marcher avec eux et de leur ouvrir les portes de la chambre dans laquelle elle était renfermée, ainsi que celles des autres dames qui étaient détenues dans ledit hôtel, et ils les ont fait passer du côté de la prison des hommes pour leur faire subir un interrogatoire ; une heure et demie après ils sont venus contraindre de leur ouvrir les portes de toutes les chambres et lieux où étaient renfermées toutes les autres femmes. Lé peuple qui était au dehors a demandé qu'on ne laissât point sortir ces femmes en liberté sans faire justice des coupables. Dans cet instant, la force armée du dedans s'est transportée du côté de la rue Pavée, pour forcer les guichetiers à laisser sortir toutes les femmes librement ; on a observé au peuple que la consigne donnée à la gendarmerie qui était de garde à la porte était de ne laisser sortir par cette même porte aucune prisonnière ; alors cette multitude d'hommes armés est allée chercher M. Dangé, officier municipal ; il est venu au même moment. Après en avoir interrogé plusieurs, il s'est transporté à la porte de la prison, où il a dit qu'on pouvait laisser sortir les prisonnières ; il lui a été observé que la majeure partie de ces femmes étaient criminelles et qu'il y en avait plusieurs de jugées et condamnées à des peines quelconques. M. Dangé a fait cette observation au peuple armé, en déclarant qu'il n'entendait pas mettre en liberté les femmes coupables. Il a même invité la force armée à boucher les rues pour les faire arrêter, ce qui n'a pas été exécuté.

Le nombre des femmes détenues était de 212[3].

Ve HIANCRE.

 

Il paraîtrait, d'après ce rapport, que les autres femmes de la reine comparurent devant le tribunal de sang, présidé par Hébert et Rossignol, mais il n'existe aucune trace de cette comparution dans les récits contemporains.

Les outrages faits au cadavre de la malheureuse princesse de Lamballe ont été cent fois racontés. Naturellement aucun procès-verbal authentique ne les constate. Les deux pièces suivantes que nous avons retrouvées sont, avec celles déjà connues, les seules pièces officielles que l'on ait sur la fin de cette amie de la reine[4] :

EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS DE LA SECTION DES QIINZE-VINGTS.

4 septembre 1792. — Un individu, introduit à l'assemblée générale au nom de M. de Penthièvre, a présenté la somme de 600 livres en trois assignats pour que la tête de Mme de Lamballe fût inhumée dans la section des Quinze-Vingts. L'assemblée a mis en arrestation l'individu qui se nomme François-Jacques Pointel. Jusqu'à ce que les renseignements fussent pris à cet effet, l'assemblée a refusé de recevoir le corps de la ci-devant dame Lamballe, parce que, étant traître à la patrie, elle ne mérite d'autre place que celle des conspirateurs.

 

SECTION DES QUINZE-VINGTS. — COMITÉ CIVIL ET DE POLICE.

Procès-verbal d'inventaire fait au comité de la section des Quinze-Vingts, Faubourg-Antoine, du 3 septembre 1792, an IV de la liberté et le 1er de l'égalité, des effets trouvés dans un portefeuille saisi sur la ci-devant princesse de Lamballe, ledit inventaire fait à la réquisition des citoyens ci-après nommés, savoir :

Sieur Jacques-Charles Hervelin, tambour des canonniers de la section des Halles, ci-devant bataillon Saint-Jacques-la-Boucherie, demeurant rue de la Savonnerie, 3, au Cadran bleu ;

Sieur Jean-Gabriel Tirveux, ébéniste, rue du Faubourg-Antoine, au coin de celle Saint-Nicolas ;

Sieur Antoine Pouget, canonnier de la section de Montreuil, rue de Charonne, 25 ;

Sieur Pierre Fere, tabletier, rue Popincourt, 39 ;

Sieur Jean-Baptiste Roussel, gagne-denier, demeurant rue d'Aval, 9 ;

Avoir été trouvés les objets suivants :

Dans la première case, 8 assignats de 5 livres chaque, 40 liv.

Dans la seconde case, 10 assignats de 5 livres chaque, 50 liv.

Total, 90 liv.

 

Suit la nomenclature de divers objets de peu d'importance, une bague d'or, un porte-crayon, une image et un médaillon. Le procès-verbal se termine ainsi :

Les quelques effets ont été remis aux citoyens sus-nommés pour être déposés à l'Assemblée nationale, ainsi qu'il appert par la minute dudit procès-verbal, restée aux archives dudit comité.

Pour extrait,

RENET, secrétaire-greffier.

Les citoyens dénommés au procès-verbal reconnaissent avoir retenu par devers eux les assignats énoncés de l'autre part.

HERVELIN, TERVEUX, ROUSSEL.

Ce jour 3 septembre 1792.

 

Les individus dénommés dans cette pièce et qui savaient si bien s'approprier les assignats, trouvés par eux dans les portefeuilles qu'ils rapportaient, étaient-ils les assassins de la princesse de Lamballe ? Nul ne peut le dire. Ceux que la notoriété publique a toujours désignés comme tels se nommaient Charlat, Grison et Petit-Mamin. Les deux officiers municipaux qui siégeaient au prétendu tribunal, devant lequel elle comparut, étaient Hébert et Rossignol. Charlat était un tambour de la garde nationale, qui partit bientôt après pour la Vendée avec un bataillon de volontaires parisiens, et qui fut massacré par ses camarades eux-mêmes lorsqu'ils apprirent qu'ils avaient dans leurs rangs un abominable assassin. Grison fut condamné à mort quelques années après par le tribunal criminel de l'Aube comme affilié à une bande de brigands et de chauffeurs. (Voir le Moniteur de l'an V, n° 125.)

Hébert périt sur l'échafaud le 4 germinal an II.

Petit-Mamin et Rossignol furent déportés en l'an IX aux îles Séchelles, de là à l'Ile d'Anjouan, où ils moururent de faim et de misère. (Voir la note sur la punition des septembriseurs.)

 

 

 



[1] Ce petit hôtel avait une entrée séparée sur la rue Pavée, au Marais, tandis que la porte du grand hôtel s'ouvrait sur la rue des Ballets, à deux pas de la rue Saint-Antoine. Ces deux entrées étaient très-éloignées l'une de l'autre et séparées par un îlot de maisons considérable. La petite Force avait un registre d'écrou distinct. La grande et la petite Force existaient encore, il y a quelques années, telles qu'elles étaient au moment des événements de 1792. Elles ont été détruites un peu avant 1848.

[2] Ces indications précises des levées d'écrou confirment pleinement le récit si intéressant qui a été publié récemment, sous le titre de Souvenirs de Quarante ans, par les enfants de Mlle de Tourzel, devenue depuis Mme la comtesse de Béarn. Ce récit fait, en effet, connaître qu'elle fut délivrée plusieurs heures avant sa mère.

[3] Nous avons retrouvé dans la procédure dirigée en l'an III contre les septembriseurs plusieurs dépositions qui donnent quelques éclaircissements sur la manière dont les 212 prisonnières de la Petite-Force furent sauvées. On vint les éveiller dans la nuit du 2 au 3 septembre, on les mit dans les rangs d'un détachement de gardes nationaux qui les conduisit à demi babillées dans l'église du Petit-Saint-Antoine, d'où elles eurent, quelques heures après, la liberté de s'en retourner chez elles. (Dossier Caval et Chantrot.)

[4] La Revue rétrospective, 1re série, tome III, p. 153, donne le procès-verbal d'inhumation de la tête de Mme de Lamballe ; les Mémoires sur les journées de septembre (édition de Didot, 1858, p. X de l'introduction), donnent deux pièces importantes : l'une est le procès-verbal dressé le 8 septembre par un membre du conseil général de la commune, chargé d'examiner une lettre trouvée dans la poche de Mme de Lamballe ; l'autre est cette lettre même écrite à la princesse de Lamballe pat la duchesse de Bourbon.

Les Mémoires de Weber contiennent aussi quelques détails sur l'intervention des serviteurs du duc de Penthièvre qui cherchèrent à recueillir les restes de cette infortunée princesse. Cette intervention e été singulièrement travestie dans un rapport que Bazire fit à la convention, le 6 novembre 1793 (Moniteur, n° 312 et 313), au nom du comité de sûreté générale. Ce rapport n'est, du reste, qu'un tissu d'absurdités et de mensonges qui se réfutent d'eux mêmes. On ne comprend pas comment quelques historiens l'ont pris pour guide dans leur récit des journées de septembre.