HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

V. — PROTESTATION DE LA MUNICIPALITÉ DE SEDAN ET DU DÉPARTEMENT DES ARDENNES CONTRE LE 10 AOÛT.

 

 

I.

En racontant la résistance essayée contre l'attentat du 10 août par le général La Fayette et les autorités constitutionnelles de Sedan et du département des Ardennes, nous avons donné le texte même de l'arrêté du conseil général de la commune, en date du 12 août. Nous donnons ici celui des arrêtés du district et du département, ainsi que le texte de la proclamation municipale du 14. Ces pièces inédites, ajoutées à celles que contient le Moniteur, complètent le dossier des documents officiels relatifs à l'affaire de Sedan.

 

EXTRAITS DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS DU CONSEIL DU DISTRICT DE SEDAN.

 

Cejourd'hui 13 août 1792, le conseil permanent du district de Sedan séant, le procureur-syndic, après avoir donné lecture d'une lettre adressée le jour d'hier par le doyen d'âge, président du conseil permanent du département des Ardennes, à M. Philippoteaux, l'un de ses membres, conçue en ces termes : Nous recevons à l'instant, monsieur et cher collègue, par un courrier extraordinaire, la nouvelle de la suspension du roi. Le moment est venu où nous avons plus que jamais besoin de vos lumières. Nous vous prions donc, à la réception de cette lettre, de venir vous réunir à nous pour nous entr'aider et nous soutenir avec la fermeté et le courage que commandent les circonstances importantes où se trouve la patrie, a dit :

Messieurs,

Quand le roi, guidé par des vues de bienfaisance et de justice, voulut rétablir l'ordre dans les finances et remédier aux abus qui excitaient des réclamations de tous les points du royaume ; quand il convoqua les états généraux, la nation, pleine de sensibilité et de confiance dans ses promesses, dans les lumières et le civisme de ses mandataires et de ses représentants, se promet-toit un avenir heureux et l'amélioration de son existence. Le roi trouvait son intérêt et son bonheur à seconder ce vœu, car il n'est pas présumable que les rois trouvent des jouissances dans les malheurs de ceux qu'ils ont la tâche de gouverner.

La convocation légale des états généraux, une représentation, égale en nombre à celles du clergé et de la noblesse, accordée à cette partie nombreuse de la nation appelée auparavant tiers-état, suffisaient pour attester aux yeux des contemporains et de la postérité que Louis XVI, renonçant aux ressources d'une autorité arbitraire, désirait et s'occupait sincèrement de la félicité de son royaume. Ces actes lui donnaient des droits à l'affection et à la reconnaissance des François, et certes il ne devait pas s'attendre qu'ils le mèneraient à l'avilissement de son autorité, qu'ils seraient pour lui la source des plus cruelles amertumes.

Les outrages dont on l'a accablé sont connus de toute la terre. Son sort est devenu tel que le plus chétif et le plus misérable des citoyens n'eût pas voulu le partager au lieu de sa paisible indigence.

La souveraineté résidait auparavant dans la personne de ce monarque infortuné. Elle est restituée à la nation par l'article 3 de la déclaration des droits.

L'article 2, titre III de la constitution, déclare que les représentants du peuple français sont le corps législatif et le roi ;

L'article 3 : que le pouvoir législatif est délégué à une assemblée nationale composée de représentants temporaires, librement élus, pour être exercé par elle avec la sanction du roi ;

L'article 4 : que le gouvernement est monarchique et le pouvoir exécutif délégué au roi pour être exercé sous son autorité par des ministres et autres agents responsables.

Le corps législatif a suspendu le roi. L'a-t-il pu, et n'est-ce pas de sa part un attentat contre un des principaux pouvoirs établis par la constitution de l'État ?

Aucun article de la constitution n'a prévu le cas et ne parle de la suspension de l'exercice du pouvoir exécutif en la personne du roi. Trois cas sont ouverts à l'abdication de la royauté :

Le premier, qui serait le refus de serment de la part du roi de maintenir la constitution..... à compter de l'invitation qui lui aurait été faite par le corps législatif de le prêter, ou la rétractation de ce serment ;

Le second, si le roi se met à la tête d'une armée et en dirige les forces contre la nation, ou s'il ne 's'oppose pas par un acte formel à une telle entreprise qui s'exécuterait en son nom ;

Le troisième, si le roi, étant sorti du royaume, n'y rentrait pas, après l'invitation qui lui en serait faite par le corps législatif, et dans le délai qui sera fixé par la proclamation, lequel ne pourra être moindre de deux mois.

Le roi a accepté la constitution et a juré de la maintenir ; il n'a ni rétracté ce serment ni entrepris de subjuguer la nation par la force armée : il a nommé des généraux, fait garnir les frontières de troupes pour repousser l'ennemi extérieur ; il n'est point sorti du royaume ni constitué en retard d'y rentrer après le délai prescrit ; dès lors il ne peut être censé avoir abdiqué.

Il n'est point dans le cas d'être remplacé par un régent, pour démence notoirement connue, légalement constatée et déclarée par le corps législatif, après trois délibérations successivement prises de mois en mois.

Ainsi la suspension du roi, pour l'exercice de la royauté, est une violation inouïe de la constitution et du serment que chaque membre du corps législatif a dû prêter, avant même de déployer aucun caractère, de maintenir cette constitution, de ne rien proposer ni consentir dans le cours de la législature qui puisse y porter atteinte, et d'être en tout fidèle à la nation, à la loi et au roi.

Il est notoire que le corps législatif gémit depuis longtemps sous la tyrannie d'une faction criminelle et conspiratrice ; qu'il n'est point libre dans ses délibérations ; que ceux de ses membres qui émettent des opinions opposées au plan subversif de cette faction sont outragés et proscrits par ses agents et satellites ; qu'enfin on l'a vu réduit à sanctionner le crime par une amnistie en faveur des assassins d'Avignon et par des honneurs rendus à des soldats rebelles à la loi et à leur chef.

Il est notoire que des scélérats de cette même faction ont, le 20 juin dernier, dirigé un attroupement armé dans les appartements et jusque dans le dernier asile du monarque, dont la personne est inviolable et sacrée ; que les portes en ont été brisées à coups de hache ; que non-seulement le roi, mais la nation même, sont grièvement outragés dans ces attentats contre celui qu'elle a choisi pour son représentant héréditaire.

Il est encore notoire que les pouvoirs législatif, exécutif et administratif sont évidemment en danger dans la capitale, soit par la conduite séditieuse des tribuns, soit par l'audace des pétitionnaires à vouloir ébranler les fondements les plus respectables de la constitution, soit par des attroupements qui se répandent autour et jusque dans l'enceinte du palais du roi, dans le coupable dessein de l'insulter et la reine son épouse, ou qui outragent les fonctionnaires publics qui montrent le plus de fidélité à leur serment, le plus d'attachement à leur devoir ;

Que, trop longtemps indifférente à l'égard de cette faction qui la déshonore, qui cherche et trouve son élément dans le crime et l'anarchie, et dont les excès impunis ont provoqué le ressentiment des puissances étrangères, et peut-être justifié aux yeux des autres peuples leurs mesures hostiles, le moment est arrivé sans doute où la nation entière va se lever pour combattre et terrasser les méprisables auteurs de ses maux.

Enfin, d'après la certitude des faits qui viennent d'être exposés, qui appellent sur la patrie les plus cruelles calamités que jamais aucun peuple ait à la fois éprouvées, telles que la guerre civile, l'invasion du territoire français par les troupes étrangères, le démembrement ou le partage du royaume et l'asservissement de tous les citoyens au despotisme militaire, le procureur-syndic, considérant que l'Assemblée nationale, le roi et sa famille ne sont ni en liberté ni en sûreté dans Paris, requiert messieurs du conseil permanent de proposer à celui du département un arrêté conçu dans cet esprit :

1° Que tout le temps que durera la suspension du roi, ouvrage de la faiblesse et de la division du corps législatif, et des menées des factieux, le département des Ardennes regardera ce premier pouvoir constitué comme étant dans un état de violence et de contrainte absolument contraire à la liberté et à la sécurité qui doivent caractériser ses actes, et auxquels, en conséquence, le département n'aura aucun égard ;

2° Que l'Assemblée nationale, le roi et sa famille ont les plus puissants motifs de quitter une ville devenue le théâtre du crime et des attentats les plus graves contre la majesté nationale et royale, et de se transporter incessamment dans tel lieu du royaume qui leur offrira le plus de liberté et de sécurité ; que jusqu'à ce que ces deux autorités constituées aient pu effectuer leur translation, reprendre l'exercice de leurs fonctions paisiblement et à l'abri de toute violence, le département des Ardennes gardera inviolablement le serment que chacun de ses habitants a prêté, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi ; en conséquence qu'il emploiera tout ce qu'il a de ressources et d'énergie contre tous ceux qui tentent de les opprimer ou de les anéantir dans le gouffre de l'anarchie et des discordes civiles ;

3° Qu'on dénonce à tous les François fidèles, à tous les amis de la liberté, les conspirateurs journalistes, vendus aux ennemis de la France, qui, en disséminant partout la discorde par leurs écrits incendiaires, ne se proposent autre chose que de favoriser les projets des ennemis extérieurs ;

4° Que tous les administrateurs du département des Ardennes ne reconnaitront, jusqu'à nouvelle de la levée de la suspension du roi, d'autres ministres, d'autres généraux, d'autres agents du pouvoir exécutif, que ceux employés par le roi au jour de sa suspension ; que quant au salut de la patrie et aux moyens à employer contre l'ennemi extérieur, lesdites administrations se reposent avec confiance de ce soin sur le civisme et la loyauté des généraux, sur la bravoure de leurs armées et sur leur inviolable attachement à la constitution ;

5° Que toutes lesdites administrations invitent et recommandent spécialement à tous les commandants, officiers, soldats et volontaires, sous les ordres du général La Fayette, à ne point abandonner un seul instant leurs drapeaux, à se convaincre que dans ces moments de crise la discipline et l'obéissance aux chefs doivent être maintenues parmi eux avec plus de sévérité que jamais ; que par là ils se rendront invincibles et les libérateurs de leur patrie, sous un chef d'ailleurs l'un des plus fermes soutiens de la liberté, que lesdites administrations le seconderont par tous les moyens que la loi a mis à leur disposition ;

6° Que le conseil du département invite tous les citoyens à l'union et à la fraternité, au concert contre tous les ennemis de la patrie et de la liberté, au respect pour les propriétés et pour les personnes, à l'acquit des contributions, sans quoi l'armée et toutes les autres parties de l'ordre politique ne pourraient subsister ;

7° Que ledit arrêté sera incessamment adressé à tous les ministres, avec prière expresse à chacun de le faire parvenir à tous les départements, à l'effet d'être entre eux uniformes dans les moyens de sauver le royaume des calamités dont il est menacé, d'empêcher le renversement de la constitution et des autorités qu'elle a établies, d'éloigner la guerre civile et ses horreurs, l'invasion du territoire français par les troupes étrangères, de réunir tous les amis sincères de la liberté autour de la constitution, leur sauvegarde commune ; d'assurer la subsistance des armées par le payement des contributions décrétées, de ranimer leur confiance et celle des généraux, et de leur montrer que la nation française, généreuse et puissante jusque dans ses désastres, est toujours là pour juger leurs services et décerner les récompenses qui leur sont dues.

Et a, le procureur-syndic, signé, FOURIER.

 

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Du 13 août, 1792.

Vu le réquisitoire ci-dessus et d'autre part, le conseil général de l'administration du district de Sedan, considérant que le corps législatif, en prononçant la suspension des pouvoirs du représentant héréditaire de la nation, a porté atteinte à la constitution ; qu'il est à présumer qu'il n'a pu librement s'y déterminer ; que s'il a commis cette violation, il n'a pu avoir d'autre but que de se soustraire et le roi à la fureur d'une populace effrénée, agitée par les ennemis de la patrie ;

Déclare qu'il demeurera fermement attaché à ses fonctions, qu'il emploiera tous les moyens que lui donne la constitution pour protéger la sûreté des personnes et des propriétés, qu'il n'aura dans sa conduite d'autres règles que celles que lui prescrit cette constitution, qu'il ne reconnaîtra ni ne fera exécuter aucuns décrets ou lois du corps législatif qui ne seraient pas sanctionnés par le roi ; qu'il regardera comme chefs de faction tous émissaires de ladite Assemblée dont les commissions ne seraient pas revêtues de cette formalité, et dont la mission ne tendrait qu'à renverser l'acte constitutionnel.

Déclare en outre, ladite administration, que son vœu serait qu'on rappelât les membres de la législation actuelle et qu'on les fit remplacer provisoirement par les députés à l'Assemblée constituante, à qui il sera fixé toute autre ville que Paris pour sa résidence et celle du roi et de sa famille, pourvu qu'elle en soit éloignée au moins de trente lieues.

Arrête que la présente délibération sera envoyée au département, qui est invité de la transmettre au pouvoir exécutif et à qui il appartiendra.

Les membres du directoire et conseil du district de Sedan,

HUSSON, président ; BRETAGNE, THILLOT, BARRÉ, QUINQUERNEL, MERRIQUET, LEVARIN et TOUSSAINT.

 

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ARRÊTÉ PRIS PAR LE CONSEIL GÉNÉRAL DU DÉPARTEMENT DES ARDENNES.

 

Cejourd'huy 15 août 1792, l'an nt de la liberté, le conseil général du département des Ardennes, en surveillance permanente, ayant à délibérer sur la question de savoir quelle suite serait donnée à l'acte du corps législatif du 10 du présent mois, portant la suspension provisoire du roi ;

La matière mise en délibération,

Le conseil, considérant que les administrateurs des départements ne sont que des agents élus à temps par le peuple pour exercer, sous la vigilance et l'autorité du roi, les fonctions administratives, et qu'ils ne doivent regarder comme loi du royaume que les décrets du corps législatif sanctionnés par le roi et envoyés en son nom par le ministre ayant la correspondance des départements (art. 6 de la loi du 5 novembre 1790) ;

Considérant que la constitution française est représentative, que les représentants sont le corps législatif et le roi ; que le pouvoir législatif est délégué à une Assemblée nationale pour être exercée par elle avec la sanction du roi (titre III, Des pouvoirs publics) ;

Considérant qu'aux termes des art. 3, 4 et 5 de la section II, concernant la forme de délibérer, aucun acte du corps législatif ne pourra être délibéré et décrété qu'au préalable il n'ait été fait trois lectures du projet de décret, à trois intervalles, dont chacun ne pourra être moindre de huit jours, et que rien ne constate que lesdites trois lectures ont été faites, ni que le projet de décret ait été mis en délibération, ni que l'urgence ait été décrétée, conformément à l'article 2 de la section II du même titre ;

Considérant qu'aucun des pouvoirs institués par la constitution n'a le droit de la changer ni dans son ensemble ni dans ses parties, sauf les réformes qui pourront y être faites par la voie de la révision, et que la révision ne peut avoir lieu quant à présent (titre VI, De la révision des décrets) ;

Considérant que la constitution, qui prononce l'abdication du roi dans les cas prévus par les articles 5, 6 et 7 du chapitre II, De la royauté, de la régence et des ministres, ne dit pas un seul mot de la suspension du roi, et que le décret qui prononce cette suspension est, par sa nature, attentatoire à la constitution, et, par ses effets, subversif de la constitution même, en ce qu'il cumule les pouvoirs dans la personne des législateurs, tandis qu'aux termes de l'art. ter de la section IV du chapitre II du titre III de l'acte constitutionnel, au roi seul appartient le choix et la révocation des ministres, et que, selon l'art. 16 de la déclaration des droits, toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ;

Considérant que la constitution est confiée à la fidélité des législateurs et à la garde du roi et des juges, à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, à l'affection des jeunes citoyens, au courage de tous les Français ; qu'il a spécialement juré de la maintenir de tout son pouvoir, et qu'il ne peut, sans se parjurer, opiner que la promulgation d'un décret rendu au milieu des horreurs de la guerre civile, des troubles, du bruit des canons et la présence des baïonnettes, ainsi qu'il est constaté par l'aveu des commissaires de l'Assemblée nationale, consigné dans le procès-verbal de la séance d'hier ;

Considérant que, d'après l'article 8 de la section IV du titre III de l'acte constitutionnel, le corps législatif cessera d'être corps délibérant quand le roi sera présent, et qu'il est prouvé, par l'aveu même des commissaires, que le roi était dans le lieu des séances au moment où le corps législatif délibérait ;

Ouï le procureur-général-syndic,

Arrête,

A la pluralité de quatorze voix contre huit :

1° Que l'acte du corps législatif portant suspension provisoire du pouvoir exécutif ne sera ni proclamé ni promulgué ;

Qu'il sera cependant envoyé aux districts et aux municipalités du ressort avec le présent arrêté, et qu'on leur enverra également les autres actes du corps législatif qui feraient suite à celui du 10 ;

2° Qu'il regarde les dispositions dudit acte comme étant attentatoires à la constitution, comme ayant anéanti un pouvoir organisé par elle et comme étant émané du corps législatif dans des circonstances où ce corps, subjugué depuis longtemps, ne peut notoirement délibérer avec liberté ;

3° Que l'Assemblée nationale est invitée de rétablir, par tous les moyens qui sont en elle, et la liberté de ses délibérations et le pouvoir qui peut, aux termes de la constitution, leur donner force de loi ;

4° Invite, et, en tant que de besoin, requiert tous les corps administratifs, civils et militaires, et tous les commandants de la force publique existant dans le département, d'y entretenir la tranquillité et d'y maintenir la sûreté des personnes et des propriétés ;

5° Invite les administrateurs des districts et les conseils généraux des communes à demeurer fidèles à leurs postes comme à leur serment, d'assurer et protéger la perception des contributions ; enjoint aux percepteurs et receveurs des deniers nationaux d'exécuter, à cet égard, tout ce qui leur est prescrit par la loi ;

Invite aussi tous les citoyens, au nom de la patrie en danger, de se réunir autour de la constitution qu'ils ont jurée, d'entretenir la tranquillité dont le département des Ardennes a joui jusqu'à présent et d'assurer, par ce moyen, l'ordre dans l'intérieur et la sûreté des frontières menacées ;

6° Arrête que le présent arrêté sera envoyé par un courrier au corps législatif et à la députation, et, par la voie ordinaire, à tous les corps civils et militaires du ressort ;

7° Que l'administration remplira ses fonctions jusqu'à détermination ultérieure en tout ce qui ne sera pas contraire à la constitution et une suite de l'acte du 10 août 1792, et sera, en outre, le présent arrêté, publié et affiché, lu au prône du premier dimanche après la réception, et envoyé à tous les départements du royaume.

Étaient présents à la délibération qui précède : Philippoteaux, président ; Gérard, Hanotin, Blondel, Hennequin, Dubois Barquin, Regnard, Wilquier, Bourgeois, Dessaulx, Lambert. Macquart, Rambourg, Chanzi, Lenfumée, Gérard, Blay, Legrand, Sené, Poterlot, Tisseron, et Dehayes, procureur-général-syndic.

 

Une délibération en date du 17 août 1792 constate que quatre membres arrivés pendant la séance et non présents aux séances précédentes, et à qui il a été donné lecture de l'arrêté pris le 15 de ce mois sur l'acte du corps législatif du 10 de ce mois, relatif à la suspension du pouvoir exécutif, y ont adhéré et ont signé : Namur, Lemaire, Drion, Lombard.

 

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ARRÉTÉ DU CONSEIL GÉNÉRAL DE LA COMMUNE DE SEDAN.

Les membres de la municipalité de Sedan à leurs concitoyens.

Vous êtes prévenus que, depuis quelques jours, les papiers périodiques écrits dans l'esprit des lois n'arrivent plus. Les agitateurs de la capitale, craignant que leur scélératesse, si elle était démasquée, ne soulève contre eux les honnêtes gens des départements, en interceptent la circulation, et ne la permettent qu'aux viles productions qui applaudissent à leurs forfaits ; c'est ainsi qu'en étouffant la voix de la vérité et de la justice, et laissant un libre essor à celle du mensonge, de la calomnie et de la délation, ils espèrent échapper à la vengeance qui les poursuit et répandre dans nos murs et jusque dans nos armées la défiance, le mépris des lois et des pouvoirs constitués, la discorde, la guerre civile et tous les maux qui en dérivent.

Citoyens, prémunissez-vous contre tout ce qui n'est pas dit ou écrit dans les principes de la constitution, redoublez de confiance dans les magistrats que vous vous êtes donnés. La patrie en danger vous y invite d'une manière plus particulière.

Vous trouverez jour et nuit, à la maison commune, des membres du conseil général auxquels vous pourrez faire part de vos inquiétudes et de vos doutes.

Repoussez tous les genres de séduction, et souvenez-vous bien que l'union parfaite qui règne entre nous et qui fait notre force doit encore se resserrer s'il est possible dans les moments de crise et de calamité où nous nous trouvons.

Fait au conseil général, se réunissant à Sedan le 14 août 1792.

 

II

PROCÈS DES OFFICIERS MUNICIPAUX DE SEDAN ET DES ADMINISTRATEURS DU DÉPARTEMENT DES ARDENNES, SIGNATAIRES DES PROTESTATIONS DES 12, 13 ET 14 AOÛT 1792.

 

Pendant la période la plus violente de la terreur, la ville de Sedan, comme bien d'autres, fut livrée à l'arbitraire d'une poignée d'ultra-révolutionnaires, à la tête desquels était le nouveau maire de cette commune, Passant. Cependant, quelques citoyens courageux voulurent résister à la tyrannie de ce tribun et obtinrent du nouveau directoire des Ardennes un ordre d'arrestation contre lui et ses principaux adhérents. Pour se venger, les sans-culottes ravivèrent le souvenir de la protestation sedanaise et la dénoncèrent au comité de sûreté générale. Celui-ci rendit le même jour (2 floréal an II, 21 avril 1792) deux arrêtés, l'un qui mettait en liberté Vassant et ses amis, l'autre qui ordonnait nominativement l'arrestation des citoyens qui avaient signé, dix-huit mois auparavant, les protestations des 12 et 14 août 1792 et qui étaient depuis cette époque rentrés dans la vie privée.

Levasseur (de la Sarthe), représentant du peuple, alors en mission dans le département des Ardennes, fut chargé d'exécuter ces deux arrêtés[1]. Des charrettes, voyageant à petites journées et entourées d'une forte escouade de gendarmerie, amenèrent à Paris les malheureux membres de la municipalité de Sedan. L'arrêté du 12 août était revêtu de trente signatures. Vingt-sept accusés seulement comparurent le 15 prairial an II, devant le tribunal révolutionnaire. La procédure indique ainsi les noms des trois absents : Lamotte-Germain, décédé ; Ternaux, voyageant en Allemagne ; Verrier, malade. Ce dernier avait été amené avec ses collègues, quoique atteint d'une très-grave maladie ; en arrivant, on fut obligé de le déposer à l'hospice ; il y subit un premier interrogatoire, mais les médecins le déclarèrent hors d'état de comparaître devant le tribunal ; cette circonstance lui sauva la vie.

On verra, par la liste des vingt-sept, que tous les rangs étaient mêlés dans cette municipalité ; les artisans y siégeaient à côté des premiers fabricants de la ville. Tous avaient pris part à la patriotique résistance de La Fayette, tous devaient éprouver le même sort.

Voici cette liste ; nous l'avons collationnée nous-même sur l'acte d'accusation dressé par Fouquier-Tinville, sur le jugement rendu par le tribunal révolutionnaire et sur la liste générale des condamnés, où les vingt-sept figurent sous les n° 1162 à 1188 inclusivement :

MAIRE : Desrousseaux (Louis-Georges), fabricant de draps, cultivateur, maire de la commune de Sedan depuis 1790.

PROCUREUR DE LA COMMUNE : Lenoir-Peyre (Jean-Louis), teinturier.

OFFICIERS MUNICIPAUX :

Bechet (Paul-Stanislas-Édouard), fabricant de draps, administrateur et receveur de l'hôpital ;

Bechet (Louis-Joseph), manufacturier ;

Fournier (Pierre-Charles-François), marchand épicier.

Gigoux Saint-Simon (Louis-François), avant la révolution aide-major de la place de Sedan.

Legardeur (Jean-Baptiste-Delphine), fabricant.

Noël (Michel), dit Laurent, confiseur.

Petitfils (Jean-Baptiste), médecin.

Raulin-Husson père (Nicolas), fabricant de draps.

Saint-Pierre (Yvon-Georges-Jacques), vivant de son bien.

NOTABLES :

Chayaux-Cailloux (Étienne-N.-S.), brasseur.

Delché (Pierre), orfèvre.

Delatre (Simon-Jacquet), tailleur.

Édet, le jeune (Louis), charpentier.

Édet (Louis), menuisier.

Faussois (Claude), traiteur.

Giboux-Vermont (Pierre), brasseur.

Grosselin (Augustin), marchand épicier.

Hennuy (Étienne), libraire.

Hermes-Servet, fabricant de poêles.

Lechanteur (J.-C.), brasseur.

Legardeur (François-Pierre), fabricant de draps, président du tribunal de commerce et du bureau de paix de ladite commune.

Lubet père (J.-B.), chef armurier.

Mesmer (Henri), brasseur.

Rousseau (Antoine-Charles), manufacturier de draps.

Varoquier père (Nicolas)[2].

Les vingt-sept furent déclarés par le jury du tribunal révolutionnaire convaincus, étant officiers municipaux, notables et fonctionnaires publics, d'avoir été complices d'un complot ourdi contre la liberté et la souveraineté du peuple en prenant et publiant, de concert avec La Fayette, des arrêtés et proclamations, en date des 12 et 14 août 1792, tendant à favoriser la trahison de ce scélérat en privant de leur liberté et retenant comme otages les représentants du peuple délégués par le corps législatif et invoquant la résistance à main armée contre la représentation nationale et le peuple, en faveur du tyran, de sa famille et de sa dynastie.

Le tribunal, présidé par Dumas, prononça contre eux tous la peine de mort. Us la subirent le même jour sur la place de la Révolution.

Cet holocauste fut bientôt suivi d'un autre ; les administrateurs du département des Ardennes avaient approuvé la résistance de la municipalité de Sedan, ils devaient subir le même sort.

 

Le 19 prairial comparurent, devant le tribunal révolutionnaire ;

LE PROCUREUR-GÉNÉRAL-SYNDIC du département des Ardennes, Deshayes, homme de loi à Rethel.

Et les ONZE ADMINISTRATEURS dont les noms suivent :

Blay (Jean-Baptiste), laboureur à Wadelincourt.

Boucher (Nicolas-Pierre), notaire à Bar-sur-Buzancy.

Bourgeois (Jean-Baptiste-Antoine), domicilié à Mézières.

Chanzy (Jacques), cultivateur à Vandy.

Dessault (Henry), cultivateur à Montlaurent.

Gérard (Claude-Jean-Baptiste), domicilié à Sedan.

Gérard (Marie-Claude-Gabriel), homme de loi à Sedan.

Gromaire (Jean-Sulpice), notaire à Chemery.

Legrand (Jean), cultivateur à Bouvellemont.

Lemaire (Jean-Jacques), maitre de forges à Champigneul.

Namur (Pierre), cultivateur à Lucquy.

Ils figurent sur la liste générale des condamnés, sous les n° 1242 à 1253 inclusivement, comme s'étant rendus coupables du même délit que la ci-devant municipalité de Sedan, déjà frappée du glaive de la loi.

Les administrateurs du district de Sedan n'avaient pas été compris dans les mandats d'arrêt lancés par le comité de sûreté générale, parce que l'acte constatant leur protestation n'avait pas été rendu public. Levasseur (de la Sarthe), en faisant faire des recherches sur les registres des divers corps constitués des Ardennes pour avoir le texte même de toutes les protestations signées à cette époque, en eut connaissance ; mais il se contenta d'ordonner l'arrestation de ces administrateurs, et n'adressa pas leur protestation au comité de sûreté générale, qui n'aurait pas manqué d'envoyer les onze signataires rejoindre sur l'échafaud de la place de la Révolution les malheureuses victimes des 15 et 19 prairial.

Après la tourmente révolutionnaire, le 9 frimaire an III, Colombel, au nom du nouveau comité de sûreté générale, fit à la convention un rapport[3] qui proposait de mettre en liberté, comme ayant été injustement incarcérés, les administrateurs du district de Sedan. Les conclusions de Colombel furent adoptées par la Convention, et ces onze magistrats, plus heureux que leurs autres compatriotes, furent rendus à leurs familles.

 

 

 



[1] Les Mémoires de Levasseur de la Sarthe, tome II, chapitre XVI, contiennent sur cette affaire des détails qui montrent combien celai qui les a arrangés, sinon fabriqués, était peu au fait des événements qu'il fait raconter à ce conventionnel. Il confond les dates, les situations, et ne sait pu même taire ressortir les circonstances qui indiquent que Levasseur ne fit qu'exécuter les ordres du comité de sûreté générale et montra autant d'humanité qu'il était permis d'en avoir dans ces tristes temps.

[2] Ternaux était fabricant de draps ; Verrier, juge au tribunal civil ; Lamotte-Germain, pharmacien.

[3] Voir le rapport de Colombel dans le Moniteur du 9 frimaire an III, n° 69, p. 193.