HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

IV. — COMPTE RENDU DES ÉVÉNEMENTS ARRIVÉS À PARIS DANS LA JOURNÉE DU 10 AOÛT 1792.

 

 

C'est celui qui fut envoyé aux armées le 11 août.

 

Depuis quelque temps l'inquiétude du peuple était grande ; son agitation était extrême, et tout annonçait des mouvements pour le jeudi. Neuf différentes sections, alarmées par le bruit du départ du roi, que plusieurs circonstances rendaient vraisemblable, avaient arrêté de se porter en armes devant le Château et dans les environs. A minuit, le tocsin sonna dans presque tous les quartiers de la ville ; on battit le rappel, on battit la générale. L'Assemblée se rendit au lieu de ses séances. Le maire de Paris et les officiers municipaux se rendirent au Château. Jusqu'à cinq heures, on n'aperçut que des groupes qui n'avaient rien d'alarmant. Tout à coup, de toutes parts, des citoyens parurent armés ; ils se portèrent en foule au Château. Le roi conçut des craintes et il se rendit avec sa famille à l'Assemblée nationale, les membres du département l'y accompagnèrent. Le peuple restait tranquille, et quoiqu'il déployât un grand appareil militaire, il paraissait disposé à ne commettre aucun désordre. Les commissaires des sections réunis à l'Hôtel de Ville s'emparèrent de tous les pouvoirs municipaux, donnèrent des ordres, nommèrent un commandant général et disposèrent de la force armée. Tous les citoyens ne manifestaient qu'un vœu, qu'une volonté. Les gendarmes municipaux, les fédérés, les gardes nationales, les piquets, tous ne faisaient qu'un, et étaient disposés à mourir pour la même cause. La force était si imposante qu'on ne devait pas s'attendre à la plus légère résistance de la part de ceux qui étaient renfermés dans le Château, et d'autant moins que le roi et sa famille en étaient sortis. Les canonniers qui étaient de garde exprimèrent sur-le-champ les sentiments qui les animaient en se réunissant à leurs concitoyens. Un grand nombre de gardes nationaux qui étaient dans le Château en fit autant. Quelques-uns restèrent avec mille à douze cents Suisses, ils donnèrent des signes extérieurs de fraternité, ils jetèrent par les fenêtres quelques papiers à cartouches, ils arborèrent un bonnet rouge ; de sorte que les citoyens, trompés par les apparences, entrèrent, croyant se rendre maîtres du Château sans coup férir. Ils n'eurent pas monté les premières marches de l'escalier que les Suisses tirèrent sur eux à bout portant ; ils se replièrent au dehors, braquèrent le canon, et le combat s'engagea. Un assez grand nombre de citoyens fut tué ou blessé ; mais il échappa très-peu de Suisses. On a remarqué parmi les morts plusieurs jeunes gens affidés du Château, vêtus de l'uniforme suisse.

Le peuple s'est conduit avec beaucoup de courage ; on a vu des gens dans le besoin dédaigner de prendre les dépouilles des vaincus et remettre des montres, des tabatières, pour venir au secours des veuves dont les époux avaient péri. On les a vus faire le dépôt de la vaisselle et de l'argenterie ; quelques particuliers ayant voulu piller, le peuple en a fait sur-le-champ justice ; des citoyens connus par leur incivisme et leurs principes contre-révolutionnaires ont été victimes du premier mouvement de l'indignation et de la fureur. Nulle boutique n'a été pillée, et le meilleur ordre régnait partout ailleurs que sur le théâtre du combat. Le feu a malheureusement pris dans quelques corps de bâtiments, soit par l'effet de l'artillerie ou des fusillades multipliées, soit par un accident dont la cause n'est pas encore connue. Nous espérons que le calme va se rétablir complètement, et que les mesures que l'Assemblée nationale vient d'adopter achèveront de consolider la tranquillité publique.

Collationné pour copie conforme par nous, président de la commission extraordinaire de l'Assemblée nationale soussigné, le 11 août 1792, l'an IV de la liberté.

CONDORCET.

Pour copie conforme à l'original :

Le général d'armée, BIRON.