PROCÈS-VERBAL DE L'INSTALLATION DU JURY SPÉCIAL D'ACCUSATION ÉTABLI PRÈS LE TRIBUNAL DU 17 AOÛT.Au nom de la nation, pour le salut de la patrie, nous, citoyens envoyés par les sections de la commune de Paris, nous sommes réunis dans la salle du palais nommée la Petite-Tournelle, où nous avons été installés, à l'heure de minuit, par les officiers municipaux, ainsi qu'il est constaté au procès-verbal annexé au présent. Et après avoir vérifié nos pouvoirs respectifs et après avoir prêté le serment porté au code du jury d'accusation ès-mains desdits officiers municipaux, nous sommes constitués en tribunal formant le jury spécial d'accusation pour connaître des délits commis contre la sûreté, la liberté et le bonheur de la nation française dans la journée du dix du présent mois d'août, l'an IV de la liberté, et le 1er de l'égalité, ainsi que des autres délits relatifs à la police et à la sûreté générale de l'État. Le tribunal spécial du jury d'accusation, considérant que l'Assemblée nationale a forcé le jury, par le silence qu'elle garde sur toutes les demandes de mesures à prendre pour sévir d'une manière légale contre les prévenus de conspiration et de crimes dont la connaissance lui est attribuée par le peuple souverain, sont de nature à ne permettre aucuns délais ; considérant encore qu'il est important que la majesté du peuple soit à l'avenir garantie des attentats qui viennent d'être commis, le tribunal[1], sans différer plus longtemps à sauver la patrie, la matière mise en délibération, a procédé à la nomination d'un directeur de jury d'accusation, lequel remplacera le directeur du jury qui n'a pas été nommé, et M. Jean-Pierre-André Danjon, citoyen français de la section des Arcis, a été proclamé à l'unanimité pour exercer les fonctions de directeur du jury d'accusation, lequel a accepté. Après quoi il a été procédé de la même manière que dessus à la nomination d'un secrétaire-greffier du tribunal du jury d'accusation, et M. Michel-Philippe-Théophile Mandar, citoyen de la section du Temple, a réuni, pour en remplir les fonctions, l'unanimité des suffrages, lequel a accepté. Il a ensuite été nommé pour secrétaire-greffier-adjoint, et à l'unanimité des suffrages, M. Étienne-Antoine Rivière, géomètre, de la section de l'Arsenal, lequel a accepté. Pour extrait conforme à la minute lesdits jour et an que dessus. THÉOPHILE MANDAR, membre du jury, secrétaire-greffier. Le tribunal du jury spécial d'accusation a nommé, pour faire part à M. le ministre de la justice des difficultés qu'il éprouve dans son organisation, quatre de ses membres, MM. Crucières, Petit fils, Huguet et Théophile Mandar, lesquels ont accepté. Fait lesdits jour et an que dessus. DANJOU, président du jury ; THÉOPHILE MANDAR. —————————— PREMIER REGISTRE DU TRIBUNAL CRIMINEL ÉTABLI PAR LA LOI DU 17 AOÛT 1792.Procès-verbal d'installation. 18 août 1792. Cejourd'hui 18 août 1792, cinq heures du soir, quatrième de la liberté, en vertu d'une lettre de convocation écrite par le procureur de la commune aux membres nommés par le corps électoral dans la journée d'hier, et celle de ce jour pour former le tribunal des directeurs dti jury d'accusation et les deux sections du tribunal criminel, le tout établi par la loi du jour d'hier 17 août, plusieurs de ces membres étant assemblés dans l'une des salles de l'Hôtel de Ville, dit la maison commune, et ayant fait informer le président du conseil général de leur arrivée, il a été pris un arrêté qui ordonne qu'il sera procédé sur-le-champ à l'installation des membres dont il s'agit. Le conseil général de la commune, ayant à sa tête le maire de Paris, assisté du procureur-syndic, après avoir prié les membres ci-dessus indiqués de l'accompagner, est sorti de la maison commune et s'est rendu au palais, et, étant entré dans l'une des salles dite de Saint-Louis, il a pris place sur la banquette des juges. En cet état, les portes de la salle ouvertes et le peuple qui s'y était rendu introduit, le procureur de la commune a requis qu'il fût fait lecture de la loi du 17 août, contenant la création des tribunaux dont il s'agit et des jurés d'accusation et de jugement qui y sont attachés ; le maire, au nom du conseil général, ayant ordonné qu'il y fût procédé sur-le-champ ; lecture faite, le procureur de la commune a requis de nouveau qu'en conformité de l'article 8 de ladite loi, les fonctionnaires dont il s'agit fussent installés après avoir prêté le serment. Le maire, ayant fait appeler les membres présents, il s'y est trouvé MM. Osselin, Mathieu, Lavau, Dubois, Pepin, Coffenhal, Perdrix, Saillant, Maire, Brûlé, Hardy, Molard, Bourdon, Desvieux, Lallier et Réal, et, leur adressant la parole, il a développé l'importance des fonctions dont le peuple venait de le charger, et a prononcé la formule de serment qui suit : Vous jurez et promettez d'être fidèle à la nation, de maintenir l'égalité et la liberté, l'exécution des lois, et de mourir à votre poste. Chacun des fonctionnaires ci-dessus nommés a levé la main et a répondu séparément : Je le jure ; puis le conseil général étant descendu dans le parquet et s'étant fait remplacer par les juges, il a prêté serment au nom du peuple, et conformément à la loi, de fidélité à la nation et de respect pour le tribunal et ses décisions ; après quoi il s'est retiré, reconduit par une députation du tribunal. Et, conformément à l'arrêté du conseil général de la commune, tous les dénommés ci-dessus, l'un après l'autre, ont déclaré leurs noms et professions, demeures et sections, et, se retournant en face du peuple, l'ont interpellé de faire connaître ses griefs, s'il en avait à proposer ; ils ont en outre, chacun séparément, affirmé n'avoir jamais été membres d'une société anti-populaire ni signataire d'aucune pétition contre les droits du peuple. Ces dispositions ayant été remplies par les juges, juges suppléants, accusateurs publics et greffiers, le tribunal a requis la prestation du serment des quatre greffiers du tribunal, qui ont pareillement subi la censure populaire, fait la déclaration ci-dessus relatée et enfin prêté le serment exigé par ledit article 8 de la loi du 10 du présent mois, duquel serment le tribunal leur a donné acte. Lesdits suppléants, ledit commissaire national a requis et le tribunal a ordonné la lecture, par l'un des greffiers, de ladite loi du jour d'hier, portant création du tribunal, son inscription sur le registre à ce destiné, et l'impression et affiche de ladite loi partout où besoin sera. En cet instant, et sur le réquisitoire dudit commissaire national, le tribunal a ordonné qu'il se retirerait dans la chambre du conseil, à l'effet d'y délibérer sur le règlement à faire des sections, sessions et audiences du tribunal. —————————— LETTRE DE JACQUES ROUX À DANTON.A Paris, le 18 août, l'an IV de la liberté. Vous ne devez pas douter, monsieur et brave citoyen, de la joie que j'ai ressentie lorsque vous avez été promu au ministère. Un véritable membre du club des Cordeliers voit avec attendrissement le triomphe et la gloire des Jacobins, et si je ne suis pas allé vous témoigner de vive voix la part que je prenais à cette heureuse nouvelle, c'est que je n'ai pas voulu dérober à la chose publique un temps que vous employez à punir les traîtres, à déjouer les complots pervers et assurer le triumphe de la cause du peuple. Mais, persuadé que vous tenez compte aux bons patriotes des démarches que leur cœur inspire, je me borne à vous offrir un hommage bien cher à votre âme ; c'est le désir de marcher sur vos traces et le serment de mourir pour le maintien de la liberté. Je me permettrai maintenant des observations sur un fait qui est de la dernière importance. Après le décret qui ordonnait l'établissement d'une cour martiale, la section des Gravilliers, mardi dernier, me mis au rang de deux commissaires qu'elle avait choisis. L'Assemblée nationale, ayant dans le même jour changé de mesure et laissé aux tribunaux le soin de juger les accusés, les intriguants n'ont pas manqué de profiter de cette occasion pour faire déclarer nulle l'élection précédante, afin d'écarter un citoyen dont tout le crime à leurs yeux est d'être prêtre, mais crime qui est bien réparé par les traits de civisme dont j'ai fait preuve depuis que je suis à Paris, tant dans les sociétés populaires que dans les chaires publiques. Le sieur Grouvelle, pour donner quelque couleur à ces objections puériles, soutient avec emphase que l'église aborhait le sang et qu'un ecclésiastique ne pouvait ni ne devait être du jury d'accusation et de jugement, comme si tous les citoyens étans soldats, ils n'ont pas le droit de concourir à la justice des traîtres et des assassins de la liberté. Enfin, hier, après des débats, j'ai été exclu de l'emploi honorable qui m'avait été confié à une grande majorité ; on a procédé à l'élection de quatre commissaires ; les deux qui avaient été nommés la veille ont été destitués parce qu'ils étaient d'excellents patriotes. J'ignore quels sont ces personnages nouveaux, car je pris le parti de me retirer et de ne voter pour personne. Je crois donc, monsieur, qu'il est de mon devoir de vous dénoncer cet outrage fait à ma qualité de citoyen et à mon patriotisme. Ma cause intéresse la chose publique, et si je tiens dans ce moment à ma première élection, si j'ai l'honneur de vous demander justice de cet attentat aux décrets, c'est que ma conscience est pure et que je suis sûr qu'il est peu d'hommes qui soient dans les vrais principes comme j'en ai donné des preuves. Les amis qui vous entourent vous diront qui je suis, comment je me suis montré dans ces derniers temps où il n'y avait qu'un pas de la mort à l'esclavage. Ils vous diront que j'ai bravé les fers dit despotisme et les pognards pour éclairer et rendre heureuse l'humanité, en disant la vérité à ceux même qui étaient indignes de l'entendre, et si le themoignage que vous recevrez de mon zèle civique est tel que je l'ai mérité, j'espère, monsieur, de votre justice que vous me rendrez tous les services que votre place vous met à portée de rendre aux citoyens qui aiment la liberté par-dessus tout. Soyez sûr que je serai dur, inflexible envers les tyrans, et que je mourai au poste que je devrais à vos bontés. Recevez, monsieur et citoyen vertueux, les sentiments de la vivo et sincère fraternité avec lesquels je ne cesserai d'être l'ami du peuple, le défendeur de la liberté, etc. JACQUES ROUX, chez Mme veuve Chechin, rue Grenetat, 4, maison Parent. |
[1] Les considérants qui précèdent sont loin d'être clairs ; mais nous eu avons par deux fois vérifié la minute, le texte est tel que nous le donnons.