HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME TROISIÈME

 

LIVRE XIII. — LES MASSACRES EN PROVINCE.

 

 

I

Les doctrines de Marat ne furent pas mises en pratique seulement dans la capitale. Plusieurs autres villes eurent à subir le contre-coup des mesures préconisées par le comité de surveillance de la commune de Paris. A Meaux, à Reims, à Charleville, à Caen, à Lyon, ailleurs encore, les assassins de l'Abbaye, de la Force et des Carmes, trouvèrent des imitateurs.

De prétendus fédérés, marseillais ou parisiens, s'étaient glissés dans les rangs des volontaires qui se dirigeaient de toutes parts vers la frontière. Aussitôt que le signal du massacre fut donné, ils dévoilèrent leur présence en assassinant les prêtres et les aristocrates qui leur tombèrent entre les mains. Suivons à la piste les traces sanglantes que ces misérables laissèrent de leur passage et, puisque les bourreaux ne se lassèrent pas de tuer, ne nous lassons pas de raconter leurs effrayants exploits ; remplissons jusqu'au bout le devoir que nous nous sommes imposé.

Meaux et Reims, deux des principales étapes pour les troupes en marche vers la Champagne, voyaient chaque jour se succéder dans leurs murs de nouveaux bataillons de fédérés, et s'accroître les éléments de trouble et d'agitation qu'elles renfermaient déjà. D'un autre côté, ces deux villes avaient été désignées par le décret portant convocation de la Convention nationale comme les lieux de réunion des assemblées électorales de Seine-et-Marne et de la Marne. Elles devaient être naturellement le point de mire des émissaires maratistes.

Le 4 septembre au matin, un détachement de gendarmerie, parti la veille de Paris, arrive à Meaux. Peu après une fermentation extraordinaire se manifeste sur la place de la Halle et dans les rues environnantes. Les autorités constituées siégeaient en permanence ; tout à coup, dans la salle même où elles étaient réunies, entrent plusieurs gendarmes parisiens, le sabre au poing, la menace à la bouche. Ils déclarent, au nom du peuple, qu'il faut purger les prisons et la ville des conspirateurs qui s'y trouvent, qu'il faut imiter ce qui vient de se faire dans la capitale. — Nous avons, ajoute l'orateur, les pouvoirs nécessaires pour propager cet exemple sur toute notre route.

L'administrateur, chargé du service des prisons, déclare qu'elles ne contiennent que des hommes détenus en vertu de la loi et dans les cas prévus par elle. Le juge de paix produit ses registres à l'appui de cette allégation[1].

Les gendarmes insistent et demandent si, depuis quelques jours, plusieurs prêtres insermentés n'ont pas été amenés à Meaux par des détachements de gardes nationaux. Les administrateurs déclarent que ces prêtres n'ont pas été arrêtés en vertu de mandats réguliers, mais que la force armée, agissant sans réquisition, s'est emparée d'eux de sa propre autorité ; ils ajoutent que la municipalité a reçu le matin même l'expédition de la loi qui prononce la peine de la déportation contre les ecclésiastiques qui ont refusé le serment, et qu'elle va la mettre immédiatement à exécution.

Les gendarmes se retirent à moitié satisfaits, promettant du moins de ne pas troubler la tranquillité publique. Peu rassurés par ces promesses, les membres de la municipalité se hâtent de rédiger une proclamation afin d'exhorter leurs concitoyens à ne pas se laisser égarer par les excitations d'agitateurs secrets qui cherchent à inspirer des soupçons sur le civisme des magistrats de la cité. Des officiers de police sont chargés d'aller lire à son de trompe cette adresse dans tous les quartiers de Meaux. Mais, arrivés sur la place de la Halle, ils trouvent réunis les gendarmes parisiens et tous les mauvais sujets de la ville. Ils sont accablés d'insultes, menacés de mort, contraints de se réfugier à la maison commune. Le conseil général, voyant l'émeute grandir, fait un appel désespéré à la garde nationale. Un officier municipal se rend à l'église, où siègent les électeurs qui procèdent à la nomination des députés à la Convention nationale, et leur apprend ce qui se passe ; mais ceux-ci déclarent que les questions de sûreté et de police intérieure ne sont point de la compétence du corps électoral ; qu'il doit se borner à l'exercice de ses fonctions spéciales et s'en rapporter aux autorités constituées, qui sauront remplir leur devoir.

Cependant les gardes nationaux répondent très-lentement à l'appel de la municipalité ; quelques-uns sont complices de l'émeute, d'autres cachent leur lâcheté sous les plus honteux prétextes. Le peuple est souverain, disent-ils, il n'y a aucune force à lui opposer lorsqu'il demande qu'on lui livre ses ennemis.

Profitant de l'indécision de la force armée, les assassins, sous la conduite d'un nommé Turlaire, limonadier et officier de la garde nationale[2], envahissent la prison, mettent en fuite le geôlier et se précipitent dans la chambre où sont renfermés les sept prêtres spécialement désignés à leurs fureurs[3].

Turlaire intime à ces malheureux l'ordre de descendre dans la cour ; ils obéissent sans défiance, et sont, en arrivant, massacrés à coups de sabres et de piques. Six individus, prévenus de délits ordinaires, subissent le même sort. Cette sanglante exécution ne dure pas une demi-heure, et lorsque les officiers municipaux accourent à la tête des quelques gardes nationaux qu'ils ont pu enfin entraîner avec eux, ils trouvent treize cadavres gisant sur le pavé. Il ne leur reste plus qu'à dresser procès-verbal de ce sinistre événement[4].

 

II

A Reims, le chef des agitateurs était le procureur-syndic de la commune lui-même, le nommé Couplet, dit Beaucourt, ex-moine apostat[5]. Par ses discours incendiaires, par ses motions furibondes, il entretenait la population dans un état de surexcitation continuelle. Grâce à cet énergumène, la terreur était à l'ordre du jour dans cette industrieuse cité. Il ne fallait plus qu'une occasion pour que l'on passât des paroles aux actes.

Le 3 septembre au matin, arrive un détachement de volontaires parisiens ; ils portaient cette inscription sur leurs chapeaux : hommes du 10 août. Aussitôt ils se répandent par la ville et font entendre des menaces de mort contre les aristocrates et les prêtres insermentés.

Les maratistes rémois leurs désignent, comme première victime à sacrifier, le directeur de la poste aux lettres, Guérin, accusé d'avoir, d'accord avec un de ses facteurs, le jeune Carton, brûlé des papiers compromettants. Aidés de leurs nouveaux amis, les Parisiens envahissent la prison, en arrachent Guérin et l'immolent sur la place même de l'Hôtel de Ville. Ils s'apprêtent à faire subir le même sort à Carton, mais quelques citoyens courageux parviennent à le retirer de leurs mains et à le conduire dans la salle où siège le conseil général. Les assassins l'y poursuivent. Beaucourt prend la parole, moins pour rappeler l'assistance au respect de la loi que pour établir la réalité du délit imputé à Carton. Il déclare que, des renseignements ayant été recueillis avec le plus grand scrupule, il est impossible de justifier le facteur infidèle.

Ce discours est accueilli par les émeutiers avec des applaudissements frénétiques. Ils- demandent à grands cris qu'on leur livre le traître, et annoncent qu'ils l'auront de gré ou de force. Des officiers municipaux essaient de faire évader Carton, mais, au moment où on espère l'avoir sauvé, il est saisi et mis en pièces.

Quelques heures auparavant, Beaucourt avait fait arrêter et avait conduit lui-même en prison un officier supérieur, M. de Montrosier, depuis peu démissionnaire du commandement de la place de Lille et retiré chez son beau-père, M. Andrieux, l'un des hommes les plus considérés de la ville, officier municipal en exercice.

Un boulanger, récemment établi à Reims et nommé Mitteau, vient, au nom des émeutiers, dont deux assassinats n'ont point rassasié la fureur, demander au Conseil général la tête de Montrosier. Il a voulu me faire pendre, dit-il, lorsque je servais sous ses ordres à Lille ; c'est à moi aujourd'hui à lui rendre la pareille. — Le Conseil général refuse de livrer l'ex-commandant ; mais la populace ne tient aucun compte des exhortations qu'on lui adresse, elle court à la prison et se fait livrer M. de Montrosier, sous prétexte de le conduire à l'Hôtel de Ville. En route, Mitteau lui porte un coup de sabre dans le dos, il tombe ; des forcenés l'achèvent, lui coupent la tête et la portent en triomphe.

Peu après, on amène deux prêtres, qu'une bande armée était allée chercher dans un village voisin, à Monchenot, près Villers-Allerand. C'étaient deux chanoines de Reims, MM. de la Condamine de Lescure et de Vachères, qui s'étaient retirés dans cette petite localité pour être à l'abri des persécutions. On les fait descendre de voiture et on les fusille à bout portant.

La nuit étant venue, les hommes du 10 août et les maratistes rémois allument un immense bûcher sur la place même de l'Hôtel de Ville ; ils y jettent les membres épars des cinq malheureux déjà égorgés. Bientôt on y précipite tout vivants deux autres prêtres[6], puis on va chercher les drapeaux, qui étaient suspendus aux voûtes de l'église de Saint-Rémy et qui entouraient le tombeau du saint. Faute de nouvelles victimes humaines, on donne à dévorer au brasier ce qui, depuis quatorze siècles, était l'objet de la vénération universelle.

Pendant cette nuit funeste du 3 au 4 septembre, l'assemblée électorale du département de la Marne se tenait dans l'église Notre-Dame sous la présidence de Diot, l'évêque constitutionnel. Les massacreurs s'y rendent et signifient aux électeurs qu'ils aient à donner leurs suffrages à Armonville, le cardeur de laine, que la démagogie rémoise avait mis à sa tête, et à Drouet, le fameux maitre de poste de Sainte-Menehould, qui avait arrêté Louis XVI à Varennes.

Plus de la moitié des électeurs se retirent pour ne pas obéir à ces brutales injonctions. Ceux qui restent élisent les deux personnages que les assassins viennent de leur désigner[7].

Le lendemain matin 4 septembre, les excès des septembriseurs continuent. A neuf heures, les émeutiers amènent à l'Hôtel de Ville l'abbé Paquot, ancien curé de Saint-Jean, et annoncent hautement leur intention de l'égorger, s'il ne prête le serment civique. Le procureur de la commune déclare que ce prêtre ne peut plus être admis à le prêter, puisqu'aux termes de la loi du 26 août 1792 il a encouru la peine de la déportation ; de son côté, le digne prêtre refuse avec une noble fermeté de racheter sa vie au moyen d'une capitulation de conscience. Mon choix est fait, dit-il aux forcenés qui l'entourent : je préfère la mort au parjure. Si j'avais deux âmes, j'en donnerais une pour vous, mais je n'en ai qu'une, je la garde pour mon Dieu.

A peine a-t-il prononcé ces belles paroles qu'on le saisit, qu'on l'entraîne sur la place et qu'on le perce de coups.

A ce meurtre succède bientôt celui de l'ancien curé de Rilly, plus qu'octogénaire. Il avait prêté le serment constitutionnel, mais plus tard il s'était rétracté. Qu'il jure, s'écrie la troupe, et nous le reconduirons chez lui ! Le vieillard déclare qu'il est prêt à mourir. Eh bien ! qu'on le pende ! hurle la foule, et aussitôt des bourreaux improvisés le portent sous un des réverbères de la place.

Le maire accourt, la loi à la main ; il essaie de la lire, il demande grâce pour les cheveux blancs du pauvre curé ; on ne l'écoute pas, sa voix est étouffée par d'incessantes clameurs ; il parle encore et déjà l'innocent, qu'il s'efforce de sauver, n'est plus qu'un cadavre[8].

Les assassins passent la nuit dans des orgies et des débauches sans nom. Tout à coup on annonce que Verdun s'est rendu, que l'on entend le bruit du canon, que ce bruit se rapproche. Le tocsin sonne à plusieurs églises, les plus grands désordres sont à craindre. Mais les derniers excès, auxquels viennent de se livrer les quelques centaines de forcenés qui, depuis deux jours, règnent en maîtres dans Reims, ont opéré une vive et profonde réaction. Des bataillons de volontaires se déclarent tout entiers prêts à s'unir à la garde nationale pour réprimer l'anarchie. Les égorgeurs s'effraient des conséquences des crimes qu'ils ont commis ; leurs chefs, pour flaire croire que les meurtres de la veille et de l'avant-veille sont uniquement l'effet d'une sorte de fièvre chaude populaire, tournent la fureur de leurs complices sur un des individus qui ont montré le plus d'acharnement dans les scènes des jours précédents, le nommé Laurent, dit Château. Le procureur de la commune, Beaucourt, s'était servi de ce misérable comme d'un agent provocateur ; mais il tient à étouffer les révélations dangereuses que celui-ci pourrait faire un jour. Sous main, il le désigne aux égorgeurs comme le bouc-émissaire, qu'il est de leur intérêt à tous de sacrifier. Château est arrêté et traduit devant le directeur du jury d'accusation. Le lendemain, au moment où il va comparaître devant ce magistrat, il est saisi, entraîné sur la place et immolé à l'endroit où le malheureux curé de Ailly a été égorgé deux jours auparavant. On veut faire subir le même sort à la femme de Château, car elle est peut-être dépositaire d'une partie de ses secrets ; mais le maire arrive à temps pour la sauver du bûcher, dans lequel on allait la précipiter et où se consumaient les restes de son mari. Cette dernière scène rend enfin à la garde nationale toute son énergie. Aidée par un bataillon de volontaires bretons, de passage à Reims, elle charge à la baïonnette les assassins qui, trop lâches pour résister un instant à une répression vigoureuse, s'enfuient pour ne plus reparaître[9].

 

III

Dans le même moment, des scènes sanglantes se passaient dans deux autres villes de France, à Charleville et à Caen. Là, c'étaient des fonctionnaires publics qui devenaient victimes de la populace ameutée.

Le II septembre, quatre voitures sortaient de la manufacture d'armes de Charleville et se dirigeaient vers la porte de Flandre, lorsque des volontaires de la Nièvre, de garde à cette porte, arrêtent le convoi et exigent la présentation des papiers d'expédition. Les armes étaient à destination d'Huningue ; aussitôt on s'écrie que les voituriers tournent le dos à la route qu'ils doivent suivre, qu'il y a dans tout cela une trahison manifeste. Juchereau, lieutenant-colonel d'artillerie, qui cumulait provisoirement les fonctions de directeur de la manufacture et de commandant de la place, survient et veut expliquer que le mauvais état des allées qui réunissent Charleville à Mézières l'a contraint de faire contourner la ville par les voitures. On ne veut rien entendre, la foule s'amasse, déjà lance des pierres et s'apprête à dételer les voitures. Avertis en toute hâte, deux officiers municipaux accourent et croient n'avoir rien de mieux à faire que de conduire à la mairie les voitures et l'officier expéditeur ; mais la foule les suit en proférant les plus effroyables menaces ; dans la salle où siège le conseil général pénètrent avec eux une vingtaine de fédérés d'un bataillon de Seine-et-Oise, arrivé depuis deux jours seulement à Charleville.

Juchereau est un traître, crient-ils ; il voulait faire passer des armes à l'étranger ; à la lanterne, le complice de Brunswick ! Le maire, Mena, supplie la foule d'écouter au moins les explications du lieutenant-colonel. Un officier municipal lit les pièces que vient de déposer l'accusé ; c'étaient :1° un ordre du ministre de la guerre, en date du 20 juillet, commandant à la manufacture d'armes de Charleville de fournir 1.530 canons de fusils et 2.000 tire-bourres pour la place d'Huningue ; 2° une réquisition des trois commissaires de l'Assemblée nationale, Kersaint, Antonelle et Péraldi, ordonnant de ne mettre aucun obstacle à la sortie de ce matériel ; 3° une lettre du directeur de l'artillerie d'Huningue, réclamant ces mêmes armes avec instance.

Juchereau réitère devant la municipalité les explications qu'il a déjà données : le mauvais état des allées l'a seul obligé de modifier, pour la sortie de la ville, l'itinéraire du convoi. Les cris à la lanterne le traître ! l'interrompent à chaque instant.

Le commandant du bataillon de la Nièvre, Baille-Beauregard, essaie de prendre aussi la parole, mais on le traite de royaliste, on le contraint à se retirer. Les salles et jusqu'aux escaliers sont envahis par une populace en délire ; du haut des fenêtres, les volontaires de Seine-et-Oise, qui sont entrés les premiers, crient à leurs affidés : Soyez tranquilles, nous le gardons, nous répondons de lui ; il ne sortira que pour être pendu ; vous n'avez qu'à préparer la corde !

L'officier municipal Routa, qui vient de lire les pièces justifiant pleinement Juchereau, est jeté violemment à bas du siège, sur lequel il était monté pour mieux se faire entendre ; le procureur de la commune est saisi au collet ; Juchereau est foulé aux pieds, frappé à coups de crosse de fusil ; le commandant en second des fédérés de Seine-et-Oise, Pechiné[10], anime lui-même ses hommes en montrant avec ostentation un sabre qu'il dit avoir été saisi dans l'une des voitures. Juchereau est entraîné hors de la salle du conseil ; sous les fenêtres mêmes de la maison commune, on lui porte plusieurs coups de baïonnette, on lui tranche la tête, on la met au bout d'une pique, pour la promener dans les rues de Charleville et de Mézières ; enfin on la jette dans la Meuse, entre cette dernière ville et le faubourg du Pont-d'Arches.

Le crime commis, les voitures d'armes sont pillées. La mairie et la cité entière sont le théâtre de violents désordres jusqu'au moment où, grâce à l'énergique attitude du commandant du bataillon de la Nièvre, Baille-Beauregard, et des magistrats municipaux, les rassemblements peuvent enfin être dissipés[11].

A Caen, un magistrat courageux était depuis plusieurs mois en lutte ouverte avec tous les démagogues du Calvados. Georges Bayeux, avocat célèbre dès avant la révolution, avait été appelé par M. Necker au poste de premier commis des finances, place qui équivalait à cette époque à celle de secrétaire général. Retiré dans sa ville natale après la chute de son ami, il avait été élu procureur général syndic du département. Dans ses nouvelles fonctions, il s'était attiré la haine des officiers municipaux de Caen et celle de l'évêque constitutionnel Fauchet, qui, dès le commencement de la Législative, l'avait dénoncé à la tribune pour ses tendances contre-révolutionnaires[12].

Trois jours après la révolution du 10 août, Fauchet, qui faisait partie du comité de surveillance de l'Assemblée législative, rédige un ordre formel d'arrestation contre le procureur général syndic du Calvados, et l'envoie sans retard à la municipalité de Caen pour le mettre à exécution. Bayeux est arrêté à la porte de la salle où siège le conseil général du département, et vient lui-même avertir tranquillement ses collègues de la mesure qui le frappe dans l'exercice de ses fonctions. Ses accusateurs, après avoir cherché pendant près de vingt jours un prétexte pour justifier leur dénonciation, sont impuissants à fournir aucun grief sérieux contre lui : force est donc au comité de surveillance de l'Assemblée législative de rendre un nouvel arrêté qui ordonne la mise en liberté de Bayeux.

L'ordre est transmis le 6 septembre à Caen ; mais, au même moment, arrive aussi la fameuse circulaire du 3 rédigée par Marat, et la nouvelle du massacre des prisons à Paris. Une agitation extrême s'empare des esprits, la populace demande la tête du procureur général et se dirige vers la prison. Cependant, quelques citoyens, espérant le sauver, demandent que Bayeux soit conduit devant les magistrats. Le prisonnier lui-même saisit avec ardeur ce suprême moyen de salut et réclame immédiatement des juges ; on le conduit à l'Abbaye-aux-Femmes, où se trouvent réunis le directoire du département et le conseil général de la commune. Sur la route, il rencontre son fils, un enfant de douze ans, le presse entre ses bras et lui remet sa montre qui, dans un moment, va marquer l'heure de sa mort. Arrivé sur la place des tribunaux, il trouve ses collègues du département, accourant au-devant de lui. Ceux-ci tentent quelques explications qui ébranlent la garde nationale jusqu'alors hostile ; mais des misérables fendent la foule, écartent les administrateurs, se ruent sur Bayeux, qui essaye de fuir ; il est atteint d'un coup de baïonnette dans les reins, puis d'un coup de feu à la tête, et va tomber expirant sur la place Saint-Sauveur. Il était déjà mort quand le tambour-major de la garde nationale lui coupe le visage avec son sabre, puis lui tranche la tête, que l'on promène à travers la ville. Quelques heures après, la population honnête, outrée de cet assassinat, chassait ignominieusement de Caen le tambour-major, cet homme, disait-on, qui n'était bon qu'à tuer des morts[13].

 

IV

La plus grande effervescence régnait en Bourgogne. Elle prend dans ces contrées, écrivait à Roland un de ses commissaires[14], une teinte d'âpreté, pour ne pas dire de férocité. Les routes ne sont pas sûres, le peuple croit voir dans chaque voyageur un aristocrate cherchant son salut dans la fuite.

Des émissaires maratistes parcouraient les villes et les campagnes, répandant et commentant la fameuse circulaire du comité de surveillance, propageant les bruits les plus sinistres et les plus absurdes ; entre autres fables, ils faisaient accroire aux crédules paysans que les prêtres insermentés s'étaient déguisés en Suisses le 10 août, avaient ainsi cherché à écraser les patriotes, et que c'était à cause de cela que le peuple de Paris en avait fait prompte et sévère justice[15].

Le 8 septembre, dans le petit bourg de Couches, près d'Autun, arrivait par une route de traverse une voiture renfermant quatre voyageurs. Le bruit se répand bientôt que ces étrangers sont des gens suspects. Leur passeport est en règle, il est vrai, mais ils viennent de l'envoyer, par un domestique à cheval, au district, pour le faire viser ; ils craignent donc de passer dans les villes importantes, ils n'osent pas se montrer ; ce sont des gens mal intentionnés, il faut savoir d'où ils viennent, où ils vont, ce qu'ils sont. Bientôt le mystère est éclairci, on apprend que les passeports soumis par les voyageurs aux autorités d'Autun portent cette mention : prêtres insermentés. C'étaient, en effet, quatre malheureux ecclésiastiques qui, pour obéir à la loi du 26 août, quittaient la France et se rendaient en Suisse.

Il était deux heures de l'après-midi, les vêpres venaient d'être chantées par le curé constitutionnel. Les maratistes du pays, probablement aidés par quelques agents provocateurs de passage, ameutent la population au moment où elle sort de l'église, obligent les autorités à conduire les quatre voyageurs à la prison du bourg, pour attendre ce que décidera le district d'Autun. Mais, à la tombée de la nuit, les démagogues de Couches, échauffés par les libations nombreuses auxquelles ils se sont livrés depuis plusieurs heures, déclarent que, quelle que soit la décision du district, il faut empêcher le départ des ennemis de la patrie. Pour cela, ils ne trouvent pas de meilleur moyen que de dépecer la voiture qui a amené les voyageurs et d'allumer un feu de joie avec les débris. Cette première expédition ne fait qu'exalter les esprits ; on se dirige vers la prison, les portes en sont brisées à coups de hache et de cognée ; on entraîne, l'un après l'autre, dans la cour, les quatre malheureux prêtres ; on les abat à coups de sabre, on les achève à coups de pierre. Ils ont rendu le dernier soupir qu'on les insulte encore.

Le soir, à dix heures, lorsque le commissaire du gouvernement qui décrit cette scène, traversait le bourg de Couches, les débris de la voiture fumaient encore et les quatre cadavres étaient étendus le long de la grande route[16].

Des scènes non moins lamentables se passaient à Lyon. Cette industrieuse cité était depuis une quinzaine de jours en proie à une très-vive agitation. Durant la nuit du 22 au 23 août, des officiers appartenant à deux régiments de cavalerie arrivés la veille et l'avant-veille avaient été arrêtés par ordre du prince de Hesse. Ce général commandait depuis quinze jours dans la seconde ville de France, et il exerçait son autorité avec toute la turbulence d'un esprit brouillon et remuant, avec toute la violence d'un jacobin de fraîche date[17].

Parmi les officiers emprisonnés se trouvaient le colonel, le lieutenant-colonel, plusieurs capitaines du fie régiment de cavalerie (ci-devant Royal-Pologne), le colonel et onze officiers du 15e régiment de dragons (ci-devant Noailles). Les démagogues et les journaux à leur solde prétendaient que les officiers de Royal-Pologne n'avaient conduit leur régiment à Lyon que pour être mieux à même de le faire passer tout entier à l'ennemi. On avait trouvé sur eux, au moment de leur arrestation, la copie des démissions qu'ils as/lent envoyées depuis plus de six semaines au ministre de la guerre, et naturellement ces pièces étaient devenues les éléments principaux de l'accusation dirigée contre eux. Or, c'était le ministre de la guerre lui-même, qui avait engagé les démissionnaires à ne pas quitter leur poste avant qu'ils ne fussent remplacés, et à amener d'Auch à Lyon les deux escadrons de campagne destinés à renforcer l'armée du Midi. En récompense de cette preuve de bonne volonté, ces officiers, au moment où ils allaient quitter une carrière dans laquelle plusieurs d'entre eux comptaient vingt et même trente ans de service, s'étaient vus, le lendemain de leur arrivée à Lyon, conduits à Pierre-Encise et mis au secret[18].

Les griefs que l'on avait contre les officiers du 15e dragons étaient encore moins considérables ; aussi ne tardèrent-ils pas à être mis en liberté, mais le régiment fut éloigné de Lyon et réparti entre Grenoble et diverses autres villes du Dauphiné. Cependant, les préventions aveugles, les accusations vagues qui les avaient fait arrêter, suivirent les officiers désignés, comme ayant donné des regrets au régime récemment tombé. L'esprit d'indiscipline, que le séjour au milieu des démagogues lyonnais avait développé chez les soldats, ne fit que s'accroître par les soins des émissaires maratistes qui enserraient le pays entier dans un vaste réseau d'espionnage et de délation. Ces excitations eurent le résultat qu'on devait en attendre. Le 8 septembre, cinq cavaliers du 4.5e dragons, prévenus d'insubordination, avaient été mis aux arrêts par les ordres du lieutenant-colonel Spendler, qui se trouvait en résidence à Tullins. Ils allaient être conduits sous bonne escorte à Grenoble, lorsque la populace de cette petite ville s'attroupe, arrête le convoi qui va se mettre en marche, se saisit du lieutenant-colonel, le force à signer la mise en liberté des cinq cavaliers, puis veut le conduire lui-même à Grenoble, à la place des soldats qu'il avait donné ordre d'y mener. Mais, à cinquante pas de Tullins, le malheureux lieutenant-colonel est assassiné et pendu par les pieds à un arbre de la route, où son cadavre reste jusqu'à ce que la municipalité le fasse enlever et inhumer.

Un pareil meurtre pouvait faire augurer du sort réservé aux officiers de Royal-Pologne. Aussitôt que la nouvelle de la mort tragique de Spendler se répand à Lyon, — dimanche 9 septembre, vers trois heures de l'après-midi, — une bande d'émeutiers, sous la direction de trois individus habillés en vétérans et d'un émissaire de la commune de Paris, nommé Saint-Charles, se dirige par les quais de Saône vers le fort de Pierre-Encise, elle demande à grands cris que les huit militaires détenus soient conduits à la prison de Roanne, l'égalité devant la loi exigeant que les officiers soient renfermés dans les maisons de détention ordinaires.

Au premier bruit de la formation de cette bande, le maire, Vitet, et deux membres du conseil général, Perret et Nivière, accourent avec le commandant de la garde nationale, Juillard ; mais en vain haranguent-ils la populace ameutée, celle-ci commence le siège du fort. Le maire donne secrètement au geôlier l'ordre de faire évader les détenus par la porte du Grillon ; soit mauvais vouloir, soit crainte ou lenteur du geôlier, cet ordre n'est pas exécuté, la porte du Grillon est elle-même assaillie par une nouvelle bande de misérables armés de haches et de leviers. Vitet y court et réussit à empêcher l'invasion ; mais à l'extrémité opposée, du côté du quai, les émeutiers ont profité de l'absence du maire pour forcer la principale entrée. Ils montent vers le fort, se précipitent dans la chambre où se trouvent rassemblés les huit détenus, les saisissent et les font descendre par l'escalier qui conduit au quai de Saône. Cependant, plusieurs officiers municipaux parviennent jusqu'aux prisonniers, les entourent de leurs bras, les couvrent de leurs écharpes ; l'escalier a été franchi sans encombre ; mais au moment où la tête de l'escorte arrive sur le quai, l'un des officiers écarte tout à coup ceux qui l'entourent, se précipite dans la rivière, et, en plongeant, se dérobe aux coups de fusil dont il est poursuivi.

La rage des émeutiers se tourne alors contre les autres prisonniers. Un assassin brûle la cervelle au lieutenant Achard ; cinq de ses camarades sont massacrés dans les bras des municipaux qui cherchent à les défendre au péril de leur vie. Un seul, le lieutenant Vinol, grâce à Pressavin, le substitut du procureur syndic de la commune, aidé de quelques gardes nationaux, peut arriver jusqu'à la place des Terreaux. Quelques pas encore, et il va atteindre les marches qui conduisent au grand vestibule de l'Hôtel de Ville ; s'il parvient à ce lieu de refuge, il est sauvé. Mais un autre groupe d'assassins, profitant de l'obscurité qui commençait à se répandre — il était sept heures et demie du soir —, se tenait embusqué dans une des rues étroites du voisinage. Tout à coup il débouche sur la place, envahit l'escalier et ferme le passage à Vinol et à ses libérateurs. Aux cris de Pressavin, le courageux maire Vite, revenu à son poste, accourt avec les gardes nationaux de service, fend la foule, se fraie un passage jusqu'au malheureux prisonnier ; il n'arrive que pour le voir frapper au cœur par le chef de la bande.

Après avoir promené dans les rues de Lyon les têtes de leurs sept victimes, les assassins, la plupart étrangers à la ville, se dirigent vers la prison Saint-Joseph, où ils égorgent un prêtre, l'abbé Lacroix, ancien vicaire de Saint-Nizier. Ce nouveau meurtre commis, ils vont à la prison de Roanne achever leur œuvre exécrable ; deux autres prêtres sont victimes de leur rage. Déjà Saint-Charles et ses principaux auxiliaires, installés au greffe, sont occupés à faire, sur le livre d'écrou, le relevé des victimes qui doivent être immolées. Heureusement, survient la garde nationale, sous la conduite du maire ; les assassins fuient, quelques-uns sont arrêtés ; niais, le lendemain, Chalier, membre de la commune et chef de la démagogie lyonnaise, abuse du pouvoir que lui donne son écharpe municipale pour faire échapper ses amis les égorgeurs. Il avait besoin d'assurer leur impunité pour dominer par la terreur la malheureuse cité, qu'il devait remplir de ses fureurs et que ses complices, devenus ses vengeurs, devaient inonder de sang[19].

 

V

Le 10 août avait achevé la ruine du parti constitutionnel, Les démagogues profitèrent de leur victoire pour inscrire sur leurs listes de proscription tous ceux qui avaient fait la gloire de ce parti dans l'Assemblée constituante. Clermont-Tonnerre avait été assassiné dans les rues de Paris peu d'heures après l'envahissement des Tuileries. Le 13, un décret d'accusation avait été rendu contre Barnave ; quelques jours plus tard, des mandats d'arrêt furent lancés par le comité de surveillance contre le duc de La Rochefoucauld et Adrien Duport.

L'ancien président du département de Paris était aux eaux de Forges. Des commissaires du pouvoir exécutif, revêtus de pleins pouvoirs pour le salut de la patrie, Parain et Corchand, un commissaire de la commune, Bouffart, vinrent s'abattre en même temps dans cette petite ville, se disputant l'honneur de procéder à l'arrestation de celui que sa courageuse conduite au 20 juin désignait spécialement aux vengeances des dictateurs de l'Hôtel de Ville[20].

Les émissaires du parti démagogique trouvent le duc au milieu de sa famille. Aucune résistance ne leur est opposée. Bouffart se charge d'emmener sous bonne escorte le prisonnier à Paris. Parain et Corchand vont ailleurs saurer la patrie. Le commissaire de la commune déclare qu'il a ordre de ne pas suivre la route directe, mais d'aller apposer les scellés au château de La Roche-Guyon, résidence habituelle du duc de La Rochefoucauld. Le voyage s'effectue à petites journées, il faut bien donner aux agents maratistes le temps d'exciter les esprits et de préparer les embuscades. On était parti de Forges le 2 septembre ; on arrive le 3 à Gournay, et le 4, dans l'après-midi, à Gisors. La ville est pleine de fédérés ; la municipalité, craignant pour la sûreté du prisonnier, ordonne que la voiture qui l'a amené avec sa mère, la duchesse d'Anville, âgée de quatre-vingts ans, sa femme et Mme d'Astorg, sera escortée par douze gendarmes, tant de Gournay que de Paris, par un détachement de gardes nationaux, et par elle-même, en corps, jusqu'aux dernières maisons de la ville.

Mmes de La Rochefoucauld et d'Astorg étaient dans la voiture, le duc était à pied ; Bouffart lui donnait le bras, les officiers municipaux l'entouraient. Tout à coup, une troupe armée de sabres et de bâtons se précipite sur le malheureux prisonnier ; il est renversé d'un coup de pierre à la tempe, puis, frappé à coups redoublés, il expire dans les bras de ceux qui ont été chargés de le défendre. Les malheureuses femmes entendent les hurlements des assassins, les prières et les supplications des officiers municipaux ; elles veulent se précipiter au secours de leur fils, de leur époux, on les en empêche ; la voiture, attelée de six chevaux, les emporte loin de ce spectacle d'horreur, pendant que le corps du malheureux duc est rapporté à Gisors.

Bouffart a soin de se faire délivrer par les autorités locales un certificat qui constate qu'il a courageusement défendu son prisonnier ; puis, il se hâte d'aller rejoindre Mme de La Rochefoucauld à La Roche-Guyon.

Après avoir fait apposer les scellés sur les papiers du duc, il fait enlever les armes, les objets précieux, les chevaux, et donne l'ordre de les transporter à Paris. Le tout y arriva-t-il ? C'est ce qui est fort douteux, car la plupart des expéditions de ce genre commençaient par le meurtre et finissaient par le vol[21].

Le mandat lancé contre Duport était mis à exécution au château du Bignon, près Nemours[22], au moment même où le duc de La Rochefoucauld tombait sous les coups de ses assassins. Mais, grâce aux liaisons que l'ex-conseiller au parlement de Paris avait eues jadis avec un avocat, alors obscur, aujourd'hui ministre de la justice, son sort devait être différent de celui de son illustre collègue. Danton veillait, dans l'ombre, sur son ancien protecteur, et avait résolu de le sauver des griffes de la bête féroce que l'on appelait Marat. Il est curieux de suivre toutes les phases de la lutte qui s'engagea à cette occasion entre les deux démagogues.

L'ami du peuple avait confié l'ordre d'arrestation au maire d'une des communes voisines du Bignon[23], qui, par amour de la patrie sans doute, était venu lui-même solliciter cette mission. Celui-ci, armé de son ordre, se présente inopinément à Duport, qui se promenait dans une des avenues du château avec sa femme et un de ses amis, et lui déclare qu'il est son prisonnier. En vain Duport proteste contre l'évidente illégalité dont on veut le rendre victime, invoque le nom de son ancien collègue Pétion, et déclare qu'il ne peut reconnaître à des gens inconnus, s'intitulant membres du comité de surveillance et de salut public, le droit de lancer, de Paris, un mandat d'amener exécutoire dans le département de Seine-et-Marne, sans qu'il soit revêtu d'aucune autorisation des pouvoirs hiérarchiquement supérieurs. L'émissaire du comité de surveillance ne veut rien écouter, ne donne pas même à Duport le temps de retourner au château, et le dirige, sous bonne et sûre garde, vers Nemours. Cependant, les agents subalternes qui accompagnaient le porteur du mandat d'amener ont l'air de compatir à l'infortune de Duport et d'être sensibles à ses protestations. Celui-ci les charge d'aller immédiatement à Paris et d'informer les amis qu'il compte encore à l'Assemblée de son arrestation arbitraire ; ils le lui promettent et reçoivent probablement d'avance la récompense de leur bonne action. Ils voyagent toute la nuit, mais au lieu de se rendre à la salle du Manège, ils courent au comité de surveillance, où Marat bondit de joie en apprenant la capture qu'ils ont faite, et leur remet l'ordre d'amener immédiatement Duport à Paris.

Heureusement pour l'ex-constituant, la tendresse conjugale veillait sur lui. A peine a-t-il quitté le Bignon avec l'escorte de gardes nationaux requise par les agents parisiens, que sa femme fait partir secrètement à franc étrier un exprès pour annoncer au ministre de la justice ce qui vient de se passer. Celui-ci, qui connaît la haine de Marat, pressent aussitôt le sort réservé à Duport, s'il arrive dans la capitale ou même dans les environs. Il se hâte donc d'écrire au commissaire du pouvoir exécutif près le tribunal de Nemours, pour lui défendre de se dessaisir de la personne du prisonnier, sous quelque prétexte que ce soit ; mais à peine a-t-il plié sa lettre, qu'il se demande si le courrier qui en sera porteur trouvera encore Duport à Nemours. Il craint que ce courrier ne se croise sur la route avec les envoyés de Marat, et qu'aucune autorité n'ose ouvrir un pli portant le contreseing du ministre. Il ajoute de sa propre main, sur la suscription : ou à tout autre commissaire de district des environs, sur la route de Paris à Nemours, et il signe de son nom redouté : Danton[24].

La précaution n'était pas inutile. En effet, le courrier, arrivé à Melun, présente l'ordre, dont il est porteur, an conseil général de la commune, qui siégeait en permanence. Celui-ci ne sait ce que veut dire cet ordre, car il n'a pas entendu parler de l'arrestation de Duport ; mais. à peine le courrier est-il sorti de la maison commune pour se mettre à la recherche d'autres autorités mieux renseignées, qu'arrive Duport, accompagné d'un nombreux détachement de gardes nationales, qui, heureusement, ont marché à petites journées depuis le Bignon et Nemours. Les chefs de l'escorte sont porteurs, non-seulement du mandat d'arrestation lancé par le comité de surveillance, mais de la nouvelle lettre du comité qui invite les officiers municipaux de Melun à faire conduire jusqu'à Charenton, sous bonne escorte, le sieur Adrien Duport, qui, là, sera confié à la municipalité de Paris.

A la nouvelle de l'arrivée du prisonnier, qui lui a été si soigneusement recommandé par son supérieur hiérarchique, le commissaire du pouvoir exécutif près le tribunal de Melun accourt à l'Hôtel de Ville. D'un autre côté, le porteur de l'ordre des dictateurs parisiens revendique impérieusement le droit de conduire le prisonnier jusqu'à la limite du département, et de le livrer à ses patrons. Dans quel but ? Il a du moins la prudence de ne pas l'avouer.

Chacune des parties contendantes maintient ses droits avec acharnement. Le conseil général de la commune de Melun est pris pour juge du litige. On amène devant lui l'homme dont la vie et la mort se débattent sous la forme d'une simple question de compétence. Mais cet homme est le même qui, trois ans auparavant, a été le promoteur de la réforme de nos lois criminelles ; c'est lui qui a posé, devant l'Assemblée constituante, les vrais principes de la liberté individuelle ; ce sont ces principes qu'invoquent ses sauveurs et que veut fouler aux pieds l'agent des vengeances maratistes. Enfin, après de longues et violentes discussions, le conseil général déclare, qu'attendu l'espèce de contradiction résultant de l'invitation à lui adressée par le comité de surveillance de la commune de Paris, et de la réquisition qui vient de lui être faite, en vertu de l'ordre de M. le ministre de la justice, par le commissaire du pouvoir exécutif, il y a lieu de consulter l'Assemblée nationale sur le parti à prendre, et de garder Duport en la maison commune, sous la sauvegarde de la loi et la responsabilité des autorités. Un courrier part à l'instant même, porteur de lettres pour le ministre de la justice et le président de l'Assemblée. Dès le lendemain, 8 septembre, la Législative, saisie par Danton de la question, lui en abandonne la solution par un décret formel. Danton s'empresse de transmettre ce décret au commissaire national près le tribunal de Melun, et ajoute de sa main, à l'expédition officielle, ce post-scriptum significatif : Je vous observerai que, dans cette circonstance, vous ne devez reconnaître que mes ordres, quels que soient ceux que vous receviez d'ailleurs.

Mais il était difficile de passer outre sans mettre le comité de surveillance et Marat, qui l'inspirait, en demeure de préciser les accusations dirigées contre Duport. Danton se décide donc à écrire, le 10, aux inquisiteurs de la mairie, pour les inviter à envoyer au tribunal du 17 août les pièces qui inculpent l'ancien constituant, et leur déclarer que, si ces pièces ne sont pas immédiatement déposées, il donnera les ordres nécessaires pour mettre le prisonnier en liberté.

En recevant la missive officielle, Marat entre en fureur et dicte lui-même la réponse à faire au ministre. Mieux que tout ce que nous pourrions raconter, elle montre sur quelles bases étaient appuyés les ordres d'arrestation qui se changeaient si souvent, pour tant d'illustres victimes, en arrêts de mort :

Nous n'avions pas besoin, monsieur, pour mettre en arrestation Adrien Duport, d'aucunes pièces contre lui ; sa conduite à l'Assemblée nationale, ses machinations, ses liaisons avec les conspirateurs nous imposaient la loi de nous assurer de sa personne ; mais on est encore parvenu à se procurer une correspondance d'Adrien Duport, qui prouve que le salut public exige qu'on rompe le fil de ses intrigues. On verra par cette correspondance combien Adrien Duport est un ennemi dangereux de la chose publique. Une partie de ses machinations, de ses intrigues, de ses trahisons, va être développée ; nous allons livrer à l'impression les pièces importantes et Adrien Duport aux tribunaux.

 

Marat exécute immédiatement cette menace ; le 13 septembre, dans le Journal de la République, il imprime et la lettre de Danton et celle du comité, en les accompagnant de trois billets énigmatiques dont, dit-il, Duport s'était trouvait nanti lors de son arrestation, et que Fabre d'Églantine, premier secrétaire du ministre de la justice, avait communiqués au comité de surveillance séant à la mairie, avec la clef des allégories.

Marat n'avait fait suivre cette publication d'aucun commentaire, mais il avait fait parvenir sa feuille à Danton avec une lettre de la dernière insolence. Celui-ci sent le coup ; comment le parer ? Il voit tout de suite qu'il lui importe d'apaiser la colère de l'Ami du peuple et de faire les premières avances ; — dure nécessité, mais qu'il faut subir. — Seulement, pour ne pas avoir l'air de s'humilier devant Marat, et d'aller chercher dans son antre l'oracle du comité de surveillance, le ministre de la justice va trouver le maire de Paris. — On se rappelle que Pétion logeait au-dessus du local occupé par le comité de surveillance. — Danton a l'art de se faire proposer par le débonnaire magistrat de descendre ensemble pour avoir avec Marat une explication franche et loyale. Ils trouvent l'Ami du peuple très-animé. Danton lui répond avec sa brutalité habituelle ; la dispute s'échauffe. Pétion, qui a toujours un thème tout fait sur la concorde et le devoir des concessions mutuelles, s'épuise à apaiser les deux furieux. Ceux-ci, à force de se disputer, de se lancer leurs vérités à la face, en arrivent à s'apercevoir qu'ils ont besoin l'un de l'autre, et qu'il serait absurde de s'entre-dévorer lorsqu'ils ont encore tant d'ennemis communs à détruire. Puisque la paix est indispensable, Marat, habile comédien, tient au moins à avoir les bénéfices de la générosité. Tout à coup, il se précipite dans les bras de Danton, l'étreint fraternellement et déchire la lettre qu'il lui a écrite. Danton, dit M. Michelet à cette occasion, endura le baiser, sauf à se laver ensuite[25]. Ainsi tiré du mauvais pas dans lequel l'avait engagé son confident, Fabre d'Églantine, par sa communication plus qu'intempestive, le ministre de la justice sent qu'il importe de terminer au plus vite une affaire qui peut encore le compromettre si elle se prolonge. Il prescrit donc au tribunal de Melun de prononcer le plus tôt possible sur le sort d'Adrien Duport.

Le tribunal n'attendait que cette communication officielle, et quelques heures après la réception de la lettre du ministre de la justice, il déclare par un jugement solennel que l'arrestation de Duport est illégale, et prononce définitivement la mise en liberté de l'illustre prisonnier[26].

 

VI

Certes, les dictateurs parisiens ne furent pas étrangers à la plupart des meurtres que nous venons de raconter, mais ils restèrent dans l'ombre ; leur connivence peut donc être contestée. Il n'en saurait être de même pour le dernier épisode des massacres de septembre. Ici la complicité de Danton et de ses amis est manifeste, éclatante. Il est vrai qu'il s'agit d'une catégorie de prisonniers qui, plus que toute autre, était depuis longtemps l'objet de leur haine, le point de mire de leurs invectives. Nous voulons parler des prévenus que les ennemis de la royauté avaient entassés successivement, depuis une année, dans les prisons de la haute cour d'Orléans[27].

Ces prisons renfermaient, à la fin d'août 1792, cinquante-trois accusés. Les principaux d'entre eux étaient :

Le duc de Cossé-Brissac, ci-devant gouverneur de Paris, colonel des Cent-Suisses, et en dernier lieu commandant général de la garde constitutionnelle de Louis XVI, poursuivi pour avoir, disait-on, fomenté parmi ses soldats un esprit incivique et contre-révolutionnaire[28] ;

M. Delessart, ancien ministre de l'intérieur, puis des affaires étrangères, que Brissot, en mars 1792, avait fait renvoyer devant la haute cour, quelques jours avant l'avènement du premier ministère girondin ;

M. d'Abancourt, ministre de la guerre pendant les dix derniers jours qui avaient précédé la catastrophe du 10 août, et qui, le soir même de cette journée, avait été décrété d'accusation[29] pour avoir retenu à Paris une partie du régiment des gardes suisses que l'Assemblée législative avait voulu éloigner ;

M. Étienne Larivière, juge de paix de la section de Henri IV, que l'on accusait d'avoir voulu porter atteinte à l'inviolabilité des représentants du peuple, parce qu'il avait lancé un mandat d'amener contre les trois députés Chabot, Bazire et Merlin[30].

L'Assemblée avait également déféré à la haute cour vingt-huit officiers du régiment de Cambrésis, alors en garnison à Perpignan, et sept bourgeois et artisans de la même ville, accusés d'avoir voulu livrer la citadelle aux Espagnols. Il ne s'agissait, en réalité, que d'un tumulte de garnison causé par l'indiscipline qui, à cette époque, s'était glissée dans tous les rangs de l'armée. Ces officiers, bourgeois et artisans avaient été amenés, dans des charrettes, de Perpignan à Orléans, au cœur de l'hiver de 1791 à 1792 ; ils attendaient depuis huit mois les résultats d'une procédure qui, à la fin d'août, était à peine commencée.

Les quelques autres prisonniers étaient aussi peu coupables, mais plus obscurs.

Le jury attaché à la haute cour, et qui était formé d'un juré élu dans chaque département, avait prononcé, quelques jours avant le 10 août, plusieurs acquittements. Les démagogues de la capitale n'avaient pas manqué de s'élever contre ces décisions. Aussitôt après leur triomphe, ils demandèrent à l'Assemblée que cette juridiction fût détruite, et que les prisonniers d'Orléans fussent transférés à Paris pour y être jugés par le tribunal du 17 août.

Cette injonction, déjà faite plusieurs fois au nom de la commune fut renouvelée, le 23 août, avec une nouvelle insistance et d'un ton plus impérieux encore que d'habitude[31].

Le surlendemain, 25 août, Gensonné vint, au nom de la commission extraordinaire, proposer une espèce de transaction entre les passions de la rue et les règles de la justice. Il rappela le caractère tout exceptionnel du tribunal du 17 août, son jury purement local, le champ borné de ses attributions. Loin de songer à dessaisir la haute cour des procès pendants devant elle, il la déclara seule compétente en matière de crimes d'État et ajouta qu'on ne pouvait, sans violer tous les principes, soustraire les accusés à leurs juges naturels et priver la nation du droit qu'elle avait de participer à leur jugement. Toutefois, il demanda le renouvellement des hauts jurés, parce que, disait-il, l'opinion publique s'était modifiée depuis leur élection, et qu'il fallait dès lors les remplacer d'après le principe qui avait déjà été adopté pour la création du tribunal du 17 août, c'est-à-dire constituer les vainqueurs juges des crimes imputés aux vaincus.

L'Assemblée adopta sans discussion le projet de la commission extraordinaire, et en même temps chargea le ministre de la justice d'envoyer à Orléans deux commissaires s'assurer de l'état des procédures, inspecter les prisons et pourvoir à leur sûreté.

Le décret conservait la haute cour et par conséquent ne pouvait convenir aux meneurs de l'Hôtel de Ville ; ils étaient donc d'avance résolus de n'y avoir aucun égard. Comme ils avaient des complices dans le ministère aussi bien que dans l'Assemblée, ils avaient été avertis, avant la législature elle-même, du projet préparé par la commission extraordinaire. Le 24 août, la veille même du jour où Gensonné[32] lisait son rapport, ils dépêchèrent cinq à six cents patriotes armés de sabres et de fusils et munis d'une somme de six mille livres prise dans la caisse communale ; ces patriotes devaient être censés partis de leur propre mouvement pour s'opposer à l'exécution d'un prétendu complot royaliste qui n'aurait tendu à rien moins qu'à forcer les prisons d'Orléans et à enlever les accusés. Par une tactique qui leur était habituelle, les démagogues prêtaient à leurs adversaires leurs propres intentions.

La bande, qui avait été recrutée dans les diverses sections de la capitale, était commandée par le fameux Fournier l'Américain. Elle n'était, du propre aveu de son chef, qu'un ramassis de voleurs[33].

Déjà, depuis quarante-huit heures, elle avait quitté la cap italo, rançonnant, pillant les communes qu'elle traversait. Des autorités parisiennes, les unes ignoraient, les autres feignaient d'ignorer le but de l'expédition.

Cependant, à la nouvelle du brusque départ d'une force année qu'aucune autorité officielle n'avait requise, la commission extraordinaire s'émut et demanda des explications[34]. Nous ignorons dans quels termes elles furent données. Quant au résultat, il fut tel qu'on devait l'attendre de la faiblesse de la Législative. Une fois de plus, l'Assemblée courba la tête ; non-seulement elle accepta le fait accompli, mais elle le légalisa en ordonnant l'envoi immédiat à Orléans d'une force armée destinée, disait le décret du 26 août, à veiller à la garde et à la sûreté des prisonniers.

 

VII

Le premier décret (celui du 25 août) avait chargé le ministre de la justice d'envoyer à Orléans deux commissaires pour examiner les procédures commencées. Le choix de Danton tomba sur Dubail et Léonard Bourdon. Ils avaient des instructions ostensibles et des ordres secrets. Ils devaient, avant tout et sur tous les points, se concerter avec Fournier, en route depuis la veille. Ce qui le prouve, c'est que, partis en poste le 25 au soir, par conséquent avant que le décret du 26 ne fût venu régulariser la marche des patriotes parisiens, Dubail et Bourdon s'arrêtèrent à Longjumeau, qui avait été la première étape de la bande de Fournier. Ils restèrent plusieurs heures en conférence avec celui-ci, et, quoiqu'il dût avoir la bourse encore assez bien garnie des deniers pris indûment dans la caisse de la ville de Paris, quoiqu'il dût être pour eux, commissaires du pouvoir exécutif, en flagrant délit de rébellion, ils lui remirent un nouvel à-compte de six cents francs, puis remontèrent en voiture[35].

Ce n'était pas au ministre de la justice, mais au ministre de l'intérieur qu'il appartenait de pourvoir à l'exécution du décret du 26, relatif à l'envoi d'une force armée à Orléans. Roland aurait pu diriger sur le Loiret des gardes nationaux choisis avec soin, et mettre à leur tête un homme de cœur, muni des pouvoirs nécessaires pour ranger sous ses ordres les détachements déjà en marche. Mais ce ministre, qui se croyait inflexible parce qu'il était rogue, inaccessible à la crainte et aux entraînements parce qu'il se plaisait à se représenter sans cesse comme tel, subissait, sans qu'il s'en doutât, l'influence de son audacieux et habile collègue. Danton lui persuada qu'il n'avait rien de mieux à faire que de suivre l'exemple que venait de lui donner la représentation nationale, d'admettre le fait accompli, de délivrer à Fournier une commission qui l'investît régulièrement de l'autorité dont il s'était emparé et lui donnât le commandement officiel des détachements marchant sur Orléans, aussi bien de ceux qui étaient partis de leur autorité privée que de ceux qui seraient envoyés en vertu du décret de l'Assemblée.

Fournier attendait tranquillement à Étampes le brevet de général de l'armée parisienne, que ses amis de l'Hôtel de Ville lui avaient promis. Il lui fut apporté par les chefs de la deuxième bande, partie de Paris le 26 août au soir. Ces chefs étaient Bécart, commandant du bataillon de Popincourt, et le fameux Lazowski, commandant des canonniers de la section du Finistère. Cette bande vécut en chemin, comme celle qui l'avait devancée, aux dépens des communes et des particuliers, au moyen de réquisitions qui furent plus tard fort contestées par ceux même qui les avaient faites[36].

Le 30 août, l'Américain arrivait à Orléans. Il y était reçu avec les plus grands honneurs par la municipalité et le département, qui croyaient voir en lui et en ses compagnons les vrais représentants de la garde nationale parisienne. Fournier, aussitôt après avoir fait vérifier par les autorités orléanaises sa commission signée Roland[37], envoie ses bandes prendre possession des deux prisons affectées aux prisonniers de la haute cour, Saint-Charles et les Minimes.

Les volontaires parisiens s'emparent de tous les postes, pénètrent dans les chambres, exercent sur les prisonniers les plus grandes brutalités, en blessent même quelques-uns. Ayant inspiré à tous ces malheureux une terreur salutaire, ils organisent le pillage, font main basse sur l'argenterie et les autres valeurs portatives. Léonard Bourdon est là, approuvant tout par sa présence, et prenant les noms des prisonniers pour savoir si le compte des individus qu'on a promis de lui livrer se retrouve exactement.

Cette première expédition faite, Fournier et ses deux lieutenants, Bécard et Lazowski, posent des sentinelles à tous les guichets, à toutes les portes, dans tous les corridors, avec la consigne d'opposer un refus formel à quiconque, sous n'importe quel prétexte, demanderait à communiquer avec les prisonniers.

Cette consigne est exactement suivie. Un homme énergique essaye cependant de la forcer. Gilbert-Bonnet, huissier audiencier de la haute cour, se présente aux Minimes le 1er septembre et déclare qu'il doit signifier à certains accusés divers actes de procédure ; l'entrée lui est brutalement refusée. A force d'insistance, il parvient, à travers six cordons de sentinelles, jusqu'à un des officiers de Fournier, le somme de le laisser pénétrer dans la prison, et, sur son refus, lui demande son nom pour verbaliser. S.... n... de D..., lui répond brusquement l'officier sans-culotte, si tu ne te retires pas promptement, je te ferai consigner de manière que tu ne feras jamais de pareilles questions. Gilbert-Bonnet court à l'Hôtel de Ville, où il trouve Fournier à la tête d'un détachement de canonniers parisiens ; il lui demande de donner des ordres pour que lui, huissier de la haute cour, puisse pénétrer dans les prisons et y accomplir les actes de son ministère. Mais Fournier s'emporte et crie d'une voix tonnante : S.... n... de D... — il parait que c'était ainsi que commençaient tous les discours de ces scélérats —, je n'ai aucun ordre à donner. Quand ces sacrés gueux auront tous la tête coupée, on fend le procès après. Je n'entends pas les chicanes ; tu peux t'aller faire f..... Ni toi ni d'autres n'entreront jamais dans les prisons tant que je serai à Orléans avec mon armée. Gilbert-Bonnet ose demander au général son nom, quoiqu'il le sache fort bien. Mais Fournier lui réplique : Retire-toi, te dis-je, sans d'autres raisons, si tu ne veux passer un mauvais quart d'heure.

Menacé par les sicaires de l'Américain, l'huissier de la haute cour est obligé de faire retraite. Mais, poussant aux dernières limites sa courageuse persistance, il dresse procès-verbal de tous ces faits et le notifie au général dans la personne, à la vérité, d'un de ses suppôts, car il n'eût pas été possible d'obtenir une seconde audience. du terrible chef de l'armée parisienne[38].

 

VIII

Fournier, Bécard, Lazowski règnent en maîtres souverains dans Orléans. Sur la place du Martroy, les canonniers de la section du Finistère stationnent avec pièces chargées et mèches allumées. Cependant, les maratistes de la localité et, à leur tête, le tailleur démagogue nouvellement élu maire, Lombard-Lachaux, traitent de leur mieux leurs amis parisiens et marseillais. Le dimanche 2 septembre, ils leur donnent une fête civique : drapeaux, lampions, musique, banquet, chansons, harangues, tonnes défoncées ; rien n'y manquait.

Pendant qu'on buvait et qu'on chantait à Orléans, les massacres commençaient à Paris. Le soir même de cette journée néfaste, peu après que le vieux Dussaulx eut annoncé à ses collègues que la députation envoyée à l'Abbaye n'avait pu faire entendre la voix de l'humanité aux assassins, l'Assemblée législative parait se ressouvenir des accusés qu'elle a elle-même envoyés par-devant la haute cour. Désespérant de sauver les prisonniers qui se trouvent à deux pas d'elle, elle veut au moins faire acte de bonne volonté en faveur de ceux du Loiret qui eux, au moins, ne sont pas directement sous la main de la commune insurrectionnelle. Elle commence à entrevoir les liens étroits qui rattachent le brusque départ de Fournier et de sa bande aux effroyables exécutions dont Paris est depuis quelques heures le sanglant théâtre. Elle espère que son intervention pourra encore sauver les malheureux que, sans le savoir, elle a livrés aux assassins envoyés par les dictateurs de l'Hôtel de Ville. Il faut à tout prix rappeler la troupe indisciplinée dont, par son malencontreux décret du 26 août, elle a sanctionné la mission improvisée ; mais il faut aussi lui dissimuler la méfiance qu'elle inspire. Au nom de la commission des vingt-et-un, Gensonné apporte un projet de décret qu'on adopte et qu'on expédie à Orléans par un courrier extraordinaire[39].

Le décret était adressé aux deux grands procurateurs de la nation qui remplissaient auprès de la haute cour les fonctions de ministère public[40]. Ils le reçoivent le 3 septembre, dans l'après-midi, et s'empressent de convoquer à l'Hôtel de Ville d'Orléans les autorités municipales et départementales, les deux commissaires du pouvoir exécutif, les commandants de la force armée. Fournier se fait longtemps attendre ; il arrive enfin avec les cinq ou six individus à figure rébarbative qui composent son état-major. On le fait entrer seul dans la salle du Conseil, où se trouvait déjà M. Dulac, commandant de la garde nationale d'Orléans. Lecture est faite à haute voix du décret rendu la nuit précédente par l'Assemblée, et dont le préambule, malgré ses formes vagues, faisait clairement connaître sous quelle douloureuse impression il avait été rédigé :

L'Assemblée nationale, considérant ce qu'exigent les circonstances actuelles, la sûreté des personnes détenues dans les prisons de la haute cour nationale à Orléans, et la nécessité de rappeler promptement les gardes nationales parisiennes pour partager avec leurs frères d'armes le service extraordinaire que la sûreté de la capitale et le salut de la chose publique exigent :

Considérant que la Convention nationale pourra seule déterminer les changements qui devront âtre apportés aux articles constitutionnels qui ont fixé l'organisation du tribunal de la haute cour nationale et le lieu où elle doit siéger, à la distance de trente mille toises de la ville où le corps législatif tient ses séances ;

Considérant enfin que le château de Saumur présente tous les moyens de sûreté pour la garde des prisonniers, et n'exige pas le concours d'une force armée considérable.

L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit :

ART. Ier. Les personnes détenues dans les prisons de la haute cour nationale seront, à la diligence des grands procurateurs de la nation et des commissaires envoyés par le pouvoir exécutif à Orléans, transférées sur-le-champ dans les prisons du château de la ville de Saumur.

ART. II. Les commandants de la garde nationale d'Orléans et de la garde nationale parisienne actuellement à Orléans seront tenus d'assurer le transport des prisonniers par une escorte suffisante.

ART. III. Les gardes nationales qui se sont rendues de Paris à Orléans se retireront sans délai au sein de la capitale et viendront partager le service extraordinaire auquel les citoyens de Paris vont se dévouer pour le salut de la patrie et la défense de la capitale.

 

Le décret lu, on en donne copie aux deux commandants, que l'on invite à fixer le nombre d'hommes rigoureusement nécessaire à l'escorte des prisonniers. Fournier demande à conférer de cet objet important avec ce qu'il appelle son état-major. Perdant ce temps, les commissaires civils et les grands procurateurs de la nation écrivent au ministre de la justice pour lui accuser réception de ses dépêches et l'assurer de tout leur zèle à les faire exécuter[41].

A peine le courrier est-il remonté à cheval que Fournier rentre dans la salle du conseil, suivi de son lieutenant Bécard. Il s'explique d'une manière évasive sur le nombre d'hommes dont il a besoin ; mais Bécard, moins dissimulé, répond brutalement : Tous ces détails sont inutiles, l'armée de Paris ne se divisera point, telle est sa volonté et celle de ses chefs, aucun décret n'y fera rien. Fournier, bien loin de désavouer son lieutenant, déclare à son tour qu'il ne consentira pas à partager sa troupe, et, comme on le presse de justifier cette résolution, il salue la compagnie en annonçant qu'il va se mettre à table, étant, dit-il, à jeun depuis le matin. Cette impertinente sortie avait un autre motif. Fournier, craignant qu'on ne prît contre lui quelque mesure de rigueur, voulait rassembler ses hommes et se préparer à toutes les éventualités.

Bientôt on entend battre la générale ; on vient avertir les autorités restées à l'Hôtel de Ville qu'il se forme des groupes menaçants du côté des prisons, et que les volontaires parisiens courent aux armes, non pour s'opposer à ce mouvement, mais pour combattre les troupes régulières si elles viennent à se montrer. Ordre est aussitôt donné à la garde nationale d'Orléans, à la gendarmerie et aux troupes de ligne composant la garnison de se tenir prêtes à marcher au premier signal. Mais avant d'en venir aux dernières extrémités, les grands procurateurs veulent s'assurer de l'état des choses, et, entraînant avec eux Bourdon et Dubail, ils se rendent sur la place du Martroy, où leur présence suffit à intimider les rôdeurs de nuit qui s'y sont rassemblés. De là, s'étant dirigés vers l'endroit que l'armée parisienne a choisi pour point de ralliement, ils la trouvent rangée en bataille à l'entrée des rues Bannier et d'Hilliers, les canonniers à leurs pièces, les fusiliers formant des groupes près de leurs armes en faisceaux, tous la tête échauffée et plus mal disposés que jamais à entendre le langage de la raison. Aussi, quand Pellicot et Garran-Coulon veulent porter, de groupe en groupe, des paroles de paix et rappeler aux volontaires les devoirs que leur impose le décret de l'Assemblée nationale, on ne leur répond que par des éclats de rire, des menaces et des huées. L'Américain, tranquillisé par les dispositions qu'il a prises, paraît devant les magistrats et les engage à le suivre à sa demeure ; ils y trouvent trois ou quatre individus qui se donnent pour les députés de la section du Finistère et se prétendent chargés de ramener leurs frères dans la capitale. Quelques mots prononcés par ces émissaires à l'oreille du commandant font frissonner les deux magistrats, quoiqu'ils ne les entendent qu'à moitié[42].

Sans doute, les envoyés des démagogues parisiens avaient conseillé à Fournier de dissimuler par une feinte obéissance les projets sinistres qu'ils lui avaient communiqués. Aussi se laisse-t-il ramener sans peine à l'Hôtel de Ville par Garran-Coulon et Pellicot. Là, il se déclare prêt à obéir au décret ; il ira à Saumur, mais avec tout son monde, c'est le vœu de son armée. Céder sur ce point, fait-il observer, c'est le moyen de se faire mieux obéir pour tout le reste ; d'ailleurs, dans l'état d'effervescence où se trouve le pays, il ne faut pas, suivant lui, moins de douze cents hommes suivis de six pièces de canon pour transférer sûrement les prisonniers. Il ne demande à la garde nationale d'Orléans qu'un détachement de deux cents volontaires. M. Dulac déclare qu'il fournira un détachement aussi nombreux que l'on voudra, et qu'il ne dépendra pas de lui que la loi ne soit fidèlement exécutée. On se résigne à accepter les conditions imposées par Fournier, mais on lui fait promettre solennellement de conduire les prisonniers sains et saufs à Saumur. L'Américain jure tout ce que veulent les magistrats et se retire. Aussitôt les grands procurateurs de la nation et les autorités départementales s'occupent de faire préparer, sur la route de l'ouest, les étapes du convoi et de sa nombreuse escorte. Une somme de quinze mille francs, empruntée à la commune, est portée à Fournier pour les besoins du voyage.

Pendant tout le reste de la nuit du 3 au h, on cherche à rassembler des moyens de transport. Les entrepreneurs ordinaires avaient caché leurs chevaux et leur matériel, craignant de ne les revoir jamais s'ils les confiaient aux patriotes parisiens. Garran-Coulon et Pellicot sont obligés de remettre à la municipalité des réquisitions en forme pour l'autoriser à s'emparer, de gré ou de force, des chevaux et voitures des particuliers, même de ceux de la poste, si cela est nécessaire.

L'heure du départ avait été fixée à cinq heures du matin. Déjà depuis la veille, les rumeurs du dehors, quelques propos échappés aux gardiens avaient averti les prisonniers que leur sort allait changer. Mais que devaient-ils devenir ? C'est ce qu'aucun d'entre eux ne savait. On parlait vaguement de Saumur, de Paris, d'un prompt jugement qui les rendrait bientôt à la liberté.

Plusieurs, dans l'incertitude du sort qui leur est réservé, passent la nuit à rédiger leurs testaments, à écrire à leurs amis, à leurs proches, à mettre leurs affaires en ordre. Fournier va de chambre en chambre, se présentant à tous comme un protecteur bien résolu à les défendre contre les périls qui pourraient les menacer.

Il y avait dans les prisons de la haute cour des gens fort riches, comme le duc de Brissac ; ils aimaient, même en ces tristes demeures, à s'entourer d'un luxe qui leur rappelait leur vie heureuse et les consolait de la liberté absente, et étaient pourvus de vaisselle magnifique, de somptueux habits, de bijoux précieux. Toutes ces richesses, par les soins des affidés de Fournier et de Bourdon, sont enlevées et jetées pêle-mêle dans des malles. Les fourgons, que l'on a mis en réquisition, reçoivent quelques-unes de ces malles ; d'autres, sans doute par inadvertance, sont transportées en ville, dans les logements particuliers des chefs de l'expédition[43].

Les effets mis en sûreté, on s'occupe des prisonniers eux-mêmes, on les 'rassemble dans les cours, on leur lie les mains, on les entasse sur des chariots. Bécard s'est chargé des vingt-huit détenus qui se trouvent à Saint-Charles ; Fournier s'est réservé ceux des Minimes, MM. de Brissac, Delessart, d'Abancourt, Larivière et plusieurs officiers supérieurs du régiment de Cambrésis. Le concierge de la prison se fait donner par l'Américain une décharge des prisonniers qu'il vient de lui remettre, et demande timidement si dans cette décharge il doit indiquer leur destination. — Eh bien, répond Fournier après quelques hésitations, mettez Saumur. — L'attitude embarrassée du commandant de l'armée parisienne fait réfléchir les grands procurateurs de la nation. Ils sentent se réveiller toute leur méfiance et s'approchent de l'Américain qui cherche en vain à les éviter. A force de supplications, ils lui arrachent de nouveau la promesse qu'il ira à Saumur. Cela fait, il saute à cheval, pique des deux et devance les magistrats sur la place du Martroy ; il y trouve son lieutenant, avec les prisonniers amenés de la prison de Saint-Charles. Aussitôt que Bécard aperçoit la tête du convoi que conduit Fournier, et sur un signe probablement convenu d'avance avec lui, il donne à sa troupe l'ordre de s'ébranler et s'engage par la rue Bannier dans la direction de Paris.

Le détachement de la garde nationale d'Orléans, que Dulac avait convoqué, reste immobile ; mais de ses rangs sortent quelques individus isolés qui grossissent la troupe parisienne, à laquelle se joint un certain nombre de soldats du régiment de Berwick gagnés au complot et qui se sont échappés de leur caserne.

A la nouvelle que les prisonniers sont entraînés sur la route de Paris, les deux grands procurateurs, Garran-Coulon et Pellicot se font jour à travers la populace qui encombre la place du Martroy, parviennent à rejoindre Fournier et Bécard qui ont pris la tête du cortège, leur rappellent courageusement leurs promesses violées, la loi méconnue et les effroyables suites que peut avoir leur désobéissance. L'Américain leur répond qu'il sait ce qu'il a à faire et continue son chemin. Aucune résistance n'est plus possible. Les magistrats rentrent à la maison commune pour verbaliser. Ils reçoivent les protestations des chefs de la garde nationale d'Orléans, des officiers et d'un certain nombre de soldats du régiment de Berwick, qui, drapeau en tête, viennent témoigner à la municipalité la douleur qu'ils éprouvent de la défection de quelques-uns des leurs[44].

 

IX

Le 5 septembre, à huit heures du matin, l'Assemblée nationale recevait communication de la dépêche que les grands procurateurs lui avaient envoyée par un courrier extraordinaire pour l'avertir de ce qui s'était passé à Orléans. Quelques heures après, sur le rapport de Vergniaud, elle adoptait un décret qui chargeait le pouvoir exécutif de prendre, dans l'intérêt de la loi, toutes les mesures qu'exigeraient les circonstances et notamment d'envoyer deux commissaires au-devant de la force armée commandée par Fournier. Ce décret était accompagné d'une proclamation également rédigée par Vergniaud ; on y rappelait leurs devoirs aux soldats mutinés et on leur ordonnait de rétrograder non-seulement jusqu'à Orléans, mais encore jusqu'à Saumur.

Ces mesures, cependant bien peu sévères, inquiétèrent les meneurs de l'Hôtel de Ville ; ils firent nommer par la commune d'autres commissaires qui, eux aussi, devaient aller au-devant de l'armée de Fournier, sous prétexte que cette armée, composée d'enfants de Paris, ne pourrait qu'écouter avec déférence des magistrats de la cité venant joindre leurs exhortations à celles des délégués du pouvoir exécutif. Roland, tombant encore une fois dans les chausse-trapes que son collègue Danton ne cessait de placer sous ses pas, accepta les envoyés de la commune comme des auxiliaires utiles et leur donna des pouvoirs identiques à ceux dont il avait revêtu son propre représentant[45].

Les commissaires arrivèrent à Étampes quelques heures avant les bandes que l'on avait décorées du nom d'armée parisienne.

Cette armée, qui méritait si peu ce nom, marchait dans un affreux désordre, maraudant tout le long du chemin, et, à chaque halte, se livrant à toute sorte d'excès[46].

Aussitôt que les commissaires furent avertis de son approche, ils allèrent la recevoir à l'entrée d'Étampes et, après un roulement de tambours, l'un d'eux lut à haute voix, devant le front des bataillons, le décret du 5 et la proclamation rédigée par Vergniaud. Cette pièce d'éloquence fit naturellement très-peu d'effet sur les officiers et encore moins sur les soldats. Aussitôt après cette lecture, les agents de la commune, se répandant dans les rangs, prêchèrent tout haut la soumission et tout bas la désobéissance.

Fournier et sa troupe séjournèrent deux jours à Étampes. Ce retard dans une marche d'abord précipitée serait difficile à comprendre, si les rapports des commissaires ne nous révélaient l'arrivée, durant la nuit, d'un émissaire de la commune, chargé de faire modifier l'itinéraire projeté et de diriger les prisonniers non plus vers Paris, mais sur Versailles.

Quel était le motif de ce changement d'itinéraire ? Les organisateurs des massacres avaient pu s'apercevoir que la population parisienne sortait de sa stupeur et pouvait s'opposer au renouvellement des massacres. Ils résolurent donc de transporter ailleurs le théâtre de leur dernier exploit.

Quatre lieues séparent Versailles de Paris. Rien n'était donc plus facile que d'y envoyer les assassins à la solde du comité de surveillance ; en dirigeant sur cette ville les prisonniers que l'on avait hautement annoncé vouloir conduire dans la capitale, on paraissait, jusqu'à un certain point, obtempérer au décret de l'Assemblée.

Les deux journées que Fournier eut l'air de perdre Étampes donnèrent aux organisateurs des massacres le temps de faire concorder l'arrivée des prisonniers à Versailles avec un nouveau dimanche, jour, il faut le remarquer, presque toujours choisi pendant la révolution pour tous les mouvements populaires.

La masse des volontaires que commandait Fournier, et auxquels celui-ci ne pouvait, sans se compromettre, expliquer tout haut les motifs du contre-ordre qu'il venait de recevoir, fit d'abord la plus vive opposition au changement d'itinéraire. On craignit à plusieurs reprises une sédition parmi tes troupes indisciplinées. Il fallut que les commissaires de la commune jurassent de marcher avec l'armée parisienne jusqu'à Versailles, en ajoutant que, là, justice serait faite[47].

Les prisonniers étaient assez bien traités depuis leur départ d'Orléans. Si parfois les sentinelles, placées près des chariots aux diverses haltes, les insultaient, et, dans la franchise de l'ivresse, leur prédisaient le sort qui les attendait, les officiers affectaient pour eux une sympathie hypocrite, cent fois plus odieuse que la brutale rudesse des soudards et des vauriens qu'ils avaient sous leurs ordres. Fournier surtout se montrait, non-seulement humain, mais prévenant à l'égard des prisonniers. Il leur procurait, à chaque couchée, de la paille fraiche ; à chaque repas, de bons vivres ; il ne cessait de leur faire entendre des paroles presque amicales. Ainsi parvint-il à capter leur confiance, et même à devenir le dépositaire de leurs secrets, de leurs derniers bijoux et de leurs valeurs de portefeuille. Pendant les deux jours que le funèbre convoi séjourna à Étampes, il redoubla pour eux de soins ; il les visita dans le couvent abandonné qui leur servait de prison ; il leur expliqua, à sa manière et à son avantage, la cause des tumultes dont le bruit et les clameurs étaient parvenus jusqu'à eux ; il se posa comme leur protecteur et leur ami.

Ces malheureux gisaient sur la paille, qu'on avait étendue à la hâte dans de grandes salles toutes nues, sans meubles et sans lits. Ils étaient garrottés et semblaient de vils animaux que l'on mène à la boucherie, mais dont on prend soin cependant, afin qu'ils arrivent en bon état entre les mains de ceux qui doivent les égorger.

Fournier avait accordé à ces infortunés une suprême faveur, il leur avait permis d'écrire à leurs proches et à leurs amis et avait autorisé les gardes qui veillaient sur eux à desserrer les liens qui retenaient leurs mains captives. Mais, de peur qu'ils ne tentassent de s'échapper, on n'en déliait que quelques-uns à la fois. Ils se passaient de main en main les trois ou quatre plumes que l'on avait mises à leur disposition. Aussitôt que l'un d'eux avait fini sa lettre, on le garrottait de nouveau et on débouclait son voisin[48].

Ces prisonniers n'étaient pas tous, comme on pourrait le croire, également découragés. Ceux qui avaient le pressentiment du sort qui les attendait l'envisageaient avec assez de fermeté pour cacher leurs appréhensions à leurs compagnons d'infortune et leur épargner les inutiles anxiétés d'une trop longue agonie. Tel, qui venait d'écrire son testament et d'adresser ses suprêmes adieux à ses amis les plus chers, tendait en souriant la plume à son impatient voisin, à qui il tardait de faire partager à sa mère ce que son insouciance lui laissait encore d'espoir. Tous innocents et presque tous jeunes, la plupart se rattachaient avec tant d'ardeur à la vie qu'ils ne demandaient pas mieux que de s'aveugler sur le danger de leur position et se prenaient à croire aux propos équivoques par lesquels Fournier et ses confidents cherchaient à les endormir. Ils ne soupiraient qu'après des juges et espéraient en trouver là où on les menait. Ils se louaient des soins dont les entourait le général de l'armée parisienne, et surtout de la promesse solennelle qu'il leur avait faite d'envoyer immédiatement leurs lettres à destination.

Mais Fournier, infidèle à sa parole, inaccessible à toute pitié, garda cette correspondance dont il avait accepté ou, pour mieux dire, extorqué le dépôt, et l'envoya au comité de surveillance. Ces dernières volontés des mourants, regardées comme sacrées dans tous les pays, à toutes les époques, furent soustraites par une infâme trahison aux familles auxquelles elles étaient adressées ; et cependant, dans ces épanchements des affections les plus légitimes, on ne trouve aucune trace des prétendus complots que l'on accusait ces infortunés d'avoir noués avec les ennemis de leur patrie ; on y reconnaît, au contraire, des gens sûrs d'eux-mêmes qui ne se plaignent que des lenteurs de la justice, qui se fient à leurs bourreaux et parlent de leur délivrance ou de leur mort prochaine sans affectation, sans amertume, avec l'inimitable accent de l'innocence[49].

 

X

Dans certaines régions gouvernementales on savait si peu ce qui se passait, que Pétion faisait placarder dans la soirée du 8, sur les murs de Paris, une proclamation ainsi conçue :

Nous invitons tous nos concitoyens, les bons patriotes composant le peuple, à faire en sorte que les prisonniers d'Orléans (maintenant à Arpajon), si absolument il est impossible qu'ils ne vinssent point à Paris, y arrivent au moins sains et saufs. Tous les bons citoyens se réuniront ensuite pour veiller à ce qu'il ne s'échappe des prisons aucun de ces prisonniers. Nous nous en rapportons à la sagesse et au génie du peuple sur ce grand objet.

 

Pendant que Pétion annonçait dans ce style embarrassé et sentimental l'arrivée des prisonniers à Paris, Roland écrivait la lettre suivante aux administrateurs du département de Seine-et-Oise :

On m'annonce, messieurs, que les prisonniers d'État, ci-devant détenus à Orléans, doivent arriver .dimanche matin à Versailles. Je vous prie de faire toutes les dispositions pour qu'ils puissent être déposés en sûreté dans les prisons de votre ville, et en même temps pour qu'il soit pourvu tant au logement et à la subsistance de ces prisonniers qu'à celle de la nombreuse garde qui leur sert de cortège, et des commissaires de Paris chargés de veiller à leur conservation. Le nombre de ces personnes étant à peu près de quinze cents, vous sentez la nécessité de prendre sur-le-champ les mesures convenables à cet égard. Je ne puis trop recommander à votre sollicitude, messieurs, les précautions les plus sages pour préserver de tout événement les prisonniers qui, étant sous le glaive de la loi, méritent tous les égards de l'humanité.

 

Dans ces temps malheureux, les honnêtes gens étaient obligés de cacher les intentions les plus louables sous les formes les plus brutales et quelquefois les plus injurieuses pour ceux même qu'il s'agissait de sauver. La municipalité de Versailles fournit ce jour-là un exemple frappant de cette terrible nécessité. Voici les considérants de l'arrêté qu'elle prit, à la réception de la lettre de Roland, pour affecter au logement des prisonniers qu'on lui annonçait les bâtiments de l'ancienne ménagerie, située à moitié route entre Versailles et Saint-Cyr :

Considérant que Versailles renferme en ce moment cinq à six mille hommes des diverses parties du département pour se former en bataillons de volontaires ; que, depuis plusieurs jours, des hommes pervers cherchent, par des instigations perfides, à égarer le civisme des citoyens pour les porter à des exécutions sanglantes ; que si, jusqu'à ce moment, les magistrats sont parvenus à déjouer ces manœuvres odieuses, il est à craindre que l'arrivée des prisonniers d'État ne fournisse l'occasion de les renouveler avec plus de succès ; — considérant que les maisons de justice et d'arrêt sont remplies ; qu'il n'existe dans la ville aucun local propre à recevoir les prisonniers ; que, hors les murs et à peu de distance, il en est un qui, par sa position et sa construction, offre à la fois les moyens de retenir les prisonniers et les moyens de les garantir ; que, par son nom même, il aura l'avantage de satisfaire en quelque sorte l'animadversion populaire et d'atténuer le sentiment de la haine en faisant naître des sentiments de mépris...

 

Tels étaient les expédients auxquels en étaient réduits les magistrats d'une grande cité, naguère le siège de la cour la plus brillante et la plus policée du monde entier. Telles étaient les phrases à l'aide desquelles on espérait conjurer les desseins de ces hommes que l'on voyait déjà apparaître dans les rues de Versailles, comma l'on voit accourir les hyènes à l'approche des caravanes qui leur promettent une proie facile.

En même temps qu'elles prenaient cet arrêté, les autorités de Versailles envoyaient un exprès sur la route d'Étampes pour savoir si véritablement les prisonniers d'Orléans étaient dirigés sur leur ville, contrairement aux décrets de l'Assemblée. Ce fut à Arpajon que le messager trouva les commissaires de la commune qui, à la tête de l'armée parisienne, y étaient arrivés dans l'après-' midi du 8, et attendaient, pour franchir les quelques lieues qui les séparaient encore de Versailles, le dimanche 9, jour convenu avec les organisateurs des massacres.

La réponse rapportée par le messager est très-vague et ne lève aucune des incertitudes qui planent sur la marche du convoi[50]. La municipalité se résout à adresser un nouveau message à Roland pour apprendre de lut ce qu'il a décidé. Comme si ce malheureux ministre décidait quelque chose et savait même ce que d'autres décidaient à sa place !

Pendant ce temps, le président du tribunal criminel, Alquier, ancien constituant, court à Paris avertir le ministre de la justice de ce qui se passe. Mais ce ministre était Danton ; ce représentant de la loi était le chef secret des assassins. Alquier parvient à grand'peine jusqu'à lui ; il expose les dangers que présentent ces attroupements d'hommes armés, mêlés d'agents provocateurs, qui, depuis quelques jours, affluent dans Versailles ; il demande s'il doit interroger les accusés aussitôt leur arrivée. Que vous importe ? L'affaire de ces gens-là ne vous regarde pas, répond brusquement le ministre ; remplissez vos fonctions et ne vous mêlez pas d'autre chose. — Mais monsieur, objecte le magistrat, les lois ordonnent de veiller à la sûreté des prisonniers. — Que vous importe ! s'écrie Danton, sans répondre directement aux paroles d'Alquier, en ayant l'air de se parler à lui-même et en marchant à grands pas... Il y a parmi eux de bien grands coupables ; on ne sait pas encore de quel œil le peuple les verra et jusqu'où peut aller son indignation. Alquier veut encore parler, mais le terrible ministre lui tourne le dos, et le magistrat sort de l'hôtel de la place Vendôme, le désespoir dans l'âme et avec la certitude que les prisonniers sont perdus[51].

Le messager, envoyé à Roland, revient le dimanche de bon matin avec une lettre annonçant que les prisonniers arriveront dans la journée à Versailles, accompagnés de deux mille hommes armés, et que l'on va aviser à ce que leur séjour dans cette ville ne soit pas de longue durée. Le doute n'est plus possible. Quelques officiers de Fournier, détachés en éclaireurs en avant du convoi, achèvent d'ailleurs de le dissiper. Ils viennent, disent-ils, s'assurer par eux-mêmes des dispositions qu'on a prises pour la réception des accusés. Sous ce prétexte, ils parcourent la ville et s'abouchent avec les sicaires envoyés de Paris par le comité de surveillance ; ils leur donnent les derniers renseignements et reçoivent d'eux le suprême mot d'ordre.

 

XI

Le dimanche, 9 septembre, jour de douleur éternelle pour Versailles, toutes les autorités civiles siégeaient en permanence à la maison commune. Le maire était Hyppolite Richaud ; ce nom mérite d'être conservé à jamais par l'Histoire. A dix heures le courageux magistrat monte à cheval, et, suivi de quelques officiers de la garde nationale, va publier lui-même, à travers les rues, une proclamation qui place les prisonniers, comme un dépôt sacré, sous la sauvegarde des habitants[52]. Puis, il se porte au-devant du convoi qui, parti d'Arpajon avant l'aube, avait traversé Linas, Marcoussis, Orçay et touchait déjà à Jouy-en-Josas. Le projet de Richaud était de prendre la direction du cortège, de manière à le conduire par des chemins détournés jusqu'à la ménagerie, sans trop s'approcher de la ville ; mais les chefs de l'armée parisienne qui tenaient essentiellement, et pour cause, à leur premier itinéraire, refusent de s'engager dans les routes de traverse où les chariots et les canons, disent-. ils, auraient de la peine à passer ; ils déclarent vouloir absolument suivre la grande route ; le passage par Versailles ne peut, suivant eux, être d'aucun danger, leurs hommes étant assez nombreux et assez bien armés pour résister, s'il le fallait, à un attroupement de vingt mille hommes.

On part de Jouy, un détachement de cavalerie en avant, un autre en arrière, les chariots au milieu, entre deux files d'infanterie. Aux abords de la ville, Richaud propose de ranger la cavalerie autour des voitures, entre les prisonniers et les fantassins. Fournier s'y refuse, disant que la précaution est inutile et qu'il répond de son monde. A deux heures, on entre à Versailles par la rue des Chantiers ; on longe l'avenue de Paris, la place d'armes, la rue de la Surintendance. Le convoi chemine lentement au milieu d'une affreuse cohue, mais personne ne parait disposé à se porter à des excès contre les prisonniers. Le maire, qui est en avant avec l'état-major, veut aller veiller de plus près sur les chariots ; les commandants et les commissaires le retiennent au milieu d'eux en soutenant que c'est là sa place et que, nulle part ailleurs, il ne sera mieux à même de rappeler au peuple le respect dû à la loi ; il cède, passe avec eux la grille de l'Orangerie, et s'engage sur la route de Saint-Cyr. En ce moment un cri se fait entendre : les chariots sont arrêtés. Richaud, sans regarder qui le suit, revient au galop et arrive près de l'ancien hôtel de la guerre, au moment où la première voiture était entourée par une troupe d'émeutiers, avant-garde ordinaire des assassins. Ne vous déshonorez pas, s'écrie le maire, ces hommes n'ont pas été jugés, voudriez-vous frapper des innocents ? La populace émue recule ; le chariot est dégagé. Mais, malgré les ordres de Richaud, ceux qui le conduisent ne se remettent pas en marche, la grille de l'Orangerie vient d'être brusquement fermée ; tout l'état-major se trouve, par cette manœuvre, séparé du reste de l'escorte.

Fournier et les commissaires de la commune de Paris restent impassibles et ne font nul effort pour rétablir la communication interrompue entre eux et leurs soldats. C'est un administrateur du district de Versailles, Deplane, qui harangue et l'escorte et la foule ; mais il se voit bientôt contraint de se retirer devant les plus furieuses menaces. Richaud quitte les chariots et se jette au milieu des émeutiers. Ayant réussi à faire rouvrir la grille, il saute à bas de son cheval, se place entre les deux battants, au risque d'être écrasé, et appelle du secours. Commandant, officiers, commissaires, soldats de l'escorte, personne ne lui répond, personne ne le seconde. Enfin, on l'arrache de l'endroit périlleux où il s'est placé et on l'entraîne de force chez le suisse de la porte.

Vainement l'y veut-on retenir. Non, s'écrie-il, ce n'est pas ici mon poste ! Il s'échappe des bras de ceux qui l'empêchent de braver la mort une fois de plus, il se précipite du côté des chariots.

Pendant ce temps, quelques-uns des officiers municipaux, voyant croître le danger de minute en minute, avaient ordonné aux conducteurs de rebrousser chemin et de se diriger vers la maison commune, où ils se flattaient de pouvoir mettre les prisonniers en sûreté. Au moment où le maire, perçant la foule, arrive aux Quatre-Bornes, il aperçoit la première voiture arrêtée, les malheureux captifs se débattant dans leurs liens et poussant des cris de détresse à la vue d'une troupe de scélérats qui ont déjà le sabre levé sur eux. Richaud s'élance, couvre de son corps les prisonniers qui s'attachent à ses habits, il brave les coups des assassins et résiste à tous les efforts que l'on fait pour l'enlever. Par malheur, tant d'assauts l'ont épuisé, il s'évanouit ; on l'emporte, mais déjà tout couvert du sang des malheureux frappés à ses côtés. A peine revenu à lui, il se dérobe aux soins qui l'entourent et retourne au lieu du massacre. Il n'y arrive que pour y recevoir les derniers soupirs des mourants ; tout était fini.

Les assassins, comme s'ils obéissaient à un signal, s'étaient rués sur tous les chariots à la fois et avaient égorgé, presque au même instant, ceux qu'ils renfermaient. Neuf prisonniers, quoique grièvement blessés, parvinrent à s'échapper sans qu'on ait pu découvrir ni leurs noms ni leurs traces. Quarante-quatre cadavres restèrent sur le terrain. Quant à l'escorte de mille cinq cents à deux mille hommes armés de sabres, de fusils, de canons, elle avait assisté impassible à cette boucherie ; comme si elle n'était venue là, avec cet attirail, que pour protéger les assassins et non les victimes. Pas un de ces patriotes, dont les commandants se disaient si sûrs quelques instants auparavant, ne brûla une amorce, ne fit un geste, ne dit une parole pour défendre le dépôt sacré dont ils s'étaient constitués les gardiens. Pas un de ces chefs, en qui les accusés avaient mis une confiance si touchante, pas un de ces commissaires qui leur avaient promis protection, pas un seul ne fit même semblant de les secourir.

Les assassins se dirigent vers les prisons de la ville, quelques-uns seulement restent sur les chariots et dépouillent les cadavres ; ils font main basse sur tout ce que les malheureux avaient sur eux, puis viennent déposer, sur le bureau de la municipalité, ce qu'il leur plaît d'abandonner à la nation des dépouilles sanglantes dont ils viennent de s'emparer. Pendant qu'a lieu cette scène horriblement dégottante[53], pendant que certains assassins portent en triomphe les membres encore palpitants de leurs victimes, les émules de Maillard renouvellent à la maison d'arrêt les égorgements de l'Abbaye ; vingt détenus sont massacrés dans un instant. Le maire Richaud, le président du département, Germain, et quelques autres administrateurs y accourent et parviennent, au péril de leur vie, à sauver les derniers prisonniers.

Le lendemain, lundi, à six heures du matin, le greffier de la commune de Versailles dressait, en présence de Fournier et de ses officiers, un état sommaire des dépouilles des prisonniers d'Orléans[54]. Ces dépouilles une fois inventoriées étaient remises aux mains des chefs de l'armée parisienne pour être transportées à Paris et déposées au ministère de la justice. Quelques heures après, cette armée faisait son entrée triomphale dans Paris, avec ses chariots ensanglantés et ses six pièces de canon ; elle se dirigeait, tambours battants, vers la place Vendôme, où se trouvait alors, comme aujourd'hui, l'hôtel occupé par le haut fonctionnaire qui, pour ainsi dire, personnifie la loi dans notre pays.

Danton, l'hôte momentané de cet hôtel, se présente sur le seuil. Après avoir recueilli de la bouche de Fournier le récit de l'événement, qu'il connaissait déjà depuis la veille, il le complimente sur sa conduite et termine par ces mots que l'histoire doit conserver à la honte éternelle de celui qui les prononça : Celui qui vous remercie, ce n'est pas le ministre de la justice, c'est le ministre du peuple.

Par un impudent mensonge que, pour l'honneur du nom français, nous devons répudier de toute l'énergie de notre conscience, Danton associait la nation, alors muette et terrifiée, au crime de quelques scélérats ; il croyait peut-être qu'il suffit de multiplier le nombre des coupables pour anéantir l'iniquité. Mais non, Danton n'était pas plus le ministre du peuple qu'il n'était celui de la justice ; il n'était que le ministre des conspirateurs et des assassins[55].

De la place Vendôme Fournier se rend avec sa bande à la place de Grève, d'où elle était partie quinze jours auparavant. Là, il reçoit de ses amis de l'Hôtel de Ville de nouvelles félicitations et leur laisse en dépôt ses canons, ses chariots, toute la défroque des morts, les malles, les valises et effets qu'il traîne à sa suite depuis Orléans.

Que devint une certaine cassette que l'infortuné Delessert avait confiée à l'Américain ? Que devinrent les valeurs de portefeuille que Fournier s'était fait livrer, et surtout un certain paquet qui ne contenait pas moins, paraît-il, d'un demi-million ? Nul ne le sait[56]. Mais la Providence n'a pas voulu que toutes les traces des vols audacieux qui suivirent l'assassinat des prisonniers d'Orléans fussent à jamais ensevelies dans d'impénétrables ténèbres ; elle nous en a conservé un témoignage irrécusable : c'est une lettre confidentielle écrite, dans un temps où l'on pouvait suivre encore la piste des voleurs, par un homme dont la pro-. bité ne peut être suspecte à personne. Cette lettre, datée du 19 pluviôse an in, est signée par le citoyen Cavaignac, membre du conseil général et du conseil des comptes de la commune du 10 août :

Je ne puis, mon cher ami, te donner des renseignements positifs sur ta demande. Ce que je sais, c'est que d'après les différentes déclarations consignées dans le registre du conseil des comptes, dans les trois premiers mois de 1793, il parait qu'il est provenu des prisonniers d'Orléans des objets bien considérables. La déclaration, entre autres, de Dunoni contient des renseignements très-précieux ; un certain procès-verbal égaré nous aurait bien appris ce que nous ne pouvions savoir ; mais, pour nous le procurer, nous avons fait tout ce que nous devions et tout ce que nous pouvions. Ce que je puis te dire, enfin, c'est que bien des gens, qui seront, je l'espère, connus par la suite, se sont fièrement enrichis des dépouilles des prisonniers d'Orléans.

 

Cette effroyable expédition peut donc se résumer ainsi : le vol sur toute la route parcourue, à toutes les étapes, à Orléans, à Étampes, à Arpajon, le vol avant le départ, le vol après l'égorgement, le vol à Versailles, le vol à Paris ; rapines de l'escorte, rapines des chefs, rapines des dictateurs de l'Hôtel de Ville ; voilà ce qui précède, accompagne et suit le crime.

Tous ces hommes de septembre, tous ces suppôts du despotisme démagogique pratiquaient tour à tour le pillage et l'assassinat. Devant les preuves de leur turpitude, accumulées dans ce livre, qui pourrait nous reprocher de les avoir à tout jamais dépouillés du prestige dont certains panégyristes maladroits avaient voulu les entourer, de les avoir saisis, ne craignons pas de le dire, LA MAIN DANS LE SAC ET LES PIEDS DANS LE SANG ? C'est ainsi que l'histoire vengeresse les représentera désormais.

 

FIN DU TOME TROISIÈME.

 

 

 



[1] Les juges de paix remplissaient à cette époque les fonctions attribuées depuis aux juges d'instruction.

[2] Ce Turlaire était depuis peu de temps établi à Meaux. Il était originaire de Paris et y habitait rue Perrin-Gasselin ; il n'avait que 22 ans. Il est plus qu'à croire qu'il avait d'anciennes relations avec les organisateurs des massacres de Paris, et peut-être aussi avec les chefs de cette troupe qu'on décorait du nom de gendarmerie et qui n'était qu'un ramassis de soudards recrutés, Dieu sait comment, parmi les déserteurs de tous les régiments.

[3] Ces sept malheureux prêtres étaient :

Duchêne, ci-devant curé de la paroisse Saint-Nicolas.

Pasquier, prêtre, ci-devant chapelain de la cathédrale.

David, ci-devant curé de Villers-sur-Morin.

Mugnien, prêtre, ci-devant chapelain de l'hôpital.

Capy, ci-devant curé de Bontemps.

Hébert, ci-devant curé de Segy.

Goudin, ci-devant curé de Hautefeuille.

[4] Ce meurtre abominable fut vengé quelques années après. Dans la notice consacrée aux procès faits en l'an IV aux septembriseurs, et que l'on trouvera à la fin de ce volume, nous faisons connaître les différentes phases que suivit l'instruction criminelle que les autorités judiciaires du département de Seine-et-Marne eurent le courage d'entamer contre les assassins des prisonniers de Meaux.

Nous avons établi notre récit des massacres de Meaux : 4° sur le procès-verbal rédigé le 4 septembre même par les corps administratifs de la ville de Meaux ; 2° sur le procès-verbal de l'assemblée électorale de Seine-et-Marne, également en date du 4 septembre ; 3° sur les interrogatoires subis en janvier 1793 par les principaux prévenus de ces assassinats, devant le directeur du jury d'accusation près le tribunal de Meaux ; 4° sur l'instruction faite en germinal an ut, auprès de tous les citoyens qui étaient, en septembre 1792, revêtus de fonctions publiques dans la ville de Meaux.

[5] Couplet, dit Beaucourt, était né à Rue, près d'Abbeville ; il était venu s'établir quelques années auparavant à Reims, pour s'y livrer à l'instruction publique. Il y avait épousé une ex-religieuse. Ce misérable disparut après la tourmente révolutionnaire ; nous n'avons pu savoir ce qu'il devint.

[6] Ils se nommaient Romain et Alexandre.

[7] Nous avons eu entre les mains le procès-verbal des élections du département de la Marne. Les électeurs, sous la pression des émeutiers rémois, et pour s'y soustraire le plus promptement possible, procédèrent, sans désemparer, toute la journée du lundi 3 septembre et toute la nuit du 3 au 4, aux treize élections qu'ils avaient à faire. Ce qui, dans d'autres départements, ne put être accompli, avec les formalités légales, que dans l'espace de quatre à cinq jours, fut terminé à Reims en moins de vingt-quatre heures, tant les électeurs étaient pressés d'en finir.

Dans la matinée du 3, et pour le premier tour de scrutin, le nombre des électeurs présents est de 442. Ce nombre diminue graduellement. Drouet est élu le septième représentant de la Marne par 435 voix, et Armonville le huitième par 430 sur 203 votants. Ces deux nominations accomplies, le chiffre des votants remonte à 336.

Armonville trama pendant trois ans à la Convention sa crapuleuse ivresse. Il était assis près de Marat et votait automatiquement sur un sigle de l'ami du peuple. Même parmi les montagnards les plus exaltés, il était un objet de risée et de mépris.

Drouet fut placé par ses amis les ultra-révolutionnaires dans le comité de sûreté générale, où il se montra le plus exalté et le plus sanguinaire de tous. Plusieurs fois il fut envoyé à la tour du Temple et put ainsi, à son aise, contempler l'immense infortune de la famille dont il avait tenu le sort entre ses mains. Envoyé à l'armée, il fut fait prisonnier par les Autrichiens, qui l'échangèrent deux ans après, avec cinq autres conventionnels, contre la fille de Louis XVI ; plus tard, il fut impliqué dans l'affaire de Babœuf et dans celle du camp de Grenelle. Malgré ces tristes antécédents, il fut nommé sous-préfet de Sainte-Menehould sous le Consulat et administra cet arrondissement jusqu'à la Restauration.

[8] Nous épargnons à nos lecteurs les détails de la mort de ces deux vieillards et des outrages faits à leurs cadavres ; ces détails sont consignés dans le procès-verbal officiel que nous avons sous les yeux.

[9] Notre récit des massacres de Reims est basé : 1° sur le procès-verbal officiel et très-détaillé qui fut dressé à l'occasion de ces événements ; il est daté du 8 septembre 1792 et signé de tous les membres du conseil général de la commune ; 2° sur le compte-rendu du jugement des septembriseurs rémois, dont deux furent condamnés à mort le 26 thermidor an in et exécutés le 1" fructidor suivant. (Voir à la fin du volume la note consacrée à la punition des massacreurs de septembre.)

[10] Pechiné, moins de trois ans après, fut lui-même massacré par les chouans à Segré. (3 thermidor an III.)

[11] Pour le récit des événements de Charleville nous nous sommes servis : 1° du procès-verbal de la municipalité de Charleville, en date du 4 septembre 1792 ; 2° de la lettre écrite par cette municipalité au ministre de l'intérieur, en date du 6 septembre ; 3° du rapport du commandant du bataillon de la Nièvre, annexé à ce rapport ; 4° et enfin d'un deuxième rapport de la municipalité, en date du 30 novembre suivant. — Voir également le Moniteur de 1792, page 1243.

La Convention nationale, sur la demande de Guadet, Barbaroux et Kersaint, avait ordonné, le 19 octobre, par un décret formel, au ministre de l'intérieur, de rendre compte des poursuites dirigées contre les chefs de l'insurrection de Charleville ; mais ces poursuites n'eurent aucun résultat. Le crime avait été commis par des personnes étrangères à la ville et qui portaient toutes, dit-on, l'uniforme des fédérés du bataillon de Seine-et-Oise.

[12] Voir au Moniteur les numéros des 14 et 19 novembre 1794.

Nous avons retrouvé une lettre en date du 1er mai 1792, où plusieurs députés du Calvados, Fauchet en tête, dénoncent Bayeux au ministre de l'intérieur. C'était alors le vertueux Roland :

Au ministre de l'intérieur.

1er mai 1792.

Le sieur Bayeux, procureur général syndic, abuse de la souplesse et de l'activité de son génie malfaisant pour induire les administrateurs dans les mesures les plus illégales et les plus propres à soulever les esprits. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il va jusqu'à offrir sa démission, si on n'arrête pas les entreprises des sociétés (les amis de la constitution de Caen), dont les membres usent du plus beau droit des citoyens. Le ministre de l'intérieur est très-instamment prié par les députés du Calvados soussignés de prendre au mot le procureur général syndic, et d'anéantir la cause la plus active des troubles du Calvados en éloignant de l'administration le sieur Bayeux.

CLAUDE FAUCHET, ÉVÊQUE DU CALVADOS, VARDON, LOMONT, DUBOIS-DUBAIS, BONNET.

[13] Voir le registre des délibérations du conseil général de la commune de Caen, le Moniteur du 14 septembre 1792, et l'ouvrage de M. Vannier : Souvenirs de l'insurrection normande, 1838.

[14] Lettre de Bonnemant, commissaire du pouvoir exécutif, au ministre de l'intérieur, datée de Lyon, le 11 septembre 1792.

[15] Voir, à la fin de ce volume, l'extrait du mémoire en défense des septembriseurs de Saône-et-Loire, dont nous parlons plus loin.

[16] Nous avons puisé tous ces détails dans la procédure, que le juge de paix de Couches et le directeur du jury du district d'Autun eurent le courage d'entamer, dès le lendemain 9 septembre, contre les auteurs et complices de cet infâme assassinat. A la suite de cette procédure, neuf individus furent condamnés à mort par contumace, le 17 janvier 1793 ; cet arrêt fut contradictoirement confirmé, le 16 prairial an III, contre deux d'entre eux, par le tribunal criminel de Saône-et-Loire.

Dans la note que nous consacrons à la fin de ce volume à la punition des septembriseurs, on trouvera des détails circonstanciés sur les diverses phases du procès des assassins de Couches ; nous y donnons les passages les plus saillants d'un mémoire en défense qu'ils adressèrent à la convention. Cette pièce, rédigée par un praticien de village, démontre mieux que tous les raisonnements à quel point le sens moral avait été oblitéré dans les campagnes par les sauvages doctrines de la démagogie.

[17] Le prince Charles de Hesse-Rhinfels-Rothembourg appartenait à la maison électorale de Hie-Cassel et avait été comblé des bienfaits de Louis XVI. A treize ans, il avait été nommé capitaine au régiment de Royal-Allemand ; quelques années après, on lui accordait une pension de seize mille livres ; il était fait maréchal de camp en 1788, et lieutenant général le 22 mai 1792. Il était doué du génie spécial de la dénonciation. Il sollicitait un emploi au nom de ses principes philosophiques, et aussitôt qu'il l'avait obtenu, il accusait de trahison celui qui le lui avait fait obtenir ; c'est ainsi qu'il dénonça successivement le ministre de la guerre Narbonne, le commandant de l'armée du midi Montesquiou, et tous les généraux qui se succédèrent à l'armée du Rhin dans les derniers mois de 1792. Sous le régime constitutionnel, il se faisait appeler le citoyen-général-philosophe. Après le 10 août, il signait ses lettres Charles Hesse, jacobin. Suspendu en 1793, puis réintégré un instant en l'an III, il fut admis à un misérable traitement de réforme de dix-huit cents livres. Il végéta six années, sollicitant les secours de tous les gouvernements qui se succédaient à la tête de la république ; dans ses lettres, il se représentait comme mourant de faim et de soif. Il se mit à rédiger avec Antonelle, le fameux juré du tribunal révolutionnaire, le Journal des Hommes libres ; fut mêlé à toutes les intrigues du temps, aux conspirations de Babeuf et autres. Le gouvernement consulaire l'interna à l'île de Rhé pendant plusieurs années, puis lui permit de se retirer en Suisse. Il mourut en 1821, méprisé ou plutôt oublié de tous. Digne fin de ce prince qui, après avoir flatté successivement toutes les puissances du jour, était tombé, de chute en chute, dans la dernière dégradation.

[18] Nous avons retrouvé : 1° la lettre du général Montesquiou, en date du 1er septembre, qui prouve l'inanité des accusations portées contre officiers de Royal-Pologne ; 2° le duplicata des démissions par eux données dès juillet 1792. Nous mettons sous les yeux de nos lecteurs et la lettre du général Montesquiou et la démission du lieutenant-colonel, qui fut l'une des victimes de la journée du 9 septembre 1792. Toutes les autres démissions que nous avons eues également entre les mains sont conçues en des termes presque identiques.

A M. Servan, ministre de la guerre.

Au camp de Cessieux, le 1er septembre 1792, l'an IV de la Liberté.

J'ai l'honneur de vous envoyer, monsieur, les démissions de treize officiers du 5e régiment de cavalerie, ci-devant Royal-Pologne. Elles sont datées des mois de juin et juillet et je les ai, en effet, depuis cette époque. Le ministre d'alors engagea ces officiers à conduire le régiment jusqu'à Lyon. A leur arrivée dans cette ville, ayant persisté dans leur résolution, je leur ai donné le congé que la loi prescrit. En conséquence je vous renvoie l'original de leurs démissions, dont le double doit se trou er dans vos bureaux. Ces officiers sont arrêtés à Lyon pour je ne sais quel complot, mais j'ai lieu de penser que c'est un malentendu auquel la date de ces démissions aura donné lieu.

Le général de l'armée du midi,

P. MONTESQUIOU.

A M. de Menou, colonel du 5e régiment de cavalerie.

Depuis trente-sept ans que je suis au service, ayant fait quatre campagnes dans les guerres d'Hanovre, jusqu'à cette époque, j'ai constament fait tout ce qui a dependu de moy pour prouver mon attachement aux loix civiles et militaires et n'ai rien négligé à mériter et conserver la confiance des cavaliers du régiment. Je vois que depuis deux mois l'on employe tous les moyens possibles pour me faire perdre le seul prix que j'attachois aux pénibles fonctions que je remplis. Comme il est impossible que je fasse aucun bien en restant plus longtemps au régiment, je vous prie, monsieur, de vouloir bien faire agréer au roy la démission de la place de premier lieutenant-colonel que j'occupe au cinquième régiment de cavalerie.

A Auch, le 3 juillet 1792, par duplicata au ministre.

D'ESPERRIÈRES.

Vu et approuvé par nous, membres du conseil d'administration.

[19] Les massacres de Lyon ont été racontés, mais très-brièvement, dans le Moniteur, n° 260, dans les Révolutions de Paris, n° 166, page 496, et dans l'Histoire des Crimes de la Révolution, par Prudhomme, tome III, p. 299.

Les détails authentiques que nous donnons sont tirés : 1° du procès-verbal dressé le jour même du massacre, 9 septembre 1792, par le maire et les officiers municipaux de Lyon ; 20 du compte rendu envoyé, le 14 septembre, au ministre de l'intérieur, par les trois corps constitués séants à Lyon (municipalité, district et département) ; 3° de la lettre adressée au même ministre par le commissaire du pouvoir exécutif Bonnemant, en date également du 14 septembre. Nous avons également retrouvé : 1° le rapport qui fut fait au général Montesquiou par le capitaine du Hallay, du 15e dragons, pour l'instruire du meurtre du lieutenant-colonel Spendler, meurtre qui n'a été mentionné dans aucun document de l'époque ; 2° un mémoire adressé le 7 septembre par les huit officiers du régiment de Royal-Pologne au président de l'Assemblée législative. Ce mémoire est signé Charles de Menou, ci-devant colonel ; Deforges, ci-devant capitaine ; Desperrières, ci-devant lieutenant-colonel ; Fortmanoir, ci-devant capitaine ; Villot, sous-lieutenant, officier de mérite ; Gavot, sous-lieutenant, citoyen actif ; Viney, capitaine ; Achard, ci-devant lieutenant.

L'Assemblée législative renvoya ce mémoire au ministre de la justice, Danton, qui déclara que s'il n'y avait pas lieu à accusation contre eux, il y aurait une injustice révoltante à les retenir plus longtemps dans les fers. La lettre de Danton est du 3 octobre 1792 ; il y avait trois semaines que les malheureux officiers avaient été égorgés !

Nous terminerons ce lamentable récit par une lettre de Vitet à Servan, ministre de la guerre ; elle peint admirablement toute l'amertume, dont était rempli le cœur du courageux magistrat en voyant l'inutilité de ses efforts pour arrêter dans sa ville natale le flot montant de la démagogie ; elle est datée du 10 septembre, du lendemain même des massacres :

La journée d'hier a été la plus affreuse que Lyon ait jamais vu. Les huit officiers détenus à Pierre-Encise ont été impitoyablement massacrés par des scélérats que nos ennemis déclarés avaient excités à tout entreprendre, malgré la présence des officiers municipaux qui ont mille fois exposé leur vie pour les sauver : plaignez notre situation, elle est horrible, nous n'avons plus de recours qu'aux bons et braves citoyens pour empêcher le pillage et tous les crimes qu'il entraine.

Agréez les assurances de la plus intime fraternité,

VITET, maire.

[20] Nous avons retrouvé la commission dont étaient porteurs les agents du pouvoir exécutif Parain et Corchand, ainsi que celle de Bouffart, l'homme de la commune insurrectionnelle. Voici le texte de ces deux pièces :

Au nom de la nation, le conseil exécutif provisoire, en vertu de la loi du 28 août, a commis et commet les citoyens Pierre-Matthieu Parain et André Corchand, à l'effet de faire auprès des municipalités, districts et départements, telle réquisition qu'ils jugeront nécessaire pour le salut de la patrie et l'exécution dudit décret.

En foi de quoi nous avons signé les présentes, auxquelles nous avons fait apposer le sceau de l'État.

Par le conseil,

SERVAN, ROLAND, DANTON, LEBRUN, CLAVIÈRE, MONGE, GROUVELLE, secrétaire.

 

A Paris, le 29e jour du mois d'août 1792, l'an IV de la Liberté.

Nous autorisons M. Jean-Baptiste Bouffart, citoyen, à arrêter, partout où il sera trouvé, M. la Rochefoucauld, ci-devant président du département de Paris ; nous prions les commandants du peuple armé et le peuple armé de prêter main-forte pour l'exécution de cet ordre.

Fait à la mairie, le 16 août 1792, l'an IV de la Liberté et le 1er de l'Égalité.

Les administrateurs au département de police et de surveillance municipale,

PARIS, DUCHESNE.

Vu par nous, au comité de surveillance de l'Assemblée nationale, pour être exécuté partout où se trouvera M. la Rochefoucauld.

Fait au comité de surveillance, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 16 août 1792, l'an IV de la Liberté.

MERLIN, LECOINTRE, C. BAZIRE, secrétaire du comité de surveillance.

 

Nous avons enfin retrouvé à la Cour des comptes la preuve que les dictateurs de l'Hôtel de Ville avaient fait accompagner Bouffart d'agents subalternes pour lui prêter main-forte, et ne s'étaient pas reposés sur les autorités locales du soin d'arrêter le vénérable président du département de Paris. Les comptes de M. de Villeneuve, trésorier de la ville de Paris, comprennent pour l'année 1792 l'article suivant :

Audit de Villeneuve, pour remboursement de 45 livres payées auxdits sieurs Benoist, Pelser, Lecureuil, Cornet, Lauverjeat et Legrand, pour frais de voyage aux eaux de Forges, où ils ont arrêté M. de la Rochefoucauld. Mandement du domaine, 14 septembre ; visé du maire, 15 dudit : 45 livres.

[21] Nous avons réuni dans une note, à la fin de ce volume, plusieurs documents fort importants sur le meurtre du duc de La Rochefoucauld ; on y verra que nos soupçons sur la probité du sieur Bouffart ne sont pas sans quelque fondement.

[22] Cette propriété, par une coïncidence remarquable, devait passer successivement dans trois familles célèbres ; elle avait appartenu à Mirabeau, l'ami des hommes, le père du célèbre orateur. C'est là que celui-ci était né en 1749. Elle était habitée en 1791 par Adrien Duport ; elle appartient aujourd'hui à la famille de Condorcet.

[23] Le mandat d'amener lancé contre Duport était ainsi conçu :

MUNICIPALITÉ DE PARIS.

Nous autorisons M. Milet, maire de Bazoches, à arrêter partout où il trouvera et à traduire devant nous M. Adrien Duport, député à l'Assemblée constituante et auteur du journal intitulé l'Indicateur, et à cet effet il requerra les officiers municipaux et civils à se faire assister de la force publique, lesquels officiers municipaux et civils apposeront les scellés sur les papiers dudit sieur Duport et dresseront procès-verbal de leur opération pour nous être envoyé avec lesdits papiers.

A la mairie, ce vingt-huit août mil sept cent quatre-vingt-douze, an quatre de la Liberté et premier de l'Égalité.

Les administrateurs de police et membres du comité de surveillance de salut public,

MARTIN, DANJOU.

[24] La lettre de Danton était ainsi conçue :

Paris, ce 7 septembre 1792, l'an IV de la Liberté, et le 1er de l'Égalité.

Des motifs importants à l'ordre public exigent, monsieur, que votre tribunal fasse revenir le sieur Duport, ex-député de l'Assemblée constituante, dans les prisons où il est actuellement détenu, et qu'il ne le laisse pas arriver à Paris jusqu'à nouvel ordre. Je vous prie de veiller à l'exécution de mes intentions, ainsi qu'à la sûreté de ce prisonnier.

Le ministre de la justice,

DANTON.

[25] Voir Michelet, t. IV, p. 216. Voir, dans l'Histoire parlementaire, de Buchez et Roux, t. XXI, p. 108, l'extrait du discours dans lequel Pétion raconte cette scène. Cette fois on peut le croire, car il est désintéressé.

[26] La lettre de Danton laissait percer l'opinion intime du ministre de la justice ; mais la publication de Marat du 13 septembre subsistait toujours et était évidemment sous les yeux des magistrats de Melun lorsqu'ils prononcèrent le jugement du 17, qui déclare illégal l'ordre donné par le comité de surveillance et tous les actes de procédure qui en avaient été la conséquence. Un pareil jugement fait trop d'honneur à ceux qui le rendirent pour que nous ne conservions pas à l'histoire un document qui montre, une fois de plus, qu'en ces temps malheureux la magistrature, lorsqu'elle put intervenir régulièrement, sut se montrer à la hauteur de sa mission.

On trouvera à la fin de ce volume la lettre de Danton et le jugement du tribunal de Melun.

Duport, mis en liberté, se réfugia en Suisse, où il mourut sans avoir revu sa patrie. Son père périt sur l'échafaud avec les autres membres du Parlement de Paris. Nous avons raconté cette catastrophe dans la note I de notre premier volume.

Nous nous sommes servi, pour le récit des faits relatifs à l'arrestation de Duport : 1° des procès-verbaux dressés par le sieur Milet, maire de Bazoches, le S septembre, et par la municipalité de Melun, les 7 et 8 septembre ; 2° du jugement préparatoire prononcé par le tribunal de Melun, le 8, et de la requête présentée par Duport au tribunal, le 17 du môme mois.

[27] Le principe d'une haute cour nationale, destinée à juger les crimes de haute trahison avait été inscrit dans la constitution de 1791, article 1er du chapitre III. Des décrets spéciaux de l'Assemblée législative étaient nécessaires pour renvoyer devant cette juridiction les prévenus d'attentat et de complot contre la sûreté de l'État.

[28] Voir le volume premier, livre II, § I.

[29] Voir le second volume, livre VIII, § IX.

[30] Bertrand de Molleville, ancien ministre de la marine, avait formé contre ces trois députés une plainte en calomnie. Larivière, entre les mains duquel cette plainte avait été déposée, avait inutilement sommé ces trois députés de comparaître, et, sur leur refus, avait cru pouvoir user de ce moyen de coercition. On avait transformé cette imprudence en crime de haute trahison.

[31] Voici les propres expressions dont se servirent, devant l'Assemblée, les délégués de la commune insurrectionnelle (Moniteur, p. 1009) :

Nous demandons que les criminels d'Orléans soient transférés à Paris pour y subir le supplice de leurs forfaits... Si vous n'accordez pas cette demande, nous ne répondons plus de la vengeance du peuple. Vous nous avez entendus et vous savez que l'insurrection est un devoir sacré.

Nous avons trouvé sur les registres de la commune insurrectionnelle les deux mentions suivantes, qui montrent combien les meneurs de la commune étaient de connivence avec Fournier, le chef des bandes qui amenèrent à leurs assassins les malheureux prisonniers :

Le 21 août. — Un citoyen fait une pétition tendant à réclamer la force publique pour une expédition qu'il dit être de la plus grande conséquence, et sur laquelle on a cru devoir garder le secret. Renvoyée à M. le commandant général. — Le conseil adjoint à M. Fournier, pétitionnaire, M. Audoin.

Le 26 août. — Sur la demande faite par une députation de Marseillais, le conseil a arrêté qu'il nommerait quatre commissaires pour aller appuyer leur pétition à l'Assemblée nationale, tendant à continuer leur voyage vers Orléans, pour y garder les prisonniers de lèse-nation. Les commissaires sont MM. Jeanson, Lefèvre, Grécourt et Marie.

Le conseil arrête en outre que cinq cents hommes accompagneront les Marseillais à Orléans.

[32] Ici les dates ont une importance extrême. Par les comptes de dépense de l'expédition d'Orléans, que l'on trouvera à la fin de ce volume, on voit que la première bande fournie par les sections armées et par les fédérés marseillais, partit vingt-quatre heures au moins avant que l'Assemblée n'eût rendu son décret. Pour solder les frais de voyage, on puisa dans la caisse municipale de Paris sans ordre et sans aucun crédit ouvert.

[33] Voir à cet égard les lettres de Fournier à la fin de ce volume ; voir aussi, dans les Mémoires de Mme Roland, le portrait qu'elle trace de Fournier l'Américain. Elle avait eu l'occasion de le voir de près, car le chef de l'armée parisienne vint plusieurs fois apporter en personne ses réclamations au ministre de l'intérieur :

Avec sa face livide et sinistre, ses moustaches, sa triple ceinture de pistolets, son langage grossier, ses jurons, il mit tout l'air d'un pirate...

[34] Nous avons retrouvé un billet que Manuel écrivait à Pétion, au sujet de l'explication demandée par la commission extraordinaire et que le maire de Paris s'empressa de transmettre à l'Assemblée. Toutes les expressions de ce billet sont à peser. On y voit le complice qui en sait plus qu'il n'en veut dire et qui esquive un interrogatoire embarrassant :

J'apprends avec peine et surprise, monsieur le maire, que le peuple de Paris se porte vers Orléans ; c'est même pour moi un fait à éclaircir. On m'assure qu'il est question d'amener sous la loi les criminels de lèse-nation. Je vais prendre tous les renseignements que demande la commission extraordinaire ; je vais lui envoyer des officiers municipaux, car je ne peux quitter le parquet. Cette nuit nous nous sommes couches à deux heures.

MANUEL.

[35] Dubail était secrétaire de la section du Théâtre-Français, dont Danton avait été longtemps président. Léonard Bourdon était tout-puissant dans la section des Gravilliers, et, depuis le 10 août, il était son représentant dans le sein de la commune insurrectionnelle ; de plus, l'un et l'autre appartenaient au tribunal du 17 août, Dubail en qualité de juge, Bourdon en qualité de greffier.

[36] Lorsque Fournier rendit à sa manière les comptes de son expédition, ainsi qu'on le verra dans la note placée à la fin du volume, il repoussa les réclamations de plusieurs des communes qu'il avait dévalisées, et notamment de la municipalité d'Arpajon, prétendant qu'elles étaient insidieuses et tardives.

[37] M. Granier de Cassagnac, p. 478 de son deuxième %ultime, donne à croire que les autorités d'Orléans n'auraient pas dû obtempérer aux réquisitions de Fournier. C'est une erreur complète, l'Américain axait une commission parfaitement en règle, signée du ministre de l'intérieur.

[38] Le procès-verbal de Gilbert-Bonnet est conservé dans les archives de la Cour impériale d'Orléans.

[39] Nous avons eu entre les mains la minute originale de ce décret. La quantité de ratures et de renvois qui la couvrent dénote l'embarras et le trouble de son rédacteur. L'Assemblée elle-même, après l'avoir voté, l'amenda pendant la nuit en substituant, comme lieu de détention des accusés, le château de Saumur à celui de Blois, qui avait d'abord été désigné et qui ne lui parut pas assez sûr.

[40] Les deux grands procurateurs devaient être, aux termes de la loi, deux membres de l'Assemblée législative élus par elle. Garran-Coulon, député de Paris, et Pallicot, député des Bouches-du-Rhône, remplissaient alors ces fonctions.

[41] Le ministre de la justice s'empressa de communiquer cette réponse à l'Assemblée et de profiter des expressions vagues dont se servaient les rédacteurs de la lettre, pour endormir la vigilance de la commission extraordinaire.

Monsieur le Président,

J'ai l'honneur de prévenir l'Assemblée nationale qu'une heure après la réception de la loi, qui ordonne la translation à Saumur des personnes détenues dans les prisons d'Orléans pour accusation de crime de lèse-nation, je l'ai expédiée par un courrier extraordinaire aux commissaires du pouvoir exécutif et aux procurateurs généraux. Ce courrier arrive à l'instant, porteur de la réponse des commissaires qui m'assurent de leur zèle pour mettre promptement la loi à exécution.

Je suis avec respect, Monsieur le Président,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

DANTON.

Paris, ce 4 septembre 1792.

Le courrier, on le voit, avait fait grande diligence à l'aller et au retour. Parti dans la nuit du 2 au 3, il était arrivé à Orléans le 3 environ à quatre heures de l'après-midi ; reparti à huit heures du soir, il était de retour le 4, date de la lettre de Danton à l'Assemblée.

[42] Expressions mêmes du procès-verbal des grands procurateurs de la nation.

[43] De ces déprédations, de ces brutalités les preuves existent dans les nombreuses déclarations recueillies à Orléans en l'an ni, lorsque les magistrats de Versailles s'apprêtaient à faire le procès de Fournier l'Américain ; nous avons choisi parmi ces déclarations celles émanant de personnes qui, par leur position particulière, étaient plus spécialement à même de savoir comment les choses s'étaient passées. On trouvera ces dépositions à la fin de ce volume.

[44] Nous avons consulté, pour toute cette partie de notre récit, le procès-verbal signé des autorités d'Orléans, le procès-verbal dressé par les grands procurateurs, les lettres que Fournier écrivit à l'appui de ses comptes, la volumineuse procédure dirigée contre Fournier en l'an ni, et enfin le monument le plus précieux et le plus lamentable quo nous ayons recueilli sur ce sanglant épisode de la Terreur, les lettres écrites par les victimes elles-mêmes pendant leur voyage d'Orléans à Versailles ; nous en parlerons plus loin.

[45] Les quatre commissaires désignés par la commune furent pris dans le sein même du conseil général ; fasse nommaient Moulin, Barey, Jobert et Roussel. Le seul commissaire désigné par Roland fut un sieur Beruvillers. Ils adressèrent, tous les cinq, d'Étampes et d'Arpajon, des lettres collectives au ministre de l'intérieur et au directoire du département de Seine-et-Oise. Leur action fut toujours commune, preuve évidente que leurs pouvoirs étaient communs.

A peine les cinq commissaires étaient-ils partis que Roland écrit de nouveau à Fournier une lettre dont le désordre et l'incohérence dénotent bien le trouble qui agitait le malheureux ministre dans ces jours d'angoisse.

A M. Fournier, commandant la force armée sur la route de Paris à Orléans.

J'apprends, par un courrier qui vient de passer à Étampes, que les prisonniers y sont rentres. Faites tous vos efforts pour les y retenir, pour les loger dans les environs, conformément à la mission des commissaires que j'ai envoyés au-devant d'eux et de votre force armée. S'il n'était pas possible d'agir ainsi que le portait le décret, et que les commissaires en étaient chargés, je m'en référerais à ma lettre de ce matin, laquelle vous a été remise par un courrier que je vous ai envoyé. Vous voyez bien que l'honneur, la loyauté, celle de Paris, la vôtre, tiennent à des mesures dignes et humaines.

[46] Nous n'en voulons pour preuves que les explications données plus tard par Fournier à l'appui de ses comptes. Il parle sans cesse des dépenses considérables occasionnées par la mauvaise organisation des hommes qui s'étaient glissés dans les rangs de son armée pour y mettre le désordre, des vols qui se commettaient sous prétexte de réquisitions, de fusils cassés et de tambours brisés au milieu des rixes de chaque jour.

[47] Ce sont les termes mêmes de leur rapport.

[48] Les lettres écrites par les prisonniers d'Orléans sont datées du 4, du 6 et du 7. A la première date, ils avertissent leurs amis qu'on va les transférer d'Orléans à Saumur ; à la seconde, ils annoncent qu'ils sont dirigés sur Paris ; à la troisième, que c'est décidément à Versailles qu'on les mène.

[49] Nous avons eu le bonheur de retrouver les lettres remises par les prisonniers d'Orléans entre les mains de Fournier. Nous en publions les extraits les plus importants à la fin de ce volume. En lisant ces confidences d'outre-tombe, que Fournier et ses patrons ont eu la cruauté de dérober aux mères, aux femmes, aux amis auxquels elles étaient destinées, on sent redoubler sa pitié pour les victimes, sa haine pour les bourreaux.

[50] Nous avons retrouvé les lettres que les commissaires de la commune écrivirent d'Arpajon, le 8 au matin, à Roland et à la municipalité de Versailles ; on y voit percer en même temps et la crainte de se compromettre et de vagues prévisions de troubles prochains à l'arrivée des prisonniers. Comment les commissaires poux aient-ils si bien prévoir ce qui allait se passer à Versailles, si, d'avance, dans cet effroyable drame, tous les rôles, toutes les phases de l'action n'avaient pas été prévus et marqués.

Des deux lettres adressées à Roland, la première est de une heure après midi, la deuxième de trois heures et demie, tant les événements se précipitaient au moment du dénouement, tant les commissaires avaient hâte de mettre leur responsabilité à couvert.

Première lettre.

Il nous parait, monsieur, que tout arrivera à bon port. Cependant nous croyons qu'il faudrait prendre des mesures prudentes, car on nous assure qu'une partie du peuple de Paris doit venir à Versailles, et, pour peu qu'on échauffe la troupe qui accompagne les prisonniers, elle pourrait se porter à quelques excès.

Deuxième lettre.

..... Nous avons reçu la lettre ci-jointe (des administrateurs de Versailles) ; nous avons craint de commettre une indiscrétion en y répondant catégoriquement. Dans l'incertitude où nous sommes que le bruit répandu que les prisonniers retourneraient à Orléans ou allaient à Saumur ne tilt semé pour empêcher qu'on ne se portât en foule à leur rencontre à Versailles, nous avons cru ne devoir répondre que ces quatre mots :

A MM. les membres du directoire de Seine-et-Oise.

Arpajon, 8 septembre 1792.

Messieurs, nous avons reçu la lettre quo vous nous avez fait l'honneur de nous écrire ; trop pressés pour vous répondre, nous en référons à M. le ministre de l'intérieur, auquel nous vous prions de faire parvenir ce paquet, lequel vous instruira de tout ce que vous avez à faire.

[51] Tous ces détails sont tirés d'une lettre de Gillet, député de Seine-et-Oise au conseil des Cinq-Cents, en date du 25 nivôse an V.

[52] Cette proclamation se trouve page 302 de la nouvelle édition des Mémoires sur les journées de septembre (Firmin Didot, 1848).

[53] Ce sont les expressions mêmes du procès-verbal de la municipalité de Versailles. Voir les Mémoires sur les journées de septembre, édition Didot, page 307, où se trouvent plusieurs autres pièces importantes relatives aux massacres de Versailles.

[54] Cet inventaire commence ainsi :

L'an mil sept cent quatre-vingt-douze, quatrième de la liberté et le premier de l'égalité ; cejourd'hui lundi dix septembre, six heures et demie du matin, nous, Maire et officiers municipaux, et en présence de M. Claude Fournier, commandant général des volontaires parisiens et marseillais venant d'Orléans, et de M. Joseph-François Bécard, commandant en chef du bataillon de Popincourt et de l'armée parisienne venant d'Orléans, de M. Pierre Guyot, lieutenant de ladite armée, et de MM. Pierre-Louis Robillard et Louis- Florent Barbier, tous deux volontaires de l'armée parisienne, comme aussi en présence des sieurs Michel Manin et Jean Bonnenfant, caporaux d'artillerie, etc., il a été procédé à la description de tous effets, habits, hardes et linge qui se sont trouvés dans les chariots qui conduisaient à Versailles les prisonniers d'Orléans.

Premièrement : six grands sacs de toile grise renfermant des chapeaux, des sacs de nuit et autres effets, lesquels sacs ont été numérotés depuis un jusqu'à six et sur chacun desquels nous avons apposé le cachet de la municipalité...

[55] Nous sommes heureux de nous trouver ici complètement d'accord avec M. Michelet qui, en parlant de ce fait, appelle Danton ce misérable esclave habitué à couvrir les faiblesses des actes sous l'orgueil de la parole. (Hist. de la Révolution, tome IV, p. 243.)

[56] Nous avons retrouvé le dossier administratif le plus curieux peut-être qui puisse exister, c'est celui des réclamations faites par Fournier au ministre de l'intérieur Roland pour être remboursé des frais par lui avancés pour l'expédition d'Orléans. Nous en donnons les passages les plus saillants à la fin de ce volume. On ne sait qu'admirer le plus de l'effroyable impudence du coquin qui présente des comptes grossis à plaisir, qui n'a pas un mot de regret et même d'explication pour les meurtres qu'il a laissé commettre sur de malheureux prisonniers confiés à sa garde, ou de l'incurable stupidité du ministre qui traite presque d'égal à égal avec le chef de la bande des assassins, ne relève pas les erreurs palpables et presque matérielles qui existent dans les comptes qu'on lui fournit et finit par faire payer sur les fonds de son ministère les frais d'une mission entreprise sans lui, malgré lui, continuée au mépris de :es ordres formels et ayant abouti à une sanglante catastrophe.