HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME TROISIÈME

 

LIVRE IX. — LE LENDEMAIN DE LA RÉVOLUTION DU 10 AOÛT 1792.

 

 

I

Nous l'avons dit au début de cet ouvrage, et nous aurons souvent occasion de le redire, despotisme et démagogie ont entre eux mille points de ressemblance. Presque toujours même origine : l'ignorance, la peur et la bassesse ; mêmes moyens : le mensonge, la violence et l'intimidation ; mêmes résultats : l'abaissement des cœurs et l'écrasement des volontés. Tant qu'ils n'ont pas réussi à absorber toutes les forces vives d'une nation, les despotes et les démagogues prennent grand soin de déguiser leur nature et leurs tendances, ils se glissent dans l'ombre vers la proie qu'ils convoitent. Mais dès que, par ruse ou par violence, ils l'ont saisie, ils changent de langage en changeant d'attitude, ils remettent en honneur les maximes qu'ils ont poursuivies de leurs plus ardentes invectives ; ils adoptent les pratiques qu'ils ont flétries le plus énergiquement.

Nous n'écrivons pas l'histoire du despotisme ; peut-être un jour nous sera-t-il donné de dévoiler, dans un autre ouvrage, les mystères qui ont entouré les origines d'autres pouvoirs qui, eux aussi, donnant un éclatant démenti à leur programme, se sont hâtés de confisquer à leur profit la souveraineté populaire.

Aujourd'hui c'est la démagogie que nous avons à montrer telle qu'elle apparut le lendemain de son triomphe aux yeux de nos pères terrifiés. Jamais elle ne s'est plus complètement incarnée que dans la commune insurrectionnelle du 10 août. Jugeons-la [Jonc sur les actes de cette commune fameuse. Voyons comment les envahisseurs de l'Hôtel-de-Ville comprirent et pratiquèrent la liberté. Sachons ce qu'ils firent des conquêtes de 1789.

Eux et leurs amis n'avaient eu jusqu'alors à la bouche que les mots d'humanité et de philanthropie ; ils ne cessaient de se proclamer les hommes sensibles par excellence. A peine vainqueurs, ils ne parlent plus que de meurtres et de vengeances.

Ils avaient épuisé leurs anathèmes à flétrir la maxime célèbre : La fin justifie les moyens. Cette maxime devient leur unique symbole de foi, depuis qu'ils l'appliquent à ce qu'ils appellent le salut public[1].

Soit pour attaquer, soit pour se défendre, ils avaient toujours invoqué le grand principe de la liberté individuelle. Aussitôt que le trône constitutionnel de Louis XVI est renversé, la commune, au moyen de ses comités de surveillance, institués à l'Hôtel-de-Ville et dans chacune des quarante-huit sections parisiennes, organise le plus formidable espionnage qui jamais ait existé en aucun temps et dans aucun pays. Elle attribue le droit d'opérer des arrestations en masse à des subalternes qui demain délégueront leurs prétendus pouvoirs à des subalternes plus infimes et plus misérables encore ; elle remplit les anciennes prisons au point de les faire déborder, elle en ouvre de nouvelles qui bientôt déborderont à leur tour, jusqu'à ce que le massacre les vide.

Combien d'applaudissements avaient accueilli les décrets de l'Assemblée constituante qui avaient déclaré individuelle la responsabilité des fautes et des crimes ! La commune propose de se saisir à titre d'otages des enfants de ceux qu'à tort ou à raison elle poursuit de ses vengeances ; empruntant aux tyrans du moyen âge leurs odieuses pratiques, elle va jusqu'à emprisonner des femmes, pour forcer les maris â se livrer eux-mêmes.

Le droit de pétition avait été proclamé un droit sacré ; il avait été revendiqué avec une audace sans pareille par les démagogues avant le 20 juin et le 10 août ; ils en avaient abusé pour envahir la salle de l'Assemblée nationale, interrompre les plus importantes discussions et violer le domicile royal. Maintenant la commune proscrit en masse les signataires de pétitions qu'elle qualifie d'anti-civiques ; elle les signale aux vengeances populaires, les prive de leurs droits électoraux et les déclare indignes de remplir aucune fonction[2].

La liberté de conscience avait été inscrite dans la constitution avec l'assentiment universel ; la commune sollicite l'emprisonnement et la déportation, bientôt elle ordonnera le meurtre en masse des ecclésiastiques, auxquels on ne peut reprocher d'autre crime que de n'avoir pas voulu prêter un serment que leur conscience réprouve.

La déclaration des droits, la constitution et les lois pénales avaient assuré aux accusés la liberté absolue de la défense ; pendant la Constituante et la Législative, les orateurs de la démagogie n'avaient pas cessé de tonner contre les commissions extraordinaires, contre les chambres ardentes, dont la création momentanée avait signalé les plus mauvais jours du despotisme royal. Les nouveaux souverains de Paris enlèvent aux prévenus la faculté de se faire défendre par des avocats autres que ceux qui auront obtenu de leur bon plaisir un certificat de civisme[3]. Ils exigent l'institution immédiate de tribunaux extraordinaires qui ne seront astreints à aucune des formes protectrices que les lois nouvelles ont consacrées.

Quant à la liberté de la presse, la première des libertés, puisqu'elle est la sauvegarde de toutes les autres, qu'en fait la commune ? Par un seul arrêté, elle supprime tous les journaux royalistes, et ordonne l'arrestation de leurs rédacteurs, comme empoisonneurs de l'opinion publique. Ne respectant pas plus l'inviolabilité de la propriété que celle de la pensée humaine, elle confisque les presses et caractères qui servaient à la publication de ces feuilles ; elle les distribue gratuitement aux écrivains réputés patriotes, et ceux-ci ne rougissent pas de s'enrichir des dépouilles de leurs ennemis[4].

Les despotes populaires s'arrêteront-ils au moins devant le secret des lettres, pour lequel l'Assemblée constituante avait montré un respect si scrupuleux ? Non. Ils n'ont pas même la pudeur des gouvernements absolus qui voilent de certaines ombres ces honteuses pratiques. En plein soleil, des délégués municipaux envahissent les bureaux de la poste, arrêtent le départ des courriers, ouvrent toutes les correspondances.

On avait proclamé comme la plus sûre garantie de la liberté la division des pouvoirs. La commune les usurpe et les concentre tous entre ses mains ; elle suspend les autorités auxquelles elle est hiérarchiquement subordonnée, elle appelle journellement à sa barre les ministres, les magistrats, les administrateurs qui n'ont aucun compte à lui rendre.

En vain lui objecterait-on qu'elle viole le principe de la souveraineté du peuple, élevé par ses amis à la hauteur d'un dogme ? Elle affecte de voir le peuple français dans le peuple de Paris, et le peuple de Paris dans lest quelques milliers d'émeutiers qui l'ont installée à l'Hôtel-de-Ville et qu'elle conserve à ses ordres et à sa solde. Pourquoi tiendrait-elle compte du vœu des trente-six mille autres communes de France ? N'est-elle pas la commune initiatrice, et, par cela même, n'est-elle pas exclusivement souveraine ?

Elle ne regarde plus l'Assemblée nationale que comme une chambre d'enregistrement. Au lieu du fouet de poste de Louis XIV, c'est une pique à la main qu'elle vient dicter ses volontés aux représentants de la nation. Malheureusement elle sera aussi servilement obéie par eux que le grand despote le fut par les parlements.

L'abaissement progressif de l'Assemblée législative, sa défaillance et sa retraite continue devant les envahissements de la démagogie triomphante, tels sont les caractères distinctifs de la période dans laquelle nous allons entrer. Jamais historien n'aura eu à soulever les voiles d'une époque aussi tachée de sang et de boue ; mais s'il n'est pas de récit plus affligeant à écrire, il n'en est pas de plus utile à méditer. Puissent nos lecteurs, en nous suivant au milieu de tant de hontes et de crimes, ne pas prendre la nature humaine en horreur, et, comme nous, ne jamais désespérer de la liberté.

 

II

Dès le 11 août au matin, l'Assemblée législative eut à s'occuper du sort des infortunés qui étaient venus chercher un asile dans son sein.

Pour sauvegarder la vie de la famille royale, on ne trouve d'autre parti à prendre que de la faire ramener dans la loge du Logographe et de lui infliger le supplice que déjà, la veille, pendant vingt heures, elle avait subi.

Les Suisses, qui avaient accompagné la famille royale et s'étaient laissé désarmer par ordre de Louis XVI, avaient passé la nuit dans l'église des Feuillants ; mais il est difficile de.les y garder plus longtemps, car la populace, amassée dans les rues environnantes, ne cesse de demander qu'on les lui livre. La prison de l'Abbaye est d'abord désignée pour tous, mais bientôt on se ravise. Comme on est déjà parvenu, depuis vingt-quatre heures, à obtenir de quelques-uns d'entre eux des dépositions qui paraissent charger plusieurs de leurs chefs, on divise les prisonniers en deux catégories : les officiers et les sous-officiers sont envoyés à l'Abbaye, les simples soldats dirigés sur le palais Bourbon[5].

Avant leur départ, l'Assemblée nationale rend un décret par lequel elle déclare :

Que les officiers et soldats suisses et toutes autres personnes qui sont mises en état d'arrestation par le peuple sont et demeureront sous la sauvegarde de la loi et des vertus du peuple français ;

Qu'une cour martiale sera organisée pour juger sans désemparer les officiers et soldats suisses dont elle a décrété la translation dans les prisons, et que les officiers qui doivent composer cette cour seront nommés par le commandant général provisoire de la garde nationale[6].

 

La commune est chargée de promulguer immédiatement ce décret par tous les carrefours et places de Paris ; elle le commente dans une adresse qui indique assez la résolution bien arrêtée des ultra-révolutionnaires de ne faire grâce à aucun de leurs ennemis. Suivant la logique des partis, ces ennemis étaient coupables, puisqu'ils étaient vaincus.

Peuple souverain, — proclamait la municipalité en trois phrases d'un effrayant laconisme —, suspends ta vengeance, la justice endormie reprendra aujourd'hui ses droits ; tous les coupables vont périr sur l'échafaud 2[7].

L'Assemblée était encore occupée de la translation des prisonniers suisses, quand le maire, que depuis près de vingt-quatre heures elle mandait à sa barre, se présente enfin devant elle et vient constater par sa présence que ceux qu'il décore du nom de collègues ont enfin consenti à le mettre en liberté[8].

Plusieurs officiers municipaux accompagnent Pétion. Législateurs, s'écrie emphatiquement l'un d'eux, les amis du peuple viennent rendre aux amis du peuple l'ami du peuple ![9] Puis Pétion débite des phrases aussi banales que pompeuses, où il promet, au nom de la nouvelle commune, obéissance complète aux décrets de l'Assemblée nationale. Pour prix de cette obéissance, que l'on jurait tout haut, mais que l'on se réservait tout bas de pratiquer le moins possible, l'Assemblée s'empresse d'accorder à la municipalité de Paris un subside de 850.000 francs par mois. Il était destiné à couvrir, dit le décret, les frais de la police militaire établie près des bureaux de la mairie, et devait remonter au 1er janvier 1792[10].

A quoi servit cette somme de près de six millions ainsi allouée à la municipalité comme une sorte d'indemnité d'entrée en campagne, et sans qu'elle eût besoin d'en rendre compte ? Dieu seul le sait !

Au sortir de l'Assemblée, Pétion se rend à l'Hôtel-de-Ville et adresse à ses terribles collègues, qui le tenaient en chartre privée quelques heures auparavant, les adjurations les plus pathétiques[11] pour qu'ils restent toujours dans la ligne de la sagesse et de la modération. Applaudi, acclamé comme autrefois, le premier magistrat de Paris se figure n'avoir rien perdu de sa popularité. Mais combien il se trompe ! Durant sa courte captivité, ' à moitié volontaire, d'autres chefs se sont intronisés à sa place. Ils lui conservent encore l'apparence du pouvoir, mais ils en ont accaparé la réalité. Le maire nominal peut, s'il lui plaît, prononcer des harangues, rédiger des circulaires et des adresses, recueillir même des applaudissements ; il ne dirige, il n'inspire plus rien. Robespierre, du coin obscur de la salle où les regards des spectateurs le cherchent et le découvrent à grand'peine, gouverne désormais la commune.

On ne l'avait vu nulle part, ni dans la nuit du 9 au 10 août, ni dans la matinée du 10. Le triomphe de la démagogie une fois assuré, il avait paru le soir dans la salle des Jacobins et y avait reçu les hommages de ses séides[12]. Le lendemain matin, il s'était fait nommer par sa section — celle des Piques, ci-devant de la place Vendôme — membre de la nouvelle commune. Durant les six semaines que Robespierre siégea à l'Hôtel-de-Ville (du 11 août au 22 septembre), la présidence fut occupée par un grand nombre de membres, la plupart assez obscurs[13] ; jamais le célèbre tribun ne consentit à prendre le fauteuil. Il remplit des missions temporaires, mais n'accepta aucune charge permanente. S'il ne demandait pas mieux que d'aller intimer, au nom de la commune, à l'Assemblée législative, des ordres qui n'admettaient pas de réplique, il tenait surtout à conserver sa liberté d'action, et ne voulait être enchaîné à aucune fonction, quelque brillante qu'elle fût. Il commençait ainsi à mettre en pratique le système qu'il suivit à la Convention : restant, sur les bancs de l'Assemblée ou au Comité de salut public, dans une espèce de pénombre d'où il pouvait tout voir sans être vu, tout entendre sans être obligé de parler, et, comme l'araignée, tissant avec patience les toiles perfides dans lesquelles tous les moucherons révolutionnaires devaient venir successivement se faire prendre et se faire égorger.

 

III

Lorsque le canon du 10 août tonnait encore, la Législative s'était hâtée de faire appel au peuple français et d'annoncer la convocation d'une Convention nationale. Le 11, sur le rapport de Guadet, elle vote les décrets nécessaires pour consommer la suspension du pouvoir exécutif et déterminer les formes de l'élection des membres de la nouvelle assemblée.

La distinction des Français en citoyens actifs et non actifs, établie par la Constitution de 1791, est supprimée ; mais on conserve l'élection à deux degrés. Pour être électeur du premier degré, il suffira d'être Français, âgé de vingt et un ans, domicilié depuis un an, vivant de son revenu ou de son travail et de ne pas être en état de domesticité. Les assemblées primaires doivent nommer le même nombre d'électeurs et les électeurs le même nombre de députés que lors des élections de 1794 pour la Législative. Les assemblées primaires sont convoquées pour le dimanche 26 août, et les assemblées électorales pour le dimanche suivant, 2 septembre. Les députés élus devront être réunis à Paris le 20 septembre.

A ses décrets sur la suspension du pouvoir exécutif et la convocation de la Convention nationale, la Législative joint un exposé de motifs dans lequel elle croit devoir expliquer à la nation, à l'Europe, à la postérité, comment, placée entre le devoir de rester fidèle à ses serments et celui de sauver la patrie, elle a voulu les remplir tous deux à la fois... Elle refait donc l'histoire des trois derniers mois sous la dictée des Jacobins victorieux, blâmant ce qu'elle a loué, glorifiant ce qu'elle a condamné, et, tout en insinuant qu'on lui a forcé la main sur la question de la suspension ou de la déchéance du pouvoir royal, qui ne devait, dit - elle, être décidée qu'après un examen mûr et réfléchi, elle proclame la légitimité de l'insurrection qui a brisé le trône et la tient elle-même asservie.

Sans prononcer encore le nom de la République, l'Assemblée s'étudie à écarter d'elle le soupçon d'une arrière-pensée favorable au maintien de la monarchie[14]. En vain, le 11, un montagnard, Guérin, lui rappelle-t-il qu'elle doit nommer le gouverneur du Dauphin ; en vain, le 12, des pétitionnaires insistent-ils pour que l'héritier du trône soit séparé de sa famille et pourvu d'une garde particulière : elle s'obstine à ne pas délibérer sur ces diverses propositions et borne ses efforts à résister à l'insistance de plus en plus vive de la commune qui, maitresse absolue de Paris, entend rester seule gardienne de la personne du monarque.

La famille royale était toujours aux Feuillants, contrainte de passer ses journées dans la loge du Logographe, ses nuits dans quatre petites chambres de l'ancien couvent. On avait permis, dans les premiers moments, aux femmes de la reine, de madame Élisabeth et des deux enfants, de pénétrer jusqu'aux princesses et de leur offrir les soins auxquels elles étaient accoutumées. Mais, dans la précipitation de leur départ des Tuileries, le roi et les siens n'avaient emporté ou fait emporter ni hardes ni argent ; depuis, tout ce qui n'avait pas été pillé avait été mis sous les scellés. La pénurie des augustes captifs devint extrême, il fallut que la tendre piété de quelques amis dévoués vînt leur fournir les objets les plus indispensables.

Un officier des cent-suisses offrit quelques vêtements à Louis XVI. La duchesse de Grammont donna du linge pour la reine et les princesses. La femme de l'ambassadeur d'Angleterre, la comtesse de Gower-Sutherland, dont le fils avait le même âge que le Dauphin, envoya quelques hardes adaptées à la taille du pauvre enfant. La commisération d'une étrangère vint ainsi en aide au dénuement du fils de tant de rois. C'est que la moindre marque de sympathie donnée à cette malheureuse famille était déjà une cause de suspicion ; elle devint plus tard un titre de proscription pour celui qui se la permettait ou se l'était permise[15].

Une heure après l'occupation des Tuileries et le massacre des Suisses, la commune insurrectionnelle avait envoyé une députation à l'Assemblée pour demander que Louis XVI fût mis en état d'arrestation. A cette pétition l'Assemblée avait répondu par l'art. 9 du décret rendu sur le rapport de Vergniaud. Cet article prescrivait au département de Paris de donner les ordres nécessaires pour faire, dans les vingt-quatre heures, préparer au Luxembourg un logement où le roi et sa famille seraient mis sous la garde des citoyens et de la loi.

Le département s'empresse d'exécuter les instructions qui lui sont transmises. Mais, au Luxembourg, il trouve les scellés qui y ont été apposés au moment du départ du comte de Provence (20 juin 1791). L'Assemblée n'en a pas plutôt autorisé la levée qu'une nouvelle difficulté se présente, suscitée sous main par la commune. La section des Quatre-Nations vient dénoncer l'existence de souterrains sous le Luxembourg. Pendant qu'un nouveau décret ordonne la vérification du fait, la commune, qui tient essentiellement à ce que le décret du 10 reste inexécuté, propose tour à tour l'abbaye Saint-Antoine, l'Évêché, le Temple, et fixe enfin son choix sur ce dernier monument, que la captivité de Louis XVI et de sa famille devait rendre si célèbre. Elle envoie l'entrepreneur-patriote Palloy en visiter les tours, avec trois municipaux, Paris, Lefèvre et Martin, qu'elle charge, d'ores et déjà, d'y conduire le roi. En réponse à l'arrêté plus que prématuré que viennent de prendre les dominateurs de l'Hôtel-de-Ville, la commission extraordinaire présente, le 12 au matin, un rapport dans lequel elle établit que la proposition de la commune doit être rejetée, parce que l'évasion est aussi facile au Temple qu'au Luxembourg. L'hôtel du ministre de la justice, place Vendôme, conviendrait beaucoup mieux pour l'habitation royale. En conséquence, il est décrété que le roi et sa famille seront transférés au ministère de la justice, qu'il leur sera donné une garde sous les ordres et la surveillance-du maire et du commandant général ; enfin, que jusqu'à la réunion de la Convention, 500.000 fr. seront affectés à la dépense de la maison du roi.

Le décret est formel. Mais la commune ne se tient pas pour battue. Manuel et Pétion accourent à la barre, environnés d'une nombreuse députation. Le procureur syndic déclare que la municipalité ne peut répondre de la sûreté du roi nulle part ailleurs qu'au Temple isolé et entouré de hautes murailles. Pétion, accoutumé à prêter son appui à tout ce qu'avance son ami et son confident, confirme ce qu'a dit Manuel, et, de guerre lasse, la représentation nationale subit la honte de revenir avant la fin de la journée sur ce qu'elle a solennellement décrété le matin.

Son nouveau décret confie la garde du roi et de sa famille aux vertus des citoyens de Paris. Seulement, par un reste de pudeur et pour ne pas avoir l'air d'obéir aux ordres de la commune, on n'y nomme pas le Temple ; on se contente de charger les représentants de la municipalité de pourvoir sans délai et sous leur responsabilité au logement de la famille royale ; on leur ordonne de prendre toutes les mesures de sûreté que la sagesse et l'intérêt national pourraient exiger.

La commune se hâte de célébrer son triomphe en faisant afficher dans tout Paris l'adresse que ses commissaires ont présentée à l'Assemblée nationale et le décret que l'Assemblée s'est laissé arracher.

Dans la soirée du 13 août s'effectue la translation de la famille royale des Feuillants au Temple. Deux voitures de la Cour servent à ce triste voyage. Comme au retour de Varennes, Pétion monte dans le carrosse royal ; mais Barnave n'est plus là. Quinze mois auparavant, le roi n'était encore que moralement prisonnier ; aujourd'hui, il n'y a plus de doute ni d'illusion possibles. Le cortège royal, en rentrant à Paris, avait été accueilli, le 25 juin 1791, par un profond et douloureux silence ; le 13 août 1792, il est accompagné par les vociférations et les hurlements d'une populace en délire.

Au Temple, les augustes prisonniers sont reçus avec une insolence calculée par les délégués municipaux ; on les dépose provisoirement dans quelques pièces démeublées de la petite tour, qui servaient autrefois au logement du garde des archives de l'ordre de Malte[16].

Le soir, les commissaires de la commune reparaissent à la barre de l'Assemblée et annoncent qu'ils ont procuré à Louis XVI et à sa famille tous les égards dus au malheur et surtout à ure roi, et qu'ils ont, de concert avec lui, donné tous les ordres nécessaires pour qu'il soit convenablement et commodément logé.

Ainsi on conservait encore dans le langage officiel des formes qui n'étaient plus observées en réalité ; mais l'Assemblée, ainsi que la commune, ne devait pas tarder à se corriger de ces condescendances apparentes.

 

IV

Depuis plusieurs mois, la commission extraordinaire avait été chargée d'élaborer une loi dite de police générale, dont le but avoué était d'ôter la police politique des mains des juges de paix, suspects de royalisme, pour la transférer aux municipalités qui paraissaient plus disposées à entrer dans les voies révolutionnaires. Déjà le rapporteur Gensonné en avait fait adopter plusieurs articles dans les premiers jours d'août. Le 11, on se hâta de voter les autres.

L'art. I de la nouvelle loi confiait aux corps municipaux la recherche des crimes contre la sûreté extérieure et intérieure de l'État. L'art. II invitait les citoyens à dénoncer les conspirateurs et suspects. L'art. III donnait aux officiers municipaux le pouvoir de s'assurer du corps du délit et de la personne des prévenus, s'il y avait lieu. En vertu de l'art. VIII, tout dépositaire de la force publique, et même tout citoyen actif, pouvaient conduire devant la municipalité un homme fortement soupçonné d'être coupable d'un délit contre la sûreté générale, sauf la responsabilité que le magistrat et le simple citoyen encourraient dans le cas où ils auraient agi méchamment ou par envie de nuire.

Les municipalités étaient, il est vrai, tenues de faire passer, dans les vingt-quatre heures, aux conseils de district, les pièces, procès-verbaux ou interrogatoires, à l'appui des mandats lancés contre les citoyens. Ces pièces devaient être transmises par les districts aux départements et, par ceux-ci, au corps législatif. Mais qui ne voit à quelles lenteurs interminables était assujettie, en fait, cette transmission de pièces souvent volumineuses, qui, après avoir été examinées à chaque degré de la hiérarchie administrative, devaient en définitive s'enfouir dans les cartons de l'Assemblée ? En réalité c'était abandonner la liberté et quelquefois la vie des citoyens à l'arbitraire des préventions aveugles, à la violence des haines privées.

Si l'application d'une pareille loi était redoutable partout, elle ne pouvait qu'être désastreuse à Paris, où elle allait être confiée à une municipalité qui, n'ayant, pour se perpétuer, d'autre titre que son audace, devait, par cela même, user et abuser de tous les pouvoirs extraordinaires remis entre ses mains. La fatale loi était à peine rendue que ceux mêmes qui en avaient été les promoteurs s'aperçurent de quelle force ils venaient d'armer la commune de Paris. Mais ils se prirent à espérer que tout pourrait encore être réparé, s'ils parvenaient à rendre quelque vie au corps intermédiaire que le législateur de 1791 avait placé au-dessus des municipalités pour surveiller leurs actes, c'est-à-dire au conseil de département. Par malheur, l'Assemblée avait elle-même fortement contribué à saper l'autorité de ce corps, lorsque celui-ci, ayant à sa tête le vénérable duc de la Rochefoucauld, était entré en lutte avec la municipalité.

Pour rendre au département de Paris une force nouvelle, on pensa qu'il fallait en retremper les éléments dans une élection populaire. On espérait atténuer ainsi les conséquences du discrédit moral dont on avait frappé ce corps intermédiaire et les dangers de la loi qu'on venait de voter si inconsidérément. Mais à quoi servent les palliatifs de cette espèce ?

L'expérience de nos soixante-dix années de révolution ne l'a que trop souvent démontré. Au nom du salut public, on improvise des lois ou même des constitutions qui attribuent à un homme ou à un corps des pouvoirs exorbitants. On a soin, il est vrai, d'entourer l'exercice de ces pouvoirs de conditions accessoires qui doivent, dit-on, en neutraliser tous les périls ; mais, une fois la loi rendue, la constitution adoptée, les habiles trouvent moyen de faire, d'une manière ou d'une autre, disparaître ces conditions accessoires, ces fameux palliatifs, dans l'efficacité desquels les législateurs ingénus avaient mis toute leur confiance. Les dispositions principales restent seules et deviennent un bel et bon instrument de tyrannie. C'est ce qui arriva dans cette circonstance.

 

V

Pour la formation du nouveau conseil de département l'élection à deux degrés était supprimée. Chacune des quarante-huit sections parisiennes et chacun des seize cantons ruraux devait élire directement un administrateur départemental.

Une autorité, à laquelle ils seraient obligés de rendre compte des arrestations en masse journellement opérées, ne pouvait convenir aux dictateurs de l'Hôtel-de-Ville. Elle devait être, il est vrai, nommée au moins en grande partie par les sections qu'ils inspiraient et dominaient, et n'exercer sur leurs actes qu'une surveillance illusoire. N'importe ! en droit, si ce n'est en fait, un contrôle était rétabli, et la commune insurrectionnelle entendait rester souveraine absolue. Sans hésiter, sans perdre un instant, elle envoie des commissaires aux quarante-huit sections pour les inviter fraternellement à suspendre les nominations qu'elles s'apprêtaient à faire conformément à la nouvelle loi. En même temps, elle charge une députation conduite par Robespierre de faire savoir aux représentants du peuple que le dernier décret qu'ils ont rendu déplaît aux sauveurs de la patrie, et qu'ils aient à le retirer.

Le conseil général de la commune, dit l'insolent démagogue, nous envoie vers vous pour un objet qui intéresse le salut public. Après le grand acte par lequel le peuple souverain vient de conquérir sa liberté, il ne peut plus exister d'intermédiaire entre le peuple et vous. Le peuple, forcé de veiller à son propre salut, a pourvu à sa sûreté par ses délégués. Obligés à déployer les mesures les plus vigoureuses pour sauver l'État, il faut que ceux qu'il a choisis lui-même pour ses magistrats aient toute la plénitude de pouvoir qui convient au souverain ; si vous créez un autre pouvoir qui domine ou balance l'autorité des délégués immédiats du peuple, alors la force populaire ne sera plus une, et il existera dans la machine de votre gouvernement un germe éternel de division qui fera encore concevoir aux ennemis de la liberté de coupables espérances. Il faudra que le peuple, pour se délivrer de cette puissance destructive de la souveraineté, s'arme encore une fois de la vengeance !...

Quand le peuple a sauvé la patrie, quand vous avez ordonné une Convention nationale qui doit cous remplacer, qu'avez-vous autre chose à faire qu'à satisfaire son vœu ? Craignez-vous de vous reposer sur la sagesse du peuple, qui veille sur le salut de la patrie, qui ne peut être sauvée que par lui ? Conservez-nous les moyens de sauver la liberté ; c'est ainsi que vous partagerez la gloire des héros conjurés pour le bonheur de l'humanité ; c'est ainsi que, près de finir votre carrière, vous emporterez avec vous les bénédictions d'un peuple libre.....

 

A ces paroles menaçantes, les tribunes applaudissent, les représentants se taisent. Thuriot, demande formellement qu'afin de rétablir l'harmonie entre la représentation nationale et la commune de Paris, le décret, rendu le matin, soit immédiatement rapporté. Lacroix propose un moyen terme qui, suivant lui, semble tout concilier. Il suffit, dit-il, que le Directoire du département n'exerce sa surveillance sur les actes de la municipalité qu'en ce qui concerne les contributions publiques, le séquestre des biens des émigrés, les domaines nationaux et autres objets d'administration générale.

 

Si le fond était complètement abandonné, la forme était au moins respectée, c'est tout ce que voulait la pusillanime Assemblée, qui adopte sans mot dire la proposition de Lacroix. Sera-ce le dernier sacrifice demandé à sa dignité, à ses convictions, à sa conscience ? Non, car une fois engagé dans cette voie, jamais celui qui sent sa force ne se lasse d'exiger ; jamais celui qui avoue sa faiblesse ne se lasse de céder[17].

 

VI

L'Assemblée avait décrété, comme nous l'avons vu, la formation d'une Cour martiale pour juger les auteurs de ce qu'on appelait les crimes du 10 août. Mais cette Cour n'était évidemment compétente que pour connaître des actes qui se rattachaient d'une manière intime et directe aux faits militaires de cette journée. L'Assemblée l'avait si bien compris ainsi que, le 13, elle renvoyait devant la haute Cour d'Orléans Barnave, Alexandre Lameth et les anciens ministres Duportail[18], Duport-Dutertre, Bertrand de Molleville, Montmorin et Tarbé, que semblaient inculper certains papiers trouvés dans le secrétaire de Louis XVI, et dont Gohier fit publiquement la lecture.

Le ministre de la guerre, ou plutôt Clavière, ministre des finances, qui, en l'absence de Servan, tenait l'intérim, avait été chargé de s'occuper de la formation de la Cour martiale. Mais bientôt il vint avertir la commission extraordinaire qu'il ne pouvait obtenir de Santerre la désignation des officiers qui devaient composer cette Cour, et dont le choix avait été confié au commandant en chef de la garde nationale et de la force armée de Paris.

La commune insurrectionnelle, en effet, se souciait fort peu d'une cour martiale dont l'action eût été limitée aux faits de guerre proprement dits. Ce qu'elle voulait, c'était la création d'un tribunal extraordinaire qui, revêtu de pouvoirs généraux et jouissant d'une juridiction illimitée, pût devenir le docile instrument de ses vengeances. Comme un décret ampliatif de celui du 11 devait régler toutes les formes à suivre par la Cour martiale, elle attendait la promulgation de ce deuxième décret pour dénoncer aux colères des ultra-révolutionnaires la timidité et les irrésolutions de sa rivale. Mais bientôt elle s'impatiente, et, le 14 au matin, elle envoie deux commissaires réclamer de l'Assemblée nationale une décision immédiate : Si le décret n'est pas rendu, disent-ils, notre mission est de l'attendre[19]. La Montagne elle-même se récrie contre tant d'insolence. Pour prouver jusqu'où va la mauvaise volonté de la commune, Hérault-Séchelles annonce que la commission extraordinaire a prié les délégués municipaux de venir se concerter avec elle pour s'occuper des difficultés soulevées par Santerre, mais que les délégués n'ont pas cru devoir se rendre dans son sein. Néanmoins Thuriot, qui sert toujours d'organe aux vœux secrets de la commune, s'empresse de demander que l'Assemblée rapporte le décret qui ordonne la formation de la Cour martiale et que tout ce qui a trait aux conspirations de la Cour soit jugé par les tribunaux ordinaires. Comme il y a des jurés, ajoute-t-il, qui n'ont pas la confiance de la nation, je demande que vous autorisiez chacune des quarante-huit sections à nommer deux jurés d'accusation et deux jurés de jugement[20].

Les propositions de Thuriot sont votées en principe. L'Assemblée pouvait croire que la commune serait satisfaite puisqu'elle lui avait accordé l'abolition de la Cour martiale, avant même qu'elle eût été formée, et l'élection de nouveaux jurés par les sections parisiennes. Il n'en fut rien. En instituant de nouveaux jurés pour les crimes du 10 août, c'est-à-dire en faisant juger les vaincus de cette journée par les prétendus vainqueurs, on laissait le soin de diriger les débats aux tribunaux ordinaires, c'est-à-dire aux tribunaux criminels établis par la loi du 29 septembre 1791. Ces tribunaux étaient naturellement tenus de suivre les formes établies par cette loi : jury d'accusation, jury de jugement, recours en cassation, droit de récusation, délai accordé pour faire entendre les témoins, etc. Or, ces tribunaux criminels, établis depuis un an, au nombre de six à Paris, composés de juges élus sous le régime constitutionnel étaient suspects aux ultra-révolutionnaires. Il fallait donc ne pas en rester là et tirer les conséquences des prémisses posées par Thuriot.

Le 15 août au matin, Robespierre se présente à la barre de l'Assemblée, suivi d'une nombreuse députation. Au nom de la tranquillité publique et de la liberté, il déclare qu'il ne suffit pas de punir les crimes commis dans la journée du 10, mais qu'il faut étendre la vengeance du peuple sur tous les conspirateurs.

Les plus coupables, ajoute le tribun municipal, n'ont pas paru dans cette journée, et, d'après la loi que vous venez de rendre, il serait impossible de les punir. Ces hommes qui se sont couverts du masque du patriotisme pour tuer le patriotisme, ces hommes qui affectaient le langage des lois pour renverser toutes les lois, ce La Fayette, qui n'était peut-être pas à Paris, mais qui pouvait y être[21], ils échapperaient donc à la vengeance nationale ?...

Vous ne devez pas donner au peuple des lois contraires à son vœu unanime. Débarrassez-nous des autorités constituées en qui nous n'avons pas confiance, effacez ce double degré de juridiction qui, en établissant des lenteurs, assure l'impunité. Nous demandons que les coupables soient jugés par des commissaires pris dans chaque section, souverainement et en dernier ressort.

 

Chabot convertit tout de suite en motion les demandes de Robespierre. A la voix de ces deux hommes bien dignes de se comprendre et de s'appuyer mutuellement, l'Assemblée décrète le principe de la formation d'une Cour populaire, et, pour son application, charge la commission extraordinaire de lui faire un rapport séance tenante.

La pétition de Robespierre et de la commune se trouvait ainsi renvoyée à Brissot et à ses amis. Que vont-ils faire ? Vont-ils rédiger en articles de loi les volontés des insurgés de l'Hôtel-de-Ville ? vont-ils apporter à l'Assemblée le code monstrueux de la justice expéditive dont le tribun, déjà leur rival et bientôt leur bourreau, vient de tracer le programme ? Leur orgueil sc révolte à tant d'humiliations. Ils croient faire preuve de courage en n'accordant à l'impérieuse commune que la moitié de ce qu'elle exige. Les deux points principaux sur lesquels les commissaires municipaux avaient insisté étaient la suppression du recours en cassation et l'élection de nouveaux juges pour diriger les débats. La commission extraordinaire se résout à céder sur le premier point et à résister sur le deuxième ; elle consigne son adhésion dans un projet de décret, et son refus dans un projet d'adresse, que Brissot lit dans l'après-midi même du 15 août.

Les Girondins ne s'apercevaient pas qu'ils accordaient l'essentiel et refusaient l'accessoire. Car, supprimer le recours en cassation, c'était enlever aux accusés la plus sérieuse des garanties stipulées en leur faveur par la nouvelle législation ; c'était donner un démenti formel à tous les principes qui avaient servi de base à la réforme de nos lois criminelles ; c'était ouvrir la voie aux précipitations les plus effroyables, aux violations les plus flagrantes de la loi.

L'adresse présentée par Brissot est noble, éloquente même. On y revendique l'application des grands principes au nom desquels la Révolution française s'est faite ; on y flétrit les chambres ardentes que quelques hommes semblent vouloir emprunter au despotisme[22]. Mais en définitive, quoique approuvées à l'unanimité par l'Assemblée, imprimées, affichées, expédiées aux sections, les phrases de l'habile publiciste ne produisent aucun effet. Pendant que la population parisienne les lit avec indifférence, le décret, qui prive les accusés du plus précieux de leurs droits, s'inscrit au Bulletin des lois et devient le premier chapitre du code sanguinaire qui, pendant deux ans, doit présider aux arrêts de la justice démagogique[23].

La commune aurait pu se montrer satisfaite de tant d'abnégation ; mais elle professait cette maxime que rien n'est obtenu tant qu'il reste quelque chose à obtenir. Le 16, elle laisse les sections nommer les nouveaux jurés d'accusation et de jugement ; le 17, dès le matin, elle envoie à la barre de l'Assemblée une députation dont l'orateur fait entendre des paroles plus insolentes encore que toutes celles qui jusqu'alors ont été prononcées[24].

Comme citoyen, comme magistrat du peuple, je viens vous déclarer que ce soir à minuit le tocsin sonnera, la générale battra, et le peuple tout entier se lèvera pour la seconde fois.

Eh quoi ! l'aristocratie lèverait-elle encore sa tête hideuse au milieu de vous ?... les principes de justice sont-ils donc différents pour un peuple souverain que pour les tyrans ?...

Les jurés d'accusation et de jugement que vous avez décrétés sont organisés ; ils sont tout prêts, mais il n'y a point de juges pour faire l'application de la loi ; le tribunal criminel a perdu la confiance du peuple... Je demande que, sans désemparer, vous décrétiez qu'il sera nommé un citoyen par chaque section pour former à l'instant un tribunal criminel...

Je demande que le château des Tuileries soit le temple d'où la justice prononce ses décrets, dus à la vengeance du peuple souverain.

Je demande que Louis XVI et Marie-Antoinette, si avides de sang, puissent s'en rassasier à leur aise eu voyant couler celui de leurs infâmes complices...

Vous avez promis justice au peuple français, vous la lui rendrez ; il l'attend, et alors il verra en vous les dignes représentants et les fidèles interprètes de la volonté souveraine.

 

De pareilles brutalités ne pouvaient être subies sans qu'il s'élevât quelques protestations au sein de l'Assemblée. Le montagnard Choudieu lui-même déclare que l'adresse rédigée par Brissot suffit et que nul tribunal inquisitorial ne doit être institué ; Thuriot lance des paroles d'indignation dont l'histoire lui doit tenir compte au milieu des défaillances qui ont marqué sa carrière politique.

Il ne faut pas que quelques hommes, qui ne connaissent pas les vrais principes... viennent substituer leur volonté particulière à la volonté générale... Je demande que le Corps législatif se montre décidé à mourir plutôt qu'à souffrir la moindre atteinte à la loi... J'aime la liberté, j'aime la révolution ; mais s'il fallait un crime pour l'assurer, j'aimerais mieux me poignarder... La révolution n'est pas seulement pour la France, nous en sommes comptables à l'humanité.

Belles paroles, mais de quel effet furent-elles suivies ? C'étaient, hélas ! les derniers accents d'une résistance qui allait expirer. Voici venir, en effet, une députation des citoyens élus la veille par les sections pour former les jurys de jugement et d'accusation :

Vous paraissez, dit l'orateur, être dans les ténèbres sur ce qui se passe dans Paris !... Si, avant deux ou trois heures, les jurés ne sont pas en état d'agir, de grands malheurs se promèneront dans Paris.

Devant ces menaces, le reste d'énergie dont l'Assemblée semblait encore animée un instant auparavant s'évanouit. Hérault-Séchelles, qui avait en poche un décret tout préparé dans le sens des demandes formulées par la commune, se présente à la tribune, et propose de créer un tribunal nouveau pour les crimes commis dans la journée du 10 août, en laissant subsister à côté de lui les anciens tribunaux criminels qui continueraient à connaître des crimes et délits ordinaires. De cette manière, ose-t-il dire sans rougir, on ne portera aucune atteinte à la rigueur des principes et aux droits éternellement sacrés de la liberté.

L'Assemblée était habituée à se payer de mots sonores ; elle ne cherche pas à approfondir ce qui est au fond du projet présenté par Hérault-Séchelles, elle l'adopte en toute bâte.

Aux termes de ce décret, le nouveau tribunal, qui a gardé dans l'histoire le nom de tribunal du 17 (mat, était divisé en deux sections et comprenait huit juges, huit suppléants, deux accusateurs publics, sept directeurs de jury, quatre greffiers, huit commis-greffiers et deux commissaires nationaux. Ces deux derniers étaient les seuls qui dussent être nommés par le pouvoir exécutif provisoire ; tous les autres fonctionnaires étaient électifs. On n'osa pas cependant les faire nommer par les sections de Paris, comme l'avaient été les jurés ; car, dans la Constitution que l'on voulait toujours avoir l'air de respecter, une disposition formelle portait que les juges ne pourraient être élus directement, mais bien par un corps électoral composé d'électeurs du second degré, ce corps étant réputé présenter plus de garanties de lumières et d'expérience que les assemblées primaires. On tourna la difficulté. Le décret portait que, pour la formation du corps chargé d'élire les fonctionnaires du nouveau tribunal, chaque section de Paris nommerait un électeur à la pluralité des voix. Quarante-huit individus au plus étaient ainsi appelés à pourvoir aux trente-sept charges électives de la nouvelle cour de justice ; les électeurs ne manquèrent pas de se choisir eux-mêmes ou au moins de désigner leurs amis les plus intimes.

Le premier tribunal révolutionnaire était créé. C'était, dans toute la force du terme, une véritable chambre ardente, formée pour servir les haines et les vengeances des puissants du jour. D'un seul bond, les ultra-révolutionnaires avaient franchi tout l'espace qui sépare les principes de 1789 des pratiques d'un Louis XI ou d'un Richelieu.

 

VII

Le décret du 17 août consacrait le triomphe de la commune, il ne pouvait donc manquer de recevoir une très-rapide exécution. D'une part, les meneurs de l'Hôtel-de-Ville voulaient être assurés de trouver, dans les nouveaux juges, des organes fidèles et dévoués de toutes leurs colères ; de l'autre, les nouvelles places qui venaient d'être créées n'étaient pas à dédaigner pour la cupidité et l'ambition des conspirateurs subalternes qui n'avaient pas encore été pourvus d'emplois lucratifs.

L'Assemblée avait rendu le décret, le 17 dans la matinée. Sans attendre qu'il ait été régulièrement promulgué, encore moins que les sections aient été légalement convoquées, les amis des dictateurs parisiens se hâtent de procéder, dans toutes celles qui leur sont dévouées, au choix de l'électeur chargé de participer à la nomination des membres du nouveau tribunal.

Le nombre de citoyens nécessaire pour valider ce choix n'étant pas indiqué, le simulacre d'un vote émis par une infime minorité suffit pour investir de tous les pouvoirs de la section un affidé désigné d'avance. Moins de douze heures après la décision de l'Assemblée, trente-trois électeurs, nommés plus ou moins régulièrement, se trouvent réunis à l'Hôtel-de-Ville. Là, sans attendre les collègues que les sections non averties pourront leur donner lorsqu'il ne sera plus temps, ils passent la nuit à procéder aux trente-sept scrutins individuels qui doivent pourvoir chacun à une des nouvelles places. Le 18, à six heures du matin, tout est terminé.

Dans la journée même, les individus nommés pour faire partie de ce tribunal si étrangement improvisé. sont avertis de venir prendre possession des fonctions que la confiance du peuple leur a conférées[25]. A cinq heures du soir, le maire de Paris les installe au palais de justice dans la grande salle dite de Saint-Louis[26].

Les huit juges étaient Osselin, Mathieu, Pépin-Desgrouettes, Lavau, Vilain-Daubigny, Dubail, Coffinhal, Desvieux, tous Jacobins émérites[27].

Robespierre avait été élu premier juge, mais il refusa. Le tribun ne voulait à aucun prix quitter en ce moment le conseil général de la commune, d'où l'aurait exclu son acceptation. Dans l'intérêt de son influence future, il n'avait rien à gagner et beaucoup à perdre en se confinant dans une fonction judiciaire. Attaqué quelques jours après à raison de son refus, Robespierre s'expliqua lui-même dans une lettre[28] qu'il s'empressa de rendre publique. J'ai combattu, y disait-il, depuis l'origine de la révolution, la plupart de ces criminels de lèse-nation ; j'ai dénoncé la plupart d'entre eux... je ne pourrais être le juge de ceux dont j'ai été l'adversaire, et j'ai dû me souvenir que, s'ils étaient les ennemis de la patrie, ils étaient aussi les miens ![29] — Puis il ajoutait, révélant ainsi le fond de sa pensée : — L'exercice de ces nouvelles fonctions était incompatible avec celles de représentant de la commune... Je suis resté au poste où j'étais, convaincu que c'était là où je devais actuellement servir la patrie.

L'installation du tribunal du 17 août fut marquée par une ridicule comédie digne d'une époque où l'on savait déjà si bien pratiquer l'art, perfectionné depuis il est vrai, de masquer sous les dehors d'une responsabilité dérisoire le despotisme le plus absolu. Les juges, jurés, accusateurs publics, greffiers, etc., après avoir reconduit le maire et la municipalité, s'arrêtèrent sur le seuil du palais, et là, s'avançant sur une estrade, ils prononcèrent la formule sacramentelle, déterminée par un arrêté spécial de la commune :

Peuple, je suis un tel de telle section, demeurant en tel endroit : avez-vous quelque reproche à me faire avant que j'aie le droit de juger les autres ?

Comme on le pense bien, personne ne se présenta pour contester le civisme de ces juges. Puisant une nouvelle force dans cette confirmation solennelle, ils rentrent dans la chambre de leurs délibérations, et se hâtent d'adresser à l'Assemblée nationale la demande d'une loi destinée à agrandir le cercle de leurs attributions, à accélérer la procédure et à restreindre encore plus le droit de défense des accusés.

L'Assemblée s'empresse de faire droit à leur réclamation, et un nouveau décret, en date du 19, vient compléter celui du 17.

Sous prétexte que les délais légaux ralentissaient le cours de la justice sans être favorables à l'accusé, celui-ci ne devait désormais avoir communication de la liste des témoins que pendant douze heures au lieu de vingt-quatre. L'interrogatoire préalable devant un juge délégué ad hoc était supprimé. On n'avait besoin que de demander à l'accusé s'il avait un défenseur, et de lui en donner un d'office, s'il n'en avait pas. Il ne lui était laissé que trois heures pour présenter ses récusations de jurés. Enfin, le délai légal de trois jours entre l'arrêt et l'exécution était aboli.

Le tribunal du 17 août était prêt à agir, il ne restait plus qu'à pourvoir à l'exécution de ses arrêts. La commune avait encore pris les devants sur ce point ; prévoyant que la guillotine ne tarderait pas à fonctionner, elle s'était empressée d'arrêter, le 16 août que le crime devait être puni là où il avait été commis ; que les délits attentatoires à la souveraineté du peuple ayant éclaté dans le château des Tuileries, les jugements du nouveau tribunal seraient exécutés sur la place du Carrousel.

L'incendie du 10 août avait commencé à déblayer le terrain ; le marteau des démolisseurs fit bien vite le reste de la besogne, et l'on put établir la terrible machine en face du palais dévasté.

Le premier dont elle abattit la tête, fut un malheureux maître d'écriture, ex-employé au secrétariat de l'administration de la garde nationale, Collenot d'Angremont, accusé d'embauchage pour le compte de la cour. Il fallait beaucoup de bonne volonté pour transformer ce pauvre diable en chef de complot, mais on avait parlé bien haut de conspirations ; il était nécessaire de trouver à tout prix des conspirateurs.

Quoi de plus commode que de masquer ses propres trames en les attribuant à ceux mêmes qui viennent de s'y laisser prendre ? Dans l'histoire de nos révolutions, on a vu plus d'une fois les vainqueurs imputer et faire expier aux vaincus les crimes que seuls ils avaient commis.

L'exécution du malheureux Collenot d'Angremont eut lieu le 21 août, à dix heures du soir, à la lueur sinistre des flambeaux ; triste inauguration de l'échafaud révolutionnaire !

 

VIII

Pendant que les deux seuls pouvoirs restés en présence après la chute du trône constitutionnel de Louis XVI se livraient, chaque jour et sur chaque question, à une lutte acharnée, que se passait-il dans le reste de la France et surtout aux armées, toutes alors placées sur l'extrême frontière en présence des troupes de la coalition ?

La nouvelle de la révolution du 10 août avait été reçue avec stupeur dans un grand nombre de départements. Plusieurs conseils généraux hésitèrent à promulguer des décrets, adoptés évidemment sous la pression de l'émeute, puisqu'ils étaient en contradiction formelle avec ceux que l'Assemblée, libre encore, avait rendus quelques jours auparavant.

Les résistances départementales ont à peine été signalées par les historiens qui nous ont précédé, parce que, sauf celle de Sedan, elles laissèrent peu de traces, et que les promoteurs eurent soin, après leur insuccès, de faire disparaître les documents qui les auraient inutilement compromis. Cependant, d'après certaines indications éparses dans le Moniteur lui-même, il est facile de s'apercevoir que la révolution du 10 août ne fut pas acceptée dans toute la France avec cette unanimité dont parlent certains écrivains.

A Metz, le conseil général de la Moselle délibéra durant plusieurs jours sur la question de savoir si les décrets rendus, les 10 et 11 août, par l'Assemblée législative pouvaient être promulgués avant d'avoir été revêtus des formes prescrites par la Constitution[30], c'est-à-dire signés du roi, qu'ils suspendaient, et de ses ministres, qu'ils remplaçaient.

A Nancy, à Rouen, les corps constitués ne se montrèrent pas moins hésitants.

A Amiens, le conseil général de la Somme déclara, le 12 août, qu'il ne reconnaissait aucun caractère officiel aux divers actes qui lui avaient été envoyés au nom du président de l'Assemblée[31].

A Strasbourg, le maire Dietrich, une grande partie du conseil général de la commune et le conseil général du département montrèrent la plus grande répugnance à exécuter les décrets de l'Assemblée[32].

Le conseil général du Haut-Rhin lança une adresse ainsi conçue :

La patrie est dans le plus grand danger ; mais Louis XVI est bon et juste, il recouvrera la confiance publique. Nous maintiendrons la royauté et défendrons l'Assemblée nationale et le roi constitutionnel. L'ennemi est à nos portes. Ayez du calme, du courage. Ralliez-vous autour de nous[33].

 

Le conseil général de l'Indre, dans une adresse en date du 12 août, déclara que sa profonde douleur ne lui permettait pas de sonder les vrais motifs de la loi du 10 août, mais qu'il regardait comme essentiel d'instruire les districts et les municipalités de l'état actuel du gouvernement et du danger imminent de la chose publique[34].

L'Assemblée législative comprit qu'il fallait, par des mesures de vigueur, couper court à ces hésitations avant qu'elles ne se transformassent en protestations éclatantes. Elle manda à sa barre le procureur général du département de la Seine-Inférieure, qui vint s'excuser, et promit, au nom du conseil, une obéissance aveugle aux ordres de la représentation nationale[35].

Elle agit de même contre le maire de Strasbourg, Dietrich[36]. Mais celui-ci, après avoir apaisé les troubles que sa destitution avait suscités, ne crut pas devoir imiter le procureur général de la Seine-Inférieure, et se déroba pendant plusieurs mois aux poursuites de ses ennemis.

L'Assemblée ordonna que le procureur général syndic et le président du directoire de la Moselle fussent amenés à Paris par la gendarmerie, de brigade en brigade ; enfin, sur la proposition de Lacroix, elle renvoya devant le tribunal criminel du département le président, le procureur général et le secrétaire du département de la Somme.

Par une coïncidence digne de remarque, plusieurs des principaux chefs de la démagogie dans les départements se trouvaient à Paris, au moment de la révolution du 10 août. Depuis longtemps en lutte avec les autorités constitutionnelles, ils étaient venus se plaindre à l'Assemblée des prétendues persécutions dont ils avaient été victimes. Naturellement ils avaient cherché des protecteurs et des appuis parmi les meneurs du club de la rue Saint-Honoré, et s'étaient fort mêlés aux conciliabules qui avaient préparé l'insurrection. Parmi eux étaient Philibert Simond, vicaire de l'évêque constitutionnel de Strasbourg ; Anthoine, maire de Metz, et Châlier, officier municipal de Lyon. Dietrich avait fait expulser de Strasbourg Simond à cause de ses menées démagogiques. Anthoine et Châlier avaient été suspendus par les conseils généraux de la Moselle et de Rhône-et-Loire à raison de faits fort graves dont ils s'étaient rendus coupables dans l'exercice de leurs fonctions.

Après le 10 août, les trois patriotes persécutés changent d'attitude. Solliciteurs la veille, ils deviennent accusateurs le lendemain. Ils ne demandent plus justice, ils exigent vengeance.

L'Assemblée, qui n'a rien à refuser aux démagogues parisiens, se montre aussi complaisante pour ceux des départements.

Le 11 août, elle rend Anthoine à ses fonctions et casse le directoire de la Moselle qui l'a destitué.

Le 16, c'est sur la dénonciation de Simond qu'elle mande à sa barre et suspend le maire de Strasbourg.

Le même jour Châlier, dont Chabot et Fauchet chantent les louanges, est réintégré avec honneur dans ses charges municipales. Il devait, comme nous le verrons plus tard, y déployer de nouveau toute son audace démagogique, attirer sur Lyon d'épouvantables malheurs et acquérir une effroyable célébrité.

Le ministre de l'intérieur, Roland, s'empresse de compléter les mesures prises par l'Assemblée en faisant prononcer par le conseil exécutif provisoire, non-seulement la destitution des trois conseils généraux de la Moselle, de la Somme et de Rhône-et-Loire, mais encore celles d'un grand nombre d'autres directoires et conseils de départements qui, après le 20 juin et même après le 10 août, avaient manifesté des sentiments constitutionnels[37].

 

IX

On se le rappelle, le 10 août au soir, l'Assemblée nationale avait nommé douze commissaires chargés d'aller immédiatement faire reconnaître par les armées la révolution accomplie à Paris. Il fallut vingt-quatre heures pour rédiger et copier les pièces dont ils devaient être porteurs.

Leurs instructions furent préparées par la commission extraordinaire réunie au comité militaire. Afin que la variété des versions ne rendit pas trop palpables les mensonges qu'il était indispensable de répandre, il importait que les douze commissaires fussent pourvus d'un récit uniforme. Mais, paraît-il, il ne fut pas possible de trouver dès l'abord, parmi les législateurs, une mémoire assez complaisante, une plume assez habile pour rédiger le récit des événements qu'il s'agissait d'expliquer et de faire accepter. D'ailleurs, à qui appartient le droit de rédiger le bulletin de la bataille, si ce n'est aux vainqueurs eux-mêmes ? Qui pouvait mieux que la commune insurrectionnelle et le maire Pétion, son docile instrument, faire connaître aux armées les détails de la fameuse journée ? Les commissaires s'adressèrent donc à la commune et au maire pour cette rédaction difficile[38].

Un récit tout fait leur ayant été envoyé de l'hôtel de ville et leurs instructions étant complétées, les douze commissaires partirent dans la nuit du 11 au 12 août dans quatre directions différentes (Nord, Nord-Est, Rhin et Midi). Ils étaient autorisés à suspendre provisoirement et à faire arrêter tous les fonctionnaires civils et militaires, même les généraux d'armée si les circonstances l'exigeaient.

De tous ces généraux, le plus suspect au parti vainqueur était, à bon droit, La Fayette[39], dont le quartier-général se trouvait dans ce moment établi sous les murs de Sedan. Les trois commissaires qui avaient dans leurs circonscriptions son corps d'armée étaient Kersaint, Antonelle et Péraldi. Leur mission comprenant l'inspection des troupes postées entre Maubeuge et Bitche, ils avaient à visiter successivement La Fayette et Luckner. Ils prirent la route directe de Sedan ; leur première étape fut le camp de Soissons, dont on avait tant parlé depuis deux mois. Ils devaient s'assurer du nombre et de la situation des volontaires déjà rassemblés.

Pendant qu'ils s'y arrêtent, transportons-nous à Sedan, et voyons ce qui s'y passe. La Fayette avait reçu les premières nouvelles de l'insurrection parisienne par un de ses officiers qui était parvenu, le soir même du 10, à franchir le mur d'enceinte de la capitale et était accouru en toute hâte lui rapporter les événements dont il avait été témoin. Pendant une nuit entière, il fut seul dans son armée à savoir que le peuple était maître aux Tuileries, et le roi suspendu de ses fonctions.

Quelles avaient été, pendant cette nuit, les pensées de l'illustre général, également attaché aux droits de la nation et aux prérogatives de la couronne dont il avait, comme tant d'autres, rêvé l'harmonieux concert ? Ira-t-il courber silencieusement la tête devant l'orage qui vient de briser la couronne de Louis XVI ? Doit-il trahir la confiance dont soixante-quinze Directoires de département lui ont donné le glorieux témoignage en adhérant à la conduite qu'il a tenue lors des événements du mois de juin ? Peut-il faire abstraction du vote de l'Assemblée législative qui, le 8 août, lorsqu'elle jouissait encore de son libre arbitre, s'est refusée à le livrer aux accusations jacobines et lui a donné implicitement à entendre qu'elle comptait sur lui et sur son armée pour le jour de la crise déjà imminente et prévue ? Mais, d'autre part, lui est-il possible "de diriger sur Paris les troupes qui couvrent la frontière la plus menacée et de dégarnir les premières places fortes devant l'ennemi qui s'avance ? Comment songer à établir la moindre entente entre lui et les chefs de la coalition étrangère, au moment où ils accourent pour mettre à exécution les effroyables menaces du manifeste de Brunswick ? Peut-il un instant espérer que ces chefs, qui s'apprêtent à envahir la France dans le dessein hautement avoué d'y rétablir le pouvoir absolu, consentiront à s'arrêter, sur sa demande, et à respecter la frontière jusqu'à ce qu'il ait eu le temps de rétablir le trône constitutionnel ? Lui était-il donc réservé de donner le signal de la guerre civile ? Mais quoi, ce signal, est-ce lui qui le donne ? N'est-il pas parti des rangs de ceux qui, à main armée, ont envahi les Tuileries ? Parce que la populace de Paris s'est emparée de la demeure royale, parce qu'elle dicte ses volontés à la représentation nationale, faut-il la laisser jouir tranquillement de son triomphe ? N'est-il pas plutôt de son devoir, à lui, le général de la Constitution, et, quand il en est temps encore, de faire une dernière tentative pour dégager la France des étreintes mortelles de la démagogie ? La France, la vraie France qui veut l'ordre et la liberté, ne l'appelle-t-elle pas, n'étend-elle pas vers lui ses bras suppliants ?

Ces questions et mille autres du même genre se heurtaient tumultueusement dans l'âme de La Fayette, comme elles devaient s'agiter dans la conscience de tous ceux qui, le 10 août 1792, se trouvaient avoir entre les mains la moindre parcelle de la puissance publique.

Jamais, depuis le commencement de la Révolution, les fonctionnaires civils ou militaires de tous les ordres n'avaient eu à délibérer avec eux-mêmes dans des circonstances plus difficiles et plus délicates. De toutes les phases que la Révolution française avait eues à traverser, celle, dans laquelle elle entra le 10 août, était la première où les lois reconnues par la nation entière eussent été brisées par la force brutale. La convocation des états généraux, le serment du Jeu-de-Paume, la réunion des ordres, la prise de la Bastille, la translation de la famille royale à Paris, l'espèce d'emprisonnement moral qui en avait été la conséquence, l'adoption de la Constitution civile du clergé, l'acceptation du pacte de 1791 avaient été des événements d'une portée immense ; niais ils avaient tous été couverts par l'assentiment plus ou moins spontané, plus ou moins sincère du pouvoir royal.

Le monarque était resté sur son trône, acceptant successivement les modifications qui avaient été apportées à l'autorité absolue qu'il avait reçue des mains de ses prédécesseurs. Les fonctionnaires publics, civils et militaires, pouvaient donner leur démission, si ces modifications ne leur convenaient pas, et rentrer dans la vie privée. Mais, s'ils demeuraient à la place où la confiance du roi les avait mis, ils n'avaient aucun droit de refuser obéissance à des mesures législatives que Louis XVI lui-même avait revêtues de sa sanction. Le 10 août, droits anciens, pacte nouveau, tout était brisé, tout était remis en question ; ceux qui avaient juré la Constitution de 1791 pouvaient-ils se croire déliés de leur serment par ce fait seul que le roi était prisonnier, et que quelques milliers d'émeutiers régnaient dans Paris par la terreur ?

Nous avons souvent entendu des partisans dévoués de la liberté blâmer le général La Fayette d'avoir voulu opposer quelque résistance aux décrets que les commissaires de la Législative avaient été chargés de lui porter.

Un tel reproche implique forcément le dogme de l'obéissance passive, non plus aux ordres d'un gouvernement régulièrement établi et auquel on a prêté serment — ce que nous ne pourrions même admettre qu'avec certaines restrictions —, mais aux ordres d'un gouvernement quelconque, sans qu'il y ait lieu d'apprécier la nature de ces ordres ou la qualité de ceux qui les ont signés.

Nous disons qu'un fonctionnaire civil ou militaire ne doit pas obéir à toutes les instructions qu'il peut recevoir d'un gouvernement, même régulier, auquel il a prêté serment. Le refus du comte d'Orthez de laisser exécuter le massacre de la Saint-Barthélemy, dans la ville dont la garde lui était confiée, a consacré les légitimes limites de l'obéissance. Mais, si ces instructions émanent d'un gouvernement qui a renversé violemment celui auquel on a prêté serment, d'un gouvernement qu'on ne reconnaît pas, qu'on aurait honte de reconnaître, que doit faire le fonctionnaire public ? Il n'a que deux partis à prendre : s'éloigner en laissant à d'autres le soin d'accomplir les ordres qui lui ont été transmis, ou faire usage de la portion de la puissance publique qu'il a entre les mains, pour résister à la révolution ou à l'usurpation qui vient de s'imposer.

Que les esprits honnêtes y réfléchissent donc à deux fois, avant de blâmer la conduite tenue par La Fayette et les magistrats des Ardennes en août 1792.

Le despotisme et la démagogie, deux noms que nous ne cesserons pas d'accoler ensemble, parce qu'ils signifient la même chose sous une dénomination différente, s'accommodent fort bien de la théorie du succès amnistiant ou légitimant les moyens. Suivant cette théorie, la France a dû se soumettre, sans mot dire, au 10 août, plus tard au 31 mai, au 18 fructidor, au 18 brumaire, à toutes les autres usurpations violentes auxquelles la populace ou la soldatesque ont, à tour de rôle, prêté leur appui depuis soixante-dix ans. Mais les libéraux sincères n'ont et ne peuvent avoir qu'un respect fort médiocre pour les faits accomplis. Ils se reconnaissent toujours le droit d'en discuter sévèrement la moralité. Ils détestent les surprises et ne se prosternent pas devant tous les gouvernements dont l'avènement leur est annoncé, comme autrefois, par des courriers de cabinet, comme aujourd'hui, par le frémissement d'un fil électrique.

Le 10 août fut une surprise. Cette vérité pourrait être contestée, si ce fait restait isolé dans l'histoire de nos révolutions, si depuis nous n'avions pas été les témoins et les victimes de plusieurs surprises semblables, dont les conséquences ont été aussi durables et souvent aussi funestes que celles du 10 août 1792. Mais celle-ci était la première que la nation eût à subir. On pouvait donc espérer qu'elle ne l'accepterait pas. C'est cette espérance qui dicta la conduite de La Fayette. Il ne savait pas tout ce qu'on peut faire supporter aux Français, quand on sait les tromper d'abord, les terrifier ensuite. Sa tentative de résistance avorta, mais il eut droit et raison de la faire.

 

X

La Fayette fait la première confidence de ses projets au maire de Sedan, M. Desrousseaux, avec lequel il se trouvait en contact journalier pour tous les besoins de son armée. Aussitôt qu'il s'est assuré du concours de ce magistrat courageux et dévoué, il écrit une lettre officielle à la municipalité. Il y expose que le représentant du pouvoir exécutif étant prisonnier, le pouvoir législatif étant asservi, les chefs du pouvoir militaire devaient se mettre à la disposition des autorités administratives qui subsistaient encore et jouissaient de la plénitude de leur liberté... que dans le département des Ardennes, où se trouvait le quartier général de son armée, la première de ces autorités était le conseil général séant à Mézières, mais que, vu l'urgence des circonstances et en attendant qu'il pût recevoir ses ordres, il se mettait, lui et son armée, à la disposition du pouvoir civil le plus rapproché de lui.

Au reçu de cette communication, le conseil de la commune de Sedan est réuni extraordinairement par les soins du maire et, le jour même (12 août), il prend un arrêté par lequel il déclare :

Qu'il est informé que l'Assemblée législative a suspendu le roi, mais qu'il ne peut reconnaître la légalité de ce décret, car cet acte est en contradiction manifeste avec la Constitution que tous les Français ont juré de maintenir ; que cette Constitution veut un roi dans la dynastie régnante héréditairement et de male en male ; qu'elle a bien, il est vrai, prévu pour le pouvoir exécutif des cas de suspension et d'abdication, mais qu'aucune de ces dispositions n'est applicable au roi régnant ; que l'Assemblée qui a rendu le décret de suspension n'a pu agir ainsi qu'étant privée de la liberté nécessaire pour délibérer ; que dès lors, fidèle à son serment, il persiste dans la résolution de maintenir la Constitution dans toute son intégrité, et décide qu'il sera envoyé immédiatement au conseil de département une députation pour le prier de prendre les mesures qu'il croira les plus promptes et les plus efficaces pour conserver intact le dépôt de la Constitution[40].

 

Le conseil du district de Sedan adhère par un arrêté encore plus vigoureux à la délibération que vient de prendre la municipalité. La Fayette ayant ainsi obtenu le concours des deux corps administratifs qui siègent dans la ville où il réside, se hâte d'écrire au conseil général du département des Ardennes ; il lui énumère les motifs de la conduite qu'il se propose de tenir et l'avertit de l'arrivée prochaine des commissaires pris dans le sein de l'Assemblée et chargés par elle de faire exécuter les décrets que le défaut de sanction royale frappe d'une complète nullité. — La Constitution, ajoute-t-il, a déclaré que les troupes de ligne ne peuvent agir dans l'intérieur du royaume que sur une réquisition des corps administratifs. Je viens me ranger sous les ordres de la seule autorité civile, constitutionnelle et incontestable à laquelle je puisse légalement m'adresser dans ce moment[41].

Le conseil général des Ardennes avait, quelque temps auparavant, soutenu par une adresse énergique, la pétition du général La Fayette contre les menées jacobines. Il n'hésite donc pas à adhérer aux principes exposés dans la lettre du général et dans les arrêtés pris à Sedan. Il ordonne qu'il soit sursis, dans toute l'étendue du département, à la publication de la loi du 10 août portant suspension provisoire du pouvoir exécutif, jusqu'à ce que le conseil général ait pu connaître et apprécier les motifs qui ont déterminé cette suspension[42].

Pendant ce temps, La Fayette publie un ordre du jour à ses troupes, dans lequel il leur recommande de se rallier en bons citoyens et en braves soldats autour de la Constitution, qu'ils ont juré de défendre jusqu'à la mort[43].

A tous les généraux sous ses ordres, notamment à Dillon, qui est à Pont-sur-Sambre, et à Dumouriez, qui commande le camp de Maulde, près de Saint-Amand, il prescrit d'imiter sa conduite, leur envoie sa lettre à la municipalité de Sedan, l'arrêté pris par celle-ci, et enfin leur ordonne de faire renouveler à tous les régiments placés sous leurs ordres Je serment de fidélité à la Constitution de 1791, serment qui comprenait nominativement la nation, la loi, le roi.

Au moment même où toutes ces mesures étaient prises, les trois commissaires de l'Assemblée législative quittaient Soissons et Reims (dans la nuit du 12 au 13), traversaient Rethel et Mézières, où ils ne s'arrêtaient que quelques instants, et arrivaient aux portes de Sedan (14 août au matin). Aussitôt qu'ils s'y présentent, ils sont arrêtés et conduits dans la salle où le conseil général de la commune siégeait en permanence. Ils déclinent leurs noms et qualités, déposent sur le bureau les passeports et la commission dont ils sont porteurs. Mais la municipalité, examen fait de ces papiers, se refuse à reconnaître les pouvoirs dont veulent se prévaloir les soi-disant commissaires, parce qu'au moment où ils leur ont été conférés, l'Assemblée nationale était sous la pression d'une horde factieuse, parce que d'ailleurs le décret qui prononce la suspension du roi viole de la manière la plus outrageante la Constitution, parce que l'Assemblée législative se fera sans doute un devoir de révoquer un acte aussi monstrueux aussitôt qu'elle ne sera plus sous le glaive des assassins, parce qu'enfin, si les soi-disant commissaires étaient députés ainsi qu'ils se qualifient, ils n'auraient pas accepté une mission destructive de la Constitution, une mission qui tend à tromper le peuple, à soulever l'armée et à lui retirer les braves généraux qui la commandent. Et aussitôt elle arrête qu'il y a lieu de retenir en otages ces soi-disant commissaires jusqu'à ce qu'il soit notoire que le roi et l'Assemblée nationale sont libres et n'ont plus rien à craindre de leurs oppresseurs[44].

Les trois députés sont conduits aussitôt au château de Sedan et remis à la garde du colonel Sicard, que La Fayette avait chargé de cette mission périlleuse. Puis, la municipalité fait afficher sur tous les murs de la ville une adresse à ses concitoyens, dans laquelle elle les met en garde contre les faux bruits qui pouvaient être semés, et leur rappelle que l'union parfaite qui règne entre tous les habitants de Sedan, et qui fait leur force, doit encore se resserrer, s'il est possible, dans les moments de crise et de calamité où l'on se trouve[45].

Toutes ces mesures sont expédiées immédiatement aux conseils du district de Sedan et du département des Ardennes, desquels ils reçoivent une pleine et entière approbation.

 La première nouvelle de ces événements arrive à Paris, le 17 au matin, de plusieurs côtés à la fois[46]. Elle cause naturellement l'agitation la plus vive dans la ville et au sein de l'Assemblée nationale. Le jour même, Vergniaud vient proposer, au nom de la commission extraordinaire, un décret qui est immédiatement adopté.

L'arrestation des commissaires, les arrêtés de la commune et du district de Sedan, et ceux du Directoire du département des Ardennes, sont réputés actes de rébellion, attentats à la liberté, à la souveraineté du peuple et à l'inviolabilité de ses représentants. En conséquence :

1° Les administrateurs du département des Ardennes et du district de Sedan, les officiers municipaux et les commandants de la force publique de cette ville sont déclarés personnellement responsables de la sûreté et de la liberté des commissaires de l'Assemblée nationale ;

2° Les quatorze administrateurs et le procureur général syndic du département des Ardennes qui ont concouru à l'arrêté du 15, et le maire de Sedan, seront mis en arrestation et traduits à la barre de l'Assemblée ;

3° Trois nouveaux commissaires, pris dans le sein de l'Assemblée, sont envoyés immédiatement dans les Ardennes[47] et autorisés à y requérir la force publique pour assurer la liberté de leurs fonctions ;

4° Seront considérés comme infâmes et traîtres à la patrie les officiers civils et militaires, et les citoyens qui refuseraient d'obéir à la réquisition de ces commissaires[48].

 

Ces premières mesures parurent bientôt insuffisantes. Les nouvelles qui arrivaient à chaque instant du camp de La Fayette exaspéraient de plus en plus les Montagnards. Les motions les plus violentes éclataient contre le général et les constitutionnels qui, quelques jours auparavant, avaient pris sa défense.

Le décret qui a absout La Fayette, s'écriait Chabot, est la seule cause de l'insurrection qui a lieu. Et se tournant vers la droite, il ajoutait : Oui, c'est vous qui l'avez faite, cette insurrection ; c'est l'absolution de La Fayette qui a fait répandre le sang aux Tuileries ; vous êtes couverts du sang de vos concitoyens ! Bazire proposait que la tête du général fût mise à prix et qu'il fût permis à tout citoyen de lui courir sus.

Le lendemain, 18, Léonard Robin et Charlier demandaient que tous les citoyens de la commune de Sedan, les officiers et généraux actuellement dans cette ville, et même les soldats faisant partie des bataillons de volontaires ou des troupes de ligne, fussent responsables sur leurs têtes de la liberté et de la vie des trois commissaires arrêtés. Merlin proposait de décréter que tous les membres du conseil général de la commune de Sedan qui avaient signé la délibération, dont le texte venait de parvenir à l'Assemblée législative étaient compris dans les mesures déjà prononcées contre le maire de cette ville, c'est-à-dire devaient être arrêtés et traduits à la barre.

Toutes ces motions furent coup sur coup transformées en décrets[49]. Le 19, l'Assemblée décréta d'accusation Motier La Fayette, ci-devant général de l'armée du Nord, comme prévenu du crime de rébellion contre la loi, de conspiration contre la liberté et de trahison envers la nation, défendit en même temps aux corps administratifs, municipalités et autres fonctionnaires publics de lui prêter assistance, d'obéir à ses réquisitions, et à tous dépositaires de fonds publics, de rien payer sur ses ordonnances sous peine d'être déclarés complices de rébellion I[50].

 

XI

Pendant ce temps, La Fayette, fidèle au plan qu'il s'était tracé, ne déplaçait aucun de ses bataillons, ne faisait aucune démonstration militaire dans la direction de Paris. Il mettait toutes ses espérances dans le mouvement moral dont il avait donné le signal.et qu'il espérait voir se propager jusqu'aux extrémités de la France. Il avait adressé à chacun des membres de l'Assemblée législative, à tous les Directoires de département, ainsi qu'aux principales municipalités du royaume, les actes par lesquels les autorités des Ardennes avaient déclaré ne plus reconnaître les décrets émanés d'une Assemblée placée sous les poignards des assassins. Il supposait que les députés de la droite sauraient se soustraire à la surveillance des nouveaux dominateurs de Paris et viendraient se grouper autour de lui pour former une assemblée que bientôt le pays entier, à la voix de ses autorités départementales, reconnaîtrait comme sa seule représentation légitime. Par malheur, aucune des prévisions du général ne devait se réaliser. Si, le premier jour, les troupes directement placées sous ses ordres avaient accueilli ses proclamations avec enthousiasme, celles qui occupaient des cantonnements éloignés de Sedan s'étaient montrées froides et même hostiles aux exhortations que ses lieutenants leur avaient transmises de sa part. Une partie de ses troupes étant campées dans l'Aisne, La Fayette avait cru devoir s'adresser au Directoire de ce département pour obtenir de lui les mêmes ordres que ceux qui lui avaient été donnés par celui des Ardennes. La Fayette comptait d'autant plus sur le succès de cette démarche, que le Conseil général de l'Aisne avait naguère signé et publié une adresse très-vive contre les événements du 20 juin, s'était même approprié le fameux arrêté du département de la Somme, et avait, lui aussi, envoyé à Paris des délégués chargés de veiller à la sûreté de la personne royale.

Néanmoins, les administrateurs du département de l'Aisne ne crurent pas devoir, après le 10 août, persévérer dans la ligne de conduite qu'ils avaient paru disposés à adopter après le 20 juin. Loin de d'aire bon accueil aux appels du général de la Constitution, ils ordonnèrent à tous les gardes nationaux d'arrêter La Fayette partout où ils le trouveraient et de le détenir sous bonne et sûre garde, jusqu'à ce que l'Assemblée nationale eût décidé à quel tribunal il devrait être envoyé. Ils enjoignirent en même temps à la force publique de se saisir du colonel Langlois[51], qui était venu leur porter les lettres du général, et s'empressèrent de transmettre une copie de leurs décisions au général Dillon, qui avait des troupes cantonnées dans leur département[52].

Dillon avait obéi aux ordres que, dès le 12, il avait reçus de son supérieur. Il avait fait prêter à ses troupes le serment de fidélité à la constitution de 1791, à la loi, à la nation, au roi ; il leur avait même adressé un ordre du jour très-vif contre les événements du 10 août et leurs auteurs[53]. Mais l'arrêté du département de l'Aisne le fit réfléchir, il se rétracta aussitôt et rompit toute communication avec son général en chef.

A Metz, Luckner, sur le concours duquel La Fayette croyait pouvoir compter, se contenta de pousser des gémissements contre les attentats du 10 août et d'entremêler son jargon allemand de phrases à double entente sur les Jacobins. Mais il n'agissait pas et paraissait ne pas vouloir agir. D'ailleurs, l'ancien maire de Metz, Anthoine, était revenu porteur du décret qui le réintégrait dans ses fonctions et qui cassait le Conseil général de la Moselle. Tout projet de résistance constitutionnelle était donc annihilé de ce côté. De toutes parts les nouvelles étaient désastreuses pour La Fayette et ceux qui avaient résolument embrassé son parti. Partout on paraissait se résigner à se soumettre au fait accompli. Notre pays est toujours le même. Sous le nouveau comme sous l'ancien régime, après comme avant la Révolution, on semble reconnaître à Paris seul le droit de donner un mot d'ordre à la France.

Le jour même où l'Assemblée le décrétait d'accusation (19 août), La Fayette apprenait par les rapports de son état-major que les soldats placés sous ses ordres immédiats étaient près d'en venir aux mains. Les uns entendaient le défendre à tout prix ; les autres paraissaient disposés à le livrer pieds et poings liés, comme ils y étaient conviés par l'arrêté du département de l'Aisne. Le malheureux général ne pouvait plus, dès lors, se maintenir dans l'attitude de résistance légale qu'il avait adoptée. Pour épargner à sa propre armée la terrible épreuve d'une lutte intestine, il n'avait qu'un parti à prendre : se dérober, lui et ses amis les plus compromis, au décret de proscription qu'il ne pouvait connaître encore, mais qu'il devait facilement prévoir.

Avant de partir, il prit les précautions militaires les plus minutieuses, afin que les troupes restassent en sûreté dans les positions qu'elles occupaient. Désirant aussi mettre à couvert la responsabilité des magistrats qui s'étaient associés à sa cause, il rédigea une réquisition antidatée, dans laquelle il se constituait seul coupable de tout ce qui, depuis le 10 août, avait été dit et fait autour de lui contre les décrets de l'Assemblée législative[54].

Puis, sous le prétexte d'exécuter une reconnaissance, il se dirigea sur Bouillon, point extrême de la frontière ; là il renvoya son escorte et ses ordonnances, et adressa à la municipalité de Sedan et à son armée des lettres d'adieu nobles et tristes, où se reflètent les sentiments douloureux dont son âme était agitée[55].

La Fayette et ses amis comptaient gagner la Hollande, et de là l'Angleterre ou l'Amérique ; mais à Rochefort, petite ville dépendant alors de l'évêché de Liège et située, par conséquent, en pays neutre, ils furent arrêtés par les avant-postes autrichiens. Le général Moitelle, qui aurait dû les accueillir comme d'illustres proscrits, leur déclara qu'ils étaient prisonniers de guerre.

Au moment où, en France, la démagogie les poursuivait comme les vils esclaves d'un despote, et où sur la terre étrangère les suppôts du despotisme les punissaient d'avoir été les promoteurs de la Déclaration des droits de l'homme, les généraux et officiers constitutionnels tombés entre les mains des lieutenants de Brunswick ne renièrent pas leur foi politique. Dans une protestation digne et ferme ils consignèrent le témoignage de leur dévouement inébranlable à la cause de la liberté, et attachèrent un ineffaçable stigmate au front de la puissance qui violait en eux le droit des gens.

Rochefort, 19 août.

Les soussignés, citoyens français, arrachés par un concours impérieux de circonstances extraordinaires au bonheur de servir, comme ils n'ont cessé de le faire, la liberté de leur pays, n'ayant pu s'opposer plus longtemps aux violations de la Constitution que la volonté nationale y a établie, déclarent : qu'ils ne peuvent être considérés comme des militaires ennemis, et moins encore comme cette portion de leurs compatriotes que des intérêts, des sentiments ou des opinions, absolument opposées aux leurs, ont portés à se lier avec les puissances en guerre avec la France, mais comme des étrangers qui réclament un libre passage que le droit des gens leur assure et dont ils useront pour se rendre promptement sur un territoire dont le gouvernement ne soit pas actuellement en état d'hostilité contre leur patrie[56].

 

Les généraux autrichiens s'efforcèrent à plusieurs reprises de tirer du général La Fayette et de ses compagnons des renseignements sur la situation et la force des armées françaises ; mais ils échouèrent honteusement dans leurs tentatives. Les prisonniers furent conduits à Namur, et de là à Nivelles. Dans cette dernière ville, on les divisa en trois catégories : les officiers qui appartenaient et avaient toujours appartenu à l'armée ; ceux qui avaient servi dans la garde nationale ; enfin les quatre anciens membres de l'Assemblée constituante, MM. de La Fayette, César de La Tour-Maubourg, Bureaux de Pusy et Alexandre Lameth[57]. Les premiers furent relâchés avec défense de rester dans le pays ; les seconds furent renfermés dans la citadelle d'Anvers et en sortirent au bout de deux mois. Quant aux derniers, ils furent traités avec la dernière rigueur. Remis, on ne sait pourquoi, par les Autrichiens au roi de Prusse, ils furent déposés successivement dans les citadelles de Wezel, de Neïss et de Glatz. Lorsque la Prusse fit à Bâle (1795) la paix avec la France, cette puissance remit les illustres captifs à l'Autriche[58], qui les retint pendant plus de deux ans encore dans les prisons d'Olmütz. Ils n'en sortirent qu'au moment des préliminaires de Campo-Formio et sur les instances directes et formelles du général Bonaparte.

Tout le monde doit être d'accord pour qualifier l'acte dont La Fayette et ses compagnons furent rendus victimes par les puissances étrangères, au mois d'août 1792. Ces exilés volontaires, bien qu'ils fussent officiers de l'armée française, ne pouvaient être considérés comme des prisonniers de guerre, puisqu'ils avaient perdu tout caractère militaire, en résignant d'eux-mêmes leurs commandements. Cependant, par ordre de leurs souverains, les généraux de la coalition les qualifièrent ainsi, tout en ne les traitant pas comme tels. On ne relâche pas des prisonniers de guerre sans échange et sans condition. Or, 18 sur 21 des compagnons de La Fayette furent mis en liberté soit tout de suite, soit au bout de deux mois. On rend aux officiers pris sur l'ennemi la captivité aussi douce que possible. La Fayette et ses trois amis furent, durant cinq années, traités par leurs geôliers prussiens et autrichiens avec une excessive dureté. On les laissa sans livres, sans plumes ni papier, sans communication avec le dehors, sans nouvelles de leurs familles. C'est qu'en réalité ils étaient prisonniers d'État. Les despotes européens les tenaient pour coupables du plus grand des crimes, celui d'avoir voulu établir dans leur patrie une liberté sage et modérée, et de n'avoir renié aucune de leurs convictions. Cela est si vrai que le duc de Saxe-Teschen fit faire au général La Fayette, dès les premiers jours de sa captivité, la communication suivante :

Puisque le chef de l'insurrection française, forcé de s'expatrier par ce même peuple, auquel il avait appris à se révolter, est tombé dans les mains des puissances alliées, on le gardera prisonnier jusqu'à ce que son souverain, dans sa clémence ou dans sa justice, ait décidé de son sort.

 

Ainsi le roi de Prusse et l'empereur d'Autriche, de leur autorité privée et contrairement au droit des gens, s'établissaient les vengeurs des querelles particulières du roi de France. Croyant servir les rancunes qu'à une autre époque la reine Marie-Antoinette avait pu manifester contre La Fayette et certains membres de l'Assemblée constituante, ils s'instituaient les geôliers, on peut dire les bourreaux de ceux qui venaient de sacrifier leurs grades, leur fortune, leurs familles, leur présent et leur avenir à la défense du trône de Louis XVI et des droits de son fils[59]. Il faut le proclamer hautement, la captivité de La Fayette et de ses amis, dans les cachots de la Prusse et de l'Autriche, fut une des plus grandes infamies de cette époque où l'Europe se croyait tout permis contre la Révolution française. Leur délivrance, stipulée par le victorieux négociateur de Campo-Formio, est un des actes qui lui font le plus d'honneur ; il atteste chez le général Bonaparte une généreuse préoccupation du droit qui manqua trop souvent à l'empereur Napoléon.

 

XII

La nouvelle du départ de La Fayette arriva à l'Assemblée législative dans la soirée du 21. Elle délivra de leurs dernières inquiétudes ceux qui venaient de détruire la constitution. Lasource qui, quelques jours avant le 10 août, avait prononcé contre le général un véritable réquisitoire, demanda aussitôt que, par une délibération solennelle, le nom du fugitif fût voué à l'exécration de la nation française. Merlin de Thionville, allant plus loin, proposa que la maison de La Fayette fût rasée et que, sur le terrain par elle occupé, on élevât une colonne portant une inscription qui transmettrait à la postérité le souvenir du crime[60]. La commune de Paris ordonna que le coin de la médaille frappée en l'honneur du créateur de la garde nationale par ordre de l'ancienne municipalité fût brisé sur l'échafaud par la main du bourreau[61].

La section Mauconseil arrêta que le drapeau donné par La Fayette au ci-devant bataillon Saint-Jacques-l'Hôpital serait traîné jusqu'au Carrousel et brûlé en grande cérémonie avec un mannequin représentant le traitre. Les cendres provenant de cet auto-dafé devaient être jetées au vent[62].

Les commissaires emprisonnés à Sedan avaient été rendus à la liberté dès le 20 août au matin. Ayant reçu la soumission entière et complète de la municipalité et aussi celle du conseil de district et du conseil général du département des Ardennes, ils écrivirent à la Législative pour la prier de ne pas donner suite aux décrets lancés contre ces trois corps administratifs, venus à résipiscence. Heureuse d'avoir triomphé sans coup férir, l'Assemblée se rendit aux vœux de ses commissaires[63].

Les autres commissaires expédiés aux armées furent loin de trouver les mêmes difficultés dans l'accomplissement de leur mission.

Delmas, Bellegarde et Dubois - Dubay avaient été chargés de visiter les corps stationnés sur la frontière entre Dunkerque et Maubeuge. Ils se dirigèrent sur Cambrai[64] et Valenciennes. Arrivés dans cette dernière ville, ils appelèrent à eux Arthur Dillon et Dumouriez[65].

Dumouriez, presque aussitôt après sa sortie du ministère, avait été dirigé sur le camp de Maulde qui formait l'extrême gauche de l'armée du Nord. Dès son arrivée, il avait cherché à se rendre indépendant et s'était mis en querelle ouverte avec ses supérieurs, Dillon et La Fayette. Pendant que ce dernier écrivait au ministre[66] pour être débarrassé de lui, Dumouriez écrivait à l'Assemblée pour dénoncer La Fayette. Il était encouragé, excité dans cette conduite par l'un des plus audacieux chefs du parti montagnard. Couthon, atteint depuis plusieurs années d'une paralysie complète des jambes, était venu, un mois avant le 10 août, prendre les eaux de Saint-Amand, très-voisines du camp de Maulde, et s'était empressé de s'aboucher avec l'ex-ministre des affaires étrangères de Louis XVI.

Au fond, les Montagnards n'en voulaient pas trop à Dumouriez.

N'avait-il pas contribué plus que tout autre, le 14 juin, à la chute des Girondins, ceux de tous leurs adversaires qu'ils haïssaient le plus ? D'ailleurs Dumouriez n'était-il pas allé aux Jacobins se coiffer du bonnet rouge ? N'avait-il pas montré en mainte circonstance qu'il n'avait ni principes, ni scrupules ? N'en était-ce pas assez pour mériter le pardon et même la faveur des ultra-révolutionnaires ?

Dumouriez n'espérait plus rien de la Cour, avec laquelle il avait complètement rompu après sa sortie du ministère ; il était donc tout préparé à se jeter dans de nouvelles aventures. Aussi, à la première nouvelle du 1.0 août, n'hésita-t-il pas à se prononcer hautement pour la révolution accomplie et à promettre à l'Assemblée législative l'appui de son épée.

Dumouriez avait commencé sa carrière politique sous les auspices du Girondin Gensonné, qui l'avait accompagné dans sa mission en Vendée (1791). Il avait maintenant pour répondant auprès des Montagnards l'un de leurs coryphées, Couthon[67]. L'avisé général, ayant ainsi des amis dans les deux partis qui commençaient à se dessiner et allaient bientôt se disputer le pouvoir, espérait manœuvrer assez habilement pour arriver au but de son ambition : devenir avant un an l'arbitre des destinées de la France.

Dillon, aussitôt après avoir reçu les dépêches de La Fayette, avait, comme nous l'avons vu, lancé un ordre du jour, par lequel il semblait vouloir associer sa fortune à celle de son chef. Cette proclamation, datée de Pont-sur-Sambre, avait été envoyée aux officiers commandant les places de Valenciennes, de Landrecies et de Maubeuge. Les colonels et adjudants généraux Chazot, Selmieder, Foissac et Lanoue l'avaient fait lire sur le front de leurs bataillons, puis avaient attendu pour agir les ordres ultérieurs du général Dillon. Mais l'attitude prise par le directoire du département de l'Aisne et l'arrivée des trois commissaires à Valenciennes avaient fort ébranlé celui-ci dans ses résolutions premières. Mandé par les commissaires de l'Assemblée, il leur écrivit qu'il était retenu dans son camp par les mouvements inquiétants de l'ennemi, mais qu'il ne tarderait pas à répondre à leur appel. Bientôt, apprenant que Dumouriez se déclarait pour la révolution et que les troupes avaient assez froidement reçu son ordre du jour, il se détermina à obéir aux injonctions des trois commissaires.

Delmas, Bellegarde et Dubois-Dubay ne crurent, pas devoir scruter très-profondément sa conduite et ses intentions primitives ; mais, pour l'engager plus avant dans la nouvelle voie qu'il paraissait disposé à suivre, ils lui remirent une réquisition formelle portant qu'il n'avait plus à obéir aux ordres du général La Fayette, qu'il ne devait plus correspondre avec les généraux des autres armées ni détacher aucun corps actuellement sous ses ordres. Dillon consentit à tout ce qu'on exigeait de lui, se mit à acclamer le nouveau régime avec autant d'enthousiasme qu'il en avait montré deux jours auparavant à suivre les inspirations de La Fayette. Cependant plusieurs copies de son premier ordre du jour avaient été envoyées directement à l'Assemblée[68], et celle-ci s'était hâtée de décréter que le général Dillon avait perdu la confiance de la nation. A cette nouvelle, Dillon expédia protestations sur protestations, déclara sous toutes les formes qu'il avait été abusé par La Fayette, qu'il reconnaissait ses torts et qu'il saurait les réparer. Mais ce fut en vain. L'Assemblée ne crut pas devoir s'en rapporter à lui pour diriger les mesures qu'elle s'apprêtait à prendre contre le général rebelle. Le 17 août, le jour même où les commissaires en mission à Valenciennes remettaient à Dillon leur réquisition et sa nomination provisoire au grade de général en chef, la Législative investissait Dumouriez du commandement de tous les corps d'armée répandus sur la frontière, depuis Dunkerque jusqu'à Metz. On laissa Dillon à la tête de sa division, mais en le subordonnant à Dumouriez. Le nouveau général en chef reçut sa nomination le 18 août au soir ; il envoya aussitôt son lieutenant Miaczinsky prendre le commandement des troupes cantonnées dans le département des Ardennes, lui promettant qu'il irait bientôt le rejoindre. Puis, il adressa à l'Assemblée les remerciements les plus chaleureux pour la confiance qu'elle daignait lui témoigner, lui jurant d'agir vigoureusement contre le général et les autorités civiles qui avaient osé porter une main coupable sur les représentants de la nation, revêtus d'un pouvoir devant lequel tout devait plier !

Huit mois plus tard Dumouriez faisait arrêter les commissaires de la Convention presque au même lieu d'où il datait la lettre dans laquelle il proclamait l'inviolable omnipotence des mandataires de l'Assemblée.

 

XIII

Carnot, Coustard et Prieur de la Côte-d'Or avaient été chargés de l'inspection des armées depuis Bitche jusqu'à Besançon. Ils avaient demandé et obtenu qu'on leur adjoignit un député de l'Alsace, Ritter, que sa connaissance de la langue, des hommes et des choses du pays pouvait leur rendre très-utile.

Ils allèrent droit au quartier général de Biron, à Wissembourg. Quelques années auparavant, lorsqu'il s'appelait Lauzun, ce général avait été admis dans l'intimité de la reine ; depuis, il s'était jeté dans les bras des Jacobins. On ne pouvait donc pas douter de son empressement à se prononcer en faveur de la révolution du 10 août. Mais certains membres de son état-major étaient d'un civisme assez suspect, comme on disait alors. C'est pourquoi dès leur arrivée, les représentants réunirent tous les officiers du corps d'armée posté à Wissembourg, leur firent lire à haute voix les pouvoirs qu'ils avaient reçus de l'Assemblée et posèrent à chacun des assistants cette question :

Vous soumettez-vous purement et simplement aux décrets de l'Assemblée nationale ? Oui ou non ?

Oui, sans restriction, répondit Biron. — Plusieurs des officiers supérieurs, entre autres le général chef d'état-major Victor de Broglie et le chef de bataillon du génie Caffarelli Du Falga, firent entendre d'énergiques réserves. Caffarelli déclara formellement qu'il ne reconnaissait point l'omnipotence de l'Assemblée concernant les objets sur lesquels elle s'était récemment prononcée, la suspension du pouvoir exécutif, l'emprisonnement du roi, etc. ; qu'il était résolu à agir contre les factieux de toute espèce ; que même il marcherait contre les ennemis intérieurs et contre Paris, s'il était commandé.

La suspension de ces deux officiers et de plusieurs autres qui suivirent leur exemple fut aussitôt prononcée par les commissaires[69].

Du quartier général de Biron, ceux-ci se dirigèrent vers Lauterbourg au quartier général de Kellermann ; tous les officiers s'y soumirent au serinent. A Landau, Custine les reçut et les fit recevoir par ses troupes avec enthousiasme. Il n'y eut là que deux colonels qui se montrèrent formellement opposés aux décrets du 10 août, MM. Joseph de Broglie et de Villantroy. Ils furent immédiatement suspendus de leurs fonctions et arrêtés. M. de Villantroy fut remplacé par Houchard, le futur vainqueur d'Hondschoote[70]. — Les commissaires de l'armée du Rhin terminèrent leur voyage en passant par Huningue et Besançon. Dans la première de ces villes ils suspendirent de ses fonctions de maréchal de camp l'ancien constituant Richelieu d'Aiguillon qui, dès le 17 août, s'était joint à Victor de Broglie pour protester contre les décrets du 10[71].

Les trois commissaires de l'armée du Midi, Gasparin, Rouyer et Lacombe-Saint- Michel, dont les pouvoirs s'étendaient depuis Besançon jusqu'au Var, ne rencontrèrent aucun obstacle dans l'accomplissement de leur mission. Au camp de Cessieux, près de Bourgoin, ils trouvèrent le général Montesquiou tout disposé à reconnaître les décrets de l'Assemblée et à les faire acclamer par son armée ; malgré cette réception brillante, les commissaires durent suspendre et remplacer un grand nombre d'officiers suspects d'opinions inciviques.

Les protestations qui se multipliaient pour ainsi dire sous les pas des commissaires envoyés auprès des diverses armées n'étaient pas de nature à rassurer l'Assemblée. Le 20 août, sur le rapport de Lasource, elle rendit le décret suivant :

Tous les généraux en chef, les officiers généraux et autres officiers de tout grade qui auraient été destitués ou suspendus soit par le pouvoir exécutif, soit par les commissaires de l'Assemblée nationale, soit par l'Assemblée nationale elle-même, seront tenus de s'éloigner sur-le-champ à une distance de vingt lieues au moins de l'armée où ils étaient employés, et ne pourront se rapprocher à une moindre distance des autres armées sous peine de détention pendant tout le temps de la guerre. Ils seront tenus en conséquence de justifier au pouvoir exécutif du lieu de leur domicile par une déclaration de la municipalité.

 

Les commissaires qui avaient été chargés d'inspecter l'armée de Luckner étaient, on s'en souvient, Kersaint, Peraldi et Antonelle, que La Fayette avait fait arrêter. Après léur délivrance, ils se hâtèrent de revenir à Paris faire le rapport de tout ce qui leur était arrivé, et ne purent remplir leur mission jusqu'à la fin. Ils furent remplacés par Laporte, Lamarque et Bruat[72]. Mais quand ceux-ci arrivèrent à Metz, le commandement de l'armée campée aux environs de cette ville venait de passer des mains de Luckner dans celles de Kellermann.

Luckner, par ses tergiversations, par ses lettres à double entente[73], avait inspiré les plus grandes défiances. Aussi personne ne fut-il étonné lorsque le ministre de la guerre annonça à l'Assemblée nationale, le 23 août, qu'il avait retiré au maréchal le commandement de l'armée du Centre et qu'il l'avait remplacé par Kellermann. Mais celui-ci n'accepta qu'à la condition que Luckner fût nommé généralissime. Les troupes étaient fort attachées au vieux héros de la guerre de sept ans, et, dans ce moment de pénurie apparente de généraux habiles, elles n'avaient de confiance qu'en ceux de leurs chefs qui avaient déjà fait la grande guerre. Pour ne pas les exaspérer, le pouvoir exécutif consentit à cette exigence. Le quartier général du nouveau généralissime fut établi sur les derrières des armées de l'Est, à Châlons-sur-Marne. On lui donna la mission spéciale de former une armée de réserve et de concourir par ses conseils aux opérations militaires ; mais en réalité il ne devait avoir rien à faire, et sa nomination n'avait qu'un but : masquer sa disgrâce.

Ainsi, dix jours après le 10 août, quatre mois après la formation des armées chargées de défendre notre territoire, une grande partie des officiers qui avaient présidé à cette formation étaient obligés de s'expatrier ou étaient violemment écartés de leur commandement. D'autres hommes montaient au premier plan et allaient un instant jouir de toutes les faveurs de la popularité. Dumouriez, Montesquiou, Kellermann, Biron, Custine, Houchard, Miaczinsky étaient cités comme les incorruptibles, les vrais patriotes, les soutiens inébranlables (le la république, qui n'était pas encore proclamée, mais qui allait bientôt l'être.

Un an après, Dumouriez, l'heureux défenseur des défilés de l'Argonne ; Montesquiou, le conquérant de la Savoie, étaient proscrits et en fuite. Biron, Custine, Houchard, Miaczinsky, après avoir prodigué leur sang dans vingt combats, étaient conduits à l'échafaud aux cris de à bas les traîtres ! Kellermann seul était réservé à de plus heureuses destinées, et devait recevoir plus tard des mains de celui qui n'était encore en ce moment qu'un jeune chef de bataillon d'artillerie, fort avancé lui aussi dans les idées du jour, le titre de duc de Valmy, titre qui rappelait en même temps son origine républicaine et ses grandeurs impériales.

 

 

 



[1] Nous sommes heureux d'avoir à constater sur ce point notre complet accord avec un écrivain dont nous sommes si souvent obligé de combattre les assertions et les doctrines. M. Louis Blanc, en terminant son Histoire de la Révolution, p. 601 du tome XII, s'écrie : Il était réservé à la Convention de léguer aux générations futures un exemple à jamais mémorable du danger de ce sophisme, plein de meurtres : Le salut du peuple est la suprême loi. — Je dis sophisme ; car le salut du peuple, en fait, signifie toujours le salut de telle ou telle nation dans telle ou telle circonstance, et, certes, il n'est pas de nation dont le salut vaille qu'on lui sacrifie un seul des principes qui sont, pour l'humanité, d'un intérêt permanent, invariable, éternel.

[2] Arrêté du 11 août 1792. Histoire parlementaire de Buchez et Roux, tome XVII, p. 49.

[3] Arrêté du 24 août.

[4] Arrêté du 12 août. Histoire parlementaire de Buchez et Roux, tome XVII, p. 51.

[5] Le palais Bourbon avait été habité jusqu'à l'émigration par les princes de Condé ; il ne comprenait pas, à beaucoup près, les constructions actuelles, qui furent élevées sous le premier empire et les gouvernements postérieurs.

[6] Collection des Lois, année 1792, tome X, p. 128.

[7] Chabot s'était chargé de conduire sains et saufs les prisonniers dirigés sur la prison de l'Abbaye, il avait répondu sur sa tête de la moindre égratignure qui pourrait leur être faite. Cet ex-capucin, qui avait oublié son vœu d'humilité chrétienne, n'aimait pas que ses moindres faits et gestes passassent inaperçus ; il prenait la peine de rédiger les certificats de courage et d'éloquence qu'il se faisait délivrer, puis les déposait lui-même sur le bureau du président. Nous avons retrouvé ceux qu'il rédigea et déposa le 11 août 1792. Ils sont entièrement écrits de sa main.

M. François Chabot, député à l'Assemblée nationale, commissaire nommé par elle pour protéger les officiers et soldats suisses mis en état d'arrestation à la suite de la journée d'hier, a fait conduire en sa présence et des officiers municipaux de Paris et de Neuilly (suivent les noms de quinze Suisses dont neuf sont qualifiés de caporaux, sergents et fourriers), lesquels ont été reçus à ladite prison de l'Abbaye dans la soirée de ce jour par le concierge de ladite prison, dont la signature sert de décharge aux personnes chargées de leur conduite.

Bon pour décharge,

Signé : LAVAQUIRE, commis-greffier. s Paris, ce 11 août an IV.

Au dos est écrit :

Nous certifions qu'aucune insulte n'a été faite aux quinze prisonniers dans leur route et qu'ils ont été conduits sains et sauves aux prisons de l'Abbaye et que le peuple a été frappé de tout ce que M. Chabot lui a dit sur le respect dû aux personnes, aux propriétés, à la loi et au droit des gens.

Signé : FRANÇOIS CRABOT, député ; GÉRARD, maire ; GARDOL, officier municipal de Paris ; ROURJOT ; ROBERT PICOLET, officier municipal de Neuilly ; ALI.EMAN, NOLL.

A Paris, le 11 août, à dix heures du soir, l'an IV.

Ces derniers noms sont ceux de deux malheureux Suisses qui faisaient partie du convoi. Les noms des quinze Suisses amenés par Chabot, le 11 août au soir, se retrouvent tous sur les listes mortuaires dressées à l'Abbaye après les massacres de septembre.

On envoya successivement au palais Bourbon les Suisses qui étaient restés pour garder les casernes de Rueil et de Courbevoie et les Suisses isolés qui se 'trouvaient en résidence fortuite dans d'autres communes. Nous avons eu entre les mains les comptes présentés par les fournisseurs chargés de la nourriture des Suisses du palais Bourbon ; ces prisonniers étaient cent douze le premier jour ; quelques jours après leur nombre montait à deux cent quarante-six. Un décret du 20 août ayant. autorisé les officiers, sous-officiers et soldats, servant dans les régiments suisses à rester, s'ils le préféraient, au service de France avec leurs grades, mais à charge par eux de prêter le serment du 40 août, la plupart des Suisses du palais Bourbon usèrent de cette faculté. Aussi la commune ne les désigna-t-elle pas aux sicaires qu'elle envoya, le 2 septembre, à l'Abbaye.

On trouvera à la fin de ce volume une note sur différentes particularités relatives aux régiments suisses qui faisaient partie de l'armée française et qui furent licenciés en vertu du décret du 20 août précédemment cité.

[8] Le malheureux Pétion, qui avait lui-même demandé, le 10 août au matin, à être mis en quasi-arrestation, trouvait que l'on était bien lent à venir le délivrer. Il lui tardait naturellement de jouir des fruits d'une victoire à laquelle sa coupable abstention avait si fort contribué. Le billet suivant, qu'il adressait aux commissaires de la commune insurrectionnelle et que nous avons eu le bonheur de retrouver, montre combien peu ses complices se souciaient de lui, depuis qu'ils n'avaient plus besoin de s'abriter sous les plis de son écharpe populaire :

L'Assemblée nationale, messieurs, a rendu hier un décret pour lever la consigne établie à la mairie. Depuis ce temps, la consigne n'est point encore levée, puisqu'on ne veut pas me laisser sortir ; cependant nous devons tous obéir aux décrets de l'Assemblée. Je vous prie en conséquence, messieurs, de vouloir bien donner les ordres nécessaires pour que je puisse me rendre librement où mes devoirs m'appelleront, et particulièrement à la barre de l'Assemblée nationale.

[9] Moniteur, page 949.

[10] Moniteur, page 950.

[11] Nous avons retrouvé la minute de la lettre que Pétion adressa aux commissaires de la commune insurrectionnelle pour récapituler les conseils qu'il leur avait donnés de vive voix, quand il avait paru un instant parmi eux, mais sans oser reprendre la présidence de l'assemblée qui lui appartenait cependant de plein droit. En lisant ces conseils, on se prend à rire de pitié pour celui qui les donnait s'il pouvait s'imaginer un instant qu'ils seraient écoutés :

Messieurs et collègues,

L'intérêt public et votre gloire exigent que vous conduisiez, avec fermeté et prudence, jusqu'à son terme, la grande entreprise que vous avez si courageusement commencée. Je vais dire la vérité. à des hommes dignes de l'entendre. Les premiers moments exigeaient beaucoup de célérité dans les mesures. Ceux actuels permettent plus d'examen et de discussion. L'essentiel n'est pas de beaucoup faire, mais de bien faire ; avec l'enthousiasme on fait de grandes choses, mais c'est avec la raison qu'on les conserve, avec la justice qu'on les fait chérir. Il ne faut pas croire que toute idée civique doive devenir à l'instant l'objet d'un arrêté, et que le vœu particulier d'une section doit être transformé en Volonté communale. Nous devons vouloir tout ce qui est bien, mais il faut distinguer ce que nous avons le droit de faire par nous-mêmes d'avec ce qui est hors de nos pouvoirs. Nous sommes dans celte circonstance heureuse que l'Assemblée nationale veut le salut du peuple et se montre avec énergie. Elle est toujours prête dès lors à consacrer tous les moyens de prospérité publique qu'on lui présentera. C'est donc avec elle, c'est sous son égide qu'il faut marcher ; prenons dans nos assemblées une attitude imposante ; ayons le calme du courage et la dignité des hommes libres, oublions notre amour-propre pour ne penser qu'à l'amour du bien public. Pourvu que le bien se fasse, qu'importe qui l'a fait ? Tout nous annonce le dénouement le plus heureux ; la liberté est à nous. Elle est à nous tout entière si nous savons la suivre dans ses développements et la conserver. Les commissaires de 92 tiendront dans l'histoire une place aussi honorable que les électeurs de 89.

[12] Journal du Club des Jacobins, n° CCXXXXVII.

[13] La présidence fut exercée pendant la période du 10 août au 22 septembre à titre définitif ou provisoire par Huguenin, Lullier, Marie-Joseph Chénier, Xavier Audouin, Léonard Bourdon, Boula, Truchon. Les ordres et arrêtés manuscrits que nous avons eus entre les mains portent tantôt l'une, tantôt l'autre de ces signatures.

[14] La commune plus encore que la Législative cherchait à effacer, dans les formules et les monuments, jusqu'aux derniers vestiges de la royauté. Elle changeait les unes et mutilait les autres. Ainsi, elle substituait le mot de citoyen à celui de monsieur dans tous actes officiels, engageait les diverses autorités à suivre son exemple et ordonnait la suppression de toute marque distinctive. Ainsi, elle décidait que de l'HEUREUSE RÉVOLUTION DU 10 AOÛT devait commencer une ère nouvelle, et datait ses arrêtés de l'an Jr de l'Égalité. Ainsi elle faisait abattre les statues de Louis XIV et de Henri IV, briser les bustes de Necker, de La Fayette et de Bailly, et ordonnait la démolition des portes Saint-Martin et Saint-Denis. (Ces deux derniers monuments furent sauvés par l'heureuse intervention du littérateur Dussaulx.)

Voulant se différencier de plus en plus de la Commune légale, dont elle avait usurpé les pouvoirs, elle prescrivait à chaque section de se faire représenter dans son sein par six commissaires au lieu de trois.

Le sanhédrin démagogique compta dès lors 288 membres ; il fallut trois jours pour le compléter, car quelques-unes des sections ne nommèrent leurs délégués que le 12 et même le 13 août.

Il est curieux d'étudier jour par jour les modifications successivement apportées par la commune insurrectionnelle dans les qualifications qu'elle croit devoir se donner. Le 10, les usurpateurs s'intitulent commissaires de la majorité des sections réunis avec pleins pouvoirs pour sauver la chose publique ; le 11, assemblée générale des commissaires réunis des diverses sections de la capitale, formant la majorité de la commune ; le 12, assemblée générale des représentants de la commune de Paris réunis pour le salut public. Le 13, voyant déjà leurs pouvoirs contestés au sein de l'Assemblée nationale et voulant s'affirmer eux-mêmes, ils finissent par prendre le titre de Conseil général de la commune.

Les nominations faites par les sections le 44, le 42 et le 13 août n'amenèrent à l'Hôtel-de-Ville que très-peu d'individus ayant déjà ou devant plus tard acquérir une certaine célébrité. Dans cette foule, nous ne trouvons à citer que Robespierre, Chaumette, Méhée fils, Destournelles, Billaud-Varennes, Pache, Choderlos-Laclos ; encore tes deux derniers n'y parurent-ils qu'un instant.

[15] Mme Auguié, l'une des femmes de chambre de la reine, remit, le 44 août, à Marie-Antoinette, vingt-cinq louis (on avait volé à la reine sa bourse et sa montre dans la traversée de la terrasse des Feuillants à la salle de l'Assemblée). Quinze mois après, lors du procès de l'infortunée princesse, il fut question, à l'audience, de ces vingt-cinq louis. Marie-Antoinette, sans prévoir le danger auquel elle exposait Mme Auguié, fit connaître par quelle personne et dans quelles circonstances ils lui avaient été remis. (Voir le procès de la reine, Histoire parlementaire de Buchez et Boum, t. XXIX, p. 376 ; par une faute d'impression, le nom d'Auguié est défiguré, il est écrit Auguel.) Cette preuve de dévouement coûta la vie à l'infortunée Mme Auguié. Le Comité de sûreté générale lança contre elle un mandat d'amener ; mais au moment où on venait l'arrêter, elle se précipita par la fenêtre de son appartement et se tua. L'une des filles de M" Auguié épousa dix ans après le maréchal Ney. La restauration ne parut pas se souvenir du dévouement et de la mort de la mère de la maréchale, car les dédains que celle-ci essuya en 4814 à la cour de Louis XVIII ne contribuèrent pas peu, dit-on, à exaspérer sourdement l'âme bouillante du prince de la Moskowa, et à le jeter dans l'effroyable abîme ouvert par sa proclamation de Lons-le-Saulnier. Le frère de Louis XVI et la fille de Marie-Antoinette auraient dû, en 4816, se rappeler toutes ces circonstances ; le héros de la campagne de Russie, quelque coupable qu'il pût être, ne serait pas tombé sous des balles françaises.

[16] Nous renvoyons, pour tous les autres détails relatifs aux premiers jours de la captivité de la famille royale soit aux Feuillants soit au Temple, à l'ouvrage si intéressant et si pathétique que M. de Beauchesne a consacré à la mémoire de Louis XVII. Nous croyons devoir nous borner à donner, à la fin de ce volume, plusieurs pièces officielles qui complètent les renseignements recueillis par M. de Beauchesne.

[17] Il nous pare indispensable de mettre sous les yeux de nos lecteurs le texte même de la loi du 13 août, qui donne la mesure de l'abaissement dans lequel était tombée la Législative devant sa toute-puissante rivale. On croirait, en en lisant les considérants, qu'elle a été rédigée par Robespierre lui-même.

L'Assemblée nationale, considérant qu'il est indispensable dans les circonstances actuelles de simplifier la marche ordinaire des corps administratifs de la capitale, de débarrasser celle des représentants de la commune de Paris de toutes les entraves qui peuvent suspendre ou retarder l'exécution des mesures, dont la célérité seule peut produire l'effet qu'on en attend, décrète qu'il y a urgence.

L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que l'administration du département de Paris cessera d'exercer sur tous a les actes de sûreté générale et de police, faits par les représentants de la commune de Paris la surveillance qui lui est attribuée, et qu'à l'avenir, pour ces objets, les représentants de la commune de Paris correspondront directement, tant avec les corps législatifs qu'avec le pouvoir exécutif.

[18] Nous avons retrouvé une lettre écrite par Duportail au moment même où il venait d'apprendre que l'Assemblée législative l'avait mis en accusation. Cette lettre montre trop bien avec quelle résolution sereine et même enjouée certains hommes acceptaient les redoutables conditions de cette époque pour que nous n'en donnions pas à nos lecteurs les principaux fragments.

Paris, le 22 août.

Tu auras sans doute été bien surpris, mon cher ami, de me voir décréter d'accusation par l'Assemblée ; je ne l'ai pas été moins que toi, et je suis encore à chercher ce qui peut y avoir donné lieu... L'Assemblée a, dit-on, pris cette résolution sur un mémoire trouvé dans les Tuileries, par lequel il parait que les ministres, joints à des membres influents de l'Assemblée nationale, avaient des intelligences avec les émigrés ou travaillaient contre la Constitution, etc. Il semble que la première chose que l'Assemblée eût à faire était de faire comparaître les ex-ministres et de voir s'ils reconnaissaient le mémoire, s'il était signé d'eux, etc. Alors, quand on en serait venu à moi, je leur aurais appris que j'ignorais parfaitement tous ces faits, que je n'ai eu aucune espèce de part à aucun travail, aucun plan de l'espèce indiquée, que, s'il y a eu des conférences sur ces objets, je n'en ai jamais été. Je les aurais défiés de trouver jamais un mot de mon écriture ou signé de moi, qui confirmât leurs soupçons, et j'aurais défié qui que ce fût de m'inculper de cette manière avec quelque ombre de vraisemblance. Ils auraient apparemment trouvé alors qu'il n'y avait pas lieu à accusation ; mais il était bien plus court de trancher ainsi qu'ils l'ont fait. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Si je dois être jugé et que je le sois par un tribunal éclairé, équitable et libre, je n'ai rien à craindre. Je sortirai même avec honneur de cette épreuve... Si mon sort vient à dépendre d'un tribunal tout différent, eh bien il faut considérer cet accident comme d'être massacré par des brigands on court ce danger dans les forêts, cela n'empêche pas de voyager gaiement.

[19] Ces commissaires étaient porteurs de l'arrêté dont la teneur suit :

MUNICIPALITÉ DE PARIS

14 août 1792.

L'Assemblée a nommé MM. Boursier et Destournelles, commissaires, pour se rendre sur-le-champ à l'Assemblée nationale à l'effet de demander qu'il soit donné, à la commune de Paris, connaissance du décret relatif à la Cour martiale.

Signé : CHÉNIER, président ; TALLIEN, secrétaire.

[20] Séance du 14 août au matin. Moniteur, p. 965.

[21] Robespierre est tout entier dans ce discours et surtout dans cette phrase : La Fayette n'était pas à Paris, mais il pouvait y être. — Le futur tribunal révolutionnaire est, lui aussi, tout entier dans les dispositions proposées par l'orateur. Ainsi, on peut le dire, le nom de Robespierre se retrouve inscrit en caractères sanglants dans toutes les phases de l'histoire du tribunal révolutionnaire ; c'est lui qui vint en apporter la première pensée à l'Assemblée législative le 15 août 1792, lui qui le fit établir le 10 mars 1793, lui qui le perfectionna le 22 prairial an II (11 mai 1794).

[22] On trouve cette adresse dans le Moniteur, p. 969, et dans l'Histoire parlementaire de Buchez et Roux, tome XVII, p. 86.

[23] Le considérant du décret du 15 août qui supprime le recours en cassation est ainsi conçu :

L'Assemblée nationale considérant que les délits commis dans la journée du 10 août sont en trop grand nombre pour que les jugements auxquels ils donneront lieu puissent produire l'effet qu'en attend la société, qui est celui de l'exemple, si ces jugements restaient sujets à cassation...

Quel misérable prétexte et quelle effroyable logique !

[24] A propos de ce discours, les auteurs de l'Histoire parlementaire, tome XVII, p. 89, soulèvent deux questions : 1° Quel était l'orateur du 17 août ? était-ce Robespierre ou un autre officier municipal ? 2° Faut-il adopter la version de ce discours donnée par le Moniteur ou celle donnée par le Patriote français, laquelle est beaucoup plus modérée ?

Nous avons été assez heureux pour retrouver la minute même du discours signée de l'orateur et déposée par lui sur le bureau du président. On ne peut accuser Robespierre d'avoir prononcé cette insolente harangue, peut-être la rédigea-t-il, c'est ce que nous ne pouvons dire ; mais la minute est signée d'un nom fort obscur, celui de Vincent Ollivault, officier municipal. Ce Vincent Ollivault appartenait à la section des Quatre-Nations (voir l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 420). Il n'a jamais figuré dans les fastes révolutionnaires qu'en cette circonstance mémorable.

Quant au discours lui-même il renferme et les phrases données par le Moniteur et celles données par le Patriote français. Ce dernier journal, qui était l'organe des Girondins, a pris soin de faire disparaître les passages les plus violents, afin d'atténuer la gravité de la honteuse défaite que venaient de subir ses patrons.

[25] Nous avons eu entre les mains le procès-verbal d'élection du tribunal du 17 août ; il constate : que le 17 août, à dix heures du soir, trente-trois électeurs se trouvaient réunis dans une des salles de la maison commune, et que les trente-sept élections faites par scrutin spécial et individuel, furent terminées le 18, à six heures du matin. Parmi les trente-trois électeurs, six au moins s'élurent eux-mêmes à des fonctions dépendant du nouveau tribunal, savoir : Osselin, Dubail et Pépin-Desgrouettes, comme juges ; Perdrix, comme l'un des directeurs du jury, Mulot (d'Angers), comme juge suppléant, et Hardy, comme greffier. Un autre des huit juges élus fut Lavau, qui assistait à l'élection comme substitut du procureur de la commune.

[26] Aujourd'hui la grand'chambre de la Cour de cassation. Cette salle servit non-seulement aux audiences du tribunal du 17 août, mais encore, plus tard, à celles du tribunal révolutionnaire.

[27] A la fin de ce volume, on trouvera plusieurs pièces relatives à la formation du tribunal du 17 août, et notamment : les procès-verbaux d'installation du jury d'accusation et du tribunal ; une lettre du fameux Jacques Roux, prêtre apostat et officier municipal, qui, au moment de conduire Louis XVI à l'échafaud, refusa de recevoir le testament de l'infortuné monarque. Dans cette lettre, il se plaint à Danton, ministre de la justice, d'avoir été écarté de la liste des jurés qui devaient siéger auprès du nouveau tribunal.

[28] Lettre insérée au Moniteur dans le n° du 28 août, p. 1022.

[29] Robespierre aurait dû se souvenir de cette solennelle profession de foi lorsque, quatre mois pins tard, il fut appelé à prononcer sur le sort du malheureux Louis XVI, dont il avait été l'adversaire constant, l'ennemi acharné ; mais les contradictions et les palinodies ne coûtaient rien à ce tribun, que certains écrivains vantent sans cesse pour l'inflexibilité de ses convictions.

[30] Voir la dépêche lue par Merlin de Thionville, et datée de Metz, le 15 août. Moniteur, p. 972.

[31] Voir la dénonciation que Saladin, l'un des députés de la Somme, porta contre cet arrêté. Moniteur, p. 978.

[32] Voir la lettre des commissaires de l'Assemblée à l'armée du Rhin, signée Carnot, Prieur et Ritter. Moniteur, p. 1012.

[33] Moniteur, p. 984. Nous avons retrouvé une lettre du général d'Harambure, qui commandait dans le Haut-Rhin. Nous la donnons à la fin de ce volume ; elle fait connaître quels étaient les véritables sentiments de ce département, et, on peut le dire, d'une grande partie de l'Est. Elle est d'autant plus remarquable que celui qui, dans ce moment, se rendait ainsi, auprès du général d'Harambure, l'interprète des vœux du département du Haut-Rhin, était Rewbell qui, élu à la Convention un mois plus tard, vota la mort du roi, et, par ce gage donné à la République, acquit le droit de faire partie de la première formation du Directoire, où il représenta constamment la faction jacobine.

[34] Registre des délibérations du pouvoir exécutif ; séance du 25 août 1792.

[35] Séance du 16 août. Moniteur, p. 970.

[36] Moniteur, p. 979.

[37] Voir les deux rapports de Roland. Moniteur, p. 966 et 996.

[38] Nous donnons ce récit à la fin du volume ; il servit de thème à celui beaucoup plus développé qui fut lu à l'Assemblée par Condorcet le 12 août et qui se trouve au Moniteur, p. 960. Voici le texte même de la lettre que les commissaires écrivirent à Pétion dans cette circonstance :

L'Assemblée nationale, monsieur le maire, vient de nommer douze commissaires chargés de se rendre dans les différentes armées, afin de détruire les projets des malveillants, et pour que les armées, lorsqu'elles apprendront les événements de ce jour et les mesures que le Corps législatif vient de prendre, restent fidèles au poste où la patrie les a placées pour la sûreté générale de l'empire.

Les commissaires nommés pensent que rien ne serait si dangereux que de rendre compte de cette journée d'une manière contradictoire ; en conséquence, vous êtes prié de faire rédiger demain matin de bonne heure une relation succincte de ce qui s'est passé dans la capitale aujourd'hui. Quant à ce qui regarde le Corps législatif, il suffira de prendre un extrait de son procès-verbal.

Nous sommes bien fraternellement, monsieur le maire, etc.

Les commissaires : Dubois-Dubay, Carnot, Delmas, Coustard, Debellegarde, Peraldi, Antonelle.

Paris, le 10 août 1792, an IV, à dix heures et demie du soir.

[39] La Fayette était tellement suspect aux yeux du parti victorieux, que celui-ci n'attendit pas pour faire éclater ses soupçons les premières nouvelles des événements de Sedan. Nous avons vu Robespierre, parlant au nom de la commune, dénoncer, le 15 août, La Fayette à l'Assemblée. Dès le 14, le conseil exécutif consignait le témoignage de ses soupçons sur le registre de ses délibérations.

Seconde séance, 14 août 1792.

MM. Roland, ministre de l'intérieur ;

Clavière, ministre des contributions et, par intérim, de la guerre ;

Danton, ministre de la justice ;

Monge, ministre de la marine ;

Lebrun, ministre des affaires étrangères.

Étant tous assemblés en l'hôtel du ministre de la justice à sept heures du soir, lecture a été faite du décret de l'Assemblée nationale du 10 août, qui ordonne que des commissaires pris dans son sein se rendront dans les armées.

Le conseil a considéré que l'instruction jointe à ce décret autorise les commissaires à faire, à l'égard des généraux et officiers des armées, toutes les dispositions nécessaires, à les suspendre ou à les remplacer suivant ce que pourront exiger les circonstances ; que le droit qui appartient au conseil exécutif de destituer et de nommer les généraux ne peut, en ce moment, s'exercer concurremment avec le même pouvoir délégué auxdits commissaires ; que cependant le conseil étant convaincu de la nécessité de destituer du commandement de l'armée du Nord le général La Fayette, lequel a manifestement perdu la confiance de la nation, en conséquence le conseil arrête qu'il ne surseoit à prononcer définitivement la destitution de M. Meier La Fayotte que jusqu'au moment où les commissaires auront donné nouvelle de leur arrivée à l'armée commandée par ce général.

[40] Les quatre membres de la municipalité sedanaise qui furent chargés de porter à Mézières l'expédition de cet arrêté pour le faire revêtir de l'approbation du conseil général du département furent MM. Desrousseaux, Édouard Bechet, Legardeur aîné et Ternaux.

[41] Le texte de la lettre du général La Fayette au conseil général des Ardennes se trouve au Moniteur, p. 992.

[42] Tous ces arrêtés n'ont jamais été publiés. On les trouvera à la fin de ce volume.

[43] Cet ordre du jour se trouve au Moniteur, p. 978.

[44] Le Moniteur, p. 980, donne l'arrêté de la commune de Sedan. Nous avons comparé sa version avec le texte original de cet arrêté, il ne présente avec lui que des différences insignifiantes.

[45] Le Moniteur, p. 980, contient une analyse de cette proclamation. Elle se trouve in extenso dans les pièces justificatives de ce volume.

[46] Une lettre datée de Valenciennes, le 15 août, et signée par les trois commissaires à l'armée du Nord, annonce l'arrestation de leurs trois collègues opérée, le 14 au matin, à Sedan. On voit avec quelle rapidité cette nouvelle avait franchi les cinquante lieues qui séparent ces deux villes.

[47] Ces trois nouveaux commissaires furent Isnard, Quinette et Baudin (des Ardennes).

[48] Moniteur, p. 976.

[49] Moniteur, p. 978 et 980. Collection des lois, 1792, tome X, p. 444 et 474.

[50] En même temps que l'Assemblée législative décrétait d'accusation le général de l'armée du nord, son Comité de sûreté générale lançait un mandat d'amener contre Mme de La Fayette, qu'il supposait au Havre prête à s'embarquer pour l'Angleterre. Nous croyons devoir donner le texte même de cet ordre :

Le Comité de sûreté générale de l'Assemblée nationale,

Considérant que le commandement de l'armée du Nord a été retiré à M. La Fayette par le pouvoir exécutif provisoire, et confié à M. Dumouriez, que M. La Fayette a eu ordre de se rendre de suite auprès du pouvoir exécutif pour rendre compte de sa conduite, qu'il n'a point obéi à ces ordres et demeure au contraire à la tête de son armée et arrête tous les courriers qu'on lui envoie ; considérant que M. La Fayette vient d'être mis en état d'accusation, et que diverses pièces annoncent une désobéissance formelle de la part de M. La Fayette aux précédents décrets du Corps législatif, qu'il est à craindre qu'il n'égare les soldats qui l'entourent et les porte à des extrémités nuisibles au bien public ; ce qui nécessite des otages à la nation, capables ou de conduire M. La Fayette à l'obéissance aux lois ou de répondre de ses faits dans le cas contraire ; considérant aussi qu'il existe de violents soupçons d'un complot de conduire le roi au Havre, où plusieurs généraux, entre autres MM. La Fayette et Lameth, se sont fait précéder par leurs femmes, ce qui pourrait exposer ces dernières à la vengeance du peuple ; considérant enfin que l'Assemblée nationale n'a donné le droit au Comité de sûreté générale de faire arrêter les personnes suspectes que pour hâter de toutes manières le salut public, et qu'un otage, tenant de près à M. La Fayette, parait de toute nécessité dans les circonstances actuelles ;

Le Comité requiert la force publique et tous citoyens en état de réquisition, de saisir et arrêter au Havre ou partout ailleurs, la dame La Fayette et de la faire conduire de brigade en brigade à Paris avec ses enfants et domestiques qui seront avec elle, pour y demeurer en otage jusqu'à nouvel ordre ; invite les citoyens, qui l'arrêteront et conduiront, d'user de tous les ménagements dus au sexe et à une femme à qui il n'est attribué aucun délit personnel et de veiller à sa sûreté et à ce qu'il ne lui soit fait aucune insulte, par tous les moyens possibles, et de mettre ses papiers sous le scellé pour les remettre en cet état au Comité.

Fait au Comité de sûreté générale, etc., le 19 août 1792, l'an IV de la liberté.

Signé : VARDON, GRANGENEUVE, BAZIRE, secrétaire du Comité de sûreté générale.

Mme de La Fayette était tranquillement à sa terre de Chavaniac, en Auvergne, pendant qu'on la cherchait au Havre. C'est là qu'elle fut arrêtée, amenée dans les prisons du Puy et de là à Paris. Elle fut providentiellement épargnée par la hache révolutionnaire, tandis que sa grand'mère, la maréchale de Noailles, sa mère, la duchesse D'Ayen, sa sœur, la vicomtesse de Noailles, périssaient sur l'échafaud. Quelques mois après le 9 thermidor, un ordre du Comité de sûreté générale (13 pluviôse an III) signé Harmand, Verdon, Legendre et Boudin, ordonnait sa mise en liberté. Elle en profita pour aller immédiatement, avec ses deux filles, partager à Olmütz la captivité du général, donnant ainsi au monde un magnifique exemple d'amour conjugal, pendant que son époux en donnait un non moins grand de courage civique, en refusant d'acheter sa liberté par le sacrifice de ses convictions.

[51] L'ordre d'arrestation lancé contre le colonel Langlois par le département de l'Aisne ne fut pas exécuté, grâce à nous ne savons quelle circonstance. Le colonel put rejoindre son général et lui rendre compte de l'insuccès de sa mission. Nous voyons cet officier figurer parmi ceux des amis de La Fayette qui furent arrêtés le 19 août aux avant-postes autrichiens.

[52] La lettre du général La Fayette au département de l'Aisne, et l'arrêté de ce Directoire, déclarant qu'il n'y a pas lieu d'y obtempérer, se trouvent à la page 992 du Moniteur.

[53] Cet ordre du jour du général Dillon se trouve au Moniteur, p. 969. Il fut envoyé à l'Assemblée par le général Dumouriez, qui était alois placé sous les ordres de Dillon, et auquel celui-ci l'avait fait passer.

[54] Cette réquisition, datée du 13 août, se trouve à la page 1000 du Moniteur.

[55] La lettre à la municipalité de Sedan fut imprimée dans le Moniteur le lendemain du jour où elle parvint à l'Assemblée (séance du 24 août, p. 1000). Les adieux de La Fayette à son armée ne furent imprimés que beaucoup plus tard, sous la rubrique de Bruxelles. (Moniteur du 20 septembre 1792, p. 1119.)

[56] Par un reste de pudeur, les Jacobins laissèrent publier cette protestation qui avait paru dans la Gazelle de Leyde, le 30 août. Elle se retrouve au Moniteur du 8 septembre 1792, et est signée : La Fayette, César Latour-Maubourg, Alexandre Lameth, Laumoy, Duroure, Masson, Sicard, Bureaux de Pusy, Victor Latour-Maubourg, Victor Gouvion, Langlois, Sionville, V. Rouirent d'Agrain, L. Romœuf, Curmer, Gillet, La Colombe, V. Romeuf, Charles Latour-Maubourg, Al. Darblay, Soubeyran, Cadignan.

Nous avons rassemblé, à la fin de ce volume, les documents que nous avons pu recueillir sur les signataires de ce monument de courage et de loyauté.

[57] Alexandre Lameth servait dans l'armée de La Fayette, mais dans le corps qui, sous les ordres de Dillon, occupait les bords de la Sambre. Il avait été décrété d'accusation, le 15 août, avec Barnave et plusieurs des ministres de Louis XVI. Les gendarmes, chargés de son arrestation, l'avaient été chercher à Maubeuge, à Rocroy, à Mézières, où il s'était rendu pour les besoins du service et sans savoir le sort qui le menaçait. Dans cette dernière ville, lorsque les gendarmes eurent exhibé leur passeport et les ordres dont ils étaient porteurs, la municipalité refusa de leur prêter assistance pour une mission qu'elle déclara illégale, puisqu'elle leur avait été donnée par une Assemblée qui, contrairement à la constitution, avait prononcé la suspension du pouvoir royal. Grâce à ce refus, Alexandre Lameth put rejoindre le général La Fayette à Bouillon, au moment où celui-ci s'apprêtait à franchir la frontière. (Moniteur, p. 1007.)

Un autre ami de La Fayette, le colonel Daverhoult, fut moins heureux. Nous avons eu occasion de parler du courage qu'il déploya à l'Assemblée législative, lors des événements du 20 juin. Peu de temps après, il avait donné sa démission et était allé rejoindre son régiment qui se trouvait dans les environs de Sedan. Dans la nuit. du 19 août, accompagné d'un seul domestique, il cherchait à rejoindre son général, lorsque dans les bois de Sugnion, sur le chemin de Vrignes-au-Bois à Saint-Mengs et à une lieue de la Belgique, il se vit poursuivi par des douaniers ; ne voulant pas tomber vivant entre les mains de ses ennemis, il se brilla la cervelle, mais ne mourut pas sur le coup et n'expira que quelques jours après dans un village où on l'avait transporté. (Moniteur, p. 1005.)

[58] En janvier 1796, on échangea contre la fille de Louis XVI les quatre conventionnels livrés par Dumouriez, Camus, Quinette, Lamarque et Bancal, l'ancien ministre de la guerre Beurnonville, le fameux Drouet, l'ancien maître de poste, qui avait arrêté Louis XVI à Varennes, et qui était tombé entre les mains des Autrichiens ; enfin deux ministres plénipotentiaires, Maret et Semonville, pris sur le territoire suisse. Le gouvernement français d'ales ne s'occupa ni de La Fayette ni de ses amis, et, par une prétérition calculée, laissa l'Autriche exercer tout à son aise contre les prisonniers d'Olmütz ces incroyables rigueurs dont on trouve le récit dans les Mémoires de La Fayette et dans l'ouvrage si intéressant dans lequel M. Jules Cloquet a retracé la vie privée de l'illustre général.

[59] On ne conçoit pas, même dans l'ordre d'idées où se plaçait le duc de Saxe-Teschen, beau-frère de Marie-Antoinette, les rigueurs dont on usa envers Latour-Maubourg, qui, lors du voyage de Varennes, avait spécialement montré un tendre respect pour la famille royale, et aussi envers Alexandre de Lameth, qui, pendant qu'on l'arrêtait à Nivelles comme rebelle à son roi, était décrété d'accusation pour avoir été l'un des conseillers intimes de Louis XVI. Lameth, il est, vrai, fût relâché après deux années seulement de captivité, peu avant que ses compagnons d'infortune ne fussent transférés à Olmütz.

[60] Moniteur, p. 1002.

[61] Moniteur, p. 1011.

[62] Registre des délibérations de la section Mauconseil (28 août).

[63] Cette affaire, qui paraissait ainsi complètement terminée, fut reprise dix-huit mois plus tard (avril 1794) par ordre du Comité de sûreté générale de la Convention, sans qu'aucun nouveau fait fût venu en réveiller le souvenir. Les municipaux de Sedan et les administrateurs du département des Ardennes furent traduits devant le tribunal révolutionnaire et condamnés à mort. Nous consacrons à la fin du volume une note à ce triste épisode de l'histoire de la Terreur.

[64] Leur première lettre à l'Assemblée est datée du 13 août, de Cambrai. (Moniteur, p. 966.)

[65] Dumouriez était placé sous les ordres de Dillon, son ancien de grade, comme lieutenant général.

[66] La Fayette déclarait, avec assez de raison, qu'il ne pouvait avoir sous ses ordres un général que, dans sa lettre du 16 juin, il avait nommé le plus vil des intrigants ; il se plaignait également que l'étendue de son commandement n'eût pas de limites bien déterminées, ce qui l'exposait à devenir tout à coup, au moins moralement, responsable des décisions d'un général qui pouvait impunément contrevenir à ses ordres.

[67] Nous avons retrouvé la lettre de Couthon en date du 19 août 1792 par laquelle il se porte, pour ainsi dire, garant de Dumouriez. Le Moniteur (p. 1002) se contente de l'analyse ; nous avons cru que cette pièce ne devait pas être perdue pour l'histoire et nous la donnons à la fin de ce volume.

[68] Voir au Moniteur, p. 975 et 995, outre la lettre de Dumouriez citée plus haut, les lettres de la municipalité de Landrecies et du district de Douai.

[69] On trouvera, à la fin de ce volume, une notice sur plusieurs des officiers suspendus à la suite des évènements du 10 août. La plupart de ces officiers rentrèrent plus tard dans les rangs de l'armée, notamment Caffarelli Du Falga que les commissaires eux-mêmes déclarèrent, dans leur rapport (voir le Moniteur, page 987), jouir d'une réputation distinguée pour son mérite personnel, son patriotisme et même ses principes philosophiques. On sait que Caffarelli Du Falga mourut pendant l'expédition d'Égypte, à Saint-Jean-d'Acre, dont il avait dirigé le siège.

Victor de Broglie fut moins heureux. Rentré dans la vie privée, il fut dénoncé, dix-huit mois après, au Comité de sûreté générale. On réunit contre lui les témoignages de Carnot, de Prieur (de la Côte-d'Or) et de Ritter (le quatrième commissaire, Coustard, avait lui-même péri sur l'échafaud), et sur le vu de ces pièces, le tribunal révolutionnaire le condamna à mort, le 9 messidor an II (27 juin 1794). On trouvera, à la fin de ce volume, le texte même de la déclaration que Victor de Broglie remit le 16 août entre les mains de Biron et les trois certificats qui furent envoyés an Comité de sûreté générale par Carnot, Prieur et Ritter, au moment môme où le procès de Victor de Broglie s'entama.

[70] Voir le rapport des commissaires près de l'armée du Rhin. Moniteur, p. 1012.

[71] Nous donnons, à la fin de ce volume, le texte môme de la lettre adressée par Richelieu d'Aiguillon à l'Assemblée, et dans laquelle il s'élève contre le despotisme qui, détruit en 1789, est prêt à renaître sans cesse sous une autre forme. Rien ne peint mieux le changement apporté dans l'esprit du siècle que ces protestations contre le despotisme signées par le petit neveu du cardinal de Richelieu, par le fils même du favori de Louis XV et de l'ami de Mme Du Barry.

[72] Ces nouveaux commissaires avaient été nommés le 20 août (voir le Moniteur, p. 995) sur le rapport de la commission extraordinaire. Ils reçurent la démission d'un certain nombre d'officiers de l'armée de Luckner qui crurent, eux aussi, que le serment qu'ils avaient prêté à la Constitution de 1791 ne leur permettait pas de prêter celui qu'on leur demandait. Parmi ces démissions, une nous a frappé d'abord, parce qu'elle est aussi simple que noble et ensuite parce qu'elle est signée d'un nom qui est depuis plus de cent ans, en France, le symbole du dévouement et du courage : celui de d'Assas. Nous la donnons à la fin de ce volume.

[73] Voir les lettres de Luckner dont le ministre de la guerre vint donner lecture à l'Assemblée dans les séances des 47 et 23 août. Moniteur, p. 979 et 1009.