Chute de Napoléon. — Berthier. — Le comte Daru.L'Empereur périt par deux causes : 1° L'amour qu'il avait pris pour les gens médiocres, depuis son couronnement. 2° La réunion du métier d'empereur à celui de général en chef. Toute la soirée qui précéda la journée du 18 juin 1813 à Leipsick, fut prise par le métier d'empereur ; il s'occupa à dicter des ordres pour l'Espagne, et non les détails de la retraite du lendemain, qui manqua faute d'ordre. Berthier, comme à l'ordinaire, n'avait rien prévu, rien osé prendre sur lui. Par exemple, un officier d'ordonnance de l'Empereur aurait dû avoir le commandement du pont de l'Elster et juger du moment de le faire sauter. A Leipsick, une armée de cent cinquante mille hommes fut assommée par une armée de trois cent mille ; il n'y eut là ni art ni manœuvre. L'armée de cent cinquante mille hommes était composée de jeunes soldats, harassés de fatigue et commandés par des généraux usés et fatigués, lesquels obéissaient eux-mêmes à un homme de génie, plus occupé de son empire que de son armée. Le général en chef qui lui était opposé, homme aimable dans le monde, était stupide à la tête d'une armée, et d'ailleurs, embarrassé par la présence de deux souverains qui, à tout moment, poussés par leurs courtisans, entreprenaient de corriger les fautes qu'ils lui voyaient commettre. L'impéritie absolue de l'aimable prince Swarsemberg et le désordre qui en était la suite, permet de croire que si elle avait eu affaire au général de l'armée d'Italie, uniquement occupé de son objet, l'armée française eût été sauvée. Mais il eût fallu pour cela un chef d'état-major actif, capable de quelques combinaisons et qui osât, le cas échéant, prendre sur lui au moins des mesures secondaires ; en un mot, le contraire de Berthier. Nous l'avons vu à cette époque, homme totalement usé, fort occupé comme son maître de son nouvel état de prince, craignant d'en compromettre les privilèges, en étant trop poli dans la forme de ses lettres. Ce prince était tellement usé et fatigué, que lorsqu'on allait lui demander des ordres, on le trouvait souvent renversé dans son fauteuil, les pieds appuyés sur sa table et sifflant, pour toute réponse ; on ne distinguait d'autre mouvement, dans cette âme dépourvue de toute activité, qu'une aversion bien prononcée pour les généraux qui montraient du caractère et de l'énergie, choses tous les jours plus rares dans l'armée. Est-il besoin d'avertir qu'il ne s'agit pas de bravoure ? Tous étaient braves, et l'on sait assez que les généraux qui manquent d'énergie dans leur métier et qui tremblent de compromettre leur réputation, en faisant avancer un bataillon, croient suppléer à ce qui leur manque, par une grande témérité personnelle. Si l'Empereur aimait à s'environner de chambellans à manières élégantes, fournis par le faubourg Saint-Germain, le prince Berthier avait une prédilection évidente pour les jeunes officiers qui affectaient une élégance de costume, et qui connaissaient profondément toutes les nuances de l'étiquette. On peut affirmer que le prince Berthier a été la cause directe d'une bonne moitié des malheurs de l'armée française, à partir de la bataille d'Eylau, où, par sa faute, un corps d'armée, ne donna pas (le corps du maréchal Bernadotte). Cette fatigue d'une tête usée produisait souvent, dans les marches, des encombrements de troupes sur les mêmes routes, dans les mêmes villages, et causait des désordres affreux, qui nous aliénaient de plus en plus les habitants du pays, d'ailleurs si bons et si humains. Si cette décadence ne fut visible, en 1805, qu'aux hommes qui voyaient les affaires de fort près, c'est que l'Empereur avait eu le bonheur de rencontrer le comte Daru, ancien ordonnateur de l'armée de Masséna à Zurich. Cet homme rare, prodige d'ordre et de travail, était timide dans tout ce qui avait rapport à la politique, et était surtout grand ennemi des Jacobins qui, pendant la Terreur, l'avaient jeté en prison. Sous le nom d'intendant général, l'Empereur avait chargé le comte Daru d'une grande partie des fonctions du major-général. Les seuls mouvements de troupes étaient restés à ce dernier, ce qui était encore au-dessus de ses forces. Le comte Daru travaillait directement avec l'Empereur ; mais, trop habile et surtout trop occupé pour essayer de lutter contre le major-général, il lui faisait des rapports sur une foule de mesures qu'il soumettait à son approbation. On voyait souvent le comte Daru répondre t une proposition par ces mots : Je prendrai les ordres du prince de Neufchâtel. — C'était, comme on sait, le nouveau titre du général Berthier. Le comte Daru administrait : 1° Les vivres ; 2° Les finances de l'armée ; 3° Les pays conquis divisés en intendances. Les intendants étaient pris parmi les auditeurs au conseil d'État. On sent que l'administration des vivres et celle des pays conquis avaient des rapports nécessaires et continuels avec les mouvements de troupes. M. Daru avait des conférences continuelles avec le prince major-général, et osait lui faire connaître la vérité qui, souvent, n'était pas aimable. Les malheurs de l'armée, provenant du manque absolu de raison dans les détails, donnaient des accès de colère au comte Daru, dont la brusquerie devint célèbre dans l'armée. Chose unique à cette époque, il osait tenir tête aux maréchaux. Il était d'une probité sévère ; aussi l'Empereur lui donna-t-il une dotation de soixante-dix mille francs de rente ; et tous les premiers de l'an il lui faisait cadeau de dix mille francs de rente. FIN DE L'OUVRAGE |