Fin des temps héroïques de Napoléon.Le Grand Conseil, sous la présidence du doge, ayant décrété, le 12 mai 1797, l'abolition du gouvernement, quatre mille Français prirent possession de Venise le 16. L'amabilité des Vénitiens, l'extrême malheur dans lequel ils sont tombés, l'intérêt que ce peuple inspire à la curiosité du philosophe, comme étant le plus gai qui ai jamais existé[1], tout fait considérer avec un profond regret le parti pris par Napoléon. S'il eût pu agir autrement, peut-être que Venise existerait encore aujourd'hui, et la malheureuse serait moins étouffée par le joug de plomb de l'Autriche. M. de Metternich ne peuplerait pas le Spielberg des Italiens les plus distingués[2]. Mais on ne peut disconvenir que la conduite du général français n'ait été parfaitement légitime. Il fit tout ce qui était humainement possible pour conserver Venise ; mais il eut affaire à de trop rudes imbéciles. A l'occupation de Venise par les Français finit la partie poétique et parfaitement noble de la vie de Napoléon. Désormais, pour sa conservation personnelle, il dut se résigner à des mesures et à des démarches, sans doute fort légitimes, mais qui ne peuvent plus être l'objet d'un enthousiasme passionné. Ces mesures reflètent, en partie, la bassesse du Directoire. Ici donc finissent les temps héroïques de Napoléon. Je me rappelle fort bien l'enthousiasme dont sa jeune gloire remplissait toutes les âmes généreuses. Nos idées de liberté n'étaient pas éclairées par une expérience de filouteries récentes, comme aujourd'hui. Nous disions tous : Plût à Dieu que le jeune général de l'armée d'Italie fût le chef de la République ! Le Français ne comprend pas facilement le mérite réfléchi et profond, le seul qui conduise à des succès fréquents ; il aime à se figurer quelque chose de jeune et d'aventureux dans son héros et, sans y penser, entrer dans ce qui reste de l'idée du chevaleresque. En 1798, on croyait un peu que le général Bonaparte avait gagné ses batailles, comme les littérateurs de province croient que La Fontaine faisait ses fables : sans y penser. Quand on sut Napoléon à Paris et présenté au Directoire, tout le monde dit : Ils vont l'empoisonner ! Cette idée commença à flétrir l'enthousiasme qu'inspirait le général de l'armée d'Italie ; on le vit réfléchissant profondément à Paris, pour échapper aux pièges du Directoire. Les temps héroïques de sa gloire cessèrent. La nouvelle de l'expédition d'Égypte vint rehausser l'idée qu'on avait de la hardiesse de son génie, mais elle diminua celle que nous nous faisions de son amour passionné pour la patrie. La République, disions-nous, n'est pas assez riche, assez au-dessus de ses affaires, pour envoyer ce qu'elle a de mieux en Égypte. Napoléon se prêta à ce projet, par la double crainte d'être oublié ou empoisonné. Mais, pour en revenir aux batailles, nous avons présenté et presque toujours avec les paroles de Napoléon, les batailles de : Montenotte, Millesimo, Dego, Pont de Lodi, Lonato, Castiglione, Roveredo, Bassano, Saint-Georges, Arcole, Rivoli, la Favorite, Tagliamento, Larvis. Nous exprimerons en beaucoup moins de mots : Chebreïss, les Pyramides... Waterloo. Pour être expliquée militairement, une bataille demande cinquante pages ; pour être montrée, au moins clairement, il en faut vingt. Il est facile de voir que les batailles rempliraient tout ce livre. D'ailleurs, tout lecteur qui a quelque idée de géométrie, aime à lire les batailles dans Gouvion-Saint-Cyr, Napoléon, Jomini ; dans les auteurs ou mémoires qui se sont donné la peine de comparer sérieusement les bulletins et les mensonges des deux partis. |