VIE DE  NAPOLÉON

— FRAGMENTS —

 

IX.

 

 

Bonaparte entre à Bologne. — Armistice signé à Foligno. — Occupation d'Ancône et de Livourne. — Bonaparte va visiter le grand-duc de Toscane à Florence.

 

Vers le temps de la retraite de Beaulieu, dans le Tyrol, le roi de Naples eut peur et sollicita un armistice ; Napoléon en ressentit un vif bonheur, car c'était dans l'intérêt de ses vues ultérieures.

Le Directoire avait pour le Pape une haine d'enfant et cette haine le rendait incapable de toute politique, ainsi que le prouvèrent plus tard les sottises et les désastres de 1799.

Toutefois, il ne faut point oublier que Bonaparte était dans la nécessité d'obéir aux ordres réitérés de son gouvernement, et il se détermina à lancer une colonne mobile sur Ancône, sauf à la rappeler au plus vite, sur le Mincio, si besoin était. Il pensa qu'Augereau pourrait, sans trop de danger, s'avancer au midi de Mantoue, jusqu'à Bologne.

Ce fut le 19 de juin 1796, que Bonaparte arriva dans cette ville, si digne d'être un jour la capitale de l'Italie. II y trouva de l'instruction et de l'énergie ; si toute la péninsule eût été avancée à ce point, ce pays serait aujourd'hui une puissance indépendante et passablement administrée.

A l'arrivée de son libérateur, Bologne fut dans l'ivresse ; elle organisa spontanément une garde nationale de trois mille hommes, et bientôt après cette garde se battit avec bravoure contre les Autrichiens[1].

Ferrare fut occupée et une colonne partie de Plaisance pénétra en Toscane. Ces démonstrations, accompagnées de tout le bavardage convenable, consternèrent la cour de Rome ; elle se hâta de solliciter un armistice qui fut signé à Foligno le 24 juin. L'armée d'Italie obtint l'immense avantage d'avoir une garnison à Ancône et n'eut plus la crainte de voir les Anglais y débarquer quelques milliers d'hommes, ce qui eût pu changer toute la face des affaires.

Rome céda les légations de Bologne et de Ferrare et promit de l'argent. Des conditions aussi modérées furent loin de plaire au Directoire. Mais, toutefois, la folie de ce corps gouvernant fut cause d'une témérité heureuse.

Augereau se hâta de venir reprendre sa position protectrice sur le bas Adige, après avoir dissipé quatre mille paysans que les prêtres avaient fait révolter à Lugo, ce dont je suis loin de les blâmer ; toute révolte contre l'étranger conquérant est légitime et c'est le premier devoir des peuples.

Des troubles du même genre éclatèrent dans les fiefs impériaux, petits pays enclavés dans l'État de Gênes, sur le versant de l'Apennin qui regarde le Piémont. Des paysans organisés entre Novi et la Bocchetta égorgeaient les soldats isolés. Lannes détruisit ces bandes et saccagea Arquata, leur quartier-général ; on eut le tort de ne pas prendre des otages.

Napoléon ne put refuser au Directoire d'occuper Livourne. Cette opération fut conduite avec tant de promptitude et si secrètement, qu'il ne s'en fallut que de deux heures que les Français ne surprissent dans le port vingt navires anglais. Les troupes françaises oublièrent d'attendre, pour se mettre en marche, l'apparition du vent de Libeccio. On saisit toutes les marchandises et propriétés anglaises, ce qui enrichit un nombre infini de voleurs envoyés de Paris à l'armée.

Le grand-duc de Toscane Ferdinand avait observé la neutralité à laquelle il s'était obligé l'année précédente, avec une bonne foi dont tous les princes de l'Europe se croyaient dispensés envers la République. Aussi le général Bonaparte chercha-t-il l'occasion de donner à ce prince une marque d'estime : il vint le voir à Florence, sans se faire accompagner d'aucune escorte. Il ne craignit point le traitement que trente mois plus tard les hussards de l'archiduc Charles firent subir à Roberjot et aux autres plénipotentiaires de Rastadt.

Le général se donnait la peine d'expliquer lui-même au grand-duc que la position de Livourne, port de mer considérable situé en face de la Corse, alors au pouvoir des Anglais, rendait l'occupation de cette place indispensable à la sûreté de l'armée française.

Bonaparte dînait chez le prince, lorsqu'il reçut le courrier qui lui apportait la nouvelle de la reddition du château de Milan ; la garnison avait capitulé le..)9 juin. Il avait donc un parc d'artillerie pour assiéger Mantoue. La tranchée fut ouverte devant cette place le 18 juillet.

Serrurier continua à y commander ; malheureusement, il ne pouvait rien sur l'imprudence de ses soldats accablés par les chaleurs brûlantes de la journée ; on était au mois de juillet, ces jeunes gens s'exposaient avec délices à la fraîcheur des nuits et ils tombaient malades, par centaines, au milieu de ces marécages empestés du Mantouan.

Le reste de l'armée était en observation sur l'Adige et le lac de Garde. Masséna, avec quinze mille hommes, formait le centre à Rivoli et Vérone ; le général Sauret, avec quatre mille, était à la gauche et occupait Salo, petite ville située sur la rive dentale du lac de Garde. La réserve, fort ; de six mille hommes, se trouvait entre la droite et le centre. Enfin, Augereau, avec ses huit mille hommes, formait la droite à Legnago.

Par cette position, savamment calculée, le général en chef, qui se voyait entouré d'ennemis déclarés ou secrets, avait la faculté de réunir la totalité de son armée, au moyen de mouvements concentriques intérieurs sur l'une ou l'autre rive du Mincio, selon que l'ennemi attaquerait par Salo ou par la vallée de l'Adige ; car tout le monde voyait bien que sous peu l'armée autrichienne essayerait de secourir Mantoue.

 

 

 



[1] Réponse aux Parisiens qui se moquent de la bravoure des Italiens.