Le duc de Chartres reprend auprès de Philippe V les tentatives commencées pour établir ses droits éventuels à la couronne d'Espagne. — Mission de l'abbé Dubois à Madrid.Dès que le duc d'Orléans eut mis quelque arrangement dans ses affaires domestiques, il tourna toute son attention vers de plus graves intérêts. La satisfaction promise à Monsieur par Philippe V n'avait pas été donnée, et rien n'indiquait que Sa Majesté dût s'en occuper, si elle n'y était conviée par de nouvelles instances. Le duc d'Orléans songea à reprendre les tentatives commencées par son père. Un peu après la mort de Monsieur, Sa Majesté Catholique avait écrit au duc d'Orléans, son oncle, pour le complimenter au sujet de la perte qu'il venait de faire, et l'assurer d'une sincère amitié[1]. Le duc d'Orléans ne se fiait pas à ces protestations, et comptait davantage sur la bonne volonté de la jeune Reine, sa nièce. La correspondance qui s'était établie entre la Reine et lui montre, de la part de l'épouse de Philippe V, un vif attachement pour le prince, et un désir très-grand de lui plaire. Sans doute Son Altesse Royale ne se flattait point de rencontrer dans une Reine de quatorze ans un instrument agissant de ses desseins ; mais il n'ignorait pas l'influence qu'exercent, même sur des hommes graves, des grâces enfantines, un esprit enjoué, et il résolut d'employer la bienveillance de la Reine au succès de ses prétentions, sans toutefois la commettre dans des intrigues que son jeune âge l'eût empêchée de comprendre. Au commencement de 1702, le duc d'Orléans fit tenir au lieutenant-général Marsin[2], qui commandait alors à Barcelone, une procuration en son nom personnel, et des mémoires détaillés, exposant ses droits éventuels à la couronne d'Espagne. Il le chargea de remplir les formalités nécessaires pour obtenir une reconnaissance authentique de ces droits. Marsin trouva le Roi et ses ministres pénétrés de la justice de ces réclamations, mais toujours éloignés de prendre sur-le-champ les mesures que sollicitait le duc d'Orléans, sans qu'on aperçût la raison qui les portait à différer. Cependant Sa Majesté Catholique, voulant être agréable au duc d'Orléans, ordonna au cardinal Porto-Carrero, son premier ministre, de rechercher, avec le président du conseil de Castille, le moyen le plus propre à donner à Son Altesse Royale une satisfaction immédiate. Marsin quitta la cour de Philippe V, au mois d'avril, avant qu'aucune décision eût prononcé sur les droits de Son Altesse Royale, et remit à M. de Blécourt, envoyé extraordinaire du Roi à Madrid, tous les pouvoirs qu'il avait reçus du prince[3]. Au mois de septembre suivant, l'affaire n'étant pas plus avancée, le duc d'Orléans écrivit à Sa Majesté Catholique, qui lui répondit à la date du 28 du même mois, du camp de Luzara, en Italie, qu'aussitôt après son retour en Espagne, elle ferait expédier ce qu'elle lui avait promis. Philippe revint à Madrid, et rien ne fut terminé. Le temps s'écoulait insensiblement, et le duc d'Orléans, rebuté par les délais, soupçonnant la sincérité des intentions de Sa Majesté Catholique, craignant d'attendre indéfiniment l'effet des promesses du Roi, résolut d'envoyer l'abbé Dubois en Espagne. L'objet apparent du voyage devait être de complimenter le Roi et la Reine. En réalité, l'abbé était chargé de découvrir : 1° les véritables motifs qui avaient donné lieu à l'omission de feu Monsieur et de sa postérité dans le testament de Charles II ; 2° de pénétrer le sentiment des ministres de Philippe V, au sujet des droits réclamés ; 3° de sonder leur intention positive à l'égard de l'acte public que le duc d'Orléans proposait ; 4° enfin, l'abbé était chargé de s'assurer du degré de confiance que méritaient les différentes personnes aux mains desquelles avaient été remis les intérêts de Son Altesse Royale, à la cour de Philippe. Le dernier article des instructions remises à Dubois lui enjoignait d'abréger son séjour en Espagne autant qu'il le pourrait, et d'éviter de mécontenter ceux qui avaient été honorés, à Madrid, de la confiance de feu Monsieur. L'abbé devait, en outre, engager le cardinal d'Estrées[4], que Louis XIV avait envoyé près de son fils, comme l'intermédiaire de ses volontés à Madrid, à peser du poids de sa considération et de son influence, sur la détermination que le duc d'Orléans sollicitait. Dubois partit de Paris, et joignit, le 15 décembre 1702, le cardinal d'Estrées à Perpignan. Il s'ouvrit d'abord à lui du motif secret de son voyage, et lui fit connaître les services que Son Altesse Royale le duc d'Orléans attendait de son Éminence. Le cardinal promit de faire ce que le prince exigeait de lui. Dubois le laissa prendre les devants. Lorsqu'il apprit que Philippe V était rentré à Madrid, il continua sa route. Dès les premiers jours de son arrivée, il obtint un ordre d'audience de Sa Majesté Catholique, et fut admis à complimenter le Roi et la Reine. La mission de Dubois se trouvait en apparence terminée après cette cérémonie. Il fallut à l'abbé beaucoup d'adresse pour remplir ses instructions secrètes, n'ayant aucun caractère public qui lui permît de conférer avec les ministres du Roi. Le duc d'Orléans avait, dans le palais même de Philippe V, un ennemi déclaré, la princesse des Ursins, première dame de la Reine. Le crédit extraordinaire dont cette dame jouissait auprès des deux époux la rendait toute puissante à la cour, et commandait de la ménager ; elle dirigeait avec art les volontés de son maître. L'écueil pour l'abbé était de se laisser pénétrer par la princesse des Ursins, qui n'aurait pas manqué de le contrecarrer. Il réussit complètement à masquer ses démarches, et mit si bien à profit son séjour à Madrid, qu'il ne tarda pas à être très-exactement éclairé sur les différents points portés dans ses instructions. Ainsi, il apprit que l'omission de la branche d'Orléans, dans le testament, n'avait pas été faite sans intention ; que le feu Roi avait voulu dérober à la vue de l'empereur une suite de princes qui eût enlevé à la maison d'Autriche tout espoir de bénéficier de la clause de réversion. Dubois avait été assez heureux pour disposer favorablement les ministres de Philippe, et dés qu'il en eut tiré tous les éclaircissements qui lui étaient nécessaires, il revint à Paris. Après le départ de Dubois, les affaires de M. le duc d'Orléans restèrent entre les mains du cardinal d'Estrées. L'abbé d'Estrées, neveu de cette Éminence, partagea les soins que son oncle se donnait pour répondre à la confiance de Son Altesse Royale. M. de Louville, ambassadeur à Madrid, qui dès le commencement avait été chargé de suivre cette affaire, unit ses efforts personnels à ceux du cardinal ; mais le zèle de ces trois agents dévoués au prince ne put vaincre la timidité du cardinal Porto-Carrero. Ce ministre, tout en reconnaissant le droit constant du duc d'Orléans, ne crut pas que les circonstances fussent favorables pour publier la déclaration selon les vues de Son Altesse Royale. Le Roi d'Espagne avait nombre d'ennemis sur les bras ; un acte qui eût été une satisfaction nouvelle donnée à la maison royale de France aurait nécessairement irrité les alliés et accru la violence de leurs ressentiments. Le président de Castille soutenait, au contraire, que les circonstances exigeaient cette démarche. Il était d'opinion que l'on devait éloigner le plus qu'il se pouvait, les espérances de la maison d'Autriche, afin de prévenir, dès-lors, les causes de trouble pour l'avenir. L'avis du cardinal de Porto-Carrero prévalut à Versailles ; le duc d'Orléans fut obligé de suspendre ses poursuites. Le Roi ne lui permit de les reprendre qu'au mois d'octobre 1703. Son Altesse Royale renouvela alors ses instances près de Philippe V ; mais elles n'eurent pas le résultat que le prince en attendait. La cour d'Espagne se contenta d'interroger différents conseils du royaume sur les droits de la maison d'Orléans à la couronne ; tous les avis furent unanimes, et favorables aux prétentions de Son Altesse Royale. Le marquis de Rivas, secrétaire d'El Despacho universel, fut invité à délivrer au duc d'Orléans des copies collationnées des avis de tous ces tribunaux. Telle fut l'issue de cette affaire, que la maison d'Orléans avait fort à cœur, et que le duc d'Orléans, après son père, avait poursuivie avec tant d'ardeur. |
[1] Philippe V avait épousé, le 11 septembre 1791, Marie-Louise de Savoie, sœur de la duchesse de Bourgogne. Nous avons cru que la lettre de Sa Majesté Catholique, et quelques-unes des lettres qui formaient la correspondance de la jeune Reine avec son oncle, retrouvées en original parmi les papiers de l'abbé d'Espagnac, seraient lues avec quelque curiosité.
[2] Ferdinand, comte de Marsin, d'origine polonaise, servit d'abord dans les armées de l'Empereur, et passa ensuite au service de la France. Il fut nommé maréchal en 1703.
[3] La lettre par laquelle Marsin informe le duc d'Orléans de ses démarches est du 2 avril 1702.
[4] Le cardinal d'Estrées, fils du pair et maréchal de ce nom, et de Marie de Béthune-Charost, né le 5 lévrier 1628. Il fut revêtu de plusieurs ambassades, et mourut ministre de France à Rome, le 18 décembre 1744.