LE colosse romain, usé parle temps, corrompu par le luxe,
amolli par la servitude, tomba en poudre dès que le génie de Théodose eût
cessé de le soutenir : Autrefois, lorsqu’on voulut faire sortir du Capitole
les statues des dieux, celle de Des présages plus certains rendaient ce grand désastre
évident aux yeux de la raison tandis que cet empire immense, gouverné par de
faibles despotes, par de lâches eunuques, par des patriciens corrompus,
dépeuplé par le luxe, opprimé par le fisc, déchiré par les discordes
religieuses, comptait plus de monastères que de forteresses, plus de
domestiques que de citoyens, plus d’ermites et de moines que de guerriers,
n’opposait à ses ennemis que des légions composées d’étrangers ; une foule
innombrable de barbares se rassemblant depuis les frontières de C’était un nouveau monde dans sa vigueur, se précipitant sur l’ancien monde dans sa décrépitude ; c’était l’ordre attaqué de toutes parts par le chaos, c’était le jour tombant menacé par les ombres croissantes et gigantesques de la nuit. Depuis longtemps la science militaire avait seule suppléé au courage, résisté au nombre, et retardé la décadence ; mais les empereurs, par une imprévoyante politique, formant à l’art de la guerre les hordes barbares, et confiant leur défense aux chefs les plus distingués de ces tribus, il ne fut plus possible à Rome de résister à ces héros sauvages, qu’elle-même venait d’instruire dans l’art de vaincre. Les deux fils de Théodose, incapables par leur faiblesse
de soutenir le fardeau qu’un grand homme déposait dans leurs débiles mains,
ne surent ni le porter ni le défendre. Ce fut sous leur règne honteux qu’on
vit La fortune prolongea quelque temps encore les débris de la
puissance romaine dans l’Orient, malgré l’inepte tyrannie des princes qui le
gouvernaient. La politiqué éclairée du monarque des Goths laissa aussi,
pendant plusieurs années, quelque ombre d’existence à Rome, mais Pour mieux, juger l’excès des malheurs qu’elle éprouva, il est utile de connaître le degré de civilisation et de prospérité auquel elle se trouvait élevée, lorsqu’un déluge de barbares détruisit en peu de jours l’ouvrage de quatre siècles. Du temps de César, on comptait dans Si les frontières du nord et de l’est éprouvaient de temps
en temps les maux de la guerre, l’ouest, le La philosophie, les arts, les talents qui depuis firent,
dans cet heureux pays, de si rapides progrès ; n’y semblaient pas même tout à
fait étrangers lorsque Rome, triomphante des Gaulois, les nommait encore
barbares. Gniphon, célèbre grammairien qui avait enseigné là rhétorique à
César, était né dans On citait avec honneur comme historiens, Trogue Pompée,
Sulpice Sévère, Salvien et Cassien, nés dans Les dieux des Romains occupèrent, peu de temps dans Dès le second siècle de l’ère chrétienne, le culte de l’évangile
s’était déjà répandu dans Au reste chaque cité attribuait cet honneur au Saint, qu’elle révérait le plus : Lyon le décernait à saint Pothin ; Arles à Trophime ; Clermont à Austrémonius ; Tour à Gatien ; Limoges à Martial. Comme dans ces premiers temps, le peuple choisissait ses évêques, et ne donnait ses suffrages qu’aux hommes dont le caractère répondait à la difficulté des circonstances ; tous ces pontifes firent respecter leur courage autant que leur sainteté, et ils s’assurèrent par leurs vertus un pouvoir plus durable et plus étendu que celui des druides, qui ne le devaient qu’à leur redoutable et sanguinaire superstition. Tous ces pontifes méritèrent, par la simplicité de leurs
mœurs et par la sagesse de leur conduite, une juste vénération ; mais, dès,
que cessant d’être persécutés, ils devinrent puissants et quelquefois
persécuteurs, l’ambition corrompit les mœurs du plus grand nombre ;
l’ignorance fit dégénérer le culte en superstition ; plusieurs s’écartèrent
de la route de l’évangile pour suivre celle de la fortune, et la discorde,
excitée par les passions des sectes, troubla la paix de l’Occident comme elle
avait détruit celle de l’Orient : une partie même de Cependant plusieurs évêques célèbres, tel que saint
Hilaire ; opposèrent un courage inébranlable aux erreurs, aux dissensions
religieuses, et ne montrèrent pas moins de fermeté dans leur résistance aux
farouches tyrans qui opprimaient Malgré la sévérité des empereurs, la puissance des évêques
et la rigueur des lois, l’idolâtrie comptait encore au cinquième siècle, dans
A l’époque où les fils de Théodose montèrent sur le trône,
chaque évêque, dans Tel est enfin le tableau qu’on peut se faire de Les campagnes retentissaient du chant des laboureurs,
l’encens brûlait dans les temples au milieu de pompeux sacrifices, et partout
une jeunesse brillante et nombreuse, déshabituée des combats, se livrait avec
une molle incurie aux jeux du cirque, aux courses des chars, aux plaisirs du
théâtre et à toutes ces voluptés qui, du sein de Rome corrompue, avaient
répandu dans Ce fut à l’instant où cette riante contrée, semblable aux
jardins d’Armide, jouissait sans prévoyance du calme le plus doux, que tout à
coup le bruit effrayant des trompettes guerrières et les hurlements des
enfants du Nord se frirent entendre ; le fer et le feu dévorent les campagnes
; les moissons sont détruites, les fleuves sont teints de sang, l’incendie éclate
dans les villes, les palais sont livrés au pillage, les cirques démolis, les
temples profanés. Le courage n’a pas le temps de saisir ses armes ;
l’innocence est outragée ; la misère et l’opulence tombent confondues dans un
même esclavage ; les arts et les sciences disparaissent. Un voile de ténèbres
se répand partout, et ne laisse briller que la couleur du sang et l’éclat des
armes ; enfin, depuis les bords du Rhin jusqu’à l’Océan et aux Pyrénées, Jamais peut-être dans l’histoire du genre humain on ne vit une plus désastreuse époque, que celle dont nous allons retracer avec douleur le peu de faits échappés à cette longue nuit de ravages et de destructions. Arcadius, après la mort de Théodose, vit ses faibles mains chargées du sceptre de l’Orient. Il épousa Eudoxie, fille de Baudon, l’un de ses généraux, né parmi les Francs. Ce jeune prince livra les rênes du gouvernement à un Gaulois appelé Rufin, ministre ambitieux, injuste, sanguinaire, qui par ses talents avait surpris la confiance de Théodose. Sous le règne de son fils, ce ministre se trouvant sans frein, ne montra plus que les vices qui souillaient son caractère. Dans le même temps Honorius, héritier du trône d’Occident, y porta la même faiblesse ; il confia son pouvoir et ses armées à Stilicon, général vandale, dont le génie justifiait au moins l’élévation. Stilicon s’était rendu fameux, pendant la vie de Théodose, par plusieurs victoires remportées sur les ennemis de l’empire. Cependant rien ne prouvait mieux la décadence de cet empire, et les progrès de la puissance et de la renommée des barbares, que de voir l’Orient et l’Occident gouvernés par un Gauloi’s et par un Vandale, tandis que la fille d’un Franc partageait le lit et le trône d’un empereur. De tous les peuples barbares qui s’armaient alors pour
venger l’univers et pour démolir le colosse romain, les Goths furent
longtemps les plus fameux, les plus redoutables, et comme ils fondèrent les
premiers une nouvelle puissance en Italie et dans Leur berceau, enveloppé des brouillards glacés du
septentrion et couvert de la nuit des temps, fut toujours peu connu ;
plusieurs auteurs les confondaient avec les Scythes et les Sarmates. Tacite
les nomme Gothons, et les dit originaires du territoire de Dantzick, à
l’embouchure de L’île de Rugen fut leur première conquête. On a
généralement regardé les Ruges, les Vandales, les Lombards, les Hérules comme
des ramifications de la nation des Goths, comme des tribus détachées de ce
peuple belliqueux qui s’étendit rapidement des bords de S’avançant ensuite jusqu’au Danube, ils vainquirent les
Marcomans, les Quades, les Bourguignons, et refoulèrent tous ces peuples vers
l’Occident. Une de leurs tribus moins belliqueuse prit le noria de Gépides,
qui, dans leur langue exprimait la paresse et l’indolence. La partie de la
nation des Goths, qui s’établit près du Pont-Euxin, au nord de Longtemps avant l’époque dont nous parlons, le courage des Goths les avait rendus célèbres ; leurs armes humilièrent Caracalla, et l’assujettirent à un tribut. Decius périt en combattant contre eux ; Claude, Aurélien, Tacite, Probus remportèrent sur eux de sanglantes victoires, et les soumirent ; sous Dioclétien ils se relevèrent. On les vit tantôt ennemis, tantôt auxiliaires des successeurs de Constantin, et souvent quarante mille de leurs guerriers soutinrent par leurs exploits, les forces de l’empire qu’ils devaient un jour renverser. Si les Goths avaient cultivé les lettres et produit des historiens, ils auraient pu nous faire admirer les exploits héroïques, et les folies sanglantes d’un nouvel Alexandre. Le célèbre Hermanrick fut le leur ; ce conquérant sauvage réunit sous sa puissance toutes les tribus des Goths et domina sans rivaux, les vastes contrées qui s’étendent de la mer du Nord aux rives du Danube. Mais si son règne marqua l’époque de la plus grande puissance des Goths, il devint aussi celle de leur ruine, et la première cause de la chute de l’empire romain, sur lequel les débris du peuple des Goths se précipitèrent pour échapper à leur vainqueur. Une nation, jusque là inconnue, sortie des extrémités de
l’Asie, les Huns, s’étendant comme un torrent dévastateur depuis les
frontières de Les Goths demandèrent à l’empereur Valens son appui, un asile, des vivres et une patrie. Valens les trompa et fut puni de sa perfidie. La bataille d’Andrinople où périt ce prince, détruisit la fleur de l’armée romaine. Constantinople vit les Goths à ses portes, et l’empire d’Orient aurait succombé sous la masse guerrière de ce peuple fugitif, si le bras de Théodose n’eût encore soutenu et sauvé le trône de Constantin. Théodose vainquit les Goths ; il fit plus, il conquit leur amitié comme leur estime. Ces ennemis redoutables servirent sous ses drapeaux et malheureusement pour Rome, le génie de ce grand prince instruisit dans l’art de la guerre un jeune chef des Goths, cet Alaric qui depuis, profitant trop bien des leçons d’un si grand capitaine, entra le premier en triomphe, à la tête des Goths victorieux, dans la capitale du monde, et disposa à son gré du trône d’Honorius. La main ferme de Théodose avait seule contraint les sectes
religieuses au silence, les Romains à la discipline et les barbares au repos.
Dès que ce grand homme eût cessé de régner, les troubles et les périls
reparurent. Rufin rendit Arcadius odieux à ses peuples et méprisable à ses
ennemis. Les Goths entrèrent dans Le lâche Rufin voulait monter au trôné du maître qu’il venait de trahir ; un coup de poignard punit son ambition et sa perfidie. Après sa mort, Arcadius, n’osant combattre les barbares, se laissa gouverner par eux, et leur prodigua les trésors de l’empire, ainsi que les grandes dignités de la couronne. Le ressentiment des Goths ne tarda pas à se tourner contre Stilicon ; ce guerrier, aussi ambitieux qu’habile, excita parmi les Romains autant de haine que d’admiration. Les légions le regardaient comme leur appui, comme le guide qui les conduisait toujours à la victoire ; les courtisans enviaient son crédit et détestaient son mérite ; enfin le clergé et les chrétiens le haïssaient, parce qu’il avait fait élever son fils dans les principes du paganisme, espérait, par là, s’attirer l’affection de la nombreuse partie du peuple encore attachée au culte des idoles. Stilicon, menacé à la fois par tant d’ennemis intérieurs et extérieurs, ne s’occupait qu’à fortifier contre eux sa puissance ; il épousa Sérène, nièce de Théodose, et fit promettre au jeune Honorius de prendre son fils pour gendre. Ainsi ce Vandale ambitieux se rapprochait peu à peu du trône et ne voyait plus entre ce trône et lui qu’un faible degré. Soit qu’il s’apprêtât à le franchir, soit que la lâcheté,
des Romains, l’épuisement de l’Italie et les menaces des Goths
l’effrayassent, il commit l’énorme faute de rappeler près de lui les troupes
aguerries qui défendaient La haine du clergé fit de cette faute, le texte des accusations les plus violentes contre Stilicon, et ce guerrier, qui seul alors, osait combattre et savait vaincre les ennemis de l’empire, fut accusé généralement d’avoir voulu le leur livrer. L’ambition de Stilicon suffit plus encore que ses triomphes pour justifier sa mémoire ; on ne peut croire qu’il méditât le renversement d’un trône sur lequel, il voulait monter. Alaric se précipita bientôt sur l’Italie. Honorius
tremblant, prit la fuite ; déjà il se montrait prêt à capituler honteusement
derrière les remparts qui lui servaient d’asile, lorsque Stilicon, paraissant
à la tête des troupes venues de La détresse de l’empire, l’attaque des Goths, l’évacuation
des forteresses du Rhin furent le signal de la ruine des Gaules et de
l’horrible invasion des barbares qui dévastèrent pendant quatre ans cette
malheureuse contrée. Les Suèves, les Bourguignons, les Vandales, les
Allemands, les Quades, les Marcomans, les Saxons, refoulés et resserrés vers
l’Occident par les Goths et par les Huns, tournaient depuis longtemps leurs
regards avides sur les vignes fécondes et sur les champs fertiles de A tous moments ils changeaient de lieu, de sort, de nom ; et il serait aussi inutile de vouloir suivre la marche, connaître la généalogie, et éclaircir l’histoire de cette foule de hordes sauvages, que de compter et de chercher à distinguer l’un de l’autre, les flots tumultueux et des vagues roulantes d’une mer en furie. Dans le temps de la puissance de Rome, ces peuples, souvent vaincus et jamais soumis, bravant tous les périls, franchissaient fréquemment le Rhin ; leurs incursions n’avaient d’autre objet que le pillage ; aucune idée d’établissement n’entrait dans leurs vues ; et, après avoir dévasté quelques cantons, ils se hâtaient de rentrer dans leurs forêts avec de nombreux esclaves, et chargés d’un riche butin. Quelques chants militaires rappelaient leurs exploits et
le nom de leurs plus braves guerriers, mais aucun burin n’écrivait leur
histoire ; ils méprisaient la culture de l’esprit encore plus que celle de la
terre, et ils attribuaient l’asservissement de A l’époque dont nous parlons, la terreur qu’inspirait le nom romain aux barbares s’était changée en profond mépris. L’un d’eux, le Lombard Luitprand, quelque temps après cette époque, peignait, avec énergie ce mépris en ces termes : Lorsque nous voulons, dit-il, insulter un ennemi, et lui donner des noms odieux, nous l’appelons Romain. Ce nom seul renferme tout ce qu’on peut imaginer de bassesse, de lâcheté, d’avarice, de débauches, de mensonges, enfin l’assemblage de tous les vices. Tel était le résultat de la politique odieuse du sénat dans les derniers temps de la république, et surtout de ce long despotisme qui avait avili les Romains et détruit leur liberté. Il est facile à présent de concevoir avec quelle furie les nations germaines, poussées sur le Rhin par les peuples belliqueux de l’Orient, franchirent ce fleuve pour livrer au pillage un empire que la guerre des Goths et la faiblesse des fils de Théodose livraient sans défense à leur avidité. Ce qu’il est nécessaire d’observer, c’est que, dans cette
première invasion, les barbares, suivant leurs anciennes mœurs, n’eurent
d’autre objet que le pillage ; ce flot dévastateur ne voulait que détruire ;
c’est ce qui rendit cette irruption si funeste. Ce ne fut que quelques années
après, lorsque les Goths se fixèrent en Aquitaine et les Bourguignons en
Alsace, que la politique des barbares changea de plan, et s’occupa enfin de
la conservation des contrées où ces peuples avaient résolu de se fixer ; et
ce fut alors aussi que les Francs s’efforcèrent de prendre dans le Nord leur
part au démembrement d’un empire qu’ils avaient défendu de tous leurs efforts
contre la première invasion des autres peuples de Les premiers qui se jetèrent sur Le dernier décembre 406 les barbares passèrent le Rhin. Le souvenir de leurs dévastations nous est seul resté ; les horribles détails de leurs brigandages rie sont point parvenus jusqu’à nous ; et l’on ne peut suivre les traces de leurs courses incendiaires, qu’au moyen de quelques fragments d’Orose, de Procope, de Frédégaire, et qu’en retrouvant quelques plaintes échappées à la douleur des victimes de cette époque fatale : il paraît seulement que ces hordes dévastatrices s’éloignèrent promptement des provinces septentrionales qu’elles trouvèrent trop défendue par le courage des Belges ; le voisinage des Francs surtout les empêcha d’y séjourner. Saint-Jérôme, qui vivait dans ce temps, atteste que les Francs prirent alors avec intrépidité la défense des Romains qu’ils avaient si longtemps combattus. Au reste, dit ce père de l’église, toute cette vaste contrée située entre les Alpes, les Pyrénées, l’Océan et le Rhin, est devenue la proie du Quade, du Vandale, du Sarmate, de l’Alain, du Gépide, de l’Hérule, du Saxon et du Bourguignon. Telle est, enfin, notre funeste destinée ; on a vu les Pannoniens mêmes, sujets de l’empire, se joindre à nos ennemis pour nous écraser. Les Les
légions romaines avaient fui de Tandis que la flamine et le fer ravageaient les champs, détruisaient les moissons, incendiaient les cités ouvertes, la jeunesse gauloise s’armait, se retranchait dans les montagnes, se renfermait dans les villes fortes, et vendait chèrement à leurs féroces ennemis leur vie et leur liberté. Une partie de Nous apprenons par saint Jérôme que Mayence, punie de sa
longue résistance fut détruite : Worms,
dit-il, après un long siège, a été saccagée.
Spire, Strasbourg, Amiens Arras, sont tombées dans les mains des Allemands ;
la dévastation s’est étendue dans les deux Aquitaines, Les dernières lignes de ce passage, où saint Jérôme, après avoir parlé en citoyen, s’exprime en pontife irrité, prouvent que l’excès du malheur même ne peut adoucir celui de la haine, et que l’esprit de parti survit encore à la ruine de la patrie. Cette fureur d’invasions qui s’était emparée des peuples
du Nord, ne se laissait pas plus arrêter par l’Océan que par le Rhin. Les
flottes saxonnes et scandinaves menaçaient Il existait dans l’armée[1] un brave soldat
appelé Constantin ; ce nom lui valut la couronne, et il justifia ce choix,
sinon par son génie, du moins par son active intrépidité. A peine couronné,
le nouvel empereur repousse les Saxons, passe dans Son nom les y poursuivit, et l’Espagne se soumit aussi à
son sceptre : Constantin, sans perdre de temps, releva les forteresses du
Rhin et les garnit de troupes ; ainsi la bravoure d’un soldat délivra Honorius qui
n’avait osé combattre ni les Goths en Italie ni les barbares dans L’aveugle fortune abandonna Constantin ; Saurus le
combattit, le poursuivit et l’assiégea dans Valence[2]. Les Francs, sous
la conduite d’Édobinc et de Gérontius, volèrent au secours du libérateur de A cette époque, on voit, par le récit de Zozime, que les Romains irrités, affectant un injuste mépris pour les partisans de Constantin, donnaient le nom de Bagaudes aux milices gauloises. Le mot de Bagad, dans la langue celtique, signifiait attroupement séditieux : de tout temps le despotisme s’est efforcé de flétrir, par des noms injurieux, la résistance, le courage et la liberté. Le faible Honorius ne tarda pas à sentir l’étendue de la plaie qu’il avait faite à l’empire en le privant de son plus ferme appui. Alaric, autrefois ennemi de Stilicon, revint en Italie le venger. Il y entra en 409. L’empereur, effrayé de cette nouvelle invasion, conclut un traité avec Constantin, et lui abandonna le sceptre des Gaules. Ce fut à cette époque que, selon Isidore de Séville et Idace, les barbares découragés s’éloignèrent de cette contrée et portèrent leurs armes en Espagne. Rome ne pouvait attendre alors aucun secours de l’Orient ; Arcadius n’y régnait plus, et le jeune Théodose son successeur, gouverné par sa sœur Pulchérie, ne songeait qu’à s’affermir sur son trône chancelant, et sans cesse menacé par les armes redoutables des Goths et des Huns. Honorius, livré à lui-même et entouré de ministres aussi incapables que leur maître de régner n’opposa au terrible roi des Goths que les intrigues d’une cour corrompue et les perfidies de la faiblesse. Après avoir désarmé Alaric par une basse soumission, il le combla d’honneurs, lui prodigua les dignités de la couronne, lui confia la défense de l’empire, le flatta pour le tromper, et par des trahisons répétées ralluma sa redoutable colère. Alaric reparut aux portes de Rome en 410 ; il y entra, y parla en maître, la livra au pillage, et ordonna au sénat d’élire un fantôme d’empereur, nommé Attale, qui bientôt mérita le mépris et l’abandon de son superbe protecteur. La mort d’Alaric suivit de près son dernier triomphe. Aucun courage ne se présentait alors pour sauver Rome ; mais le sort qui voulait encore prolonger son existence, enflamma d’amour le cœur d’un barbare pour une Romaine[3]. Ataulphe, successeur d’Alaric, épris des charmes de Placidie, sœur d’Honorius, releva ce faible empereur. Le roi des Visigoths devint le plus ardent défenseur de l’empire conquis et le premier sujet de l’empereur vaincu. Orose nous a conservé les paroles ou plutôt le voile sous lequel ce guerrier, dompté par l’amour, croyait déguiser sa faiblesse. Autrefois, dit-il, le plus ardent de mes vœux était d’effacer nom des Romains, et de le remplacer par celui des Goths. Je voulais fonder l’empire gothique et j’espérais devenir, comme Auguste, la tige d’une longue suite d’empereurs ; mais l’expérience m’a prouvé que les Goths, trop indociles du joug des lois pouvaient fonder un état qui ne doit subsister que par elles : j’emploierai donc désormais leurs armes à défendre, à relever l’empire romain, et puisqu’il faut renoncer à la gloire de fondateur, je saurai mériter au moins celle de restaurateur. Ataulphe, devenu l’époux de Placidie, s’éloigna de
l’Italie, et reconquit pour Rome la plus grande partie de l’Espagne. Cette
révolution soudaine, retentit de l’Italie dans Dans tous les pays, comme dans tous les temps, l’amour de la gloire et l’ambition produisent, dans les périls publics, une foule d’hommes déterminés qui bravent le danger pour suivre la fortune beaucoup même d’entre eux sont favorisés par le sort et couronnés par la victoire : mais c’est après le triomphe qu’on rencontre souvent les écueils les plus dangereux, il est plus rare de fixer la fortune que de l’atteindre ; le courage et le talent suffisent pour vaincre, et l’art de régner est bien plus rare que l’art de la guerre. Constantin avait renversé ses ennemis, il ne put résister ni aux intrigues de ses courtisans ni aux efforts factieux de ses généraux. Gérontius, avait commandé ses troupes en Espagne ; Constantin y envoya son fils ; Gérontius, jaloux de ce jeune prince, fomenta l’esprit de révolte parmi les Gaulois et dans l’armée. Les Francs et leur chef Édobinc pouvaient traverser les desseins des conjurés ; on les éloigna en les chargeant d’inviter leurs diverses tribus à envoyer do nouveaux renforts pour combattre les Goths. Dés que Constantin fut privé de leur secours, la révolte éclata, et Gérontius fit proclamer empereur un officier gaulois, nommé Maxime. Constantin, pour éviter la mort, se jeta dans la ville d’Arles avec le peu de troupes qui lui étaient restées fidèles ; il y fut bientôt investi par les rebelles. Depuis longtemps l’empire, dans sa chute rapide, n’avait cherché des appuis que parmi les barbares ; mais le sort voulut qu’à cette époque un Romain, digne de ce nom, apparut à la tête des légions d’Honorius ; Constance, patrice et consul, venait de pacifier l’Afrique soulevée par Héraclien, il fut envoyé dans les Gaules, et la fortune l’y suivit, Gérontius et Maxime, vaincus par lui, trouvèrent la mort dans la fuite. Edobinc et les Francs accouraient alors pour défendre Arles, et Constantin ; l’heureux Constance les combattit, les délite les força de retourner dans leur pays. Constantin[4], obligé de se rendre, fut livré à la cour de Ravenne. Honorius, qui l’avait reconnu comme collègue, lorsqu’il était puissant, l’envoya lâchement au supplice dès qu’il fut vaincu. Après une courte querelle que l’inconséquence de la cour
de Ravenne excita entre les Romains et les Visigoths, Constance et Ataulphe
conclurent de nouveau la paix. L’empereur, par ce traité, céda l’Aquitaine
aux Visigoths ; il abandonna aussi l’Alsace, ainsi que Ce prince[5], aussi vain que faible, ne savait ni soutenir la guerre ni conserver la paix ; manquant de foi dans sa politique comme de coulage dans les périls, il cessa de ménager Ataulphe, dont il ne croyait plus l’appui nécessaire pour affermir son trône. La guerre éclata donc de nouveau ; Constance la conduisit avec habileté, et la termina avec sagesse. Ataulphe jouit peu des douceurs de cette paix[6], un assassin trancha ses jours, s’empara de son sceptre, et jeta dans les fers sa veuve Placidie, que l’inconstance du sort fit ainsi successivement passer du palais d’Auguste dans la captivité, de la captivité sur le trône, du trône dans les fers, pour la tirer encore de cet esclavage, et remettre dans ses mains les rênes de l’empire. Le meurtrier d’Ataulphe expia promptement son crime. Les Visigoths, indignés de sa tyrannie, le poignardèrent, et donnèrent la couronne à un guerrier digne de remplacer Alaric et Ataulphe. Wallia, proclamé par eux[7], maintint la gloire de leurs armes, et consolida leur puissance. Fidèle au traité conclu avec Rome, il conquit une partie de l’Espagne pour Honorius, lui rendit Barcelone, briser les fers de Placidie, et lui permit de retourner près de l’empereur son frère[8]. Honorius alors parut pour la première fois, éclaira d’un
rayon de sagesse ; il donna la main de Placidie au brave Constance, releva le
titre dégradé de César, en le lui conférant, et dans le même temps, ouvrant
tardivement les yeux sur les malheurs de Jusque-là, suivant un ancien usage, les états de A cette époque, un lien commun unissait encore les deux branches de la puissance romaine, tout édit impérial était signé par les empereurs d’Orient et d’Occident, et avait force de loi dans tout l’empire. Tel fut donc le langage que, dans ce temps de détresse et d’alarmes[9], Honorius et Théodose tinrent aux Gaulois par un édit que l’empereur d’Occident adressa au sénateur Agricola préfet du prétoire des Gaules. Nous avons résolu, en conséquence de vos sages représentations, d’obliger par un édit perpétuel et irrévocable, nos sujets des sept provinces à prendre le seul moyen qui puisse réaliser leurs vœux. Rien, en effet, n’est plus conforme à l’intérêt général et plus utile aux intérêts particuliers de votre diocèse, que la convocation d’une assemblée annuelle des états sous la direction du préfet du prétoire des Gaules. Elle doit être composée, non seulement, des personnes, qui par leurs dignités, prennent part au gouvernement général de chaque province, mais encore de celles qui participent à l’administration de chaque cité. Une telle assemblée peut, sans doute, délibérer avec fruit sur les mesures qui seront tout à la fois les plus convenables au bien de l’état, et en même temps les moins préjudiciables aux propriétaires. Notre intention est donc que, dorénavant, les députés des sept provinces, s’assemblent chaque année, à un jour fixe, dans la ville métropolitaine, c’est-à-dire, dans Arles. D’abord, une telle assemblée formée des plus notables personnages de chaque province, et présidée par notre préfet du prétoire des Gaules, ne peut prendre que des résolutions salutaires ; en outre, nos provinces les plus dignes de fixer notre attention ne seront plus dans l’ignorance des motifs qui auront dirigé nos conseils et dicté nos déterminations. Nous voulons aussi, comme la justice l’exige, que tout ce qui aura été décidé par les états soit communiqué aux autres provinces qui n’auront point eu de représentants dans cette assemblée. Nos sujets apprécieront, sans
doute, le choix que nous avons fait, pour cette réunion, de la ville de
Constantin. Aucun autre lieu n’offre un aspect plus riant et des abords plus
faciles. On ne rencontre dans aucune autre ville un commerce plus florissant
; nulle part on ne trouve à vendre, à acheter à échanger plus commodément les
productions de toutes les contrées de la terre ; ce n’est que là où la nature
favorable fait parvenir à la maturité ces fruits rares et variés qui
ordinairement, n’arrivent à leur perfection que sous le climat particulier
dont ils sont originaires : on les voit naître et croître avec succès
dans les environs d’Arles ; on y trouve à la fois les trésors de l’Orient,
les parfums de l’Arabie, les plantes délicates de Nous espérons donc que les Gaules
nous sauront quelque gré d’avoir choisi, pour rassembler leurs états, une
ville où l’on peut également se rendre avec facilité en barque ou en voiture,
par terre ou par eau Notre préfet du prétoire, déterminé par ces
considérations, avait déjà pris une décision pareille à la nôtre ; mais son
mandement à cet égard est demeure ; sans effet, soit par la négligence des
citoyens, soit par l’indifférence des usurpateurs pour tout ce qui concernait
le bien public. Aujourd’hui nous vous ordonnons de nouveau d’obéir au décret
suivant. Notre volonté est, qu’en exécution du présent édit, et conformément
aux anciens usages, vous et vos successeurs, vous fassiez tenir chaque année,
dans la ville d’Arles, une assemblée composée des magistrats, des autres
officiers, et des députés nommés par les propriétaires des chacune des sept
provinces, laquelle assemblée commencera ses séances le treizième du moi
d’août, et les continuera sans interruption à moins d’impossibilité, jusqu’au
treizième du mois de septembre. Nous voulons encore que nos officiers qui
administrent la justice dans Nous croyons, par cette ordonnance, rendre un bon office à tous nos sujets, et, en même temps à la ville d’Arles un témoignage authentique de reconnaissance pour son attachement constant à nos intérêts : son dévouement nous est suffisamment connu par les rapports favorables du patrice Constance, que nous regardons comme notre père. Enfin, nous ordonnons qu’on fasse payer une amende de cinq livres d’or pesant aux juges qui auront manqué de se rendre à l’assemblée d’Arles, et une amende de trois livres d’or aux notables et officiers municipaux coupables de la même négligence. Donné le dix-septième avril, l’année du douzième consulat de l’empereur Honorius, et du huitième de l’empereur Théodose. Publié dans Arles le 23ème mai de la même année 418. On voit, par cet acte très remarquable, que de tout temps,
L’édit d’Honorius, dicté par la vanité puérile d’une cour corrompue, nous montre encore les vains efforts de l’autorité impériale pour déguiser sa honte, pour dissimuler le démembrement de l’empire, la perte ou l’indépendance de dix provinces et pour cacher enfin les véritables motifs de la convocation et de la translation des états. Des ministres courtisans, un conseil esclave, aimaient mieux décrire poétiquement les beautés d’Arles, que d’avouer les malheurs de Trèves. D’autres causes prolongeaient alors l’erreur qui nourrissait l’orgueil de la cour de Ravenne et du sénat, romain. Le long prestige des grandeurs de Rome durait encore, et les peuples mêmes qui renversaient sa puissance semblaient respecter son ombre. Les Alaric, les Ataulphe, les Wallia, les Gondebaud et les princes, des Francs, en combattant les empereurs, s’honoraient des titres de maîtres de la milice, de lieutenants des Césars, de commandants de leur garde ; ils sollicitent la dignité de patrice : et, au moment où ils s’emparaient du tiers des terres romaines, ils se disaient encore hôtes des Romains. C’est ainsi que les derniers Césars, bercés au moment de leur chute par de vaines chimères et trompés par la flatterie, qui n’abandonne les monarques qu’au bord de la tombe, se regardaient toujours comme rois des rois, et croyaient commander aux guerriers barbares qui les détrônaient. Honorius accompagna son édit d’une amnistie générale ;
mais ces mesures tardives, qui tranquillisèrent Le nom des empereurs continua toujours à paraître dans les
lois et sur les monnaies, mais la puissance réelle de ces princes ne fut plus
exercées que partiellement, par intervalles, et en y éprouvant, sans cesse la
plus active résistance. Ce fut à cette époque, de 418 à 420, que la mort
enleva un héros à l’empire, un défenseur à Honorius, jaloux de tout mérite, ennemi de toute vertu persécuta sa propre sœur Placidie, veuve et de Constance ; elle chercha un asile dans l’Orient. En 423, Honorius cessa de régner, ou plutôt de vivre. Placidie et son fils Valentinien, soutenus par les troupes du jeune Théodose, revinrent en Italie triomphèrent d’un usurpateur nommé Joannès, et reçurent, par le consentement du sénat, la puissance suprême. Ainsi, sous le nom de Théodose et de Valentinien, Pulchérie et Placidie occupèrent les trônes d’Orient et d’Occident, et le monde romain se trouva gouverné par deux femmes. Les intrigues de la cour de Ravenne replongèrent l’empire dans de nouveaux malheurs. Boniface et Aëtius, généraux de Placidie, s’armèrent l’un contre l’autre. Boniface trompé devint rebelle ; trahi par la fortune et vaincu, il appela d’Espagne en Afrique les Vandales, qui envahirent, ravagèrent et enlevèrent à Rome cette riche et populeuse contrée. Aëtius, exilé par l’impératrice, chercha chez les Huns un asile, des secours ; reparut en armes dans l’Italie, perdit une bataille, et tua son rival. Pendant ces discordes civiles, le désordre s’accrut dans
tout l’empire. Les Visigoths attaquèrent Dans cet extrême péril, Placidie sentit que le génie d’Aëtius lui serait plus utile que son ambition ne lui avait paru redoutable ; elle le rappela, lui rendit sa confiance, le combla d’honneurs, le nomma patrice, duc des Romains et par-là, peut-être, sauva la civilisation européenne, qui aurait péri sous la hache dévastatrice des Huns. Ainsi, par un sort bizarre, ce fut le courage d’un Scythe, ce fut le bras d’Aëtius, qui, seul, opposa une digue à ce torrent. Raffermissant le trône qu’il avait ébranlé, ce grand capitaine ramena dans les Gaules la fortune et la victoire ; il vainquit les Visigoths, leur fit lever le siège d’Arles, et les repoussa dans leurs frontières. Après avoir délivré Le flambeau de l’histoire, presque éteint au milieu des débris de l’empire romain tombant en ruines, ne nous a point laissé de lumières pour suivre ce guerrier dans ses combats, qui répandirent un dernier éclat sur les armes romaines. Les détails de l’invasion des Francs, de leurs progrès et
de leur établissement dans les Gaules, ne nous sont connus que par quelques
passages tronqués, échappés à ce temps de ténèbres. On sait seulement que
dans l’année 420, une tribu de Francs passa le Rhin sous la conduite d’un roi
nommé par les uns Théodemir, par les autres Pharamond. En 426 Clodion, successeur
et peut-être fils de Pharamond, régnait sûr les Francs alors établis en
Toxandrie. Dispargum, aujourd’hui Duisbourg, près de Tongres, était le lieu
de sa résidence, et ce fut dans ce temps où Placidie devint maîtresse de
l’empire, que Clodion, à la tête des Francs, envahit le nord de Ce qui est certain, c’est que les Francs, alliés de Rome
en 406, et qui s’opposèrent alors à l’invasion de Les victoires d’Aëtius donnèrent à Les seules cités réellement soumises alors aux empereurs,
étaient celles de Lorsqu’il eut plutôt comprimé que terminé cette rébellion, il revint à Rome, et pendant, son absence, Celsus son lieutenant, quittant les Armoriques, livra une bataille près de Toulouse aux Visigoths, qui le défirent complètement. Cette défaite contraignit Aëtius de quitter l’Italie et de rentrer dans les Gaules. La fortune, fidèle à ses armes, le seconda ; il répara l’échec de son lieutenant, repoussa les Visigoths, et conclu avec eux une paix honorable ; il s’efforça ensuite de nouveau, mais sans succès, de soumettre les Armoriques ; et l’éloquence de saint Germain, évêque d’Auxerre appuya vainement ses armes. Peu d’années après, les Francs, sortent de la forêt
Charbonnière, et s’emparent de Tournai et de Cambrai. Jusqu’alors, cette
partie de Aëtius, dont l’infatigable activité, veillant partout au
salut de l’empire, triomphait tour à tour des Vandales en Italie, des
Visigoths dans le Languedoc, des Allemands sur le Rhin et des Bourguignons
dans Le poète Sidonius, racontant cette victoire et s’adressant à Majorien, compagnon d’armes d’Aëtius, s’exprime ainsi : Les Francs, terribles, se montrent mûrs pour la guerre dès leurs plus tendre enfance ; en vain le nombre les accable. Jamais ils ne cèdent à la crainte ; la mort seule peut les abattre ; le péril les trouve inébranlables, et leur courage survit, pour ainsi dire, à leur âme. Tels sont les Francs qu’Aëtius força de fuir. Vos éloges ont dans ce revers même, honoré leur valeur. L’époque des deux différents combats livrés aux Francs par Aëtius, est sujet d’une vive contestation entre les historiens : il paraît que l’opinion la plus probable est celle du père Pétau, qui rapporte la première défaite de Clodion en 420 ; et la seconde en 445. Au reste, quoiqu’en aient dit ceux qui veulent que les Francs n’aient point eu d’établissements dans les Gaules avant Clovis, un grand nombre de faits prouvent que Clodion, chassé, revint dans le Tournaisis ; et que ses successeurs y régnèrent. Le tombeau de Childéric, trouvé depuis à Tournai, réfute à cet égard toute objection. Il paraît qu’au temps de cette dernière expédition les différentes tribus des Francs s’étaient réunies sous les ordres de Clodion, et que Cologne devint la résidence des princes ripuaires, comme Tournai celle des rois saliens. Jamais, peut-être, aucun pays ne se vit en proie à plus de malheurs que n’en éprouvaient alors les Gaules ; elles avaient peut-être plus encore à redouter leurs défenseurs que leurs ennemis, et le sceptre impérial pesait plus sur elles que le glaive des barbares. Ces besoins d’une guerre perpétuelle rendaient le fisc insatiable, la confusion de ce temps de troubles voilait, protégeait tous les abus ; enfin, comme on ne voyait plus de Romains dans les légions romaines, les Gaulois opprimés se trouvaient livrés à la licence grossière des Huns, des Alains, des Hérules, des Goths et d’autres aventuriers qui composaient alors l’armée impériale. Les Visigoths au contraire, les Bourguignons et les Francs, libres, égaux entre eux, ennemis du luxe, rendaient leur joug léger pour les peuples conquis, et, si l’on en croit Orose, tous les Gaulois encore soumis à Rome, hâtaient par leurs vœux le moment de la conquête. Écoutons, dans leur détresse, le langage et les plaintes de ces Gaulois infortunés. Le peuple, disait Salvien, est traité si durement, qu’il n’aspire qu’à secouer le joug ; son poids seul l’empêche encore de le rejeter ; et comment des Gaulois pourraient-ils former d’autre vœu que celui d’être délivrés d’une chaîne si insupportable ? Écrasés par les impôts, on les menace de la servitude quand ils ne paient pas des subsides hors de toutes proportions avec leurs fortunes. Ils fuient leurs maisons pour échapper à la torture et s’exilent pour se soustraire aux supplices ; ils ont moins à craindre les soldats de l’étranger que les agents de l’empereur, et persécutés par leurs magistrats, ils ne trouvent d’asile entre eux que chez les barbares. Ces vexations seraient, au moins plus tolérables, si elles étaient générales, et si elles pesaient également sur tous ; mais l’inégalité aggrave l’injustice ; les exacteurs ne font porter le fardeau des tributs que sur les pauvres ; l’infortuné paie à la fois pour lui et pour le riche privilégié. Ainsi, on souffre en même temps de sa propre misère et de l’opulence d’autrui ; le peuple est condamné à vivre dans l’indigence, et à payer l’impôt comme s’il était riche. Cependant les sénateurs, tranquilles dans leurs palais se font indemniser par la cour, tandis que leurs arrêts forcent les plébéiens à payer les impositions sans retard et sans dégrèvement. Une pareille oppression est inconnue aux autres nations ; on n’en trouve point de traces parmi les Vandales, les Francs et les Huns. Les Gaulois romains qui habitent leurs états, ne sont pas traités avec moins de justice, que leurs propres concitoyens, et comment Rome pourrait-elle encore s’étonner du rapide progrès de la puissance des Goths ? Tous les peuples souhaitent leur domination. Oui, je l’atteste, si tous les Gaulois, si tous, les Romains, pouvaient, au gré de leur désir, transplanter à la fois leurs biens, leurs meubles, leurs familles chez les barbares, ils n’hésiteraient pas ; on les verrait en foule fuir la tyrannie, et chercher ailleurs la liberté. Ce cri de l’oppression, ces exclamations de la douleur
justifient suffisamment l’insurrection des Armoriques. Toutes les cités des
provinces celtiques, redevenues indépendantes et véritablement gauloises, se
défendaient alors avec une égale vaillance contre la tyrannie romaine, et
contre les invasions des Goths et des Francs. Leurs courageuses milices
repoussaient tour à tour et les officiers concussionnaires de l’empereur et
les hordes dévastatrices des Saxons qui, traversant l’océan et remontant Egidius Afranius, général gaulois, qui depuis défendit
glorieusement l’indépendance des Armoriques, vint alors les attaquer par les
ordres d’Aëtius ; il assiégea Chinon, ainsi Ce fut au moment où le sort la réduisait à un état si déplorable que, dans l’année 449, le terrible Attila se précipita sur elle à la tête de trois cent mille combattants, tirés de toutes les nations, tartares, scythiques, sarmates, scandinaves et germaines, qu’il traînait à sa suite. Ce conquérant sauvage fit longtemps trembler par ses menaces le jeune empereur d’Orient, Théodose, qui ne suspendit sa fureur qu’en lui montrant la honteuse soumission d’un vassal. Après la mort de ce jeune prince, Pulchérie, plaça sur le
trône un guerrier digne de l’occuper, puisqu’il sut le défendre. Martian,
ranimant le courage de ses sujets par son exemple et rétablissant la
discipline par sa fermeté ; opposa tout à coup au roi des Huns tout l’Orient,
en armes. Le fier Attila recula devant lui et tourna ses fureurs contre
l’Occident : il y était appelé par les sollicitations du roi des Vandales, et
tout semblait offrir à ses armes, dans Clodion venait alors de terminer sa vie, deux princes Francs se disputaient son trône. L’un d’eux courut implorer l’appui du roi des Huns, l’autre, nommé Mérovée sollicita la protection des Romains. Attila s’avança vers le Rhin : à son approche le désordre
qui fondait son espérance cessa ; les querelles se suspendirent ; les
intérêts opposés se rapprochèrent : Romains, Gaulois, Visigoths,
Bourguignons, tous se réunirent pour s’opposer à ce monstre sanguinaire, à ce
conquérant féroce, à ce fléau de Dieu, qui n’attachait de gloire qu’à la
destruction ; et qui voulait,
disait-il, que jamais moisson ne repoussât dans
les lieux où son cheval aurait passé. Cette guerre était celle de
la barbarie contre la civilisation. Attila, vainqueur, aurait plongé l’Europe
dans l’état sauvage où vivent encore les peuples du Tibet en Asie, ou ceux
qui parcourent les tristes déserts de l’Afrique : heureusement ce torrent
s’arrêta dans Ce fut dans l’année 451 que les Huns franchirent le Rhin. La politique astucieuse d’Attila avait retardé la réunion des Romains et des Visigoths ; d’abord il ne rencontra pas d’obstacles : Metz, après une faible défense, fut saccagée, et l’armée barbare, composée, selon Sidonius, de Huns, de Ruges, de Gélons, de Gépides, de Bastarnes, de Thuringiens, et même de quelques Bourguignons et de quelques Bructères forcés de la suivre, arriva sans combattre aux portes d’Orléans. La terreur précédait Attila ; la ruine de plusieurs villes qu’il avait détruites pour les punir de leur résistance épouvantait les autres ; elles lui ouvraient leurs portes ; les femmes, les vieillards, les enfants espéraient éviter la mort en se précipitant dans la servitude, et la jeunesse gauloise indignée, cherchait dans les camps un asile que ne lui offraient plus des remparts qu’on ne lui permettait pas de défendre. Cependant, avant qu’Aëtius, Théodoric et Mérovée se
fussent réunis, le courage d’un pontife et la fermeté d’une femme arrêtèrent
la marche du conquérant sauvage ; Geneviève, que ses vertus firent placer au
nombre des saintes, jouissait sur les rives de D’abord la multitude effrayée avait voulu forcer les braves à se rendre ou à fuir ; mais l’évêque Aignan, monté en chaire, parle au nom de la patrie et du ciel, triomphe de la peur par les armes de la religion, annonce des secours, promet des miracles et ordonne le combat. A sa voix les guerriers courent aux armes et pour la première fois les efforts puissants d’Attila se brisent contre les murs d’un ennemi. Cependant les Huns renouvelaient leurs assauts ; Orléans
semblait près de succomber sous la foule des barbares qui l’assiégeaient ;
déjà les mobiles Gaulois découragés doutaient des promesses de leur pontife
lorsque, du haut des remparts, ils voient briller dans la plaine une forêt de
lances. Le patrice romain, le roi des Visigoths, et celui des Francs
s’avancent, Attila surpris abandonne sa proie, lève le siège et se retire
dans le dessein de se joindre à la partie de son armée qu’il avait laissée
derrière lui. L’armée confédérée le poursuit vivement, et l’atteint enfin
dans les plaines de Châlons, dans ces champs catalauniques, où sa défaite
jeta sur L’historien des Goths, Jornandès, nous a transmis quelques détails sur cette célèbre bataille. Un vaste plateau qui, des deux côtés, s’abaissait en talus sur la plaine, séparait les deux armées ; l’occupation de ce poste avantageux fut l’objet de leurs premiers combats ; elles se le disputèrent avec acharnement. Le roi des Visigoths commandait la droite des confédérés ; Aëtius la gauche ; un corps d’Alain formait le centre ; les Francs combattaient en avant de la ligne. Après un choc long et sanglants Attila est repoussé, et les deux armées se préparent à une action décisive : Attila range sa troupe en bataille, irrité d’un premier échec, il harangue avec force ses troupes ; son regard brûle ; sa voix tonne : Eh ! quoi soldats, dit-il, après tant de victoires, le courage vous abandonne. Quels sont donc ces ennemis qui vous arrêtent et qui vous effraient ? Ce sont des guerriers, amollis, énervés, à demi vaincus, dès qu’on les force de sortir des murailles qui les rassurent : voyez avec quel effroi ils se hasardent en rase campagne ; regardez avec quelle crainte active ils creusent des fossés pour s’y cacher, au défaut de remparts ; la pusillanimité des Romains dégénérés vous est connue ; chargez les hardiment au milieu de leurs manœuvres dont notre audace méprise la science ; croyez-moi, la poussière de vos coursiers suffira seule pour mettre ces lâches en fuite : mais, que dis je ! au lieu de les combattre, il faut les mépriser. Attaquons des ennemis dignes de nous, chargeons les Visigoths, renversons les Alains, enfonçons les Francs : quand ces braves seront vaincus, les Romains disparaîtront ; leur force sera anéantie car, lorsqu’une fois les nerfs sont coupés, les membres ne peuvent plus agir. A la voix courroucée de ce chef terrible, tout frémit, tout s’agite ; les plus hardis espèrent la victoire, les autres se résignent à la mort. Le signal est donné, la mêlée commence ; la terre est inondée de sang : Théodoric tombe percé de coups ; sa mort, loin de décourager les Visigoths, les excité à la vengeance, et change leur vaillance en fureur. Thorismond, son fils, jure de le venger ; il se précipite sur les Huns, les tourne, les enfonce ; les Francs et toute l’armée d’Aëtius, profitant de ce désordre, portent l’épouvante et la mort dans les rangs désunis des barbares ; ils fuient en déroute ; la cavalerie gauloise les poursuit et en fait un horrible carnage : Attila cherche vainement à les rallier ; la peur brave ses menaces et méprise ses ordres ; enfin entraîné lui-même par la foule des fuyards ; il se réfugie dans son camp. L’impétueux Thorismond voulait l’attaquer encore, forcer les retranchements, et compléter sa défaite ; mais le prudent Aëtius l’en dissuada : il importait à sa politique d’Attila ne fût pas totalement détruit et que le jeune roi des Visigoths ne restât pas sans rival, et l’empire sans danger. Il fit craindre à Thorismond que, pendant son éloignement, quelques factieux ne lui disputassent le sceptre, et il lui persuada de retourner à Toulouse pour y prendre possession de sa couronne. Le lendemain Attila continua sa retraite. Aëtius et Mérovée le harcelèrent plus qu’ils ne le combattirent jusqu’aux rives du Rhin. L’année suivante[10] Attila tourna ses armes contre l’Italie. Les Alpes ne purent l’arrêter ; Aquilée seule résista, les autres villes lui ouvrirent un libre passage. Partout, le roi des Huns cherchait les Romains sans les rencontrer ; aucun soldat n’écoutait la voix d’Aëtius ; aucun obstacle ne séparait plus Rome des barbares ; l’empire allait tomber sous les coups d’un Tartare. Dans cette extrémité, Aëtius voulait que l’empereur Valentinien abandonnât la molle Italie et se réfugiât dans les Gaules, seul pays où l’empire comptait encore des bras et des courages. Enfin, tout espoir semblait perdu, lorsque ce vainqueur farouche, que l’univers nommait le fléau de Dieu, se laissa tout à coup désarmer par les prières et par l’aspect vénérable du pape saint Léon, qui sauva Rome comme Geneviève avait sauvé Paris. Ce torrent, qui dévastait tout, s’écoula aussi rapidement qu’il s’était formé et grossi. Le roi des Huns retourna dans ses états périt bientôt sous le poignard d’une femme captive, qu’il avait contrainte à l’épouser ; sa chute entraîna celle de son empire ; sa monarchie fut démembrée, et, depuis, ces Huns si redoutables, qui sous lui dominaient le monde, furent à peine comptés dans la foule des tribus barbares. Le jeune roi des Visigoths, Thorismond, joua peu de temps de sa gloire, il fut assassiné. Théodoric II, son frère, lui succéda[11] ; ce prince habile affermit son trône ; éclaira son peuple, le soumit au joug des lois, lui donna un code, étendit ses limites, inspira une juste crainte aux Romains, aux Bourguignons, et conquit même l’estime des Gaulois. Sidonius Apollinaris fit de ce monarque un portrait que le
temps nous a conservé. Le tableau qu’il trace de la cour de Théodoric donne
lieu de croire que dans ce temps les chefs de ces peuples ; vainqueurs de
Rome et méprisés par elle, ne méritaient plus le nom de barbares qu’on leur
donnait. Depuis longtemps, en effet, les princes bourguignons et francs ainsi
que ceux des Goths occupant les grandes dignités de l’empire, parlant la
langue romaine, correspondant
sans cesse avec les personnages les plus distingués de Le Gaulois, Avitus, né en Auvergne, qu’il illustra par ses exploits, avait instruit le jeune Théodoric dans les lettres grecques et latines. Depuis, l’affection de ce prince l’éleva pour son malheur au trône de Rome. Sidonius parle des talents et des vertus de Théodoric avec un enthousiasme qu’il est pourtant difficile de croire exempt d’exagération. Ce prince, dit-il, force l’envie même à l’admiration ; sa taille à est ordinaire et bien prise, sa tête ornée par une belle et longue chevelure ; ses sourcils sont épais et arqués ; ses yeux grands et ouverts ; leurs cils prolongés s’étendent jusque sur ses joues ; plusieurs nattes de cheveux couvrent ses oreilles ; son nez aquilin donne beaucoup de majesté à sa figure qu’embellissent des lèvres vermeilles, une bouche agréable et des dents d’ivoire. Théodoric, ajoute Sidonius, se lève tous les jours avec le soleil, assiste à la prière dans l’église arienne, et de là se rend à son tribunal. Un officier porte ses armes près de lui ; ses gardes armés de haches et couverts de fourrures, entrent à sa suite dans le prétoire, n’y restent que peu d’instants et se tiennent après dans une pièce éloignée. Le roi donne audience aux députés des communes et des nations. Les affaires sont promptement expédiées ; ses réponses sont courtes et claires. Après le conseil, il visite son trésor, se rend dans ses curies et part pour la chasse ; il n’y porte point d’armes : si un animal passe à sa portée, un de ses veneurs lui présente l’arc qu’il tend lui-même ; et rarement sa flèche, manque le but. Sa table est bien servie sans être somptueuse, sa vaisselle offre plus d’élégance que de richesse ; ses meubles, couverts de pourpre, brillent plus par la propreté que par la magnificence. En tout, dans ses repas, ce qu’on admire le plus c’est la gravité des discours du prince. Dans les grandes solennités, il est servi avec le goût des Grecs, la profusion des Gaulois, la ponctualité des Romains. Le grand nombre des convives vous rappelle que vous êtes à un festin, l’ordre qu’on y voit régner et le peu de bruit qu’on entend, vous font croire que vous assistez à un repas d’amis :, mais le respect seul vous fait sentir que vous êtes à la table d’un roi. La magnificence et le luxe sont réservés pour les jours de fêtes. Après le dîner et une courte méridienne ; Théodoric se livre quelques instants aux plaisirs du jeu : il l’aime vivement, mais, toujours maître de lui, il n’y montre jamais aucune émotion : cependant on dit que des courtisans habiles on dû de grandes fortunes à la bonne humeur où le mettait le gain. Il invite ses convives et ceux qui jouent avec lui, à une familiarité qui n’existe ordinairement qu’entre égaux. A trois heures Théodoric reprend de nouveau son travail ; un grand nombre de suppliants affluent dans son palais, et la foule ne s’éclaircit qu’à l’heure du souper : alors chacun, suivant l’usage se rend chez son patron, qui reste entouré de ses clients jusqu’au moment où il se couche. Le roi, pendant son souper, fait venir des musiciens, des mimes, des farceurs ; mais il ne leur permet ni airs lascifs ni paroles satiriques. Dès que le prince sort de sa table, il se rend au lit, et sa garde, prend autour du palais, les postes qu’elle doit occuper. Ces détails sont curieux ; ils peuvent, à défaut d’autres documents, nous donner une assez juste idée de la vie et des mœurs des rois de ce temps. Tout porte à croire qu’il existait peu de différence entre la cour de Clovis et celle de Théodoric. Tandis que les barbares se civilisaient peu à peu dans Ce crime annonça que Valentinien allait marcher sur les pas des tyrans : c’est une routes funeste où l’on ne peut s’arrêter. Ce prince, livré avec emportement à tous les vices, outrage la femme du sénateur Pétronius Maximus ; quelques jours après, le mari offensé fait périr l’empereur par une main inconnue. Les Romains proclament Maxime empereur : sa femme était morte, pour compléter, sa vengeance, il épouse la veuve de Valentinien ; mais, aussi indiscret que vindicatif, il avoué que c’est lui qui a fait périr l’empereur. Rome alors, nouvelle Argos, put croire que la famille des Atrides, revivait dans ses murs ; elle devint le théâtre des plus grands crimes, et des plus noires trahisons. La veuve de Valentinien jure une haine éternelle au meurtrier de son premier époux, elle appelle secrètement les Vandales en Italie ; ils accourent d’Afrique, la ville leur est livrée. Maximus perd la couronne et la vie ; Rome succombe sous les coups de Carthage ressuscitée : les richesses, amassées pendant douze siècles de conquêtes, sont la proie des Africains ; le peuple est massacré ; les patriciens tombent dans les fers ; l’époque de destruction, annoncée, disait-on, au bout de douze cents ans, par les douze vautours de Romulus, est accomplie ; et les Vandales, abandonnant la reine du monde, ruinée, déserte et déshonorée, retournent dans la ville d’Annibal, dont l’ombre irritée se console à la vue dépouilles romaines. Ce désastre du peuple-roi retentit au loin et détruit dans
tout l’univers le dernier prestige de sa grandeur. De tous côtés les barbares
agitent de nouveau leurs armes ; les Saxons descendent en Armorique ; les
Francs s’emparent de Trèves ; ils envahissent les deux Belgiques ; les
Visigoths menacent Avitus avait acquis une brillante renommée dans les camps
et dans les académies de Sa chute fût prompte, honteuse, et rendit ridicules les éloges pompeux que Sidonius Apollinaris, son gendre, lui prodiguait à cette tribune aux harangues qui, depuis longtemps, ne faisait plus entendre aux Romains que le langage de la servitude et les accents d’une basse flatterie. Les peuples, comme les hommes, conservent souvent leur
vanité après avoir perdu leur fortune, leur puissance, leur courage et leur
fierté. Rome, abaissée sous le glaive des barbares ; dominée par les
Visigoths, ruinée par les Vandales, s’irritait cependant encore de voir un
Gaulois assis sur le trône d’Auguste, Un général suève, Ricimer, commandait
alors les légions romaines ; il venait, à leur tète, de vaincre les Vandales
et de reconquérir sur eux Dans ce temps de honte pour Rome, les barbares disposaient de la pourpre impériale et la dédaignaient. Ricimer fit élire empereur, Majorien, ancien compagnon d’armes d’Aëtius. C’était alors le seul Romain dont l’épée eût brillé dans les combats et qui rappelât quelques souvenirs des vertus antiques. L’Italie applaudit à ce choix ; mais il irrita les Gaules, et Théodoric échauffa leur mécontentement. Le roi des Visigoths, qui venait de reconquérir une partie
de l’Espagne pour Rome, repassa les Pyrénées, et tourna ses armes contre Majorien, reconnu et soutenu par Léon, empereur d’Orient,
opposa autant d’activité que de courage aux nombreux ennemis qui, de toutes
parts, accablaient l’empire ; il battit les Vandales, les chassa de l’Italie,
et confia la défense de Les Visigoths redoutaient ses armes ; il avait contribué, par sa vaillance, aux défaites de Clodion, d’Attila ; et les Gaulois ne démentaient point alors les éloges poétiques de Sidonius, qui le comparait pour l’activité à Sylla, pour la prudence à Fabius, et pour les ruses à Camille : les évêques alors les plus révérés rendaient hommage à son caractère, et le disaient plus illustre encore par ses vertus que par ses talents. Egidius défendit la province romaine contre les Visigoths,
repoussa les Bourguignons, et contint les Francs. L’empereur vint le seconder
dans ses travaux ; et après, avoir pacifié momentanément Dès ce moment les Alpes devinrent les bornes de l’empire,
et Tandis que tout l’univers romain, s’affaissait sous les
coups des barbares, Egidius ne pouvant plus défendre des empereurs, esclaves
couronnés, qui ne savaient ni régner ni combattre, forma le noble dessein et
conçut l’espoir de sauver Childéric avait succédé dans l’année 457 au belliqueux
Mérovée. Il paraît qu’à cette époque Tournai était devenue la résidence des
rois saliens, et qu’une autre tribu de Francs possédait Cambrai. Egidius,
comte de Soissons et maître de la milice dans les Armoriques, trouva le vrai
moyen de s’attirer l’estime de ces Francs passionnés pour la gloire militaire
; il les vainquit. Childéric, au contraire, choquait leurs mœurs, en se
livrant à la mollesse, et en s’abandonnant aux vices, son peuple le déposa et
donna sa couronne au brave Egidius : ainsi cet illustre patrice, réunissant
sous son autorité les Francs et les Gaulois, dut alors espérer que On ne conçoit pas comment’ plusieurs’ auteurs graves ont
pu traiter de fable le règne d’Egidius sur les Francs ; la différence de
religion qu’ils allèguent ne s’opposait point à cette réunion de deux peuples
: récemment on avait vu Celsus, païen, commander les légions romaines ; et
l’on sait que Clovis, avant sa conversion, fut plutôt secondé que traversé par
les évêques de L’incrédulité ne peut pas plus ici s’appuyer sur l’éloignement des deux peuples ; les mêmes critiques n’admettent ce motif que pour soutenir leur système contraire à toute idée d’établissement des Francs dans les Gaules avant Clovis : mais tous les faits parlent contre eux ; les combats de Childéric au milieu des Armoriques et le tombeau de ce prince retrouvé à Tournai anéantissent toutes ces objections. Enfin l’élévation d’Egidius au trône des Francs paraît incontestablement démontrée par le récit de Grégoire de Tours, qui, né soixante-trois ans après la mort de Childéric, dut connaître dans sa jeunesse plusieurs contemporains de ce prince. Quant au titre de roi, un homme tel qu’Egidius l’honorait, plus qu’il n’en était honoré, et ce titre était depuis longtemps regardé comme inférieur à la dignité de patrice, puisqu’on avait vu un grand nombre de rois francs et visigoths occuper dans les camps et dans les palais impériaux des emplois et des charges moisis considérables. Ennodius, évêque de Pavie, contemporain d’Egidius, raconte que, sous les drapeaux de Théodoric, on comptait autant de rois que le district où se trouvait l’armée pouvait nourrir de soldats. Quoiqu’il en soit, Egidius, secondé par les Francs, repoussa glorieusement les Visigoths que Ricimer était parvenu à armer contre lui pour soutenir Sévère, fantôme d’empereur, couronné par ses ordres, et dont les Armoriques avaient refusé de reconnaître l’autorité. Egidius ne put régner que quatre années sur les Francs. Ce guerrier, trompé par ses habitudes ou par les conseils perfides d’un ami, secret de Childéric, voulut exiger de ses nouveaux peuples des tributs que refusa leur humeur indépendante ils rendirent la couronne à Childéric. Il paraît qu’Egidius, en cessant d’être roi des Francs,
resta leur ami, car depuis on le vit constamment secondé par Childéric dans
ses guerres contre les ennemis des Armoriques. Au reste, autour de lui tous
les débris de Egidius survécut peu de temps à ce dernier triomphe. Syagrius son fils hérita de son pouvoir, de sa fortune, de son ambition, et non de sa renommée. Dans ce même temps Ricimer, ensanglantant et déshonorant Rome à son gré, empoisonna Sévère, sa créature, et donna sa couronne, de concert avec l’empereur d’Orient, à un général romain nommé Anthême. Ce nouvel empereur crut s’affermir sur ce trône chancelant en prenant pour gendre Ricimer, dont l’ingratitude ne trompa que trop son espérance. Ce fut à la même époque que Théodoric, roi des Visigoths, mourut. Euric son frère, qui lui succéda, montra pour les ariens un zèle fanatique, et les persécutions qu’il fit éprouver aux catholiques disposèrent les peuples mécontents à la révolution qui, peu d’années après, fonda la domination des Francs dans les Gaules. Euric, aussi belliqueux, aussi ambitieux que ses prédécesseurs, voulait envahir les Armoriques et l’Auvergne. On voit par une lettre de Sidonius, alors devenu évêque de Clermont, à quel point les peuples redoutaient le joug de ce prince persécuteur. Sidonius, en s’adressant à l’un de ses parents, Avitus, qui jouissait d’une grande fortune et d’un grand crédit, lui parle en ces termes : Vos possessions en Auvergne devraient vous y attirer ; venez les voir, les connaître et les défendre : les Visigoths brûlent de s’en emparer. Cette province, ruinée par la guerre, désolée par les invasions, est cependant encore le but de leur ambition ; pour la posséder, pour l’opprimer, ils abandonneraient volontiers leur Septimanie. Puissent le secours du ciel et votre médiation protéger la république et désarmer les barbares ! Depuis longtemps, dépassant les limites des possessions que leur ont concédées les empereurs, leur audace envahit tout ; ils écrasent tout par leurs masses, l’influence de votre sagesse les engagera peut-être à la modération et Rome à la fermeté. L’empereur Anthême ne pouvait envoyer des Romains à la
défense de Les Francs seuls défendaient alors avec une apparente
sécurité Les Gaulois voyaient encore à leur tête, à cette époque,
un chef digne de les commander ; c’était le comte Paulus, maître de la
milice. Childéric seconda ses efforts. Tous deux battirent plusieurs fois les
Visigoths ; mais, peu de temps après, Paulus, marchant contre les Saxons qui
avaient remonté Pendant ce temps le trône des Césars en Italie livré aux barbares, aux factions et au mépris, était successivement occupé par une foule d’ombres impériales qui ne faisaient que paraître et disparaître sur cette scène autrefois si majestueuse. Ricimer enleva à son beau-père Anthême la couronne et la vie ; il lui donna pour successeur Olybrius qui mourut la même année. Ricimer lui-même descendit au tombeau peu de jours après. Ce fut alors que les Bourguignons, pour la première fois, tentèrent de disposer d’un trône, dont les barbares se disputaient les débris[12]. Gondebaud, leur roi, avait été nommé patrice et gouverneur des Gaules par Olybrius ; il donna la pourpre à Glycérius ; mais ce fantôme d’empereur fut bientôt forcé d’abdiquer et de se sauver en Dalmatie. Le sénat romain, obéissant aux ordres de Zénon qui
gouvernait alors l’Orient, décora du titre d’Auguste Julius Nepos. Tandis que la puissance romaine expirait, celle des
Visigoths prenait un accroissement rapide. Euric s’était rendu maître de
toute l’Espagne ; il ravagea le Portugal et s’empara ensuite, dans L’Auvergne, froissée entre ces deux peuples, leur opposait un honorable mais inutile courage. Telle est, disait Sidonius, notre déplorable situation ; deux nations barbares nous pressent, nous entourent et nous regardent comme une barrière importune qu’elles s’efforcent à l’envie de renverser. Nous serons infailliblement la proie de l’une d’elles. Notre résistance irrite les Visigoths ; les Bourguignons se fient peu à notre alliance ; ils nous défendent, mais nous les redoutons autant que les Visigoths qui nous attaquent. L’événement justifia bientôt les craintes et les
prédictions de Sidonius. En 475, Nepos céda l’Auvergne aux Visigoths ainsi
que le reste de Saint Épiphane, chargé par Nepos de cette triste
négociation, porta dans Bordeaux, au pied du trôna d’un roi barbare, non les
ordres, non les demandes, mais les supplications de l’empereur romain. Julius Nepos Auguste, lui dit-il, que Dieu a placé sur le trône de Rome, vous propose une
paix qui terminera nos dissensions et rétablira la concorde entre — Les traits de l’éloquence romaine, répondit Euric sans doute ironiquement, ont atteint mon cœur, malgré le bouclier que je porte et la cuirasse qui me couvre ; j’accepte la paix ; je signe le traité ; je ne veux que la parole de Nepos et je le dispense de tout serment. Plusieurs évêques avaient secondé les démarches d’Épiphane dans le dessein de soustraire leur diocèse à la fureur des Visigoths. Les pontifes inspiraient seuls alors quelque respect aux barbares ; les Gaulois abandonnés ne trouvaient plus d’appui qu’en eux : ainsi la lâcheté des gouvernements, la mollesse des peuples et le courage des évêques fondèrent dans l’Europe la puissance temporelle du clergé. Cependant, si toute trace de l’énergie romaine avait
disparu dans l’Italie, On croit encore entendre le cri de l’indignation des
Gaulois, en écoutant cette exclamation de Sidonius : Enfin Rome avilie achète un honteux repos aux dépens de la
liberté gauloise ! Les Arverniens, descendus de Troie comme les Romains,
sont condamnés à l’esclavage ! Le bouclier de Nepos reçut bientôt le prix de sa pusillanimité. Un barbare, le patrice Oreste, le déposa, et fit proclamer empereur son propre fils Augustule. Le sénat décora le dernier des Césars des noms d’Auguste et de Romulus, comme si le destin eût voulu parer cette victime, et sacrifier avec elle au ressentiment du monde, si longtemps opprimé, les deux ombres illustres des deux fondateurs de Rome et de l’empire. L’apparition d’Augustule[13] fut courte. Un Hérule, Odoacre, rassemble tous les barbares, leur partage les terres des Romains, attaque Oreste, le défait, le tue, et commande à son fils d’abdiquer : ainsi tomba l’empire d’Occident. Zénon refusa d’abord, par orgueil, de reconnaître la nouvelle autorité d’Odoacre, mais bientôt il y consentit par crainte. Les Ostrogoths attaquaient et dévastaient alors l’empire d’Orient ; un célèbre guerrier, Théodoric, leur roi, force le faible Zénon de se soumettre à son pouvoir et de lui confier le commandement de ses arillées vaincues. Théodoric, dédaignant de détrôner Zénon et de régner à Byzance, tourna ses armes contre l’Occident, franchit les Alpes, combattit Odoacre, le défit, et fonda en Italie le royaume des Ostrogoths. Au bruit de la chute de Rome, les Gaulois découragés
laissèrent tomber leurs armes ; et probablement les fiers enfants de Avant que ce nouveau conquérant parût, Euric jouit quelque
temps, de sa prépondérance ; sa cour ressemblait alors à celle des
anciens maîtres du monde, Sidonius peint sous de vives couleurs la joie que
la chute de l’empire d’Occident y fit éclater : On la voit, dit-il, briller dans les regards des vieux Sicambres captifs qui
laissent recroître leurs longs cheveux ; le Bourguignon colossal redoute la
guerre, il sollicite timidement la protection du roi des Visigoths ; les
fiers Hérules fléchissent le genou devant le trône d’Euric : enfin on
voit une foule de Ainsi tout, le monde romain pliait sous le joug des Goths
; l’Auvergne s’était soumise la dernière à leur pouvoir les Armoriques seules
gardaient leurs armes, et combattaient encore pour leur indépendance. Euric,
en 477, leur accorda une paix honorable, conquise par leur courage ; mais un
nouvel ennemi les menaça bientôt. Un corps nombreux d’Allemands favorisés
probablement par les Bourguignons, pénétra dans Clovis, son fils, âgé de quinze ans, lui succéda. A cette
époque Tel était l’état des Gaules, lorsque Clovis, donnant
l’essor à son génie, franchit La soumission des Armoriques et les triomphes de Clovis
terminent l’histoire de FIN DE L’HISTOIRE DES GAULES |
[1] Quatre cent huit ans après Jésus-Christ.
[2] Quatre cent huit ans après Jésus-Christ.
[3] Quatre cent onze ans après Jésus-Christ.
[4] Quatre cent onze ans après Jésus-Christ.
[5] Quatre cent treize ans après Jésus-Christ.
[6] Quatre cent quinze ans après Jésus-Christ.
[7] Quatre cent quinze ans après Jésus-Christ.
[8] Quatre cent seize ans après Jésus-Christ.
[9] Quatre cent dix-huit ans après Jésus-Christ.
[10] Quatre cent cinquante-deux ans après Jésus-Christ.
[11] Quatre cent cinquante-trois ans après Jésus-Christ.
[12] Quatre cent soixante-quatorze ans après Jésus-Christ.
[13] Quatre cent soixante-seize ans après Jésus-Christ.
[14] Quatre cent quatre-vingt-six ans après Jésus-Christ.
[15] Avitus et Egidius.