HISTOIRE DES GAULES

 

CHAPITRE CINQUIÈME

 

 

LES victoires de Constantin sur les Francs et sur les Allemands avaient épouvanté ces tribus guerrières ; elles n’osèrent depuis reprendre les armes qu’une seule fois. Crispus César[1], fils aîné de Constantin, les défit et les chassa de la Gaule. Ce jeune prince jouit peu de sa gloire ; nouvel Hyppolite, il périt victime des calomnies de sa belle-mère et de la funeste crédulité de son père.

Les enfants de Constantin se partagèrent son immense héritage. Constant, l’un d’eux, après avoir vaincu Constantin le jeune, son frère, devint maître de tout l’Occident. Mais un usurpateur né gaulois[2], Magnence, souleva les troupes, se fit proclamer empereur à Autun et poursuivit son rival près des Pyrénées, le fit périr, et fut reconnu par l’Italie, l’Afrique, l’Espagne et la Gaule. Il s’associa son frère Décence, et à la tête d’une immense armée de Gaulois, de Francs et de Saxons, il marcha contre Constance, empereur d’Orient, et le seul enfant de Constantin qui eût encore conservé la vie et le trône. Julien, en parlant de la marche de Magnence, dit, que la Gaule tout entière semblait rassemblée dans son camp, et que cette innombrable foule de guerriers s’avançait pareille à la foudre lancée du haut des Alpes.

Constance accourut d’Asie[3] avec ses légions pour opposer une digue à ce torrent : les champs de Murse et les rives de la Drave furent le théâtre sanglant de la bataille que se livrèrent les deux armées. Tandis que le faible Constance, fuyant le péril, attendait dans une église, l’issue du combat, ses généraux tournèrent et vainquirent Magnence[4]. Cet usurpateur, battu une seconde fois près des Alpes, fut poursuivi dans la Gaule et se donna la mort à Lyon, après avoir poignardé sa mère et l’un de ses frères. L’autre, nommé Décence, imita sa fureur, et s’étrangla près de Sens ; ainsi l’heureux Constance réunit sous son sceptre toutes les parties de l’empire.

Mais pendant le cours de cette guerre civile, le Rhin, laissé sans défense, n’opposa plus de barrières à l’avidité des Germains ; ils envahirent et dévastèrent la Gaule. Les Francs surtout inondèrent et pillèrent, avec impunité, cette malheureuse contrée. Plusieurs de leurs chefs, élevés aux premières dignités de la cour impériale, protégeaient ces désordres. L’un d’eux, nommé  Sylvain[5], d’abord favorisé et ensuite menacé par Constance, se fit proclamer empereur, et se revêtît dans Paris de la pourpre romaine. Constance, qui n’aurait osé le combattre, le fit assassiner.

Les Francs, répandus dans toutes les provinces, s’emparèrent d’un grand nombre de forts, afin de trouver un asile, si la fortune leur devenait contraire. Cologne même tomba en leur pouvoir. La Gaule était livrée sans défense à l’avidité de tous les peuples de la Germanie ; sa ruine semblait certaine, un grand homme parut et la sauva.

Julien, neveu de Constance, appelé au trône par sa naissance, et destiné à la mort par la jalousie de son oncle, dut son salut au danger public. L’empereur effrayé suspendit sa haine, et confia le commandement des Gaules au jeune César. La victoire y reparut avec lui. Étranger à son siècle, il se montrait passionné pour la philosophie, pour la liberté, pour la gloire, pour le culte de l’antique Rome ; le capitole tressaillit en voyant un nouveau Scipion, l’Allemagne un nouveau Germanicus, et la Gaule un nouveau César.

Tout semblait se réunir pour rendre les succès Julien impossibles. Quarante-cinq forteresses, qui défendaient autrefois le Rhin, venaient de tomber au pouvoir des barbares ; la plupart des légions romaines restaient dans l’Orient, et soutenaient péniblement la guerre contre les Perses ; d’autres défendaient le Danube contre la fureur des Goths, des Quades et des Marcomans. Les cités de la Gaule, amollies par le luxe, ruinées par l’avidité des agents de Constance, épuisées d’hommes, et épouvantées par les invasions des Allemands et des Francs, rendaient les nouvelles levées lentes et difficiles. Enfin le jeune César, au moment de combattre des ennemis formidables par leur nombre et par leur vaillance, en laissait encore derrière lui de plus dangereux.

La cour de Constance, loin de désirer ses triomphes, travaillait à sa perte ; préfets du prétoire, questeurs chargés des finances, agents subalternes, tous conspiraient contre le défenseur de la Gaule, et redoutaient moins la  présence des ennemis dans l’empire, que celle de la philosophie sur le trône.

Julien surmonta tous ces obstacles ; il sut à la fois inspirer aux peuples l’amour et le respect, aux soldats le courage, aux délateurs, aux courtisans, aux concussionnaires et aux ennemis une crainte salutaire. Son génie suppléa à la faiblesse de ses moyens ; son activité et sa célérité semblèrent multiplier ses troupes.

Après avoir chassé des provinces les tribus germaines[6] qui s’occupaient à les piller, et qui ne s’attendaient plus à combattre, il rétablit l’ordre dans l’administration, car le succès donne le droit de se faire obéir[7]. Bientôt les Germains revinrent en foule l’attaquer ; ils le surprirent et l’enfermèrent dans la ville de Sens. Julien, au lieu de se borner à la défense, qui finit toujours par la reddition des places, sortit impétueusement de ses remparts, et remporta sur les barbares une victoire complète.

Profitant de ce succès, il courut en Alsace, dans le dessein de reprendre Strasbourg, tombé au pouvoir des ennemis. Là  il eut à combattre une ligue de sept rois allemands réunis pour tenter un dernier effort contre la fortune romaine. La bataille fut longtemps disputée, la cavalerie batave, qui couvrait la droite des Romains, plia cette aile, malgré les efforts de Julien, fut mise en déroute ; alors toute l’armée allemande, se croyant, sûre de la victoire, tomba en masse sur le centre des légions ; mais ses attaques redoublées ne purent l’entamer. Cette résistance, retardant la défaite sans donner encore l’espérance de la victoire, Julien la décida en chargeant les barbares à la tête de sa réserve. Les ennemis, fatigués de tant d’assauts, cédèrent à cette dernière attaque, bientôt leur retraite devint une déroute ; les rois prirent la fuite, une partie de leurs troupes fut taillée en pièces, l’autre se noya dans le Rhin.

Chnodomare, chef de la ligue  poursuivi et atteint, perdit à la fois la victoire et la liberté. Amené devant Julien, au lieu de montrer la fierté qui relève le malheur, il se prosterna aux pieds de son vainqueur, et lui demanda lâchement la vie. Julien, respectant son rang et méprisant son caractère, épargna ses jours, et l’envoya en présent à Constance, qui peut-être eût mieux aimé voir dans ses fers le vainqueur que le vaincu.

Le jeune César reprit toutes les forteresses du Rhin, et poursuivit les Allemands au-delà de ce fleuve ; mais apprenant qu’ils s’étaient retranchés derrière de nombreux abatis dans leurs forets profondes, il se contenta de les avoir épouvantés, et revint dans la Gaule., il combattit de nouveau une tribu de Francs[8], qui avaient profité de son absence pour tenter une invasion ; la fortune lui fut encore fidèle ; après une longue et sanglante mêlée, ces Francs, vaincus et enveloppés, rendirent les armes. Leur vaillance opiniâtre était depuis longtemps si connue, que Julien lui-même regarda son succès comme un prodige, car jusque-là on avait toujours vu ce peuple belliqueux préférer la mort à la captivité.

Lorsque ces Francs captifs furent envoyés en Italie, leur taille colossale étonna la cour de Constance. Libanius, dans son récit, compare ces gigantesques guerriers à de hautes tours placées au milieu des lignes romaines.

Julien, dans ce dernier combat, fut puissamment secondé par la valeur de ces mêmes Bataves que les champs de Strasbourg avaient vu fuir. Le jeune César les en avait punis, en leur faisant traverser le camp habillés en femme, et les Gaulois humiliés expièrent leur faiblesse par le courage qu’ils déployèrent contre les Francs.

Ce prince habile prouva dans cette circonstance à quel point il connaissait le caractère des Gaulois, dont l’honneur fut dans tous les siècles le plus puissant mobile. Le libérateur de la Gaule établit sa résidence à Paris. Ceux de ses ouvrages qui nous sont parvenus nous apprennent que Lutèce lui était chère ; il se complaît à en décrire la position, à vanter la douceur de sa température, la fertilité de son sol, la salubrité de ses eaux. Il habitait un palais bâtit sur le terrain qu’on nomme aujourd’hui la Cité. Lutèce était renfermée dans l’île qui porte ce nom : environnée de murailles, on y entrait des deux côtés par deux ponts défendus par des tours.

Le jeune César entreprit alors une guerre plus Réduit les périlleuse que celle qu’il venait de terminer avec tarit de succès ; il attaqua les agents du fisc, et voulut soulager la Gaule du poids des impôts dont elle était accablée. Le préfet du prétoire, Florentius, forcé de céder comme administrateur, se vengea comme délateur, il aigrit la défiance de l’empereur, monta sa haine par des calomnies ; et Constance, écoutant des avis perfides qui flattaient ses passions, rappela près de lui Salluste, le plus dévoué, le plus utile et le plus vertueux des ministres de Julien[9].

Ce jeune prince reprit encore les armes contre les Francs Chamaves ; il les vainquit, et, après les avoir effrayés par sa victoire, il les soumit par sa générosité. Le roi des Chamaves pleurait da périe de son fils, tombé en captivité au commencement de la guerre ; il le croyait mort : Julien l’offrit à ses regards, l’assura qu’il en avait pris soin comme s’il lui eût donné le jour, et le rendit à sa tendresse.

Tandis que ce prince inspirait à la Gaule un juste enthousiasme par ses exploits et par sa sagesse, les courtisans de Constance s’efforçaient d’atténuer ses triomphes et de ridiculiser son caractère ; ils lui donnaient en raillant le nom de Victorin, pour rappeler au souvenir de Constance le nom du guerrier gaulois qui, sous le règne de Gallien, avait usurpé l’empire.

Constance prodigua à son neveu autant de reproches qu’il méritait d’éloges, lui ordonna de rétablir les impôts supprimés, et exigea qu’il suivît en tout les conseils de Florentius.

Julien ne se laissa pas plus vaincre par la cour que par les Allemands ; il répondit : que l’empereur devait se trouver fort heureux que des provinces, qui s’étaient vues si longtemps la proie des barbares et des concussionnaires payassent si religieusement les taxes accoutumées ; la modération, disait-il, ranimera la confiance, et remplira le trésor ; la rigueur et l’injustice exciteront le désespoir et produiront l’indigence.

Ces remontrances l’emportèrent ;  les vexations cessèrent : Julien se chargea lui-même, sans frais, du recouvrement des impôts ; son humanité lui attira l’affection des peuples ; ils payèrent les tributs avec zèle, sans contrainte, et sans attendre de sommation. Le jeune César prouva ainsi au tyran de l’empire que l’amour des peuples est la plus solide base de la puissance et de la richesse des trônes.

Le génie peut seul triompher de toutes les erreurs, mais non de l’envie ; en l’éclairant, il l’enflamme : la Gaule heureuse, et Julien puissant, étaient deux tourments pour Constance. Au risque de perdre l’une des plus belles parties de l’empire, il résolut d’enlever aux Gaulois et à son neveu tous leurs moyens de défense ; en conséquence, sous prétexte de fortifier l’armée d’Asie, il donna l’ordre formel à Julien de lui envoyer les troupes qui composaient la force de son armée, c’est-à-dire : les Hérules, les Bataves, et deux légions gauloises renommées par leur vaillance.

Décentius, ministre de Constance fut chargé de porter et de faire exécuter ces ordres funestes. On lui adjoignit Lupicinius que Julien avait envoyé dans la Grande-Bretagne pour combattre les Pictes. Ce prince, voyant que sa perte était résolue, ne résista ni n’agit ; le refus d’obéir l’aurait constitué en rébellion, l’obéissance le livrait sans défense ainsi que la Gaule aux barbares : sa prudence habile confia sa destinée à l’affection des Gaulois, et ils ne trompèrent point son espérance.

Dès  que les légions furent informées de l’ordre qui les appelait au fond de l’Orient, elles s’indignèrent de se voir exilées de leur patrie, comme si leurs exploits eussent été des crimes : Nous allons donc, disaient-elles, dans un écrit  qui  circulait dans tous les rangs de l’armée, exposer à une nouvelle captivité nos pères,  nos femmes, nos enfants, dont le salut nous a coûté tant de sang. Ces murmures décidèrent les officiers de l’empereur à presser l’exécution des ordres dont ils étaient chargés.

Malgré les représentations de Julien, ils commandèrent aux différents corps de se rassembler à Paris. Les légions gauloises obéissent ; elles se mettent en marche, et leurs premiers pas ébranlent la Gaule.

Tout le peuple s’alarme, toutes les cités gémissent ; l’air retentit de plaintes et de cris. Chacun croit déjà voir les Francs et les Germains revenir altérés de vengeance et renouveler dans les provinces les désastres dont Julien venait à peine d’effacer les traces ; les vieillards désolés, les femmes éperdues arrêtent les soldats, les enfants embrassent leurs genoux ; tous les conjurent de ne point les abandonner à la fureur des barbares.

Les légions indignées traversent lentement cette foule gémissante qui borde leur route ; la discipline contient encore leur courroux, mais il se lit dans leurs regards.

Julien, vient les recevoir aux portes de la capitale ; après avoir rappelé leurs exploits et retracé leurs titres à la reconnaissance publique, soldats, leur dit-il, nous devons obéir et non délibérer ; vous allez combattre sous les yeux de l’empereur : là vos actions recevront un digne prix de votre vaillance et proportionné à la puissance du prince. Résignez-vous donc à un voyage dont le but est la gloire.

On écouta ces paroles en silence, et ce silence fut sans doute cette fois plus agréable à Julien que les vives acclamations qui répondaient ordinairement à ses harangues.

Jusque-là ce prince, par la circonspection de sa conduite, n’avait donné à ses ennemis aucun prétexte pour l’accuser. Mais alors, soit par affection, soit par un calcul que le succès seul pouvait justifier, il combla de présents les officiers, les principaux légionnaires, et rendit ainsi leur douleur plus vive et leur obéissance plus douteuse ; enfin, au lieu de hâter leur départ, on leur permit vingt-quatre heures de séjour ; ils les employèrent à se concerter ; et ce temps si court leur suffit pour opérer une révolution dans l’empire.

Au milieu de la nuit les soldats prennent les armes et entourent en tumulte le palais du prince, qu’on nomma depuis le palais des Thermes ; leurs cris redoublés proclament Julien Auguste, et demandent violemment sa présence.

Julien, si l’on en croit son récit, ignorait tous ces mouvements[10] ; réveillé en sursaut par ces acclamations séditieuses, il montre d’abord autant d’incertitude que de surprise, consulte Jupiter qu’il adorait alors en secret, et résiste quelque temps aux signes favorables qu’il croit lire dans les cieux. Son hésitation augmente l’ardeur des soldats rebelles, ils enfoncent enfin les portes du palais, y pénètrent le glaive à la main, et forcent le prince à les suivre dans le camp.

Là, de toutes parts, les Gaulois le pressent d’accepter la couronne. Julien, les yeux remplis de larmes feintes ou véritables, les conjure vainement de ne point souiller leurs victoires par une rébellion. J’espère, dit-il, vous satisfaire sans déchirer l’état par une guerre civile, et puisque vous ne voulez point consentir à vous éloigner de votre patrie, retournez dans vos quartiers. Fiez-vous à ma foi, vous ne franchirez pas les Alpes. Je prendrai votre défense près de l’empereur. Sa justice punirait votre révolte, sa bonté écoutera vos remontrances.

Ces paroles, au lieu de calmer les esprits, les embrasent ; l’amour se change en colère, les murmures en menaces. Julien cède ; on l’élève sur un pavois ; le collier d’un officier, noble prix du courage, lui sert de diadème, et le nouvel Auguste, vaincu et couronné, récompense la révolte dont il profite, en distribuant cinq pièces d’or et une livre d’argent à chaque soldat.

Si le nouvel Auguste avait montré une prudente hésitation avant de s’emparer du pouvoir suprême, il déploya pour s’y maintenir toute la force et l’activité de son caractère. Après avoir vainement cherché à obtenir de Constance son consentement au partage de l’empire, il réunit contre lui toutes les forces de la Gaule, et l’affection des peuples le seconda tellement que bientôt il se vit en état non seulement de se défendre, mais d’attaquer.

Constance, dans l’espoir d’occuper par une diversion ce rival redoutable, prit le parti honteux d’exciter les Allemands à tenter une nouvelle invasion dans les Gaules ; mais il ne retira de cette trahison que la honte qui flétrit la mémoire de tous ceux qui appellent dans leurs états les armes étrangères.

Julien vainquit encore les Allemands[11], et, marchant ensuite le long du Danube avec une célérité digne du nom de César qu’il portait, il arriva en Thrace, lorsque son ennemi le croyait encore dans les Gaules. Constance rassemblait alors près d’Antioche toutes les forces de l’Orient ; mais la mort qui le frappa termina heureusement la guerre civile et rendit sans combat l’heureux Julien maître paisible de tout l’empire.

Le règne de ce prince fut glorieux, mais court ; les humiliations, car on ne peut pas dire précisément la persécution, qu’il fit éprouver aux chrétiens, furent la seule tache de sa vie illustre. La passion de la gloire et le désir de réparer l’honneur des armes romaines le conduisirent au-delà de l’Euphrate. Il vainquit les Perses ; mais trop ardent à les poursuivre, il se vit, bientôt, comme Crassus et comme Antoine, environné d’une foule d’ennemis dans des plaines arides, et menacé par la famine d’une destruction totale ; il ne fit pas moins éclater de courage dans ses revers que dans ses triomphes ; la victoire illustra sa retraite ; dans un  dernier combat[12], blessé mortellement, ses derniers regards virent fuir les Perses ; il périt en héros et en philosophe.

Pendant son règne, quoiqu’il fût aux extrémités de l’Orient, la terreur de son nom contint les Allemands et les Francs ; et la Gaule, qui pleurait sa mort, dut encore quelques années de calme au souvenir de ses trophées et au respect porté à son ombre.

Jovien son successeur donna le gouvernement des Gaules à Lucilien son beau-père ; l’affection des Gaulois pour Julien était encore si forte chez ce peuple qui lui avait dû sa délivrance, que son nom seul excita une révolte générale. Un agent du fisc, accusé d’infidélité par Lucilien, persuada aux soldats gaulois que Julien vivait encore et que Jovien était un rebelle ; ils coururent aux armes, Lucilien fut massacré. Valentinien, depuis empereur, échappa à la mort par la fuite, courut en Asie, et dut peut-être son élévation à ce péril passager. Le temps put seul éclairer les Gaulois sur leur erreur, et les ramener à la soumission.

Jovien ne régna qu’une année. Valentinien, qui le remplaça[13], céda l’Orient à son frère Valens, se chargea de gouverner l’Occident, et, après être resté quelque temps à Milan, fixa sa résidence dans les Gaules qu’on regardait alors comme la principale force de l’empire, et comme la barrière la plus importante à sa conservation.

Depuis quelque temps les Romains avaient contracté la honteuse habitude de payer aux peuples barbares un tribut mal déguisé sous le nom de présent annuel. Le préfet des offices, homme impérieux et brutal, négligea d’envoyer aux Allemands les sommes réglées par le dernier traité, et il accompagna d’injures le refus de satisfaire à leurs réclamations ; ils prirent les armes, passèrent le Rhin et recommencèrent leurs dévastations.

Valentinien, qui se trouvait alors à Paris, fit réparer les forteresses de la frontière, et ordonna dans toutes les provinces de nombreuses levées.

Pour rendre cette opération plus prompte et plus régulière, l’empereur jugea convenable de faire une nouvelle division du territoire gaulois. Auguste l’avait partagé en six provinces, ce qui donnait trop de puissance aux gouverneurs. Valentinien porta le nombre des provinces jusqu’à quatorze, et depuis son fils Gratien en ajouta trois autres.

Cette division en dix-sept provinces dura jusqu’au temps de la conquête des Francs. Ces dix-sept provinces étaient les quatre Lyonnaises, les deux Belgiques, les deux Germanies, la  Séquanie, les Alpes grecques et pennines, la Viennoise, les deux Aquitaines, la Novempopulanie, les deux Narbonnaises et les Alpes maritimes. L’église chrétienne se conforma pour l’établissement des métropoles à cette division.

La Gaule  ainsi partagée conserva encore plus que toute autre partie de l’empire des vestiges de l’antique liberté ; chaque cité était administrée par un sénat supérieur, composé de membres tirés des familles patriciennes, et les différentes villes ou bourgs, compris dans le territoire de chaque cité, avaient un conseil municipal formé d’hommes libres, propriétaires, issus de familles qu’on appelait curiales. Ces conseils se nommaient quelquefois sénat inférieur.

Indépendamment des légions levées d’après les décrets impériaux pour la défense de la Gaule, chaque cité avait ses propres troupes, et nous avons vu dans les guerres de Vitellius, de Civilis, de Sévère, qu’il est souvent fait mention des cohortes auxiliaires que les cités gauloises envoyaient aux armées romaines. Lorsque Sabinus usurpa l’empire, il combattit à la tête des troupes de la cité des Éduens.

Souvent ont rassemblait sous la présidence du préfet du prétoire ou de son vicaire, les députés de toutes les cités de la Gaule ; on y réglait les affaires intérieures : le préfet du prétoire, chargé du gouvernement général de l’Espagne, des Gaules et la Bretagne, était remplacé, dans chacun de ces pays, par un vicaire sous l’autorité duquel des ducs et des comtes commandaient et rendaient la justice dans chaque cité. Les légions marchaient sous les ordres de deux maîtres de la milice, et le pouvoir de ces chefs militaires affaiblit graduellement celui des magistrats civils.

Quatre questeurs étaient chargés du recouvrement des impôts. Ainsi les agents du prince administraient tout ce qui concernait l’intérêt général de l’empire ; mais les intérêts locaux restaient confiés à la libre administration des sénateurs gaulois et des décurions des villes. On réglait les affaires ecclésiastiques dans les assemblées fréquentes du clergé. Chaque ville, indépendamment des familles patriciennes et curiales, contenait encore une autre sorte d’hommes libres : c’étaient les artisans, pour la plupart tirés de la servitude par l’affranchissement. Le reste de la population vivait dans l’esclavage.

Il existait alors dans la Gaule deux classes de serfs ; les uns, tout à fait esclaves, habitaient la maison de leur maître, et ne possédaient rien ; les autres, beaucoup plus nombreux, cultivaient des terrains qu’ils tenaient à charge de payer un tribut, et auquel leur personne restait attachée : ils ne pouvaient ni aliéner ni quitter le sol qu’ils labouraient : jusqu’à nos jours ce servage a été connu sous le noir de servage de la glèbe.

Lorsque les cités de la Gaule se trouvaient opprimées par la tyrannie des commandants militaires et lésées par les magistrats civils dans leurs droits, dans leurs biens individuels ou communaux, elles envoyaient des députés, pour porter leurs plaintes au sénat de Rome. Ce corps illustre, après avoir perdu la plupart de ses droits, conservait toujours l’usage antique et glorieux du patronage. Chaque peuple comptait ses patrons dans le sénat, et peu de temps même avant la conquête de Clovis, on vit, suivant le récit de Sidonius Apollinaris, les députés et les patrons de la Gaulle poursuivre devant le sénat le préfet du prétoire, Amandus, qui fût dégradé et condamné à mort.

Valentinien, habile général, prince juste pour les peuples, mais cruel et terrible pour les grands, maintint pendant son règne les lois en vigueur. Sa sévérité prévint les factions ; il persécuta d’abord les païens, mais depuis, par une sage tolérance, il rétablit la paix des cultes, son courage repoussa les Barbares, et il aurait mérité l’honneur d’être compté au nombre des plus grands empereurs, si sa violence et les actes cruels de ses ministres n’eussent souillé sa gloire par quelques taches ineffaçables.

Au moment où l’empereur se disposait à marcher sur le Rhin, il apprit qu’une révolution éclatait dans l’Orient, et que Procope, soutenu par deux cohortes gauloises, venait de s’emparer de Constantinople ; dans le même temps d’autres troubles agitaient l’Illyrie. Valentinien, incertain du parti qu’il devait prendre, était appelé par son frère dans l’Orient ; mais les députés réunis de toutes les cités gauloises le conjurant de ne pas les abandonner à la fureur des barbares, il laissa la fortune décider du sort de l’Asie, et ne s’occupa plus qu’à défendre la Gaule.

Bientôt ses inquiétudes furent dissipées par un message de son frère Valens, qui lui envoya la tête de Procope vaincu, détrôné et poignardé[14]. Cependant, les Allemands commencèrent la guerre par des succès ; les comtes Sévérien et Chatieton, chefs d’un corps d’armée romaine, furent battus par les barbares, et périrent dans le combat ; la fuite de la cavalerie batave avait été la cause de cette défaite.

L’empereur irrité condamna à l’esclavage tous ceux qui avaient fui ; mais il leur pardonna ensuite, après leur avoir fait jurer qu’ils répareraient leur honte. Les Allemands, vainqueurs, se livraient en désordre au pillage et à la débauche ; Jovin, lieutenant de l’empereur, marcha contre eux, les surprit près de Châlons et les tailla en pièces. Leur roi fut pendu par les soldats romains, dont les chefs ne purent contenir la furie.

Cette victoire effraya la Germanie et ramena la sécurité dans les Gaules ; mais elle fut un moment troublée par une maladie grave de Valentinien. Déjà l’ambition armait quelques personnages puissants qui aspiraient à lui succéder, lorsque le rétablissement de l’empereur fit cesser ces agitations.

Valentinien[15], pour enlever toute espérance aux factieux, rassembla ses légions dans une plaine près d’Amiens, et fit proclamer par elles son fils Gratien, Auguste. Lorsque cet enfant fut couronné, l’empereur lui dit en présence de l’armée qui l’entourait : Le suffrage des soldats et la volonté de votre père sont les auspices heureux sous lesquels vous montez au trône. Montrez-vous digne de soutenir le poids de l’empire ; apprenez à franchir sans crainte, en présence des barbares, les glaces du Rhin et du Danube. Animez vos soldats en marchant à leur tête ; épargnez leur sang avec prudence ; versez le vôtre avec courage pour les défendre, et regardez tous les biens, et tous les maux du peuple comme s’ils vous étaient personnels : le reste de ma vie sera consacré à former la vôtre. Vous, guerriers, dont la vaillance est le plus ferme rempart de l’empire, attachez-vous à ce jeune prince qui se fie à votre fidélité, et qui va croître à l’ombre de vos lauriers.

L’empereur, qui se chargeait du soin de fortifier par ses leçons et par ses exemples le courage de son fils, choisit pour éclairer son esprit, un Gaulois illustre, Ausone, né à Bordeaux, orateur éloquent, poète harmonieux, et que ses talents élevèrent dans la suite au consulat.

La victoire accompagna constamment les armes victoire de Valentinien et de ses généraux. Théodose, père de celui qui parvint à l’empire, délivra la Grande-Bretagne des incursions des Pictes ; il vainquit ensuite les Saxons et les Francs, dont les flottes infestaient les côtes de la Gaule et de la Grande-Bretagne. Valentinien conduisit encore lui-même une armée contre les Allemands qui voulaient démolir les forteresses construites par ses ordres pour défendre la frontière. Au moment où ce prince s’efforçait de s’emparer d’une montagne sur laquelle les ennemis s’étaient retranchés, il fut entouré par eux, et ne dut son salut qu’à son intrépidité ; elle enflamma le courage des Gaulois et des Romains, et lui valut la victoire.

Dans ce temps[16], les Bourguignons commençaient à s’acquérir une formidable renommée. Ces peuples, issus des Vandales, habitèrent longtemps les rives de la Warta et de la Vistule. Chassés par les Gépides, ils furent vaincus par Aurélien et par Probus ; marchant ensuite vers le Rhin, ils se joignirent aux Allemands pour envahir  la Gaule. Maximien Hercule les repoussa, et pour se dédommager du peu de succès de cette expédition, ils enlevèrent aux Allemands, leurs alliés, une partie de leurs possessions et s’y fixèrent. De là une violente haine divisa les deux nations, et les rives de la Sala devinrent le théâtre de leurs combats perpétuels.

Ce peuple, commandé par un chef sans pouvoir, sous le titre de Heindinas, et gouverné réellement par un pontife qu’ils appelaient Sinistus, dont l’autorité n’avait pas de bornes, sollicita l’alliance des Romains ; Valentinien accueillit leur demande dans l’espoir de se servir de leurs armes contre les Allemands.

Une fable répandue en Germanie faisait croire aux Bourguignons qu’ils devaient leur origine à quelques garnisons romaines abandonnées en Allemagne par les successeurs d’Auguste, et que leur nom venait de l’usage anciennement établi chez eux de vivre dans des maisons réunies, qu’ils appelaient Bourgs. Valentinien flatta leur orgueil pour exciter leur zèle. Rassemblés par ses ordres, ils parurent sur les bords di Rhin au nombre de quatre-vingt mille hommes. Cette armée ne semblait pas moins dangereuse aux Gaulois qu’aux Allemands. L’empereur, effrayé de leurs forces, viola le traité qu’il avait conclu avec eux, et ne leur  donna ni vivres ni secours. Indignés de cette infraction à la foi jurée, ils ravagèrent les frontières de la Gaule, ainsi que le territoire des Allemands, et devinrent dès ce moment les ennemis implacables d’un empire dont ils hâtèrent peu de temps après le démembrement.

La fin du règne de Valentinien fut troublée par de continuelles révoltes, ses armes les comprimaient, mais ses rigueurs les faisaient renaître. La Gaule, défendue par son courage contre les barbares, gémissait sous la tyrannie de ses ministres, et la violence de ses arrêts démentit trop souvent la sagesse de ses lois ; sa politique même, en voulant s’assurer un repos passager, devint aussi funeste à la Gaule, que l’aurait été une sanglante défaite. Il céda des terres en Alsace à ces mêmes Bourguignons qui, moins d’un siècle après, se rendirent maîtres du pays où on les avait reçus comme tributaires.

L’empereur, ayant pacifié la Bretagne, vaincu les Allemands, apaisé les Bourguignons, et chargé Théodose de rétablir l’ordre dans l’Afrique soulevée, s’éloigna des Gaules pour n’y plus revenir et porta ses armes en Pannonie contre les Quades. Là il mourut d’un coup de sang à la suite d’un accès de colère ; la même violence qui avait souillé son règne termina sa vie.

Son fils Gratien, l’espoir des Gaules lui succéda[17] ; et son instituteur Ausone devint encore plus illustre par les vertus de son élève que par ses propres talents.

Le nouvel empereur apprit à Trèves la mort de son père et la révolte de l’armée de Pannonie qui avait revêtu de la pourpre son jeune frère Valentinien II. Gratien, plus occupé du repos public que de sa grandeur personnelle, confirma cette élection et partagea le trône qu’il n’aurait pu conserver seul qu’en exposant l’empire au malheur d’une guerre civile. Il se montra par cette modération digue du vertueux saint Ambroise qui avait formé son cœur comme Ausone avait formé son esprit.

Sous son règne trop court, la Gaule fut soulagée du poids des impôts ; les proscrits y rentrèrent ; les délateurs en sortirent ; on vit renaître partout la sécurité ; la justice remplaça la force, et on vit succéder l’amour à la crainte.

Gratien[18] prouva bientôt que s’il différait de son père par sa douceur, il lui ressemblait par son courage. Les Allemands avaient repris les armes ; Gratien marcha contre eux, et, secondé par le vaillant Mellobaude, roi des Francs et commandant de sa garde, il remporta sur les Germains une victoire complète. Dans cette bataille, livrée près de Colmar, Priarius, roi des Allemands, se clonera la mort pour échapper au ressentiment de son peuple qui pardonnait rarement à ses chefs la honte de la défaite.

Tandis que l’Occident voyait, ce jeune prince illustrer les armes romaines, l’Orient, ouvert aux barbares, s’écroulait sous le sceptre de Valens, monarque aussi méprisé de ses ennemis que haï dé ses sujets. Les Goths, dont la puissance s’était étendue par les exploits de leur prince Hermanrick des rives de la Baltique à celles du Pont-Euxin, venaient d’être vaincus et poursuivis par les Huns, peuple barbare sorti du fond de la Scythie. Les Goths, arrivés en foule sur les bords du Danube, avaient demandé un asile et des terres à l’empereur d’Orient ; Valens n’osant les combattre et craignant de les accueillir, les trompa par de fausses promesses, excita leur vengeance, défendit faiblement contre eux la Grèce et la Thrace, et périt enfin dans une bataille qu’il leur livra près d’Andrinople. Aussi présomptueux qu’inexpérimenté, il s’était hâté de combattre dans la crainte de partager l’honneur d’une victoire avec Gratien qui amenait à son secours les armées d’Occident.

La défaite d’Andrinople, aussi funeste pour les Romains que celle de Cannes, eut à peu près les mêmes résultats ; les vainqueurs ravagèrent l’empire, mais ils échouèrent devant les murs de la capitale et ne purent s’emparer de Constantinople.

Gratien après avoir une seconde fois vaincu les Allemands arriva en Thrace à la tête de ses légions triomphantes, et rassembla les débris de l’armée vaincue.

Par ses ordres un nouveau Scipion, le jeune Théodose, fils du guerrier célèbre qui avait défendu la Gaule, soumis l’Écosse et pacifié l’Afrique, ranima le courage des légions de l’Orient, marcha contre les Goths, les tailla en pièces et les poursuivit au-delà du Danube. Son père était mort victime de la jalousie de Valentinien et de la cruauté de ses ministres. Gratien, réparant, l’injustice commise envers le  père et récompensant les exploits du fils, donna le trône d’Orient à Théodose. Par ce partage avec un héros, Gratien retarda de plusieurs siècles, la chute de l’empire.

Les hommes trop séduits par les illusions de la gloire et de la puissance prodiguent les louanges à l’ambition couronnée de succès, et en sont trop avares pour la sagesse ; l’histoire ne donne point assez d’éloges à un jeune empereur qui sut, à vingt ans, sacrifier son intérêt à l’intérêt général, l’ambition à la vertu, et sa famille à l’état.

Gratien  retournant dans l’Occident, défit en chemin les Quades, et d’autres peuples barbares ; après quelque séjour à Milan, une nouvelle invasion des Allemands le rappela dans les Gaules ; il les repoussa, et, pour les contenir, s’établit à Trèves.

Ce jeune empereur, entraîné par les-conseils de saint Ambroise défendit dans tout l’empire et dans Rome le même culte des idoles que jusque-là ses prédécesseurs avaient plus ou moins toléré : la ville de Mars vit renverser l’autel de la Victoire, Gratien refusa le sacerdoce que, par égard pour les païens, les princes n’avaient pas osé dédaigner. On lui prédit qu’un autre grand pontife ne tarderait pas à le punir de ce refus. En effet la proscription de l’ancien culte pour lequel une grande partie des peuples conservait encore une vénération sécrète, lui suscita partout et particulièrement dans la Gaule ainsi que dans la Bretagne une foule d’ennemis.          

Clémens Maximus, partisan zélé du paganisme, se trouvait alors à la tête de plusieurs légions envoyées par Gratien en Bretagne, il les souleva, les ramena dans la Gaule et persuada aux Gaulois que Théodose appuyait sa rébellion ; les suffrages des troupes et des cités le proclamèrent empereur.

Gratien s’avança pour le combattre et le rencontra à peu de distance de Paris. La défection de Mellobaude avec ses Francs et celle de la cavalerie africaine contraignirent Gratien à fuir. Ce prince qui naguère disposait de l’empire du monde ne garda auprès de lui dans ce désastre que trois cents hommes : ceux-ci restèrent même peu de jours fidèles au malheur, et l’empereur vaincu erra seul, sans secours et sans asile, dans cette Gaule défendue par son courage et pacifiée par sa bonté. Il périt près de Lyon par le glaive d’un ennemi ou par le poignard d’un sujet ingrat.

Maxime régna quelque temps sans obstacle en Bretagne, en Espagne et dans la Gaule ; bientôt, méprisant l’enfance du jeune Valentinien, il menaça l’Italie, franchit les Alpes, parut aux portes de Milan, s’en empara, entra triomphant dans Rome et releva les autels de Mars. Valentinien courut chercher un asile dans l’Orient ; Théodose prit sa défense et marcha contre l’usurpateur.    

A cette époque de décadence on ne voyait presque plus de Romains dans les armées romaines, et au milieu de cette lutte qui armait la moitié du monde contre l’autre, le trône de Rome n’était attaqué et défendu que par des barbares.

L’armée de Maxime n’était formée que de Germains et de Gaulois. Les Huns, les Alains et les Goths composaient en grande partie les forces de celles de Théodose. Une bataille sanglante qui dura depuis le point du jour jusqu’à là nuit, sur les rives de la Save, décida le sort des deux empires et des deux cultes. Maxime vaincu prit la fuite ; atteint aux portes d’Aquilée, il perdit la couronne et la vie.

Arbogaste[19], Franc de nation, parvenu dans l’armée de Théodose à une grande fortune par un grand courage, poursuivi les restes de l’armée d’Occident et termina la guerre civile en tuant le fils de Maxime.

Théodose, vainqueur, proscrivit le paganisme, et força son jeune collègue Valentinien d’abjurer la secte arienne dont sa mère et lui avaient embrassé la cause.

Ce jeune prince, ainsi rétabli sur le trône d’Occident, laissa régner sous son nom l’ambitieux Arbogaste, qui écarta les Romains de tous les emplois pour les prodiguer sans mesure aux Francs et aux Allemands qui lui étaient dévoués.

L’empereur, entouré d’une garde étrangère, s’aperçut tardivement que, par sa faiblesse, son diadème était devenu une chaîne et son palais une prison. Captif au milieu de la Gaule, il tenta vainement de ressaisir son autorité ; rassemblant autour de lui une cour peuplée de lâches ou de traîtres, il appelle en sa présence l’orgueilleux Arbogaste, l’accable de reproches et lui lit l’ordre de sa destitution. Le guerrier rebelle sourit avec dédain et foule aux pieds l’arrêt impérial. Valentinien, irrité, tire son glaive ; on le lui arrache ; le fier Arbogaste, après l’avoir désarmé, l’enferme, le fait étrangler, méprise le trône romain sur lequel on le presse de monter, et y place un rhéteur, Eugène, qui le servait comme secrétaire. Ainsi, pour la première fois, la Gaule se trouva sous l’empire des Francs[20].

Avant de souiller par un crime l’élévation où sa vaillance l’avait porté, Arbogaste s’était attiré le respect et la reconnaissance de la Gaule en la défendant avec valeur contre les Allemands, et même contre quelques tribus de Francs qui ravageaient les rives du Rhin. Marcomir et Sunnon[21], princes ou chefs de ces tribus, furent vaincus par  lui, et ses armes dévastèrent le territoire des Chamaves et des Bructères ; mais sa fortune ne put résister au génie de Théodose. L’empereur d’Orient l’attaqua, le vainquit, et termina par un supplice le règne éphémère de son vassal couronné. Arbogaste évita le même sort en se poignardant. Ainsi l’heureux Théodose resta seul maître des deux empires.

Ce prince, célèbre par ses lois comme par ses victoires, fut le dernier rayon de la gloire romaine et la lueur passagère qu’il répandit, ne fit qu’éclairer l’abîme dans lequel les fils de ce monarque se précipitèrent avec le monde entier.

 

 

 

 



[1] Trois cent dix-neuf ans après Jésus-Christ.

[2] Trois cent cinquante ans après Jésus-Christ.

[3] Trois cent cinquante et un ans après Jésus-Christ.

[4] Trois cent cinquante-trois ans après Jésus-Christ.

[5] Trois cent cinquante cinq ans après Jésus-Christ.

[6] Trois cent cinquante-six ans après Jésus-Christ.

[7] Trois cent cinquante-sept ans après Jésus-Christ.

[8] Trois cent cinquante-huit ans après Jésus-Christ.

[9] Trois cent cinquante-huit ans après Jésus-Christ.

[10] Trois cent soixante ans après Jésus-Christ.

[11] Trois cent soixante et un ans après Jésus-Christ.

[12] Trois cent soixante-trois ans après Jésus-Christ.

[13] Trois cent soixante-cinq ans après Jésus-Christ.

[14] Trois cent soixante-trois ans après Jésus-Christ.

[15] Trois cent soixante-sept ans après Jésus-Christ.

[16] Trois cent soixante-treize ans après Jésus-Christ.

[17] Trois cent soixante-quinze ans après Jésus-Christ.

[18] Trois cent soixante-dix-sept ans après Jésus-Christ.

[19] Trois cent quatre-vingt-douze ans après Jésus-Christ.

[20] Trois cent quatre-vingt-douze ans après Jésus-Christ.

[21] Trois cent quatre-vingt-dix-sept ans après Jésus-Christ.