LES victoires de Constantin sur les Francs et sur les
Allemands avaient épouvanté ces tribus guerrières ; elles n’osèrent depuis reprendre
les armes qu’une seule fois. Crispus César[1], fils aîné de
Constantin, les défit et les chassa de Les enfants de Constantin se partagèrent son immense
héritage. Constant, l’un d’eux, après avoir vaincu Constantin le jeune, son
frère, devint maître de tout l’Occident. Mais un usurpateur né gaulois[2], Magnence,
souleva les troupes, se fit proclamer empereur à Autun et poursuivit son
rival près des Pyrénées, le fit périr, et fut reconnu par l’Italie, l’Afrique,
l’Espagne et Constance accourut d’Asie[3] avec ses légions
pour opposer une digue à ce torrent : les champs de Murse et les rives de Mais pendant le cours de cette guerre civile, le Rhin,
laissé sans défense, n’opposa plus de barrières à l’avidité des Germains ;
ils envahirent et dévastèrent Les Francs, répandus dans toutes les provinces, s’emparèrent
d’un grand nombre de forts, afin de trouver un asile, si la fortune leur
devenait contraire. Cologne même tomba en leur pouvoir. Julien, neveu de Constance, appelé au trône par sa
naissance, et destiné à la mort par la jalousie de son oncle, dut son salut
au danger public. L’empereur effrayé suspendit sa haine, et confia le commandement
des Gaules au jeune César. La victoire y reparut avec lui. Étranger à son
siècle, il se montrait passionné pour la philosophie, pour la liberté, pour
la gloire, pour le culte de l’antique Rome ; le capitole tressaillit en voyant
un nouveau Scipion, l’Allemagne un nouveau Germanicus, et Tout semblait se réunir pour rendre les succès Julien
impossibles. Quarante-cinq forteresses, qui défendaient autrefois le Rhin,
venaient de tomber au pouvoir des barbares ; la plupart des légions romaines
restaient dans l’Orient, et soutenaient péniblement la guerre contre les
Perses ; d’autres défendaient le Danube contre la fureur des Goths, des
Quades et des Marcomans. Les cités de La cour de Constance, loin de désirer ses triomphes,
travaillait à sa perte ; préfets du prétoire, questeurs chargés des finances,
agents subalternes, tous conspiraient contre le défenseur de Julien surmonta tous ces obstacles ; il sut à la fois inspirer aux peuples l’amour et le respect, aux soldats le courage, aux délateurs, aux courtisans, aux concussionnaires et aux ennemis une crainte salutaire. Son génie suppléa à la faiblesse de ses moyens ; son activité et sa célérité semblèrent multiplier ses troupes. Après avoir chassé des provinces les tribus germaines[6] qui s’occupaient à les piller, et qui ne s’attendaient plus à combattre, il rétablit l’ordre dans l’administration, car le succès donne le droit de se faire obéir[7]. Bientôt les Germains revinrent en foule l’attaquer ; ils le surprirent et l’enfermèrent dans la ville de Sens. Julien, au lieu de se borner à la défense, qui finit toujours par la reddition des places, sortit impétueusement de ses remparts, et remporta sur les barbares une victoire complète. Profitant de ce succès, il courut en Alsace, dans le dessein de reprendre Strasbourg, tombé au pouvoir des ennemis. Là il eut à combattre une ligue de sept rois allemands réunis pour tenter un dernier effort contre la fortune romaine. La bataille fut longtemps disputée, la cavalerie batave, qui couvrait la droite des Romains, plia cette aile, malgré les efforts de Julien, fut mise en déroute ; alors toute l’armée allemande, se croyant, sûre de la victoire, tomba en masse sur le centre des légions ; mais ses attaques redoublées ne purent l’entamer. Cette résistance, retardant la défaite sans donner encore l’espérance de la victoire, Julien la décida en chargeant les barbares à la tête de sa réserve. Les ennemis, fatigués de tant d’assauts, cédèrent à cette dernière attaque, bientôt leur retraite devint une déroute ; les rois prirent la fuite, une partie de leurs troupes fut taillée en pièces, l’autre se noya dans le Rhin. Chnodomare, chef de la ligue poursuivi et atteint, perdit à la fois la victoire et la liberté. Amené devant Julien, au lieu de montrer la fierté qui relève le malheur, il se prosterna aux pieds de son vainqueur, et lui demanda lâchement la vie. Julien, respectant son rang et méprisant son caractère, épargna ses jours, et l’envoya en présent à Constance, qui peut-être eût mieux aimé voir dans ses fers le vainqueur que le vaincu. Le jeune César reprit toutes les forteresses du Rhin, et
poursuivit les Allemands au-delà de ce fleuve ; mais apprenant qu’ils s’étaient
retranchés derrière de nombreux abatis dans leurs forets profondes, il se contenta
de les avoir épouvantés, et revint dans Lorsque ces Francs captifs furent envoyés en Italie, leur taille colossale étonna la cour de Constance. Libanius, dans son récit, compare ces gigantesques guerriers à de hautes tours placées au milieu des lignes romaines. Julien, dans ce dernier combat, fut puissamment secondé par la valeur de ces mêmes Bataves que les champs de Strasbourg avaient vu fuir. Le jeune César les en avait punis, en leur faisant traverser le camp habillés en femme, et les Gaulois humiliés expièrent leur faiblesse par le courage qu’ils déployèrent contre les Francs. Ce prince habile prouva dans cette circonstance à quel
point il connaissait le caractère des Gaulois, dont l’honneur fut dans tous
les siècles le plus puissant mobile. Le libérateur de Le jeune César entreprit alors une guerre plus Réduit les périlleuse
que celle qu’il venait de terminer avec tarit de succès ; il attaqua les agents
du fisc, et voulut soulager Ce jeune prince reprit encore les armes contre les Francs Chamaves ; il les vainquit, et, après les avoir effrayés par sa victoire, il les soumit par sa générosité. Le roi des Chamaves pleurait da périe de son fils, tombé en captivité au commencement de la guerre ; il le croyait mort : Julien l’offrit à ses regards, l’assura qu’il en avait pris soin comme s’il lui eût donné le jour, et le rendit à sa tendresse. Tandis que ce prince inspirait à Constance prodigua à son neveu autant de reproches qu’il méritait d’éloges, lui ordonna de rétablir les impôts supprimés, et exigea qu’il suivît en tout les conseils de Florentius. Julien ne se laissa pas plus vaincre par la cour que par les Allemands ; il répondit : que l’empereur devait se trouver fort heureux que des provinces, qui s’étaient vues si longtemps la proie des barbares et des concussionnaires payassent si religieusement les taxes accoutumées ; la modération, disait-il, ranimera la confiance, et remplira le trésor ; la rigueur et l’injustice exciteront le désespoir et produiront l’indigence. Ces remontrances l’emportèrent ; les vexations cessèrent : Julien se chargea lui-même, sans frais, du recouvrement des impôts ; son humanité lui attira l’affection des peuples ; ils payèrent les tributs avec zèle, sans contrainte, et sans attendre de sommation. Le jeune César prouva ainsi au tyran de l’empire que l’amour des peuples est la plus solide base de la puissance et de la richesse des trônes. Le génie peut seul triompher de toutes les erreurs, mais
non de l’envie ; en l’éclairant, il l’enflamme : Décentius, ministre de Constance fut chargé de porter et
de faire exécuter ces ordres funestes. On lui adjoignit Lupicinius que Julien
avait envoyé dans Dès que les légions furent informées de l’ordre qui les appelait au fond de l’Orient, elles s’indignèrent de se voir exilées de leur patrie, comme si leurs exploits eussent été des crimes : Nous allons donc, disaient-elles, dans un écrit qui circulait dans tous les rangs de l’armée, exposer à une nouvelle captivité nos pères, nos femmes, nos enfants, dont le salut nous a coûté tant de sang. Ces murmures décidèrent les officiers de l’empereur à presser l’exécution des ordres dont ils étaient chargés. Malgré les représentations de Julien, ils commandèrent aux
différents corps de se rassembler à Paris. Les légions gauloises obéissent ;
elles se mettent en marche, et leurs premiers pas ébranlent Tout le peuple s’alarme, toutes les cités gémissent ; l’air retentit de plaintes et de cris. Chacun croit déjà voir les Francs et les Germains revenir altérés de vengeance et renouveler dans les provinces les désastres dont Julien venait à peine d’effacer les traces ; les vieillards désolés, les femmes éperdues arrêtent les soldats, les enfants embrassent leurs genoux ; tous les conjurent de ne point les abandonner à la fureur des barbares. Les légions indignées traversent lentement cette foule gémissante qui borde leur route ; la discipline contient encore leur courroux, mais il se lit dans leurs regards. Julien, vient les recevoir aux portes de la capitale ; après avoir rappelé leurs exploits et retracé leurs titres à la reconnaissance publique, soldats, leur dit-il, nous devons obéir et non délibérer ; vous allez combattre sous les yeux de l’empereur : là vos actions recevront un digne prix de votre vaillance et proportionné à la puissance du prince. Résignez-vous donc à un voyage dont le but est la gloire. On écouta ces paroles en silence, et ce silence fut sans doute cette fois plus agréable à Julien que les vives acclamations qui répondaient ordinairement à ses harangues. Jusque-là ce prince, par la circonspection de sa conduite, n’avait donné à ses ennemis aucun prétexte pour l’accuser. Mais alors, soit par affection, soit par un calcul que le succès seul pouvait justifier, il combla de présents les officiers, les principaux légionnaires, et rendit ainsi leur douleur plus vive et leur obéissance plus douteuse ; enfin, au lieu de hâter leur départ, on leur permit vingt-quatre heures de séjour ; ils les employèrent à se concerter ; et ce temps si court leur suffit pour opérer une révolution dans l’empire. Au milieu de la nuit les soldats prennent les armes et entourent en tumulte le palais du prince, qu’on nomma depuis le palais des Thermes ; leurs cris redoublés proclament Julien Auguste, et demandent violemment sa présence. Julien, si l’on en croit son récit, ignorait tous ces mouvements[10] ; réveillé en sursaut par ces acclamations séditieuses, il montre d’abord autant d’incertitude que de surprise, consulte Jupiter qu’il adorait alors en secret, et résiste quelque temps aux signes favorables qu’il croit lire dans les cieux. Son hésitation augmente l’ardeur des soldats rebelles, ils enfoncent enfin les portes du palais, y pénètrent le glaive à la main, et forcent le prince à les suivre dans le camp. Là, de toutes parts, les Gaulois le pressent d’accepter la couronne. Julien, les yeux remplis de larmes feintes ou véritables, les conjure vainement de ne point souiller leurs victoires par une rébellion. J’espère, dit-il, vous satisfaire sans déchirer l’état par une guerre civile, et puisque vous ne voulez point consentir à vous éloigner de votre patrie, retournez dans vos quartiers. Fiez-vous à ma foi, vous ne franchirez pas les Alpes. Je prendrai votre défense près de l’empereur. Sa justice punirait votre révolte, sa bonté écoutera vos remontrances. Ces paroles, au lieu de calmer les esprits, les embrasent ; l’amour se change en colère, les murmures en menaces. Julien cède ; on l’élève sur un pavois ; le collier d’un officier, noble prix du courage, lui sert de diadème, et le nouvel Auguste, vaincu et couronné, récompense la révolte dont il profite, en distribuant cinq pièces d’or et une livre d’argent à chaque soldat. Si le nouvel Auguste avait montré une prudente hésitation
avant de s’emparer du pouvoir suprême, il déploya pour s’y maintenir toute la
force et l’activité de son caractère. Après avoir vainement cherché à obtenir
de Constance son consentement au partage de l’empire, il réunit contre lui
toutes les forces de Constance, dans l’espoir d’occuper par une diversion ce rival redoutable, prit le parti honteux d’exciter les Allemands à tenter une nouvelle invasion dans les Gaules ; mais il ne retira de cette trahison que la honte qui flétrit la mémoire de tous ceux qui appellent dans leurs états les armes étrangères. Julien vainquit encore les Allemands[11], et, marchant ensuite le long du Danube avec une célérité digne du nom de César qu’il portait, il arriva en Thrace, lorsque son ennemi le croyait encore dans les Gaules. Constance rassemblait alors près d’Antioche toutes les forces de l’Orient ; mais la mort qui le frappa termina heureusement la guerre civile et rendit sans combat l’heureux Julien maître paisible de tout l’empire. Le règne de ce prince fut glorieux, mais court ; les humiliations, car on ne peut pas dire précisément la persécution, qu’il fit éprouver aux chrétiens, furent la seule tache de sa vie illustre. La passion de la gloire et le désir de réparer l’honneur des armes romaines le conduisirent au-delà de l’Euphrate. Il vainquit les Perses ; mais trop ardent à les poursuivre, il se vit, bientôt, comme Crassus et comme Antoine, environné d’une foule d’ennemis dans des plaines arides, et menacé par la famine d’une destruction totale ; il ne fit pas moins éclater de courage dans ses revers que dans ses triomphes ; la victoire illustra sa retraite ; dans un dernier combat[12], blessé mortellement, ses derniers regards virent fuir les Perses ; il périt en héros et en philosophe. Pendant son règne, quoiqu’il fût aux extrémités de l’Orient,
la terreur de son nom contint les Allemands et les Francs ; et Jovien son successeur donna le gouvernement des Gaules à Lucilien son beau-père ; l’affection des Gaulois pour Julien était encore si forte chez ce peuple qui lui avait dû sa délivrance, que son nom seul excita une révolte générale. Un agent du fisc, accusé d’infidélité par Lucilien, persuada aux soldats gaulois que Julien vivait encore et que Jovien était un rebelle ; ils coururent aux armes, Lucilien fut massacré. Valentinien, depuis empereur, échappa à la mort par la fuite, courut en Asie, et dut peut-être son élévation à ce péril passager. Le temps put seul éclairer les Gaulois sur leur erreur, et les ramener à la soumission. Jovien ne régna qu’une année. Valentinien, qui le remplaça[13], céda l’Orient à son frère Valens, se chargea de gouverner l’Occident, et, après être resté quelque temps à Milan, fixa sa résidence dans les Gaules qu’on regardait alors comme la principale force de l’empire, et comme la barrière la plus importante à sa conservation. Depuis quelque temps les Romains avaient contracté la honteuse habitude de payer aux peuples barbares un tribut mal déguisé sous le nom de présent annuel. Le préfet des offices, homme impérieux et brutal, négligea d’envoyer aux Allemands les sommes réglées par le dernier traité, et il accompagna d’injures le refus de satisfaire à leurs réclamations ; ils prirent les armes, passèrent le Rhin et recommencèrent leurs dévastations. Valentinien, qui se trouvait alors à Paris, fit réparer les forteresses de la frontière, et ordonna dans toutes les provinces de nombreuses levées. Pour rendre cette opération plus prompte et plus régulière, l’empereur jugea convenable de faire une nouvelle division du territoire gaulois. Auguste l’avait partagé en six provinces, ce qui donnait trop de puissance aux gouverneurs. Valentinien porta le nombre des provinces jusqu’à quatorze, et depuis son fils Gratien en ajouta trois autres. Cette division en dix-sept provinces dura jusqu’au temps
de la conquête des Francs. Ces dix-sept provinces étaient les quatre
Lyonnaises, les deux Belgiques, les deux Germanies, Indépendamment des légions levées d’après les décrets
impériaux pour la défense de Souvent ont rassemblait sous la présidence du préfet du
prétoire ou de son vicaire, les députés de toutes les cités de Quatre questeurs étaient chargés du recouvrement des impôts. Ainsi les agents du prince administraient tout ce qui concernait l’intérêt général de l’empire ; mais les intérêts locaux restaient confiés à la libre administration des sénateurs gaulois et des décurions des villes. On réglait les affaires ecclésiastiques dans les assemblées fréquentes du clergé. Chaque ville, indépendamment des familles patriciennes et curiales, contenait encore une autre sorte d’hommes libres : c’étaient les artisans, pour la plupart tirés de la servitude par l’affranchissement. Le reste de la population vivait dans l’esclavage. Il existait alors dans Lorsque les cités de Valentinien, habile général, prince juste pour les peuples, mais cruel et terrible pour les grands, maintint pendant son règne les lois en vigueur. Sa sévérité prévint les factions ; il persécuta d’abord les païens, mais depuis, par une sage tolérance, il rétablit la paix des cultes, son courage repoussa les Barbares, et il aurait mérité l’honneur d’être compté au nombre des plus grands empereurs, si sa violence et les actes cruels de ses ministres n’eussent souillé sa gloire par quelques taches ineffaçables. Au moment où l’empereur se disposait à marcher sur le Rhin,
il apprit qu’une révolution éclatait dans l’Orient, et que Procope, soutenu
par deux cohortes gauloises, venait de s’emparer de Constantinople ;
dans le même temps d’autres troubles agitaient l’Illyrie. Valentinien,
incertain du parti qu’il devait prendre, était appelé par son frère dans l’Orient ;
mais les députés réunis de toutes les cités gauloises le conjurant de ne pas
les abandonner à la fureur des barbares, il laissa la fortune décider du sort
de l’Asie, et ne s’occupa plus qu’à défendre Bientôt ses inquiétudes furent dissipées par un message de son frère Valens, qui lui envoya la tête de Procope vaincu, détrôné et poignardé[14]. Cependant, les Allemands commencèrent la guerre par des succès ; les comtes Sévérien et Chatieton, chefs d’un corps d’armée romaine, furent battus par les barbares, et périrent dans le combat ; la fuite de la cavalerie batave avait été la cause de cette défaite. L’empereur irrité condamna à l’esclavage tous ceux qui avaient fui ; mais il leur pardonna ensuite, après leur avoir fait jurer qu’ils répareraient leur honte. Les Allemands, vainqueurs, se livraient en désordre au pillage et à la débauche ; Jovin, lieutenant de l’empereur, marcha contre eux, les surprit près de Châlons et les tailla en pièces. Leur roi fut pendu par les soldats romains, dont les chefs ne purent contenir la furie. Cette victoire effraya Valentinien[15], pour enlever toute espérance aux factieux, rassembla ses légions dans une plaine près d’Amiens, et fit proclamer par elles son fils Gratien, Auguste. Lorsque cet enfant fut couronné, l’empereur lui dit en présence de l’armée qui l’entourait : Le suffrage des soldats et la volonté de votre père sont les auspices heureux sous lesquels vous montez au trône. Montrez-vous digne de soutenir le poids de l’empire ; apprenez à franchir sans crainte, en présence des barbares, les glaces du Rhin et du Danube. Animez vos soldats en marchant à leur tête ; épargnez leur sang avec prudence ; versez le vôtre avec courage pour les défendre, et regardez tous les biens, et tous les maux du peuple comme s’ils vous étaient personnels : le reste de ma vie sera consacré à former la vôtre. Vous, guerriers, dont la vaillance est le plus ferme rempart de l’empire, attachez-vous à ce jeune prince qui se fie à votre fidélité, et qui va croître à l’ombre de vos lauriers. L’empereur, qui se chargeait du soin de fortifier par ses leçons et par ses exemples le courage de son fils, choisit pour éclairer son esprit, un Gaulois illustre, Ausone, né à Bordeaux, orateur éloquent, poète harmonieux, et que ses talents élevèrent dans la suite au consulat. La victoire accompagna constamment les armes victoire de
Valentinien et de ses généraux. Théodose, père de celui qui parvint à l’empire,
délivra Dans ce temps[16], les
Bourguignons commençaient à s’acquérir une formidable renommée. Ces peuples,
issus des Vandales, habitèrent longtemps les rives de Ce peuple, commandé par un chef sans pouvoir, sous le titre de Heindinas, et gouverné réellement par un pontife qu’ils appelaient Sinistus, dont l’autorité n’avait pas de bornes, sollicita l’alliance des Romains ; Valentinien accueillit leur demande dans l’espoir de se servir de leurs armes contre les Allemands. Une fable répandue en Germanie faisait croire aux
Bourguignons qu’ils devaient leur origine à quelques garnisons romaines
abandonnées en Allemagne par les successeurs d’Auguste, et que leur nom
venait de l’usage anciennement établi chez eux de vivre dans des maisons
réunies, qu’ils appelaient Bourgs.
Valentinien flatta leur orgueil pour exciter leur zèle. Rassemblés par ses
ordres, ils parurent sur les bords di Rhin au nombre de quatre-vingt mille
hommes. Cette armée ne semblait pas moins dangereuse aux Gaulois qu’aux
Allemands. L’empereur, effrayé de leurs forces, viola le traité qu’il avait
conclu avec eux, et ne leur donna ni
vivres ni secours. Indignés de cette infraction à la foi jurée, ils ravagèrent
les frontières de La fin du règne de Valentinien fut troublée par de
continuelles révoltes, ses armes les comprimaient, mais ses rigueurs les
faisaient renaître. L’empereur, ayant pacifié Son fils Gratien, l’espoir des Gaules lui succéda[17] ; et son instituteur Ausone devint encore plus illustre par les vertus de son élève que par ses propres talents. Le nouvel empereur apprit à Trèves la mort de son père et la révolte de l’armée de Pannonie qui avait revêtu de la pourpre son jeune frère Valentinien II. Gratien, plus occupé du repos public que de sa grandeur personnelle, confirma cette élection et partagea le trône qu’il n’aurait pu conserver seul qu’en exposant l’empire au malheur d’une guerre civile. Il se montra par cette modération digue du vertueux saint Ambroise qui avait formé son cœur comme Ausone avait formé son esprit. Sous son règne trop court, Gratien[18] prouva bientôt que s’il différait de son père par sa douceur, il lui ressemblait par son courage. Les Allemands avaient repris les armes ; Gratien marcha contre eux, et, secondé par le vaillant Mellobaude, roi des Francs et commandant de sa garde, il remporta sur les Germains une victoire complète. Dans cette bataille, livrée près de Colmar, Priarius, roi des Allemands, se clonera la mort pour échapper au ressentiment de son peuple qui pardonnait rarement à ses chefs la honte de la défaite. Tandis que l’Occident voyait, ce jeune prince illustrer les
armes romaines, l’Orient, ouvert aux barbares, s’écroulait sous le sceptre de
Valens, monarque aussi méprisé de ses ennemis que haï dé ses sujets. Les
Goths, dont la puissance s’était étendue par les exploits de leur prince
Hermanrick des rives de La défaite d’Andrinople, aussi funeste pour les Romains que celle de Cannes, eut à peu près les mêmes résultats ; les vainqueurs ravagèrent l’empire, mais ils échouèrent devant les murs de la capitale et ne purent s’emparer de Constantinople. Gratien après avoir une seconde fois vaincu les Allemands arriva en Thrace à la tête de ses légions triomphantes, et rassembla les débris de l’armée vaincue. Par ses ordres un nouveau Scipion, le jeune Théodose, fils
du guerrier célèbre qui avait défendu Les hommes trop séduits par les illusions de la gloire et de la puissance prodiguent les louanges à l’ambition couronnée de succès, et en sont trop avares pour la sagesse ; l’histoire ne donne point assez d’éloges à un jeune empereur qui sut, à vingt ans, sacrifier son intérêt à l’intérêt général, l’ambition à la vertu, et sa famille à l’état. Gratien retournant dans l’Occident, défit en chemin les Quades, et d’autres peuples barbares ; après quelque séjour à Milan, une nouvelle invasion des Allemands le rappela dans les Gaules ; il les repoussa, et, pour les contenir, s’établit à Trèves. Ce jeune empereur, entraîné par les-conseils de saint Ambroise
défendit dans tout l’empire et dans Rome le même culte des idoles que jusque-là
ses prédécesseurs avaient plus ou moins toléré : la ville de Mars vit renverser
l’autel de Clémens Maximus, partisan zélé du paganisme, se trouvait
alors à la tête de plusieurs légions envoyées par Gratien en Bretagne, il les
souleva, les ramena dans Gratien s’avança pour le combattre et le rencontra à peu de distance de Paris. La défection de Mellobaude avec ses Francs et celle de la cavalerie africaine contraignirent Gratien à fuir. Ce prince qui naguère disposait de l’empire du monde ne garda auprès de lui dans ce désastre que trois cents hommes : ceux-ci restèrent même peu de jours fidèles au malheur, et l’empereur vaincu erra seul, sans secours et sans asile, dans cette Gaule défendue par son courage et pacifiée par sa bonté. Il périt près de Lyon par le glaive d’un ennemi ou par le poignard d’un sujet ingrat. Maxime régna quelque temps sans obstacle en Bretagne, en
Espagne et dans A cette époque de décadence on ne voyait presque plus de Romains dans les armées romaines, et au milieu de cette lutte qui armait la moitié du monde contre l’autre, le trône de Rome n’était attaqué et défendu que par des barbares. L’armée de Maxime n’était formée que de Germains et de
Gaulois. Les Huns, les Alains et les Goths composaient en grande partie les
forces de celles de Théodose. Une bataille sanglante qui dura depuis le point
du jour jusqu’à là nuit, sur les rives de Arbogaste[19], Franc de nation, parvenu dans l’armée de Théodose à une grande fortune par un grand courage, poursuivi les restes de l’armée d’Occident et termina la guerre civile en tuant le fils de Maxime. Théodose, vainqueur, proscrivit le paganisme, et força son jeune collègue Valentinien d’abjurer la secte arienne dont sa mère et lui avaient embrassé la cause. Ce jeune prince, ainsi rétabli sur le trône d’Occident, laissa régner sous son nom l’ambitieux Arbogaste, qui écarta les Romains de tous les emplois pour les prodiguer sans mesure aux Francs et aux Allemands qui lui étaient dévoués. L’empereur, entouré d’une garde étrangère, s’aperçut tardivement
que, par sa faiblesse, son diadème était devenu une chaîne et son palais une
prison. Captif au milieu de Avant de souiller par un crime l’élévation où sa vaillance
l’avait porté, Arbogaste s’était attiré le respect et la reconnaissance de Ce prince, célèbre par ses lois comme par ses victoires, fut le dernier rayon de la gloire romaine et la lueur passagère qu’il répandit, ne fit qu’éclairer l’abîme dans lequel les fils de ce monarque se précipitèrent avec le monde entier. |
[1] Trois cent dix-neuf ans après Jésus-Christ.
[2] Trois cent cinquante ans après Jésus-Christ.
[3] Trois cent cinquante et un ans après Jésus-Christ.
[4] Trois cent cinquante-trois ans après Jésus-Christ.
[5] Trois cent cinquante cinq ans après Jésus-Christ.
[6] Trois cent cinquante-six ans après Jésus-Christ.
[7] Trois cent cinquante-sept ans après Jésus-Christ.
[8] Trois cent cinquante-huit ans après Jésus-Christ.
[9] Trois cent cinquante-huit ans après Jésus-Christ.
[10] Trois cent soixante ans après Jésus-Christ.
[11] Trois cent soixante et un ans après Jésus-Christ.
[12] Trois cent soixante-trois ans après Jésus-Christ.
[13] Trois cent soixante-cinq ans après Jésus-Christ.
[14] Trois cent soixante-trois ans après Jésus-Christ.
[15] Trois cent soixante-sept ans après Jésus-Christ.
[16] Trois cent soixante-treize ans après Jésus-Christ.
[17] Trois cent soixante-quinze ans après Jésus-Christ.
[18] Trois cent soixante-dix-sept ans après Jésus-Christ.
[19] Trois cent quatre-vingt-douze ans après Jésus-Christ.
[20] Trois cent quatre-vingt-douze ans après Jésus-Christ.
[21] Trois cent quatre-vingt-dix-sept ans après Jésus-Christ.