HISTOIRE DES GAULES

 

CHAPITRE TROISIÈME

 

 

LA justice est si nécessaire aux hommes, qu’ils se croient obligés d’emprunter son voile révéré pour couvrir leurs actions les plus injustes ; et les gouvernements prennent tous son langage dans leurs manifestes, au moment même où l’ambition seule dirige leurs entreprises.

La Gaule, depuis longtemps, loin d’attaquer les Romains, se voyait dépouillée par eux de ses plus riches provinces. Cependant l’oppresseur cherchait des torts à l’opprimé pour servir d’excuse à de nouvelles, conquêtes ; il fallait un prétexte pour commencer la guerre ; l’ambition d’Orgetorix, Helvétien, en offrit un à César.

Cet Orgetorix, distingué dans son pays par sa naissance et par sa richesse, devint ainsi la cause de tous les malheurs de sa patrie : aspirant au pouvoir suprême et secondé par la noblesse, il séduisit une partie du peuple, en lui persuadant de le suivre et de quitter un sol âpre, montagneux, étroit, sans cesse exposé aux attaques des Germains, pour chercher dans l’ouest de la Gaule, les armes à la main, un climat plus doux, un territoire plus riche et des possessions plus vastes.

Un tel projet devait plaire à des nobles impatients de conquêtes et de pillage, à une multitude avide de nouveautés ; ils chargèrent Orgetorix de parcourir les cités voisines et d’obtenir ou leur appui ou leur neutralité. Orgetorix s’occupa moins dans cette mission de l’intérêt général qui masquait ses desseins, que des moyens propres à faciliter le succès de ses vues, ambitieuses et personnelles.

Il trouva chez les Francs-Comtois[1], un certain Casticus dont le père avait autrefois gouverné cette contrée, et chez les Éduens, le jeune Dumnorix, actif, adroit, audacieux et très populaire. Ces deux hommes désiraient comme lui monter au trône, et asservir leurs concitoyens.

Orgetorix leur persuada facilement, que réunis, ils triompheraient de tout obstacle : Si vous m’aidez, leur disait-il, à m’emparer du sceptre, les forces de l’Helvétie, jointes aux vôtres, nous rendront en peu de temps les maîtres de la Gaule.

Plus le nombre des hommes, qui entrent dans une conspiration s’accroît, plus il est difficile qu’elle reste longtemps cachée ; tout ce qui ajoute à sa force augmente en même temps son danger.

Les Helvétiens découvrent le complot d’Orgetorix ; furieux de cet attentat contre leur liberté, ils l’accusent et lui ordonnent de se justifier. Mais fier de l’appui que lui donnaient dix mille hommes dévoués, Orgetorix refuse de comparaître devant les juges.

Les magistrats alors assemblent le peuple ; toute la cité en armes se prépare à la vengeance ; la guerre civile est près d’éclater, lorsqu’on apprend soudain la mort de l’auteur de ces troubles : on crut généralement qu’il avait lui-même tranché ses jours.

Ses projets d’émigration lui survécurent, et le peuple helvétien persista si ardemment dans le désir d’abandonner son pays, qu’il brûla douze de ses villes, quatre cents villages, et tout le grain qu’il ne pouvait emporter : chaque citoyen se pourvu de vivres pour trois mois. Plusieurs autres nations, celles de Bâle[2], de Duttingen[3], de Brisgau[4], et les habitants de la Bavière[5] se joignirent à eux, mais tous restèrent quelque temps dans l’incertitude sur la route qu’ils devaient suivre.

Deux chemins s’offraient à eux ; l’un, par la Franche-Comté[6], était un défilé entre le mont Jura et le Rhône, passage si étroit et tellement dominé que peu de cohortes ennemis auraient suffit pour arrêter leur marche ; l’autre route plus ouverte traversait la province romaine, et présentait de grandes facilités ; le pont de Genève appartenait, aux Helvétiens ; le Rhône malgré sa rapidité était guéable en plusieurs endroits, enfin en se dirigeant de ce côté, ils espéraient attirer dans leur parti les Savoyards[7], encore mal soumis aux Romains.

Déterminés par ces considérations ; ils choisirent ce chemine, convinrent de se rassembler tous sur les bords du Rhône le 28 mars de l’année 58 avant Jésus-Christ.

César, après son consulat, avait sollicité et obtenu du sénat le gouvernement de la Gaule Cisalpine et de la province romaine. Informé du projet et des dispositions des Helvétiens, il part, suivi d’une seule légion, avec cette célérité qui lui valut tant de succès, pénètre dans la Gaule ultérieure, arrive à Genève, en fait rompre le pont, et ordonne de grandes levées dans toute la province.

Lorsque les Helvétiens apprirent qu’ils avaient été ainsi prévenus par César, ils lui députèrent deux hommes considérés parmi eux, Numéius et Véroductius, pour le prier de leur accorder un libre passage sur le territoire de la république ; ils promettaient de ne commettre dans leur marche aucun dégât ni aucune hostilité.

Leur unique dessein était de s’établir sur les bords de l’Océan dans la Saintonge, pays des Santons : Nous n’avons, disaient-ils, d’autres moyens pour exécuter notre entreprise que de passer en amis sur vos terres ; toute autre route est impraticable ou trop dangereuse.

La honte et la défaite du consul Cassius, qui s’était vu contraint récemment par les Helvétiens de passer avec son armée sous le joug, avait inspiré trop de ressentiments et laissé de trop funestes souvenirs pour que César accueillit une telle demande. La plus brave des nations gauloises qui cherchait et voulait conquérir une autre patrie, un peuple debout, trois cent mille voyageurs armés, excitaient trop d’inquiétude et d’embarras pour leur accorder imprudemment l’hospitalité.

Cependant César, quoique bien décidé à leur refuser l’entrée de sa province, dissimula ses intentions, et afin de se donner le temps de rassembler les troupes qui devaient le rejoindre, il annonça aux députés que ne pouvant répondre sans consulter le sénat, il les informerait le 13 d’avril suivant de sa résolution définitive.

Personne ne sut mieux que ce grand capitaine unir la prudence à l’audace ; il employa ces quinze jours de délai à construire avec une incroyable activité, dans une étendue de dix-neuf mille pas, depuis le lac de Genève jusqu’au mont Jura, un mur de seize pieds de hauteur, bordé d’un fosse très profond et garni de tours défendues par des troupes d’élite.

Au jour fixé, lorsque les députés se présentèrent de nouveau, César leur déclara que le peuple romain ne voulait pas qu’aucune troupe étrangère traversât son territoire ; et que, si les Helvétiens le tentaient, il emploierait, la force des armes pour les repousser.

Ceux-ci, reconnaissant trop tard qu’on les avait trompés, et qu’il n’était plus possible de franchir une barrière si bien gardée, s’adressèrent encore au gendre d’Orgetorix, à l’Éduen Dumnorix, qui s’était acquis une grande considération parmi les Francs-Comtois ses voisins, par son crédit et par ses promesses.

Les députés d’Helvétie obtinrent un libre passage dans la Franche-Comté ; les deux, peuples se promirent un appui mutuel, conclurent une alliance, et se donnèrent réciproquement des otages pour en garantir l’exécution.

On ne connaît pas bien comment la Gaule, que César disait si fertile, si cultivée, si remplie de villes, de bourgs, de villages, d’habitants, et qui arma trois millions d’hommes contre lui, contenait cependant encore d’assez grands terrains sans maîtres et sans culture pour donner à une nation tout entière l’idée et l’espoir de s’établir dans une de ses provinces ; si les Romains n’ont point exagéré dans leurs récits la population gauloise, on doit croire que les guerres civiles ainsi que les ravages des Cimbres et des Teutons avaient totalement dépeuplé quelques parties de ce vaste territoire.

Quoi qu’il en soit, dès que César fut informé de la résolution des Helvétiens, il résolut de s’y opposer. C’était dévoiler son ambition, car ce peuple, en se transplantant et en s’éloignant de la province romaine, ne lui donnait aucun droit pour l’attaquer. César prétendit que l’établissement de ces tribus belliqueuses chez les Santons serait dangereux pour leurs nouveaux voisins les Tolosates, colonie romaine.

Sur ce seul motif, laissant son lieutenant Labienus garder ses retranchements, il court chercher cinq légions ; revient avec la rapidité de l’éclair, combat en chemin les peuples de la Tarentaise[8], de Maurienne[9], et d’Ambrun[10], traverse le pays des Lyonnais[11], et y reçoit une députation des Éduens, qui le pressent de les protéger contre les Helvétiens, dont les bandes indisciplinées, après avoir traversé la Franche-Comté, ravageaient leurs frontières.

César ne jugea pas alors convenable d’attendre.101s fissent arrivés en Saintonge pour les attaquer ; mais il pressa sa marche, et les atteignit sur les bords de la Saône[12], que les trois quarts de l’armée helvétienne avaient déjà passée : le quart, qui était resté en deçà du fleuve, surpris, assailli fut taillé en pièces.

Par un singulier hasard, qu’on regarda comme un présage favorable pour les Romains, ces Helvétiens détruits dans le premier combat étaient les Tiguriens[13], ceux-là mêmes dont les pères avaient fait passer Cassius sous le joug. César fit croire habilement à ses légions qu’en cette circonstance les dieux signalaient leur faveur pour lui, et vengeaient son injure personnelle, car Pison son aïeul avait péri dans cette déroute avec Cassius dont il était le lieutenant.

Non moins téméraire qu’Alexandre qui entreprit la conquête de l’Asie avec trente mille hommes César commença celle de la Gaule à la tête de cinq légions. Mais le premier ne combattait que des Asiatique énervés, tandis que l’autre attaquait un peuple belliqueux dont le nom depuis trois siècles était l’effroi de Rome.

Le génie de César, sans s’aveugler sur la résistance qu’il éprouverait, mesura froidement les périls qu’il allait courir ; il étudia ses ennemis, leurs institutions, leur caractère, leurs mœurs, fonda son espoir sur leur désunion, sur leur rivalité ; et mérita ainsi sa gloire par son habileté autant que par sa vaillance.

On voit avec surprise ce grand capitaine s’élancer au milieu des Gaules, s’y établir avec une poignée de Romains, y rester isolé, entouré de tribus nombreuses et guerrières, disséminer encore sans crainte ses légions dans l’est, le nord, l’ouest et le midi de ces vastes contrées, combattre et triompher partout, n’obtenir que des trêves après ses victoires, soutenir des siéges dans tous ses camps, vaincre tantôt en masse, tantôt en détail, enfin, après dix années d’entreprises hasardeuses, de batailles continuelles, soumettre, entièrement ces peuples dont le nombre aurait dû l’accabler, et ne payer cette grande conquête que de la perte d’une seule de ses légions.

La connaissance parfaite que César avait acquise de ce pays peut seule expliquer le mystère de sa fortune et la sagesse de ses témérités. Pour mieux comprendre ce grand homme, écoutons-le quelques moments parler de la Gaule, décrire sa position et peindre les mœurs de ses habitants.

La Gaule, dit-il, est divisée en trois parties : les Belges habitent l’une, les Aquitains l’autre, et les Celtes, que nous appelons Gaulois, la troisième. Tous ces peuples diffèrent entre eux de lois, de coutumes et de langage. La Garonne sépare les Aquitains des Gaulois ; ceux-ci sont séparés des Belges par la Seine et par la Marne ; plus braves de tous sont les Belges : plus éloignés de la province romaine et plus étrangers à la culture, à l’humanité, à la civilisation, le commerce ne porte point chez eux tous ces objets de luxe qui efféminent les esprits.

Leur humeur belliqueuse est entretenue et endurcie par le voisinage des Germains avec lesquels ils sont en guerre continuelle ; c’est ce qui fait aussi que les Helvétiens surpassent en courage les autres Gaulois, car ils s’exercent sans cesse ou se battent presque tous les jours contre les Germains pour attaquer leurs frontières ou pour défendre leurs propres foyers.

Dans la Gaule, on voit non seulement les villes, les bourgs, les villages, mais les familles mêmes divisées en factions ; chacune a son chef qui exerce la plus grande autorité sur elle ; toutes les résolutions sont soumises à sa volonté ; toutes les affaires à son arbitrage. Il paraît que cette coutume établie de tout temps a pour but d’empêcher que le faible ne soit opprimé sans secours par le puissant.

Chacun défend avec zèle son parti ; s’il y manquait, il perdrait tout crédit et tout pouvoir : on retrouve cet usage dans toute la Gaule. Chaque ville est agitée par deux partis qui se disputent la prééminence.

Lorsque les Romains entrèrent dans les Gaules, les Éduens étaient les chefs d’une grande faction ; les Séquaniens se trouvaient à la tête de la seconde : ceux-ci, moins forts parce que l’autorité des Éduens était plus ancienne et soutenue par une plus nombreuse clientèle, cherchèrent à se fortifier en s’alliant aux Germains et à Arioviste ;  ils le décidèrent à cette union par de grandes promesses.

Plusieurs victoires remportées par ce prince et la destruction de presque toute le noblesse des Éduens accrurent tellement l’autorité des Séquaniens, qu’ils virent passer dans leur parti les principaux alliés de leurs rivaux et contraignirent enfin ceux-ci à livrer leurs enfants en otage, à céder une portion de leur territoire, et à jurer de ne rien entreprendre contre la Séquanie : ils étaient aussi parvenus à dominer presque toute la Gaule. Un Éduen considérable, nommé Divitiac, impatient du joug, et brûlant du désir de faire cesser cette oppression, s’était rendu à Rome ; il avait imploré le secours du sénat, mais sans succès.

L’arrivée de César changea subitement la face des affaires ; les Séquaniens rendirent aux Éduens leurs otages ; leurs anciens alliés revinrent à eux, et ils en acquirent même de nouveaux dès qu’on sut que les Romains traitaient leurs ennemis avec rigueur de leurs amis avec douceur et ménagement. Les Séquaniens perdirent ainsi toute prééminence, dès ce moment les Éduens n’eurent d’autres rivaux que les Rhémois, leurs anciens et irréconciliables ennemis, ceux-ci devenant aussi les alliés des Romains : on recherchait également leur appui, de sorte que tous les peuples gaulois, hors les Belges, se partagèrent entre les deux confédérations des Éduens et des Rhémois, respectant les uns comme anciens, les autres comme nouveaux alliés de Rome.

Autun devint ainsi la première, et, Reims la seconde des cités gauloises.        

Dans toutes les Gaules, il n’existe que deux classes d’hommes honorés ; le reste du peuple vit dans un état peu différent de la servitude ; il n’entre dans aucun conseil, et ne peut agir, après sa propre volonté. La plupart des citoyens, accablés de dettes, chargés d’impôts ou opprimés par des hommes puissants, s’attachent à des nobles qui ont sur eux tous les droits d’un maître sur son esclave.          

Les deux classes distinguées qui gouvernent ainsi la nation sont les druides et les chevaliers. Les premiers président aux choses divines, dirigent les sacrifices publics et particuliers, et interprètent les dogmes de la religion. Un grand nombre de jeunes gens se rangent sous leur discipline, parce que cet ordre est en grande considération. En effet, il décide toutes les contestations publiques ou privées : si un crime, si un meurtre a été commis, s’il s’élève des querelles sur un héritage ou des limites les druides les jugent ; ils accordent les récompenses, ils infligent les peines, et, tout homme public ou privé qui résiste à leurs décrets est interdit par eux, il ne peut plus assister aux sacrifices ; ce châtiment est de tous le plus grave à leurs yeux : l’interdit se voit rangé au nombre des impies ou des scélérats ; tout le monde l’abandonne, chacun fuit sa conversation ; à son approche, de crainte d’être frappé de contagion, on ne lui rend aucun honneur, et il ne peut jamais espérer aucune justice.

Les druides reconnaissent un chef qui exerce sur eux une autorité suprême ; après sa mort, le  plus éminent en mérite lui succède ; si plusieurs présentent les mêmes titres, les druides choisissent entre eux, et jamais ils ne violent par la force des armes la liberté de cette élection.

A une certaine époque de l’année, tous les druides se rassemblent sur les frontières du pays Chartrain, centre de la Gaule ; ils se réunissent dans un lieu qu’on regarde comme sacré : là, de toutes parts on accourt pour les consulter, et se soumettre à leurs jugements.

On croit que cette institution a pris naissance en Bretagne, depuis elle s’est répandue dans la Gaule : aussi ceux qui veulent en approfondir avec plus de soin les mystères, vont en étudier les dogmes dans l’île des Bretons.

Les druides sons exempts du service militaire ; ils ne combattent point, ne paient point de tribut ; on les dispense de toutes charges : tant d’immunités et de privilèges leur attirent une foule de jeunes gens que les principales familles leur recommandent ; ils y apprennent, dit-on, un grand nombre de vers ; quelques-uns consacrent vingt années à cette étude ; il ne leur est point permis de transcrire ces vers ; quoique les lettres grecques soient en usage chez les Gaulois pour toutes les affaires publiques et privées, cette défense paraît avoir deux motifs : le premier de rendre leurs dogmes plus respectables en ne les divulguant pas ; le second de rendre plus active la mémoire de leurs disciples, car il est reconnu que :la mémoire se relâche lorsqu’elle se fie à l’écriture.

Ce qu’ils s’efforcent surtout de persuader à leurs disciples, c’est que les âmes ne périssent point, et qu’après la mort elles passent dans d’autres corps : ils pensent que ce dogme, en faisant mépriser la mort, est le plus puissant aiguillon du courage.  Ils leur enseignent ensuite la marche des astres, la forme du monde, l’étendue de la terre, la nature des choses, la puissance, la force et l’immortalité des dieux.

L’autre classe prééminente dans la Gaule est celle des chevaliers. Leur usage, toutes les fois qu’il s’élève une guerre, est d’y prendre part, et avant l’arrivée des Romains, il n’y avait point d’année où chaque cité ne combattît soit pour attaquer, soit pour se défendre. Tous se vouent au métier des armes. Le nombre des clients, des Ambactes, dont chacun d’eux se voit entouré, est proportionné à sa naissance et à ses richesses. Cet entourage plus ou moins grand est chez eux l’unique marque de distinction, de crédit et de puissance.

Toute la nation gauloise est fortement attachée à ses croyances religieuses. Dans les maladies, dans les périls, on les voit immoler des hommes pour victimes, et se vouer quelquefois même à la mort ; ils ont recours aux druides pour ces sacrifices ; ils pensent que la vie d’un homme doit seule racheter la vie d’un autre homme, et ils croient qu’on ne peut autrement apaiser le courroux des dieux immortels ; plusieurs de ces sacrifices sont institués publiquement. On en voit qui construisent d’immenses statues d’osier qu’ils remplissent d’hommes vivants ; ils y mettent le feu, et font ainsi expirer ces misérables dans les flammes. Les voleurs, les assassins sont, dans leur opinion, les victimes, les plus agréables aux dieux, mais lorsqu’ils ne trouvent pas assez de coupables, les innocents mêmes sont envoyés au supplice.

Mercure est le plus puissant de leurs dieux ; ils en font un grand nombre de statues, et lui attribuent l’invention des arts. C’est le guide de leurs voyageurs, le protecteur de leurs commerçants. Après lui ils adorent Apollon, Mars, Jupiter et Minerve ; leurs opinions sur ces divinités sont les mêmes que celles de toutes les autres nations. Ils croient qu’Apollon chasse les maladies, que Minerve préside aux sciences et aux arts, Mars à la guerre, et que Jupiter gouverne l’empire céleste.

Au moment de livrer bataille, ils vouent à Mars une partie de leur butin, et lui sacrifient les animaux dont ils se sont emparés : ce qu’ils réservent pour d’autres sacrifices est mis en dépôt dans des lieux destinés à cet usage. Plusieurs cités en gardent des amas considérables ; le terrain qui les renferme est sacré ; rarement un Gaulois méprise assez la religion pour en détourner ou dérober la moindre partie ; leurs lois punissent ce crime du plus horrible supplice, celui de la croix.

Ils se vantent d’être descendus de Pluton ; c’est ce que les druides leur ont persuadé : d’après cette croyance ils mesurent le temps non par le nombre des jours, mais par celui des nuits ; ils commencent par elles leurs mois ; leurs années, de sorte que le jour suive constamment la nuit ; enfin c’est la nuit et non le jour de leur naissance qu’ils célèbrent.

Pour tous les autres usages de la vie, ils différent peu des autres peuples ; seulement, ils ne permettent à leurs fils de les voir publiquement que lorsqu’ils sont adultes, où lorsqu’ils peuvent soutenir le poids des armes. Faire paraître en public un enfant en présence de son père serait pour eux une honte.

Lorsque la dot d’une femme est estimée, le mari est obligé de lui en donner une égale ; on met les biens en commun et ils demeurent ainsi que les intérêts au survivant. L’époux exerce le pouvoir de vie et de mort sur sa femme et sur ses enfants. Lorsque quelque père de famille d’une naissance illustre meurt, et que sa mort inspire des soupçons contre sa femme, les parents se réunissent ; elle subit la question comme une esclave, et si elle est trouvée coupable, on la livre aux flammes, après lui avoir fait souffrir les plus cruels tourments.

Les funérailles des Gaulois sont, relativement à leur civilisation, magnifiques et somptueuses. Tout ce que le défunt paraissait avoir aimé de son vivant est brûlé sur son bûcher ; même les animaux ; et le temps n’est pas éloigné où l’on brûlait, avec lui, ceux de ses esclaves et de ses clients qu’il chérissait le plus.

On voit par ce tableau les soins que César s’était donnés pour étudier ses ennemis. Ce n’est que par la connaissance approfondie d’un peuple qu’on trouve le secret de le vaincre, de le soumettre et de le gouverner.

Après sa victoire, César jeta un pont sur la Saône[14], et passa en un jour ce fleuve que les Helvétiens n’avaient pu traverser qu’en trois semaines. Poursuivis de près et surpris de sa promptitude, ces peuples lui envoyèrent enfin des députés. Leur chef Divicon, célèbre par la victoire qu’il avait remportée sur Cassius, montra par la fierté de ses paroles que les vaincus n’attribuaient leur défaite qu’au hasard.

Si le peuple romain, dit-il, veut conclure la paix avec les Helvétiens, ils consentiront à s’établir et à demeurer dans la partie des Gaules que César désignera. Mais s’il persiste à les combattre, qu’il se souvienne des malheurs récents de l’armée romaine et de l’antique courage des Helvétiens. César ne doit ni les dédaigner, ni attribuer à sa vaillance l’avantage d’un combat imprévu dans lequel leurs troupes, séparées par un fleuve, ne pouvaient se soutenir mutuellement. Nous avons appris de nos dieux à triompher par le courage et non par la ruse. Réfléchissez à votre entreprise, et craignez, en nous combattant, de rendre ces lieux à jamais célèbres par les calamités du peuple romain et par la destruction de son armée.

César leur répondit avec hauteur ; leur reprocha les outrages qu’ils avaient faits aux alliés de Rome, et leurs tentatives pour traverser la province romaine. Vous avez, leur dit-il, surpris et non vaincu Cassius ; les dieux retardent quelquefois le châtiment pour le rendre plus certain, ou pour laisser le temps du repentir : je puis oublier vos anciennes injures, mais non les nouvelles ; elles seront punies sévèrement, à moins que vous ne vous hâtiez de les réparer, d’indemniser les Allobroges, les Éduens, ainsi que nos autres alliés, et de me donner des otages pour garants de votre bonne foi.

Notre antique coutume, répliqua Divicon, est de recevoir des otages et non d’en donner ; les Romains eux-mêmes en peuvent rendre témoignage.

Ces paroles rompirent la conférence. Les Gaulois continuèrent leur marche ; César les poursuivit et sa cavalerie trop ardente fut repoussée avec perte par celle des Helvétiens, que cet avantage enorgueillit. Le général romain ne tarda pas à se convaincre que si la désunion et l’inconstance des Gaulois pouvaient lui donner quelque facilité à vaincre les cités qui se déclaraient contre lui, elles devaient aussi l’empêcher de compter solidement sur l’appui de celles qui embrasseraient sa cause. Après quinze jours de marche, le défaut de vivres l’arrêta ; les Éduens lui en avaient promis ; et cependant ils n’arrivaient pas. Inquiet de ce retard, il rassemble les principaux Éduens qui se trouvaient dans son camp, et demande au premier d’entre eux, Liscus, vergobrète ou principal magistrat d’Autun, ce qui pouvait occasionner l’inexécution de ces promesses : C’est pour vous, dit-il, que j’ai pris les armes ; je combats pour vous venger, vous avez autant d’intérêt que moi à nos succès ; j’avais compté sur votre secours, vous me livrez sans vivres à la merci de nos ennemis. Je vous regardais dans cette guerre comme des alliés ardents et fidèles, mais vous n’en êtes que les témoins indifférents.

Liscus, touché de ce reproche, dit alors à César que, bravant le péril certain auquel il s’exposait, il se décidait à lui tout dévoiler. Apprenez, poursuivit-il, que dans ma cité les magistrats ont perdu tout pouvoir : quelques hommes audacieux se sont emparés de la faveur populaire, ils ont persuadé à la multitude qu’on ne devait pas vous envoyer de vivres, et quel si les Éduens perdent l’espoir de la suprématie dans les Gaules, il vaut mieux qu’elle appartienne aux Helvétiens, Gaulois comme eux, qu’à des Romains qui renverseraient notre liberté : ces mêmes factieux correspondent avec l’ennemi, et l’informent de tous vos desseins. J’avoue que jusqu’ici là crainte  qu’ils m’inspirent, m’avait imposé silence.

Dans une conférence plus secrète, Liscus confirma les soupçons formés depuis longtemps dans l’esprit de César contre l’Éduen Dumnorix. Il était en effet le chef de la faction liée aux Helvétiens ; cet homme riche et ambitieux, grossissant sa fortune par les formes et par les droits de péages, qu’il levait à bas prix, augmentant son crédit par ses largesses, et soldant un corps nombreux de cavaliers qui l’entourait, avait acquis une grande autorité dans sa ville comme dans les cités voisines ; il avait marié sa mère à un chef distingué des Berruyens ; il s’était lui-même uni par les liens du mariage à une Helvétienne, et manifestait une grande haine pour les Romains, surtout depuis que César soutenait contre lui l’autorité de son frère Divitiac. Les Helvétiens lui faisaient espérer le trône, et il les servait avec ardeur.

Enfin César apprit que c’était à la trahison des cavaliers de Dumnorix que les Romains devaient attribuer leur récent échec : instruit de tous ces complots, et contenant son courroux, il en parla à Divitiac, dont l’âme généreuse parvint à le fléchir en faveur de son frère. Cependant, il fit arrêter Dumnorix, lui dit qu’il avait tout découvert et tout pardonné à condition seulement qu’il réparerait ses torts ; la liberté lui fut ensuite rendue ; mais des agents fidèles surveillèrent sa conduite : la modération de César lui rendit l’amitié des Éduens, et l’abondance reparut dans le camp.

Bientôt il atteignit les ennemis ; Labienus à leur insu s’était porté derrière une montagne, sur leur flanc. Dès qu’il y fut arrivé, César feignit de se retirer et de se rapprocher d’Autun[15]. Les Helvétiens, attribuant ce mouvement à la crainte, le poursuivent avec plus d’ardeur que d’ordre ; alors les légions s’arrêtent, se rangent en bataille et le signal du combat est donné.

César sentait que ce jour allait décider de sa destinée : voulant ôter aux Romains tout espoir de fuite et rendre le péril commun à tous, il ordonne d’éloigner les chevaux, sans excepter même le sien, harangue ses troupes, et commande l’attaque.

Les ennemis soutiennent d’abord le choc avec intrépidité ; leurs boucliers sont criblés par les dards des Romains ; ils les jettent et combattent nus ; enfin couverts de blessures ils reculent ; l’armée romaine les suit, mais tout à coup leur corps de réserve, composé de Boïens et de Tulingiens, fond sur les flancs de la ligne romaine et la tourne ; les Helvétiens reprennent courage et renouvellent avec fureur le combat ; il fut longtemps douteux ; les Romains, faisant front partout, partout repoussent les assaillants ; enfin l’ennemi fatigué se retire ; mais sans tourner le dos, et continue à se battre jusqu’au lieu où il avait enfermé ses bagages, derrière les chariots dont il s’était fait un rempart ; là les Helvétiens se défendirent encore longtemps à coups de flèches, de pique et de lance ; enfin on força leur camp. Un fils et une fille d’Orgetorix tombèrent dans les fers ; la plus grande partie des Helvétiens périt ; cent trente  mille hommes se sauvèrent dans le pays des Lingons, habitants de Langres.

La perte des Romains avait été considérable ; César, occupé à soigner les blessés, à faire enterrer les morts, ne put poursuivre les ennemis ; mais, dans l’espoir de retarder leur marche, il envoya des courriers aux Lingons pour leur défendre de donner des subsistances aux vaincus, sous peine de s’attirer la guerre ; ils obéirent, et les Helvétiens découragés envoyèrent des députés qui demandèrent à genoux la paix.

César exigea d’eux qu’ils rendissent les esclaves, déposassent les armes, et donnassent des otages. Six mille Bernois[16], ne voulant pas souscrire à ces conditions, tentèrent seuls de gagner le Rhin ; mais ils furent arrêtés dans leur route et pris : le reste des Helvétiens se soumit aux lois du vainqueur. César leur ordonna de retourner en Helvétie pour la défendre contre les Germains, et de rebâtir leurs villes et leurs bourgades. Les registres trouvés dans leur camp prouvèrent qu’à son départ cette nation était composée de trois cent soixante-huit mille personnes, dont quatre-vingt-douze mille portaient les armes ; après leur désastre cent dix mille seuls revirent leur patrie.

Une si éclatante victoire répandit partout la renommée de César ; les principaux chefs de la Gaule celtique accoururent le féliciter. Ils le remercièrent de les avoir délivrés de l’invasion des Helvétiens, et lui demandèrent la permission d’assembler, suivant leur usage, des députés de toutes les cités pour délibérer sur les intérêts généraux de la Gaule, et relativement à des propositions qui exigeaient leur commun consentement.

Après avoir obtenu son approbation, ils se réunirent et firent serment de ne rien laisser transpirer du résultat de leurs délibérations.

L’assemblée étant séparée, les mêmes députés revinrent trouver César ; ils le conjurèrent de garder un secret inviolable sur ce qu’ils allaient lui confier.

Divitiac portait la parole : Deux factions rivales, dit-il, celles des Éduens et des Arverniens, déchiraient la Gaule ; les derniers, unis aux Séquaniens ; ont commis l’imprudence inouïe d’appeler à leur secours les Germains. Ces hommes sauvages et féroces n’ont, pour la première fois, passé le Rhin qu’au nombre de quinze mille hommes ; mais bientôt, tentés par la richesse et par la fertilité de notre patrie, cent vingt mille de leurs compatriotes les ont suivis, et sont entrés dans les Gaules. Les Éduens, vaincus par eux dans de fréquents combats, ont vu périr leur sénat et presque toute la noblesse. Ce peuple, qui par son courage et par son alliance avec Rome, s’était acquis tant de crédit dans la Gaule, s’est vu contraint de donner en otages aux Séquaniens leurs plus nobles citoyens. On leur a fait jurer de ne point redemander ces otages, de ne jamais implorer le secours des Romains. Moi seul, continua Divitiac, refusant de me soumettre et de livrer mes enfants, j’ai pu, sans parjure, fuir ma patrie, et demander au sénat la protection de Rome.

Au reste, le sort des Séquaniens vainqueurs est encore plus triste que celui des Éduens vaincus ; leur allié Arioviste, roi des Germains, s’est emparé du tiers de leurs terres : dernièrement encore ils y ont établi une colonie de vingt-quatre mille barbares. Bientôt tous les Germains passeront le Rhin pour vivre de nos dépouilles. C’est surtout depuis sa dernière victoire remportée prés d’Amagetobrie, qu’Arioviste, devenu plus superbe, plus violent, nous contraignit à lui livrer les enfants des familles les plus distinguées ; le moindre retard dans l’exécution de sa volonté nous expose aux plus cruels supplices : il est impossible de supporter plus longtemps la tyrannie de cet homme audacieux, irascible et barbare. Si César et le peuple romain ne nous secourent, il faudra que tous les Gaulois, à l’exemple des Helvétiens, abandonnent leurs champs, et cherchent, loin de la Germanie, d’autres foyers et une autre fortune.

Si Arioviste était informé de notre démarche tous les otages qui sont entre ses mains périraient cruellement. César peut seul, par la force de son armée, par le bruit de sa récente victoire, par le respect porté au nom du peuple romain, empêcher qu’une plus grande multitude de Germains ne passe le Rhin et ne livre toute la Gaule sans défense aux outrages d’Arioviste.

Les gémissements des assistants, la contenance abattue, la honte et le silence des députés séquaniens confirmèrent les paroles de Divitiac. Le terrible Arioviste semblait être présent à leurs yeux. César les rassura par ses promesses.

J’ai, dit-il, autrefois rendu service à ce prince et j’espère qu’en ma faveur il arrêtera le cours de ses injustices. Un motif plus réel et plus puissant déterminait César à secourir les Gaulois ; indépendamment de la honte qu’il aurait éprouvée en laissant opprimer les Éduens, anciens alliés de Rome, son ambition voyait dans Arioviste un rival redoutable. Le Rhône seul séparait la Séquanie de la province romaine, et les Germains, en s’habituant à passer le Rhin, pouvaient menacer l’Italie d’une invasion non moins formidable que celle des Cimbres et des Teutons.

César envoya des ambassadeurs au roi des Germains pour lui demander une conférence, et le prier d’indiquer à cet effet un lieu également distant de leurs frontières.

Arioviste répondit qu’une armée ne pourrait marcher sans dépense et sans embarras ; qu’il ne voyait point de sûreté à s’approcher seul des limites romaines ; que si César voulait lui parler, c’était à lui à venir le chercher ; qu’au reste il ne comprenait pas de quel droit César et les Romains prétendaient s’interposer entre lui et les ennemis qu’il avait vaincus.

César prit alors le parti de lui écrire ; il lui rappela son alliance avec les Romains, et lui déclara que pour la conserver il devait rendre aux Éduens et aux Séquaniens leurs otages et leur indépendance, qu’autrement, d’après les ordres du sénat, il saurait défendre ses alliés par les armes.

Arioviste répondit avec arrogance, alléguant les droits des vainqueurs sur les vaincus, et l’exemple des Romains qui n’avaient jamais souffert qu’on les empêchât de gouverner librement les pays conquis par eux. Les Éduens, disait-il, subissaient le sort de la guerre ; défaits en plusieurs batailles, ils ne pouvaient conserver la paix qu’en payant le tribut exigé. En cas de refus, l’appui de Rome ne leur serait d’aucun secours. Si vous voulez, César, tenter la fortune des armes contre un roi qu’on n’a jamais attaqué impunément, vous connaîtrez bientôt à vos dépens ce que peut le courage d’un peuple qui depuis quinze ans n’a dormi que sous la tente.

Cette réponse et les nouvelles que César reçut de Trèves, dont les habitants se voyaient menacés d’une ruine prochaine par les Suèves, le décidèrent à marcher sans délai contre les Germains. Il voulut, par cette promptitude prévenir l’accroissement -redoutable que l’arrivée des cent cantons suèves aurait donné aux forces d’Arioviste, s’il leur avait laissé le temps de passer le Rhin et de se joindre aux Germains. Apprenant d’ailleurs qu’Arioviste s’avançait du côté de Besançon[17], ville importante par sa situation et par sa richesse, il marcha jour et nuit, s’empara de cette cité, et y trouva une grande quantité de vivres et de munitions.

A moment où ce succès semblait lui en promettre de plus importants, l’inconstante fortune, qui se plait à renverser en un instant les hommes et les états qu’elle a élevés le plus haut, parut abandonner César. Les récits de Gaulois effrayés, les relations exagérées des voyageurs sur le nombre, la force, la taille colossale et l’aspect terrible des Germains répandent dans le camp romain une terreur soudaine ; ces légions, qui ont tant de fois parcouru le monde en vainqueurs et dompté les peuples les plus belliqueux, tremblent au bruit de l’approche des Germains, méconnaissent la voix de leur chef, craignent de combattre, refusent de marcher, et demandent le signal de la retraite avec autant d’emportement qu’ils avaient coutume de provoquer celui des batailles.

Tout autre que César eût été perdu ; son éloquence et sa fermeté triomphèrent de la peur e de la révolte ; bravant les rebelles et les menaçant de combattre sans eux les barbares, avec la dixième légion qui seule lui restait fidèle, au lieu de retarder l’ordre du départ, il le hâte ; on l’exécute et la honte fait renaître le courage.

Lorsque les deux armées furent à six milles l’une de l’autre, Arioviste proposa une conférence à César ; c’était un piège pour le surprendre ; César le pressentit et se rendit au lieu indiqué sans crainte, mais non sans précautions,

Dans ce court entretien, César parla probablement avec peu de franchise de l’indépendance que le sénat voulait assurer à la Gaule et de la protection qu’il devait à ses alliés ; Arioviste se contenta de lui répondre qu’il pénétrait ses véritables projets de conquête, voilés sous l’apparence d’une fausse modération, et qu’en s’y opposant, comme il y était résolu, il se  concilierait l’amitié des plus grands personnages de Rome, dont plusieurs l’avaient secrètement excité à faire périr César. S’efforçant ensuite de prolonger l’entretien, il propose au général romain de partager entre eux la Gaule, au lieu de se la disputer.

Soudain, César s’aperçoit que quelques cavaliers germains attaquent son escorté, lui lancent des traits, et cherchent à l’envelopper ; alors, rompant brusquement la conférence, il rejoint avec rapidité son camp.         

Cependant, soit qu’une apparente, modération lui parût nécessaire pour s’attirer encore plus de respect dans les Gaules soit qu’au moment d’attaquer de tels ennemis, la rébellion récente des légions lui eût laissé quelque méfiance, accueillant une nouvelle demande d’Arioviste, il lui envoya deux députés pour traiter de la paix ; mais ce prince farouche, changeant d’avis par caprice ou pour plaire à la multitude, traita les envoyés romains comme des espions et les jeta dans les fers.

Peu de jours après les Romains lui présentèrent le combat ; mais, il le refusa et se tint constamment retranché dans son camp.

César, étonné d’une timidité qui répondait mal à tant d’arrogance ne tarda pas à en savoir la cause ; il apprit que les femmes germaines, dont ces peuples regardaient les paroles comme des oracles, avaient déclaré que les Germains seraient vaincus s’ils combattaient avant la nouvelle lune. Le général romain, prompt à sentir le parti qu’il peut tirer de cette superstition, marche sans tarder avec toutes ses forces contre l’ennemi, et le contraint par une brusque attaque à sortir de son camp pour le défendre : ainsi la bataille s’engage. César, à la tête de son aile droite, enfonce d’abord l’aile gauche des Germains, mais après une violente résistance le reste de ses légions plie devant les barbares.

Crassus, qui commandait une réserve de cavalerie, s’aperçoit de ce désordre, fond sur le flanc des Germains, et rétablit le combat. De ce moment la victoire ne fut plus douteuse ; les Germains, frappés de terreur, fuient de toutes parts : ils sont poursuivis, massacrés, la plupart périssent sous le fer des Romains, ou dans les flots ; Arioviste ne regagne l’autre rive du Rhin qu’avec peu des siens.

Au bruit de sa défaite, les Suèves s’éloignèrent César de ce fleuve, et la Gaule, ainsi délivrée de ces dévastateurs féroces, n’eut plus à redouter que son libérateur.

César, ayant, en une seule campagne, terminé deux guerres et vaincu deux peuples, si renommés, établit ses légions en quartier d’hiver dans la Séquanie sous les ordres de Labienus, et rentra lui-même dans la Cisalpine, d’où il pouvait à la fois veiller sur les mouvements de ses ennemis dans les Gaules et de ses rivaux dans Rome.

Il devait et pouvait compter sur l’affection des Éduens et des Séquaniens, délivrés par lui du joug intolérable des Germains. Les peuples voisins de la province romaine s’étaient peu à peu accoutumés au repos, dont un trop grand amour dispose à la dépendance ; mais dans les autres parties de la Gaule, les triomphes de César et l’établissement de ses légions en Séquanie répandaient une vive inquiétude. Les citoyens craignaient pour leur liberté ; les chefs redoutaient une protection trop dominante, et qui pouvait mettre un frein à leur ambition. Trop mécontents pour rester tranquilles, trop peu hardis pour oser les premiers attaquer un vainqueur si redoutable, ils fondèrent leur espoir sur l’ardeur, la force, le courage des Belges, qui, au bruit de la défaite des Helvétiens et des Germains, avaient résolu de défendre la liberté gauloise, et d’opposer une digue formidable au torrent qui menaçait de la renverser.

De toutes parts on leur envoya des députés pour aigrir leur ressentiment et pour les affermir dans leurs résolutions. César apprit par les rapports de Labienus, que les peuples de la Belgique, qui formait le tiers de la Gaule, contractaient ensemble des traités, couraient aux armes, se donnaient mutuellement des otages, et devaient se réunir tous sur leurs frontières.

Le moindre retard eût fait soulever les trois quarts de la Gaule ; César, qui savait mieux que tout autre général le prix du temps, part rapidement d’Italie, rejoint ses troupes, renforce son armée, par de nouvelles légions, y joint un corps nombreux d’Éduens et des escadrons de cavalerie tirés de Trèves, et arrive promptement chez les Rhémois. Sa présence raffermit dans son alliance ce peuple limitrophe des Belges, et vivement sollicité par eux de se réunir à leur ligue.

La promesse de sa protection, la menace de ses armes, ne purent produire le même effet sur les habitants de Soissons[18] ; leur roi Galba s’était allié aux Belges, qui lui avaient déféré le commandement général des forces de la confédération ; il leur amena cinquante mille hommes ; les Sennonais[19] embrassèrent le parti de César ; il sut par eux, avec précisions le nombre des ennemis qu’il devait combattre.

Leur armée réunie s’élevait à trois cent quarante mille hommes ; les Bellovaci[20] seuls en fournissaient soixante mille ; le reste était composé des Nerviens[21], Atuatici[22], Atrébates[23], Ambiani[24], Moréni[25], Menappi[26], Calètes[27], Vélocassi[28], Veromandici[29] : quelques autres, comptés parmi les nations germaines, avaient donné quarante mille combattants : c’étaient les Condrusi[30], les Éburons[31], les Cœresi[32] et les Pœmani[33].

Les Atuatici descendaient d’un reste de. Cimbres et de Teutons échappés au fer de Marins, et, qui avaient obtenu un établissement dans les Gaules.

Les Romains rencontrèrent l’ennemi sur les bords de l’Aine. L’armée belge occupait trois lieues de terrain. César, dans le dessein de les effrayer par une diversion, envoya Divitiac avec les Éduens sur le territoire de Beauvais pour le ravager. Mais avant de livrer bataille, voulant aguerrir le courage de ses troupes, et connaître celui des Belges ainsi que leur manière de combattre, il ne hasarda pendant quelques jours, que des affaires de postes et des escarmouches dans lesquelles sa cavalerie eut l’avantage.

Bientôt les ennemis en grand nombre se portèrent sur Bièvres[34], dont ils voulaient s’emparer. César alors les attaqua dans leur marche et les força de renoncer à leur dessein.

Au moment où ce combat plus sanglant que décisif venait de se terminer, les Belges apprennent que les Éduens dévastent le pays des Bellovaci ; à cette nouvelle, l’union cesse parmi eux ; chaque peuple craint pour ses foyers et veut aller les défendre ; le tumulte règne dans le camp, la voix des chefs n’est plus écoutée ; tous, sans ordre, sans plans, sans prudence, se séparent, et prennent les diverses routes de leurs pays.

César les poursuit vivement, en tue un grand nombre ; le reste se rallie, et combat avec fureur, mais en désordre, aussi disputèrent-ils plus la vie que la victoire ; enfoncés de tous côtés, après un grand carnage, ils cherchèrent leur salut dans la fuite.

César, toujours habile à profiter d’un succès, entra rapidement dans le Soissonnais, il attaqua brusquement Noyon[35]. Mais la hauteur des murailles et la profondeur des fossés de cette place l’empêchèrent de la prendre d’assaut ; il l’assiégea en règle ; les habitants, effrayés à l’aspect des machines de guerre qui leur étaient inconnues, demandèrent la paix et l’obtinrent par l’entremise des Rhémois. César leur laissa leurs terres et leur rendit la liberté, ainsi qu’aux deux fils de Galba qui les commandaient.

Beauvais[36], non moins effrayée, se soumit également ; Divitiac, leur vainqueur, apaisa le ressentiment de César contre eux. Seulement on en exigea six cents otages, comme garants de leur soumission.

Il fallait encore combattre les peuples d’Amiens et du Hainaut, fortifiés par le secours de ceux de Saint-Omer, du Vermandois et de Namur. L’indépendance de la Gaule voyait en eux ses plus fermes soutiens et ses plus ardents défenseurs : il était presque également difficile d’ébranler leur courage, ou de pénétrer dans leur pays, couvert de bois, de marais et coupé par des haies de ronces aussi serrées que des murailles : la cavalerie n’était presque d’aucun usage dans une telle contrée ; leur principale force consistait en infanterie.

César surmonta tous les obstacles d’une route si peu praticable, et s’approcha des rives de la Sambre[37] sans prévoir le péril imminent qui l’y attendait. Quelques Gaulois qui servaient sous ses ordres le trahirent et informèrent secrètement les Belges de ses desseins, des heures de son départ, de la direction de ses colonnes et de l’ordre de sa marche.

Les Belges, profitant de ces avis, cachent leurs troupes dans des bois épais ; ils laissent passer les’ Romains qui s’avancent avec tranquillité, ne voyant point d’ennemis. Dès que le camp de César est tracé, au moment où ses soldats, ayant quitté leurs armes, sont dispersés, les uns pour dresser les tentes, d’autres pour travailler aux retranchements, le reste pour chercher des fourrages, de l’eau et du bois, l’armée gauloise, couverte par les ombrés de la nuit, sort de la forêt et tombe avec impétuosité dans le camp tout ouvert, au milieu des légions éparses et désarmées.

La terreur est générale ; le danger se trouve partout ; l’espoir, nulle part ; tout parait perdu. Le génie seul de César est inébranlable ; seul il cherche, il prévoit les ressources’, donne les ordres, les exécute, réveille le courage, et fait espérer encore non seulement le salut, mais la victoire ; il plante de sa main l’étendard, signal de ralliement ; il fait sonner la charge ; il appelle les soldats aux armes ; à sa voix chacun prend son glaive, sans chercher à se couvrir de casque ni de bouclier. En un instant, quoique mêlées, des masses entières de Romains, se forment, et se rangent en cohortes, en légions : une longue habitude de discipline avait tant exercé à l’ordre, qu’il renaissait comme de lui-même, au milieu de ce tumulte.

Ce jour, devait détruire l’armée romaine, ou enlever à la Gaule son dernier espoir de liberté. De tels motifs portent des deux cotés l’excès de l’irritation jusqu’à la furie. On se mêlé, on combat corps à corps ; chacun est plus occupé à frapper son ennemi qu’à repousser ses coups. Après de longs efforts Labienus, parvenu à entamer le centre et l’aile gauche des Belges, les enfonce, et les poursuit jusqu’à leur camp.

Mais dans le même temps Boduognat, roi des Nerviens, se précipite avec une foule de guerriers contre l’aile commandée par César. La cavalerie auxiliaire de Trèves prend la fuite. Une partie des Nerviens s’empare du camp des Romains ; l’autre attaque en tête et en flanc deux légions, qui, dans le combat, s’étaient séparées : ces deux légions enveloppées, pressées par la masse effroyable des ennemi, se trouvent tellement resserrées que les soldats ne peuvent ni marcher ni faire usage de leurs armes ; les officiers principaux de la douzième légion tombent percés de coups.

Dans cette position presque désespérée, César arrache le bouclier d’un simple soldat, appelle par leur nom tous les centurions, et les exhorte à tenter encore un effort généreux : il charge à leur tête les plus intrépides assaillants, les écarte, les repousse et les force à ralentir leurs attaques. Les deux légions, plus libres de leurs mouvements, se rapprochent, s’adossent et se défendent avec moins d’inégalité.

Deux légions, laissées à l’escorte des bagages, arrivent enfin et les secourent. Cependant le nombre des Gaulois était encore prés de triompher de la résistance des Romains, lorsque tout à coup Labienus, qui s’était rendu maître du camp des ennemis, instruit du péril de César, lui envoie la dixième légion. A sa vue, tout change de face. La cavalerie auxiliaire se rassure et revient ; les Nerviens redoublent, en vain leurs attaques : furieux de voir qu’une victoire presque certaine leur échappe, ils s’acharnent au combat ; assaillis de toutes parts, ils aiment mieux succomber que fuir. Leurs morts entassés forment de sanglantes collines, sur lesquelles ceux qui leur survivent montent, et comme du haut d’une tour, lancent contre les Romains les traits que ceux-ci leur ont jetés. Chacun d’eux ne pense point à éviter la mort, mais à vendre chèrement sa vie ; enfin sur le champ de bataille tous ces intrépides Nerviens combattirent et périrent.

La nation presque tout entière fut détruite ; les vieillards, les femmes et les enfants qui s’étaient réfugiés dans leurs marais, implorèrent la clémence de César, il leur laissa la vie, la possession de leurs terres, faible consolation de la mort de leurs familles, et de la perte de la liberté. On sût par eux que six cents sénateurs, ils étaient réduits à trois cent, et de soixante mille combattants à cinq cents. Leur pays resta, sous la protection des Romains.

D’un autre côté, les Atuatici[38], ces fiers enfants des Cimbres, après avoir été repoussés par Labienus, avaient regagné leurs frontières, et s’étaient retirés dans une place forte située sur un rocher élevé, défendue par un double mur, garnie de palissades et environnée de précipices ; ils la croyaient imprenable.

César les y poursuivit et les somma de se rendre. Du haut de leurs murs, ils lui répondirent par des bravades et par des outrages ; mais lorsqu’ils virent le menaçant bélier et tout l’appareil formidable des catapultes, des balistes, des madriers, des mantelets, enfin lorsqu’ils aperçurent les tours roulantes qui s’approchaient et dominaient leurs remparts, désespérant de résister par la force à ces machines inconnues, ils résolurent d’opposer la perfidie à l’art, et feignirent de se rendre.

Ayant jeté dans les fossés leurs armes, par l’ordre de César, ils en cachent un grand nombre dans les lieux les plus secrets de leurs maisons ; les portes s’ouvrent ; les vainqueurs entrent et sont reçus avec une apparente soumission. Le soir César, dont la prudence veillait sans relâche, sort avec ses légions et les ramène dans leurs retranchements. Au milieu de la nuit les habitants s’arment, s’avancent sans bruit et s’efforcent d’escalader les remparts du camp ; mais les Romains étaient sur leurs gardes, ils repoussent les assaillants, les poursuivent, et entrent pêle-mêle avec eux dans la ville. César réduisit en esclavage ce peuple infortuné ; cinquante-trois mille furent vendus à l’encan. Cette rigueur, qui aurait dû soulever le reste de la Gaule, la découragea.

Une seule légion, envoyée dans l’ouest, et commandée par Crassus, soumit les peuples de Vannes[39], Coutances[40], Carlier[41], Dinant[42], Lamballe, Seez[43], Évreux[44] et Rennes[45]. La terreur inspirée aux Gaulois ne s’arrêta point à leurs limites ; de tous côtés les barbares envoyèrent à César des députés, des otages et des assurances de paix.

Après de si grands succès, certain que la crainte prolongerait le soumission, il établit ses troupes à Chartres[46], en Anjou[47] et en Touraine[48], et partit pour l’Italie.

Sergius Galba était resté par ses ordres dans le pays situé entre la Savoie, le lac Léman, le Rhône et les Alpes. Les peuples qui l’habitaient étaient ceux du Chablais et du Valais : César voulait s’en rendre maître, et ouvrir une grande route pour faciliter les communications du commerce.

Après quelques combats, leurs cantons s’étant soumis, Galba envoya une partie de sa légion en quartiers dans le haut Valais[49], il resta avec l’autre dans le pays du Chablais[50] ; un bourg appelé Martigny fut le lieu qu’il choisît pour placer son camps. Mais avant qu’il eût achevé de le fortifier, les Gaulois, le voyant posté dans un vallon étroit dominé de toutes parts, résolvent en secret de le surprendre et de l’exterminer.

Au point du jour, les Romains aperçoivent une foule de combattants qui du haut des montagnes les accablent de pierres et de dards ; l’air retentit de leurs cris. D’autres se précipitent en masses pour forcer les retranchements ; quelques officiers conseillaient la retraite, Galba se décide à la défense.

Le combat fut long, douteux et le péril extrême ; un moment on crut que le camp allait être pris d’assaut ; dans cet instant critique deux officiers intrépides, Baculus et Volucinius, accourent et proposent hardiment de tenter une sortie générale ; elle s’exécuté, étonne, et réussit. Le tiers des Gaulois est massacré, le reste fuit : mais Galba, ne croyant pas devoir s’exposer plus longtemps avec un si petit nombre de troupes au milieu d’une population turbulente et belliqueuse, rentre dans la province romaine.

César espérait alors qu’après avoir soumis la Celtique, vaincu les Belges, chassé les Germains et comprimé la rébellion des montagnards, il pourrait tranquillement tourner ses armes contre l’Illyrie ; mais son attente fût trompée ; la liberté qu’il croyait abattue se releva, et la Gaule subjuguée reprit tout à coup les armes.

Ce qu’on aurait peine à croire d’après de qui se disait alors de la fertilité de cette contrée, c’est que Crassus, qui en occupait le centre, se trouva dépourvu de vivres ; plusieurs députés se rendirent, par ses ordres, dans les cités maritimes afin d’en obtenir. Deux d’entre eux, Vélanius et Silius, arrivèrent à Vannes, capitale des Vénètes. C’était le peuple le plus puissant de la côte, il en possédait presque tous les ports ; le nombre de ses vaisseaux, l’habileté de ses marins, faisaient redouter ses armes : son commerce avec la Bretagne, aujourd’hui l’Angleterre, et les tributs imposés par lui aux navigateurs de toutes les nations, accroissaient journellement sa richesse.

Enhardis par l’absence de César, les Vénètes, levant l’étendard de l’indépendance, jettent en prison les députés romains et persuadent aux cités voisines d’imiter leur exemple.

Tous les peuples de la côte entrent dans cette ligue ; chacun jure d’être libre comme ses aïeux ; et de ne plus souffrir la domination des Romains ; enfin ils déclarent à Crassus qu’il ne reverra ses députés qu’en rendant les otages gaulois.

Ces nouvelles sont promptement transmises à César ; frappé de leur importance et du péril qu’elles annoncent, il ordonne en hâte de construire sur la Loire[51], des vaisseaux légers ; fait rassemblé de toutes parts des pilotes, des matelots, et court précipitamment dans la Gaule pour y réveiller la crainte chez les ennemis, et rendre l’espérance aux Romains.

Les Vénètes n’ignoraient pas à quelle vengeance ils s’étaient exposés en rompant la paix et en outrageant les ambassadeurs. La difficulté des chemins, coupés par les flots dans les hautes marées, l’appui d’un océan orageux, la force même de leur position, ne leur inspiraient point une fausse sécurité. Ils prirent activement toutes les mesures de défense, nécessaires pour soutenir et pour justifier leur audace.

Ils fortifièrent leurs villes, enlevèrent les grains des campagnes doublèrent le nombre de leur vaisseaux, excitèrent toute l’Armorique à prendre les armes, et demandèrent même des secours aux Bretons, aujourd’hui les Anglais.

D’autres sujets de crainte occupaient encore la prévoyance de César ; il connaissait la mobilité des Gaulois, leur promptitude à conclure et à rompre la paix, leur penchant pour la liberté, leur haine pour la servitude. Redoutant avec raison que le mouvement imprimé par les Vénètes ne devînt général, il crut nécessaire de diviser ses forces, et pendant qu’il combattrait les peuples rebelles, de surveiller ceux qui n’attendaient que l’occasion de le devenir.

Labienus fut chargé de contenir Trèves, Reims, la Belgique et d’en imposer aux Germains. Il envoya Crassus en Aquitaine, avec douze cohortes et un grand corps de cavalerie, afin d’empêcher que ces peuples ne secourussent la Celtique. Titurius Sabinus avec trois légions occupa le centre de l’Armorique.

Le Poitou et la Saintonge étaient restés soumis ; c’était là qu’on avait construit et armé des vaisseaux. Décius Brutus s’y rendit et prit le commandement de la flotte. César à la tête de son armée de terre marcha contre l’ennemi. Chaque pas de sa route était semé d’obstacles : dans les hautes marées, les flots entouraient les villes de la côte, et les rendaient inabordables ; situées sur des langues de terre étroites, leur approche, même dans les temps de la basse mer était périlleuse ; et, lorsqu’on parvenait à forcer leurs remparts, les habitants se réfugiaient sur leurs vaisseaux, ou dans les îles voisines, de sorte qu’après avoir perdu beaucoup d’hommes et de temps les vainqueurs n’avaient pris que des murailles désertes.

La flotte n’éprouvait pas moins de difficultés ; exposée aux tempêtes sur le vaste Océan, aucun port ami ne lui offrait de refuge. Les vaisseaux gaulois, construits en bois de chêne, avaient un fond plus plat que ceux des Romains, ils échouaient avec moins de danger, quand le reflux les mettait à sec, leurs proues et leurs poupes, plus élevées, résistaient avec plus de force aux vagues de la mer et aux éperons des navires ennemis. Leurs ancres, suspendues à des chaînes de fer les faisaient mouiller partout avec plus de sûreté ; enfin leurs voiles, au lieu de lin, étaient faites d’une peau molle et flexible que la violence des vents ne pouvait déchirer. Ils avaient la supériorité en force, en nombre et en solidité ; les vaisseaux de César ne les surpassaient qu’en légèreté.

L’armement naval et le siège plusieurs villes consumèrent la plus grande partie de l’été. Dès que la flotte fut prête, César, qui savait que pour opprimer une rébellion il faut en attaquer le foyer, marcha droit contre Vannes. Son armée navale le suivit. Les Vénètes envoyèrent au-devant d’elle deux cent vingt vaisseaux : bientôt les deux flottes se livrèrent bataille.

Les Gaulois, du haut de leurs remparts, et César, du sommet d’une montagne qu’il occupait, furent témoins de ce mémorable combat. Les navires élevés des Vénètes dominaient ceux des Romains et leur lançaient de haut en bas, avec un grand avantage, une nuée de javelots, de dards et de flèches. Auprès de ces immenses navires, ceux des Romains ne ressemblaient qu’à de frêles chaloupes. Mais pour remédier à cette inégalité, César avait inventé une arme dont la nouveauté, eut un plein succès. Ses marins, sortant des faux tranchantes, emmanchées à de longues perches, accrochaient les voiles de l’ennemi et les déchiraient. Après quelques heures d’une mêlée sanglante, les vaisseaux gaulois se trouvent tout à coup, par l’effet de ces faux terribles, dépourvus de leurs voiles et de leurs agrès ; toute manœuvre leur devient impossible. Les Romains sautent l’abordage, et combattent alors comme sur terre avec l’avantage de leur adresse exercée et de leur armure. Déjà ils s’étaient rendus maîtres d’une grande partie des vaisseaux gaulois, le reste cherchait à fuir ; mais un calme plat survient et s’oppose à leur retraite : cet accident rendit leur ruine complète ; leurs bâtiments furent détruits, leurs équipages égorgés, et très peu de navires purent, dans ce désastre, échapper à la faveur des ombres de la nuit.

La fermeté des Vénètes ne survécut point à la destruction de leurs forces maritimes ; perdant le courage avec l’espoir, ils se rendirent à discrétion, et implorèrent la clémence du vainqueur. Le général romain croyait nécessaire de frapper les Gaulois de terreur par un grand exemple de sévérité ; sourd aux supplications des Vénètes, il se montra impitoyable pour eux, et le sang froid féroce avec lequel il raconte lui-même cet événement n’étonnera pas moins sans doute que l’excès de sa cruauté.

Voici ses propres paroles : César, dit-il, décidé à une vengeance éclatante, afin de faire respecter dans la suite par les barbares les droits des ambassadeurs, envoya tout le sénat de Vannes à la mort, et vendit le reste du peuple à l’encan. Malgré cette action atroce, frappés de sa générosité pour quelques-uns de ses concitoyens, les historiens ont vanté César comme clément. Quelles mœurs ! quel  siècle ! quelle clémence !

Tant que le succès de cette campagne avait paru douteux ; l’esprit de révolte et le désir de recouvrer l’indépendance s’étaient propagés. Un homme hardi, Viridorix, qui commandait les peuples de Coutances[52], se mit à la tête de ce mouvement ; et plusieurs peuples se joignirent à lui, après avoir fait périr leurs principaux sénateurs, dont la timide prudence s’opposait à leur témérité.

De toutes parts on vit accourir, dans le camp des insurgés, une foule de guerriers, entraînés, les uns par l’amour de la liberté, les autres par celui de la guerre et du pillage. Bientôt le lieutenant de César, Titurius Sabinus, fut investi par cette nombreuse armée qui défiait la sienne au combat.

Le général romain feint l’effroi et se renferme dans son camp, malgré les clameurs de ses soldats qui l’accusent de timidité : son dessein était d’inspirer une funeste confiance à l’ennemi et de lui faire quitter la forte position qu’il occupait. Un Gaulois, corrompu par Sabinus, passe dans le camp de ses compatriotes, ses récits mensongers leur font croire que César est vaincu par les Vénètes, et que Sabinus épouvanté s’apprête à partir secrètement la nuit prochaine, pour le rejoindre.

Vainement Viridorix, qui se méfiait de cet avis veut arrêter l’ardeur des Gaulois, ils se soulèvent l’entourent en tumulte, et le forcent à courir plutôt qu’à marcher contre le camp romain. La crainte de voir échapper une proie certaine semble leur donner des ailes, mais la rapidité de cette course ne leur permet de garder aucun ordre ; ils arrivent aux pieds des remparts, épuisés, désunis, sans haleine. Sabinus les attendait ; par son ordre, les légions sortent des quatre portes, enfoncent et culbutent du premier choc cette foule désordonnée ; la cavalerie les poursuit et les détruit presque entièrement

Dans l’Aquitaine la fortune ne se montra pas moins favorable aux Romains. Le jeune Crassus y commandait une troupe peu nombreuse, il la fortifia par des levées qu’il fit à Toulouse, Carcassonne et Narbonne ; et après avoir rassemblé une suffisante quantité de vivres, il marcha contre les Gascons[53], qui seuls dans ces contrées paraissaient décidés à défendre leur indépendance.

Les premiers jours, le sort des armes fut contraire à Crassus ; l’infanterie gauloise embusquée fit éprouver quelques pertes aux Romains ; mais ce succès enflant l’orgueil des Gascons, ils livrèrent bataille et la perdirent. Crassus les poursuivit, et assiégea Leytoure leur capitale.

Après une longue résistance et des sorties fréquentes, les Sotiates capitulèrent. Crassus promit la paix en exigeant que les habitants rendissent leurs armes : tandis qu’ils négociaient, un de leurs chefs les plus puissants, nommé Adcantuan, sort à l’improviste, suivi de six cents braves soldurii. On donnait ce nom à des guerriers qui, selon un antique usage, se dévouaient à la fortune d’un chef, partageaient sa prospérité ou ses revers, juraient de vaincre ou de périr avec lui, et s’immolaient eux-mêmes après sa mort. Jamais, dit César, on ne put citer un seul Gaulois qui eût enfreint ce serment sacré pour eux.

Adcantuan se précipite sur le camp de Crassus ; sa brusque attaque y jette le trouble, y répand le carnage. Cependant les Romains se rallient ; ils chargent à leur tour les Gaulois et les forcent à se retirer ; mais cette troupe intrépide se montra aussi ferme dans sa retraite que téméraire dans l’attaque ; on ne put l’entamer, elle rentra en bon ordre dans la ville, et le brave Adcantuan, quoiqu’il eût violé la foi des traités, imposa tellement par son audace qu’il obtint pour ses concitoyens la paix, aux mêmes conditions que celles qui avaient été proposées avant le combat : ils conservèrent leur territoire, rendirent leurs armes et donnèrent des otages.

L’exemple des Sotiates avait excité les autres peuples de l’Aquitaine à se confédérer ; ils reçurent des secours d’Espagne et firent venir de cette contrée belliqueuse plusieurs officiers expérimentés, formés autrefois par Sertorius. Ceux-ci leur apprirent la tactique des Romains ; ils les exerçaient à manier les armes, à manœuvrer, et à se retrancher comme eux. Crassus sentit le danger de laisser leurs forces et leur habileté s’accroître, il se hâta de marcher contre eux.

Les Gaulois se tenaient renfermés dans leur camp, espérant que Crassus serait forcé par le défaut de vivres de se retirer ; mais ce général, ayant appris qu’une partie de leur camp était faible et mal gardée, la fit attaquer la nuit par un détachement qui parvint à y pénétrer ; au moment où les légions menaçaient d’un assaut la partie opposée. Les Gaulois, surpris et chargés de tous côtés, ne purent se défendre ; cinquante mille périrent, douze mille seuls se sauvèrent ; leur désastre décida la soumission des peuples de Bayonne, du Bigorre, du Béarn, de Bazas, d’Agen, d’Auch, des riverains de la Garonne et des Biscayens.

Dans toute la Gaule les peuples du Brabant et de Gueldre restaient seuls sous les armes. César marcha contre eux, les battit, les contraignit à se réfugier au fond de leurs marais impraticables, et, fit rentrer ensuite ses légions dans leurs anciens quartiers sur les bords de la Loire.

Son repos fut court ; bientôt il apprit qu’une irruption des Germains et l’agitation des Gaulois, vaincus par lui, mais impatients du joug, exigeaient son prompt retour dans la Gaule. Une nation germanique, la plus belliqueuse et la plus forte, celle des Suèves, répandait depuis longtemps l’effroi dans les vastes contrées situées au-delà du Rhin.

Ce peuple, divisé en cent cantons, se montrait passionné pour la guerre et pour la liberté ; il ne souffrait ni nobles ni rois, et ne connaissait ni riches ni pauvres ; chez lui les biens étaient communs ; il élisait ses chefs, ses magistrats et ne leur laissait qu’un pouvoir très borné. Tour à tour, chaque année, une moitié de la nation cultivait la terre tandis que l’autre moitié, les armes à la main, dévastait, dépeuplait les régions voisines. Ce peuple faisait consister sa gloire à s’entourer d’un vaste désert, regardant cette solitude et ce silence comme des signes terribles de la crainte et du respect qu’il inspirait aux autres peuples. La Souabe rappelle aujourd’hui par son nom celui de cette république sauvage et guerrière.

Les Usipètes et les Teuctères, habitants de Bergues et de Gueldre, après avoir été chassés de leurs pays par les Suèves, erraient depuis trois ans dans la Germanie, sans y trouver d’asile ; ils se décidèrent enfin à en chercher un dans les Gaules : s’étant approchés du Rhin, ils pillèrent le territoire que possédaient au-delà de ce fleuve les Ménapiens ; ceux-ci, prirent les armes pour s’opposer à leur passage.

Les Germains, préférant la ruse à la force, feignent de s’éloigner, et disparaissent pendant trois jours ; mais la quatrième nuit ils reviennent, attaquent inopinément le petit nombre de Gaulois laissés à la garde des bateaux, s’en emparent, traversent le Rhin et entrent dans la Gaule. Les Ménapiens, épouvantés, prennent la fuite ; les vainqueurs s’établissent dans leurs terres, et se nourrissent, pendant tout l’hiver, de leurs moissons et de leurs troupeaux.

Il était naturel de penser que le bruit d’une telle invasion ferait sentir aux Gaulois effrayés la nécessité de rester fidèles à Rome et de s’assurer de son appui. César en jugea autrement ; il connaissait la légèreté des Gaulois et la promptitude avec laquelle ils se livraient aux nouveautés.

Leur habitude, dit-il, dans ses Commentaires, est d’arrêter, les voyageurs, de les questionner, de les forcer même à dire des nouvelles ; dès qu’un marchand étranger paraît, la multitude l’entoure et le contraint à lui apprendre tout ce qui se passe dans les pays qu’il a parcourus. Émus par ces récits, la plupart du temps fabuleux, ils rassemblent leur conseil, courent aux armes, et souvent, sans autre motif que des faits inexactement racontés, ou même inventés malignement, ils prennent des résolutions soudaines, et se jettent dans des entreprises téméraires, dont ils ne tardent pas à se repentir.

César crut nécessaire de prévenir par un prompt retour les effets de cette inconstance. Il trouva en arrivant que l’événement justifiait en partie sa prévoyance. Déjà plusieurs peuples de la Gaule, se livrant à l’espoir de reconquérir leur indépendance par le secours des Germains, leur avaient envoyé secrètement des émissaires pour les exciter à passer le Rhin en plus grand nombre, en leur promettant des terres, des vivres, et leur amitié.

César, informé de ces mouvements, feint de tout ignorer ; il appelle auprès de lui les chefs, les députés, les principaux personnages des diverses cités ; les traite avec douceur, leur parle avec adresse, ménage les superbes, apaise les turbulents, flatte les ambitieux, rassure les timides, les décide tous à le seconder, et obtient d’eux une grande levée de cavalerie, arme dont il manquait presque totalement.

Ces dispositions faites, il marche droit aux ennemis, qui, s’étendant de plus en plus, venaient d’entrer sur les terrés des alliés de Trèves. Au bruit de son approche, les Germains lui envoient des ambassadeurs pour lui déclarer qu’ils n’ont point l’intention, de faire la guerre aux Romains ; mais que s’ils sont attaqués, ils saurant se défendre. C’est par nécessité, disaient-ils, que, chassés de nos foyers, nous cherchons une autre patrie. Rome trouvera en nous des alliés utiles ou des ennemis formidables. Nous n’avons jamais reculé que devant les Suèves, guerriers si redoutables que les dieux mêmes ne peuvent leur être comparés ; mais tout autre peuple tenterait contre nous d’inutiles efforts.

César leur répondit qu’il les traiterait en ennemis tant qu’ils resteraient dans la Gaule ; qu’ils prétendaient follement s’emparer des terres d’autrui, n’ayant pas su défendre les leurs ; qu’au reste il leur conseillait de repasser le Rhin. Les Ubiens, ajouta-il, possèdent des terres au-delà de ce fleuve dans le voisinage des Suèves ; ils les partageront volontiers avec vous pour se fortifier de votre appui contre cet ennemi commun.

Les députés demandèrent du temps pour informer leur nation de cette réponse, et prièrent César de s’arrêter pendant qu’ils délibéraient sur sa proposition. Mais il rejeta cette demande, croyant qu’ils ne désiraient ce délai que pour avoir le loisir de rappeler une partie de leur cavalerie envoyée par eux au-delà de la Meuse, près d’Anvers, chez les Ambivarites : il continua donc sa marche. Mais lorsqu’il eut posé son camp à douze milles du leur, les mêmes députés revinrent près de lui, et renouvelèrent leurs instances. Voyant qu’ils ne peuvent retarder ses pas, ils se bornent à demander qu’on leur accorde trois jours seulement pour conclure la paix, et que pendant ce temps toute hostilité soit suspendue.

César y consent ; mais le lendemain, au moment où la cavalerie romaine s’était dispersée sans défiance pour fourrager, les Germains l’attaquent à l’improviste, la surprennent et en massacrent une partie : on perdit dans cette déroute un brave Gaulois nommé Pison ; c’était un des principaux chefs de l’Aquitaine, très affectionné aux Romains.

César, alarmé de l’impression produite par cet échec sur l’esprit mobile des Gaulois, et ne voulant pas la laisser s’accroître, se résolut à châtier promptement cette trahison ; la vengeance ne fut pas moins perfide que l’offense. Comme il courait avec célérité pour attaquer les ennemis, il voit venir au-devant de lui leurs vieillards, leurs chefs, leurs principaux guerriers, qui dans l’espoir de e tromper encore, demandent la paix, et jurent qu’ils ne sont point coupables de l’agression commise à leur insu. César, pensant qu’on ne doit aucune foi ni aucun égard aux parjures, les fait tous envelopper et jeter dans les fers : précipitant ensuite sa course, et ne respectant plus la trêve rompue, il tombe comme la foudre sur le camp des barbares.

Les Germains, surpris, épouvantés, privés de chefs, n’ont point le temps de se préparer à la défense ; quelques braves courent aux armes, et périssent au milieu des chariots renversés ; le reste fuit : la Meuse et le Rhin engloutissent les uns, les autres sont égorgés par le fer des Romains. Cette nation, composée de quatre cent trente mille personnes, périt tout entière. Les captifs seuls, retenus dans le camp, obtinrent leur grâce ; mais craignant également, s’ils en profitaient, la vengeance des Suèves et celle des Gaulois, ils demandèrent de rester près de César.

Le général romain, après avoir terminé cette guerre en une seule journée, crut nécessaire d’imprimer dans la Germanie la terreur de son nom. Il envoya des députes aux Sicambres, qui habitaient une contrée voisine du Rhin, pour leur déclarer qu’il dévasterait leur pays s’ils refusaient de lui rendre la cavalerie des Teuctères réfugiée chez eux.

Les Sicambres qui depuis, sous le nom de Francs conquirent une si grande renommée, rejetèrent avec hauteur les ordres de César, bravèrent son ressentiment, et lui répondirent qu’ils lui fermeraient l’entrée de la Germanie, comme il interdisait celle de la Gaule aux Germains.

Les Ubiens, loin d’imiter cet exemple, invitèrent les Romains à passer le fleuve pour effrayer les Suèves leurs ennemis. César, avec l’habileté, l’audace, et l’activité qui l’élevèrent au-dessus des grands capitaines de tous les siècles, ne se laissant arrêter ni par les menaces des Germains, ni par la largeur du Rhin, ni par sa rapidité, construisit en dix jours un pont sur ce fleuve, y fit passer son armée, laissa des troupes d’élite pour le garder, mit les Sicambres en fuite, dévasta leur pays, rassura les Ubiens par sa présence, et marcha contre les Suèves.

Ceux-ci, frappés du bruit de ses triomphes, ne voulurent ni le combattre ni se soumettre ; mais laissant entre eux et lui leurs vastes déserts, ils se retirèrent dans le centre de leurs sombres forêts. César alors, satisfait de leur avoir inspiré une crainte salutaire, repassa le Rhin, détruisit le pont qu’il avait construit, et rentra dans les Gaules.

Tous les ennemis de César avaient toujours cherché et trouvé des secours dans la Grande-Bretagne ; le désir d’étendre sa gloire et de porter les armes romaines dans cette île, jusque-là inconnue pour eux, le décida à y faire une descente.

Les Bretons, jugeant son dessein, par ses préparatifs, lui envoyèrent des ambassadeurs ; mais vainement ils lui promirent des otages, et lui offrirent, de reconnaître la souveraineté de Rome, il persista dans son projet : son orgueil dédaignait une soumission qui n’avait point achevé la victoire.

Tandis qu’il réunissait sa flotte dans un port de la Manche, Volusénus, un de ses officiers, et Comius, Gaulois, roi des Atrébates[54], ses alliés, furent chargés par lui de reconnaître le pays. Volusénus, n’y put aborder. Les Bretons jetèrent Comius dans les fers.

Au moment où César arriva sur la côte, les Moréni[55] lui envoyèrent des députés chargés d’excuser leur dernière rébellion. César, qui ne voulait point laisser d’ennemis derrière lui, les accueillit favorablement, et se fortifia de leurs secours. Après avoir réuni quatre-vingts vaisseaux, il monta sur sa flotte, et livra sa fortune aux vents.

Les barbares couvraient toutes les hauteurs qui dominent le rivage. Le débarquement fut périlleux, le combat long et sanglant ; les Romains, ne pouvant aborder la terre sur leurs navires se jetèrent dans la mer, et furent forcés de vaincre l’ennemi, avant de toucher son rivage. Les Bretons, consternés de cette audace, rendirent liberté à Comius et demandèrent la paix.

On négociait lorsqu’une tempête soudaine détruit une partie de la flotte romaine et endommage le reste ; la cavalerie que César attendait est dispersée par les vents ; son camp est dépourvu de vivres. Informés de sa détresse, tous les peuples de la Bretagne se concertent, se liguent, s’arment secrètement, marchent couverts des ombres de la nuit, et se cachent le jour dans l’épaisseur des bois.

Tandis que César était occupé à réparer sa flotte, et qu’une partie de sa troupe dispersée cherchait des vivres, il se voit attaqué à l’improviste ; une de ses légions fuit en déroute ; l’air retentit de cris féroces, les barbares, en grand nombre, montés sur des chariots légers, inondent la plaine et rompent les rangs qui commençaient à se former.

César, que rien n’étonne, accourt avec trente cavaliers gaulois produits par Comius ; il vole partout où le péril se montre, où le danger l’appelle ; il rallie ses légions, rétablit le combat, charge à son tour les Bretons, emporte une victoire complète, et force enfin ce peuple épouvanté à se soumettre. Il reçut leurs serments, leurs otages, s’embarqua, rentra dans la Gaule, marcha contre les Moréni qui s’étaient de nouveau révoltés pendant son absence, pénétra dans leurs marais, brûla leurs bourgs, détruisit leur population, et établit ensuite en quartiers d’hiver dans la Belgique son armée victorieuse.

L’année suivante, César, après avoir pacifié l’Illyrie, rentra dans les Gaules. Insatiable de gloire, le succès de son expédition en Angleterre lui paraissait moins satisfaisant qu’il n’avait voulu le faire croire dans ses relations ; c’était une apparition plus qu’une conquête. Décidé à soumettre les Bretons, et instruit par l’expérience, il fit construire six cents vaisseaux plus plats que ceux dont il s’était servi, plus faciles à tirer sur terre, et ordonna de les réunir dans un port nommé Iccius, près de Boulogne, situé à dix lieues des côtes de la Grande-Bretagne.

Tandis qu’on les rassemblait[56], ayant appris que les peuples de Trèves n’avaient pas voulu envoyer de députés à l’assemblée annuelle des Gaulois, parce qu’ils avaient formé le projet de secouer le joug des Romains, il marcha contre eux avec quatre légions et huit cents chevaux. Il sut en chemin que les Trévirais sollicitaient l’appui des Germains, et les excitaient à passer le Rhin.

On regardait alors Trèves comme la plus puissante cité des Gaules ; deux factions la divisaient ; leurs chefs étaient Induciomare, et Cingétorix son gendre. Celui-ci soutenait la cause des Romains, l’autre voulait renverser leur autorité. Cingétorix, plus faible que son rival, vint trouver César ; et lui dévoila toutes les intrigues de la faction opposée. Induciomare, redoublant alors d’activité pour soulever la nation, arme ses partisans, et cache ses troupes dans la forêt des Ardennes.

Cependant l’approche de l’armée romaine ébranle les esprits, et répand une inquiétude générale. Les grands et une partie du peuple, effrayés, viennent trouver César, et l’assurent de leur soumission.

Induciomare se voyant abandonné par la majorité de ses concitoyens, comprime sa haine, dissimule ses projets, renonce à combattre, et pense à se justifier ; il vient dans le camp romain, offre deux cents otages et jure la paix. César, qui craignait que ces dissensions ne l’empêchassent de passer en Bretagne, accueillit le rebelle avec une feinte amitié, parut croire à sa bonne foi, rassembla les Trévirois, harangua leur assemblée, entretint chacun d’eux en particulier, et leur persuada de se rallier tous à Cingétorix ; par là il s’assura le repos momentané qu’il désirait ; mais il redoubla la haine d’Induciomare, qui, voyant son crédit perdu, résolut dès lors de périr ou de se venger.

César, avec sa célérité ordinaire, partit et arriva dans le port d’Iccius ; il s’y fit accompagner de quatre mille cavaliers gaulois, et des principaux chefs de chaque cité, afin d’avoir en eux, pendant son expédition, des garants contre l’esprit remuant de la Gaule.

Parmi ces chefs se trouvait l’éduen Dumnorix ; cet homme ambitieux, certain de la répugnance avec laquelle les Gaulois marchaient à la suite de César dans une expédition périlleuse et contraire à leurs intérêts, crut l’instant favorable pour les porter à la révolte, et pour recouvrer lui-même l’autorité qu’il avait perdue dans son pays. Poussé par ces motifs, il aigrit l’inquiétude et le ressentiment des autres chefs, leur persuade qu’on les embarque pour les faire égorger impunément loin dés rivages de leur patrie ; enfin il les dispose tous au soulèvement ; mais César épiait et surveillait toutes ses démarches : après avoir vainement tenté de le ramener à lui, et apprenant que ses complots allaient éclater, il donne ordre de l’arrêter.

Dumnorix instruit à temps de son dessein lui échappe et se sauve, entraînant avec lui toute la cavalerie éduenne ; celle des Romains le poursuit, l’atteint et lui commande de rentrer dans le camp. Je suis né libre, répond Dumnorix, citoyen d’un peuple libre, je resterai libre ou je mourrai. A ces mots le combat s’engage, Dumnorix périt dans la mêlée, et les Éduens, consternés de sa mort, se soumettent.

César alors, ne voyant plus d’obstacle à ses projets, s’embarqua sur sa flotte, et chargea Labienus de maintenir, avec trois légions, la tranquillité dans les Gaules. Cette fois les Bretons ne s’opposèrent pas à la descente des Romains, ils ne les attaquèrent qu’à douze milles du rivage ; repoussés avec perte, ils se retirèrent dans une forêt défendue par des retranchements et des abattis ; mais l’opiniâtre vaillance des Romains les en chassa.

Les vents déchaînés vinrent encore cette année au secours de la Bretagne ; une tempête furieuse disperse et brise une partie des vaisseaux romains. César, arrêté par ce désastre, revient sur la côte, répare activement sa flotte, fait traîner ses bâtiments à terre, et les renferme dans l’enceinte de son camp.

Tout ce pays était comme la Gaule divisé en factions, et déchiré par les querelles d’un grand nombre de tribus et de princes, qui se battaient constamment entre eux.

Les Bretons qui ressemblaient le plus aux Gaulois étaient les habitants de la côte méridionale ; on les disait Belges d’origine ; le reste de l’immense population de cette île passait pour indigène.

Farouches, turbulents, superstitieux, leur vie était encore sauvage, ils avaient pour maisons des huttes, pour villes des bois ; ils tiraient leurs subsistances et leurs vêtements de leurs nombreux troupeaux ; la chair des lièvres, des poules, des oies, leur était interdite par les prêtres. Les cantons les plus civilisés étaient ceux de Cantorbéry ou de Cantium ; ils ne se servaient que d’une monnaie grossière de fer ou de cuivre ; leurs principaux chefs montaient sur des chariots légers avec lesquels ils s’efforçaient de rompre les rangs ennemis ; de là ils s’élançaient dans la mêlée, et remontaient sur leurs chars, se montrant toujours aussi prompts à fuir qu’à attaquer.

Le plus puissant des princes bretons, Cassivelaunus, profitant du moment où César était retenu près de sa flotte, invite les autres princes à suspendre leurs querelles, à sacrifier leurs intérêts privés à l’intérêt commun, et à se réunir contre les Romains ; tous l’élisent pour leur chef. A la tête d’une foule immense d’infanterie, de cavalerie et de chars, il se précipite sur l’armée romaine avec plus de furie que d’ordre.

Ces flots tumultueux de guerriers mal armés et demi nus se brisent contre les rangs serrés et hérissés de fer des légions : César remporte une victoire complète, et poursuit les vaincus au-delà de la Tamise, qu’il passe à gué.

La ligue se sépare ; Cassivelaunus seul, avec quatre mille hommes, change ses plans, évite toute bataille et se borne seulement à harceler l’ennemi de tous côtés. Ce genre de guerre aurait pu devenir funeste à César ; mais la discorde, qui dans toutes les contrées du monde seconda la fortune de Rome, ne l’abandonna pas en Bretagne. Un jeune prince des Trinobantes[57], détrôné par Cassivelaunus, vint avec ses partisans embrasser la cause de César : sa nation se rangea sous ses enseignes. Forts de cet appui, les Romains furent dès lors à l’abri des surprises et de la disette, ils pénètrent dans la bourgade où Cassivelaunus résidait ordinairement, et la dévastent. Tandis qu’on ravage son pays, ce chef des Bretons, digne d’un meilleur sort par sa vaillance, s’était mis à la tête d’un grand nombre de guerriers, et au lieu de défendre ses foyers, avait pris l’audacieux parti de faire attaquer le camp et la flotte des Romains.

La garde qui les défendait repoussa vaillamment les assaillants, et prit leur chef Lugotoric. Cassivelaunus, découragé par cet échec et par l’abandon de ses alliés, demanda la paix, et la dut à l’entremise de Comius, roi des Atrébates[58] ; il livra des otages et se soumit à un tribut annuel.

César, satisfait d’avoir vaincu ce prince belliqueux, revint dans la Gaule, tint l’assemblée des états à Amiens[59], et comme la révolte avait été peu abondante, il divisa ses légions et les établit dans divers quartiers sur la frontière. Il plaça Fabius avec une légion chez les Moréni, Cicéron chez les Nerviens, Roscius chez les Éduens ; Labienus campa dans le pays des Rhémois ; Cassius, Plancus et Trebonius furent chargés de maintenir l’ordre dans diverses contrées de la Belgique, enfin Titurius Sabinus et Cotta conduisirent dans le pays des Éburons (Liége) une légion et cinq cohortes.

Les deux chefs de ce dernier peuple se nommaient Ambiorix et Catavulcus. Ce dernier inclinait à la paix, mais Ambiorix ne respirait que la guerre ; ambitieux, brave, remuant et rusé, il s’était acquis par son courage, par son adresse, et surtout par sa haine contre Rome, un grand crédit dans les Gaules.

Peu de jours après que Sabinus et Cotta eurent établi leur camp dans cette contrée, ils y virent rentrer en désordre un corps de leur cavalerie ; cette troupe, en allant au fourrage, venait d’être chargée par les Éburons, qui la poursuivaient vivement ; bientôt une foule de Gaulois accourent et donnent l’assaut au camp, espérant l’emporter par surprise ; cette brusque attaque fut repoussée, à Sabinus fit sortir contre eux la cavalerie espagnole, qui mit les Éburons en fuite.

Ambiorix, aussi dissimulé qu’audacieux, écrivit aux généraux romains pour désavouer cette agression ; deux officiers furent chargés de se rendre près de lui et d’écouter sa justification. Lorsqu’il les vit, il affecta une profonde douleur de cette attaque, faite sans son ordre, un grand attachement pour les Romains, et une vive reconnaissance pour César. Je ne puis, dit-il, résister à la volonté de ma nation, c’est elle qui veut la guerre. Apprenez que toutes les cités de la Gaule se sont liguées et courent aux armes ; elles ont appelé à leurs secours les Germains qui vont passer le Rhin en foule ; on a juré de chasser les Romains ou de les exterminer. Comme citoyen, je ne puis me séparer de la cause commune ; mais comme ami de César, j’ai cru devoir lui prouver ma reconnaissance, en vous prévenant du péril qui vous menace : conseillés donc de ma part à Sabinus de songer à sa sûreté et de sortir promptement d’un camp isolé qui va être de toutes parts investi ; le parti le plus prudent pour lui est de se rapprocher, sans perdre de temps, de Labienus.

Un tel avis, malgré sa source, produit une vive impression dans le camp romain ; les chefs s’assemblent ; on délibère ; les avis se partagent ; Cotta veut qu’on méprise ces menaces, et qu’on en attende l’effet : Sabinus prétend qu’il serait insensé de s’exposer seuls aux Gaulois, aux Germains, et de laisser détruire successivement les légions séparées, tandis que leur réunion ferait disparaître tout danger et assurerait la victoire. La contestation s’échauffe ; tout le camp y prend part ; enfin la majorité des opinions se décide pour Sabinus ; Cotta cède.

A la pointe du jour, la légion se met en marche, traverse une forêt, sans ordre, sans précaution, tombe dans une embuscade et se voit tout à coup entourée d’une foule immense d’ennemis qui occupent toutes les issues de l’étroit vallon dans lequel elle est engagée.

Sabinus, consterné de son imprudence, ne retrouve plus le sang froid et le courage nécessaires pour la réparer. Cotta plus ferme encourage les troupes, les forme en cercle fait face de tous côtés, et par son exemple redonne de la hardiesse aux plus timides.

Les Gaulois, de leur côté, pour ne point compromettre une victoire certaine, se gardent d’attaquer de vive force cette masse de Romains que le désespoir rend plus redoutables. Ils lui lancent de loin des traits, des javelots, et se retirent dès qu’une cohorte s’avance pour les attaquer. Ainsi de toute parts la mort vole au milieu des Romains, tandis qu’ils ne peuvent ni attaquer ni fuir pour l’éviter. La plupart des chefs tombent ; Cotta lui-même est blessé ; la lassitude épuise le courage ; Sabinus demande à négocier ; Ambiorix l’invite à venir près de lui ; il s’y rend suivi des centurions et des tribuns ; mais tous sont arrêtés, enveloppés et égorgés. Les Gaulois fondent à grands cris sur les Romains et les enfoncent. Cotta périt ; un grand nombre dé légionnaires subissent le même sort ; le reste s’entretue, préférant la mort à la captivité : très peu se dérobèrent à ce désastre par la fuite, et gagnèrent le camp de Labienus.

Ambiorix, fier de sa victoire, courut soulever les peuples de Hainaut, de Namur, de Saint-Tron, de Bruges, de Louvain, de Tournai et de Gand. Tous, entraînés par lui, marchent à grandes journées et tentent à enlever le camp de Cicéron. Leurs assauts, quoique imprévus sont repoussés. Ambiorix essaie de tromper Cicéron, en lui donnant les mêmes avis qui avaient perdu Sabinus ; mais sa ruse échoua contre la prudente fermeté de ce général.

Alors les Gaulois investissent le camp romain, le privent de toutes communications et lui livrent chaque jour de nouvelles attaques. Cicéron, oppose à ce péril un courage digne de Rome, et de son nom. Il fallait que le nombre de ses ennemis fût immense, puisqu’en trois heures ils creusèrent, pour envelopper son camp, un retranchement et un fossé qui embrassaient cinq lieues dans leur circuit.

L’activité de la défense égalait celle de l’attaque ; les Romains, travaillant, combattant sans relâche, repoussaient les assauts, supportaient la disette, bravaient la fatigue et domptaient le sommeil.

Ambiorix leur propose de se retirer, jurant qu’ils ne seraient point attaqués. Cicéron répond, qu’il n’a point l’habitude d’obéir à un ennemi, mais que si les Gaulois veulent mettre bas les armes, il sollicitera leur grâce près de César. Cette fierté redouble la fureur des assiégeants ; ils lancent de toutes parts sur les tentes romaines des javelots enveloppés de paille enflammée ; tout le camp est bientôt incendié.

Les officiers et les soldats, sans abri, sans vivres, sans espoir de secours, couverts de blessures, épuisés de fatigue n’étaient plus soutenus que par leur courage. Soudain une lettre, attachée à un javelot lancé contre une tour, et qu’on n’avait point aperçue pendant deux jours, leur apprend que César arrive à leur secours, et qu’ils vont être délivrés. Ce salut inespéré était l’ouvrage d’un Gaulois, nommé Verticon, un de ses esclaves, traversant l’armée gauloise, avait porté un message de Cicéron à César, et rapporté la réponse avec le même succès.

César accourait mais seul ; Labienus, menacé par Induciomare, n’avait pas quitter son poste ; les autres légions se trouvaient trop éloignées ; le péril était imminent ; et César qui savait que, dans les dangers extrêmes, la témérité est prudence, quoi qu’il n’eût que deux légions, osa, suivi de sept mille hommes, chercher et combattre l’immense armée des Gaulois.

Cette armée, instruite de son approche marche à sa rencontre ; elle l’aperçoit resserré dans un camp étroit où la terreur semblait régner ; la cavalerie romaine, par les ordres de César, prend la fuite à la vue des Gaulois ; les légionnaires paraissent travailler aux retranchements avec frayeur et en désordre ; Ambiorix se croit déjà vainqueur ; ses coureurs approchent du camp et promettent la vie aux Romains qui rendront les armes.

Les Gaulois, sans inquiétude, s’avancent et s’engagent sur un terrain désavantageux. Tout à coup César, avec ses légions tombe comme la foudre sur cette foule tumultueuse, ne lui laisse point le temps de se ranger en bataille, l’étonne, l’épouvante, la jette en déroute, la poursuit et en fait un affreux carnage. Il arrive ensuite au camp de Cicéron, console sa légion, admire ses travaux, vante la constance des chefs, le courage des soldats : tous, en le revoyant, oublient blessures et leur fatigue.

Pendant ce temps, Induciomare se préparait à combattre Labienus ; mais lorsqu’il apprit la victoire de César, il se retira. La même nouvelle apaisa la révolte des Armoriques, dont les peuples armés marchaient contre Roscius. Tout était comprimé, maïs rien n’était soumis. Partout les Gaulois, indignés du joug, cherchaient les moyens de briser leurs chaînes. Dans toutes les cités on tenait de nuit des assemblées secrètes.

Tout autre que César, eût succombé dans cette lutte toujours renaissante de l’indépendance contre la tyrannie. Mais le sort avait réservé à son génie la gloire funeste de détruire l’une après l’autre la liberté de la Gaule et la liberté de Rome. Opposant tour à tour l’audace à la force et la prudence aux ruses, il rassemble les états gaulois, flatte les uns, menace les autres, déconcerte les intrigues en prouvant qu’il les connaît, apaise les craintes par une clémence politique, et parvient à décider la majorité des esprits au repos.

Les Sénonais seuls se révoltèrent contre, leur prince Cavarinus, qui devait son autorité, à César ; après l’avoir dépouillé de son pouvoir, ils s’assemblaient pour le juger et pour le condamner ; Cavarinus évita la mort par la fuite. Les députés de Sens, mandés par le général romain, s’efforcèrent vainement de justifier leur conduite. Il voulut qu’on lui livrât tous les sénateurs ; mais cet ordre fut méprisé. Le courage des Sennonais retentit dans la Gaule : animées par cet exemple, toutes les cités se préparèrent à l’insurrection. Un aveu échappé à César, dans ses Commentaires prouve que ce mouvement général, si dangereux pour lui, arrachait sa secrète estime. Je ne sais, dit-il, comment on pourrait s’étonner du désespoir des Gaulois, en voyant leur nation qui l’avait emporté à la guerre sur toutes les autres, tellement abaissée et si déchue de sa puissance et de sa renommée, qu’elle se trouvait forcée de fléchir sous le joug romain.

Toutes ces agitations forcèrent César à passer l’hiver entier dans la Gaule. Induciomare et Ambiorix l’employèrent à grossir leur parti, et à solliciter le secours des Germains ; mais ils ne purent l’obtenir, la destruction des Teuctères et la défaite d’Arioviste avaient frappé la Germanie de terreur.

Cet abandon ne décourage point Induciomare ; il appela sous ses drapeaux les exilés de chaque contrée, les bannis des diverses cités, les aventuriers de toute la Gaule : son crédit s’étendait avec son audace. Enfin, fort de l’appui des Sennonais, des Carnutes[60], des Nerviens, des Atuatici[61], il convoque sa nation en armes, et, suivant l’antique usage gaulois, envoie au supplicie celui qui arrive le dernier dans cette assemblée. Là il rappelle la gloire passée, les injures récentes, excite l’indignation générale contre les traîtres qui favorisent les oppresseurs de la Gaule ; il annonce l’insurrection des Sennonais et des Carnutes, fait juger et condamner son gendre Cingétorix comme ennemi de la patrie et propose à ses concitoyens de frapper sans retard un coup hardi, en exterminant les légions de Labienus, qui seules empêchent leur jonction avec les peuples de Sens et de Chartres.

Le bruit des lances et des boucliers annonce l’approbation générale, et tous, enflammés de la même ardeur que leur chef, marchent avec leur fougue et leur impatience accoutumées contre les Romains.

Labienus les attendait, il se renferme dans son camp, défend à chacun d’en sortir, laisse les Gaulois s’approcher sans obstacle, souffre patiemment leurs injures, et n’oppose que le silence à leurs bravades.

Les Gaulois, toujours confiants, quoique toujours trompés, de persuadent que la peur l’empêche de combattre ; les uns se dispersent dans la campagne, les autres rentrent dans leurs tentes, se livrent aux festins ou se laissent aller au sommeil. Tout à coup les trois légions romaines de Labienus fondent sur eux ; les Gaulois, surpris périssent ou fuient sans combattre : la cavalerie romaine les poursuit, s’attache particulièrement à Induciomare, l’atteint, le tue et porte sa tête à Labienus. Presque toute cette armée fut détruite.

Les Éburons[62] et les Nerviens, qui accouraient pour la rejoindre, se séparèrent, en apprenant son désastre. Une tranquillité apparente se rétablit ; mais César, prévoyant l’orage qui devait bientôt succéder à ce calme trompeur consacra l’hiver aux préparatifs nécessaires pour y résister.

La perte du corps de Sabinus fut plus que réparée par de nombreuses levées en Lombardie, et les forces de César s’accrurent encore de trois légions que Pompée lui envoya.

La mort d’Induciomare avait plus irrité qu’abattu les Trévirois ; ils confièrent à l’un de ses parents l’autorité suprême. Les Séquaniens entrèrent dans leur parti ; Ambiorix leur assura le secours des Éburons et les Germains commencèrent à s’agiter.

César n’attendit point que cette ligue prît plus de consistance ; avant la fin de l’hiver, il partit avec quatre légions, parut au milieu des Nerviens, qu’il comprima, et convoqua l’assemblée annuelle des Gaulois. Les Sennonais, les Carnutes et les Trévirois refusèrent de s’y rendre, ils se déclarèrent ainsi en révolte ouverte.

César transféra les états à Paris et, tandis qu’ils délibéraient sur les affaires intérieures, il marcha contre les Sennonais. Ces peuples effrayés se soumirent sans combattre, donnèrent cent otages, et rendirent l’autorité à leur prince Cavarinus qu’ils avaient banni. Les Carnutes imitèrent leur faiblesse.

César, revenu à Paris, obtint une forte levée de cavalerie. Cavarinus reçut l’ordre de le suivre avec celle des Sennonais afin d’avoir en eux une garantie de la tranquillité de leur nation.

Les Ménapiens n’avaient jamais voulu de bonne foi se soumettre, et ne pouvant vaincre leurs tyrans, ils les fuyaient. Leurs marais, leurs forêts profondes n’arrêtèrent point César ; il pénétra dans leurs pays, brûla leurs bourgades, et ne leur accorda la paix qu’après avoir exigé d’eux le serment de n’accorder aucun secours à Ambiorix ; Comius, roi des Atrébates, fut chargé de l’exécution du traité.

Dans le même temps, Labienus se trouvait en présence des Trévirois. Une rivière profonde séparait les deux armées. Le général romain voulant engager l’ennemi à la passer, répand la nouvelle de sa retraite ; pendant la nuit, il lève à grand bruit son camp. Les Gaulois, impatiens, tombent dans le piège, et franchissent la rivière. Labienus continue lentement sa marche ; on le poursuit avec ardeur ; il envoie ses bagages sur une hauteur ; enfin parvenu au champ de bataille qu’il avait habilement choisi, il s’arrête range ses légions, leur montre les ennemis engagés sur un terrain désavantageux où leur perte est certaine, et donne le signal du combat.

Les Trévirois, qui croyaient poursuivre des fuyards, n’opposent aux Romains qu’une foule en désordre ; ils sont vaincus et taillés en pièces. Le parti d’Induciomare prend la fuite ; Trèves est soumise, et Cingétorix redevient le chef de sa nation, qu’il avait lâchement sacrifiée aux Romains.

Quelques tribus germaines s’étaient montrées dans le camp des Trévirois ; pour les punir César passa de nouveau le Rhin. Les Ubiens désarmèrent son ressentiment par leur soumission ; les Suèves seuls ne lui envoyèrent aucune députation ; ils le bravèrent, sans oser le combattre, et se retirèrent au fond des forêts du Hartz[63], qui les séparaient des Chérusques[64].

La Gaule n’était point assez tranquille pour que César pût s’en éloigner sans se compromettre, satisfait d’avoir forcé à la retraite les Suèves dont le nom était l’effroi des Germains il repassa le Rhin, détruisit une partie de son pont, et plaça sur celle qu’il conservait une tour à quatre étages, confiée à la garde de douze cohortes d’élite.

Les Éburons et leur chef Ambiorix, le plus constant ennemi des Romains, restaient seuls alors sous les armes, sans espoir de résister ni d’obtenir la paix, tous leurs alliés étaient épouvantés ou vaincus. La cavalerie de César fut envoyée en diligence, pour surprendre ce chef audacieux, dont l’activité faisait sans cesse renaître la guerre. Tous les Éburons se dispersèrent. Ambiorix, investi dans une maison qui, selon l’usage du pays, était entourée d’un bois épais, échappa aux Romains par la fuite : on ne prit que ses chevaux, ses armes et ses bagages. Son collègue, Cotivultus, cassé de vieillesse, trouva un autre moyen de se dérober à la captivité, il s’empoisonna et mourut libre.

César ne voulant point exposer ses troupes, en les disséminant pour achever la destruction des Éburons dispersés dans les bois, se servit des Gaulois eux-mêmes pour consommer la mine de la Gaule : il invita tous les peuples voisins à piller le pays des Éburons, à en massacrer les habitants et à s’emparer de leurs terres. L’avidité obéit promptement à cet ordre tyrannique : de toutes parts on accourut pour exterminer et dépouiller les vaincus ; mais un peuple germain, celui des Sicambres, attiré par la soif du pillage, profita de cette circonstance pour s’enrichir par ce brigandage, et passa le Rhin. Cette irruption soudaine exposa bientôt les Romains à un péril imminent, léger châtiment de leur cruauté.

César croyait son repos attaché à la perte d’Ambiorix : il se détermina donc à poursuivre lui-même ce fugitif qui s’était retiré dans la forêt des Ardennes ; il enferma d’abord ses bagages et le trésor de l’armée dans une forteresse élevée, située au centre du pays des Éburons, et appelée Tongres[65] ; il en confia la gardé à un corps de troupes peu nombreux commandé par Cicéron ; défendit expressément à ce général de laisser sortir personne de son camp en l’assurant qu’il le rejoindrait sous huit jours, et partit, emmenant trois légions avec lui. Labienus, avec les autres légions, fut envoyé sur les côtes de l’Océan.

Tandis que, pendant l’absence de César, les Gaulois et les Germains dévastaient le pays des Éburons, pourchassaient, outrageaient et massacraient sans pitié ce peuple infortuné, un Éburon, captif, conçoit le dessein de tourner la fureur de ses ennemis contre eux-mêmes. Il paraît au milieu du conseil des Sicambres, ses nouveaux maîtres. Comment, leur dit-il, épuisez-vous vos forces pour accabler des malheureux, et pour leur enlever le peu qui leur reste, lorsque vous pouvez, par un coup hardi, acquérir facilement des richesses immenses ? Les bagages de l’armée romaine, leur caisse militaire, les dépouilles de la Gaule, les trésors de César sont à Tongres, gardés par si peu de cohortes qu’elles ne suffiraient pas pour garnir les remparts de leur vaste camp, ils vous appartiennent, si votre audace saisit la proie que la fortune vous présente.

Les Sicambres[66], aminés à la fois de l’ardeur du pillage et de la haine contre Rome, profitent sans tarder de cet avis, et marchent contre la forteresse. Cicéron, loin de prévoir le danger qui le menaçait se livrait à une fausse sécurité ; au mépris de l’ordre de César, il s’affaiblit encore en envoyant, hors du camp, cinq cohortes pour couper du bois. Soudain les barbares paraissent et l’investissent. Les Romains surpris et trop peu nombreux ne peuvent défendre que les portes du camp ; partout ailleurs l’attaque de l’ennemi n’est arrêtée que par la profondeur des fossés et par la hauteur des remparts.

Un faux bruit de la défaite et de la mort de César dans les Ardennes se répand et redouble la terreur des Romains ; dans leur trouble, ils laissent une des portes sans défense : les Sicambres y pénètrent.

Tout semblait perdu ; un guerrier romain, Baculus, fameux par sa vaillance, était resté près de là, malade dans sa tente ; il aperçois les Germains, se lève, saisit ses armes, se précipite vers les barbares ; nouveau Coclès, seul il les arrête, les combat, et tombe blessé ; mais ses compagnons, attirés par ses cris, accourent ; les assaillants, chargés à leur tour, sont repoussés et jetés au bas des remparts.

Cependant les Romains, attaqués de toutes parts, accablés par le nombre, et couverts de blessures, n’opposaient plus à l’ennemi que le courage du désespoir ; dans ce moment les cohortes envoyées au fourrage reviennent : les Germains alors tournent leurs efforts contre elles, et laissent quelque trêve aux assiégés. Parmi ces cohortes romaines, celles qui venaient d’être levées nouvellement se retirent sur une hauteur, y sont enveloppées, et, malgré leur opiniâtre résistance, périssent tout entières sous le fer ennemi : les autres cohortes, composées de vétérans, échappent au danger par leur audace, chargent les Sicambres, les enfoncent, traversent leurs masses, et rentrent glorieusement dans la forteresse.

Ce renfort fait renaître l’espoir et le courage dans le camp. Les Sicambres, revenant à l’assaut, trouvent de tous côtés les remparts bordés de guerriers intrépides ; ils renoncent à l’espoir d’escalader des murs ainsi défendus, et se retirent.

Le péril, quoique éloigné, restait encore présent aux yeux des Romains, de sorte qu’ils eurent quelque peine à croire Volusénus qui vint leur annoncer le retour des légions.

César[67], à son arrivée, reprocha sévèrement à Cicéron d’avoir compromis le salut de l’armée par sa désobéissance ; il employa encore quelque temps à consommer la destruction des Éburons et à poursuivre leur chef de retraite en retraite. Mais Ambiorix, suivi seulement de quatre cavaliers, trouva le moyen d’échapper à sa haine. Désespérant de l’atteindre, César ramena son armée à Reims et y tint les états.

Dans cette assemblée les principaux rebelles de la cité des Sennonais furent condamnés à l’exil, et Accon, leur chef, à là mort. En ces temps de désastre et d’oppression pour les Gaulois, la trahison conduisait aux honneurs et l’amour de la patrie au supplice.

Tout étant ainsi tranquille ou du moins comprimé, les troupes reprirent leurs quartiers d’hiver, et César partit pour la Lombardie

Ce fut à cette époque que la mort de Clodius, tribun du peuple, excita dans Rome d’assez grands troublés pour faire craindre la guerre civile. Le sénat donna l’ordre à la jeunesse de s’armer ; et de son côté César, protecteur de la faction populaire, fit pour la défendre de nombreuses levées dans la Cisalpine.

Le bruit de ces dissensions s’étendant au-delà des Alpes, réveille les espérances de la Gaule opprimée ; la honte du joug s’aigrit, l’impatience de le rompre s’accroît : de toutes parts les guerriers, frémissant de courroux, les druides brûlant du désir de recouvrer leur puissance, les chefs des cités indignés de leur humiliation, se donnent la nuit des rendez-vous secrets au fond des bois. Là ils déplorent leur éclat passé leur grandeur déchue, et leur malheur présent.

L’espoir de se relever l’ardeur pour les comte bats brillent dans leurs regards ; mais un reste de terreur comprime jette audace. Si la gloire et la fortune sourient au téméraire qui osera le premier, en bravant la mort, lever l’étendard de la révolte, venger le massacre de Vannes, la destruction des Éburons[68], le supplice honteux du prince Accon, et briser les fers de la patrie ; d’un autre côté la vengeance terrible des Romains l’attend. Le souvenir de deux cent mille Helvétiens immolés, de l’armée germaine engloutie dans les flots, de trois cent mille Teuctères égorgés, de la nation des Éburons détruite, de tant de champs ravagés, de tant de villes incendiées, glacent les courages les plus intrépides.

Tous sont agités par les mêmes ressentiments, et retenus par les mêmes craintes ; tous ne respirent que la guerre, et aucun n’ose la déclarer.

Enfin, à la voix du chef des druides, les Carnutes, plus prompts dans leur décision que tous les autres Gaulois, se lèvent et annoncent qu’ils vont courir aux armes, préférant la mort dans les combats, à la honte de vivre sans recouvrer l’héritage de leurs ancêtres, la gloire et la liberté.

Leur exemple chasse toute idée de péril, et tous les autres chefs jurent de les imiter. On se donne réciproquement des otages ; on se lie par des serments redoutables. Toujours fidèles à leur promesse, Cotuatus et Cunetodanus, chefs des Carnutes, arment leurs peuples, et font massacrer tous les Romains qui se trouvaient dans Orléans[69]. Cet événement, selon la coutume des Gaulois, fut annoncé à grands cris de bourgade en bourgade, et circula avec une telle rapidité qu’on apprit le soir en Au vergue qui s’était passé le matin dates Orléans.

L’Auvergne voyait alors briller parmi ses guerriers un jeune Gaulois, illustre par sa naissance, par son crédit, par sa bravoure et par son génie ; il se nommait Vercingétorix ; son père Celtillus, autrefois revêtu du commandement des troupes dans toute la Gaule Celtique, avait été assassiné par ses concitoyens qui le soupçonnaient d’aspirer à la royauté. Un parti nombreux, brûlant de le venger, entourait encore l’héritier de sa fortune et de son ambition.

Dès qu’on apprit en Auvergne le soulèvement des peuples de Chartres, Vercingétorix, résistant aux larmes de sa famille et bravant l’opposition d’une noblesse qui redoutait le courroux des Romains, appela ses amis aux armes ; mais ses premiers efforts furent sans succès. Les meurtriers de son père, les chefs de sa cité, soulevèrent contre lui la multitude, et le chassèrent de Clermont[70].

L’espérance et la gloire suivirent le banni dans son exil. Soutenu par des amis fidèles, il vit accourir sous ses enseignes tous les Gaulois chez lesquels l’esclavage n’avait point éteint l’amour de la guerre et de la liberté. Son parti s’accrut encore de tous les hommes aventureux que la pauvreté aiguillonnait et qui se voyaient poursuivis par leurs débiteurs ou par les lois. Enfin ses forces s’augmentaient tellement que bientôt il rentra vainqueur dans Clermont, ranima les courages par son audace, réveilla l’espérance par ses promesses et rassura les plus timides par sa fermeté. D’un consentement unanime, il se vit proclamé roi partout son peuple.

D’après ses ordres, des messagers rapides parcoururent la Touraine, l’Anjou, le Limousin, le Quercy, les cités de Sens, de Paris, de Poitiers. Tous ces peuples, ralliés à sa voix, le proclamèrent général ; car dans les temps de crise la peur fait taire l’envie et la contraint de se soumettre au talent.

Vercingétorix se fait livrer des otages, des armes, des chevaux ; il ordonne des levées de troupes ; fixe l’époque de leur réunion, aiguillonne l’ardeur des audacieux par son activité, et décide les faibles par sa vigueur. La mort punit les factieux, la mutilation châtie les lâches et offre en eux un exemple qui force la poltronnerie au courage.

Une partie de son armée entra dans le Rouergue ; une autre soumit le Berri, dont les peuples demandèrent en vain du secours aux Éduens ; enfin, partout l’incertitude cède à son zèle, l’indiscipline à son autorité, et Rome apprend que César va trouver dans la Gaule un rival digne de lui.

La nouvelle de cette révolution plaça le général romain dans une position si difficile, et si périlleuse, qu’elle aurait déconcerté ou perdu tout autre que lui. Ses légions, en quartiers d’hiver dans le nord de la Gaule, se voyaient séparées de lui sans aucun moyen de communication. Tout le centre de cette vaste contrée était en armes ; les peuples, des côtes prenaient part à la révolte ; dans le midi même, les cités de l’Agénois et du Gévaudan suivaient l’étendard de l’insurrection. Lutérius, lieutenant de Vercingétorix, menaçait déjà la province romaine, et la neige qui obstruait les vallées des Cévennes semblait élever une barrière impénétrable entre le Vivarais et l’Auvergne.

Si César perdait du temps, son armée courait risque d’être écrasée dans la Belgique ; s’il cherchait à la rejoindre, il s’exposait à une défaite presque certaine à la mort ou à la captivité. Son génie, considérant sans effroi ces dangers et ces obstacles, ne les mesura que pour braver les uns et pour franchir les autres.

Il envoie ses nouvelles légions en Vivarais, court à Narbonne, rassure cette province en y plaçant des garnisons, et certain que la route la plus périlleuse devient la plus sûre parce qu’elle est la moins prévue, il traverse les Cévennes et paraît à l’improviste en Auvergne.

Son arrivée y répand la terreur : Vercingétorix accourt pour défendre son pays. César, trop faible pour le combattre, confie ses troupes à Brutus, lui ordonne de se tenir sur la défensive, vole à Vienne en Dauphiné, y trouve sa cavalerie, traverse avec elle le pays des Éduens, rejoint sur la Loire deux de ses légions, réunit à lui celles de la Belgique, marche sur Sens, s’en empare ainsi que de Château-Landon, et arrivé devant les remparts d’Orléans avec une telle rapidité qu’il devance les secours que cette ville attendait. Il y entre de vive force, la brûle, la rase, parce que la première elle s’était armée contre lui ; de là il pénètre dans le Berri et assiège une ville nommée Noviodunum.

Vercingétorix pendant ce temps s’efforçait de soumettre le Bourbonnais, pays des Boïens, qui seuls étaient restés les alliés des Romains ; mais tout à coup, instruit de la marche de César et de la rapidité de ses progrès, il court à sa rencontre.

Noviodunum capitulait ; à la vue des étendards de Vercingétorix, elle reprend l’espérance et rompt toute négociation. Sous ses remparts, les deux armées se livrent un combat de cavalerie qui d’abord tourne à l’avantage des Gaulois ; mais après une longue mêlée six cents cavaliers germains, auxiliaires dans l’armée de César, changent la fortune par leur impétuosité mettent en fuite la cavalerie de Vercingétorix et le forcent lui-même à la retraite.

La ville, abandonnée se rend et livre au vainqueur les chefs qui l’ont excitée à la révolter. César, non moins habile pour profiter de la victoire que prompt à la remporter, poursuit ses avantages investit Bourges[71], et en forme le siège.

Tout avait ainsi changé de face en peu de jours : les forces romaines séparées s’étaient réunies, et César, qu’on croyait surprendre dans la province même, se trouvait déjà victorieux au milieu de la Gaule étonnée.

Vercingétorix comprit alors que cette nouvelle situation exigeait un nouveau plan ; il rassembla les chefs des cités, leur proposa d’éviter les batailles décisives, et ordonna de harceler l’ennemi de tous côtés : Les Romains ont pour eux, dit-il, l’union, la science, la discipline, la supériorité de leur armure ; épuisons leur courage par une guerre de détail ; minons leurs forces par de fréquents, de légers combats, et surtout par la privation des substances. Détruisons tous nos fourrages ; enlevons tous nos grains ; rasons nos villages ; incendions nous-mêmes nos villes. Tout sacrifice est préférable à l’esclavage.

Ce conseil violent ne rencontra pas d’opposants ; le désespoir obéit à la fureur ; le feu dévora les champs et les villages ; vingt grandes villes furent livrées aux flammes, et César, que les précipices et les neiges n’avaient pu retarder, se vit tout à coup investi de feux, et isolé au milieu d’un vaste incendie.

Ce dévouement généreux pouvait sauver la Gaule ; mais les peuples du Berri la perdirent, en refusant de sacrifier Bourges[72] leur capitale. En vain Vercingétorix ordonne sa destruction : les citoyens, les guerriers se prosternent à ses genoux et, les larmes aux yeux, le conjurent d’épargner l’appui, l’ornement, la plus belle ville de la Gaule ; les chefs lui représentent que la position de Bourges rend sa défense facile, qu’elle est entourée d’une rivière profonde et d’un marais impraticable qui ne laissent à l’ennemi pour s’en approcher qu’un défilé étroit et périlleux.

Dans le camp de César on obéissait ; dans celui de Vercingétorix on délibérait ; cette différence entre deux grands capitaines, fit la fortune de l’un et le malheur de l’autre. Vercingétorix, forcé de céder, plaça dans la ville dix mille hommes d’élite ; avec le reste de son armée il se cacha dans un bois ; de là, surveillant tous les mouvements de César, il tombait sur ses détachements, et exterminait toutes les troupes qui se hasardaient, loin du camp, pour chercher des subsistances.

Bientôt l’armée romaine se vit en proie à la plus affreuse disette. De ses deux alliés, les Boïens[73], malgré leur pauvreté, furent les seuls qui lui envoyèrent des vivres ; les Éduens, au contraire, riches en grains et en troupeaux, ne lui donnèrent que des promesses.

César, admirant la constance héroïque de ses légions et touché de leurs souffrances, se décide enfin a céder au sort et à son rival ; il propose à ses soldats de lever le siège et de se retirer. Pour la première fois la fierté romaine surpasse la sienne. Ces guerriers ne demandent plus à vivre, mais à combattre ; le courage fait supporter la faim, et ranime la faiblesse ; les travaux redoublent d’activité, les machinés se mettent en mouvement, et les tours s’approchent des remparts.

Cependant la trahison d’un Gaulois découvre à César une embuscade dans laquelle les ennemis voulaient faire tomber sa cavalerie, il y marche avec quelques légions, taille en pièces le corps, qui s’y trouvait et le poursuit jusqu’au pied du camp de Vercingétorix, qui, s’était posté sur une hauteur inexpugnable entourée d’un vaste marais.

César, par ses manœuvres par les défis injurieux de ses soldats, tente vainement d’attirer le général gaulois hors d’une position qu’il ne peut forcer, Vercingétorix s’y tient tranquillement renfermé ; et oblige ainsi par sa patience les Romains à la retraite.

Les Gaulois, turbulents, indisciplinés, méfiants, loin d’apprécier la prudente habileté de leur chef, accusent sa sagesse de trahison. Ils se rassemblent en tumulte, lui reprochent son inaction dans un instant où il pouvait écraser les Romains ; tous enfin se montrent prêts à le condamner comme un lâche qui voulait, en sauvant César, obtenir le sceptre de sa main.

Ma conduite plus que mes paroles, leur dit Vercingétorix, me lavera et vous fera rougir de vos honteux soupçons. Je ne vous ai fait changer de camp que pour assurer vos fourrages et pour les enlever aux Romains, dont je m’approchais sans péril en vous faisant occuper un poste inattaquable ; Je ne me suis laissé ébranler ni par les bravades de l’ennemi, ni par les clameurs des séditieux, qui ne demandent à grands cris le combat que pour se délivrés plus tôt des fatigues de la guerre. Quel est le fondement de vos reproches ? Les Romains sont venus vous menacer ; eh bien ! ce n’est pas nous, ce sont eux qui se sont retirés. Planant sur eux du haut de vôtre colline, vous avez pu contempler leur faiblesse et jouir de leur fuite. Je n’attends point d’une lâche trahison le pouvoir que je devrai bientôt à une victoire certaine. Cependant, si vous croyez que je m’occupe plus de ma grandeur que de votre salut, je dépose à l’instant devant vous mon autorité. Mais peut-être croyez-vous que je me laisse éblouir par des espérances trompeuses. Eh bien ! écoutez donc les Romains eux-mêmes ; vous connaîtrez par eux la vérité.

Alors il fait paraître quelques prisonniers dont la peur dictait le langage ; ceux-ci déclarent : Qu’ils sont légionnaires ; que la disette les a chassés du camp, que la faim : lès avait déterminés à braver la captivité ; que l’armée romaine épuisée ne peut plus résister au besoin, à la fatigue, et que César a promis de lever le siège, si la ville ne capitulait pas avant trois jours.

Voilà pourtant, reprit Vercingétorix, ce que vous me devez ! et c’est moi que vous accusez de trahison ! moi qui vous donne la victoire sans l’acheter de votre sang ! moi dont l’adroite prudence vous sauve et ne laisse aucun espoir de salut à vos ennemis !

A ces paroles, l’inconstante multitude répond par de vives acclamations et par un grand cliquetis d’armes ; l’amour succède à la haine, l’enthousiasme à la fureur, tous s’écrient que Vercingétorix, est le plus grand des capitaines, qu’on serait coupable en doutant de sa foi, et qu’il faut se livrer à son génie.

Le général gaulois fit entrer un nouveau renfort dans la ville. Ce siège fut également mémorable par le courage des assaillants, et par la vaillance, l’opiniâtreté et les ruses des assiégés. Les détails qu’on trouve dans le récit de César prouvent que les Gaulois possédaient alors une industrie inconnue aux peuples barbares.

Leurs murs, dit-il, étaient ainsi construits ; ils plaçaient deux grosses poutres en long à deux pieds de distance l’une de l’autre, et les fixaient par des traverses : leurs vides remplis de terre étaient revêtus en dehors de grosses pierres qui séparaient cette première couche des autres qu’on élevait sur elles, et qu’on multipliait suivant la hauteur qu’on voulait donner à la muraille ; cette construction en échiquier était aussi solide contre les machines de guerre qu’agréable à la vue. La richesse de la Gaule en mines de fer donnait aux Gaulois dans les siéges l’avantage de trouver un grand nombre de mineurs expérimentés, qui détruisaient les terrasses et renversaient les tours élevées par les légions. Leurs remparts étaient garnis de cordes et de crochets qui arrêtaient et faisaient tomber les machines romaines ; enfin ils couvraient d’un cuir frais les tours de leurs retranchements, et les mettaient ainsi à l’abri du feu.

Malgré tous ces obstacles, les assiégeants étaient parvenus à élever près des remparts une terrasse haute de quatre-vingts pieds et large de trois cent trente. Elle devint l’objet d’un combat que les deux armées se livrèrent pendant deux jours avec acharnement pour l’attaquer et pour la défendre.

Un trait raconté par César suffit pour peindre l’intrépidité gauloise : Un guerrier de la ville, dit-il, debout sur la muraille, jetait contre la terrasse des bois enflammés et des boules de suif qu’on lui passait de main en main ; bientôt les traits lancés par une baliste romaine le percent et le renversent ; un autre prend sa place, éprouve le même sort ; et jusqu’à la fin du jour ce poste périlleux fait ainsi successivement vidé et rempli sans relâche.

Après des efforts inutiles, les Gaulois se retirent sans avoir pu détruire la terrasse qui domine leurs murs ; leur ruine est certaine ; tout ce qui porte les armes veut abandonner la ville. Les femmes, les vieillards, les enfants, tous en pleurs, se jettent à leurs genoux, arrêtent leurs pas et les conjurent de les défendre. Ils reviennent sur les remparts ; l’assaut se prépare. Dans ce désordre, César aperçoit une partie des murailles mal gardée, il y court et la franchit ; les légions le suivent en foule ; encore furieuses du massacre d’Orléans, elles n’épargnèrent ni le sexe ni l’âge ; l’infanterie tua les uns dans la ville ; au-dehors, la cavalerie égorgea les autres ; cette journée fit disparaître une population de quarante mille âmes.

Huit cents Gaulois seuls s’échappèrent, Vercingétorix, craignant l’impression produite par leur arrivée soudaine dans son camp, les y fit entrer successivement et de nuit : rassemblant ensuite son armée dont le silence annonçait la consternation : Pourquoi, dit-il, vous décourager pour un échec dû non à la vaillance, mais à l’artifice des Romains plus riches que nous en machines de guerre et plus expérimentés dans l’art des sièges ? Lorsqu’on se décide à la guerre, il serait insensé de compter sur une fortune toujours favorable ; il faut profiter des succès et supporter les revers. Je ne voulais point, qu’on défendit Bourges ; vous avez vu, vous avez bravé, vous avez vaincu, vous-mêmes ma résistance. L’obstination des habitants de la ville, et votre pitié pour eux, sont les seules causes de votre malheur. Au reste, je l’effacerai promptement par de brillants succès. Les peuples qui n’avaient pas encore pris de parti vont embrasser notre cause. J’ai l’espoir fondé de rassembler sous nos étendards les guerriers de toutes les Gaules. Le monde entier ne saurait résister à leurs forcés réunies. Jusque-là, ce que je veux justement obtenir de vous, c’est d’imiter la tactique de vos ennemis pour les vaincre, d’observer la discipline, d’obéir sans murmuré, de ne combattre qu’au signal, de vous mettre à l’abri de toute attaque imprévue, en fortifiant vos camps comme les Romains.

Dans le malheur, la fermeté commande l’admiration, et l’affection générale redoubla pour un chef qui, loin d’être découragé au milieu d’un tel revers, prédisait encore la victoire.

Rarement l’autorité des généraux survit à leur défaite ; mais celle de Bourges accrut le pouvoir du général gaulois, et ce désastre, prédit par lui, raffermit la confiance qu’il inspirait ; aussi, pour la première fois, on vit les Gaulois dociles marcher avec ordre, obéir avec patience, travailler sans murmure, et défendre leur camp par des fossés et par des tours.

Les envoyés de Vercingétorix parcoururent de nouveau les cités pour échauffer leur zèle, et pour les exciter à la vengeance. Éloquence, adresse, reproches, amitié, présents, promesses, rien ne fut négligé par lui ; il rassembla mi grand nombre d’archers, se fit fournir des armes, et pressa partout avec succès les levées.

L’armée romaine avait, dans Bourges, retrouvé l’abondance ; et, après tant de fatigues, elle se livra quelques jours au repos. Sur ces entrefaites, César apprit que la lutte opiniâtre de deux factions divisait les Éduens ses alliés : le sujet de leur querelle était le choix d’un premier magistrat, d’un vergobrète. Cotus, dont le frère venait d’occuper cette charge, et Convictolanus, citoyen opulent et d’une naissance illustre, y prétendaient tous deux ; enfin lés partis qui les avaient choisis se montraient décidés à soutenir chacun leur élection par les armes.

César crut nécessaire d’apaiser ces troubles funestes ; on se soumit a son arbitrage ; et comme les lois défendaient aux magistrats éduens de sortir de leur pays ; il quitta momentanément son armée, se rendit dans une de leurs villes, y manda leur sénat, les chefs de leur nation ; et, après avoir entendu les deux prétendants, confirma l’élection de Convictolanus. Il annula celle de son rie1, parce qu’elle n’avait pas été faite dans les formes légales.

Les Éduens lui donnèrent toute leur cavalerie, et dix mille hommes de pied ; César chargea ceux-ci de former une longue chaîne de postes, et de protéger ses convois. Labienus reçut l’ordre de marcher dans le pays des Sennonais, et de s’emparer de Lutèce, capitale des parisiens. Enfin, revenu à son armée, César s’approcha des bords de l’Allier, dans le dessein d’assiéger Gergovie. Il trouva les ponts de rivière rompus, et Vercingétorix campé sur Clermont l’autre bord pour lui en disputer le passage.

César trompa l’ennemi par ses manœuvres ; et tandis qu’il l’occupait sur un point par le déploiement de la plus grande partie de ses troupes, il passa le fleuve avec deux légions ; le reste le suivit, et, peu de jours après, il investit Gergovie : l’armée gauloise campa près de là, sur une montagne, pour protéger la ville.

Les deux armées se disputèrent avec acharnement une colline située au bas de la montagne, et se livrèrent pour la prendre des combats fréquents, dont les succès furent balancés ; enfin, dans une attaque de nuit, les Romains s’en emparèrent et y établirent deux légions.

Pendant ce temps une révolution imprévue jeta César dans de nouveaux périls. Convictolanus, qui lui devait sa dignité, plus sensible à la voix de là patrie qu’à celle de la reconnaissance, s’efforça d’entraîner le sénat des Éduens dans le parti des libérateurs de la Gaule. Nous sommes libres, disait-il, et faits pour commander ; cependant nous servons, nous obéissons, et notre peuple est le seul qui suspende encore les triomphes des défenseurs de la Gaule : tous les autres combattent avec eux, ou n’attendent que notre signal pour se déclarer. Sans nous, les Romains ne trouveraient plus d’asile dans notre patrie. Les prétendus bienfaits de César me touchent peu ; il ne fait que confirmer avec justice un choix légal, et, je ne dois mon élévation qu’au vœu libre de mes concitoyens. D’ailleurs, de quel droit les Romains seraient-ils plutôt juges de nos lois, que nous des leurs ? C’est une prétention qui m’irrite, et que nous ne devons plus supporter.

Ce discours fit murmurer les vieillards prudents et craintifs ; mais la jeunesse bouillante des Éduens y applaudit et dès lors les chefs convinrent d’employer la ruse pour échauffer l’esprit du peuple et pour l’entraîner à l’insurrection.

L’un d’eux, Litavicus, commandait les dix mille hommes qui devaient rejoindre les Romains ; à trente milles de Gergovie, il les arrête : Compagnons, s’écrie-t-il, où courons-nous ? Les piéges nous entourent ; la mort nous attend : toute notre cavalerie, les princes de notre cité, Époridorix et Viridomare, sous de vains prétextes, ont été jetés dans les fers, et envoyés au supplice par César. N’exigez pas plus de détails de ce désastre : mes frères, mes parents sont égorgés ; la douleur ne me laisse pas la liberté de vous en dire davantage, quelques victimes échappées aux massacres vont offrir à vos yeux ce tableau sanglant que je n’ai pas la force de tracer.

Alors des hommes, gagnés et instruits par Litavicus, paraissent, confirment son récit, racontent le prétendu carnage des Éduens soupçonnés d’intelligence avec Vercingétorix, et semblent frémir encore des dangers qu’ils ont, disent-ils, courus en se dérobant à la mort par la fuite.

L’armée furieuse, demande à grands cris qu’on lui indique ce qu’elle doit faire pour se venger. Comment pouvez-vous le demander, répond le général, nous n’avons d’autre parti à prendre que de nous joindre aux Arverniens[74]. Après un tel crime, notre perte, est sans doute jurée ; il ne nous reste d’espoir que dans notre courage ; vengeons la mort de nos familles et massacrons leurs meurtriers.

Soudain, montrant à leurs regards le convoi qu’ils escortaient, il donne ordre de l’attaquer, le disperse, le pille, et passe au fil de l’épée tous les Romains qui s’y trouvaient.

La même fable, répétée par ses dépêches dans le pays des Éduens, s’y répand, s’y propage ; l’indignation s’enflamme ; on court aux armes ; partout on poursuit les Romains, et le tribun militaire Aristius est forcé, en combattant, de sortir de Châlons[75], dont la garde lui était confiée.

Cependant César, instruit de cet événement par la bouche même des deux chefs, Époridorix et Viridomare, qui se trouvaient près de lui avec la cavalerie éduenne, voit à un coup d’œil le danger qui le menace, s’il permet à ce soulèvement de s’étendre. Laissant donc Fabius avec deux légions à la garde de son camp, il prend, quatre autres légions marche rapidement contre les Éduens, et s’approche d’eux sans combattre ; au moment où ils s’élancent sur lui, il présente à leurs regards les deux princes dont on venait de leur raconter la mort tragique : leur aspect dévoile le mensonge. Les Éduens se soumettent, et Litavicus, échappant à une juste vengeance par une prompte fuite, court à Gergovie encore suivi de ses clients personnels, de ses nombreux soldurii, qui, selon la coutume gauloise, ne pouvaient sans crime l’abandonner.

Tel fût le honteux résultat d’un stratagème qui déshonorait, par le mensonge, la plus noble des causes. Les chefs des Éduens envoyèrent à César des députés pour le fléchir ; leur but réel n’était que de gagner du temps, afin de rappeler leurs troupes ; César feignit de croire à leur bonne foi ; mais prévoyant qu’il serait bientôt attaqué de tous côtés, il ne songea plus qu’aux moyens de s’éloigner avec honneur de Gergovie[76].

Revenu près de cette place, il apprit que son camp, attaqué par Vercingétorix, s’était vu momentanément forcé, et que ses légions avaient beaucoup souffert. Bientôt il s’aperçut avec surprise que les Gaulois abandonnaient presque entièrement la colline qu’ils avaient reprise pendant son absence, et pour laquelle tant de combats s’étaient livrés. Ses espions lui rapportèrent que l’armée ennemie occupait une autre éminence couverte de bois ; et qui excitait leur inquiétude parce que ces bois aboutissaient à un quartier de la ville dont ils pouvaient faciliter l’approche.

Profitant de cet avis, César menace par de faux mouvements la colline abandonnée ; la plus grande partie des Gaulois s’y porte : alors des légions cachées se précipitent sur l’éminence boisée, taillent en pièces ceux qui la défendaient, et détruisent leurs travaux.

César, satisfait de cet avantage qui semblait lui permettre de s’éloigner ensuite honorablement, donne le signal de la retraite ; mais la dixième légion, animée par la fuite de l’ennemi, le poursuit, n’écoute aucun ordre, arrive en même temps que les fuyards aux pieds des murs de la place, et donne impétueusement l’assaut ; les autres légions suivent en foule son exemple.

Déjà les femmes effrayées se montrent échevelées sur les remparts, et demandent la vie ; déjà le tribun Fabius, saisissant un créneau, se montre debout sur la muraille ; mais soudain l’armée des Gaulois, accourant de la colline qu’elle avait voulu garder, rentre dans la ville ; leur pères, leurs enfants, leurs épouses, en larmes, leur crient de les défendre et de les dérober à un massacre affreux ; leur courage se change en fureur ; ils s’élancent avec rage contre les Romains. Des deux côtés on combat avec acharnement ; mais enfin la fatigue épuise la force des assaillants ; la plupart des officiers romains périssent ; pressées de tous côtés, les légions ne peuvent ni continuer le combat avec espoir, ni se retirer sans un extrême péril.

Dans ce moment, Fabius, percé de plusieurs traits, crie aux Romains : Ma mort est certaine, mais je veux qu’elle vous soit utile : sauvez-vous ; mon corps va vous servir de rempart et couvrir votre retraite. A ces mots il se précipite sur les Gaulois, les étonne, les arrêté par son audace, en immole plusieurs, tombe et meurt avec gloire.

Les Romains ne s’occupaient qu’à le venger, mais voyant tout à coup paraître sur leurs flancs un corps d’Éduens qui s’approchait pour les secourir, l’armure gauloise les trompe, ils se croient tournés, ils fuient précipitamment, accablés par une nuée de traits, par une foule d’ennemis, et laissent sur le champ de bataille sept mille hommes et quarante-six centurions.

Vercingétorix les poursuit jusqu’au pied d’une montagne où deux légions, postées par César, les : rallient. Enfin le roi des Gaules rentre dans Gergovie délivrée par ses armes, et le peuple reçoit en triomphe le seul capitaine qui jusqu’alors pût se vanter d’avoir vaincu César.

Le général romain après avoir reproché vivement à ses légions leur témérité, les rassura en leur prouvant que cette défaite, triste effet de leur désobéissance et du désavantage de leur position, serait bientôt réparée par leur supériorité réelle sur les Gaulois en force et en vaillance, alléguant ensuite la nécessité de comprimer les mouvements des Éduens agités par Litavicus, il leva le siège et partit.

César, en s’approchant de la Loire en vit les bords gardés et défendus par un grand nombre de troupes éduennes que le bruit de la défaite de Gergovie avait déterminées à la révolte ; séparé alors pour la seconde fois de Labienus, il semblait également périlleux pour lui ou de continuer sa marche au milieu de tant de peuples ennemis tandis que Vercingétorix le poursuivait, ou de se retirer par les Cévennes dans la province romaine : mais ce dernier parti lui parut trop honteux. Bravant tout danger, et se confiant à sa fortune, il traverse à gué la Loire, renverse tout ce qui lui résiste, et parvient sans échec à Sens.

Pendant que ces événements se passaient dans la Celtique, Labienus, fidèle à ses instructions, s’était porté avec quatre légions contre Lutèce, située dans une île de la Seine. A son approche tous les peuples voisins se réunirent aux Parisiens pour le combattre sous le commandement d’un chef illustre nommé Camulogène ; la vieillesse avait mûri son courage sans le refroidir.

Le général gaulois plaça son camp, derrière un marais qui couvrait Lutèce. Vainement Labienus tenta de l’éloigner de cette position ou de la forcer ; cédant à la difficulté des lieux et à la résistance de l’ennemi, il changea de plan, regagna Melun[77], s’y empara de plusieurs bateaux, y établit un pont, passa la rivière, et revint vis-à-vis de Lutèce sur la rive gauche de la Seine.

Camulogène prit alors le parti d’incendier Lutèce, de traverser la rivière, de détruire les ponts et d’établir son camp en face de celui des Romains. Ce fut dans ce moment que Labienus apprit la levée du siège de Gergovie, la révolte des Éduens et le soulèvement des Gaules. On répandait même le bruit d’un nouveau revers de César sur les bords de la Loire, et de sa retraite dans la province romaine.

Labienus, se croyant ainsi abandonné, comprit qu’il ne s’agissait plus pour lui de conquêtes, mais du salut de ses légions ; décidé à se retirer par le pays des Sennonais, il divise les forces de l’ennemi en le trompant ; quelques troupes restent par son ordre dans le camp ; plusieurs de ses cohortes remontent la Seine, et tandis que l’ennemi incertain suit ses divers mouvements, il descend la rivière avec la plus grande partie de ses légions, égorge les postes qui la défendent, se saisit de leurs bateaux, la rivière vis-à-vis de Meudon, et choisit pour établir son camp une forte position.

L’armée gauloise vint bientôt l’attaquer ; la victoire fut quelque temps incertaine ; Camulogène, avec son aile droite, enfonça d’abord la gauche des Romains ; mais l’autre aile de l’armée gauloise ayant pris la fuite, les légions qui la poursuivaient revinrent tomber sur le flanc des Gaulois vainqueurs. Les Parisiens, ainsi enveloppés rendirent leur défaite glorieuse ; imitant l’exemple de leur vieux général, ils préférèrent, comme lui, la mort à la fuite, et périrent tous sur le champ de bataille.

Labienus poursuivit sa route sans obstacle, et retrouva près de Sens César, qui vit enfin par cette jonction toutes ses légions réunies.

Les Éduens, craignant alors que le poids du ressentiment de César ne retombât sur eux, pressèrent Vercingétorix de venir à leur secours ; il y courut et rassembla dans Autun[78] les états de la Gaule soulevée. Les Trévirois, menacés d’une invasion par les Germains, ne purent envoyer de députés dans cette assemblée. Les Rhémois et les Lingons persistèrent dans leur alliance avec Rome. Époridorix et Viridomare prétendaient au commandement général des troupes gauloises ; mais les états en revêtirent Vercingétorix.

Ce prince, à la tête d’une infanterie nombreuse et aguerrie, ne crut point nécessaire de l’augmenter ; il demanda seulement une levée de quinze mille cavaliers, chargea les Éduens de marcher avec un corps nombreux contre les Allobroges[79], et dirigea les Arverniens[80] sur l’Aquitaine, dans le dessein de menacer la province romaine ; enfin il invita tous les Gaulois à dévaster leurs champs et à brûler leurs habitations pour affamer les Romains.

L’habileté de ce plan étonna César ; sa cavalerie était tellement épuisée par la fatigue et par les combats, qu’il se vit obligé d’en faire venir de Germanie et de démonter les chevaliers et les officiers supérieurs des légions pour donner leurs chevaux à ses cavaliers. Pressé par une armée formidable, manquant de vivres au milieu de contrées fertiles que l’amour de la liberté changeait en déserts à son approche, et voyant dans le Midi les possessions romaines menacées d’une prochaine invasion, il se décida à la retraite et marcha par le pays de Langres vers la Franche-Comté, pour se rapprocher de la Provence afin de la défendre.

Pour la première fois alors ce fier conquérant cédait, reculait devant son ennemi, et la Gaule pouvait encore se retrouver libre : mais une seule faute décide souvent du sort des états : Vercingétorix trop enorgueilli de ses succès à Gergovie, ou trop pressé par l’ardeur turbulente des Gaulois, ne se contenta pas devoir les Romains se retirer, il voulût les exterminer ou les forcer à fuir.

Il renonce, tout à coup à la guerre de détail qui minait les forces de Rome, et qui aurait sauvé la Gaule. Décidé à risquer une bataille, il réunit tous ses guerriers : L’heure du triomphe, dit-il, est enfin venue ; les Romains s’éloignent de notre patrie et retournent dans leur province. Je sais que leur retraite suffit pour nous faire jouir momentanément de la liberté, mais ce bonheur serra court, je ne vois dans cette paix qu’une trêve passagère. Bientôt des légions, plus nombreuses, descendront de nouveau des Alpes pour nous accabler et nous ne verrons jamais la fin de cette guerre. Ne laissons pas échapper ainsi la fortune qui nous favorise ; poursuivons vivement nos ennemis vaincus, l’armée de César est embarrassée par ses lourds bagages, et par une foule de chariots remplis des dépouilles de la Gaule : si, dans sa marche lente nous osons l’attaquer, ou son infanterie s’arrêtera pour défendre ses richesses, et alors, ne pouvant continuer sa route, elle périra sous nos glaives ; ou si elle abandonne ses équipages, elle se sauvera avec honte ; poursuivie et dispersée, la faim et le fer consommeront sa ruine. Hâtons-nous donc, par une marche prompte, de redoubler le courage des nôtres, de répandre la terreur parmi les Romains, et de saisir la victoire que le sort nous présente.

Les chefs, les chevaliers, les soldats, enflammés de la même ardeur que leur général, aveuglés par la même fatalité, répondent à ses paroles, en agitant bruyamment leurs armes, et demandent à grands cris le combat ; l’enthousiasme est universel ; tous veulent se lier à la patrie par un nouveau serment ; enfin chacun jure de ne point reposer sa tête sous un toit, de ne point revoir sa famille et de ne pas serrer son épouse dans ses bras, avant d’avoir traversé deux fois l’armée romaine.

Le signal est donné ; Vercingétorix, à la tête de trois colonnes de cavalerie, attaque brusquement l’arrière-garde des Romains en tête et en flanc, les légions s’arrêtent pour couvrir les bagages, et des deux côtés, pendant la plus grande partie du jour, on soutient avec acharnement un combat d’où dépendent le salut de César et la liberté de la Gaule.

La victoire qu’une égale vaillance rend longtemps incertaine est enfin décidée par le génie du général romain. Un corps de cavaliers germains dérobe sa marche à la faveur des bois ; tourne une montagne, et tombe à l’improviste sur le flanc de la cavalerie gauloise ; celle-ci, rompue par une attaqué si imprévue, est enfoncée. César en taille une partie en pièces et poursuit le reste jusqu’au bord d’une rivière, derrière laquelle Vercingétorix avait habilement placé son infanterie dans une forte position.

Trois chefs des Éduens furent pris dans cette bataille ; le général gaulois, voyant dans son armée le découragement succéder à la témérité, prit le parti de la retraite, et s’enferma dans la ville forte d’Alésia près d’Auxonne, située sur une montagne escarpée et à demi entourée par une large rivière. L’armée gauloise, forte encore de quatre-vingt mille hommes, campa sur le penchant de cette montagne, et en couvrit la partie accessible par de hautes murailles, des tours élevées et des fossés profonds.

César, poursuivant sa victoire, admira, dans le choix de ses positions, l’habileté du général vaincu et décidé à détruire un rival auquel semblait attachée la destinée de la Gaule, il investit Alésia et en forma le siège.

Le génie le plus audacieux pouvait seul concevoir une telle entreprise ; il avait à combattre la nature, le talent, le désespoir ; et tandis qu’il attaquait quatre-vingt mille braves défendus par des retranchements presque inexpugnables, il s’exposait à voir la Gaule armée fondre de tous côtés sur lui et l’assiéger à son tour. Ce péril, prévu par lui, n’effraya point son courage, et ses légions, aussi constantes que leur chef était audacieux, après avoir entouré la ville d’un retranchement garni de tours qui avait cinq lieues de circuit, construisirent une ligne de contrevallation également faite pour se défendre contre l’attaque des armées que Vercingétorix appelait de toutes parts à son secours.

Le général gaulois écrivit à toutes les cités qu’il ne possédait de vivres que pour trente jours, et qu’elles n’avaient pas un instant à perdre, si elles voulaient dérober à une mort certaine ou à une honteuse captivité l’élite des défenseurs de la patrie.

Partout la jeunesse gauloise, courant aux armes, répondit avec ardeur à ce cri de détresse. Le peuple de Beauvais, conservant seul cet esprit de désunion si fatal à la Gaule, ne fournit point de contingent, réservant toutes ses forces pour sa propre défense.

Comius, roi des Atrébates, longtemps regardé comme le plus fidèle allié de César, sacrifia son amitié à sa patrie, et vola au secours de Vercingétorix. L’armée de la ligue gauloise s’éleva bientôt à deux cent quarante-huit mille fantassins et huit mille cavaliers. Elle se mit en marche sous les ordres de quatre chefs, Comius, prince des Atrébates, Viridomare, Époridorix, chefs des Éduens, et Vergasionus, guerrier illustre parmi les Arverniens

Tandis qu’ils se dirigeaient sur Alésia, cette ville devenait le théâtre des plus sanglants combats ; les assiégés faisaient de nombreuses et fréquentes sorties pour détruire les travaux des Romains : ceux-ci étaient sans cesse occupés à les défendre ou à les reconstruire, et des deux côtés, le nombre et l’acharnement des combattants étaient tels que chaque jour voyait livrer une véritable bataille.

Cependant, au milieu de cette lutte sanglante, le temps s’écoule avec rapidité, le terme fatal approche, le mois expire, les vivres manquent et les secours promis n’arrivent point. Vercingétorix rassemble ses chefs, ils délibèrent ; les uns proposent de capituler, pour sauver le peuple de la mort cruelle dont la famine le menace ; les autres demandent une sortie générale, préférant un noble trépas dans les lignes ennemies, à la honte de rendre les armes.

Après une longue contestation, le parti le plus faible prévalait, lorsque soudain un noble Arvernien, Critognate, se lève impétueusement : Je ne parle point, dit-il, à ceux qui couvrent leur lâcheté du nom de prudence, qui regardent une honteuse capitulation comme un traité nécessaire, et qui veulent acheter le repos par la servitude. Indignes désormais de se montrer dans les conseils de la nation, ils ne sont plus citoyens à mes yeux : je ne m’adresse qu’aux braves qui proposent une sortie générale ; je reconnais dans leur résolution généreuse et dans l’ardeur de ceux qui l’approuvent l’antique courage gaulois. C’est cependant leur avis que je viens combattre ; mettons-nous en garde contre la faiblesse de l’esprit humain souvent elle se cache sous l’apparence de la témérité ; la plupart des hommes supportent plus aisément un court trépas qu’une longue douleur. Ils demandent de courir à la mort parce qu’ils ne savent pas supporter les privations, les souffrances et la misère.

Moi-même j’avoue que s’il n’était question que de la perte de notre vie, je me rangerais à leur opinion tout ce qui est généreux m’entraîne ; mais il s’agit ici du salut de toute la Gaule ; jugez, si nous périssons, quelle sera la douleur de nos familles, la honte de nos concitoyens et le découragement des armées qui marchent pour nous délivrer. Ils ne trouveront donc ici que nos tombeaux, et seront réduits à livrer bataille sur nos cadavres. Ah ! ne privez pas ainsi de votre secours, par une résolution téméraire, cette foule de guerriers qui abandonnent leurs foyers pour vous défendre, et qui sacrifient leur propre salut au votre. Ne forcez point par votre faiblesse la Gaule tout entière à se précipiter dans la servitude.

Eh quoi ! vous doutez de la foi de vos alliés, parce qu’ils n’arrivent pas au jour fixé ; mais pour dissiper votre inquiétude, contemplez celle des Romains ; voyez depuis le lever du soleil jusqu’à la nuit, leur activité pour se garantir d’une attaque, prochaine par la hauteur de leurs retranchements : leurs alarmes continuelles, leurs travaux assidus et sans relâche vous annoncent évidemment l’approche des secours que vous attendez.

Imitons l’exemple de nos aïeux, et osons faire ce qu’ils firent dans une guerre moins funeste ; les Cimbres et les Teutons parcouraient, inondaient, dévastaient la Gaule ; nos braves ancêtres, renfermés dans leurs villes et privés de vivres, ne déposèrent point lâchement leurs armes, ou ne coururent pas en aveugles à la mort pour échapper à la disette ; mais ils se nourrirent de le chair de ceux de leurs concitoyens que l’enfance ou la vieillesse rendait incapables de porter les armes. Si je ne trouvais dans le passé l’exemple d’une telle intrépidité, au nom de la patrie, je vous proposerais encore de le donner les premiers à la postérité ; car dans les circonstances où nous sommes, cette cruelle détermination serait encore plus justifiable que ne le fut celle de nos pères. Jamais en effet on ne vit rien de pareil à la guerre que nous soutenons : les Cimbres entrèrent dans la Gaule, en sortirent comme un torrent et coururent bientôt à d’autres conquêtes ; comme ils ne voulaient que nos richesses, ils nous laissèrent nos droits, nos champs, nos lois et notre liberté : mais les Romains, animés par la plus basse envie, n’ont d’autre but, en attaquant les peuples qui ont acquis quelque gloire à la guerre, que de flétrir leur renommée, d’anéantir leur indépendance, de s’emparer de leurs terres, de dominer dans leurs cités, et de leur imposer les lois les plus dures.

Partout ils se sont montrés les mêmes : si le sort des nations éloignées qu’ils ont assujetties vous est inconnu, portez vos regards sur cette partie de la Gaule déjà réduite en province romaine ; vous y verrez les terres partagées, les droits anéantis, les lois changées ; ces peuples infortunés sont soumis à la hache des licteurs et condamnés à une perpétuelle servitude.

Ce discours, à la fois héroïque et féroce, fit frémir l’assemblée. Avant de suivre un avis si cruel, elle résolut de tenter un moyen moins barbare et tous les habitants qui ne pouvaient combattre furent renvoyés de la ville.

Cette foule infortunée s’approcha des lignes romaines, suppliant l’ennemi de lui accorder des chaînes et du pain ; mais les Romains répondirent à leurs larmes par un dur refus. Rejetés de leur ville, repoussés par l’ennemi, ces malheureux remplissaient les airs de mie tout à coup les clameurs de la joie succèdent à ces accents de désespoir ; les signaux annoncent l’arrivée de l’armée gauloise ; bientôt son infanterie couronne, les hauteurs, et la cavalerie de Comius inonde la plaine.

A cette vue César fit sortir sa cavalerie de ses retranchements ; elle combattit toute la journée celle des Gaulois ; et cette fois encore les Romains durent la victoire aux Germains auxiliaires, qui, par leur impétuosité, jetèrent le désordre dans les escadrons gaulois et les poursuivirent jusqu’à leur camp.

Cet échec consterna les assiégés : ils étaient sortis de leurs murs plein d’espérance, ils y revinrent accablés de douleur. Vercingétorix seul, inébranlable, relève leur courage ; et marche à leur tête contre les retranchements romains. Comius, du côté de la plaine, les attaque également de toutes parts ; les plus terribles assauts se livrent, et tant qu’on se bat de loin, les archers gaulois ont l’avantage ; leurs traits rapides percent tous les Romains qui paraissent sur les remparts ; mais, lorsqu’ils veulent franchir les murailles, et combattre corps à corps, les Romains à leur tour triomphent par leur adresse dans l’escrime, par la solidité de leur armure, par la force de leurs machines qui lancent sur les assaillants des balles de plomb, des pierres et de lourds javelots. Un grand nombre de Gaulois sont précipités dans les fossés, d’autres s’enferrent dans des chausse-trapes répandues devant les lignes.

Malgré tous ces obstacles, ils continuèrent avec opiniâtreté cette attaque toute la nuit ; déjà même Vercingétorix, parvenu à combler une partie du fossé, se croyait au moment de vaincre ; mais lorsque le jour parut, il vit que Comius, las de tant d’efforts repoussés, se retirait sur les hauteurs avec son armée. Cet abandon, réunissant contre lui les forces romaines, l’obligea de se renfermer encore dans la ville.

Après un court repos, par les ordres de Comius, Vergasionus, général des Arverniens et parent de Vercingétorix, à la tête de cinquante-cinq mille hommes, attaqua une colline peu éloignée du camp romain, et sur laquelle César avait placé deux légions ; en même temps la cavalerie gauloise descend dans la plaine, et le reste de l’armée des alliés menace de nouveau les retranchements.

Vercingétorix voit ces mouvements, en profite, et donne impétueusement l’assaut aux lignes romaines ; ainsi la bataille devient générale ; partout on combat avec fureur, les assiégés pour leur délivrance, les Romains pour leur salut, l’armée gauloise pour conquérir la liberté de la patrie. Les Romains étonnés entendent l’air retentir devant, derrière eux et sur leurs flancs, de cris horribles, leur bravoure fléchit ; la colline, objet et prix du combat, est enfin emportée par les Gaulois. César ordonne à Brutus de la reprendre ; il s’y précipite et se voit repoussé. Fabius lui succède et éprouve le même sort ; enfin César y court lui-même, se montre à la fois capitaine et soldat, rétablit le combat, et ne peut pourtant point encore décider la victoire. Mais alors Labienus, voyant que de tous côtés, les remparts et les fossés n’arrêtaient plus que faiblement la fureur gauloise, fait sortir des retranchements trente-neuf cohortes fraîches et intrépides, se précipite avec elles sur les ennemis et les enfonce ; la cavalerie romaine leur coupe la retraite, et en fait un carnage affreux. Sédulius, prince des Limousins, tombe percé de coups, Vergasilanus est pris ; soixante-quatorze drapeaux sont portés à César ; l’armée gauloise fuit, et la garnison d’Alésia perd tout espoir de délivrance.

Ainsi soixante-dix mille Romains[81], par l’habileté de leur général triomphèrent de trois cent vingt mille Gaulois. La cavalerie poursuivit les fuyards et en massacra un grand nombre ; le lendemain de cette funeste journée, Vercingétorix, rassemble ses braves et malheureux guerriers : Je n’ai point, leur dit-il, entrepris cette guerre pour ma grandeur personnelle, pour mon intérêt privé. Je n’ai combattu que pour la liberté commune ; le sort a trompé notre espoir, il faut céder à la fortune ; mais si mon glaive ne peut plus servir la Gaule, mon trépas ou ma captivité peut encore lui mètre utile ; mon existence et ma liberté sont à vous, disposez-en à votre gré, et voyez si vous pourrez adoucir le vainqueur par ma perte : vous apaiserez peut-être César en ordonnant ma mort ou en me livrant vivant à son orgueil.

Cette offre généreuse, dictée par le plais noble courage, fart acceptée par la crainte ; les Gaulois envoyèrent des députés à César, qui accorda la paix, à condition que son noble rival et les principaux chefs lui fussent livrés. Il ordonna aussi un désarmement général. Rangeant ses légions sur le front de son camp, César vit les Gaulois déposer leurs armes à. Ses pieds ; chaque soldat romain eut un prisonnier gaulois pour esclave. Les Éduens et les Arverniens furent seuls exemptés de cet humiliant tribut. Le vainqueur espérait par cette clémence regagner leur affection.

Comius s’éloigna avec les débris de son armée. Vercingétorix, trop grand pour être pardonné, resta dans les fers ; César le traîna quelques années après dans Rome, enchaîné à son char de triomphe, le punit ensuite de sa gloire en l’immolant, et, par cette indigne cruauté, ternissant sa renommée, s’abaissa lui-même au-dessous du héros vaincu.

La victoire d’Alésia consterna la Gaule, et la terreur assura momentanément la tranquillité. César passa l’hiver à Bibracte et établit ses légions en quartiers dans la Franche-Comté, en Vivarais, à Mâcon, chez les Rhémois, et dans le Rouergue. Ces succès inespérés remplirent Rome de joie, et le sénat ordonna vingt jours de prières pour en rendre grâces aux dieux.

La Gaule vaincue n’était pas soumise ; terrassée par la force romaine et par le génie de César, elle espérait encore se relever. Ses chefs, impatients du joug, mais éclairés par l’expérience, ne songèrent plus aux levées générales, aux grandes batailles, aux victoires éclatantes ; ils s’occupèrent à diviser, à inquiéter, à fatiguer les Romains, en faisant éclater à la fois sur divers points et dans des lieux éloignés, le feu de la révolte. Ils se flattèrent ainsi qu’ils ruineraient et détruiraient leurs ennemis en leur faisant partout la guerre, sans leur offrir jamais ni de grandes masses à combattre ni de victoires décisives à remporter.

César pénétra leur dessein, surveilla leurs mouvements, et leur opposa cette incroyable célérité par laquelle il sut toujours saisir et fixer la fortune. Tandis que Marc-Antoine restait à Autun et défendait les quartiers d’hiver, il courut dans le Berri qui commençait missi à s’agiter, et comprima la révolte. De là, après avoir partagé le butin entre les légions ; il parut dans Orléans, y établit la paix, dispersa les Carnutes qui avaient pris les armes, y laissa deux légions pour les contenir, et marcha ensuite contre les peuples de Beauvais, de tous les Belges les plus nombreux, les plus fiers, les plus puissants, les plus belliqueux. Comme ceux-ci n’avaient pas voulu suivre les étendards de Vercingétorix, ils n’avaient point partagé son infortune, et leur armée encore entière, et intacte s’était grossie par l’arrivée des Calètes[82], des Atrébates[83].

Coréus, le plus opiniâtre ennemi des Romains, commandait ces troupes ; un autre chef non moins redoutable, Comius, laissant les Atrébates dans le camp, était allé chercher des secours en Germanie, Coréus campait sur une montagne, décidé à se renfermer dans ses lignes si César marchait contre lui avec des forces nombreuses, et à le combattre, s’il en avait peu. Le général romain reconnut qu’il était impossible d’investir une position si étendue et d’emporter d’assaut un camp retranché qui semblait inexpugnable. Dans l’espoir de les attirer hors de ce poste avantageux, il cacha une partie de ses troupes dans les bois, et se présenta avec le reste et face des ennemis. Coréus ne se laissa point tromper par ce stratagème, et resta inébranlable dans sa position.

Peu de temps après Comius étant arrivé avec cinq cents cavaliers germains, les deux cavaleries se livrèrent, entre les deux camps, de fréquents combats ; celle de César fut d’abord battue. Comius tailla en pièces les escadrons rhémois qui servaient dans l’armée romaine, et tua Vertiséus leur chef. Dès que les Romains s’écartaient pour aller au fourrage, les troupes légères des Gaulois tombaient sur eux et les massacraient.

César, fatigué de cette longue résistance, appela près de lui plusieurs légions dans le dessein d’attaquer le camp de vive force : les Gaulois, instruits de l’arrivée de ces renforts, résolurent d’éviter le combat, allumèrent, la nuit, de grands feux pour tromper César, et sortirent ainsi de leur camp sans être inquiétés. Leur retraite se serait continuée tranquillement, mais par malheur un traître apprit aux Romains que Coréus s’était embusqué dans un bois avec quelques troupes pour surprendre leur avant-garde. César, profitant de cet avis, tourne l’ennemi, l’enveloppe avec ses légions, et, lui propose de capituler. Coréus, ne pouvant fuir et ne voulant point se rendre, périt en combattant. La perte de cet intrépide défenseur de la liberté répandit la consternation dans son armée ; l’ordre et l’espoir disparurent avec lui. César augmenta leur trouble par la rapidité de sa marche, la peur fit taire la haine ; l’armée se dispersa ; ses chefs donnèrent des otages et se soumirent.

Comius seul refusa de souscrire à cette paix honteuse, il se sauva en Germanie. La vie de ce guerrier importunait les Romains ; l’année précédente, Labienus, décidé à se défaire du dernier défenseur de la liberté gauloise, avait chargé Volusénus de l’attirer à une conférence et de le tuer. Volusénus consent à exécuter cet ordre barbare ; Comius se rend sans méfiance à son invitation ; Volusénus lui présente la main ; à ce signal convenu, un centurion frappe avec son épée, la tête du Gaulois. Comius, gravement blessé, mais retrouvant des forces dans son courage, tire son glaive, perce son assassin, écarte, effraie les autres, traverse leur foule, se retire, et jure de ne plus jamais paraître devant un Romain qu’à la tête d’une armée.

Tandis qu’il portait au-delà du Rhin sa haine ou ses désirs de vengeance, la Gaule, privée de chefs, resta courbée sous le joug du vainqueur. Les guerriers les plus braves, ceux qui ne pouvaient supporter la servitude, imitèrent Comius, passèrent en Germanie, et se mêlèrent à ces éternels ennemis de Rome, qui, dans la suite, sous le nom d’Allemands, de Bourguignons et de Francs chassèrent à leur tour les Romains de la Gaule.

De même qu’après une tempêté les flots se montrent quelque temps agités, on vit encore dans plusieurs parties de la Gaule des tentatives de révolte

César comprima promptement ces rebellions naissantes à Liége (pays des Éburons), ainsi que dans le Poitou et dans l’Anjou ; celle du Limousin fut plus difficile à vaincre. Dumnacus, qui commandait les insurgés, livra bataille à Fabius ; la cavalerie romaine fut presque détruite dans ce combat ; mais les légions la vengèrent et taillèrent en pièces les rebelles.

Le chef des Carnutes, Ducurvatus, osait encore faire entendre à son peuple le cri de vengeance et de liberté. César, pour frapper la Gaule de terreur, condamna ce prince à la mort ; on lui trancha la tête après l’avoir frappé de verges. Cette rigueur intimidait les faibles, mais indignait les braves.

Drapès, à la tête d’un corps d’aventuriers sortis de toutes les cités, parcourt la Gaule, tue un grand nombre de Romains, et se joint dans le midi aux troupes du Quercy, commandées par Latérius et Cadurcus. Tous ensemble ils forment le hardi projet d’envahir la province romaine.

César les prévient, les poursuit, les atteint, les défait et s’empare d’Uxellodunum ville du Limousin, qu’ils avaient prise.

L’admiration qu’inspire le génie de ce grand capitaine est mêlée d’un juste sentiment d’horreur, lorsqu’on lit dans ses Commentaires ce peu de mots : César, sachant que sa douceur était généralement connue, et ne craignant point qu’on attribuât à quelque changement dans son caractère un acte de rigueur nécessaire, pensa qu’après tant de révoltes enhardies dans divers lieux par l’impunité, il fallait enfin que le supplice de quelques-uns épouvantât les autres. En conséquence il fit couper la main à tous ceux qu’il venait de vaincre, et leur laissa la vie pour que leur mutilation rappelât longtemps leur rébellion et leur châtiment.

Le chef de ces infortunés, Drapès, échappa aux fers, à la honte, au supplice en se laissant mourir de faim. Lutérius, après avoir erré quelque temps dans les bois, fut trahi par un de ses compatriotes et livré à César. Ce brave Gaulois perdit ainsi et sa liberté et la main qui l’avait si généreusement défendue.

La terreur cependant ne put encore glacer tous les courages. Surus, illustré Éduen, qui n’avait pas voulu se soumettre comme son pays, se joignit aux Trévirais de nouveau soulevés ; la fortune le trahit : après un combat sanglant Labienus vainquit les troupes et le prit.

César employa l’hiver à parcourir la Gaule narbonnaise pour en assurer le repos et revint ensuite près d’Arras attendre le printemps.

Tout était en paix, hors Comius, qui, seul revenu dans sa patrie à la tête d’un corps de cavalerie, osait encore braver les forces romaines : Antoine et Volusénus marchent contre lui. Comius, enveloppé par leurs nombreuses légions, aperçoit Volusénus, court sur lui, le renverse d’un coup de lance, sabre tous ceux qui veulent l’arrêter, se précipite sur les légions, les traverse et leur échappe. Sa vengeance est accomplie ; seul debout et en armes dans la Gaule conquise, il écrit à Antoine, lui propose fièrement la paix, lui promet des otages, et jure qu’il vivra tranquille pourvu qu’on le laisse tenir le serment qu’il a fait de ne jamais voir aucun Romain devant lui. César y consentit, et le roi des Atrébates, dernier monument de la liberté gauloise, conquit ainsi par son courage, son indépendance, une paix honorable et l’estime de ses ennemis.

Tout était vaincu[84] ; César, déposant sa rigueur, ne s’occupa plus qu’à soumettre les esprits. Aussi habile en politique que terrible à la guerre, son adroite douceur fut peut-être alors plus funeste à la liberté gauloise que ses armes. Cherchant à corrompre ceux qu’il avait vaincus, il gagna les chefs par des présents, trompa les druides par des honneurs, flatta l’orgueil des cités en y élevant de somptueux édifices, et se concilia l’affection des peuples, en les exemptant d’impôts. Enfin, ce qu’on peut à peine concevoir, il parvint non seulement à faire supporter, mais même à faire aimer son pouvoir ; de sorte qu’appelé ensuite en Italie par la guerre civile, il vit les Gaulois soumis, au lieu de profiter de son absence pour se révolter, courir sous ses drapeaux, contribuer puissamment à sa victoire de Pharsale, à ses triomphes en Afrique et en Espagne, et le seconder partout : peut-être aussi dans cette guerre leur espoir fut, en suivant César, de se venger et de renverser avec lui la liberté de cette Rome qui venait d’anéantir la leur.

Telle fut la fin d’une guerre que Plutarque, Appien et Paterculus regardent comme la plus difficile et la plus périlleuse que les Romains aient jamais soutenue : César, disent-ils, pendant dix ans, combattis trente fois les Gaulois en bataille rangée, soumit quatre cents de leurs peuples, prit huit cents de leurs villes ; défit trois millions d’hommes armés, et en fit périr un million sur les champs de bataille.

Un historien romain, en retraçant les détails de sa victoire d’Alésia, dans laquelle il assiégeait une armée formidable, étant assiégé lui-même par trois cent vingt mille Gaulois, dit, dans le transport de son admiration, qu’il semblait au-dessus d’un mortel d’oser former une telle entreprise, et qu’il n’appartenait qu’à un dieu de l’avoir achevée.

Tels sont les hommes, inconstants amis de la liberté, frivoles jouets de la gloire, ils craignent les conquérants, les haïssent, les admirent et les déifient.

 

 

 

 


[1] Séquaniens.

[2] Raurarques.

[3] Tulingins.

[4] Tabrige.

[5] Norique.

[6] Séquanie.

[7] Allobroges.

[8] Centrons.

[9] Graioceli.

[10] Caturiges.

[11] Ségusiani.

[12] L’Arar.

[13] Zuriquois.

[14] L’Arar.

[15] Bibracte.

[16] Urbigènes.

[17] Vesontium.

[18] Suessiones.

[19] Peuples de Sens.

[20] Beauvais.

[21] Hainaut.

[22] Namur.

[23] Saint-Omer.

[24] Amiens.

[25] Brabant.

[26] Gueldre.

[27] Caux.

[28] Vexin.

[29] Vermandois.

[30] Condros.

[31] Liège.

[32] Bouillon.

[33] Luxembourg.

[34] Bibrac.

[35] Noviodunum.

[36] Bratuspautium.

[37] Sabis.

[38] Namur.

[39] Vénètes.

[40] Unelli.

[41] Osismi.

[42] Curiosolites.

[43] Sesuvii.

[44] Aulerci.

[45] Rhedons.

[46] Carnutes.

[47] Andes.

[48] Turones.

[49] Séduni.

[50] Véragri.

[51] Ligerie.

[52] Unelli.

[53] Sotiates.

[54] Pays d’Artois.

[55] Peuples de Terouanne en Artois.

[56] Cinquante-six ans avant Jésus-Christ.

[57] Peuples de Midlesex.

[58] Du pays d’Artois.

[59] Samatobrive.

[60] Pays Chartrain.

[61] Peuples de Namur.

[62] Liégeois.

[63] Bacuis.

[64] Peuples de Lunebourg.

[65] Atuatuea.

[66] Peuples de Westphalie.

[67] Cinquante-trois ans avant Jésus-Christ.

[68] Liégeois.

[69] Genabum.

[70] Gergovie.

[71] Avaricum.

[72] Avaricum.

[73] Peuples du Bourbonnais.

[74] Auvergnats.

[75] Cabillonum.

[76] Clermont en Auvergne.

[77] Meulodunum.

[78] Bibracte.

[79] Savoyards.

[80] Auvergnats.

[81] Cinquante-deux ans avant Jésus-Christ.

[82] Peuples de Caux.

[83] Peuples d’Artois.

[84] Cinquante ans avant Jésus-Christ.