HISTOIRE DES GAULES

 

CHAPITRE DEUXIÈME

 

 

Le premier point de contact entre la Gaule et les peuples civilisés de l’ancienne Europe fut cette côte méridionale du pays que nous nommons aujourd’hui la Provence.

La différence des lois, des langages et des mœurs sépare les peuples, l’ambition les divise, le commerce travaille constamment à les rapprocher et à les unir.

Tant que Tyr fit libre, ses navigateurs répandirent partout les lumières et l’industrie ; Carthage, ayant de devenir, comme Rome, l’effroi du monde, en fut longtemps, par son commerce, l’heureux lien ; les Grecs naturalisèrent en Sicile, en Italie et dans une partie de l’Asie, la liberté, les lettres et les arts Les vaisseaux de tous ces peuples se montraient souvent dans les ports méridionaux de la Gaule, seule contrée des pays barbares, dont le climat se rapprochât par sa douceur de ceux de la Grèce et de l’Asie.

A l’époque où Cyrus fonda son empire dans l’Orient, Harpalus, un de ses satrapes, ruinait l’Ionie par ses exactions, et faisait gémir sous un joug despotique les peuples dont il détruisait la richesse et opprimait la liberté. Décidés à fuir sa tyrannie quelques  habitants de Phocée, s’embarquèrent, et vinrent dans la Gaule fonder une colonie, près d’un port où des avantages commerciaux avaient porté, cinquante ans avant, plusieurs négociants de leur ville à s’établir.

Les Gaulois de ce canton se nommaient Saliens ; Nannus leur chef et leur roi, reçut les Phocéens en amis, leur céda des terres, et donna la main de sa fille à Protis, commandant l’expédition phocéenne.

Protis fut le fondateur de Marseille ; il y établit un gouvernement républicain, dont la durée ferait seule l’éloge ; et dont plusieurs siècles de prospérité, de richesses et de gloire, prouveraient la sagesse, quand même le plus illustre des Romains, Cicéron, ne nous aurait pas dit que les lois de Marseille lui semblaient préférables à celles de tous les peuples connus.

Les forces croissantes de la nouvelle république excitèrent bientôt la jalousie d’une tribu gauloise voisine de Marseille ; on appelait ces Gaulois les Ségobrigiens : Comanus, leur chef, avait pratiqué des intelligences dans la ville, que des traîtres devaient lui livrer ; une Gauloise découvre le complot aux Marseillais ; ils se tiennent en état de défense ; et lorsque Comanus s’approche de la porte qu’on devait lui ouvrir, ils sortent, se précipitent sur lui, et taillent en pièces les sept mille hommes qu’il commandait ; Comanus lui même périt dans la mêlée.

Cette victoire fit respecter Marseille par ses voisins ; bientôt sa puissance et sa renommée s’étendirent ; car ce n’est pas la grandeur du territoire qui fait la force des nations, elles ne le doivent qu’à leurs lois, qu’à leur industrie et à leurs vertus.

Marseille, par son commerce, par l’activité de ses navigateurs, par la bravoure de ses guerriers, devînt la rivale de Carthage, l’appui de l’Espagne et l’alliée de Rome ; foyer des arts, asile des sciences, elle se montra l’émule d’Athènes, et ce fut de son sein que partirent les premiers rayons de lumières qui se répandirent dans les Gaules.

Cependant les Gaulois, dans les premiers temps, cherchèrent moins à profiter de ses bienfaits qu’à ruiner sa puissance naissante : jalouses de ses progrès, presque toutes leurs tribus se réunirent contre elle sous les ordres d’un prince appelé Catumandus : il vint l’assiéger, elle lui opposa une vigoureuse résistance ; mais après d’opiniâtres efforts, le courage allait céder au nombre ; heureusement Catumandus, dont l’imagination était sans doute frappée comme celle de ses compatriotes par les récits merveilleux que les Grecs répandaient partout sur la puissance et les miracles de leurs dieux, croit voir en  songe une déesse qui lui défend de poursuivre son entreprise ; cédant à la crainte il demande une trêve aux Marseillais, entre dans la ville, suivi de près des siens, croit reconnaître dans le temple de Minerve l’image de la déesse qui lui était apparue, fait hommage d’un collier d’or, et conclut la paix avec la république.

On doit regarder la fondation de Marseille comme une grande époque pour la Gaule, car ce fut à cette même époque, 600 ans avant J.-C., dans le temps où les Mèdes brillaient en Asie, où Tarquin régnait à Rome, lorsque les Juifs étaient en captivité, et peu avant l’année où Solon donna des lois aux Athéniens, qu’une irruption formidable en Italie fit connaître à l’Europe, le nom et les armes des Gaulois.

L’opinion générale regardait alors la Gaule comme divisée en trois parties : au nord, la Belgique ; au midi, l’Aquitaine ; au centre la Celtique. La longueur des blonds cheveux que portaient les Gaulois, ainsi que la manière bizarrée et effrayante dont ils les rassemblaient sur le sommet de leur tête, firent donner à tout leur pays, le nom de Gaule comata ou chevelue.

Ambigat était alors chef, prince, duc ou roi des Berruyens, habitants du Berri. Tous ces noms se confondaient dans l’histoire ancienne, et se donnaient indistinctement aux commandants des bourgades celtiques, germaines et des hordes scythes : les mots khan chez les uns, konig chez les autres, répondaient au mot latin de rex, qui régit, ou roi. Furst, qui signifiait le premier, avait le même sens que princeps ou prince ; Herzog, venant de Heer-Ziehen, ou mener une troupe, présentait la même idée que le mot romain dux, tiré de ducere, conduire, et dont la dénomination de duc est dérivée.

C’est de cette confusion que vient l’erreur commune qui fait attacher l’idée de la grandeur actuelle des princes et des rois, au pouvoir temporaire et borné de cette foule innombrables de chefs  de tribus, et de capitaines commandant les hordes errantes et barbares du Nord.

Tous ces peuples belliqueux aimaient trop l’égalité pour qu’aucune magistrature y fût puissante ; en temps de guerre seulement, la nécessité de la discipline faisait accorder aux chefs une autorité que la victoire seule pouvait leur conserver, et qu’une défaite leur enlevait : ils ne formaient aucune grande entreprise sans le consentement du peuple assemblé, qui les rendait  cependant seuls responsables du succès.

La fortune avait secondé les armes du roi des Berruyens, et à la suite de plusieurs victoires Ambigat était devenu le chef de toute la Celtique ; mais, loin exercer sur ses peuples un pouvoir paisible, obligé de réprimer sans cesse leur humeur turbulente et querelleuse, las de séditions, voulant occuper au loin leur activité, il les rassemblent, leur propose de profiter des forces de leur union, pour porter leurs armes dans l’Orient et dans le Midi.

Présenter aux peuples du Nord des projets de guerre, d’invasion et de pillage, fut toujours un moyen assuré de leur plaire, méprisant le travail et la culture, leur nombreuse population avait besoin de se soulager par des expéditions lointaines, et par l’émigration de leurs belliqueux essaims ; la guerre était leur élément, le repos seul les fatiguait ; et en leur ordonnant de combattre, Ambigat les gouvernait selon leurs mœurs.

Ses paroles sont accueillies avec un enthousiasme que manifestent le heurtement des lances et le choc des boucliers ; à sa voix trois cent mille guerriers se rangent sous les ordres de ses neveux Sigovèze et Bellovèze, et ils se divisent en deux bandes égales, qui tirent au sort les contrées sur lesquelles ces deux torrents doivent se précipiter.

Sigovèze traversa le Rhin et la forêt Hercinie (aujourd’hui la forêt Noire), répandit la terreur dans toute la Germanie ; et fonda des colonies puissantes en Bavière, en Pannonie et dans la Bohême, dont le nom rappelle encore celui des Boïens qui s’y établirent.

Bellovèze, non moins heureux et suivi des Berruyens, des Sennonais, des Séquanais, des Averniens, des Éduens des Parisiens, des Carnutes, descend le Rhône, s’assure l’alliance et l’appui de Marseille en la défendant contre quelques tribus voisines alors en guerre avec elle ; il franchit les Alpes, entre en Italie, et combat intrépidement les Toscans ou Étrusques, ancienne colonie lydienne qui avait civilisé dans ce pays la sauvage nation des Pélasges.         

La confédération étrusque était puissante ; on y comptait déjà dix-huit cités considérables : mais ce peuple, amolli par la douceur du climat, ne put résister à l’impétueux et âpre courage des Gaulois. Une victoire complète, remportée par Bellovèze sur les bords du Tésin, lui soumit le nord de l’Italie, et toute la contrée située entre  les Alpes, le Rubicon, la mer et les Apennins ; elle reçut le nom de Gaule cisalpine.

Les Gaulois y fondèrent les villes de Côme, de Vérone, de Brescia, de Padoue, de Bergame, de Vicence et de Milan. Milan, en langue celtique, signifiait un endroit placé au milieu des terres.

Les tribus gauloises, disséminées dans ces cantons qu’elles se partagèrent, y devinrent nombreuses et puissantes, sous les noms différents de Cénomaniens, Insubriens, Boïens, Lingons et Sennonais. Leur domination pendant près de deux siècles sur cette partie de l’Italie, et leurs guerres perpétuelles avec les habitants des Alpes et des Apennins, restèrent enveloppées d’une profonde obscurité, jusqu’au moment où leur entreprise contre Rome les mit en lumière, et associa leur  gloire à celle du peuple-roi.

Un Toscan, nommé Arons, irrité contre le chef de sa cité, Lucumon, qui avait séduit sa femme, se réfugie chez les Gaulois Sennonais, sacrifie sa patrie à son ressentiment, et inspire aux Gaulois le désir de s’y établir, en leur faisant goûter le vin délicieux que produit son fertile territoire : il doit leur servir de guide, et avec le secours de ses amis aplanir devant eux les obstacles qu’on pouvait opposer à leur dessein.

Brennus, prince gaulois,  prend les armes et entre dans la Toscane à la tête de soixante-dix mille Sennonais (388 ans avant J.-C.). Rien ne l’arrête dans sa marche ; il arrive aux portes de Clusium, et menace cette ville d’une destruction totale, si elle refuse de lui céder une partie de ses terres. Les Toscans résistent, mais, effrayés de la force de l’ennemi qui les assiége, ils implorent le secours des Romains.

Depuis trois siècles, Rome était victorieuse des peuples qui l’environnaient ; elle venait alors de soumettre, après de longs combats, la cité de Véies, sa redoutable rivale ; et par les conseils de Camille, elle se préparait à de plus vastes conquêtes, en soldant ses troupes, et en se créant ainsi des armées régulières.

Souvent l’époque où les  nations brillent du plus grand éclat procède de peu d’instants celle de leur chute ; il ne faut qu’une injustice et une trahison pour renverser l’édifice élevé par les travaux de plusieurs siècles ; la perfidie d’un Toscan et l’exil injuste d’un grand homme ruinèrent la ville qui devait un jour commander au monde ; et son nom aurait disparu de la terre, si son vainqueur avait su profité de sa victoire.

Le sénat romain, apprenant des députés de Clusium que cette ville, assiégée par les Gaulois, craignait également de se donner des voisins si belliqueux, ou de combattre seule des ennemis si terribles, leur promet de les secourir, mais avant de commencer cette guerre formidable, il charge trois jeunes sénateurs, fils de Marcus Fabius Ambustus, de se rendre près de Brennus pour l’inviter à ne point attaquer sans motifs les Clusiens, leurs alliés.

Le prince gaulois, suivant l’antique usage de son pays, rassemble sa tribu guerrière,  et reçoit en sa  présence les ambassadeurs romains : ceux-ci lui représentent l’injustice de son invasion, et le prient de laisser en paix un peuple que Rome serait obligée, comme allié, de soutenu par ses armes.

Le prince gaulois après avoir pris l’avis de son peuple dit aux ambassadeurs : Le nom des Romains nous était jusqu’à présent inconnu, nous l’entendons prononcer pour la première fois : on doit croire cependant que vous êtes une nation vaillante, puisque c’est votre protection seule qui fonde l’espoir des Clusiens dans un aussi grand péril ; mais lorsque vous semblez préférer les négociations aux armes, nous sommes disposés, par considération pour vous, à conclure la paix avec Clusium ; il faut seulement que ce peuple, possédant plus de terres qu’il n’en peut cultiver, nous en cède une partie : si cette condition est rejetée, nous sommes décidés à combattre les Toscans en votre présence, afin que vous puissiez apprendre à Rome combien le courage gaulois est supérieur à celui de toutes les autres nations.

Et de quel droit, répond l’un des Fabius, les Gaulois prétendent-ils forcer une cité à lui céder une part de son territoire ?

Du même droit, réplique Brennus, qui vous a fait envahir les terres de tant de peuples vos voisins ; si vous souhaitez connaître nos titres, apprenez qu’ils sont écrits sur la lame de nos sabres, et que, tout appartient de droit au plus vaillant.

Les Romains, irrités d’un langage si fier, contiennent cependant leur courroux et se retirent en annonçant qu’ils vont conférer avec les Clusiens sur la proposition de Brennus. Mais rentrés dans la ville, ces jeunes sénateurs, bouillants de colère, oublient leur mission pacifique, cessent d’agir comme médiateurs ; et après avoir, par leurs discours violents, excité les Toscans à la guerre, ils quittent la  toge, se revêtent de leurs armes et courent se placer à la tête des Clusiens, qui sortent de leurs portes pour attaquer les Gaulois.

Le combat, commence ; une égale fureur anime les deux armées : au- milieu de la mêlée, Quintus Fabius, s’élançant sur son coursier à la tête des Toscans perce de sa lance un chef ennemis et le renverse ; à l’instant où il descendait, de cheval pour s’emparer de l’armure du vaincu, quelques Gaulois le reconnaissent ; son nom vole de bouche en bouche ; cet oubli du devoir des ambassadeurs, cette insolente agression d’un Romain enflamme de colère tous les guerriers de Brennus ; Clusium n’est plus rien pour eux ; les Romains deviennent seuls l’objet de leur vengeance : ils sonnent la retraite, ils s’éloignent, et, pressent en tumulte, leur chef de marcher avec eux contre Rome.

Brennus, secondé par les plus expérimentés de ses officiers, parvint avec peine à calmer l’impétuosité des Gaulois ; enfin, cédant à ses conseils, ils convinrent qu’on enverrait d’abord des députés à Rome pour demander qu’en réparation de l’outrage reçu elle leur livrât les ambassadeurs qui avaient enfreint la neutralité et violé le droit des gens.

La raison condamnait évidemment la conduite des jeunes Fabius ; mais leur audace plaisait à la multitude. Le sénat, n’osant ni violer la justice, ni s’opposer à l’opinion publique, renvoya le jugement de cette affaire au peuple ; la témérité fut applaudie ; la demande de satisfaction rejetée ; on joignit l’affront au refus, et les Fabius, élus tribuns militaires, loin d’être punis, se virent élevés au commandement de l’armée.

Rome semblait alors privée de son génie, et frappée de cet aveuglement qui annonce la chute des états.

Autrefois on avait vu les Romains, pour combattre quelques faibles cités voisines, s’armer en foule, choisir les chefs les plus habiles, et toujours en garde contre les surprises, s’enfermer chaque soir dans des camps retranchés qu’ils entouraient de larges fossés : aujourd’hui, tandis que quatre-vingt mille Gaulois fondent sur eux et répandent la terreur sur leur passage, et qu’ils s’écrient partout que Rome est le seul but de leur vengeance, le sénat et le peuple semblent mépriser cet ennemi formidable.

On se borne à lever à la hâte et au hasard quelques soldats ; on leur donne de jeunes généraux plus propres à irriter les Gaulois qu’à les vaincre.

Ad lieu d’aller au-devant d’eux on les attend avec indolence ; lenteur dans les préparatifs, incertitude dans les plans, négligence pour se garder, tout se réunit pour favoriser les desseins de Brennus

Aucun obstacle n’arrête sa marche ; il n’aperçoit de Romains qu’à quatre lieues de Rome, au confluent du Tibre et de l’Allia, et les trouve occupant une faible position.

Leur gauche est appuyée à l’Allia, leur droite à une montagne facile à tourner, le Tibre coule derrière eux ; leur réserve est placée sur une petite éminence ; aucun  camp fortifié ne leur présente l’asile en cas de retraite, et contre leur coutume, ils étendent sur une longue ligne leur faible front, dans la crainte d’être débordés.

Para un bizarre contraste, les dispositions de Brennus étaient sages, presque savantes ; et dans cette journée ce furent les barbares qui marchèrent dans un ordre régulier.

Brennus, ayant rangé son infanterie au centre et sa cavalerie aux ailes, attaque habilement la réserve des Romains, qui n’opposent qu’une courte résistance à son impétuosité ; il se précipite ensuite sur leur centre et l’enfonce, De ce moment, ce ne fut plus un combat, mais un carnage ; une partie des Romains périt sous le fer gaulois, une autre se noya dans le fleuve, quelques uns rentrèrent dans la ville, le reste, traversant l’Allia, s’enfuit à Véies.

Un pas de plus, Rome périssait tout entière, et, le sort du monde était changé.

Mais au lieu, de profiter, de la victoire et de poursuivre les vaincus, les Gaulois indisciplinés se livrèrent au pillage du camp, et perdirent trois jours en débauche. Cette courte trêve sauva la république.

Rome, d’abord consternée, se ranime ; l’excès du malheur réveille son courage ; toute la jeunesse s’arme et s’enferme dans le Capitole, résolue à périr ou à conserver ce dernier asile de la liberté : les femmes, les enfants et les vieux s’exilent ; il ne reste dans les murs que les consulaires, les patriciens et les sénateurs appesantis par l’âge ; ils ne peuvent combattre ; ils dédaignent de fuir.

Enfin- Brennus s’approche des remparts ; un silence effrayant répond seul aux cris des Gaulois : au lieu d’entrer dans une ville en tumulte, il ne voit qu’un vaste désert ; et le vainqueur, effrayé de cette solitude qui lui paraît cacher un piége, loin de marcher en triomphe, s’avance lentement d’un pas craintif, et comme s’il eût été lui-même entouré, poursuivi et vaincu.

Cependant il se rassure, et parcourt avec admiration cet héroïque désert. Tout à coup, l’aspect des sénateurs, vénérables, revêtus de leurs toges, portant leurs bâtons d’ivoire, et assis sur leurs chaises curules, leur inspirent un respect religieux ; Rome vide de soldats leur paraît encore peuplée de génies et défendue par des dieux. Mais bientôt cette illusion cesse ; un soldat gaulois porte une main hardie sur la barbe blanche du sénateur Papirius, ce vénérable consulaire, irrité de cet affront frappe, le barbare avec sa baguette d’ivoire : à ce signal, le respect des Gaulois fait place à la fureur ; ils égorgent tous ces vieux patriciens ; parcourent les rues et livrent la ville aux flammes, sans prévoir que cet incendie, qui souillait leur victoire, leur en enlevait le fruit en les privant de tous moyens de subsistance.

Brennus espérait pourtant que le spectacle de l’embrasement de Rome abattrait le courage des Romains enfermés dans le Capitole, et que cette forteresse ne lui coûterait qu’un léger combat ; il ordonne l’assaut : les Gaulois s’élancent à sa suite, et entonnent d’une voix effrayante leurs chants guerriers, ils gravissent le mont, en couvrant leurs têtes de leurs boucliers ; mais arrivés à la moitié de cette route escarpée, ils rencontrent les Romains, qui les attaquent avec fureur, les combattent avec acharnement, les enfoncent, les renversent et leur prouvent ainsi que Rome survit à ses cendres.

Brennus repoussé change le siège en blocus, et se voit forcé, pour chercher des vivres, de disperser dans les campagnes voisines la moitié de son armée : plusieurs de ses colonnes marchaient du côté d’Ardée.

Un illustre banni, Camille, gémissait alors dans cette ville sur l’ingratitude, sur les malheurs et sur la ruine de Rome. Instruit de l’approche des ennemis, ce grand homme, éclairé par l’amour de la patrie, paraît inopinément, au milieu du sénat des Ardéates, leur peint avec éloquence les malheurs et la honte que la lâcheté prépare à l’Italie si elle n’offre aux féroces Gaulois qu’une proie facile et des victimes soumises ; il leur prouve que ces barbares plus redoutables à l’œil qu’au courage, se sont livrés eux-mêmes à leurs armes ; que, poursuivis par la famine et dispersés, ils donnent le jour au pillage et la nuit à la débauche ; enfin il leur promet, s’ils veulent suivre un guerrier qui n’a jamais trouvé la fortune infidèle, un triomphe facile et une victoire sans combat.

Les Ardéates, entraînés par son génie, marchent sous ses ordres ; ils attaquent de nuit un corps nombreux de Gaulois, les surprennent, les mettent en fuite, et en font un affreux carnage.

Au nom de Camille, au bruit de sa victoire, tous les Romains, épars en Italie, se raniment, se rassemblent et punissent l’ingratitude des Toscans, qui s’étaient armés pour profiter de leurs revers ; ils forment de nombreuses légions et pressent Camille de combattre à leur tête : mais ce héros fidèle aux lois, qu’il ne croyait point détruites comme les murs de sa patrie, déclare que, sans l’ordre du sénat, il ne peut reprendre aucune autorités ni exercer aucun droit de citoyen.

Dès que la vertu obscurcie recommence à briller au milieu d’une nation vaincue, elle se relève de ses ruines ; son exemple crée des héros, opère des prodiges.

Un soldat romain, Pontius, se jette sans crainte sur son bouclier d’osier au milieu du Tibre ; suit la nuit, en silence, le cours de ce  fleuve, traverse ainsi le camp gaulois, gravit le Capitole, apprend au sénat la victoire d’Ardée ; la levée d’une armée romaine, reçoit le décret qui nomme Camille dictateur, et revient avec le même succès porter à son heureux général le titre qui lave des injures et qui sauve son pays.

Dans le même temps, un autre Romain, aminé par une vertu différente descend du Capitole en plein jour revêtu d’habits sacerdotaux ; il porte tranquillement les vases sacrés, s’avance au milieu des Gaulois dont le silence respectueux rend hommage à son intrépidité, et sur les débris d’un temple, il accomplit en leur présence le sacrifice annuel voué aux dieux par sa famille.

Cependant Brennus veut encore tenter un dernier effort pour triompher du courage romain : ayant découvert le sentier suivi par Pontius pour monter au Capitole, il prend avec lui ses plus intrépides guerriers, tous, couverts des ombres de  la nuit, s’accrochant péniblement aux pierres et aux ronces, s’approchent sans bruit des murs de la citadelle.

Les Romains étaient plongés dans le sommeil ; les sentinelles mêmes avaient cédé au besoin du repos ; un Gaulois embrassait déjà les créneaux ; c’en était fait de Rome, tout à coup, quelques oies consacrées à Junon, et que, malgré la disette, la piété romaine avait épargnées, jettent des cris d’effroi. A ces cris, le sénateur Manlius se réveille, saisit son glaive et s’élance sur le mur et renverse les plus audacieux assaillants ; sa voix répand l’alarme, ses compagnons accourent, et les soldats de Brennus se renversant l’un sur l’autre, roulent en fouie au bas du rocher.

Dans le même temps, Camille, grossissant toujours ses forces, s’emparait de toutes les avenues de Rome ; et privait l’armée gauloise de communications et de subsistances.

Les assiégeants se trouvaient à leur tour assiégés ; mais la famine qui les épuisait était devenue encore plus affreuse dans la citadelle ; cet ennemi, qu’on ne pouvait vaincre, triomphe enfin du courage des défenseurs du Capitole. Comme Brennus leur cachait avec soin sa propre détresse et les progrès du dictateur, ils capitulent ; et le général gaulois, vendant la paix, promet d’évacuer le territoire romain, pourvu qu’on lui paie mille livres d’or : le tribun Sulpicius apporte cet argent, et les Gaulois le pèsent dans de fausses balances. Sulpicius se plaint avec indignation de cette perfidie ; mais le fier Brennus, méprisant sa plainte, place son glaive sur la balance, en lui tenant ce farouche langage : malheur aux vaincus !

Au milieu de cette contestation, Camille paraît à l’improviste, suivi de quelques officiers, rompt la conférence, et appelle les Romains aux armes. Le Gaulois réclame l’exécution du traité : Cet acte, répond Camille, est nul, étant conclu sans le consentement du dictateur : préparez-vous à combattre ; ce n’est point l’or, c’est le fer qui rachètera la liberté romaine.

A ces mots, les deux armées se rangent en bataille et fondent impétueusement l’une sur l’autre. La fortune de Rome était rentrée dans ses murs avec Camille : de toutes parts les Gaulois, malgré leur résistance opiniâtre, sont rompus, enfoncés, détruits ; une partie meurt, l’autre fuit. Le dictateur les poursuit, les atteint à huit milles de Rome, leur livre un nouveau combat, et en fait un tel carnage qu’aucun d’eux n’échappe aux vainqueur, et ne peut porter dans son pays la nouvelle de ce désastre.

Les Gaulois avaient disparu ; mais la terreur de leur nom resta, et fit inscrire dans les fastes de Rome, au nombre des jours les plus funestes, celui qui avait éclairé la sanglante bataille de l’Allia.

Tel est le récit que fait Tite-Live de l’invasion gauloise : d’autres historiens, moins suspect de partialité pour la gloire de Rome, ont raconté différemment le dénouement de cette entreprise ; les uns disent que Camille avait surpris l’armée de Brennus au moment où elle était plongée dans l’ivresse. Strabon prétend que la capitulation fut exécutée : Les Gaulois, dit-il, chargés d’argent et de butin, furent attaqués en route et dépouillés par les Toscans.

Trogue-Pompée, historien, né dans la Gaule, assure que Marseille se chargea de payer le tribut imposé aux Romains par Brennus, et que ce service lui valut la constante amitié de Rome. Polybe, ami de Scipion, croit que les Gaulois, apprenant la nouvelle d’une invasion des Vénètes dans leur pays, abandonnèrent le siége de Rome et revinrent défendre leurs foyers. Ce qui rend peut-être cette dernière version plus vraisemblable, c’est la crainte que les Gaulais continuèrent d’inspirer pendant plus de deux siècles à la république ; crainte prouvée par la rigueur des lois qui suspendaient toute exception au service lorsqu’on était menacé par ce peuple belliqueux, , disaient les Romains, pour la ruine des villes, et pour la destruction des hommes.

La paix entre les Gaulois et les Romains, soit qu’elle eut été achetée par le sénat ou conquise par Camille, ne fut pas de longue durée. A peine Rome sortait de ses ruines, qu’elle se voit menacée d’une nouvelle irruption de ces fiers ennemis, qui, semblables à l’Antée de la fable, se relevaient aussitôt qu’ils étaient renversés, et paraissaient, en touchant la terre, reprendre de nouvelles forces.

L’armée gauloise traversa la Toscane comme un torrent ; et rencontra l’armée romaine près d’Albe : il ne s’était écoulé que six ans depuis le siège du Capitole. Au bruit de l’approche des Gaulois, tout le peuple avait pris les armes ; les vieillards mêmes endossèrent la cuirasse, et les pontifes, s’éloignant des temples, se montrèrent armés dans les camps.

Camille, affaibli par l’âge, par les travaux, par les blessures, refuse en vain le commandement ; on lui déclare que si son bras ne peut combattre, son nom est nécessaire pour présager et pour commander la victoire ; il est nommé dictateur.

Jusque-là on avait trop éprouvé la faiblesse de l’armure romaine contre la pesanteur des longs sabres gaulois, la contre la force des bras nerveux de ces terribles ennemis : Camille, donna des casques de fer à ses soldats ; il fit garnir leurs boucliers d’un cuir épais et de plaques de métal. La jeunesse romaine s’exerçait par ses ordres à l’escrime pour apprendre à lutter avec avantage, contre les longs sabres des Gaulois. Toutes ces dispositions, dictées par la prudence, montraient assez la crainte qu’inspirait un funeste souvenir.

Enfin la bataille se livra sous les murs d’Albe, la victoire fut longtemps disputée : un nouvel Horace la décida par son intrépidité. Au milieu de cette mêlée sanglante, Manlius attaque un chef gaulois dont la taille colossale répandait autour de lui la terreur ; l’adresse triomphe de la force ; Manlius perce le Gaulois de son glaive, le terrasse lui arrache son collier d’or et se pare de ce trophée qui lui mérita le nom de Torquatus.

La chute du géant remplit les Romains d’ardeur, glace les Gaulois de crainte ; la fortune n’est plus incertaine, et Camille sauve une seconde fois sa patrie.

Cependant les Gaulois, qui recevaient toujours des renforts, continuèrent longtemps à ravager le Latium ; la tactique et la discipline romaine triomphaient de leur courage sans l’abattre ; et leur retour était aussi prompt que leur fuite.

Un an après la victoire de Camille, Rome vit encore sur son territoire une nombreuse armée gauloise. Servilius Ahala, nommé dictateur, les força de se retirer : bientôt ils tentent un nouvel effort ; Silpicius les combat auprès de Préneste, et les repousse encore. Dans ces guerres opiniâtres les vainqueurs ne gagnaient que le champ de bataille : le péril qui menaçait la république renouvelant sans cesse, ce danger imminent suspendit toute rivalité et décida enfin les différentes tribus latines à oublier leurs querelles et  à se réunir au peuple romain.

Les Gaulois n’imitèrent point ce salutaire exemple ; les divers peuples de la Gaule et de la Cisalpine restèrent divisés ; cette division les perdit, tandis que l’union accrut progressivement la force des Romains et leur donna enfin l’empire du monde.

L’an 349 avant J.-C., les Gaulois attaquèrent encore l’armée romaine sur les confins de l’Étrurie. Le consul Popilius, qui commandait les troupes de la république, tombe blessé au moment où il cherchait à rallier ses soldats qui pliaient ; mais au même instant le roi des Gaulois, est attaqué par Valerius, qui le renverse et le tue : sa mort répand le désordre dans les rangs de l’armée gauloise : elle est enfoncée, mise en fuite, poursuivie, taillée en pièces. Cette victoire complète fit enfin évacuer le territoire romain, et une paix de cinquante ans avec Rome, en fut le fruit.

Le peuple romain, délivré alors d’un ennemi si formidable, crut qu’il n’avait pu le vaincre que par un secours miraculeux : les soldas prétendaient qu’un corbeau, perché sur le casque de Valerius, l’avait secondé dans son combat contre le roi des Gaules, en effrayant ce prince par les coups de son bec et par l’agitation de ses ailes. Cette fable prouve à quel point on redoutait à Rome la valeur gauloise puisqu’il fallait des prodiges pour en triompher.

L’histoire ne nous montré jamais les tribus gauloises en repos ; elles employèrent le temps de leur paix avec Rome à combattre les Vénètes et quelques autres peuples voisins des Alpes ; lorsqu’elles apprirent que les Toscans et les Samnites s’étaient ligués contre la république romaine, elles reprirent de nouveau les armes avec l’espoir de conquérir toute l’Italie, et leurs troupes rentrèrent en Toscane.

Une légion romaine fut attaquée par elles et taillée en pièces près de Clusium. Les consuls ignoraient ce désastre ; un affreux spectacle le leur apprit : ils virent s’avancer une troupe de cavaliers gaulois, qui portaient au bout de leurs lances les têtes des Romains vaincus.

Une grande bataille eut lieu, peu de temps après, entre l’armée consulaire et celle des Samnites et des Gaulois. L’une des ailes romaines fut enfoncée, le consul Decius sauva l’autre et fixa la fortune par son dévouement héroïque : il périt et s’immortalisa.

Le sacrifice de sa vie fut payé par une victoire complète ; mais les Gaulois ne tardèrent pas à se venger de cette défaite ; ils attaquèrent, peu d’années après, le consul Cecilius près d’Arezzo, le défirent, le tuèrent, et immolèrent treize mille romains à leur vengeance.

Au bruit de ce succès, une foule innombrable de Gaulois descendit des Alpes pour les joindre (283 ans avant J.-C.) ; leurs belliqueuses cohortes campèrent une seconde fois sous les murs de Rome.

Les efforts de la république, furent proportionnés au péril qui la menaçait ; elle rassembla une nombreuse armée. Dolabella commandait les Romains ; après avoir soutenu avec peine les premières charges des ennemis, il enfonça leur centre, tourna leurs ailes, les battit complètement, les poursuivit, entra dans leur pays avec eux, enleva aux Sennonais toutes leurs terres, et y bâtit sur les bords de la mer Adriatique la ville de Sena ; ce fut la première cité fondée par les Romains dans la Gaule cisalpine.

Les coutumes les plus funestes résistent longtemps à la raison ; l’expérience de tant de défaites ne pouvait persuader aux Gaulois de renoncer à leur système de division : réunis en corps de nation, ils auraient été invincibles ; séparés en tribus, ils devinrent successivement la proie des Romains.

Le même Dolabella, vainqueur des Sennonais, défit encore l’année suivante les Boïens, près du lac Vamidon (282 ans avant J.-C.). Les Gaulois perdirent dans ce combat la fleur de leur jeunesse, et se virent forcés de se retirer au pied des Alpes ; abattus par ce revers, ils se tinrent en repos, pendant quarante-cinq ans : cette paix devint funeste à la Gaule, qui ne prit aucune part à la première guerre punique ; ainsi la fortune de Rome la préserva du malheur d’avoir à la fois à combattre ses plus formidables ennemis.

Les Gaulois recommencèrent tardivement la guerre (232 ans avant J.-C.) et reconquirent d’abord les possessions qu’ils avaient perdues ; mais leurs tribus, livrées à des discordes fatales, se battirent entre elles. Le consul Flaminius, profitant de leurs dissensions, ravagea leur territoire, et, dans le dessein de s’y maintenir, distribua les terres des Sennonais à ses soldats.

Témoins et victimes de ce partage, les Sennonais se livrèrent à une fureur qu’ils communiquèrent à leurs compatriotes ; elle se répandit dans toute la Gaule ; une armée immense en descendit sous le commandement des rois Anéroste et Congolitanus (226 ans avant J.-C.). Il semblait que le Nord se précipitait tout entier sur le Midi.

Le sénat romain, effrayé par l’approche de cet orage, ordonne au peuple de se lever ; il arme trois cent mille hommes, consulte les livres sibyllins, et, sacrifie aux dieux un Gaulois et une Gauloise ; car ces farouches enfants de Romulus, prêtant leurs vices à la Divinité, croyaient qu’elle se plaisait comme eux au spectacle de l’effusion du sang humain.

Bientôt les Gaulois s’avancèrent en Étrurie ; et rencontrèrent près de Fésule leurs éternels rivaux. Anéroste et Congolitanus, imitant alors les stratagèmes de leurs ennemis, et empruntant leur tactique, feignent l’effroi, ordonnent  la retraite, et placent leur infanterie en embuscade dans les bois ; les Romains veulent les poursuivre dans leur fuites, et courent avec une ardeur imprudente sur leurs traces ; les Gaulois cachés se lèvent alors, jettent de grands cris, enfoncent les légions surprises, les mettent en déroute, les poursuivent, s’emparent de leur camp, et leur tuent six mille hommes.

L’arrivée soudaine d’un autre corps d’armée commandé par le consul Émilius, qui accourait des bords de la mer Adriatique, sauva le reste des fuyards ; à sa vue les Gaulois, chargés d’un immense butin, commencèrent à se mettre en retraite : elle s’opérait avec ordre, lorsque tout à coup l’autre consul Atilius, qui, abandonnant la Sardaigne, venait de débarquer à Pise, les attaque dans les plaines de Télamon : ils résistent avec courage à ce nouvel ennemi, et portent le désordre dans ses rangs ; la victoire se décidait pour eux ; Atilius était déjà tombé sous leurs coups : mais Émilius, qui les suivait, arrive, rétablit le combat et change la fortune. Attaqués de toutes parts, les Gaulois, après des prodiges de vaillance, succombent. Quarante mille de leurs plus braves guerriers expirent sur le champ de bataille ; dix mille sont pris. Le roi Congolitanus, couvert de blessures,  est chargé de fers ; l’autre prince, Anéroste, ne veut point survivre à sa gloire, il se donne le mort, et une foule de ses compagnons d’armes suit son exemple.

Le Capitole, qui s’ébranlait, s’affermit ainsi sur ses bases ; et le consul vainqueur l’enrichit d’une immense quantité de colliers d’or enlevés aux descendants de Brennus.

Trois ans après, les Insubriens et les Gésates, faibles débris de l’armée vaincue, s’armèrent de nouveau pour venger leur défaite ; mais Flaminius les battit encore ; ils perdirent dans cette journée vingt-six mille hommes, et demandèrent la paix. Un nouveau consul, Marcellus, la refusa dans l’espoir de consommer leur ruine ; au lieu de l’attendre, les Gaulois tentent une diversion, traversent le Pô, renversent ce qui s’oppose à leur marche, et viennent assiéger Clastidium. Marcellus ne leur donne pas le temps de s’en emparer ; il s’avance rapidement, et leur livre une bataille d’autant plus opiniâtre qu’elle devait être décisive ; on combattait avec fureur lorsque la mêlée est tout à coup suspendue par un spectacle qui attire tous les regards, et dont l’issue va probablement fixer le sort des deux armées.

Viridomar, roi des Gaulois, et le consul Marcellus se rencontrent, se défient, et se précipitent l’un sur l’autre ; cette lutté sanglante entre les deux généraux était une vive image de Rome et de la Gaule, combattant l’une contre l’autre depuis près de deux siècles : enfin Viridomar tombe et périt, Marcellus s’empare de son casque d’or, de sa riche armure, et il voue à Jupiter Férétrien ces dépouilles opimes.

Les Romains poussent des cris de victoire et fondent sur les Gaulois consternés ; ils les dispersent, les poursuivent, les massacrent et s’emparent sans obstacle de Milan et de toute la Cisalpine.

Ainsi fut abattue en Italie, la puissance des Gaulois ; l’heureux Marcellus termina par cette défaite, la deux cent vingt-deuxième année avant Jésus-Christ, une guerre qui avait duré cent trente-six ans. Polybe la juge égale aux plus fameuses par l’importance des événements, par la diversité des succès, par l’opiniâtreté des combats, et par le nombre des morts. Les Romains y rendirent à jamais célèbres leur habileté, leur constance ; les Gaulois leur fougue et leur impétuosité.

La vaillance et la fortune suffisent pour faire des conquêtes, mais la sagesse et la justice seules peuvent soumettre les peuples conquis. Le sénat romain rendait son joug tolérable aux vaincus, en les laissant vivre selon leurs lois et leurs coutumes ; leur empire ressemblait plus à la protection qu’à la domination. Cette tranquillité, suffisante pour les autres nations, n’était qu’un tourment pour les Gaulois, ils ne pouvaient supporter la dépendance.

Ceux qui restaient en Italie s’indignaient de voir river leurs chaînes par la fondation des colonies romaines de Crémone et de Plaisance ; ils tentèrent plusieurs fois de se révolter ; les Boïens assiégèrent ces villes, défirent les légions commandées par Manlius, et furent de nouveau vaincus par un autre consul ; ils obtinrent la paix, et Rome, voulant se servir de leur courage joignit plusieurs de leurs cohortes aux siennes ; mais bientôt l’apparition d’Annibal vint réveiller leur espoir et leur haine.

Cet implacable ennemi des Romains, ce guerrier qui semblait né pour changer la face du monde, et pour triompher des obstacles que lui opposaient la nature, Rome et sa propre patrie, subjugue les Espagnes ; traverse la Gaule comme un torrent, et franchit les Alpes ; Scipion est forcé de fuir devant lui. Ranimés par cette victoire, les Gaulois quittent l’armée romaine, et viennent unir leur haine et leurs armes à celles des Carthaginois.

A Trasimène, lorsque les Romains, enfermés dans un étroit vallon, rendaient encore par leur courage opiniâtre la fortune incertaine, Ducarius, prince gaulois, aperçoit Flaminius, le reconnaît et s’écrie : Compagnons, voilà ce farouche Romain qui a moissonné nos soldats, ravagé nos campagnes, incendié nos villes ; je vais immoler cette victime aux mânes des Gaulois. A ces mots, il s’élancé au milieu de la mêlée, tue l’écuyer de Flaminius, et traverse de sa lance la cuirasse et la poitrine du consul.

Dans la journée célèbre de Cannes, la fureur des Gaulois contribua puissamment au triomphe des Carthaginois, et quand les légions furent ébranlées, la cavalerie gauloise rompit par une charge impétueuse leurs rangs et compléta leur désastre.

Annibal alors pouvait renverser Rome, mais il s’arrêta, et perdit ainsi le fruit de sa victoire, comme s’il eût été égaré par l’ombre de Brennus, dont il semblait alors suivre les traces.

Tant que ce grand homme resta en Italie, les Gaulois demeurèrent maîtres de la Cisalpine ; mais la bataille de Zama décida tout à la fois du sort de Carthage et de celui de la Gaule.

L’heureux Scipion, ayant terrassé Annibal, les Gaulois d’Italie cédèrent à la fortune de Rome et rentrèrent sous sa puissance.

Cependant les Cénomaniens, seuls s’accoutumèrent au joug ; les autres tribus se révoltèrent fréquemment ; leurs armes ravagèrent plusieurs fois les villes de Plaisance et de Crémone : Furius détruisit une de leurs armées forte de trente-cinq mille hommes.

Les Boïens se montraient les plus turbulents ; las de les combattre sans pouvoir les soumettre, le sénat enfin rassembla toutes ses forces contre eux et l’année cent quatre-vingt-onze avant Jésus-Christ, Cornélius Scipion, après les avoir vaincus, les poursuivit sans relâche, et les força de repasser les Alpes : ils se sauvèrent en Illyrie ; là, combattant sans cesse les Daces après de longues et sanglantes guerres, ils furent détruits par eux : leurs débris se réfugièrent en Bavière, dont le nom actuel rappelle encore aujourd’hui celui des Boïens. Les Insubriens résistèrent les derniers aux Romains, le consul Bæbius perdit six mille hommes en combattant contre eux, mais son successeur Valerius Flaccus le vengea et les soumit.

On vit encore quelques émigrations gauloises descendre des Alpes ; mais elles s’efforcèrent vainement de s’établir dans la Cisalpine ; et depuis l’année cent soixante-dix-neuf avant Jésus-Christ, cette contrée resta sous l’empire de Rome jusqu’à sa chute.

Tandis que pendant deux siècles les descendants de Bellovèze avaient fait retentir avec tant d’éclat l’Italie du bruit de leurs armes, la terreur du nom des enfants de Sigovèze était également répandue jusqu’aux extrémités de l’Orient. Maîtres d’une partie de la Bavière, de la Bohème, de la Pannonie, de la Thrace, on voyait leurs colonies éparses dans toute la Germanie, et jusqu’aux limites des contrées habitées par les Scandinaves et par les Scythes.

A l’instant même où tout tremblait sous le glaive d’Alexandre le Grand, les ambassadeurs gaulois lui firent seuls entendre les accents du courage et de l’indépendance ; ce prince leur montrant sa surprise du peu de crainte qu’il leur inspirait : La peur, lui dirent-ils, nous est inconnue ; nous ne pourrions l’éprouver que par la chute du ciel.

La mort de ce conquérant fut, comme il l’avait prédit lui-même, le signal des plus sanglantes discordes. Les Gaulois crurent pouvoir prendre leur part du démembrement de son empire ; l’un de ses successeurs, Séleucos, venait de périr sous le poignard de Ptolémée Céraunus ; les Gaulois se précipitent sur ses états ; l’usurpateur présomptueux, méprisant d’abord ces guerriers barbares, refuse le secours que lui offraient contre eux les Dardaniens ; il s’avance arrogamment pour les combattre, ses troupes sont mises en fuite, il tombe percé de coups dans la mêlée, et sa tête, portée en trophée sur une lance gauloise, répand l’effroi dans la Macédoine.

Le trône d’Alexandre allait être renversé sans résistance, un guerrier digne du héros qui l’avait formé, Sosthènes réveille le courage des Macédoniens ; marche intrépidement à la tête de leurs phalanges, repousse les Gaulois, tue leur chef Belgius et donne un nouvel éclat à sa victoire en refusant le sceptre qu’il avait sauvé.

Une nouvelle invasion gauloise replongea bientôt la Grèce dans de nouveaux périls ; cette seconde irruption était aussi formidable par le nombre que par d’ardeur fougueuse de ces soldats du Nord dont l’armure, la taille colossale, les cris et la chevelure hérissée jetaient parmi les Grecs la surprise et l’épouvante.

Cent cinquante mille fantassins, vingt mille cavaliers, composaient, dit-on, la force de cette armée ; elle était commandée par un prince appelé second Brennus : le sort destinait ce nom à effrayer l’Orient et l’Occident.

Les Galois, brûlant du désir de venger l’affront, la défaite et la mort de Belgius, fondent avec impétuosité sur les Macédoniens. Les rangs épais, les piques serrées, la muraille hérissée de la phalange, et l’intrépidité de Sosthènes, deviennent pour les foyers d’Alexandre un rempart inutile : cette phalange est rompue ; Sosthènes périt ; la Macédoine est conquise.

Brennus espérait régner sur toute la Grèce ; et dans le dessein d’affermir le courage de ses guerriers ; il plaça, dit-on, à côté des plus grands d’entre eux, quelques captifs grecs, petits, contrefaits, et, mal vêtus, qui devinrent l’objet des risées et du mépris de leurs vainqueurs.

Rien ne s’opposa d’abord à la marche rapide du conquérant ; mais le fléau des Gaulois, la discorde désunit leurs forces et ralentit leurs pas.

Plusieurs tribus gauloises, pressées de jouir du fruit de leurs travaux se séparent de leur chef, et restent en Dardanie ; Brennus, affaibli mais non découragé, persiste dans son entreprise que la désunion des Grecs favorisait ; il entre en Thessalie, incendie les villes, dévaste les campagnes et pille, les temples, prétendant que les dieux lui devaient des contributions comme les mortels.

Il franchit les Thermopyles, que l’ombre de Léonidas s’indignait de voir forcées par des barbares inconnus. Les Étoliens seuls résistèrent aux Gaulois, et par leur courage jetèrent encore quelques rayons de gloire sur la Grèce.

Malgré leurs efforts, Brennus pénètre dans leur pays, le dévaste pour se venger des pertes qu’ils lui avaient fait éprouver sur le mont Œta ; enfin il entre en Phocide, et forme le siège de Delphes, où il savait que la crédulité, entassant les offrandes, avait amassé les trésors de tous les peuples de la Grèce et de l’Asie.

Delphes, enrichi par la superstition, fût dans ce péril sauvé par elle : au moment où la timidité de ses défenseurs et la fougue de ses assaillants, semblaient rendre sa ruine certaine, une tempête affreuse éclate ; le ciel est obscurci par de sombres nuages, l’air est sillonné d’éclairs, un feu souterrain ébranle le Parnasse, il lance aux loin des roches effrayantes ; les chênes sont renversés par la violence des vents. Ce phénomène naturel consterne les Gaulois, et réveillé le courage des Grecs ; ils se croient secourus par les dieux et sortent en foule de leurs murailles.

L’armée des Gaulois est saisie d’une terreur panique ; ils ne savent ni se présenter au combat ni prendre la fuite ; le bruit de la foudre leur paraît la voix du ciel, et ils tombent sans défense, comme des victimes, sous le fer des Grecs.

En vain l’intrépide Brennus s’efforce de les rallier ; couvert de blessures, il est contraint de s’éloigner de ce champ de carnage avec les faibles débris de ses forcés naguère si nombreuses ; il repasse les Thermopyles, et après avoir réuni, dans un camp, derrière le défilé, les fuyards qui peuvent le rejoindre ; il demande lui-même à son peuple de le juger, et de le punir du funeste dénouement de l’entreprise téméraire dans laquelle il l’avait entraîné.

Les Gaulois, plaignant son malheur, et respectant son courage, le pressent vainement d’oublier ses revers, et de continuer à régner sur eux ; incapable de survivre à sa gloire, il se donne la mort.

Au bruit  de sa défaite, les Thessaliens, les Béotiens, les Athéniens avaient repris les armes ; ils marchent contre les Gaulois, les entourent, forcent leur camp et les exterminent.

Les Grecs, en perdant leur courage, avaient conservé leur vanité : on peut croire qu’elle exagéra ce désastre des Gaulois, puisqu’on vit un an après les mêmes Gaulois combattre les Gètes, soumettre le pays des Triballiens, première conquête d’Alexandre, et menacer la Macédoine. Vingt mille de leurs guerriers, séparés de Brennus, et restés en Dardanie, n’auraient pu seuls opérer de si formidables invasions ; et il aurait fallu que leur population en Bohême et en Pannonie eût été immense, pour réparer en si peu de temps leur perte, si elle avait été aussi complète que les Grecs le prétendaient.

L’un des compagnons d’Alexandre, Antigone devenu roi de Macédoine, redoutant les armes de ce peuple turbulent, se trompa étrangement sur la marche qu’il devait suivre avec cette nation avide, attira lui-même la guerre qu’il voulait éviter.

Les Gaulois lui avaient envoyé des députés ; ne se bornant pas à les accueillir avec honneur, il espéra se concilier leur amitié en leur donnant une grande idée de sa puissance ; il fit à leurs regards l’étalage de ses richesses, et leur montra tous ses trésors.

Le rapport de ces députés à l’assemblée de leur nation enflamma de l’ardeur du pillage ; elle fondit en masse sur la Macédoine et la ravagea.

L’exemple de Sosthènes épouvantait Antigone ; n’osant attaquer en bataille rangée ces impétueux ennemis, il opposa la ruse grecque à la fougue gauloise ; feignant de fuir, il abandonne son camp. Les Gaulois s’y répandent, se livrent au pillage, et se plongent dans l’ivresse ; le roi de Macédoine arrive à l’improviste, les surprend, les égorge ; une partie passe du sommeil à la mort, l’autre fuit, demande  la paix, l’obtient, et entre comme auxiliaire dans l’armée du vainqueur.

Ce prince, par leur secours, balança quelque temps la fortune de son rival Pyrrhus. L’inscription que fit graver le roi d’Épire après une victoire remportée sur un corps de Gaulois, prouve l’estime que leur vaillance inspirait à ce héros.

Fier d’un triomphe longtemps disputé, et voulant en conserver la mémoire par un monument, il consacra dans le temple de Minerve un trophée de leurs armes, au pied duquel on lisait ces mots : Pyrrhus, ayant défait en bataille rangée les indomptables Gaulois, a dédié  à Minerve les boucliers qu’il leur a pris : il n’est point étonnant qu’il  les ait vaincus, car la vaillance est héréditaire dans la race des Éacides.

L’intrépidité de ces guerriers, qui combattaient nus des troupes couvertes de fer, et qu’on voyant, suivant le récit des Grecs, arracher les traits de leur sein déchiré et les lancer contre l’ennemi, devait exciter l’admiration d’un descendant d’Achille.

A la même époque, d’autres Gaulois s’emparèrent du pays situé au confluent de la Save et du Danube et y fondèrent une nation, qui, sous le nom de Scordisques, défendit pendant plusieurs siècles avec éclat son indépendance, que Rome ne lui enleva qu’après de nombreux revers et de sanglants triomphes.

Les vingt mille Gaulois détachés de l’armée de Brennus, pour se fixer en Dardanie, ne se bornèrent pas à cette conquête ; leur prince Comontorius parcourut avec eux la Thrace, la Propontide ; livra au pillage Byzance ; et forma non loin de cette ville le royaume gaulois de Tyle ; qui malgré son peu d’étendue acquit une vaste renommée.

La gloire du nom gaulois avait traversé l’Hellespont, et s’était répandue en Asie. Nicomède, prince de Bithynie, disputant le trône à son frère Zypètes, sollicita le secours des Gaulois, il dut à leurs armes la victoire et le sceptre ; mais il prouva bientôt qu’un roi faible, lorsqu’il appelle la force étrangère, se donne plutôt des maîtres que des appuis. Les Gaulois étaient des alliés exigeants ; ils demandèrent ou prirent la moitié de ses états, s’y maintinrent, et l’année 277 avant J.-C., ils se figèrent dans le nord de la Phrygie, qui reçut d’eux le nom de Galatie ou de Gallo-Gréce.

Tite-Live assure qu’ils étendirent leurs conquêtes jusqu’au mont Taurus. Ce qui est certain, c’est qu’au milieu de l’Asie, déchirée par des guerres intestines, les Galates, appelés par tous les partis, combattant dans toutes les armées, arbitres de toutes les querelles, assujettirent les rois à des impôts, et dominèrent cette partie du monde.

Attale, roi de Pergame, fut le premier qui, trente ans après leur conquête, cessa d’être leur tributaire, les combattit avec succès, et parvint à les éloigner de ses côtes.

Trop fidèles à leurs anciennes coutumes, qu’ils conservaient dans tous les climats, au lieu de former un seul royaume de la Galatie, ils se divisèrent en plusieurs peuples gouvernés par des sénats, et commandés par des princes ou tétrarques. Ancyre fût la ville des Tectosages ; celle de Pessinum des Tolistoboïens, et Tavium  des Trocmes. Une partie de ces dénominations leur venait des cités de la Gaule dont leurs aïeux étaient sortis ; et d’autres de leurs plus vaillants chefs, dont ils prenaient le nom pour perpétuer leur gloire.

Cependant Rome, toujours funeste à la Gaule, étendit bientôt son formidable empire jusqu’en Asie ; victorieuse de Carthage, conquérante de la Grèce, elle terrassa le puissant Antiochus. Seuls debout dans l’Orient, les Galates, consultant plus leur courage que leur nombre, arrêtèrent quelques instants la fortune romaine. Manlius, successeur de Scipion, crut, avant d’attaquer ces belliqueux adversaires, qu’il devait préparer ses soldats aux périls nouveaux dont les menaçait un tel ennemi.

Je n’ignore point, compagnons, leur dit-il,  que de tous les peuples qui habitent l’Asie, les  Gaulois sont les plus redoutables ; cette nation féroce a parcouru les armes à la main presque tout l’univers. La taille énorme de ses guerriers, leur chevelure touffue et d’une couleur ardente, leurs vastes boucliers, leurs longues épées, leurs chants avant le combat, leurs affreux hurlements dans la mêlée, leur démarche terrible, le choc et l’horrible cliquetis de leurs armes, peuvent sans  doute exciter la terreur, mais Rome est depuis longtemps accoutumée à les fixer sans crainte, à les braver et à les vaincre.

Le consul alors leur rappelle des exploits de Camille, les triomphes des Émile, des Fabius, des Marcellus ; rassure leurs esprits, enflamme leur courage, donne le signal de la bataille, et après une lutte longue, opiniâtre et sanglante, remporte une victoire complète ; elle fut scellée du sang de quarante mille Galates ; le reste obtint la paix et conserva son indépendance, en promettant de respecter le repos et les états d’Eumène, roi de Pergame, allié des Romains.

Ce fut pendant le cours de cette guerre que, suivant le récit de Polybe, Chiomara, femme gauloise, outragée par un centurion romain, trancha la tête de son ravisseur et la porta en triomphe à son époux.

Lorsque Mithridate médita la liberté du monde et la ruine de Rome, il voulu associer la haine des Gaulois à la sienne, combla leurs chefs d’honneurs et épousa une de leurs filles ; son génie dut à leur vaillance une grande part de ses premiers succès, dont son armée n’osait concevoir l’espérance ; ses généraux, ses alliés, effrayés par la ruine de Carthage, par la mort d’Annibal, par le désastre d’Antiochus, et par la chute de tant de trônes, hésitaient au moment de s’exposer à la vengeance redoutable des Romains.

Pour les rassurer,  le roi de Pont, leur dit : N’avez-vous pas appris que les Gaulois sont descendus autrefois en Italie, qu’ils s’y sont emparés d’un grand nombre de villes et sont parvenus, à force de victoires, à fonder dans ces contrées un empire plus étendu que celui qu’ils possèdent en Asie ? Ignorez-vous que non seulement ils ont vaincu les Romains mais que leurs  armes mêmes ont incendié cette ville orgueilleuse, qui maintenant vous épouvante ? Les Romains, chassés par eux, ne trouvèrent asile que sur le sommet d’un rocher ; le courage dont ils se glorifient ne put leur faire recouvrer la liberté, et ils se virent enfin forcés de la racheter par une humiliante capitulation et par un tribut honteux. Eh bien ! je vous offre en ce moment, non seulement le glorieux exemple de la Gaule, mais son puissant secours ; car je compte parmi mes guerriers un corps nombreux de Gaulois dont le nom seul réveille le terreur dans Rome. Ces Gaulois vainqueurs d’une partie de l’Orient, ne diffèrent en rien des anciens conquérants de l’Italie ; ils ont la même origine, font briller un pareil courage et  combattent avec des armes semblables ; leur vaillance même est d’autant plus activé qu’elle a été sans cesse exercée par des marches périlleuses, et par des combats continuels en Illyrie, en Grèce, et dans la Thrace. Il était plus difficile de traverser tant de pays et de renverser tant d’obstacles, que de conquérir les états qu’ils possèdent depuis deux siècles en Asie.

Ces paroles remplirent d’ardeur et d’espérance l’armée de Mithridate, elle chassa les Romains de leurs conquêtes, s’empara de leurs villes, jeta dans les fers le consul qui les commandait, séduisit ou vainquit leurs alliés ; et délivra pour quelques instants l’Orient de leur domination.

Mais dès que Mithridate se crut le maître de l’Asie, ce prince, jaloux, cruel, ingrat, redoutant la fierté et l’humeur belliqueuse des Gaulois, forma le barbare dessein d’exterminer ces alliés trop fiers et trop indépendants ; il invite à un festin soixante de leurs princes ou tétrarques et les fait massacrer par ses soldats.

L’un d’eux, Déjotarus, suivi de quelques amis, se fait jour avec son sabre à travers la foule de ces assassins ; et sauvé du carnage, il court exciter ses peuples à la vengeance.

A sa voix tous les Gaulois s’arment ; furieux, ils attaquent Mithridate, rompent ses bataillons, et les chassent de leurs états.

Pompée, arrivé en Asie, consomma la ruine de ce roi perfide, et traita les Galates non en sujets, mais en amis. Enfin l’heureux Auguste ayant soumis à sa fortune l’Europe, l’Afrique et  l’Asie, la Galatie céda comme le reste du monde, et fut réduite en province romaine.

Cependant les empereurs jugèrent avec prudence qu’il fallait ménager la fierté de ces peuples remuants ; ils les laissèrent vivre selon leurs mœurs, et on voit, dans les écrits de saint Jérôme, que de son temps encore les Galates conservaient leurs coutumes, ainsi que le langage de la Gaule.

L’activité des Gaulois ne s’était point arrêtée en Asie ; Ptolémée, roi d’Égypte, rechercha leur alliance ; il se servit avec succès de leur courage, et les Carthaginois eurent recours à leurs armes pour défendre la Sicile contre les Romains.

Ils n’étonnaient pas moins la Thrace par leur intrépidité ; le royaume de Tyle qu’ils y fondèrent se fit respecter pendant soixante ans des peuples qui l’environnaient. Byzance se vit assujettie par eux à payer un tribut, mais bientôt cette ville, rassurée par l’appui d’Attale, roi de Pergame, déclara la guerre aux Gaulois.

Leur prince, nommé Cavare, s’avance avec son peuple armé ; le nom et l’approche des Gaulois frappent de terreur leurs nombreux ennemis. Sans combattre, l’aspect des guerriers du Nord force Byzance à la soumission, et ses alliés à la fuite. Maïs l’orgueil de Cavare causa la ruine de sa nation ; il abusa de sa fortune. Tous les peuples voisins, poussés au désespoir par ses exactions et par ses violences se liguèrent contre lui ; il les brava, les combattit, mais succomba. Son peuple, préférant la destruction à la servitudes, périt tout entier.

Les Scordisques étaient les plus féroces des Gaulois, leurs colonies nombreuses s’étendaient depuis les limites de la Thrace et de la Pannonie jusqu’aux frontières de l’Illyrie ; toutes les îles du Danube leur étaient soumises, Horta et Capedunum étaient leurs principales cités ; un vaste désert entourait leur territoire : fiers de cette solitude, ils la regardaient comme un signe glorieux l’effroi universel qu’ils inspiraient.

Éternels rivaux de Rome, ils offrirent contre elle leur secours à Persée, roi de Macédoine ; ce prince orgueilleux dédaigna leur appui ; qui peut-être l’aurait préservé de sa chute et l’aurait garanti de la captivité qui déshonora la fin de ses jours.

Les Romains, indignés de se voir retardés à chaque pas dans tout l’univers par les armes gauloises, firent contre les Scordisques une guerre dont le succès fut longtemps balancé. Livius les défit ; mais relevés aussitôt que vaincus, ils attaquèrent de nouveau les Romains, le consul Caton qui les commandait périt sous leurs coups avec la plus grande partie de son armée : dont ils poursuivirent les débris jusqu’au bord de l’Adriatique. La dévastation de l’Istrie et de la Dalmatie fut la suite du malheur de Caton.

Les efforts de Didius et de Municius parvinrent à repousser ces peuples insatiables de guerre et de pillage, enfin l’heureux Sylla les, soumit. Mais depuis, leur humeur turbulente força souvent Auguste et ses successeurs à s’armer pour réprimer leurs brigandages, et pour délivrer la Macédoine de leurs incursions.

On voit, par le récit d’Appien, que 125 ans après J -C., dans le pays des Péoniens, on rencontrait encore quelques tribus scordisques. D’autres Gaulois, sous le nom de Taurisques, dominèrent longtemps en Illyrie, et les Boïens, chassés d’Italie, se joignirent à eux et accrurent leurs forces ; mais enfin la nation plus nombreuse des Daces, après de sanglants combats, vainquit leur dernier roi Critosère, les extermina, et dévasta tellement leur pays, que pendant, plusieurs siècles cette contrée solitaire conserva le nom de désert des Boïens.

La Bohême, depuis Sigovèze, était constamment restée soumise à une tribu gauloise qui portait aussi le nom de Boïens ; mais lorsque le nord de la Germanie et les régions scandinaves devenues trop peuplées, versèrent sur le midi de l’Europe ces bandes nombreuses qui cherchaient, les armes à la main, une  nouvelle patrie, les Boïens furent chassés, de la Bohême par les Marcomans ; ils se réfugièrent dans la Vindélicie, qui prit d’eux et des bannis d’Italie le nom de Bavière.

Plusieurs auteurs prétendent même qu’une partie de ces Boïens se mêla dans la suite à la belliqueuse confédération qui s’établit entre le Rhin, le Mein, l’Elbe et la mer, sous le nom de Francs ; de sorte que les Francs, en entrant dans les Gaules, ne firent que reconquérir leur berceau.

L’habileté, la prudence, réunies au courage, étendaient, fortifiaient et consolidaient partout la puissance des Romains ; les Gaulois au contraire perdaient, chaque jour par leur désunion, par leur imprévoyance, par leur ignorance en politique et en législation, les conquêtes qu’ils ne devaient qu’à leur fougue impétueuse et à leur témérité sans frein.

Cependant ce n’était point assez pour Rome de les avoir chassés d’Italie, poursuivis en Thrace, en Illyrie et soumis en Asie ; conquérante de l’Afrique, maîtresse de l’Orient et d’une partie de l’Occident, le nom de la Gaule l’importunait encore ; l’existence  de cette ancienne rivale, seule debout sur les débris de la liberté du monde, irritait son orgueil ; il fallait l’abattre pour régner, avec tranquillité ; mais un pays si vaste, si peuplé, si belliqueux, n’offrait point une conquête facile ; on y trouvait dans chaque homme un soldat, dans chaque bois une forteresse, dans chaque fleuve une barrière, dans chaque cité une armée ; il fallait autant de ruse et de constance que d’intrépidité non seulement pour conquérir ce vieux arsenal de l’indépendance, mais même pour y pénétrer.

La lutte qui s’établit entre la liberté gauloise et l’ambition romaine fut longue et opiniâtre. Marseille qui devait fermer l’entrée de la Gaule aux Romains, leur en ouvrit la première les portes. Cette république, dont la sagesse s’était fait si longtemps respecter par Rome et par Carthage, qui, redoutaient ses armes et recherchaient son amitié, commit enfin l’imprudence d’appeler à son secours la puissance qui devait la détruire. Fatiguée des guerres continuelles qu’elle avait à soutenir contre les Gaulois Déciattes et Ubiens, elle sollicita l’appui d e Rome, l’an 155 avant J.-C.

Le consul Opimius combattit ces tribus gauloises, les vainquit et donna leur territoire aux Marseillais ; mais ceux-ci ne tardèrent pas à reconnaître qu’un protecteur trop puissant est un guide dont on ne peut arrêter les pas.

Peu d’années après, le consul Fulvius rentra dans la route ouverte à ses armes, pénétra dans la Gaule, et défit les Salluviens. Son successeur Caïus Sextius compléta leur défaite, et Marseille reçu encore leurs dépouilles : Sextius excepta seulement de ce don un lieu où se trouvaient, des eaux minérales fameuses ; il y fonda une ville nommée Aquæ Sextiæ, aujourd’hui Aix en Provence.

Ce fut là le premier établissement des Romains dans les Gaules. Ils traitèrent les vaincus avec barbarie et les vendirent comme esclaves. La corruption entra dans ce malheureux pays à la suite des légions avec la servitude. Un Gaulois nommé Craton prouva qu’il avait trahi les Gaulois et favorisé les armes romaines ; le consul Sextius brisa ses chaînes et lui accorda la liberté de neuf cents de ses compatriotes.

Le temps avait opéré d’assez grands changements dans les mœurs de la nation gauloise ; respectée au dehors et à l’abri des attaques de l’étranger par la terreur qu’inspirait son nom, ce repos extérieur amollit peu à peu l’âpreté de  son courage : la civilisation y fit des progrès ; déjà on voyait dans la Gaule des cités bâties, des remparts élevés, quelques temples érigés ; les Gaulois connaissaient l’usage des monnaies, construisaient des vaisseaux : on vantait l’habileté de leurs charpentiers, de leurs menuisiers : quelques manufactures fabriquaient des tissus grossiers ; l’art de travailler les métaux ne leur était pas étranger ; la charrue rendait fertiles une immense quantité de plaines autrefois couvertes de bois : le commerce avait ramené la richesse, et la richesse fit disparaître l’égalité.

La politique des druides accoutumait le peuple à l’obéissance : les riches, les grands, ceux que César appelait nobles, troublaient le pays par leur ambition, par leurs querelles. Les plus habiles, devenant chefs de leur cité, formaient des alliances avec d’autres cantons ; leurs guerres perpétuelles entretenaient la turbulence du peuple sans lui conserver cette bravoure, sauvage, fruit de leurs antiques et simples mœurs. On ne retrouvait quelques traces de l’intrépidité presque féroce des anciens Gaulois que chez les Helvétiens vers le midi, au nord dans la Belgique, et surtout chez les Nerviens et les Bataves.

Deux confédérations puissantes se disputèrent longtemps la prééminence dans la Gaule ; l’une était celles des Arverniens (Auvergnats), et l’autre celles des Éduens (peuple d’Autun). Le sénat romain sut habilement profiter de ces dissensions ; et comme les Salluviens, vaincus par Sextius, étaient alliés des Arverniens, le consul Domitius offrit l’amitié de Rome aux Éduens, conclut un traité avec eux, joignit ses légions à leurs troupes, et livra bataille à leurs ennemis dans la plaine de Vindalium, aujourd’hui Avignon.

La terreur produite sur les Gaulois par la vue des éléphants qui marchaient à la tête de l’armée romaine rendit leur défaite facile : ce fut non un combat, mais une sanglante déroute dans laquelle le consul leur tua vingt mille hommes et en prit trois mille, 122 ans avant Jésus-Christ.

Bituitus, roi des Arverniens, plus indigné qu’effrayé de ce désastre, appelle aux armes son peuple et tous ses confédérés ; à la tête d’une foule immense de guerriers, il s’avance avec l’orgueil de l’inexpérience, se flatte d’une prompte victoire, et publie avec jactance que les chiens qu’il mène à sa suite suffiront pour mettre tous les Romains en fuite.

A peine sorti du débouché des Cévennes ; il rencontre ces légions redoutables, objet de son mépris : le signal du combat est donné ; mais en vain la furie gauloise s’efforce de soutenir la gloire des enfants de Brennus ; elle se brise contre les masses serrées des Romains ; les sabres gaulois s’émoussent inutilement sur l’armure impénétrable de leurs ennemis.

Après plusieurs attaques sans succès, la lassitude commence à ébranler leurs colonnes fatiguées ; la cavalerie romaine y pénètre par des évolutions rapides ; et Bituitus est forcé à la retraite, laissant sur le champ de bataille ou dans les fers cent mille de ses plus braves guerriers.

Fabius Maximus, son vainqueur, érigea, dans le lieu même où il avait combattu, deux temples l’un à Mars, et l’autre à Hercule : il souilla ensuite sa gloire par une atroce perfidie ; ayant invité Bituitus à une conférence, il le retint prisonnier, et le traîna dans Rome à sa suite pour orner son triomphe. Fabius, y parut couvert de la riche parure du roi des Arverniens et monté sur le char d’argent qui portait ce prince dans la bataille où il fut vaincu. Le sénat romain n’osa ni approuver ni punir cette trahison, il fit élever avec soin le fils du roi captif et lui rendit ses états : ce prince, nommé Cogentiatus, plus sensible au bienfait qu’à l’injure, resta constamment depuis l’allié des Romains.

La soumission des Arverniens, si redouté dans la Gaule, découragea les autres confédérations : les Allobroges seuls résistèrent, mais leur pays fût conquis : les contrées qui portent, aujourd’hui le nom de Provence, de Dauphiné, de Savoie, se courbèrent sous le joug, et se virent réduites en provinces romaines. La ville de Narbonne fut fondée dans l’an 118 avant J.-C. par le consul Marcius : on donna à toutes ces conquêtes le nom de Gaule narbonnaise. Cépion les avait agrandies quelques années avant, en s’emparant du pays des Tectosages. Possidonius prétend qu’il trouva dans la cité de Toulouse, leur capitale, un trésor évalué à la somme de quarante millions.

Tout alors devait faire présager aux Romains la prompte soumission du reste de la Gaule, lorsqu’une effroyable et soudaine irruption de barbares descendus du Nord interrompit le cours des victoires de Rome, suspendit ses triomphes, ébranla sa fortune et la menaça d’une destruction totale.

Au milieu de ces contrées septentrionales, plongées une grande partie de l’année dans les ombres de la nuit, et couvertes de glaces presque éternelles, une population peu nombreuse et sauvage, vécut, pendant plusieurs siècles, pauvre, faible, et ignorée. Mais l’industrie humaine triomphe de la nature ; ces peuples, forçant la terre à produire des moissons, les fleuves et les forêts à les nourrir, les mers à porter leurs bâtiments légers sur tout les côtes voisines qu’ils dévastaient, parvinrent à se multiplier  tellement, que ce Nord, qui semblait condamné à rester désert, devint, suivant l’expression du Goth Jornandès, la grande fabrique du genre humain ; et ce fut de ce volcan ouvert au milieu des glaces que  s’élancèrent depuis tant de tourbillons dévorants, tant de rages destructeurs ; qui parcoururent la plus grandi partie de l’Europe, désolèrent la Gaule, dévastèrent l’Espagne, firent trembler l’Italie, et portèrent enfin leurs ravages jusqu’en Afrique.

C’est à leurs successives invasions, sous des noms différents, que nous devons la déplorable confusion qui jette tant d’obscurité sur l’ancienne histoire de la Germanie. Semblables à ces nuées terribles d’insectes qui, dans l’Orient, dévorent en un instant les moissons, les torrents du Nord détruisaient partout les cités, dépeuplaient les campagnes et arrêtaient la civilisation dans sa naissance ; toutes les tribus, tous les bourgs, toutes les contrées changeaient perpétuellement par eux de nom, de maître, et d’habitants.

À leur approche, les nations tout entières, refoulées dans l’Occident ou vers le Midi, répandaient de tous côtés la même terreur qui les avait chassées ; et ce qui paraît à peine croyable, c’est que ces immenses nuées de ravageurs, descendues du Nord, se renouvelaient sans cesse et semblaient sortir d’une source intarissable.

Les premiers de ces dévastateurs qui épouvantèrent le monde furent les Cimbres et les Teutons ; ils parcoururent comme un torrent une grande partie de l’Allemagne actuelle. Mais les Gaulois Boïens, soutenus par les Scordisques des rives du Danube, leur opposèrent dans la Bohême d’invincibles obstacles repoussés par eux, ils marchèrent vers l’Helvétie ; là, ils trouvèrent d’autres Gaulois, les Ambrons, de Soleure, les Trigurins de Zurich et les Tugens de Zug, qui, loin de les combattre, joignirent leurs armes avec les leurs, dans l’espoir de satisfaire leur antique haine, et de renverser par leur secours la puissance de Rome.

Leurs bandes, aussi formidables par le courage que par le nombre, pénètrent dans la province romaine, rencontrent le consul Carbon,  attaquent ses légions, les enfoncent, les dispersent et les massacrent ; le pillage, la ruine, la servitude, la mort, se promènent avec eux dans toute la Gaule narbonnaise. Les Arverniens, les Séquaniens, les Éduens, punis de leur timide soumission aux Romains, sont livrés aux mêmes ravages ; et pendant onze années, la Gaule entière est dévastée par ces féroces vainqueurs, dont la furie sauvage, après avoir dépouillé la terre de ses moissons, se nourrissait du sang des hommes.

La Belgique seule résista ; les mœurs belliqueuses et l’âpre courage des anciens Gaulois se retrouvaient encore dans cette contrée ; ils repoussèrent les barbares et sauvèrent leur patrie.

Bientôt las d’errer dans le reste de la Gaule épuisée, les Cimbres, les Teutons et les Helvétiens redescendent dans la province romaine, tournent leurs regards avides vers l’Italie, et, envoient à Rome des députés pour lui demander la cession d’une partie de son territoire dans la Cisalpine et dans la Ligurie.

Dédaignant de répondre, le sénat appelle le peuple aux armes ; mais cette fois la fortune, le courage et la tactique des Romains échouent contre l’ardeur impétueuse et la fougue désordonnée des sauvages enfants du Nord.

En vain, les consuls Silanus et Scaurus espèrent les chasser de la Gaule narbonnaise ; leurs aigles fuient. Cassius, plus malheureux encore, est surpris, entouré, forcé de déposer les armes, et contraint de passer honteusement sous le joug, 107 ans avant J.-C.

Deux nouvelles armées romaines se présentent, commandées par Cépion et par Mallius ; la discorde s’établit entre ces deux généraux ; l’incertitude trouble leurs conseils, la crainte les fait hésiter dans leurs plans ; enfin, plutôt réduits par la nécessité, que décidés à combattre, ils livrent bataille ; quatre mille Romains périssent, quarante mille tombent dans l’esclavage ; et dix soldats seuls échappés au carnage portent au sénat la nouvelle du désastre de ses deux armées.

La haine contre Rome semblait alors plus forte dans l’esprit des vainqueurs que l’amour du pillage ; fidèles au vœu qu’ils avaient fait à leur divinité avant le combat, ils jetèrent dans le Rhône tout le butin pris sur l’ennemi. On eût dit que pour la première fois, guidés par l’amour seul de la gloire,  ils voulaient vaincre, et non s’enrichir : étrange gloire que celle de dévaster les contrées les plus fertiles et de les changer en déserts.

Après la victoire, ils se séparèrent, les Teutons se précipitèrent sur l’Espagne mais ils y trouvèrent des peuples qu’on vit dans tous les temps aussi peu désireux de conquêtes que difficiles à conquérir.

Les Celtibères les contraignirent de repasser les Pyrénées ; rentrés dans la Gaule, ils rejoignirent leurs farouches compagnons, qui firent entendre de nouveau ce cri terrible : C’est à Rome que  nous marchons ; c’est Rome qu’il faut renverser.

La terreur les y précédait, et cependant ils n’avaient point encore franchi les Alpes. Le nom naguère inconnu des Cimbres et des Teutons, uni à celui des Ambrons, les plus braves alors des Gaulois, faisait trembler les vainqueurs d’Annibal et d’Antiochus. Le sénat, cette illustre assemblée de héros, paraissait vide de défenseurs ; il appelait partout un Camille, et l’orgueil, cédant à la crainte, le fit chercher dans les rangs des plébéiens.

Marius, qui venait d’enchaîner Jugurtha, Marius, non moins barbare que les guerriers du Nord, dont il avait la stature et la férocité, se charge du salut de Rome ; et tandis que les Cimbres descendaient des Alpes, il entre dans la Gaule et rencontre près d’Aix l’immense armée des Teutons et des Ambrons : peu de légions l’avaient suivi, et lorsqu’il vît la plaine et les montagnes couvertes de cette foule innombrable d’ennemis qui faisaient retentir l’air de leurs hurlements, il hésita pour la première fois et voulût traîner la guerre en longueur ; mais dans ce pays dévasté, les vivres lui manquaient, la disette le plaçait entre la mort et la victoire ; il se livra à sa fortune et risqua une bataille qui devait décider le sort du monde civilisé.

Il donne le signal ; le choc est affreux ; son armée rangée avec art, serrée avec prudence, couverte d’armes impénétrables, animée par tant de siècles de gloire qui vont recevoir un nouveau lustre ou s’effacer,  paraît longtemps dans la plaine comme un rocher inamovible battu par la tempête et assailli, par les flots d’une mer furieuse. Après cent assauts inutiles, les Teutons, las de ne pouvoir pénétrer ces murailles de fer, ralentissent leurs attaques ; plusieurs se retirent en désordre ; Marius les charge à son tour ; sa cavalerie les tourne, entre dans leurs masses, les sépare et les poursuit ; tous prennent la fuite ; mais tout à coup leurs femmes s’avancent en foule, les accablent de reproches, les ramènent au combat, arrachent elles-mêmes les boucliers des Romains, et se laissant hacher plutôt que de fuir, font paraître encore quelques instants la fortune incertaine.

Enfin le désordre, plutôt accru qu’arrêter par cette furie, rend leur défaite plus complète et plus sanglante ; le carnage fut horrible, et, si on en croit, Tite-Live, trois cent mille barbares périrent, dans cette bataille ; ainsi, en une seule journée deux nations entières disparurent[1].

On voit encore, près des villages de Trètz et de Pourières, en Provence, les débris d’une pyramide que Marius éleva pour consacrer le souvenir de cette grande victoire.

Le consul libérateur de la Gaule revint sauver d’Italie ; il combattit avec le même courage et le même bonheur les Cimbres, près de Verceil ; il leur tua soixante mille hommes ; le reste tomba dans les fers ou trouva la mort dans la fuite.

Une tranquillité de quarante ans effaça dans la Gaule la trace des ravages qui l’avaient dépeuplée ; ce repos ne fut troublé que par une rébellion des Salluviens. Cécillius la réprima, 90 ans avant J.-C. Pompée purgea les Pyrénées d’une troupe de brigands qui en sortaient pour dévaster l’Aquitaine.

Tout cédait au peuple romain ; cependant ce tyran du monde se vit soudain menacé d’une ruine honteuse, non par des ennemis fameux, ni par des nations armées, mais par ses propres esclaves en révolte ; ils brisent leurs fers, forment des légions, mettent en fuite celles de plusieurs consuls et préteurs ; c’était Spartacus, un Thrace, Énomaüs et Cripsus, deux Gaulois, qui jetaient ainsi l’épouvante dans Rome : unis, ils avaient triomphé ; jaloux et divisés, ils se perdirent.

Cette guerre, la plus juste de toutes, fut la moins honorée, car, dans ces siècles antiques tant célébrés, les droits de l’humanité étaient méconnus : partout les lois n’étaient faites que pour la sûreté et les jouissances d’un petit nombre d’hommes ; le reste végétait dans la servitude.

Pompée eut la triste gloire de terminer cette lutte par la destruction totale des rebelles.

Les Gaulois, ruinés par les invasions du Nord, affaiblis par la perte de leurs provinces méridionales, amollis par le repos et divisés en factions qui se disputaient la prééminence, cessèrent de s’armer contre les Romains, dont l’appui même devenait nécessaire à plusieurs de leurs cités pour les défendre contre les Germains.     

Les Allobroges seuls, après avoir favorisé d’abord les projets de Catilina qu’ils trahirent ensuite, tentèrent, l’an 61 avant J.-C., de secouer le joug de Rome ; mais Pondus, à la tête de quelques légions, les soumit.

La Gaule, renonçant aux conquêtes et même à l’espoir de recouvrer ses provinces perdues, croyait vainement jouir en paix de son indépendance ; l’ambition d’un homme décida sa perte. César aspirait à 1’empirë dû monde, une grande gloire pouvait seule lui faire dominer ses égaux : la Gaule avait perdu sa force ; mais la terreur de son nom vivait encore ; César résolut de la conquérir ; il employa le fer des Romains pour subjuguer les Gaulois, et couvert de lauriers, il se servit ensuite de l’or de la Gaule pour détruire la liberté de Rome.

 

 

 

 



[1] 102 avant Jésus-Christ.