HISTOIRE DES GAULES

 

CHAPITRE PREMIER

 

 

En lisant l’histoire des peuples anciens de l’Orient, de la Grèce et de l’Italie, on voit que les plus illustres, semblables aux grands fleuves sortent d’une source faible, obscure et presque ignorée, que l’orgueil et la crédulité ont vainement cherché à grandir par des prestiges, et à illustrer par des fables.

Une famille errante donne naissance au peuple juif ; l’Égypte se peuple peu à peu par des tribus pastorales que policent quelques prêtres, et qu’illustrent quelques heureux guerriers ; leur origine se perd ainsi que celle du Nil dans les sables de l’Éthiopie.

L’Asie, condamnée dans tous les temps à la servitude, et corrompue avant d’être civilisée, cherche inutilement dans les ténèbres le commencement de ses fastes. Sémiramis, Ninus, Nabuchodonosor, accroissent leur empire sans l’éclairer, et depuis Cyrus les monarques d’Orient appesantissent encore les chaînes de leurs peuples, en les étendant et en les rendant plus brillantes.

La Grèce, longtemps habitée par des sauvages nourris de glands, reçoit des navigateurs d’Égypte ses dieux, ses lois et ses héros. L’orgueilleuse Carthage est bâtie par une femme et par quelques Tyriens fugitifs.

Un chef de pâtres et de brigands est le fondateur de cette bourgade de Rome, qui depuis fut la reine du monde.

La nation gauloise seule semble n’avoir point eu d’enfance ; elle apparaît dans la nuit des temps, comme une ombre gigantesque ; la première impression qu’elle produit, c’est l’effroi ; ses premiers pas sont des invasions ; ses premiers chefs, des conquérants : le premier regard qu’on jette sur eux frappe d’étonnement par l’étendue de leur territoire, par la force de leur population, et c’est la terreur de leurs armes qui fait prononcer pour la première fois leur nom à l’Italie conquise, à la Grèce ravagée, à l’Orient tributaire.

A quelque époque qu’on remonte, on voit toujours cette nation guerrière, que le sort destinait à faire trembler le peuple-roi, et à lui succéder, occuper la vaste étendue de pays située entre les Pyrénées, l’Océan, les Alpes et la Méditerranée.

Le Piémont s’en trouvait séparé, mais elle comprenait l’Helvétie et la Batavie, et sa position s’étendait du 42e au 52e degré de latitude, et du 13e au 27e de longitude : bientôt ses armes y réunirent le nord de l’Italie, que les Gaulois disputèrent pendant deux siècles aux Romains.

Les autres peuples, frappés de la grandeur gauloise, et ne pouvant connaître son origine, lui en cherchèrent et lui en prêtèrent une fabuleuse : Ammien Marcellin prétend que la Gaule déserte avait été peuplée par les Grecs dispersés après le siège de Troie. D’autres donnaient à la Gaule pour fondateur, Hercule, suivi de quelques Doriens.

Les druides disaient qu’une partie de leurs ancêtres était indigène, et l’autre venue des contrées situées au-delà du Rhin. Plusieurs auteurs chrétiens les font descendre de Gomer et de Japhet. Enfin, selon la tradition fabuleuse la plus répandue dans la Gaule par les Romains et par la colonie phocéenne qui s’établit à Marseille, les Gaulois descendaient d’un roi nommé Manus, dont le fils Saturne se révolta, et, fut battu par Titan, son frère ; Jupiter à son tour vainquit Titan, et rendit le sceptre à Saturne depuis, ce même Saturne s’étant vu forcé, par la révolte de ses sujets, à s’enfuir en Italie, Jupiter donna la Gaule à Pluton, que les Gaulois appelaient Dis ou Tis, et dont ils se disaient issus. Aussi cette croyance les remplit d’une vénération superstitieuse pour les ténèbres ; ils ne comptaient le temps que par les nuits, et prenaient pour temples les plus sombres forêts.

César assure qu’après Pluton, Mercure était le Dieu que les Gaulois respectaient le plus ; ils le nommaient Theutatès, et le regardaient comme leur premier législateur.

Ce qui est certain, c’est qu’avant Alexandre le Grand, les anciens n’avaient de notions exactes que sur l’Italie, la Grèce, la Sicile, l’Égypte, l’Asie-Mineure, l’Espagne et les côtes d’Afrique ; ils divisaient vaguement le resté de la terre en quatre parts ; ils plaçaient l’Inde à l’orient, l’Éthiopie au midi, la Scythie au nord et la Celtique à l’occident.

Selon Strabon, les Celtes s’étendaient en traversant la Gaule, depuis le nord de la Batavie jusqu’au détroit de Cadix ; il leur assignait à l’orient, pour limites, la Vistule, qui les séparait des Scythes.

Aristote donnait le nom de Celtes aux Germains et aux Gaulois : cette opinion fut longtemps générale, quoique plusieurs écrivains célèbres séparassent les Celtes des Ibères, des Illyriens et des Bretons. César fut le premier qui distingua positivement les Germains des Celtes ou Gaulois ; il donnait à ceux-ci le Rhin pour limite.

On voit dans Appien que la Celtique, située à l’occident de ce fleuve, avait pris le nom de Gaule, comme les Celtes à l’orient s’étaient donné celui de Germains.

Ces contradictions peuvent s’expliquer facilement par les invasions successives des hordes du Nord et de l’Orient, qui bouleversèrent si souvent la distribution des peuples dans les vastes contrées placées entre le Rhin et la Vistule : les peuples y changèrent continuellement de territoire, de fortune et de dénomination. Chaque tribu, chaque ligue ou confédération prit un nom différent ; celui des Celtes s’y perdit ; les Gaulois longtemps invaincus le conservèrent seuls : mais dans la suite, cédant à la fortune de Rome, ils devinrent Romains, reçurent après, par une autre conquête, le nom de Frîmes, et gardèrent enfin celui de Français.

Les anciens faisaient venir le nom de Celtes de Celtus, fils d’Hercule et de Celtina, qui rendit à ce demi-dieu les bœufs que lui avait volés Gérion. Quelques écrivains modernes attribuent l’étymologie du nom de Celtes au mot grec kelos, qui veut dire rapide ; d’autres au mot zelt, ou tente en langue celtique : ce qui est plus probable c’est que le nom de Celtes venait du mot kalt ou froid, et qu’on nomma ainsi généralement les peuples du Septentrion.

L’origine du nom des Gaulois n’est pas mieux connue ; les uns l’attribuent à la corruption du mot kalt ; d’autres à celui de gelt ou valeur ; d’autres au mot gal ou lait, parce que ce nom rappelle la blancheur de la peau des peuples du Nord ; enfin quelques autres auteurs prétendent que les Romains donnèrent à nos aïeux le nom de Gallus, parce qu’ils trouvaient quelque ressemblance entre la  crête du coq et la chevelure que les Gaulois avaient l’habitude de rassembler sur le sommet de leur tête.

De tout temps on a vanté l’heureuse température de notre patrie ; cependant il paraît qu’autrefois la Gaule, couverte, d’étangs et de forêts, était, beau-coup plus froide que la France actuelle ; des armées entières y passaient avec leurs chariots les fleuves sur la glace : mais la nature l’avàit rendue fertile avant, qu’elle devînt riche par la population et par l’industrie.

On y voyait des vignes fécondes, de gras pâturages, des fruits de tout genre, des arbres de toute espèce, de nombreuses salines, des eaux thermales renommées ; les montagnes qui la bornaient au midi contenaient de riches mines de fer et d’or.

Les forêts gauloises étaient remplies de porcs, de bisons, de taureaux sauvages très féroces ; il s’y trouvait alors en abondance un animal dont la race paraît perdue, qu’on appelait alcée, et qui tenait à la fois du cerf et du chameau. Les prairies émaillées de fleurs nourrissaient un grand nombre d’abeilles : les Phéniciens les Carthaginois et, les Grecs venaient chercher, sur les côtes de la Gaule, de la cire, du bétail, des cuirs, des bois de construction et des paillettes d’or charriées par les rivières.

Longtemps les nombreux habitants des Gaules n’eurent pour logement que des cavernes et des creux d’arbres ; leur premier luxe fut des huttes, qu’ils rassemblèrent en bourgade.

Marseille, se vantait d’avoir civilisé la Gaule ; cependant, avant la fondation de cette ville, cette vaste contrée était couverte de villages : dès le temps de la guerre des Cimbres on parle de villes gauloises dont l’histoire cite les noms ; il fallait même que celle d’Alise, en Bourgogne  fût très ancienne, puisque Diodore de Sicile raconte qu’Hercule la fonda, que la beauté d’une femme de ce lieu l’enflamma, qu’il l’épousa, et en eut un fils célèbre, nommé Galatus, qui donna son nom au peuple et au pays.

Les Gaulois, déjà civilisés, déjà logés dans des bourgs et dans des cités, conservèrent longtemps l’usage de serrer leurs récoltes dans ces vastes souterrains qu’ils avaient jadis habités, et ce fut une de ces cavernes qui servit  d’asile à l’illustre Éponine, lorsque cette courageuse Gauloise déroba pendant plusieurs années la tête de son époux Sabinus aux vengeances de Vespasien.

La nourriture des Gaulois était simple et grossière ; elle se composait de laitage, de fromage, de miel, des produits de leur pêche et de-leur chasse ; les peaux des animaux leur servaient de lit et de siége, ils déchiraient les viandes avec leurs mains. Leur boisson la plus commune était une sorte de bière faite avec de l’orge fermentée qu’ils nommaient servoise ; les femmes employaient l’écume, de  cette liqueur pour blanchir leur teint.

Dans les festins une seule coupe servait à la ronde à tous les convives. La sobriété était en honneur chez les Gaulois ; ils punissaient l’intempérance ; on regardait comme une honte l’embonpoint excessif qui en est la suite, et la loi soumettait à une amende le Gaulois quand son corps ne pouvait tenir dans une ceinture dont la mesure était fixée.

Les travaux de l’agriculture et du ménage étaient le partage des femmes ; les combats, les plaisirs et le repos celui des hommes : la passion de ceux-ci pour la chasse, pour la guerre, pour les exercices violents, contribuait avec leur tempérance à leur donner cette taille élevée, cette force prodigieuse, qui les rendaient l’effroi des autres peuples.

Tous les auteurs anciens les représentent comme des géants ; les Romains les comparaient à des éléphants, et plaçaient les prisonniers de cette nation sur le front de leurs lignes pour servir de signaux aux évolutions.

La taille commune des Gaulois s’élevait de six à sept pieds ; ils avaient la peau très blanche, les yeux bleus, les cheveux blonds , le regard farouche, la voix forte et rude : Athénée cite leurs femmes pour les plus belles de toutes les barbares.

Ils regardaient la bravoure comme la première des vertus ; la guerre semblait être leur élément, et toujours ils se battaient entre eux lorsqu’ils n’avaient point d’ennemis étrangers à combattre : la première place dans les assemblées, dans les festins, était donnée au plus vaillant, et le désir ardent d’obtenir cet honneur excitait sans cesse entre eux de bruyantes querelles qui ensanglantaient souvent leurs repas et leurs fêtes.

La loi du plus fort était la loi gauloise ; tout droit semblait donné par la victoire et perdu par la défaite ; Brennus ne le fit que trop entendre aux Romains par ce mot funeste : Malheur aux vaincus : ainsi la honte de ne pouvoir vaincre les rendait furieux, et souvent on les vit, lorsque leurs épées étaient brisées, se jeter désarmés sur les Romains et les étouffer dans leurs bras.

Un peuple gaulois vaincu par Marcius massacra ses femmes, ses enfants, et se jeta après eux sur des bûcherrs qui confondirent leurs cendres.

Dans leur lutte contre César, on vit les habitants du Berri (les Berruyers) incendier vingt de leurs villes pour affamer les Romains. La plupart du temps, ils tuaient leurs blessés pour les dérober à l’esclavage.

Le courage des Gauloises n’était pas moins célèbre que celui de leurs époux ; elles les  suivaient à la guerre ; les animaient dans l’attaque, les arrêtaient dans la fuite, et lorsque tout espoir semblait perdu, elles tuaient leurs enfants, et s’en servaient comme de massues pour repousser les violences de l’ennemi.

Chiomara, captive d’un officier qui voulait l’outrager, le poignarde, lui tranche la tête, traverse le camp ennemi, rejoint son époux et jette à ses pieds le trophée sanglant qui prouvait à la fois son audace et sa vertu.

Un prince nommé Sinorix avait assassiné le tétrarque gaulois Sinatus, époux de Camma ; il voulait forcer cette veuve inconsolable à l’épouser ; la Gauloise furieuse dissimule son dessein de vengeance pour en assurer le succès, elle feint de consentir aux vœux du meurtrier, le conduit à l’autel de Diane, lui présente la coupe de l’hymen, boit ainsi que lui le poison qu’elle y avait versé, remercie la déesse d’avoir favorisé sa vengeances et meurt en disant à Sinorix expirant : Barbare, au lieu d’entrer dans ce lit nuptial que tu voulait souiller, descends avec moi dans la tombe que j’ai creusée sous tes pas.

Tant que les Gulois conservèrent cette âpreté de mœurs et de courage, ils répandirent partout la terreur : les Romains les comparaient à la foudre.

Au seul bruit d’une guerre avec eux, le sénat nommait un dictateur : on ouvrait le trésor sacré, toute dispense de service cessait même pour les prêtres et pour les vieillards ; et dès que le chant guerrier des Gaulois retentissait dans les plaines de I’Italie, le Capitole semblait encore s’ébranler sur ses vieux fondements. Le peuple-roi ne se regarda comme maître du monde, qu’après avoir conquis la Gaule, et ce fut au seul César, vainqueur des Gaulois, qu’il crut pouvoir sans honte soumettre sa liberté.

Les Gaulois, par un orgueil puéril et barbare, méprisaient la culture, l’industrie, l’étude ; dans l’intervalle de la chasse et des combats, le repos était leur seule volupté. La conquête de l’Italie leur inspira pour le vin une passion funeste, et telle qu’on les voyait souvent vendre un esclave pour, obtenir une cruche de cette liqueur.

Habitués à un climat très tempéré, ils redoutaient les chaleurs du Midi et ne pouvaient supporter la fatigue des longues marches : Annibal les comparait à la neige qui se fond aux rayons du soleil ; il plaçait à leur tête des Espagnols, et derrière eux des Carthaginois pour les forcer à ne point s’arrêter dans leur route.

L’habitude de l’indépendance et de l’oisiveté les rendait inconstants, légers et curieux ; ce fut toujours leur caractère distinctif. César raconte qu’ils harcelaient de questions tous les voyageurs et, d’après leurs récits souvent mensongers, se décidaient témérairement à tenter les plus grandes entreprises.

Présomptueux avant le combat, ils aimaient dans leurs défis à insulter l’ennemi par leurs bravades ; quelquefois, en voyant s’avancer contre eux les légions romaines, ils s’asseyaient sur le champ de bataille pour prouver le mépris avec lequel ils attendaient leur attaque ; se levant ensuite,  jetant de grands cris et choquant bruyamment leurs boucliers, ils s’encourageaient mutuellement par ce tumulte : leur bravoure devenait da la fureur, et leurs affreux hurlements répandaient plus de terreur que leurs armes.

Cruels après la victoire, ils sacrifiaient une partie de leurs captifs aux dieux infernaux. Si l’ennemi résistait à leur première furie, bientôt on les voyait se décourager ; ardents pour attaquer, ils ne savaient pas se défendre ; et leur retraite était précipitée comme leur attaque.

Tous les auteurs, Polybe, Diodore, Strabon, Plutarque, Silius Italicus, César et Dion Cassius, s’accordent sur ce point ;  ils disent tous que chez les Gaulois la terreur était sans limite, comme l’audace, et qu’ils passaient subitement de la témérité au découragement.

L’ennemi vaillant excitait leur générosité ; mais ils se montraient sans pitié pour les lâches et pour les traîtres. Lorsque l’intrépide Fabius osa descendre du Capitole et traverser leur armée pour accomplir sur les débris de Rome un vœu sacré, ils respectèrent sa vertu et le laissèrent tranquillement consommer son pieux sacrifice ; mais lorsqu’une femme grecque eut livré Éphèse, à Brennus pour une somme d’or considérable, ce chef gaulois, maître de la ville, et pensant qu’on devait profiter de la trahison et punir les traîtres, ordonna à ses troupes d’assommer la perfide Grecque en jetant sur sa tête tout l’or qu’on lui avait promis.

Quoique les Gaulois, ne se fiant qu’à leur courage et à leur force corporelle, dédaignassent d’imiter cet ordre savant, cette tactique guerrière qui donna aux Romains l’empire du monde, on les vit quelquefois employer la ruse pour s’assurer la victoire, abandonner leurs camps et y laisser des boissons soporatives, afin d’égorger sans péril l’en nemi épuisé de débauche et endormi.

Lorsque le consul Posthumius marcha contre eux ils déracinèrent les grands arbres qui bordaient sa route, et les laissèrent debout ; quand les Romains furent engagés dans la forêt, un seul arbre poussé entraîna les autres, qui tombèrent sur la colonne, l’écrasèrent, et rendirent sa défaite aussi complète que facile.

Dans leurs invasions, leur passion pour le pillage n’épargnait ni les temples ni les tombeaux, et ne connaissait rien de sacré ; mais dans leur pays on les voyait soumis aux prêtres, crédules, superstitieux, consultant le vol des oiseaux, remplis d’une aveugle confiance pour les prédictions des druides, des fées, et soumettant quelquefois leurs enfants nouveaux nés à l’épreuve de l’eau, afin de s’assurer de la légitimité de leur naissance.

Ce peuple, si redoutable à ses ennemis, était pour les voyageurs le plus doux et le plus hospitalier de la terre. La mort d’un étranger exposait à un châtiment double de celui qui était imposé au meurtrier d’un Gauloise et s’il arrivait que le voyageur éprouvât quelque perte dans une habitation, son hôte et toute la bourgade étaient assujettis, pour l’indemniser, à une forte amende.

Leurs vêtements, simples comme leurs mœurs, se composaient d’une tunique de peau nommée sagum ou saye, sur laquelle ils portaient dans l’hiver un manteau fourré, avec de larges pantalons qui renfermaient leurs jambes, leurs cuisses qui descendaient jusqu’à la cheville : ces amples vêtements ne pouvaient pas gêner la liberté de leurs mouvements ; cependant, soit dans le dessein d’être plus légers, soit par bravade, ils s’en dépouillaient sur le champ de bataille et combattaient nus jusqu’à la ceinture.

Un bonnet de poil était la seule coiffure des hommes ; les femmes en portaient une triangulaire ; leurs robes ne différaient de la saye que par leur longueur.

Le guerrier gaulois, songeant pus à tuer l’ennemi qu’à se défendre n’avait ni casque ni cuirasse ; il ne couvrait son corps que d’un bouclier d’osier revêtu de cuir, dont il se servait comme d’un bateau pour traverser intrépidement les fleuves les plus rapides. Ses armes offensives étaient la lance, les flèches, la hache et des sabres d’une faible trempe, dont la longueur, embarrassante dans la mêlée, luttait avec désavantage contre le glaive court des Romains.

Le luxe des hommes distingués par leur rang, par leur richesse, ou par leurs exploits, consistait en bracelets, en colliers, en anneaux d’or pour lesquels ils montraient une passion effrénée ; aussi pour honorer leurs idoles ils les couvraient de ces ornements, et lorsque le roi gaulois Catumandus entra dans Marseille, voulant se rendre Minerve propice, il fit hommage à cette déesse d’un riche collier d’or.

Un luxe plus étrange et plus conforme à leurs mœurs barbares, était celui qui brillait dans leurs armées ; ils attachaient au bout de leurs lances, et au cou de leurs chevaux les têtes de leurs ennemis immolés par eux dans les combats ; ces crânes, enrichis d’or, devenaient ensuite des vases pour leurs festins.

Différents de tous les autres peuples, les Gaulois, possédant depuis un temps immémorial un vaste territoire, remplirent pendant plusieurs siècles les autres contrées de la terre du bruit de leur nom et de la terreur de leurs armes ; on les voit occuper une part considérable dans l’histoire de toutes les nations, et cependant, lorsqu’ils brillaient au dehors d’un si grand éclat, leur histoire intérieure restait obscure et ignorée : à peine quelques faibles rayons de lumière percent dans l’antiquité, au travers de ces nuages sombres qui semblaient couvrir cette Gaule conquérante, dont l’Asie, la Grèce et l’Italie voyaient avec effroi descendre tant d’orages.

Au temps de leurs premières invasions, on voit par les récits des auteurs latins que toutes leurs tribus s’étaient réunies dans les Gaules sous un chef. Cette union faisait leur force ; la liberté, l’égalité qui régnaient entre eux étaient prouvées par leur bravoure, par leur fierté, par les assemblées dans lesquelles ils décidaient leurs expéditions et jugeaient quelquefois leur chef ; mais il parait que peu à peu l’ambition de leurs prêtres ; et celle de leurs plus puissants guerriers les désunit, changea la forme de leur gouvernement et le rendit à la fois théocratique et aristocratique, de sorte qu’ils perdirent graduellement la plus grande partie de leur force et de leur liberté.

Lorsqu’on connut mieux l’intérieur de la Gaule, c’est-à-dire au moment où les armes victorieuses des Romains y pénétrèrent, cette nation ne pouvait déjà plus, leur opposer la vigueur qui naît de l’union et de l’égalité. La Gaule, cessant d’être un objet d’effroi, était devenue pour Rome une proie tentante et facile.

César nous apprend que les pontifes gaulois, si célèbres sous le nom de druides, se recrutaient toujours, et choisissaient leurs novices dans la classe des Gaulois les plus distingués par leur naissance et par leurs richesses ; ainsi les nobles et les prêtres formèrent dans l’état deux classes ou deux castes prééminentes, qui, suivant la marche naturelle des corps  privilégiés, détruisirent graduellement l’indépendance des peuples.

Conformément à l’antique usage qu’on retrouve dans tous les pays habités par les Celtes, les chefs les plus vaillants se voyaient entourés de jeunes guerriers nommés Ambactes ou Soldurii, qui s’attachaient inviolablement à leur sort ; leur dévouement pour eux était sans bornes ; ils les suivaient dans toutes leurs expéditions, les couvraient de leur corps dans les combats, et regardaient comme une honte de leur survivre.

Les chefs, à leur tour, remplissaient à l’égard de leurs Soldurii tous les devoirs de compagnons d’armes et de patrons ; ils les soutenaient dans leurs querelles, les soldaient avec une part du butin, proportionnée à leurs services, et les récompensaient soit par des terres conquises, soit par des dons de chevaux, d’armes, de colliers et de bracelets.

Ces chefs et leurs principaux Ambactes combattaient seuls à cheval : l’infanterie, autrefois la force des armées gauloises, ne fut plus en honneur ; l’élite de la nation forma un ordre équestre qui prit bientôt la prééminence dans les assemblées comme dans les camps. Telle fut l’origine de la noblesse gauloise dont l’autorité s’accrut par son union avec le sacerdoce ; de sorte que la Gaule, autrefois si libre, si fière, si redoutable, ne présentait plus aux regards de ses ennemis que le spectacle d’une aristocratie brillante, belliqueuse mais faible , orgueilleuse, turbulente, anarchique.

César assure que de son temps toute l’autorité était entre les mains des nobles et des prêtres, et que le peuple se trouvait dans un état peu différent de la servitude.  

Tandis, que les nobles se saisissaient de l’autorité militaire, les druides s’étaient emparés du pouvoir législatif et judiciaire. César nous apprend que ces pontifes décidaient des différends relatifs aux propriétés qu’ils jugeaient toutes les causes punissaient tous les crimes, réglaient tout ce qui était relatif au culte ; et qu’un Gaulois frappé par eux d’anathèmes ne pouvait plus paraître dans les camps, aux sacrifices, aux assemblées, ni aux repas publics.

On prétend que ces prêtres s’appelaient autrefois Semnothées et ensuite Saronides, nom dérivé de celui de Saron, troisième roi des Gaules.

La vénération de ces pontifes pour les forêts, et particulièrement pour le chêne, qu’on appelait en celte deru, leur fit probablement donner depuis le nom de druides. Le lieu principal où ils se rassemblaient dans une forêt sacrée, se nomme encore aujourd’hui Dreux, ville des chênes. C’est la ainsi, qu’à Chartres, qu’ils réglaient leurs intérêts communs et élisaient le  grand druide ou souverain pontife.

On trouve encore près d’Autun, capitale des Éduens, une  montagne appelée Mont-Dru, parce qu’autrefois les druides y avaient établi un de leurs collèges.

La renommée des druides s’étendait jusqu’aux extrémités de l’Orient ; on vantait leur sagesse, leur gravité, leur science, leur philosophie universellement respectée, ils formaient le premier ordre de la nation. On regardait leurs volontés comme des lois, leurs paroles comme des oracles.

Il paraît que, semblables aux pontifes d’Égypte, ils professaient deux doctrines différentes ; l’une publique pour le vulgaire, l’autre mystérieuse réservée aux adeptes et aux hommes les plus distingués de l’état ; leurs dogmes n’étaient point écrits, on ne les connaissait que par tradition.

Les druides, dit César, enseignent la marche des astres, la nature des choses, la puissance des dieux ; ils persuadent aux Gaulois l’immortalité et la transmigration des âmes ; par cette croyance ils éloignent d’eux toute crainte de la mort.

Lorsque les Romains conquirent la Gaule, il la trouvèrent divisée en grandes confédérations rivales, telles que les Berruyens, Arverniens, Éduens, Séquaniens, Rhemiens, Nerviens, etc., et trois cents petits peuples, dont les uns étaient gouvernés par des rois, et d’autres par un sénat et par des chefs élus.

Celui des Éduens portait le titre de Vergobrete ; il avait sur ses peuples le droit de vie et de mort ; mais enchaîné lui-même, il ne pouvait sortir de sa résidence sans s’exposer à perdre le pouvoir et la vie.

César, pour se concilier l’esprit des Éduens, déposa le Vergobrete Cotus qui avait usurpé le pouvoir par une élection illégale, et il soutint de son autorité l’élection régulière de Convictolanus.

Le seul lien qui unissait encore les Gaulois, et qui leur laissait quelque forée contre leurs ennemis extérieurs, et quelques moyens pour remédier à leurs dissensions intestines, c’était une diète générale ou assemblée confédérée ; elle avait lieu en pleine campagne ; on s’y rendait armé ; tous les cantons confédérés y envoyaient leurs députés ; les druides et les nobles, ou chevaliers, représentaient la nation gauloise.

Là on décidait de la guerre ou de la paix ; on nommait les magistrats ; on jugeait les administrateurs ; mais probablement ce jugement devait être bien illusoire pour des chefs aussi puissants que cet Orgetorix, dont parle César  et qui marchait entouré de dix mille Soldurii dévoués.

On pouvait presque encore compter un troisième ordre dans l’état : c’était celui des femmes distinguées par leur rang et surtout de celles qui se dévouaient au culte et à la divination ; plusieurs fois elles décidèrent de la paix ou de la guerre ; souvent, comme les Sabines, elles apaisèrent la fureur des peuples prêts à se détruire ; le respect qu’on avait pour elles s’étendait tellement hors des bornes de leur pays, qu’Annibal stipula, dans un traité conclu avec les Gaulois, que les différends qui pourraient survenir entre ceux-ci et les Carthaginois seraient soumis à l’arbitrage des femmes gauloises.

On ne trouvait point de lois écrites chez ce peuple ; tout était réglé par les mœurs et par les coutumes ; la mémoire des prêtres tenait lieu d’archives. Le vol et le meurtre étaient punis de mort ; on n’avait point posé de bornes au pouvoir des pères sur leurs enfants.

Indépendamment du culte secret enseigne par les druides les Gaulois adoraient des dieux qu’ils semblaient avoir empruntés à plusieurs nations étrangères. Leur Theutatès  inventeur des arts, portant un  caducée et des ailes comme le Mercure des Grecs, des cornes d’abondance ainsi que le Tautes de Phénicie, le Teutat de Carthage et le Thau d’Égypte ; il avait aussi d’autres attributs semblables à ceux du Theut ou Tuiscon de Germanie.

Ésus ou Jehova, ou Mars, était le dieu de la guerre. Quelquefois adoré sous les noms de Camulus ou de Belénus, il répandait ainsi qu’Apollon la lumière, et il guérissait des maladies.

Sur les bords de la Seine, on rendait hommage à une déité que les uns croyaient être Minerve et les autres Isis. Quelques auteurs font même venir le nom de Paris, de Parisis ou temple d’Isis.

Nous avons déjà parlé de la vénération des Gaulois pour Dis, dieu des enfers, dont ils croyaient descendre : cette superstition se prolongea longtemps après l’établissement du christianisme : on conserva pendant plusieurs siècles l’usage gaulois de compter le temps par les nuits, et Charlemagne se crut obligé de proscrire par une disposition expresse dans ses capitulaires, les restes de cette idolâtrie.

L’Hercule gaulois, différent de celui des Grecs était un vieillard ridé portant une peau de lion, et une chaîne attachée à sa bouche.

Les Gaulois adoraient encore des divinités inférieures et locales : Rôte était la déité de Rouen, Matuta ou Leucothoë celle de Lutèce ; on honorait Namus à Namur, Néhalémia en Toxandrie, Ardouène dans les Ardennes.

On peut croire que ces divinités étaient des femmes déifiées, comme elles passaient pour savantes dans l’art de connaître l’avenir et de lire dans les décrets du destin, on les appelait fatacées, fatidicae ou fées.

Les plus célèbres et les plus saintes se rassemblaient, dit-on, dans une île nommée Séna[1], sur la côte d’Armorique.

On regardait aussi les druidesses comme douées du don de prophétie. L’histoire rapporte qu’une d’elles prédit à Alexandre Sévère la révolte de ses soldats et sa mort.

Aurélien les consulta sur le sort de sa postérité. Dioclétien, élevé au trône par la mort du rebelle Arrius Aper, qu’il avait poignardé, racontait que dans les Gaules une druidesse lui avait annoncé qu’il deviendrait empereur dès qu’il aurait tué le sanglier, qui s’appelle en latin aper.

Le respect superstitieux pour les fées dura longtemps en France après la chute des idoles, et l’enfance n’est pas toujours partout la seule qui conserve encore à présent le souvenir des fées et la croyance aux devineresses.

On ne sait pourquoi Tacite dit que les Gaulois n’avaient point de temples ni d’idoles ; des faits nombreux démentent cette assertion : Cépion trouva un riche trésor dans un temple gaulois à Toulouse ; on porta dans un autre la tête du consul Posthumius ; Ausone parle d’un temple de Bélénus, desservi par les druides. A Lutèce, on allait chercher dans un temple l’image de Bérécynthie pour la promener dans les champs ; enfin Grégoire de Tours raconte la destruction d’un temple magnifique en Auvergne qui fut renversé sous les règnes de Valérien et de Gallien par les Allemands.

Ce qui peut avoir donné quelque créance à cette opinion, c’est qu’avant d’admettre des dieux étrangers, les Gaulois, comme tous les Celtes, ne rendant hommage à la divinité et ne croyant voir sa présence que dans ses ouvrages, adoraient les astres, la terre, les bois, les fleuves et les montagnes.

Les druides conservèrent avec soin ce culte de la nature ; ils croyaient surtout que les dieux aimaient a résider dans le fond des plus sombres forêts ; leur obscurité inspirait une terreur qui disposait à la crédulité, et les druides trouvaient ces ténèbres mystérieuses favorables à leur ambition ; c’était sous leurs voiles qu’ils prétendaient communiquer secrètement avec les dieux, et consulter leurs oracles.

Au milieu de ces forêts sacrées, le grand druide, vêtu d’une robe blanche, s’avançait solennellement, suivi de tous les pontifes, le sixième jour de la première hune, sacrifiait aux dieux un taureau blanc, montait sur le chêne révéré, coupait avec une serpe d’or le gui précieux, objet d’un superstitieux respect, le recevait dans un manteau blanc, et, terminait cette fête par un grand festin.

Le peuple attribuait à ce gui, réduit en poudre, la vertu merveilleuse de guérir la plupart des maladies et de donner la fécondité.

Chez les Gaulois, ainsi que chez toutes les nations qui ne connaissaient point encore le luxe ni la misère, la fécondité était en honneur, et la stérilité paraissait un malheur et une honte ; parce que le nombre des enfants, loin d’y peser comme une charge, y devenait une vraie richesse.

Le célibat était méprisé dans la Gaule ; le mari apportait une dot à sa femme, comme celle-ci à son époux ; les filles avaient le droit de choisir parmi leurs prétendants l’homme à qui elles voulaient unir leur sort. Un druide présentait au fiancé et à la fiancée une coupe dans laquelle ils buvaient tous deux : là se bornaient toutes les cérémonies du mariage.

Quelques femmes consacrées aux dieux avaient seules le droit de rester sans honte célibataires. A la naissance des enfants, elles appelaient sur eux la protection et les dons des fées.

Les jeunes Gaulois ne paraissaient jamais en public avant quinze ans ; jusque-là les pères avaient sur leurs enfants le droit de vie et de mort ; mais arrivés à cette époque, et prouvant qu’ils pouvaient porter et manier les armes, on leur donnait la lance, le bouclier ; ils devenaient hommes indépendants, et prenaient leur place dans les assemblées publiques ; ainsi que dans les camps.

Les exercices militaires leur tenaient lieu de toute étude ; cependant, pour enflammer leur courage, pour éveiller en eux la passion de la gloire, on leur apprenait l’histoire des héros de leur patrie : cette histoire n’était point écrite, c’était des récits poétiques, des chants guerriers, composés par les bardes, qu’on regardait comme inspirés, et qui formèrent parmi tous les peuples du Nord une classe presque sacrée.

Les eubages, devins ou augures, étaient aussi l’objet de la vénération des Gaulois. Ils consultaient le vol des oiseaux, la direction de la foudre, et encourageaient les armées, en leur annonçant la faveur des dieux.

Les druides se chargeaient de l’éducation des jeunes nobles destinés à entrer dans leur ordre ou dans la magistrature ; ils les initiaient à leur culte secret, et leur communiquaient assez de connaissances pour les élever au-dessus du vulgaire, mais en leur laissant avec soin la superstition qui les maintenait sous leur dépendance.

Ce fut ainsi que les druides, unissant le pouvoir judiciaire au pouvoir sacerdotal, dominant les peuples par l’autorité, et gouvernant les princes par la conscience, surent rester pendant plusieurs siècles les vrais maîtres de la Gaule.

La fondation d’une colonie grecque à Marseille, une communication plus fréquente avec les autres nations, l’interdiction des cultes étrangers, et surtout les victoires des Romains, minèrent peu à peu cette puissance théocratique qui lutta pourtant contre les vainqueurs avec opiniâtreté.

L’empereur Claude proscrivit enfin le culte des druides ; mais les Gaulois le professèrent longtemps en secret. Dans le quatrième siècle, les familles descendantes des druides étaient encore un objet de respect public. Deux cents ans après, Procope nous apprend que les Francs conservaient une partie des superstitions gauloises.

Grégoire de Tours écrivait à Brunehaut, pour l’inviter à défendre les sacrifices fréquents qu’on faisait encore en France aux idoles.

Une disposition des capitulaires de Charlemagne déclare sacrilèges les curés qui n’emploieraient pas tous leurs soins pour abolir totalement le culte des pierres, des arbres et des fontaines.

Près de Metz on rendait encore un secret hommage, au tombeau d’une prêtresse sur lequel on lisait cette inscription : La druidesse Arété, avertie par un songe, a consacré ce lieu à Sylvain et aux nymphes.

Les romanciers français, succédant aux bardes, chantèrent pendant plusieurs siècles Morgane, Mélusine, les fées et les enchanteurs ; nos paladins croyaient aux prodiges de la fontaine de Merlin, et s’approchaient avec une crainte superstitieuse de ces tombeaux antiques de ces amas de pierres qui couvraient les cendres des chefs gaulois, et des esclaves immolés à leurs mânes selon l’usage des nations barbares enfin au dix-septième siècle moine, les enfants en Guyenne demandaient encore des étrennes en répétant le refrain d’un vieux chant gaulois : au gui l’an neuf.

Tel est le sort de l’humanité, les erreurs les plus grossières répandent avec rapidité leurs voiles sombres sur la terre, et il fait des siècles à la vérité pour dissiper ces ténèbres.

 

 

 

 



[1] L’île des Saints.