HISTOIRE D'HÉRODE, ROI DES JUIFS

 

SIXIÈME PARTIE.

 

 

Antipater avait enfin atteint son but ; ses frères n'existaient plus ; il avait lavé dans leur sang ses injures passées, en poussant à ce crime abominable le misérable qui était leur père ; la perfidie et la perversité avaient eu le dessus. Mais il n'avait pas réussi, par ce moyen, à s'affranchir de toute appréhension pour l'avenir de son ambition. La crainte de se voir enlever la couronne était dissipée. sans doute. parce que ses frères n'étaient plus là pour venir en partage de la royauté. Il n'en comprenait pas moins qu'entre le crime et lui il y avait encore bien des obstacles, et le plus grand de tous était l'exécration flue la nation juive tout entière lui avait vouée depuis longtemps[1]. Ce n'était pas la son souci le plus grave ; ce qui l'inquiétait le plus vivement. c'était l'esprit de l'armée qui le détestait. et il savait que c'est de l'armée que dépend toute la sécurité dos rois. lorsqu'une nation songea se débarrasser d'un tyran. Ce danger, le meurtre de ses frères l'avait dressé devant lui. Cependant, il partageait l'autorité souveraine avec son père, et il jouissait déjà de toutes les prérogatives de la royauté. Il avait sur l'esprit d'Hérode une influence sans bornes, et il avait gagné son affection et sa confiance, par le crime inique qu'il eût dû payer de sa vie ; il semblait qu'il se fût fait le délateur de ses frères, dans le seul but d'assurer la sécurité d'Hérode, et non pour assouvir sa haine contre eux et surtout contre son père lui-même. Ces pensées le harcelaient sans cesse et le conduisaient fatalement au particule ; sa seule préoccupation était d'écarter de lui le soupçon des actes qu'il méditait et de mettre Hérode dans l'impossibilité de trouver un refuge et un appui, le jour oh il se lèverait ouvertement contre lui.

Ainsi, de même que c'était de la haine qu'il portait à son père, qu'étaient partis les coups sous lesquels ses frères avaient succombé, de même maintenant il poursuivait avec persévérance l'accomplissement de ses sinistres projets, parce que, Hérode une fois mort, il se croyait sûr de saisir la couronne. Si le Roi continuait à vivre, au contraire, il avait, lui, tout à craindre ; le crime qu'il avait conçu et exécuté pouvait se découvrir et lui faire d'Hérode un ennemi implacable. Aussi ne reculait-il devant aucune largesse pour gagner à sa cause les amis de son père, et voulait-il se débarrasser par des bienfaits des haines qui gênaient ses projets. Ceux de ces amis qui habitaient Rome, furent pour lui les premiers qu'il importait de capter par les plus magnifiques présents, et, plus que tous les autres, Saturninus, qui gouvernait la Syrie[2]. Il s'efforça aussi, grâce à la magnificence de ses cadeaux, de gagner la protection du frère de Saturninus, et il employa les mêmes moyens à l'égard de la sœur du Roi, qui venait d'épouser le principal personnage de l'entourage d'Hérode[3].

Il était d'ailleurs de la plus merveilleuse habileté pour inspirer une confiance absolue dans l'amitié qu'il témoignait a tous ceux dont il pensait avoir besoin, et pour dissimuler les haines qu'il avait au cœur. Toutefois, il ne parvint pas à liure prendre le change à sa tante qui le connaissait à fond de longue date, et qui ne pouvait plus être trompée par lui, parce qu'elle avait mis en œuvre toutes les ressources de son esprit infernal pour lutter contre sa perfidie. Il eut beau faire épouser à son oncle maternel la fille de Salomé, devenue veuve par la mort d'Aristobule, rien n'y fit ! Quant à l'autre fille de Salomé, elle avait épousé Callias. fils du dernier mari de sa mère. Ces alliances ne réussirent pas mieux à faire perdre de vue à Salomé la perversité d'Antipater ; les liens du sang n'avaient pu empêcher les haines de germer dans leurs cœurs.

On se rappelle que Salomé s'était éprise du plus violent amour pour Syllæus l'Arabe, qu'elle avait voulu épouser ; Hérode parvint à lui imposer Alexas pour mari, en se faisant aider dans cette négociation difficile par Julie, femme d'Auguste ; conseilla à Salomé de consentir à cette union, si elle ne voulait se brouiller ouvertement avec elle, et lui déclara, de plus, qu'Hérode avait fait le serment qu'il n'aurait plus la moindre affection pour elle, si elle ne se décidait a s'unir à Alexas. Salomé obéit à Julie, d'abord parce que cette princesse était la femme d'Auguste, et parce qu'en outre elle comprit que ses conseils étaient bons à suivre[4]. A cette même époque Hérode renvoya à Archélaüs, la veuve d'Alexandre, et lui, rendit sa dot sur son trésor privé, afin d'éviter tout sujet de récrimination[5].

Quant aux enfants des deux fils qu'il avait sacrifiés. Hérode les entourait de toute sa sollicitude. — Alexandre avait eu de Glaphyra deus enfants mâles, et Aristobule de Bérénice, fille de Salomé, trois fils et deux filles[6]. — Parfois, il les présentait à ses amis et, déplorant alors le malheureux sort de ses fils, il demandait à Dieu que rien de semblable n'arrivât à leurs enfants, mais qu'au contraire, grandissant en vertu et surtout dans la pratique du bon et du juste, ils pussent le récompenser dignement ainsi des soins qu'il donnait à leur éducation. Était-ce comédie, était-ce pitié et affection ? Nous ne saurions le dire.

Quoi qu'il en soit, il fiança, pour l'époque où ils seraient nubiles, le fils ainé d'Alexandre à la fille de Phéroras, et au premier fils d'Aristobule, la fille d'Antipater. La première fille d'Aristobule fut fiancée au fils d'Antipater, et il destina la seconde fille d'Aristobule à son propre fils Hérode, qu'il avait eu de la fille du grand-prêtre. Car, fait observer Josèphe, il est dans nos mœurs d'avoir plusieurs femmes en même temps.

Hérode, en réglant toutes ces fiançailles, pensait agir par pur intérêt pour les jeunes orphelins, et comptait leur concilier l'affection d'Antipater, auquel il les rattachait par ces projets d'alliance[7]. Mauvais calcul hélas ! Car Antipater poursuivait ces pauvres enfants de la même haine qu'il avait vouée à leurs pères ! L'espèce d'affection qu'Hérode leur témoignait, l'irritait au plus haut point. Il prévoyait d'ailleurs qu'ils deviendraient quelque jour plus puissants que ses frères eux-mêmes, surtout parce que, dès qu'ils seraient entrés dans l'adolescence, Archélaüs, revêtu de la dignité royale, serait tout disposé à prêter assistance à ses petits-fils. et Phéroras, qui était tétrarque, serait enchanté de donner pour femme à son fils la jeune princesse qui lui était réservée.

Ce qui l'exaspérait surtout, c'était la crainte que la nation entière. poussée par sa compassion pour les orphelins et par sa haine contre lui, ne finit par découvrir qu'il n'avait jamais cessé de poursuivre ses frères de ses menées perfides. Il essaya donc de faire revenir son père sur ces projets d'alliance future, parce qu'il voyait un danger dans la nécessité de se trouver associé malgré lui avec des êtres destinés à devenir aussi puissants[8]. Hérode résista d'abord, mais vaincu par les prières d'Antipater, il fut forcé de renoncer, bien à contrecœur, aux fiançailles qu'il avait combinées. et par décider qu'Antipater épouserait la fille d'Aristobule, tandis que le fils d'Antipater deviendrait le mari de la fille de Phéroras[9].

A l'époque on se passaient les événements que nous venons de raconter, Hérode se montrait très-fidèle observateur de la coutume qui permettait aux Juifs d'avoir plusieurs femmes, car il n'en avait pas moins de neuf, vivant à la fois dans le palais : c'étaient d'abord Doris, la mère d'Antipater ; puis Mariamne, fille du grand-prêtre Simon, fils de Boëthus ; une fille de son frère (Phasaël, très-probablement), et une autre de sa sœur Salomé, toutes les deux sans enfants ; une Samaritaine, nommée Malthacé, qui lui avait donné deux fils, Antipas et Archélaüs, et une fille, nommée Olympias, qui dans la suite épousa Josèphe, neveu d'Hérode. Archélaüs et Antipas étaient élevés à Rome dans la maison d'un simple particulier. Hérode était encore le mari de Cléopâtre, femme de Jérusalem, laquelle fut mère d'Hérode et de Philippe (celui-ci était également élevé à Rome) ; de Pallas, dont il eut un fils nommé Phasaël ; et enfin de Phædra et d'Elpis qui mirent au monde chacune une fille, la première nommée Roxane, et la seconde Salomé. Quant à ses deux filles, nées de Mariamne l'Asmonéenne, que Phéroras avait successivement refusé de prendre pour femmes, il les maria, l'une à Antipater fils de sa sœur Salomé, l'autre à Phasaël fils de son frère[10].

Hérode n'avait pas cessé d'être inquiet au sujet des Trachonites, et, pour les tenir en bride, il songea à fonder au milieu de leur pays une bourgade considérable qui ne serait habitée que par des Juifs qui protégeraient ses États contre les incursions de ce peuple de bandits, et qui, toujours prêts à leur courir sus, les tiendraient facilement en respect. Ayant appris par hasard qu'un Juif babylonien nommé Zamaris, qui avait passé l'Euphrate à la tête de cinq cents archers à cheval et d'une centaine de parents, était venu avec son monde à Antioche près de Daphné et que Saturninus, gouverneur de la Syrie pour les Romains, leur avait assigné pour résidence la localité nommée Valatha, Hérode leur proposa d'entrer à son service, en leur promettant des terres situées dans la Batanée qui confine à la Trachonite, à charge par eux de faire l'office de poste avancé pour son compte ; il s'engageait en outre à exempter de tous impôts la contrée qu'il leur assignerait[11].

Alléché par ces promesses séduisantes, Zamaris, avec sa troupe, vint se fixer dans le pays qui lui était offert, et il bâtit immédiatement des postes définitifs et une bourgade à laquelle il donna le nom de Bathyra[12].

Cet homme devint le protecteur des habitants du pays et des caravanes juives qui faisaient le voyage de Babylone à Jérusalem, pour assister aux solennités religieuses. Beaucoup de gens vinrent se réfugier autour d'eux et firent du pays qu'ils habitaient une nouvelle province judaïque. Elle devint extrêmement populeuse. parce qu'on pouvait y vivre dans une sécurité complète, et sans avoir d'impôts à payer au fisc. Ces immunités subsistèrent tant que vécut Hérode ; après lui, son fils Philippe devenu souverain de cette contrée, la taxa à de petites redevances, pendant un temps assez court d'ailleurs ; mais Agrippa le Grand et son fils qui porta le même nom, en pressurèrent avidement les habitants. tout en respectant leur liberté. Les Roumains entre les mains desquels ce pays tomba, après la lin du règne d'Agrippa le jeune, eurent bien aussi la prétention de conserver à ses habitants les droits qui leur avaient été concédés, mais ils leur imposèrent des tributs onéreux[13].

Lorsque le Babylonien Zamaris mourut, après avoir fourni une vaillante carrière, il laissait des fils pleins d'activité et de bravoure, dont l'un, Iakim, se rendit célèbre par son énergie, et par son habileté pour instruire ses compatriotes dans l'art de l'équitation ; aussi les rois de race juive eurent-ils à leur service un escadron de ces hommes qui formaient leurs gardes du corps. Iakim mourut vieux, et son autorité passa à son :fils Philippe. qui ne fut ni moins brave ni moins renommé que ses pères. Il fut honoré de la confiance et de l'amitié du roi Agrippa ; il s'était chargé d'instruire l'armée de ce prince, qui, toutes les fois qu'il entreprit une campagne, eut grand soin de le mettre à la tête de ses troupes[14].

A l'époque du règne d'Hérode où nous sommes parvenus, son fils Antipater était tout-puissant ; son père en effet lui laissait la liberté de faire tout ce qu'il voulait, tant il avait fondé d'espérances sur l'affection et la fidélité de ce fils ; celui-ci s'empressa, pour asseoir plus solidement son autorité, de profiter de l'ignorance de ses crimes où il tenait son père, grâce à la confiance absolue qu'il lui avait inspirée dans ses paroles. Tout le monde le redoutait, non pas tant cause de son pouvoir, que de sa perfidie saris pareille qui n'était un secret pour personne, son père excepté. Le seul homme qui le courtisait assidument, c'était Phéroras, qui voyait en lui le futur mi ; de son côté Antipater se montrait l'ami le plus chaud de Phéroras qu'il avait enlacé dans ses filets, en se servant habilement du personnel de son harem. Phéroras, en effet, était dominé par sa femme, sa belle-mère et sa belle-sœur, bien qu'il ne leur pardonnât pas d'avoir insulté ses jeunes filles[15] ; il avait fermé les yeux cependant et il ne pouvait rien faire sans les consulter, parce qu'elles ne lui laissaient aucune liberté d'action. Elles s'entraidaient en toutes choses, avec l'entente la plus parfaite, et Antipater vivait avec elles dans la plus grande intimité, qu'il s'était créée, tant par son influence personnelle, que par celle de sa mère ; car ces quatre femmes n'avaient, qu'une seule et n'élite manière de voir et de parler.

Phéroras et Antipater se brouillèrent cependant, pour une cause sans grande importance. Salomé, sœur du Roi, qui depuis longtemps connaissait ces relations, s'efforça de les rompre ; elle les croyait nuisibles aux intérêts d'Hérode, et elle n'hésita pas à les lui dévoiler. Celui-ci laissa voir que ces liaisons lui déplaisaient et les quatre amies prirent le parti de ne plus se réunir qu'en secret, et de feindre, à l'occasion, des dissentiments et des haines réciproques qu'elles manifestaient à l'envi, surtout en présence du Roi, et toutes les fois qu'elles se rencontraient devant quelqu'un capable de lui rapporter ce qu'il avait vu et entendu. Tout cela ne devait pas les empêcher d'être en cachette plus unies que jamais. Ce plan de conduite fut aussitôt suivi qu'adopté par elles ; mais Salomé devina sans peine ce nouveau manège. Elle épia si bien toutes leurs actions qu'elle fut bientôt en mesure de révéler à son frère[16], ces réunions occultes dont la culpabilité était devenue plus grave encore ; car puisque ces festins et ces assemblées étaient secrets, ils étaient répréhensibles. se disait-elle ; s'ils étaient inoffensifs en réalité, à quoi bon en faire mystère ? Il lui semblait donc évident que tous ces personnages qui, en publie, ne cessaient d'échanger des injures, et qui, dès qu'ils s'étaient soustraits aux regards indiscrets, s'adoraient et se livraient à tous les épanchements de la tendresse, devaient être bien près de conspirer contre ceux à qui ils cachaient avec tant de soin leur affection mutuelle. Elle espionnait donc sans relâche, et quand elle se trouvait avec son frère, elle lui faisait part, dans le plus grand détail, de ce qu'elle avait découvert. Hérode qui, de son côté, ne se faisait pas faute d'employer les mêmes moyens pour savoir cc qui se passait autour de lui, Hérode connaissait d'avance beaucoup des faits que sa sœur espérait être la première à lui apprendre ; il savait, par expérience, que les propos de sa sœur ne devaient jamais être acceptés sans contrôle ; il usait donc de sa propre police pour se procurer ce contrôle.

Il y avait, dans le sein de la nation juive, une secte qui faisait profession de connaitre à fond et d'observer strictement les lois des ancêtres, qui se prétendait chérie de Dieu et à laquelle le harem de Phéroras était entièrement dévoué. C'était la secte des Pharisiens dont nous nous sommes longuement occupés déjà Ces Pharisiens constamment disposés à tenir tête aux rois du pays, étaient prudents, mais toujours prêts à guerroyer ouvertement contre eux, et à leur faire du mal. Lorsque toute la nation juive dut prêter serinent de fidélité aux Romains et au Roi, les Pharisiens refusèrent le serinent, au nombre de plus de six mille. Hérode les mit alors à l'amende, et la femme de Phéroras en paya pour eux le montant. Pour lui témoigner leur gratitude, comme on avait la simplicité de les croire doués du don de prophétie, ils lui prédirent qu'Hérode et sa descendance perdraient la couronne par la volonté divine, et que cette couronne lui reviendrait à elle et à Phéroras, ainsi qu'à leurs enfants. Salomé à qui tout cela fut rapporté, se hâta d'aller le redire au Roi, en lui dénonçant un certain nombre de courtisans qui s'étaient laissé suborner. Hérode, tout vieux qu'il était, n'avait rien perdu de son humeur expéditive ; les principaux membres de la secte des Pharisiens furent sans délai mis mort, avec l'eunuque Bagoas, et un certain Carus qui passait pour le plus beau jeune homme de son temps et qui était l'odieux objet de la passion du Roi. Il en fit autant pour tous ceux des membres de sa famille qui avaient accepté et répété les prédictions des Pharisiens. Ils avaient exalté ce Bagous, en prédisant qu'il recevrait le titre de père et de bienfaiteur de celui à qui la royauté était réservée par le destin ; que ce roi deviendrait le maître de toutes choses, et que lui, Bagoas, retrouverait la faculté de se marier et de procréer des enfants[17].

Véritablement on ne sait s'il faut plus s'étonner de la crédulité qui accueillait toutes ces inepties, que de la dégradation des mœurs que nous font apprécier quelques traits du honteux tableau que nous venons de tracer.

Après s'être vengé, par l'office du bourreau, des Pharisiens suspects, Hérode convoqua ses amis et accusa devant eux la femme de Phéroras, lui imputant, comme autant de crimes, l'outrage subi par les jeunes filles de Phéroras[18] ; le préjudice qu'elle lui avait causé, à lui Hérode, en s'efforçant de faire naître la discorde entre lui et son frère, et en les excitant de tout son pouvoir à la haine réciproque, tant par ses actes que par ses paroles ; le soin qu'elle avait pris de s'obérer pour solder une amende qu'il avait imposée à d'autres, comme une juste punition ; enfin sa manie de se mêler de tout. Il conclut en s'adressant directement à Phéroras et en lui disant : Tu feras bien de ne pas te borner à céder à mes avis et à mes prières, mais de comprendre spontanément que tu dois chasser cette femme qui infailliblement réussira à faire de nous deux ennemis. Si tu tiens à rester un frère pour moi, répudie une pareille épouse ; en agissant ainsi, tu pourras compter sur ma tendresse fraternelle. Phéroras, quelque ému qu'il fût par ces paroles, dit nettement qu'il ne se séparerait jamais de son frère, mais qu'il ne pouvait pas cesser de chérir sa femme, et qu'il aimait mieux mourir, que de vivre sans la compagne qu'il adorait. Hérode, offensé, par cette réponse décidée, ne pardonna pas à Phéroras. Il défendit expressément à Antipater et à sa mère d'avoir aucun rapport avec Phéroras, et il chargea Antipater lui-même de veiller à ce que les femmes ne pussent plus se voir. Tous les deux promirent immédiatement d'obéir, ce qui n'empêcha pas leurs réunions de se renouveler, ainsi que les parties de débauche de Phéroras et d'Antipater[19] ! Bien plus, le bruit se répandit qu'Antipater était l'amant de la femme de Phéroras, et que c'était sa mère Doris qui facilitait leurs entrevues[20].

Antipater, qui se méfiait de son père et qui craignait que son animosité contre lui ne prit de plus grandes proportions, se lita d'écrire à ses amis de Rome, pour les prier de conseiller à Hérode de l'envoyer le plus vite possible auprès d'Auguste. La chose réussit à souhait et Hérode fit partir pour Rome son fils Antipater, porteur de magnifiques présents et de son testament par lequel il léguait la couronne à Antipater, et, dans le cas où celui-ci viendrait à prédécéder, à Hérode, le fils qui lui était né de son mariage avec Mariamne, fille du grand-prêtre Simon[21].

Au moment où le fils d'Hérode partait pour l'Italie, l'Arabe Syllæus, qui n'avait rien fait de ce qu'Auguste lui avait imposé, se mettait en route de son côté. Dès qu'ils furent à Rome tous les deux, Antipater fit comparaître Syllæus devant Auguste, en renouvelant toutes les accusations que Nicolas avait déjà lancées contre lui. De son côté, Arétas l'accusait d'avoir, sans son ordre, fait périr à Pétra beaucoup de personnages du plus haut rang et entre autres Soëm qui était l'homme le plus digne de respect, à cause de ses chastes vertus, et Fabatus, procurateur d'Auguste[22]. Voici sur quels chefs d'accusation nouveaux Syllæus était cité devant Auguste :

Parmi les gardes du corps d'Hérode se trouvait un certain Corinthus, dans la fidélité duquel le Roi avait une entière confiance. Syllæus, à force d'or, parvint à lui persuader d'assassiner son maître, et Corinthus n'attendit plus que l'occasion de frapper. Une indiscrétion de Syllæus lui-même ayant révélé ce complot à Fabatus, celui-ci s'empressa d'en avertir Hérode, qui donna l'ordre d'arrêter Corinthus à l'instant et de l'appliquer à la torture. Le malheureux avoua tout. Sur les renseignements qui lui furent arrachés, deux Arabes furent immédiatement appréhendés au corps. L'un était scheik d'une tribu, et l'autre ami de Syllæus. Tous les deux subirent la question devant le Roi, et ils avouèrent qu'ils étaient venus à Jérusalem pour exhorter Corinthus à ne pas faiblir, lui promettant, dans le cas où cela serait, nécessaire, de lui prêter main-forte.

Tous ces faits furent dénoncés par Hérode à Saturninus, qui se hâta d'envoyer les coupables Rome[23].

Quant à Phéroras, la constance de son amour pour sa femme fut payée par l'ordre de se rendre dans sa tétrarchie. En partant, il jura, a plusieurs reprises, qu'il ne reviendrait jamais tant qu'Hérode serait vivant. et il se retira dans ses États, sans faire l'ombre de résistance. Il en résulta qu'un peu plus tard, lorsque le Roi moribond le fit supplier d'accourir auprès de lui, afin de recueillir ses dernières volontés, il s'y refusa obstinément, pour ne pas manquer à son serment. Il faut dire qu'Hérode montra moins de ressentiment contre son frère ; car lorsque l'hérons tomba malade, le Roi, sans être appelé par lui, s'empressa d'aller le visiter. Lorsqu'il eut succombé, il fit apporter à Jérusalem sa dépouille mortelle, lui lit de splendides funérailles et édicta un deuil public. La mort de Phéroras devint pour Antipater, qui était toujours Rome, l'origine de ses malheurs, et il sembla que la Providence se décidât enfin à lui faire subir le juste châtiment de son fratricide[24].

Aussitôt que les derniers devoirs eurent été rendus à  Phéroras, deux de ses affranchis qu'il affectionnait se présentèrent devant Hérode, le suppliant de ne pas laisser impunie la mort de son frère, et, d'ordonner une enquête sévère sur cette fin si prompte et si malheureuse. Le Roi, à qui la contenance de ces deux hommes paraissait commander la confiance, leur enjoignit de s'expliquer et ils lui dirent que la veille du jour où il était tombé malade, Phéroras avait dîné dans l'appartement de sa femme ; qu'il y avait pris une drogue servie dans un mets extraordinaire et qu'il en était mort ; que cette drogue avait été apportée par une femme arabe, comme un philtre amoureux, mais qu'en réalité c'était du poison. Les femmes arabes, ajoutaient-ils, étaient de très-habiles empoisonneuses, et celle qu'ils accusaient ainsi était, au su de tous, l'amie la plus dévouée de Syllæus. La mère et la belle-sœur de Phéroras étaient allées chercher cette femme, pour obtenir d'elle la drogue en question ; au retour elles l'avaient ramenée avec elles, et elles étaient rentrées juste la veille de ce repas fatal[25].

Hérode, exaspéré par cette dénonciation, fit appliquer à la torture les esclaves des femmes incriminées, et même quelques affranchies. Pas une d'elles n'avait fait le moindre aveu, lorsqu'une pauvre créature, vaincue par la douleur, s'écria qu'elle demandait en grâce à Dieu, maître du ciel et de la terre, de réserver de pareils tourments à la mère d'Antipater, qui était l'auteur de tous leurs maux. Ces paroles mirent Hérode sur la voie, et en continuant de torturer ces infortunées, il eut bientôt tout découvert, et les festins, et les réunions secrètes[26], et la connaissance qu'avait la femme de Phéroras de certaines paroles qu'il n'avait prononcées que devant Antipater — entre autres choses, il lui avait défendu de parler d'une somme de cent talents dont il lui ferait don, afin d'obtenir de lui de couper court à toute relation avec Phéroras[27] —, et la haine qu'Antipater avait vouée à son père, et ses lamentations à sa mère, sur la durée de la vie du Roi qui ne voulait pas mourir, tandis qu'il vieillissait lui-même, de telle sorte que, quand il monterait sur le trône, ce ne serait plus un vrai bonheur pour lui. Il sut ainsi que son fils se plaignait encore de ce qu'il avait une foule de frères et de neveux, qui étaient élevés, aussi bien que lui, avec des aspirations à la royauté, ce qui rendait ses propres espérances douteuses, surtout maintenant que, s'il lui arrivait malheur, ce serait son frère et non son fils qui, par la volonté d'Hérode, lui succéderait ; qu'il n'avait pas honte, le misérable, de déplorer la cruauté de son père et le meurtre de ses frères, et qu'il concluait en disant que, par précaution, ils feraient bien de se réfugier, lui à Rome, et Phéroras dans sa tétrarchie de la Pérée[28].

Toutes ces révélations s'accordaient parfaitement avec ce qu'Hérode avait appris par sa sœur, et elles contribuèrent puissamment à disculper à ses yeux les femmes du harem de Phéroras. Le Roi se prit donc subitement d'amitié pour elles, et convaincu désormais de la perfidie d'Antipater et de la complicité de sa mère Doris, il dépouilla celle-ci de son apanage et l'expulsa du palais[29]. Celui qui surtout exaspéra Hérode contre son fils, fut un certain Antipater, Samaritain d'origine et intendant du jeune prince ; appliqué à la torture comme les autres serviteurs, entre beaucoup de choses graves dont les douleurs lui arrachèrent l'aveu, il déclara qu'Antipater avait préparé un breuvage empoisonné qu'il avait remis

Phéroras, en lui recommandant de le faire prendre au Roi son père, pendant que lui Antipater serait absent, afin qu'aucun soupçon ne pût peser sur lui ; que ce poison avait été apporté d'Égypte par Antiphile, ami du prince, et envoyé à Phéroras par Theudion, frère de Doris, mère d'Antipater, et qu'ensuite il était arrivé entre les mains de la femme de Phéroras, que celui-ci avait chargée de le garder avec soin. Interrogée sur l'heure, la femme de Phéroras confessa que le fait était vrai, et sous prétexte d'aller chercher le poison, elle monta en toute hâte sur la terrasse et se précipita du haut en bas ; mais elle tomba sur ses pieds et ne se tua pas du coup. Après cette tentative de suicide, la malheureuse femme fut rapportée évanouie, entourée de soins par Hérode lui-moine, qui lui promit sa grâce et celle de toutes les femmes de sa maison, à la condition qu'elle ne lui cacherait rien, mais qui la menaça au contraire des plus affreux traitements si elle s'obstinait à taire la vérité[30]. Elle jura de révéler tout ce qui s'était passé ; elle tint parole, et l'on regarde connue certain qu'elle fut sincère. Voici donc en quels termes elle fit les aveux que le Roi exigeait d'elle : Le poison a été apporté d'Égypte par Antiphile qui l'a fait préparer par son frère qui est médecin. Ce poison, que Phéroras m'a fait remettre par Theudion, t'était destiné par ton fils Antipater. Lorsque Phéroras est tombé malade et que tu es accouru spontanément à son chevet, il a été si vivement touché de cette preuve d'affection, qu'il m'a fait appeler aussitôt et m'a dit : Femme, Antipater m'a séduit par ses belles paroles, lui qui nourrit les plus abominables projets contre la vie de son père, contre celui qui se montre un si bon frère pour moi, lui enfin qui s'est procuré le poison destiné à Hérode. Maintenant que celui-ci vient de me prouver qu'il n'a rien perdu de ses sentiments fraternels, maintenant que je sens la mort qui approche, va, et pour que je ne fasse pas horreur à mes aïeux, par un fratricide que je déteste, apporte ce poison et jette-le au feu devant moi. — J'ai fait ce que mon mari m'ordonnait. Je l'ai fait sans hésiter ; j'ai jeté dans les Ranimes la plus grande partie de ce breuvage empoisonné ; mais j'en ai conservé un peu pour moi-même, à parce que j'étais résolue à me donner la mort, dans le cas où, lorsque Phéroras aurait quitté ce monde, tu me traiterais trop durement, afin de me réfugier dans le trépas, contre une vie trop malheureuse[31]. A ces mots, elle livra au Roi la pyxide (sorte de petit vase à couvercle) dans laquelle était le poison. La torture fut immédiatement appliquée au frère et à la mère d'Antiphile ; tous les deux, vaincus par la douleur, confessèrent la vérité de tout ce que venait de dire la femme de Phéroras et déclarèrent reconnaitre la pyxide. Cette enquête fit en outre constater que Mariamme, femme du Roi et fille du grand-prêtre Simon, avait eu connaissance de ce complot sur lequel elle avait gardé le silence[32]. Hérode, indigné, la répudia sur l'heure, et effaça de son testament le nom du fils qu'il avait eu d'elle, et auquel il avait légué conditionnellement la couronne ; de plus, il dépouilla du souverain pontificat son beau-père Simon, fils de Boëthus, et transmit cette dignité au fils de Théophile, Matthias, qui était Hiérosolomytain d'origine[33].

Pendant que tous ces faits s'accomplissaient, Bathyllus, affranchi d'Antipater, arrivait de Rome ; arrêté sur-le-champ et soumis à la question, il avoua qu'il apportait du poison qu'il devait remettre entre les mains de Doris et de Phéroras, pour qu'ils en fissent usage contre le Roi, dans le cas où le premier n'aurait pas été assez énergique. En même temps arrivaient aussi de Rome des lettres des amis d'Hérode, écrites à la prière d'Antipater, et qui dénonçaient Archélaüs et Philippe comme ayant blâmé ouvertement leur père du sort infligé à leurs frères Alexandre et Aristobule ; ces lettres les accusaient de se montrer indignés du traitement que ceux-ci avaient subi, et de répéter qu'ils n'étaient rappelés par leur père — ils l'étaient effectivement et cela ne laissait pas d'inquiéter Antipater — que pour être mis semblablement à mort. A force de présents, Antipater avait obtenu des amis romains d'Hérode cette dénonciation lâche et calomnieuse, qui devait le débarrasser de ces nouveaux compétiteurs[34].

Quelles tueurs, bon Dieu ! et quels amis !

Du reste Antipater ne s'était pus contenté d'acheter à prix d'argent ces abominables dépêches ; il écrivait de sa propre main à son père, pour charger les deux princes des plus odieuses incriminations ; mais il avait soin, en n'élue temps, de les excuser avec insistance, et d'attribuer ces actes coupables à leur jeunesse seule. On le voit, le digne fils aîné d'Hérode n'était pas fourbe à demi[35]

Au moment où cette lettre partait de Rome, Antipater, poursuivant le procès entamé contre Syllæus, s'efforçait de suborner les grands personnages de Rome, qu'il comblait de présents dont le prix dépassa deux cents talents.

On serait en droit de s'étonner que pendant sept mois entiers[36], Antipater ait absolument ignoré tout ce qui se tramait contre lui, dans la Judée, si nous ne disions que toutes les routes étaient surveillées avec le plus grand soin, et si nous ne nous rappelions la haine sans pareille que tout le monde portait à ce monstre. Il n'y avait plus dans la nation juive un seul homme qui consentit à s'exposer au moindre danger pour le sauver[37].

Hérode répondit exactement la lettre par laquelle Antipater lui annonçait qu'il s'empresserait de revenir à Jérusalem, aussitôt que toutes les affaires dont il était chargé seraient convenablement terminées. Il ne traça pas un seul mot qui pût trahir sa fureur ; loin de là, il priait en grâce son fils bien-aimé de se hâter, afin que rien de grave ne pût lui arriver en son absence. Il formulait bien quelques plaintes sur le compte de sa mère, mais il lui promettait de tout oublier, le jour où il serait lui-même rendu à sa tendresse ; en un mot, tout, dans cette lettre perfide, respirait l'amour le plus vif, afin qu'Antipater ne pût concevoir un soupçon qui le retiendrait à Rome et lui permettrait ainsi de conspirer avec succès contre lui, ou tout au moins de lui échapper.

Cette dépêche paternelle rejoignit Antipater en Cilicie ; c'était à Tarente qu'il avait reçu celle qui lui annonçait la mort de Phéroras. Cette mort l'affligea, non pas, en vérité, par tendresse pour le défunt ; mais parce que celui-ci s'était éteint avant de l'avoir débarrassé de son père, comme il s'était engagé à le faire. Lorsqu'il fut arrivé à Celenderis, ville de Cilicie, Antipater commença à hésiter ; le renvoi de sa nièce lui donnait à penser, au moins autant qu'il l'irritait, et il se demandait avec anxiété s'il était prudent de retourner à Jérusalem. Dans son entourage, les uns lui conseillaient d'attendre, n'importe où, l'issue de ces événements imprévus ; les autres le poussaient à faire diligence pour rentrer au plus vite, parce que son arrivée dissiperait infailliblement l'orage que ses ennemis, profitant de son absence, avaient attiré sur sa tête. Ce fut ce dernier avis qui prévalut, et Antipater s'embarqua pour Sébasté, ce port magnifique qu'Hérode avait construit à si grands frais en l'honneur d'Auguste, dont il lui avait imposé le nom[38]. En débarquant, Antipater put s'apercevoir que la fortune l'avait abandonné, car personne ne vint au-devant de lui, personne ne lui souhaita la bienvenue. Les hommages dont il avait été comblé à son départ, les vœux qui avaient salué ce départ, tout cela avait disparu, et en échange maintenant, on lui jetait librement des malédictions à la face, comme s'il venait chercher le juste châtiment du meurtre de ses frères. La fuite était désormais impossible, il ne lui restait plus qu'à payer d'audace[39].

Quintilius Varus[40], successeur de Saturninus en Syrie, était en ce moment à Jérusalem ; il y était venu à la prière d'Hérode, pour l'aider de ses conseils dans les circonstances présentes. Pendant que le Romain et le Roi étaient en conférence, survint Antipater ignorant encore le sort qui l'attendait.

Revêtu de la robe de pourpre, il se présente au palais où les gardes des portes le laissent pénétrer, en interdisant le passage aux amis qui lui font escorte. Le prince se trouble et commence à deviner ce qui le menace. Il va cependant pour saluer son père ; celui-ci le repousse en détournant la tête : Arrière, parricide, lui crie-t-il ; ne me touche pas, avant d'avoir prouvé que tu n'es pas un monstre. Varus est là, et tu seras jugé demain par lui. Va-t-en, je te laisse le temps de préparer ta défense. Sous le coup de foudre qui le frappe, Antipater épouvanté se retire en chancelant.

Sa mère et sa femme accoururent au-devant de lui. — Sa femme était la fille du malheureux Antigone, qui perdit le trône avec la vie, pour faire place à Hérode. — Elles lui apprirent tout, et le coupable ne songea plus qu'à chercher les moyens de se disculper[41].

Dès le lendemain, en effet, Varus et Hérode siégeaient à la tête d'un tribunal composé des amis que chacun de ces personnages avait convoqués, et des membres de la famille royale, parmi lesquels se trouvait Salomé, sœur du Roi. On avait assigné à comparaitre tous ceux qui avaient quelque révélation à faire, ceux «qui avaient été appliqués à la question. et les serviteurs de la mère d'Antipater, arrêtés peu de temps avant l'arrivée du prince, et qui avaient été trouvés porteurs de lettres ainsi conçues : Garde-toi de revenir ; ton père sait tout ; il ne te reste qu'un asile : réfugie-toi auprès d'Auguste, si tu ne veux tomber avec moi entre les mains de ton père.

Antipater se jeta aux pieds d'Hérode, en le suppliant de ne pas le condamner d'avance, mais bien de l'écouter en père qui veut rester juste et calme[42]. Hérode lui ordonna d'aller se placer au centre de l'assemblée et prit la parole. S'adressant à Varus, il commença par déplorer le triste sort que lui avaient fait ses enfants. et qui, après l'avoir abreuvé des plus affreuses amertumes, le jetait enfin, vieillard infortuné, en pâture à la perversité d'Antipater ; il rappela tous les sacrifices qu'il n'avait cessé de faire pour leur procurer la plus brillante éducation physique et morale, les sommes énormes dont il les avait gratifiés, en prévenant toujours leurs désirs. Rien n'avait pu le soustraire à leurs infâmes complots qui n'avaient cessé de mettre sa vie en péril, afin qu'ils pussent se saisir d'une royauté que sa mort, trop lente à venir, à leur gré, leur faisait si longtemps attendre. Il ne pouvait s'expliquer ni l'espérance, ni l'audace qui avaient poussé Antipater à concevoir résolument un si grand crime. Dans mon testament, ajouta-t-il, il était désigné comme mon successeur ; moi vivant, il jouissait de tous mes honneurs, il partageait tout mon pouvoir. Je lui avais assigné un revenu annuel de cinquante talents, et, à son départ pour Rome, je lui avais donné, pour les frais de son voyage, la somme énorme de trois cents talents. Puis, interpellant son fils. C'est toi qui as accusé tes frères ; s'ils étaient coupables, tu as fait pis qu'eux ; s'ils étaient innocents, tu es un monstre de les avoir fait paraître coupables à mes yeux. De tous les griefs qui leur ont été imputés, à ces malheureux enfants, il n'y en a pas un seul qui n'ait été révélé par toi. En dehors de toi, je n'ai par moi-même rien trouvé contre eux, rien ! et le châtiment qu'ils ont souffert c'est à ton instigation, c'est poussé par toi seul, que je le leur ai infligé. Aujourd'hui, ils sont innocentés par toi-même, parricide ![43]

En prononçant ces paroles, Hérode fondit en larmes et il ne put continuer. Alors Nicolas de Damas, qui était l'ami et le conseiller intime du Roi, se chargea de parler à sa place, d'achever ce terrible réquisitoire, et de développer toutes les charges qui s'élevaient contre Antipater.

Antipater le prévint et entreprit immédiatement de se défendre ; se tournant vers son père, devant lequel il était prosterné, il se luit à énumérer toutes les preuves de tendresse dont Hérode l'avait comblé, tous les honneurs qu'il lui avait attribués et qu'il n'eût certes jamais obtenus, s'il ne s'en fût montré digne par sa piété filiale. Il protesta de l'extrême soin avec lequel il avait constamment pourvu à tout ce qui exigeait de la prévoyance, en n'épargnant jamais sa peine, pour tout voir et pour tout faire par lui-même. Il s'efforça de faire ressortir l'invraisemblance du fait que celui qui avait sauvé son père des complots d'autrui, se serait mis à conspirer lui-même, et aurait effacé l'énergie avec laquelle il avait poursuivi les coupables, par une perversité capable de concevoir un si grand crime, surtout quand, depuis longtemps déjà, il était l'héritier déclaré du tune, sans qu'il y eut opposition de la part de qui que ce fia, et qu'il était entré en partage des honneurs suprêmes dont il était revêtu ; qu'il était insensé de supposer que celui qui possédait la moitié de la royauté, et cela sans danger, mais non sans dignité, s'efforçât d'usurper à tout, par des moyens influes et pleins de périls, puisque le succès était plus que douteux et que, d'ailleurs, il avait présent à la mémoire le sort funeste de ses frères, auxquels il avait lui-même arraché leurs masques, de ses frères dont il s'était fait le dénonciateur et l'accusateur, de ses frères enfin, dont il avait réclamé le châtiment, lorsqu'il les avait vus convaincus de conspirer contre la vie de leur père. Il ajouta que les haines qu'il avait soulevées contre lui dans le palais prouvaient mieux que tout le reste sa fidélité et sa pieuse tendresse pour son père. Quant à la conduite qu'il avait tenue pendant son séjour à Rome, César en avait été le témoin constant, César, qu'il était aussi difficile de tromper et de jouer, que de tromper Dieu lui-même ; que les lettres qu'il avait écrites étaient autant de preuves de sa sincérité, et qu'il était souverainement injuste de leur préférer les calomnies des misérables qui n'avaient d'autre but que de fomenter des dissensions et des révolutions, et qui avaient habilement profité de son absence pour ourdir leurs abominables trames ; car, lui présent, ils n'en eussent jamais eu le loisir.

Il parla ensuite des aveux arrachés par la torture et en fit ressortir le peu de valeur. N'était-il pas évident que l'homme soumis à des douleurs atroces était forcément porté à mentir, pour s'y soustraire, et à confesser tout ce qui pouvait faire plaisir à ses bourreaux ? Il termina en disant qu'il était prêt, lui aussi, à subir la torture[44].

Ces adroites paroles avaient fait impression sur le conseil tout entier ; on se sentait pris de pitié pour Antipater dont les traits décomposés étaient inondés de larmes ; Hérode lui-même était visiblement ému, bien qu'il s'efforçât de dissimuler son émotion ; Nicolas prit alors la parole et continua, avec bien plus de véhémence, le réquisitoire qu'Hérode s'était vu forcé d'interrompre. L'habile rhéteur groupa avec art tous les chefs d'accusation puisés dans les dépositions des témoins, et dans les aveux obtenus par la torture. Il fit surtout ressortir avec éclat les mérites du Roi, les soins minutieux qu'il avait apportés à l'éducation de ses fils, et dont il n'avait recueilli d'autre fruit que de tomber d'une calamité dans une autre. Il ne s'étonnait pas autant, du reste, des actes téméraires des premiers fils d'Hérode, car ils étaient bien jeunes, et ils avaient cédé aux mauvais conseils de leurs familiers qui les poussaient à aspirer à la souveraine puissance et déplorer les lois de la nature qui ne leur permettaient pas d'en jouir assez vite à leur gré. Mais, pour lui. la scélératesse d'Antipater était un sujet d'épouvante. Les bienfaits infinis de son père n'avaient pu le désarmer ; il s'était montré pire que le plus venimeux des reptiles. et encore croit-on que les reptiles peuvent km sensibles aux bons traitements ; mais lui, ce fils indigne, l'exemple déplorable de ses frères n'avait pu le détourner de les imiter et de se montrer mille fois plus endurci qu'eux dans le crime.

Arrivé à ce point de son plaidoyer, Nicolas, interpellant directement le coupable, s'écria : Toi-même, Antipater, tu as été le dénonciateur du méfait de tes frères ; c'est toi qui en as fourni les preuves ; c'est toi qui as exigé leur mort ; je ne te fais pas un crime d'avoir assouvi sur eux ta fureur, mais j'admire la promptitude avec laquelle tu as imité et surpassé leur méchanceté. Cela seul te démasque à nos yeux ! Tu voulais perdre tes frères, bien plus que veiller sur les jours de ton père ; en les poursuivant avec l'acharnement que tu y as mis, tu comptais bien te faire passer pour le fils le plus tendre, et puiser dans la confiance que tu inspirerais ainsi, plus de force et plus d'adresse pour accomplir ton œuvre ; voilà ce qui ressort des faits. En te débarrassant de tes frères, à l'aide des accusations que tu avais dirigées contre eux, sans faire connaître leurs complices, tu as trop bien laissé voir que tu t'étais entendu avec ceux-ci avant de formuler tes accusations, probablement pour garder pour toi seul le mérite du parricide, et pour te procurer la double volupté, bien digne de ton cœur, d'assassiner tes frères à la face du monde et de pouvoir te glorifier sans vergogne de ce crime odieux, comme d'une œuvre pie et digne d'éloges ! Misérable ! Tu vaux moins que tes victimes, toi qui as conspiré en secret contre la vie de ton père, car tu ne haïssais pas tes frères pour l'attentat qu'ils avaient prémédité ; s'il en eût été ainsi, tu ne te fusses pas rendu coupable du même crime ; tu les poursuivais d'une haine implacable, parce qu'ils étaient plus dignes que toi de la couronne. Tes frères morts, tu as voulu envoyer ton père les rejoindre dans la tombe, pour échapper au danger qui menaçait ta tête, pour que tes infâmes machinations n'éclatassent pas bientôt au grand jour, pour infliger enfin à ton père infortuné le supplice que tu n'avais que trop bien mérité. Tu ne te contentais pas d'un parricide vulgaire, toi qui en as inventé une nouvelle espèce, inconnue encore au genre humain ! Il ne t'a pas suffi, à toi, de tramer la mort de ton père, il t'a fallu qu'il fût pour toi le plus aimant des pères, qu'il te comblât de ses bienfaits, qu'il te fit partager avec lui les prérogatives de la toute-puissance, qu'il te désignât pour son héritier présomptif ; il a fallu que tu jouisses d'avance de l'ivresse du pouvoir, libre de toute entrave et assuré de sa possession future, par la volonté écrite de ton père lui« même. Ce n'est pas à la bonté d'Hérode, c'est à la perversité de ton cœur, que tu as mesuré tes actes, ne songeant qu'à arracher au père le plus indulgent la part de royauté qui lui restait ; et tu as dirigé tous tes efforts vers le meurtre de celui dont tu prétendais te faire appeler le sauveur. Puis, comme si c'était trop peu encore d'être toi« même un influe, tu as rendu ta mère complice de tes abominables complots et tu as déchiré la concorde qui liait tes frères entre eux. Que dirai-je de plus ? Tu as osé traiter ton père de bête féroce ! toi qui surpasses en férocité les reptiles les plus dangereux, toi qui as infiltré ton venin dans le cœur de tes proches et de tes bienfaiteurs, subornant les satellites, ameutant les hommes et les femmes contre un vieillard, comme si ton cœur, tout entier à la haine la plus criminelle, ne suffisait pas pour exécuter les crimes qu'il avait conçus ! Et maintenant, tu oses le montrer ici, en face de toutes ces victimes de la torture subie à cause de toi seul, hommes libres et esclaves, hommes et femmes ; après tant d'aveux obtenus de tes complices, tu oses lutter contre la vérité ! C'est si peu de chose, n'est-ce pas, d'avoir voulu arracher à ton père les jours de vie qui lui restent ? Espères-tu éluder la loi, l'équité de Varus, et la force même de la justice ? Tu as donc bien confiance en ton audace et en ton impudence, toi qui invoques la torture pour toi-même, après avoir rejeté comme sans valeur tous les aveux obtenus par ce moyen ? de sorte, n'est-ce pas, que ceux qui ont voulu le salut de ton père sont des menteurs, et qu'il ne faut ajouter foi qu'aux paroles que tu proféreras au milieu des douleurs, toi, son assassin !

Nicolas, se tournant alors vers Varus, lui dit : Quand délivreras-tu le Roi des crimes de sa famille ? Quand démentiras-tu ce monstre qui s'est servi du masque de l'amour filial pour égorger ses frères, et qui, aussitôt après, lorsqu'il s'est vu le seul héritier de la Royauté, et à bien bref délai, sans doute, n'a plus pensé qu'à trancher les jours de son père ? Tu le sais, Varus, le parricide, pour le genre humain tout entier, est le plus affreux des crimes ; le préméditer n'est pas un crime moindre ; celui qui ne le punit pas, trahit les lois mêmes de la nature[45].

Après ces apostrophes véhémentes, Nicolas parla de la mère d'Antipater. Il énuméra tout ce que l'on avait recueilli de ses bavardages féminins : les consultations de devins et les sacrifices qu'elle avait offerts, pour vouer le Roi son époux à la mort, toutes les infamies qu'Antipater, ivre de vice et de luxure, avait commises avec les femmes de Phéroras ; il rappela ensuite tout ce que les tortures et les dépositions des témoins avaient fait découvrir.

Il y avait beaucoup de ces renseignements et de diverse nature, les uns spontanément apportés, les autres obtenus par la force, et dont la confirmation ne s'était pas fait attendre. Quelques hommes en effet, craignant qu'Antipater, s'il échappait au danger qui le menaçait, ne leur fit payer chèrement leurs révélations, avaient d'abord gardé un silence prudent ; mais lorsqu'ils virent le prince fortement compromis par les premiers aveux faits contre lui, lorsqu'ils furent rassurés par le revirement de la fortune qui le livrait enfin à ses ennemis. animés contre lui d'une haine implacable, ces hommes finirent par tout avouer à leur tour. Antipater succomba donc, non-seulement sous l'inimitié de ceux qui l'avaient accusé les premiers, mais encore sous l'énormité et l'audace des crimes qu'il avait osé concevoir, sous le poids de la haine dont il avait poursuivi et son père et ses frères. C'était par lui seul que le palais avait été rempli de ressentiment et de sang ; il succomba parce qu'il n'avait écouté que sa haine, et n'avait payé, que de l'ingratitude la plus noire les affections qu'on lui portait, et cela dans l'unique but de faire triompher son ambition effrénée. Bien des gens, depuis longtemps, avaient observé sa conduite ; parmi eux, tous ceux qui étaient le mieux en position d'apprécier les faits vinrent sans colère les confirmer, et plus ils avaient été jusque-là dans l'impossibilité de se plaindre, plus ils mirent d'empressement à révéler tout ce qu'ils savaient, aussitôt qu'ils pensèrent pouvoir le faire sans danger.

De tous côtés arrivèrent les témoignages sur les crimes imputés à Antipater, et ces témoignages ne purent être ni rétorqués, ni tenus pour suspects. En effet la plupart de ceux qui les apportaient ne le faisaient en aucune façon pour plaire à Hérode ; il n'était pas possible d'ailleurs de leur faire un grave reproche d'avoir, en se taisant jusque-là, cédé à une peur trop justifiée ; tous parlaient maintenant parce que les crimes d'Antipater leur faisaient horreur ; tous déclaraient qu'il fallait le mettre à mort, non pas tant pour la sécurité de son père, que pour le punir de sa perversité. Beaucoup de faits, ainsi que nous l'avons déjà dit, furent dévoilés spontanément par des gens que l'on ne songeait pis à interroger, de sorte que l'accusé, quelque habile menteur qu'il fia et malgré, son front d'airain, ne trouva rien à répondre.

Lorsque Nicolas eût fini de parler et de fournir les preuves de tout ce qu'il avait avancé, Varus ordonna à Antipater de commencer sa défense, s'il était en son pouvoir de démontrer que les accusations qui pesaient sur lui n'avaient pas la réalité qu'on leur prêtait. Il ajouta qu'il désirait ardemment qu'il lui fût possible de se disculper, et qu'il savait, à n'en pouvoir douter, que son père partageait ce sentiment.

Antipater se jeta alors la face contre terre, appelant Dieu et tout le monde à témoin de son innocence, suppliant le Tout-Puissant de faire éclater par des signes manifestes l'injustice des accusations que l'on avait portées contre lui.

C'est assez l'habitude des hommes sans cœur, lorsqu'ils conçoivent un crime, de nier que Dieu se préoccupe des actions des hommes et de passer outre. Mais se sentent-ils pris et menacés par une sentence méritée, ils s'empressent alors d'invoquer Dieu et de lui demander leur justification. C'est là précisément ce que fit Antipater. Après s'être souillé de tous les crimes, comme s'il n'y avait pas de Providence sur la terre, dès qu'il vit le supplice se dresser devant lui, de quelque côté qu'il se tournât, dès qu'il comprit que tous les moyens de défense lui échappaient, il invoqua à grands cris la puissance divine, attestant qu'il convenait à sa justice éternelle qu'il conservât, la vie, pour montrer tout ce qu'il était capable de faire, à l'instant m'eue, pour assurer le salut de son père[46]

Alors Varus, qui, pour toute réponse aux questions multipliées qu'il adressait à Antipater, n'en obtenait plus que des invocations à la Providence, Varus pensa qu'il était temps d'en finir avec un interrogatoire qui se prolongerait éternellement sans résultats. Il ordonna donc d'apporter le poison qui avait été saisi, afin d'en essayer la force, en présence de tous. Dès qu'on l'eut remis entre ses mains, il le fit boire à un condamné à mort que l'on avait amené par son ordre, et le malheureux tomba comme foudroyé.

Varus était édifié ; il se leva aussitôt et quitta le conseil ; il s'entretint pendant quelques instants en secret avec Hérode, expédia à Auguste une dépêche par laquelle il l'informait de tout ce qui venait de se passer et, dès le lendemain, il partit pour Antioche, siégé de son gouvernement[47].

Quant à Hérode, il fit à l'instant mémé charger son fils de chaînes. On ignorait quelles étaient les paroles que le Roi avait échangées avec Varus, avant que celui-ci s'éloignât ; mais presque tout le monde pensa qu'Hérode, dans tout ce qu'il fit postérieurement, se conformait strictement à la sentence prononcée par le Romain.

Dès que son fils fut jeté dans les fers, le Roi fit partir pour Rome une dépêche adressée à Auguste, et que portaient des envoyés chargés d'instruire ce prince des méfaits d'Antipater[48].

Pendant ces mêmes journées une lettre écrite d'Égypte à Antipater fut interceptée. Elle était de la main d'Antiphile qui habitait ce pays. Le roi l'ouvrit et y lut ce qui suit : Je t'ai envoyé, la lettre d'Acmé, au péril de ma vie ; tu sais parfaitement bien, en effet, qu'il y a deux familles desquelles j'aurais tout à craindre, si j'étais pris. Je te souhaite lion succès en cette affaire. La teneur de cette lettre était trop énigmatique pour qu'Hérode ne fit pas tout au monde afin de retrouver l'autre ; mais il ne put la découvrir nulle part. Le serviteur d'Antiphile, qui avait apporté la lettre saisie, niait obstinément en avoir reçu une seconde. Le Roi était donc dans une grande perplexité, lorsqu'un de ses amis aperçut une couture à l'intérieur de la tunique du serviteur (celui-ci portait une double tunique) et soupçonna qu'une lettre pouvait être cachée sous le pli de l'étoffe ; il avait deviné juste. La lettre cherchée fut immédiatement saisie. Elle était ainsi conçue : Acmé à Antipater. J'ai écrit à ton père la lettre que tu me demandais et je lui envoie une fausse lettre de Salomé à ma maîtresse ; ne doute pas qu'après l'avoir lue, il ne fasse mettre Salomé à mort, comme coupable de trahison. La lettre qui devait passer pour écrite par Salomé à la maîtresse d'Acmé, avait été rédigée, quant au sens, par Antipater lui-même, mais tracée par la main d'Acmé. Voici la teneur de la lettre d'envoi : Acmé au roi Hérode. Désireuse de ne rien te laisser ignorer de ce qui se trame contre toi, j'ai trouvé une lettre de Salomé écrite à ma maîtresse, et qui te concerne ; je l'ai, dans ton intérêt, copiée à mes risques et périls, et je te l'envoie ; elle l'a écrite lorsqu'elle voulait épouser Syllæus. Déchire-la pour m'éviter tout danger[49]. Cette lettre était accompagnée d'une autre à l'adresse d'Antipater, dans laquelle Acmé lui annonçait qu'elle avait exécuté ses ordres et écrit à Hérode, parce que Salomé lui semblait très-pressée d'agir contre lui ; qu'en outre elle avait envoyé au Roi une copie de la lettre adressée par Salomé à sa maîtresse.

Cette Acmé était une Juive attachée au service de Julie femme d'Auguste[50] ; elle se prêtait à ces indignes manœuvres, pour plaire à Antipater qui l'avait gagnée à prix d'argent, et pour l'aider à accomplir le meurtre de son père et de sa tante[51].

Hérode, stupéfait par tant de perversité[52], voulait sur l'heure faire exécuter Antipater, comme auteur des plus grands méfaits, puisqu'il avait conspiré contre sa vie et contre celle de sa sœur, et que non content de cela, il avait suborné des gens de la maison d'Auguste. Il était d'ailleurs poussé à sévir sans pitié par Salomé qui se meurtrissait la poitrine, en demandant qu'on la tuât, si l'on pouvait justifier le moindre soupçon sur son compte. Hérode fit donc amener son fils pour l'interroger, et le somma de déclarer, sans hésiter, s'il allait quelque chose à dire à la charge de Salomé. Antipater se tut, et son père lui demanda, maintenant que sa culpabilité éclatait de tous les côtés, de nommer au moins sans délai tous ses complices. Il répondit qu'Antiphile avait été l'âme du complot, et il ne dénonça personne de plus. Hérode alors, accablé de douleur, songea à envoyer immédiatement son fils à Auguste, pour que celui-ci le punît des crimes qu'il avait conçus ; mais craignant qu'il n'échappât, grâce au secours de ses amis, il changea presque aussitôt de projet, et le lit enfermer derechef ; puis il envoya d'autres émissaires à Auguste, porteurs d'une lettre contenant la nouvelle accusation qui pesait sur Antipater, avec le détail du rôle qu'avait joué Acmé. Des copies des lettres saisies étaient jointes à la dépêche[53]

Pendant que l'ambassade d'Hérode cheminait vers l'Italie, munie des instructions et de la lettre du Roi, celui-ci tomba malade et fit un testament nouveau, par lequel il instituait héritier de sa couronne Antipas, le plus jeune de ses fils, à cause des soupçons que les calomnies d'Antipater avaient fait naître dans son esprit sur le compte d'Archélaüs et de Philippe. Il léguait mille talents à Auguste et un grand nombre de vases de pris ; à Julie, sa femme, à ses fils, à ses amis et à ses affranchis, il laissait environ cinq cents talents. Il distribuait à ses propres fils de l'argent comptant, des revenus et des terres, de même qu'à ses petits-fils. Salomé, sa sœur, était richement dotée, par reconnaissance pour la tendresse qu'elle lui avait toujours témoignée et pour la récompenser de ce que jamais elle n'avait rien entrepris contre lui[54].

Aussitôt commença l'agonie furibonde d'Hérode. Il ne se sentait plus d'espérance de retour à la santé, grâce à son âge — il avait alors environ soixante-dix ans[55] —, et la terreur de sa fin prochaine l'exaspéra au point qu'il se mit à traiter avec une véritable rage tous ceux qui l'entouraient. Ce qui surtout le rendait furieux. c'était la pensée que son peuple le méprisait et se réjouissait de son malheur. À toutes ces causes de désespoir vint inopinément se joindre une insurrection qui éclata contre lui, dans les circonstances que nous allons rapporter[56].

Il y avait à Jérusalem deux illustres docteurs qui passaient pour les plus habiles et les plus savants interprètes de la loi : c'étaient Judas, fils de Sariphée, et Matthias, fils de Margalothus[57]. Ils étaient chéris de la nation juive tout entière, parce que c'était à eux qu'était confiée l'instruction de la jeunesse. Tous ceux qui avaient à cœur d'apprendre à pratiquer la vertu, suivaient assidûment leurs leçons. Ces deux hommes, entendant affirmer que la maladie du Roi ne laissait aucun espoir de guérison, excitèrent la jeunesse à faire disparaître de la ville sainte toutes les œuvres d'art qu'Hérode y avait introduites, en bravant les coutumes de leurs pères ; ce serait, leur disaient-ils, une noble lutte de piété dont ils trouveraient leur récompense dans la loi sacrée. Si le Roi avait osé faire ce que la loi interdisait formellement, il en était puni bien plus cruellement que le commun des hommes, par la maladie mortelle et par toutes les autres misères qui l'avaient frappé.

Parmi les œuvres extra-légales d'Hérode, il y en avait que Judas et Matthias lui imputaient à crime. Ainsi il avait fait placer, sur la plus grande porte de Naos, un aigle d'or d'un prix inestimable. Or la loi interdisait à tous ceux qui voulaient suivre fidèlement ses prescriptions, d'élever des statues et même de consacrer des représentations d'animaux. Les deux docteurs ordonnèrent donc à leurs disciples d'aller abattre l'aigle d'or du Naos. Si vous risquez d'être punis de mort pour cette sainte entreprise, leur dirent ils, rappelez-vous qu'il est beau de mourir pour défendre et protéger les lois de ses pères ; rappelez-vous surtout qu'en perdant ainsi la vie pour la sainte cause, vous recueillerez la volupté ineffable de mériter une gloire éternelle qui rejaillira sur vos familles[58].

Pendant que les deux docteurs enflammaient par ces paroles l'ardeur de leurs disciples, le bruit se répandit que le Roi était expirant et cette fausse nouvelle ne contribua pas peuh faire naître la scène qui allait se passer. En plein jour, à midi, les jeunes gens fanatisés coururent abattre l'aigle, qu'ils dépecèrent à coups de hache, à la grande stupéfaction de la multitude réunie dans le Hiéron. Le chef des troupes royales, à qui l'on vint annoncer en lette l'exécution de ce coup de main, se figura que c'était le signal d'une tentative plus grave, et accourut à la tête d'une force assez imposante pour faire tête à la foule qui osait renverser ce que le Roi avait consacré ; il attaqua les perturbateurs à l'improviste, et comme ceux-ci n'avaient pris aucune précaution pour leur sécurité personnelle, il ne resta qu'une quarantaine de jeunes gens déterminés en face des soldats, tous les autres s'étant dispersés au premier indice d'un danger. Ils furent enveloppés et saisis, avec Judas et Matthias, qui eussent cru se déshonorer s'ils ne partageaient pas le sort des disciples qu'ils avaient excités. Tous furent conduits devant le Roi ; celui-ci leur ayant demandé s'il était vrai qu'ils eussent eu l'audace de, renverser un objet consacré par lui, ils lui répondirent : Ce qui a été décidé et accompli, nous l'avons décidé et accompli en hommes de cœur. Nous avons protégé ce qui est consacré à l'honneur de Dieu ; nous avons appris à respecter les prescriptions de la loi sainte ; ne t'étonne donc pas si nous avons préféré à tes ordres ceux que Moïse nous a transmis dans ses écrits, par l'inspiration de Dieu. Nous mourrons avec délices, quel que soit le supplice que tu veuilles nous infliger, parce que notre conscience nous dit que nous mourrons, non pas pour expier un crime, mais bien pour donner un exemple de piété[59].

Tous répondirent dans le même sens, et avec la même fermeté qu'ils avaient déployée en se mettant à l'œuvre : Hérode, après les avoir fait enchaîner, manda aussitôt tous les grands personnages qui étaient à Jéricho. Lorsqu'ils furent arrivés, une assemblée fut convoquée au théâtre, où le Roi se fit transporter en litière, parce qu'il n'avait plus la force de se tenir debout. Une fois là, il prit la parole. Il leur rappela tout ce qu'il avait péniblement et longuement accompli pour eux seuls ; à leur parla du temple qu'il avait reconstruit à ses frais et au prix de dépenses énormes, tandis que les Asmonéens, pendant cent vingt-cinq ans qu'avait duré leur dynastie, n'avaient jamais pu accomplir une œuvre pour la glorification de Dieu. Ce temple, il l'avait enrichi de splendides offrandes, en souvenir desquelles il avait le droit d'espérer qu'après sa mort il revivrait dans la mémoire des hommes. Arrivé à ce point de sa harangue, Hérode se mit à vociférer contre eux tous, qui, pendant qu'il était encore en vie, ne s'abstenaient pas de l'outrager et osaient, à la lumière du soleil, porter des mains impies sur les objets qu'il avait consacrés, et cela pour les détruire. C'était, en apparence, une injure à son adresse ; au fond, c'était un sacrilège indigne[60].

Tous ceux il qui ces paroles s'adressaient furent épouvantés, en pensant à la cruauté du Roi, qui pouvait se venger sur eux de l'offense dont il se plaignait ; tous se hâtèrent de protester de leur innocence, et déclarèrent que l'acte qu'ils venaient d'apprendre était criminel au premier chef et devait être sévèrement puni.

Hérode était clément à ses jours ; cette fois, on lui demandait de sévir ; il se montra assez doux envers les membres de l'assemblée. Mais le grand-prêtre Matthias, qui avait quelque peu trempé dans cette affaire, fut dépouillé du souverain pontificat qui fut conféré à Joâzer, son beau-frère.

Ce fut pendant le pontificat de ce Matthias qu'un autre grand-prêtre fut nommé pour un seul jour, celui du jeûne. Voici en quelles circonstances. Ce Matthias, dans l'exercice de ses fonctions sacerdotales, rêva, pendant la nuit qui précédait le jeûne, qu'il avait commerce avec sa femme. Comme cette raison ne lui permettait plus de pratiquer les cérémonies du culte, Joseph fils d'Ellemus, son parent, le suppléa pendant la solennité.

Nous trouvons ce fait mentionné dans les deux Talmuds. Dans celui de Jérusalem, traité, Yoma, ch. I, § 1 (fol. 38, col. d.), nous lisons en effet ce qui suit :

Voici le fait qui arriva à Ben-Elam de Sippori (Sepphoris). Comme le grand-prêtre en fonctions eut la nuit du Kippour (Jour du grand Pardon), un accident impur (qui le rendait impropre au service), Ben-Elam remplit à sa place les fonctions de la grande-prêtrise (office solennel spécial de ce jour seul). Lorsqu'il eut achevé, et qu'il sortit, il dit au Roi : Seigneur Roi, les sacrifices du taureau et du bouc, relatifs à ce jour sacré, doivent-ils être pris sur nos biens personnels, ou sur ceux du grand-prêtre ?Le Roi, comprenant quel poste cet ambitieux sollicitait, lui répondit : Ben-Elam, il doit te suffire d'avoir eu le bonheur de servir un jour le créateur du monde. — Ben-Elam comprit que ses fonctions avaient cessé.

Ces termes sont identiquement reproduits dans le même Talmud, traité Méghilla, c. I, 12. — Horayôth, c. III, § 2 et 4, — et dans le Talmud de Babylone, Méghilla, 9b, — Yoma, 12b, — Horayôth, 12b.

Matthias fut donc forcé par Hérode de renoncer au souverain pontificat ; quant à l'autre Matthias, qui avait été l'instigateur de la sédition, il fut brûlé vif avec un certain nombre des coupables[61].

La nuit qui suivit fut marquée par une éclipse de lune[62].

Cette éclipse importante a été déterminée par Whiston (Prælectiones astronomicæ, vol. I, in fine). Elle arriva sous le méridien de Jérusalem, dans la nuit du 13 au 14 mars de l'an 4 avant l'ère chrétienne, à 3 heures 15 après minuit, le soleil étant au 21e degré de Pisces (20° 17' 44"), dix jours avant l'équinoxe qui tomba au 23 mars. L'éclipse fut de six doigts 14' 49". Fréret s'en est servi avec bonheur dans son mémoire intitulé : Éclaircissements sur l'année et le temps précis de la mort d'Hérode le Grand (Mém. de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XX. p. 299)[63].

Cependant la maladie d'Hérode faisait de jour en jour des progrès effrayants ; il semblait évident que l'heure de l'expiation avait sonné pour ce grand criminel. Il était dévoré par un feu lent qui se manifestait moins au toucher, qu'il ne causait de douleurs internes[64], et auquel il fallait constamment un élément nouveau. De la un appétit incessant qu'il était impossible de ne pas satisfaire. Si ce symptôme était sans gravité apparente, il n'en trahissait pas moins des désordres sans remède. Les intestins étaient envahis par l'ulcération et le malade était surtout torturé par la douleur qu'il ressentait dans le côlon. Les pieds étaient fortement infiltrés ainsi que l'abdomen ; mais ce qui était horrible, c'était la décomposition des parties génitales envahies par les vers. Les fonctions des poumons ne s'accomplissaient plus qu'avec une difficulté extrême. La respiration était fréquente. laborieuse et fétide. Le corps entier était sous l'empire d'un état spasmodique, dont la continuation brisait les forces du moribond. Les prétendus devins et tous ceux qui faisaient profession de croire au surnaturel affirmaient que c'était Dieu lui-même qui infligeait au Roi un supplice multiple, en châtiment de ses4néfaits et surtout du supplice des deux docteurs[65].

Et ce Roi, tout entier en proie à des douleurs physiques qu'aucun autre n'eût pu, supporter, espérait encore ! il s'entourait de médecins et suivait leurs prescriptions, minutieusement, avidement !

Ces médecins l'envoyèrent à Callirrhoé, au delà du Jourdain. Lit étaient des sources chaudes dont les eaux salutaires pouvaient être employées, à volonté, comme bains ou comme boisson. Ces eaux s'écoulent dans le lac Asphaltite[66]. Là, les médecins, espérant le calmer, plongèrent son corps dans un bain d'huile chaude ; peu s'en fallut qu'il n'y rendit l'âme. Il s'était évanoui ; les lamentations de ses serviteurs le ranimèrent ; mais dès lors il se sentit perdu et prit ses dispositions dernières. Il ordonna de distribuer cinquante drachmes par tête de soldat ; les officiers et tous ses amis étaient gratifiés de sommes considérables[67]. Cela fait, il se lit ramener à Jéricho.

Là cette finie infernale, tout entière à la rage du désespoir, chercha un crime à commettre, digne de couronner la vie qu'il avait si abominablement remplie. Hérode seul était de taille à faire, en pareil montent, un calcul tel que celui qu'il fit et qu'il faut bien nous résigner à raconter. L'ordre fut expédié à tous les grands personnages de la nation, en quelque endroit qu'ils habitassent, de venir en toute bitte se réunir autour de lui. Comme il y avait peine de mort pour quiconque essaierait de se soustraire à celte injonction inattendue, chacun s'empressa prudemment d'accourir, et le nombre des arrivants fut immense ; c'était ce que voulait le Roi, à qui il importait peu de frapper des innocents ou des coupables. Quand tous, par son ordre, eurent été enfermés dans l'hippodrome, Hérode fit venir sa sœur Salomé, avec Alexas, son mari, et leur dit : Les douleurs qui me torturent sont atroces et je sens que je vais mourir ; ce sera pour moi un soulagement et un repos que je désire. Mais ce qui me ronge le cœur, c'est de mourir sans pouvoir compter sur un regret et sur un deuil digne d'un roi. Je sais bien quels sont les sentiments des Juifs pour moi ; je sais bien qu'il n'y a pas un événement qu'ils souhaitent plus ardemment et qu'ils apprennent avec plus de joie ; je sais bien que le jour de ma mort sera célébré comme un jour de fête[68]. Leurs rébellions pendant ma vie et l'outrage fait aux offrandes consacrées par moi, ne me laissent pas le droit d'en douter. C'est à vous que revient le devoir d'alléger pour moi cette suprême angoisse. Si vous voulez m'obéir, mon trépas sera suivi d'un deuil splendide, deuil que jamais monarque n'aura obtenu en ce monde, deuil enfin que portera la nation tout entière, au lieu de se réjouir et d'insulter à ma mémoire. Dès que j'aurai rendu le dernier soupir, vous placerez autour de l'hippodrome des troupes qui devront ignorer ma fin, jusqu'au moment où elles auront accompli leur office, et vous leur ordonnerez de tuer à coups de javelots tous ceux qui y sont enfermés. Je vous devrai ainsi, quand ils auront tous péri, une double satisfaction : d'abord celle de savoir ma dernière volonté exécutée, ensuite celle d'être assuré d'un deuil public digne de moi[69].

Cette requête infâme fut débitée par Hérode en pleurs ; il invoqua, pour obtenir la promesse qu'elle serait accomplie, et la tendresse que leur imposaient les liens du sang, et la fidélité qu'ils devaient à Dieu. Le misérable ! il osait prendre Dieu pour complice d'un aussi abominable forfait !

Jamais, non jamais l'histoire n'a enregistré, dans ses pages les plus honteuses, un acte de démence sanguinaire comparable à celui-là.

Salomé et Alexas promirent d'exécuter l'ordre de ce fou furieux[70].

Et maintenant nous savons ce qu'était Hérode ! Si quelques-uns de ses actes peuvent être jusqu'à un certain point excusés, parce que la crainte pour ses jours légitimait, en quelque sorte, le châtiment infligé à ses proches, nous pouvons le juger par le dernier désir qu'il forum et déclarer à la face du monde que cet être n'avait pas un sentiment humain dans le cœur.

Il n'hésite pas à jeter tout un peuple dans la désolation, en donnant l'ordre d'égorger un membre de chaque famille de ce peuple, et cela sans motif, sans le moindre soupçon d'un outrage à punir, simplement pour qu'on soit forcé de porter un deuil qu'il appelle le sien ! Et quel instant choisit-il pour concevoir cette pensée monstrueuse ? Celui où toujours les cœurs les plus pervers déposent les haines de leur vie qui s'éteint, et pardonnent pour qu'on leur pardonne à eux-mêmes[71] !

Au moment où Hérode avait ce dernier entretien avec sa sœur et son beau-frère, arrivaient de Rome des dépêches écrites par les ambassadeurs qu'il avait expédiés à Auguste. Ces dépêches apportaient au Roi la nouvelle du supplice d'Acmé qu'Auguste avait condamnée à mort, comme complice d'Antipater. Quant à celui-ci, le prince romain laissait Hérode libre d'en disposer et de le traiter à son gré, soit en roi, soit en père, en le faisant mourir ou en l'exilant[72].

La venue de ces nouvelles qu'il trouvait heureuses et douces, rendirent un peu de calme à Hérode. Acmé était morte et il lui était permis d'envoyer son fils au supplice Double satisfaction qui ne pouvait manquer d'influer sur l'état physique de ce noble cœur ! L'amélioration, toutefois, ne fut qu'apparente et de courte durée. Les douleurs reparurent bien vite et s'exaspérèrent, au point d'inspirer au moribond le désir d'en finir avec cette vie de damné. Comme il mourait d'inanition, tout en souffrant horriblement de la toux convulsive qui ne le quittait pas, il se fit apporter une pomme et un couteau. Tout le monde savait, en effet, qu'il avait l'habitude, quand il voulait manger une pomme, de la peler et de la couper en petits morceaux. Dès qu'il eut entre les mains ce qu'il avait demandé, il jeta un regard autour de lui pour s'assurer qu'il pouvait accomplir son projet, et il tenta aussitôt de se frapper. Il y eût réussi sans doute, si son cousin Achiab ne lui eût saisi la main, en jetant un grand cri. On accourut, et les lamentations et le trouble emplirent le palais, comme si le Roi avait cessé de vivre.

De sa prison, Antipater entendit ces clameurs ; il crut qu'en réalité son père avait rendu l'âme, et il se mit aussitôt à parler avec exaltation, comme s'il se sentait délivré et roi de plein droit ; il supplia ses geôliers de lui rendre la liberté sur l'heure, en leur faisant les plus magnifiques promesses, pour le présent et pour l'avenir ; la fortune ne se déclarait-elle pas pour lui ? Malheureusement Antipater s'adressait à un serviteur dévoué de son père. Non-seulement le chef de ses geôliers refusa d'obéir, mais encore il se hâta d'aller prévenir Hérode de la tentative de corruption à laquelle il venait d'être soumis.

Hérode n'était déjà que trop disposé à sévir contre son fils. Dès qu'il eut reçu la dénonciation du geôlier, il poussa des cris de fureur, en se frappant la tête, bien qu'il fût à toute extrémité, et se dressant sur le coude, il chargea quelques-uns de ses doryphores d'aller, à l'instant et sans hésiter, tuer Antipater, et de l'enterrer ensuite à Hyrcania, sans rendre le moindre honneur à ses restes[73].

Tout s'accomplit sans délai, ainsi que l'ordonnait Hérode, qui, pour la troisième fois, se faisait l'assassin d'un de ses enfants[74].

Quand cette vengeance implacable fut assouvie, Hérode s'empressa de changer encore son testament. Antipas, auquel, dans le précédent. il avait légué la couronne, fut fait tétrarque de la Pérée et de la Galilée. Cette fois, il laissait la royauté à Archélaüs[75] ; il donnait la Gaulanite, la Trachonite, la Batanée et Panéas à Philippe, frère d'Archélaüs, et de ces diverses provinces il faisait une tétrarchie. Il léguait à Salomé, sa sœur, Iamnia, Azot et Phasaëlis, avec cinq cent mille drachmes. Tous les autres membres de sa famille, sans exception, étaient couchés sur son testament et enrichis, soit par des sommes d'argent considérables, soit par des revenus importants. Auguste avait Un legs de dix millions de drachmes. des vases d'argent et d'or, et des étoffes d'un prix inestimable. Julie, femme d'Auguste, et quelques autres, intervenaient pour une somme de cinq millions de drachmes.

A peine ses dispositions dernières étaient-elles prises, qu'Hérode expira, suivant de près au tombeau le fils qu'il avait fait égorger cinq jours auparavant. Il avait régné trente-quatre ans depuis le meurtre d'Antigone, trente-sept depuis le moment où le sénat romain l'avait fait roi[76].

La date de la mort d'Hérode est donnée dans la Meghillath-Tâanith (chap. XI, paragr. 25 de la division d'ensemble) de la manière suivante : Le 2 du mois de schebat (vers février) est un jour de fête, auquel on ne doit pas s'attrister ; car, ajoute la Scholie, en ce jour mourut Hérode. L'explication du scholiaste motive l'emploi du terme טוכ יום, jour de fête, usité seulement pour cette date et pour celle du 7 de kislev (chap. IX de cette petite chronologie), date commémorative de la mort du roi Jannée. Les copistes ont plus tard confondu ces deux dates ; mais celle du mois de schebat, relative à Hérode, est confirmée, du moins approximativement, par Josèphe ; en outre, ils ont identifié Salomé, sœur d'Hérode, avec la reine Salomé (Alexandra), qui fut bien plus célèbre. En effet, un glosateur a ajouté ceci : On raconte que le roi Jannée[77] étant tombé malade, fit saisir soixante-dix dizaines d'anciens d'Israël, et les fit jeter en prison ; puis il donna l'ordre au geôlier de les mettre à mort, s'il mourait. Heureux de ma fin, dit-il, les Israélites s'affligeront du moins du sort de leur maître. Mais le roi Jannée avait une bonne femme nommée Salminon, et aussitôt qu'il eut succombé, elle retira l'anneau de la main du Roi et l'envoya au gardien de la prison. — Ton maître, lui fit-elle dire, t'ordonne de mettre les anciens en liberté. — Lorsque ces docteurs furent rentrés chez eux, la reine annonça la mort du roi Jannée.

Cette glose intéressante a trait évidemment au fait monstrueux du massacre projeté par Hérode de tous les anciens de la nation, enfermés dans le cirque de Jéricho. Salomé et son mari Alexas leur sauvèrent la vie, ainsi que nous l'avons raconté, et de là cette confusion de Salomé sœur d'Hérode, avec la reine Salomé-Alexandra, veuve d'Alexandre Jannæus.

Ici nous rencontrons le jugement sommaire que l'historien Josèphe porte sur l'usurpateur iduméen, et il est bon de le faire connaître.

C'était, dit Josèphe, un homme cruel envers tout le monde ; incapable de mettre un frein à sa colère ; rejetant avec un souverain mépris ce qui, pour tout autre, eût été juste et bon. Si jamais homme fut caressé par la fortune, ce fut certainement lui qui, sorti des derniers rangs du peuple. parvint au trône ; lui qui, harcelé par des dangers sans nombre, réussit à échapper à tous et parvint. à une vieillesse avancée. Quant à ce qui lui arriva dans sa famille, et surtout avec ses fils, il se trouva heureux et se considéra comme ayant remporté une victoire sur des ennemis. Mon avis à moi, dit en terminant Josèphe, c'est qu'il faut le plaindre, comme le plus malheureux des hommes[78].

Salomé et Alexas, avant d'attendre que la nouvelle de la mort d'Hérode se fût répandue, rendirent la liberté à tous ceux qui étaient enfermés dans l'hippodrome, en leur disant que l'ordre du Roi était qu'ils rentrassent dans leurs foyers pour s'y occuper exclusivement de leurs affaires[79]. Cette foule ignora donc et le danger qu'elle avait couru, et le service immense que venaient de lui rendre deux personnages de la part desquels elle n'en attendait guère.

Bientôt tout le monde sut et ne parla plus que de la triste fin d'Hérode.

Salomé et Alexas rassemblèrent immédiatement toutes les troupes dans l'amphithéâtre de Jéricho, et commencèrent par leur donner lecture d'une proclamation adressée aux soldats, dans laquelle le Roi les remerciait avec reconnaissance de leurs fidèles services, et les exhortait à se conduire avec la même loyauté à l'égard de son fils Archélaüs, qu'il avait désigné pour monter sur le trône après lui. Ensuite Ptolémée, qui était gardien du sceau royal, lut à son tour le testament d'Hérode, testament qui ne pouvait suivre son effet sans l'approbation préalable. d'Auguste[80]. Cette communication fut accueillie par les acclamations unanimes des soldats en l'honneur d'Archélaüs ; soldats et officiers prêtèrent en masse et immédiatement au jeune Roi le serment de fidélité et de dévouement qu'ils avaient prêté à son père, en invoquant la protection de Dieu pour leur nouveau souverain[81].

Les apprêts des funérailles du roi défunt commencèrent sur-le-champ, par les soins d'Archélaüs qui voulait que cette cérémonie s'accomplit avec toute la pompe et toute la splendeur possibles.

Le convoi royal fut réglé de la manière suivante : le corps d'Hérode était transporté dans une litière d'or, enrichie de pierreries du plus grand prix. Le coussin sur lequel il reposait, revêtu de la pourpre, était lui-même de la pourpre la plus éclatante. Hérode avait la tête ornée du diadème surmonté d'une couronne d'or ; sa main droite tenait le sceptre. Derrière marchaient les fils et tous les parents du Roi ; puis, venaient les troupes groupées par nation. D'abord s'avançaient les doryphores ou gardes du corps du monarque ; puis les mercenaires thraces ; puis les Germains et ensuite les Caillois ; tous étaient en tenue d'apparat. Ils étaient suivis du reste de l'armée, en tenue de guerre, et commandée par ses généraux et par ses centurions. Derrière étaient rangés cinq cents serviteurs portant des aromates. Le cortège funèbre s'avança dans cet ordre jusqu'à une distance de huit stades, sur la route d'Hérodium, où Hérode. suivant sa volonté expresse, reçut la sépulture[82].

Qu'est devenu le tombeau d'Hérode ? On l'ignore absolument. A mon dernier voyage en Palestine, j'espérais en trouver les traces ; mais cet espoir a été déçu, à mon très vif regret, on le conçoit sans peine. Au bas de la montagne sur laquelle était bâti le palais du Roi, se trouve une vaste piscine, aujourd'hui à sec, et au milieu de laquelle exista jadis un pavillon circulaire, pavé de cette mosaïque à gros cubes qui se retrouve dans les salles de l'appartement royal qui, sans aucun doute, était situé dans la grande tour ronde de l'est. Le résultat des fouilles que nous avons entreprises dans ce pavillon, nous a suggéré l'idée que peut-être le sarcophage royal y avait été déposé ; mais nous devons avouer que c'est là une pure supposition, qui n'a aucune valeur réelle. A quelques cents mètres de là et à l'est du Djebel-Fouréïdis, il y a un rideau de roches dans lequel sont ouvertes plusieurs caves sépulcrales, de très-chétive apparence. Est-ce dans l'une d'elles que les restes mortels d'Hérode ont reposé ? Je l'ignore absolument, mais ne suis guère disposé à l'admettre. Pas un de ces caveaux, en ne porte les traces d'une ornementation quelconque. Au reste, il faudrait séjourner sur place, beaucoup plus longtemps que je ne l'ai pu faire, et exécuter à Hérodium des fouilles suivies et sérieuses qui, sans aucun doute, seraient fructueuses. Voilà un beau sujet d'exploration scientifique, que je soumets aux voyageurs futurs, avec la confiance qu'ils seront amplement dédommagés de leurs peines.

Archélaüs, après avoir exclusivement consacré sept jours aux obsèques de son père, ainsi que le voulaient les coutumes judaïques, offrit un immense banquet au peuple qui avait été invité il se réunir au Hiéron, le harangua, lui fit les plus belles promesses pour l'avenir, réussit lu faire acclamer joyeusement son avènement au trône, et, après la célébration des sacrifices d'actions de grâces, alla présider le festin prépare par son ordre. Brillant début d'un règne qui de la Judée devait bientôt faire une province romaine.

Je n'ai pas le dessein de raconter ici les événements du règne funeste d'Archélaüs ; ils ont été exposés tailleurs et je n'ai plus à y revenir. La tâche que je m'étais imposée est désormais accomplie, car il ne me reste plus qu'à dire, en peu de mots, l'impression que m'a laissée l'appréciation des faits dont je viens de présenter le tableau.

Me reprochera-t-on de mettre montré sévère, dès les premières pages de ce livre, sur le compte du roi dont j'entreprenais d'écrire la vie ? Je ne le pense pas.

Que fut Hérode ? Un homme d'un grand talent, sans doute, au point de vue exclusivement politique ; comme chef de famille, il manifesta, pendant toute son existence, le mélange le plus extraordinaire de qualités remarquables et de sentiments affreux. Cupide et généreux à la fois, tour à tour tendre et cruel au delà de toute expression, implacable dans la vengeance, ambitieux, intrigant, fourbe et sanguinaire, souple et rampant devant plus puissant que lui, toujours avide de se repaître des tortures qu'il infligeait à quiconque inspirait le soupçon le plus futile, meurtrier de son roi légitime, de sa femme, de ses fils. de sa belle-mère et de son beau-frère, vaniteux, débauché, impitoyable pour qui n'était pas un serviteur prêt à applaudir à toutes les infamies enfantées par son monstrueux. esprit, Hérode a, pendant soixante-dix années, péniblement et fastueusement prolongé la trame d'une vie où s'enchaînent les crimes les plus odieux et, de loin en loin, quelques actions louables. Brave à ses heures. Lâche et perfide presque toujours, pesant toutes ses paroles, et plaidant sa cause en rhéteur émérite. toutes les fois qu'il avait attiré quelque danger sur sa tête. Hérode fut, de tous les souverains dont les faits et gestes ont été recueillis par l'histoire, le moins digne assurément de ce beau titre de Grand que l'ignorance. si ce n'est la servilité humaine, a attaché à son nom. C'est Hérode le méprisable que l'on aurait dû l'appeler !

Que devait-il arriver à la nation juive sous le sceptre si lourd de cet usurpateur ? Pressurés sans merci, insultés dans leurs plus chères croyances, livrés pieds et poings liés à l'étranger, par le tyran que cet étranger leur avait imposé, blessés au cœur par l'odieuse et implacable persécution des derniers rejetons de la noble race qui les avait autrefois soustraits à la domination grecque, toujours courbés sous la terreur, se méfiant jour et nuit de tout et de tous, les Juifs ne sentaient que trop, hélas ! que leur nationalité allait expirer. Ils gémissaient en secret, et périssaient parfois avec le plus brillant courage, en essayant de la lutte ouverte contre leurs oppresseurs.

Mais l'heure fatale avait sonné, et après quelques années d'agonie, la royauté judaïque tomba pour ne plus se relever ; Archélaüs avait achevé de la pousser au bord de l'abîme ; Agrippa lui donna le coup de grâce.

 

FIN DE L'OUVRAGE.

 

 

 



[1] Bell. Jud., I, XXVIII, 1.

[2] Bell. Jud., I, XXVIII, 1. — Agrippa fut rappelé à Rome en l'an 13 avant l'ère chrétienne. Il eut pour successeurs dans la préfecture de Syrie, Titius d'abord, puis Saturninus ; à celui-ci succéda Varus, dont la présence est constatée par les médailles d'Antioche de l'an 6 à l'an 1 avant Jésus-Christ. On peut donc attribuer approximativement à Titius les années 12, 11, 10, et à Saturninus les années 9, 8 et 7 ; cela s'accorderait bien avec la date 8 avant l'ère chrétienne, attribuée par nous au meurtre des deux fils d'Hérode.

[3] Il se nommait Alexas, Bell. Jud., I, XXVIII, 6.

[4] Bell. Jud., I, XXVIII, 6. — Il est assez singulier qu'ici Josèphe prétende que Julie, femme d'Auguste, intercéda auprès d'Hérode, pour obtenir qu'il consentit au mariage de sa sœur avec Syllæus. Dans le même passage il est dit qu'Hérode maria la fille aînée de Salomé au fils d'Alexas et l'autre à l'oncle maternel d'Antipater, puis de ses deux filles issues de Mariamme, l'une à Antipater, fils de sa sœur, et l'autre à Phasaël, fils de son frère.

[5] Bell. Jud., I, XXVIII, 1. — Dans ce passage Josèphe nomme les enfants des deux princes sacrifiés. Alexandre avait eu de Glaphyra, deux fils Tigrane et Alexandre, et Aristobule, de Bérénice, Hérode, Agrippa, Aristobule, Hérodias et Mariamme. Hérode fit épouser Bérénice veuve d'Aristobule, au frère de Doris, mère d'Antipater. Ce fut celui-ci qui, pour se concilier Salomé, fit conclure ce mariage. Josèphe ajoute que les largesses d'Antipater ne réussirent à lui gagner le dévouement de personne et qu'il ne tarda pas à redouter les effets de l'affection d'Hérode pour les jeune enfants des fils qu'il avait immolés.

[6] Ant. Jud., XVII, I, 1. — Bell. Jud., I, XXVIII, 1.

[7] Bell. Jud., I, XXVIII, 2.

[8] Bell. Jud., I, XXVIII, 3.

[9] Ant. Jud., XVII, I, 2. — Bell. Jud., I, XXVIII, 5.

[10] Ant. Jud., XVII, I, 2. — Bell. Jud., I, XXVIII, 4 et 6.

[11] Ant. Jud., XVII, II, 1.

[12] Les recherches persévérantes de mon ami M. Waddington en Batanée, sont restées stériles, et n'ont pu lui faire découvrir les traces de cette forteresse.

[13] Ant. Jud., XVII, II, 2.

[14] Ant. Jud., XVII, II, 3.

[15] Nous ignorons à quel événement font allusion ces paroles de Josèphe, qui, dans la Guerre judaïque (I, XXIX, 1 ), dit en parlant de la femme de Phéroras, qu'elle osa insulter deux des filles du Roi. Il ne s'agit plus ici de filles de Phéroras, mais bien des filles d'Hérode lui-même. J'avoue ne pas démêler la vérité en tout ceci.

[16] Bell. Jud., I, XXIX, 1.

[17] Ant. Jud., XVII, II, 4.

[18] Bell. Jud., I, XXXI, 2. — Ici encore Josèphe parle d'une insulte faite aux filles d'Hérode lui-même.

[19] Bell. Jud., I, XXIX, 2.

[20] Ant. Jud., XVII, III, 1.

[21] Bell. Jud., I, XXIX, 2.

[22] Bell. Jud., I, XXIX, 3. — Syllæus avait à prix d'argent obtenu l'appui de Fabatus contre Hérode, dans son procès pendant devant Auguste. Mais Hérode, qui connaissait par expérience le faible des Romains, paya plus cher les services de Fabatus, et usa de lui pour forcer Syllæus à exécuter toutes les clauses de la sentence impériale. Aussitôt Syllæus s'empressa de porter devant Auguste une accusation contre Fabatus, qui, suivant lui, se montrait plus dévoué aux intérêts d'Hérode qu'à ceux du gouvernement romain. Fabatus s'empressa de rendre coup pour coup. Il instruisit Hérode d'un complot ourdi par Syllæus contre sa vie, et Fabatus fut assassiné.

[23] Ant. Jud., XVI, III, 2. — Bell. Jud., I, XXIX, 3.

[24] Ant. Jud., XVI, III, 3. — Bell. Jud., I, XXIX, 4.

[25] Bell. Jud., I, XXX, 1.

[26] Bell. Jud., I, XXX, 2.

[27] Bell. Jud., I, XXX, 3.

[28] Ant. Jud., VII, IV, 1. — Bell. Jud., I, XXX, 3.

[29] Bell. Jud., I, XXX, 4.

[30] Bell. Jud., I, XXX, 5.

[31] Bell. Jud., I, XXX, 6.

[32] Bell. Jud., I, XXX, 7. — Ce furent les deux frères de Mariamme qui, soumis à la torture, dénoncèrent leur sœur.

[33] Ant. Jud., XVII, IV, 2. — Bell. Jud., I, XXX, 7.

[34] Bell. Jud., I, XXXI, 1.

[35] Si nous en croyons Josèphe (Bell. Jud., I, XXXI, 2), dès avant son départ pour Rome, Antipater avait commencé à jouer cette odieux comédie.

[36] La mort d'Hérode eut lieu avant Pâques de l'an 4, avant l'ère chrétienne. Il eu résulte qu'Antipater partit pour Rome vers le mois de juin de l'an 5.

[37] Ant. Jud., XVII, IV, 3. — Bell. Jud., I, XXXI, 2.

[38] Bell. Jud., I, XXXI, 3. — Nul doute qu'il ne s'agisse ici du port de Césarée ; nous ferons de plus remarquer que c'est dans ce passage que l'historien Josèphe se sert pour la première fois du nom de Sebastos, en parlant de César Auguste.

[39] Ant. Jud., XVII, V, 1. — Bell. Jud., I, XXXI, 4.

[40] Quintilius Varus a été préfet de Syrie de l'an de Rome 748 à l'an 750, c'est-à-dire de l'an 6 à l'an 4 avant l'ère chrétienne. Le fait a dû se passer tout au commencement de l'an 4.

[41] Bell. Jud., I, XXXI, 5.

[42] Bell. Jud., I, XXXII, 1.

[43] Ant. Jud., XVII, V, 3. — Bell. Jud., I, XXXII, 2.

[44] Ant. Jud., XVII, V, 4.

[45] Ant. Jud., XVII, V, 5. — Bell. Jud, I, XXXII, 4. — Ici le discours de Nicolas est résumé en quelques lignes.

[46] Ant. Jud., XVII, V, 6.

[47] Bell. Jud., I, XXXII, 5.

[48] Bell. Jud., I, XXXII, 5.

[49] Quant à la prétendue lettre de Salomé, elle était arrivée directement à Hérode, contre lequel elle contenait des invectives et les accusations les plus graves (Bell. Jud., I, XXXII, 6).

[50] Bell. Jud., I, XXXII, 6.

[51] Ant. Jud., XVII, V, 7. — Bell. Jud., I, XXXII, 6.

[52] Bell. Jud., I, XXXII, 7. — Il est dit ici qu'Hérode crut, au premier moment, que toutes ces fausses lettres avaient été composées pour perdre son fils, et que peu s'en fallut qu'il ne donnât l'ordre de mettre à mort sa sœur Salomé. Il se ravisa cependant, et pendant qu'il hésitait à frapper son fils coupable, il fut saisi par la maladie qui devait bientôt l'emporter.

[53] Ant. Jud., XVII, V, 4. — Bell. Jud., I, XXXII, 7.

[54] Bell. Jud., I, XXXII, 7.

[55] Bell. Jud., I, XXXIII, I. — Dans ce passage Josèphe affirme que ce qui aggravait encore la maladie d'Hérode, c'était la pensée que son fils Antipater était vivant, et qu'il avait décidé que dès qu'il entrerait en convalescence, il le ferait mettre à mort.

[56] Ant. Jud., XVII, VI, 1.

[57] Bell. Jud., I, XXXIII, 2. — Dans ce passage Josèphe désigne les deux docteurs sous le nom de sophistes, et il les appelle Judas fils de Sepphoræus et Matthias fils de Margalus. Évidemment nous trouvons ici une preuve de plus de la maladresse des copistes.

[58] Ant. Jud., XVII, VI, 2. — Bell. Jud., I, XXXIII, 2.

[59] Bell. Jud., I, XXXIII, 3.— Josèphe dit ici que ces jeunes gens s'étaient fait descendre du haut du toit, à l'aide de grosses cordes.

[60] Ant. Jud., XVII, VI, 3.

[61] Bell. Jud., I, XXXIII, 4.

[62] Ant. Jud., XVII, VI, 4.

[63] Ideler et Clinton donnent pour cette éclipse la même date que Fréret, c'est-à-dire la nuit du 13 au 14 mars de l'an 4 avant l'ère chrétienne. De là vient que Clinton l'appelle l'éclipse du 13 mars, et Fréret l'éclipse du 14 mars.

[64] Bell. Jud., I, XXXIII, 5. — Les symptômes de la maladie d'Hérode sont ici décrits de la manière suivante : La fièvre du malade n'était pas intense ; mais le corps entier était torturé par un prurit externe. Le côlon était affecté d'une douleur continue ; les pieds étaient tuméfiés par l'infiltration, ainsi que l'abdomen ; les parties génitales déjà en décomposition étaient dévorées par les vers. Il ne pouvait plus respirer que debout, et encore cet acte vital était-il accompagné de mouvements convulsifs de tous les membres.

[65] Bell. Jud., I, XXXIII, 5.

[66] Ces eaux de Callirrhoé sont incontestablement les sources thermales nommées de nos jours el-Hammam, et qui surgissent au fond de la vallée du Zerka-Mayn, dans le voisinage de M'kaour ou Machærous. Elles se déversent dans le Nahr-Zerka-Mayn qui va se jeter, non loin de là, dans la mer Morte.

[67] Bell. Jud., I, XXXIII, 5.

[68] Nous verrons plus loin qu'Hérode avait deviné juste.

[69] Bell. Jud., I, XXXIII, 6.

[70] Ant. Jud., XVII, VI, 5.

[71] Ant. Jud., XVII, VI, 6.

[72] Bell Jud., I, XXXIII, 7.

[73] Ant. Jud., XVII, VII, 1. — Bell. Jud., I, XXXIII, 7.

[74] Macrobe (Saturnaliorum, lib. II, c. IV) cite un mot qu'on dit avoir été prononcé par Auguste, lorsqu'il apprit le meurtre du fils d'Hérode. Il va sans dire que l'écrivain chrétien l'applique au massacre des innocents, ce que nous nous garderons bien de faire comme lui. Voici ce mot : Melius est Herodis porcum esse quane filium. Il vaut mieux être le pourceau d'Hérode que son fils. Scaliger (ad Eusebium) s'étonne à bon droit de ce propos tenu par Auguste, puisque ce prince avait approuvé la sentence des trois fils d'Hérode, avant qu'elle fût exécutée.

[75] Bell. Jud., I, XXXIII, 7.

[76] Bell. Jud., I, XXXIII, 8.

[77] Dans les récits talmudiques le nom de Jannée est indifféremment appliqué aux souverains asmonéens et à Hérode lui-même, comme ici. J'ai emprunté textuellement à l'excellent travail historique de M. Derenbourg la glose précieuse que je viens de transcrire.

[78] Ant. Jud., XVII, VIII, 2. — Bell. Jud., I, XXXIII, 8.

[79] Bell. Jud., I, XXXIII, 8.

[80] Bell. Jud., I, XXXIII, 8. — Archélaüs était chargé par son père de porter à Auguste son anneau royal et ses dispositions dernières, munies de son sceau.

[81] Ant. Jud., XVII, VIII, 3. — Bell. Jud., I, XXXIII, 9.

[82] Ant. Jud., XVII, VIII, 4. — Bell. Jud., I, XXXIII, 9. — Dans ce dernier passage il est dit par Josèphe que le corps d'Hérode fut porté par une route de 200 stades à Hérodium, pour y être inhumé suivant la volonté formelle du défunt. 200 stades olympiques de 185 mètres font 37 kilomètres, tandis que 200 stades judaïques de 140 mètres n'en feraient que 28. Or, de Jéricho au Djebel-Fouréïdis, il y a en ligne droite 28.350 mètres. C'est donc très-certainement le stade olympique dont Josèphe fait usage cette fois, puisqu'il faut tenir compte des nombreux détours qu'à dû faire la route à travers le pays le plus accidenté du monde.

Je ne puis me dispenser de donner ici, in extenso, la teneur du précieux fragment de Nicolas de Damas, dans lequel les derniers événements de la vie d'Hérode sont exposés. Le voici :

(Codex Escorialensis. Suite du passage cité plus haut).

Antipater tenait donc Nicolas pour son ennemi, tandis que non-seulement en Judée, mais en Syrie. et dans les contrées plus éloignées encore, le nom de ce fratricide était poursuivi par la haine universelle. La nouvelle de ce meurtre parvint jusqu'à Rome, et là tout le monde se prit à exécrer le misérable qui avait fait assassiner ses frères 'pli lui étaient bien supérieurs de toute manière, et qui avait poussé son père à se souiller d'un crime aussi abominable ; chacun avait honte de l'ancienne bienveillance qu'il avait témoignée à Hérode. Antipater, poursuivant l'œuvre qu'il avait si bien commencée, songea bientôt à se débarrasser de son père, qui lui barrait encore le chemin conduisant au crime, et il fit acheter du poison en Égypte. Un des confidents de cet abominable projet le trahit. Le père fit soumettre à la torture les serviteurs d'Antipater, et ceux-ci dévoilèrent tout le complot, déclarant qu'il voulait faire mourir son père, ses frères survivants et les enfants des princes déjà morts, pour qu'il ne restât d'autre héritier du crime que lui-même. Il fut découvert aussi qu'il avait machiné contre la famille même d'Auguste quelque chose de beaucoup plus grave encore que ce qu'il avait commis contre sa propre famille. (Que signifie cette accusation énigmatique ? Je l'ignore.) Le préfet de Syrie, Varus, arriva avec les autres procurateurs. sur l'invitation d'Hérode qui les avait convoqués en tribunal. On leur soumit le poison et les témoignages recueillis par la torture que les serviteurs avaient subie, et des lettres écrites de Rome par Antipater. Le Roi avait confié l'accusation à Nicolas. Lorsque celui-ci eut parlé, Antipater présenta sa défense devant Varus qui siégeait avec ses amis, en qualité de juges. Antipater, condamné à mort, fut livré à son père pour qu'il le fit conduire au supplice. Nicolas, cette fois encore, supplia Hérode d'envoyer son fils à Auguste, puisqu'il avait aussi commis un crime contre sa personne, afin qu'il décidât de son sort. Mais une lettre d'Auguste arriva qui prévint la bonne intention de Nicolas elle permettait à Hérode de punir son fils comme il l'entendrait. Antipater subit donc la peine de mort. Auguste ordonna également de tuer une affranchie (Acmé) qui avait été la complice d'Antipater, et lui avait prêté son assistance. Il n'y eut personne qui ne félicitât Nicolas pour le remarquable réquisitoire qu'il avait prononcé contre le fratricide qui avait en outre tenté de devenir parricide.

Très-peu de temps après, le Roi mourut lui-même. Lorsqu'il eut cessé de vivre, le peuple se révolta contre ses fils et contre les Grecs. Les insurgés étaient au nombre de plus de dix mille. Un embat s'engagea dans lequel les Grecs furent vainqueurs. Après cela, Archélaüs qui voulait se rendre à Rome, comme successeur d'Hérode, pour soutenir ses prétentions et ses droits sur tout le royaume de son père, pria Nicolas qui, étant presque sexagénaire, désirait se retirer au milieu des siens, de l'accompagner dans sort voyage avec ses autres frères (lisez, amis : φίλων au lieu d'άδελφών). Nicolas s'embarqua donc avec lui pour Rome. Il y trouva partout des ennemis d'Archélaüs. D'un côté, en effet, le frère plané d'Archélaüs revendiquait la couronne ; de l'autre, tous ses cousins, quoique opposés aux prétentions du jeune frère, n'en accusaient pas moins Archélaüs. Les villes grecques qui avaient été sous l'autorité d'Hérode, envoyèrent aussi des députés chargés de réclamer leur liberté. Enfin, le peuple juif tout entier accusait Archélaüs de la mort de 3.000 personnes qui avaient péri dans le combat dent nous avons parlé ci-dessus, et demandaient à devenir sujets romains, ou tout mu moins à avoir pour roi le plus jeune des deux fils d'Hérode. Lorsque toutes ces prétentions eurent été mises en avant, Nicolas, plaidant la cause d'Archélaüs, combattit d'abord les parents et le peuple, qu'il fit débouter de leurs demandes ; quant aux villes grecques il jugea inopportun d'en parler et conseilla avec succès à Archélaüs de leur rendre la liberté qu'elles réclamaient, puisque le reste de ses États était bien suffisant. Il refusa de même de parler contre le frère d'Archélaüs, parce qu'il avait été l'ami de leur père commun. Auguste trancha le procès à sa guise, en donnant à chacun des fils d'Hérode une part de ses États, dont la moitié fut attribuée à Archélaüs. Nicolas fut comblé d'honneurs ; Archélaüs reçut le titre d'Ethnarque, avec promesse qu'il obtiendrait plus tard le titre de Roi, s'il s'en montrait digne. Ses frères puinés, Philippe et Antipas, furent nominés tétrarques.