Maintenant reprenons notre récit. Toutes les espérances d'Hérode étaient donc comblées ; il ne redoutait plus de soulèvements, et il tenait ses sujets astreints à la plus entière soumission, autant par la crainte, parce qu'on le savait peu avare de supplices. que par la reconnaissance, parce qu'il avait montré un très-grand empressement à les secourir, pendant la disette et la peste. Il ne négligea pas néanmoins de chercher un appui parmi les nations étrangères. pour le cas où il aurait de nouveau des démêlés avec son peuple. Il se montrait toujours bienveillant et humain envers les villes, et. à l'occasion, il s'empressait de rendre des services aux dynastes qu'il gratifiait de riches présents, tout en les assistant dans les circonstances difficiles. Comme il était naturellement généreux. il en résultait que tous les princes ses voisins profitaient largement de sa propre prospérité. Malheureusement cette magnificence et son désir de plaire à Auguste et aux plus puissants des Romains, le portaient trop fréquemment à s'écarter des mœurs reçues et à heurter de front les institutions du pays qu'il gouvernait. C'est ainsi qu'il fondait des villes, par pure ostentation, et qu'il bâtissait des temples, mais non pas en Judée ; là, jamais il n'eût osé le faire, parce qu'il savait à merveille que les Juifs ne l'eussent pas toléré, eux pour qui c'était un crime de rendre un hommage quelconque, à la manière des Grecs, à des statues ou à des images. C'était donc dans les pays étrangers qu'il se permettait d'orner ainsi les villes, et encore prenait-il le soin de s'excuser aux yeux des Juifs, en alléguant qu'il ne le faisait pas de sa propre volonté, mais bien pour obéir à des ordres formels venus de Rome. Il réussit ainsi à se concilier les bonnes grâces d'Auguste et des Romains, qui le voyaient se préoccuper plus sérieusement de leur faire honneur que de respecter les mœurs de son pays ; et, d'un autre côté, il était convaincu qu'il travaillait pour sa gloire, en transmettant à la postérité des monuments illustres de son passage sur le trône. Telles furent les raisons qui le portèrent à relever et à embellir des villes, en ne reculant devant aucune dépense pour en venir à ses fins[1]. Hérode avait reconnu sur la côte un emplacement
parfaitement disposé pour recevoir une ville opulente ; c'était le lieu
appelé précédemment Cette ville est située sur la côte de Phénicie, sur la route que les navigateurs suivent pour se rendre en Égypte, entre Joppé et Dora. Ces deux petites villes maritimes n'offraient pas des parts véritables. à cause des vents violents venant d'Afrique, qui font que la mer jette constamment des sables sur la côte, et ne fournissaient nulle part une station sure pour les navires. Il en résultait que la plupart du temps les marchands étaient obligés de mouiller au large. Pour remédier à ce grave inconvénient, Hérode construisit son port en creusant, du côté de la terre, un espace suffisant pour recevoir de grandes flottes ; puis des blocs énormes furent établis comme fondations, à vingt orgyes de profondeur[2]. La plupart de ces blocs avaient cinquante pieds de long, dix-huit de large, et neuf de hauteur. Il y en avait de plus grands encore, tuais aussi de plus petits. Cette masse opposée à l'impétuosité des vagues reçut un développement de deux cents pieds. La moitié de cette longueur fut destinée à briser les efforts des vagues venant de tous les côtés, et reçut le nom de procymæa[3]. L'autre moitié supportait une muraille garnie de tours dont la plus grande, qui était très-remarquable, reçut le nom de Drusus, en l'honneur du petit-fils de César, de ce Drusus qui mourut dans la fleur de la jeunesse[4]. Il y avait de nombreuses cales séparées, propres à recevoir les navires isolés, et au delà de ces cales régnait, sur tout le pourtour du port, un vaste quai fournissant un promenoir des plus agréables. L'entrée du port était ouverte du côté de l'Aquilon, qui est le plus froid de tous les vents. Les extrémités du quai étaient garnies, sur la gauche du navire entrant dans le port, d'une tour très-solidement bâtie pour mieux résister à la mer. et sur sa droite, de deux grandes roches plus hautes que la tour qui leur faisait face ; elles étaient verticales et reliées entre elles. Le port entier était entouré de bâtiments jointifs construits en magnifique, appareil. Au milieu se voyait une hauteur sur laquelle était bâti un temple d'Auguste, destiné à être aperçu du large et de très-loin, et contenant deux statues. celle de Rome et celle d'Auguste. Cette ville si remarquable fut appelée Césarée. Des travaux souterrains, dignes de ceux qui se voyaient au-dessus du sol, constituaient un système de conduits et d'égouts remarquable. Quelques-uns de ces canaux couraient parallèlement entre eux et à dei intervalles égaux vers la mer ; un autre les recoupait tous transversalement, pour rendre facile l'évacuation des eaux pluviales et des immondices de la ville, et pour permettre ainsi le lavage de celle-ci. Hérode dota également la ville d'un théâtre taillé dans le roc, et, sur le côté méridional du port, d'un amphithéâtre capable de recevoir un très-grand nombre de spectateurs ; il était situé si avantageusement, que de là on apercevait la haute mer. Il fallut douze ans pour achever la construction de cette ville magnifique, construction à laquelle ne manquèrent ni la persévérance du Roi, ni les moyens d'exécution[5]. Sébaste était achevée ; Césarée l'était aussi ; Hérode
alors se décida à envoyer à Rome ses deux fils, Alexandre et Aristobule, pour
aller présenter leurs hommages à Auguste. A leur arrivée, ils descendirent
chez Pollion, ami dévoué de leur père, et bientôt ils furent invités à venir
s'installer dans le palais d'Auguste lui-même. Celui-ci les accueillit avec
la plus entière bienveillance, et accorda à Hérode la faculté de désigner à
son gré celui de ses deux fils qu'il désirerait avoir pour successeur. L'étendue
de ses États fut encore accrue de Hérode. dès qu'il eut reçu d'Auguste cette contrée en cadeau, s'empressa de s'y rendre, muni de guides expérimentés, et il réussit promptement à forcer les Trachonites à renoncer à leur genre de vie. La paix et la sécurité reparurent aussitôt dans les pays d'alentour[9]. Alors Zénodore irrité, en premier lieu de ce qu'on le dépouillait d'une partie de ses États, et surtout poussé par l'envie qu'il portait à Hérode que l'on avait enrichi à ses dépens, se rendit à Rome pour-porter une accusation contre son heureux rival. Ce voyage fut inutile, et Zénodore dut revenir sans avoir rien obtenu. Ce fut vers cette époque qu'Agrippa fut chargé par Auguste du gouvernement des provinces placées au delà de la mer Ionienne[10]. Pendant la saison d'hiver qu'il passa à Mytilène, Hérode, qui était son ami, vint l'y visiter ; après avoir séjourné quelque temps auprès de lui, il retourna en Judée. Les habitants de Gadara avaient délégué auprès d'Agrippa une députation prise dans leurs rangs et chargée de dénoncer les actes d'Hérode. Le Romain ne daigna pas écouter les plaignants, les lit charger de chaînes et les remit entre les mains du roi des Juifs. Les Arabes eux-iniques, qui depuis longtemps déjà supportaient impatiemment la suprématie d'Hérode. s'émurent à leur tour. et essayèrent de lui créer de graves embarras, eu se servant d'un prétexte qui paraissait plausible au premier abord. En effet. Zénodore qui voyait ses affaires dans une situation désespérée, leur avait vendu, au prix de cinquante talents, une portion de sa tétrarchie, l'Auranite. Comme cette province faisait précisément partie du nouveau territoire qu'Auguste avait annexé aux états d'Hérode. les Arabes, se prétendant dépouillés par une injustice, lui en disputaient la possession, parfois à l'aide d'incursions dans lesquelles ils essayaient de la violence, parfois en invoquant juridiquement le droit. Ils embauchaient des soldats pauvres, et manifestaient une hostilité ouverte. en comptant sur une révolution qu'ils s'efforçaient de faire naître, ressource privilégiée de ceux dont le genre de vie est coupable. Hérode, qui était tenu parfaitement au courant de toutes ces manœuvres, s'ingéniait à les déjouer en temporisant, en s'abstenant de toute hostilité, et en évitant avec le plus grand soin de fournir le moindre prétexte à un mouvement quelconque[11]. Il avait accompli sa dix-septième année de règne[12], lorsque Auguste vint en Syrie, et la majorité des Gadaréens profita de sa présence pour demander qu'on les débarrassa d'Hérode, qu'ils accusaient d'être un tyran acerbe et intraitable. Celui qui les avait poussés à cet acte d'audace, c'était Zénodore, qui leur jurait que jamais il ne les abandonnerait. qu'il était certain de se voir donner la couronne d'Hérode, dont il remettrait les États sous l'autorité directe d'Auguste. Les Gadaréens, trompés par ces assurances, demandèrent à grands cris qu'il leur fût fait justice. Un fait leur donnait confiance. Ceux des leurs qu'Agrippa avait livrés à la discrétion d'Hérode, avaient été traités fort doucement par lui, et avaient été rendus à la liberté sans avoir éprouvé aucun mal. Ils en concluaient que, si le roi des Juifs se montrait impitoyable pour ses compatriotes, il serait toujours assez généreux pour pardonner facilement les fautes des étrangers. En cela, ils se trompaient grandement. Ils exposèrent donc nettement devant Auguste leurs griefs contre Hérode, l'accusant de violence, de pillage et de destruction de leurs temples. Le roi des Juifs les écouta imperturbablement. Lorsqu'ils eurent fini, il s'apprêtait à leur répondre, lorsque Auguste l'arrêta en lui tendant la main, et en montrant ainsi que les réclamations passionnées de la multitude n'avaient en rien altéré ses sentiments de bienveillance. Le premier jour, le procès se borna là, et le lendemain, il n'en fut pas question. Car les Gadaréens, voyant quelles étaient les dispositions d'Auguste et du tribunal, s'étaient sentis perdus. Leur arrestation leur paraissait imminente, et, par terreur du supplice auquel ils se jugeaient destinés, ils se suicidèrent pendant la nuit, les uns en se jetant par la fenêtre, les autres en se noyant. Mourir ainsi de leur propre volonté, c'était faire l'aveu d'un crime, ou tout au moins d'un acte de légèreté inqualifiable. Aussi Auguste s'empressa-t-il d'absoudre Hérode. La fortune était évidemment pour Hérode, car au même
moment arrivait un accident, qui eut les conséquences les plus heureuses pour
lui. Zénodore fut subitement atteint de la rupture d'un vaisseau, et il
perdit tant de sang qu'il mourut. Auguste fit alors cadeau de toutes ses
possessions à Hérode — elles étaient considérables, puisqu'elles comprenaient
tout le pays situé entre Après avoir accompagné Auguste jusqu'au port d'embarquement, Hérode fit construire en son honneur un temple magnifique, en pierre blanche, auprès du lieu connu sous le nom de Paneion, dans la contrée enlevée à Zénodore[16]. Ce Paneion est une grotte merveilleuse qui s'enfonce dans le flanc d'une montagne. Dans cette grotte s'ouvre une large fissure et un abîme d'une immense profondeur, rempli jusqu'au bord par une eau tranquille. Au-dessus s'élève une grande montagne, et du bas de la grotte jaillissent les sources du Jourdain. C'est en cet endroit, déjà si renommé, qu'Hérode bâtit un temple admirable qu'il consacra à Auguste[17]. Cette nouvelle infraction à la loi religieuse des Juifs ne pouvait manquer de réveiller les justes susceptibilités de la nation ; Hérode le comprit et chercha le moyen de se faire pardonner. Voici ce qu'il imagina. Il fit remise à tous ses sujets du tiers des contributions qu'ils étaient tenus de lui payer, sous le prétexte de leur laisser ainsi le moyen de regagner tout ce qu'ils avaient perdu pendant la fatale période de disette qu'ils venaient de traverser. En réalité, il n'avait pas d'autre but que de reconquérir sa popularité fortement compromise. Toutes ces fondations plus que profanes qu'Hérode créait avec tant d'empressement[18] semblaient aux Juifs autant d'atteintes portées à leur foi religieuse, autant de brèches ouvertes dans l'édifice sacré de leurs mœurs. Aussi le nom d'Hérode n'était-il plus prononcé qu'avec indignation et, colère. Un pareil état des esprits était bien fait pour inquiéter le Roi ; aussi ne négligeait-il aucun moyen d'enlever à ses sujets tout prétexte de soulèvement. Il s'ingéniait donc à leur imposer sans cesse de nouveaux travaux. à empêcher toute assemblée populaire, si bien que toute promenade et toute vie en commun étaient impossibles aux citoyens que surveillaient activement une foule d'espions. Toute infraction aux ordres du tyran était immédiatement d'Ailée avec la plus grande sévérité, et beaucoup de ces prétendus coupables étaient conduits, tantôt au grand jour, tantôt en secret, dans la forteresse de Hyrcania, où les attendait la mort. Cet espionnage ne s'exerçait pas dans la capitale seulement, mais au dehors. et sur les routes. toutes les réunions étaient observées et signalées. On va jusqu'à accuser Hérode de s'être livré en personne au triste métier d'espion, et l'on prétend que souvent la nuit, il allait, travesti en homme du peuple, se mêler aux groupes des mécontents, pour entendre par lui-même ce que l'on pensait et ce que l'on disait de son gouvernement. Tous ceux qui se refusaient obstinément à se plier aux exigences à demi païennes du Roi, étaient persécutés sans trêve ni merci. Quant aux autres, il imagina d'exiger d'eux un serinent de fidélité. La plupart des Juifs, soit par dévouement réel, soit par crainte, se prêtèrent à cette mesure, et jurèrent tout ce qu'il voulut. Quant à ceux qui refusèrent de se courber sous pareille injonction, et qui essayèrent de résister, il les lit mettre à mort sous le premier prétexte venu. Hérode prétendit astreindre également le Pharisien Pollion, Samæas et leurs disciples, à la prestation du serment ; mais ils n'y voulurent pas consentir, et Hérode n'osa pas leur faire subir le traitement qui était réservé à tous les autres récalcitrants, par égard pour Pollion. La secte des Esséniens fut aussi dispensée de cette prestation de serment. Ces Esséniens étaient des hommes qui avaient adopte un genre de vie analogue à celui des Pythagoriciens, chez les Grecs. Nous en parlerons plus amplement tout à l'heure, et nous raconterons d'abord par suite de quelles circonstances cette secte parvint à se concilier l'affection et la faveur signalée d'Hérode[19]. Parmi les Esséniens, se trouvait un certain Manahem, homme de la conduite la plus exemplaire. et auquel la pureté de ses mœurs avait acquis une juste renommée. On le croyait doué du don de prophétie. Lorsque Hérode était encore enfant, Manahem le vit un jour aller à l'école, et lui prédit qu'il serait roi des Juifs. Hérode, pensant que l'Essénien ne le connaissait pas, ou qu'il voulait se moquer de lui, l'avertit qu'il n'était qu'un enfant du peuple. Alors Manahem, souriant avec douceur, le frappa de la main, et lui dit : Tu régneras pourtant, Dieu t'en trouvant digne, et tu inaugureras heureusement ton règne. Mais, souviens-toi des coups que te donne Manahem, et que ces coups te rappellent que la fortune est inconstante. Cette pensée te sera profitable, si tu aimes la justice, la piété envers Dieu et la clémence envers les hommes. Moi qui n'ignore rien, je sais que tu ne le feras pas plus que tout autre, tu mèneras une vie heureuse, et tu rendras ton nom à tout jamais célèbre mais tu oublieras la piété et la justice : Dieu ne te le pardonnera pas et te punira, à la fin de ta carrière. Dans les premiers temps, Hérode ne tint aucun compte de cette prédiction qui lui promettait un avenir inespéré. Mais, plus tard, lorsqu'il se fut peu à peu élevé jusqu'au trône, et lorsqu'il fut au comble de la fortune et de la puissance, il fit appeler Manahem, et chercha à savoir par lui combien de temps devait durer son règne. Manahem ne voulut rien lui dire, et comme Hérode, le voyant muet, lui demandait, s'il régnerait dix ans, l'Essénien lui répondit qu'il régnerait vingt et même trente ans, mais il ne lui indiqua en aucune façon le terme de sa vie. Hérode, enchanté de cette prédiction qui lui suffisait, serra la main à Manahem et le congédia. A partir de ce moment, il tint les Esséniens en grande estime et en grand honneur. Cette anecdote est accompagnée dans le récit de Josèphe, de la réflexion suivante. Quelque incroyables que paraissent ces faits, nous avons pensé devoir les mettre sous les yeux du lecteur, et fournir ainsi, en quelque sorte, la preuve que, dans notre race, les hommes, par la pureté de leur vie et de leurs mœurs, pouvaient se rendre digne de connaître les secrets de Dieu[20]. On le voit, Josèphe tenait à justifier les prétentions prophétiques de la nation juive, probablement afin de faire accepter plus aisément celles qu'il professait pour son propre compte. Le moment est venu de donner le plus brièvement possible un aperçu des différentes sectes qui divisaient le judaïsme ; mais que le lecteur se rassure. cette digression forcée ne nous éloignera pas longtemps de notre sujet, et d'ailleurs nous avons l'espoir que les faits moraux que nous avons à lui faire connaître, ne lui paraîtront pas dénués d'intérêt. Il va sans dire que nous empruntons entièrement à Josèphe tout ce qui va suivre. Un pareil sujet, pour être traité à fond, exigerait de longues et difficiles recherches, et certes il en serait bien digne ; mais comme notre but est uniquement de signaler en gros les caractères philosophiques qui distinguaient les trois grandes sectes du judaïsme, dont nous ne parlons d'ailleurs qu'incidemment, nous ne pouvons supposer qu'on nous fasse jamais un reproche de n'avoir pas épuisé la matière. Cela dit, procédons par ordre. L'historien Josèphe avait écrit son Histoire de la guerre des Juifs, avant d'entreprendre la rédaction de ses Antiquités judaïques ; nous commencerons donc nos emprunts par le plus ancien de ces deux importants ouvrages. Nous lisons au livre II, ch. VIII,
de 1. Lorsque les États d'Archélaüs eurent été réduits en province romaine, Coponius, chevalier romain, en fut nommé procurateur, et y fut envoyé par Auguste, avec des pleins pouvoirs. Pendant son administration, un Galiléen, nommé Judas, excita les habitants du pays il la révolte, en les accusant d'être des liches, s'ils consentaient à payer le tribut aux Romains, et s'ils reconnaissaient un autre maître que Dieu. Ce Judas appartenait à une secte nouvelle de sophistes, toute différente de celles qui jusque-là avaient partagé la nation. 2. Il existe effectivement trois sectes philosophiques parmi les Juifs ; ce sont les Pharisiens, les Sadducéens, et les Esséniens. Ces derniers ont adopté des règles de conduite plus sévères que les autres ; ils appartiennent bien à la nationalité juive, et sont beaucoup plus unis entre eux que les autres sectaires. Les Esséniens ont horreur de toute volupté comme d'un crime ; pour eux, la continence et la résistance aux passions constituent la vraie vertu. Ils condamnent le mariage et, adoptent des enfants étrangers. lorsque ceux-ci sont encore dans un pige assez tendre pour recevoir leurs principes. Ils les traitent comme leurs propres fils et les façonnent à leurs mœurs. Ils ne leur imposent pas toutefois la renonciation au mariage et aux douceurs de la paternité, mais ils entendent se mettre eux-mêmes en garde contre la légèreté des femmes, dont pas une, à leur avis. ne peut rester fidèle à un seul homme. 3. Ils méprisent les richesses ; ils jouissent de leurs biens en commun, et l'on ne pourrait trouver parmi eux un seul homme plus riche que ses frères de secte. Leur règle est absolue sur ce point, et celui qui veut faire partie des Esséniens, doit commencer par verser tous ses biens à la caisse de l'ordre. Ils sont garantis de cette façon contre l'humilité de la misère et contre l'orgueil de la richesse ; et comme les biens de tous sont régis en commun, leur fortune ressemble à un seul patrimoine de frères. Ils ont l'huile en abomination, et si par hasard l'un d'eux en est souillé malgré lui, il est tenu de se purifier. Être flétri par le hâle est un honneur suivant leur opinion, et ils portent toujours des vêtements blancs. Ils choisissent parmi eux des régisseurs de la fortune commune qui est appliquée par indivis aux besoins de tous. 4. Ils n'habitent pas spécialement une ville[21], mais chaque ville en contient un assez grand nombre dans sa population. Tout homme de leur secte qui arrive chez eux, fait usage de tout ce qu'ils possèdent comme de son bien propre, et les nouveaux venus sont traités absolument comme de vieux amis, quelque inconnus qu'ils soient. Aussi lorsqu'ils se mettent en voyage ne prennent-ils aucune provision. Toutefois, ils se précautionnent contre les voleurs. en portant des armes. Dans chaque ville, un hospitalier est désigné pour fournir aux survenants des vêtements et tous les objets de première nécessité. Leur tenue est semblable à celle des enfants placés sous la surveillance d'un maître. Ils ne remplacent leurs habits et leurs chaussures que lorsqu'ils tombent en lambeaux, par suite d'un long usage. Entre eux, ils n'achètent et ne vendent rien. Celui qui a besoin d'une chose quelconque la reçoit d'un autre, et réciproquement. De plus, quand bien même ils n'useraient pas de réciprocité, rien ne les empêche d'accepter ce qui leur manque, de qui bon leur semble. 5. Ils sont d'une piété exemplaire. Avant le lever du soleil, jamais ils ne s'entretiennent de sujets profanes ; ils prononcent alors des prières comme des enfants à un père, comme s'ils voulaient que la clarté du jour les trouvât en oraison. Une fois le soleil levé, leurs chefs ou curateurs permettent à chacun d'eux de se livrer à la profession qu'il exerce. Jusqu'à la cinquième heure du jour, ils travaillent avec assiduité, clans le plus grand calme. Cette heure venue, tous se réunissent de nouveau en un lieu convenu, et là, le corps entouré de ceintures de lin, ils font des ablutions avec de l'eau froide. Puis tous se rendent à une maison dont il n'est permis à personne d'une autre secte de franchir le seuil, et ils se mettent à table, avec le même recueillement que s'ils entraient dans un sanctuaire. Dès qu'ils ont pris place tranquillement et sans bruit, un panetier place un morceau de pain devant chacun des frères, et un cuisinier lui sert une assiette contenant une portion d'un seul et même mets. Un prêtre récite une prière avant qu'ils touchent à leurs aliments et il n'est permis à personne d'y goûter avant cette prière. Le repas terminé, une autre prière est prononcée, de telle sorte qu'avant et après ils rendent grâces à Dieu, comme au dispensateur des aliments qui les 'but vivre. Ils déposent alors le vêtement pour ainsi dire sacré qu'ils avaient pris afin d'assister au repas, et tous retournent à leur ouvrage, qu'ils continuent jusqu'au crépuscule. Lorsqu'ils en reviennent, ils prennent un nouveau repas, avec les mêmes cérémonies, en compagnie des hôtes qui peuvent être arrivés. Jamais ce lieu de réunion ne retentit de cris, et n'est profané par un tumulte quelconque. Les frères de secte ne reçoivent qu'à tour de rôle la permission de parler. Aussi les étrangers qui sont au dehors, s'effrayent-ils de ce silence profond qui leur parait cacher quelque horrible mystère, tandis qu'il n'est dû qu'a une sobriété constante, qui fait qu'ils ne mangent et ne boivent que ce dont ils sentent le besoin pour soutenir leur existence. 6. Dans toutes les autres circonstances de la vie, ils ne font rien sans l'assentiment des curateurs ; deux actes seuls sont laissés à leur discrétion, l'assistance du prochain et la charité. Ainsi, ils ont le droit de donner des aliments aux pauvres et de prêter aide à ceux qui en sont dignes. Mais il ne leur est pas permis de rien donner à leurs propres parents, sans l'ordre des curateurs. lis ne se mettent que très-peu en colère et ne s'emportent jamais. Ils sont tous des modèles de bonne foi et des instruments de paix entre tous. Leur parole est plus sûre qu'un serment, mais ils évitent de jurer quoi que ce soit, tenant cette action pour plus mauvaise qu'un parjure. Pour eux, celui-là est déjà damné. à la parole de qui l'on ne croit plus, si Dieu n'est par lui pris à témoin. Ils étudient avec amour les écrits des anciens, et mettent au premier rang ceux qui traitent de l'aine et du corps. Ils y cherchent avec ardeur les propriétés des plantes et des minéraux qui peuvent être appliqués comme remèdes aux maladies humaines. 7. Celui qui veut entrer dans cette secte n'est pas admis à le faire du premier coup. Pendant une année entière, il doit pratiquer à l'extérieur la règle des frères, et on lui remet une petite pioche, la ceinture que nous avons mentionnée plus haut, et la robe blanche. Si, pendant cette année, il a donné des preuves constantes de sa continence, il lui est alors permis de prendre de plus près part à la vie de la communauté ; il participe à ses ablutions, mais il n'est pas encore admis aux repas sacramentels. Pendant deux autres années encore, il doit, par sa conduite, fournir des garanties de sa tolérance et de la pureté de ses mœurs, qu'on observe avec soin. Mais si après ce long noviciat, il par ait digne d'être accueilli dans la secte. on l'y admet enfin. Toutefois, avant de participer au repas en commun, il doit s'engager par des serments terribles, d'abord à servir Dieu pieusement, ensuite à observer la justice envers les hommes, et à ne jamais faire tort à son prochain, ni de son propre mouvement, ni même par l'ordre de qui que ce soit ; enfin, il jure de tenir en haine perpétuelle tous les hommes injustes, et à aider de toutes ses forces ceux qui respectent et observent la justice. Il jure de plus de rester de bonne foi à l'égard de tous, et surtout de ceux qui lui sont soumis, parce que le pouvoir vient de Dieu seul ; que si le hasard le conduit lui-même à exercer l'autorité, il n'en usera ni avec orgueil ni avec emportement, et qu'il ne cherchera jamais à se distinguer des autres, ni par la richesse, ni par les ornements de son costume. Il s'engage à aimer toujours la vérité, et à combattre incessamment le mensonge ; à conserver toujours ses mains pures du vol, et son cœur exempt du désir d'un lucre injuste. Il n'aura rien de caché pour ses frères, et ne révélera rien de ce qui les concerne, même au péril de sa vie. En outre, le nouvel initié jure de transmettre comme il les a reçus et sans y rien changer, les dogmes de la secte, de s'abstenir religieusement de tout brigandage, et de conserver avec la même vénération les livres consacrés. et les saints noms des anges. Tous ces serments une fois prononcés, le néophyte est enfin admis au repas en commun, et il est lié pour toujours à ses frères. 8. Si quelqu'un d'entre eux est convaincu d'avoir commis une infraction grave à la règle. il est chassé de l'ordre, et celui qui est ainsi expulsé échappe rarement à une mort misérable. En effet, lié par ses serments et par les rites obligatoires auxquels il s'est soumis, il ne peut plus faire usage des aliments profanes ; il se voit donc réduit à vivre de l'herbe des champs. Son corps dépérit rapidement et il meurt. C'est pour cela qu'on a vu fréquemment les Esséniens, émus de pitié, prendre à merci des malheureux qu'ils avaient exclus de leur ordre et qui allaient expirer, parce qu'ils pensaient que les souffrances endurées par eux. jusqu'à en mourir, constituaient une punition suffisante de leurs fautes. 9. Les jugements qu'ils rendent sont élaborés avec le plus grand soin et toujours équitables. Il faut qu'ils soient réunis au nombre de cent au moins, pour prononcer sur une cause. Ce qui a été une fois décidé par eux est sans appel et sans rémission. Après Dieu, c'est le nom du législateur qui est en plus grande vénération parmi eux. Celui qui a appelé la malédiction sur lui, est puni de mort. Ils professent un très-grand respect pour l'âge et pour les droits de la majorité, de sorte que, s'ils siègent au nombre de dix, l'un d'entre eux ne prendra pas la parole, si cela ne convient pas aux neuf autres. Ils s'abstiennent avec grand soin de cracher devant leurs frères, lorsqu'ils sont réunis, ou vers leur droite. lorsqu'ils sont seuls. De tous les Juifs, ce sont les Esséniens qui observent avec le plus de rigueur l'abstention de tout travail manuel le jour du sabbat. Non-seulement ils préparent leur nourriture la veille de ce saint jour. pour ne pas allumer de feu pendant toute sa durée, mais encore ils n'osent ce jour-là déranger aucun vase de sa place, ni !nique satisfaire les besoins naturels. Tous les autres jours, ils creusent en terre un trou d'un pied de profondeur, avec leur petite pioche (c'est à cela que doit servir celle que l'on donne aux néophytes), le recouvrent de leurs vêtements, pour ne pas faire injure aux rayons divins, et, leur besoin satisfait, ils referment le trou avec la terre qu'ils en avaient extraite. Encore ne font-ils cela que dans le lieu le plus secret qu'ils peuvent trouver. Et bien qu'il n'y ait rien là que de naturel. ils regardent comme obligatoire ; après cet acte inévitable. de faire les mêmes ablutions que s'ils étaient entachés d'impureté. 10. Les Esséniens sont divisés en quatre classes, eu égard au temps pendant lequel ils ont pratiqué leurs dogmes. Les jeunes sont tellement au-dessous des vieillards, dans l'ordre hiérarchique adopté par eux, que si l'un de ces derniers a d'aventure touché l'un des premiers, il est obligé de se purifier, comme s'il avait eu contact avec un étranger. Ils atteignent un très-grand âge, et les centenaires ne sont pas rares parmi eux. Cela tient. sans cloute à la simplicité de leur régime et à leur modération en toutes choses. Ils méprisent l'adversité, et ne tiennent aucun compte de la douleur physique. Ils vont plus loin. et une mort glorieuse leur parait préférable à la vie. La guerre que les Juifs ont soutenue contre les Romains a montré surabondamment quelle était l'énergie morale des Esséniens. Torturés, déchirés, brisés, livrés aux flammes, pour être poussés à maudire l'auteur de leur règle, ou pour consentir à goûter de quelques mets défendus, pas un seul d'entre eux ne put être amené à commettre cette infraction, ni à cesser d'adresser de douces paroles à ses bourreaux, ni a verser une larme. Au milieu des plus horribles douleurs, tous souriaient, accueillaient leurs meurtriers avec des plaisanteries, et expiraient avec joie. comme si la vie leur était rendue. 11. Voici quelle était leur doctrine philosophique : les corps sont soumis à la destruction, et la matière dont ils sont composés n'est pas éternelle ; les âmes, au contraire, sont immortelles et indestructibles ; elles émanent de l'éther le plus subtil. et sont dans le corps tomme dans une prison à laquelle elles sont liées par une sorte d'attraction. Lorsqu'elles se trouvent dégagées des liens charnels, elles sont comme délivrées ; d'une longue servitude, jouissent du plus grand bonheur, et s'envolent vers le ciel. Les finies pieuses (en cela ils étaient du même avis que les Grecs) vont habiter, au delà des mers. une région tempérée par un doux zéphyr exhalé de l'Océan, et qui n'est jamais exposée à la neige. à la pluie, ni aux ardeurs du soleil. Les Antes impies, au contraire, sont reléguées pour l'éternité dans un antre souterrain, ténébreux et glacé, où elles subissent des tourments sans fin. Les Grecs nue semblent partir de la même théorie lorsqu'ils admettent que les hommes forts et. vertueux, qu'ils appellent héros et demi-dieux, vont après leur mort terrestre habiter des îles fortunées. tandis que les mes des méchants sont condamnées à gémir dans un lieu des enfers réservé aux impies, lieu dans lequel suivant leurs antiques fables, les Sisyphe, les Tantale, les Ixion et les Tityus, expient par des supplices éternels les crimes de leur vie humaine, prouvant par leur exemple. d'abord l'immortalité de l'âme, et ensuite qu'il faut exhorter les hommes à protéger la vertu et à conserver toujours l'horreur du vice. En effet, suivant les Esséniens, l'espoir de la récompense au delà du tombeau, devait rendre les bons meilleurs encore, tandis que les méchants, bien qu'ils ignorassent les châtiments auxquels ils étaient réservés après leur mort, seraient peut-être retenus dans leurs détestables penchants, par la crainte des peines éternelles. Telles étaient les pensées philosophiques des Esséniens sur la destinée de l'âme, les dogmes dont ils la nourrissaient et qui liaient à tout jamais ceux qui les avaient une fois goûtés. 12. Il y avait parmi les Esséniens des hommes qui pensaient posséder la prescience de l'avenir, parce qu'ils s'étaient voués depuis leur enfance à la méditation des livres sacrés, aux purifications de toute nature et aux paroles des prophètes assidûment étudiées ; il était rare, en effet, que ces privilégiés s'écartassent de la vérité dans leurs prédictions. 13. Il existait une classe à part d'Esséniens qui, tout en acceptant sans restriction toutes les pratiques, toutes les institutions et toutes les coutumes des autres, se séparait d'eux sur le chapitre du mariage. Ceux-là pensaient que s'abstenir du mariage, c'était se priver de la plus grande partie de l'existence qui est étroitement reliée à la succession des générations. et que le genre humain cesserait bientôt d'être, si tous les hommes adoptaient ce principe de ci :induite. Ces dissidents éprouvaient leurs futures compagnes pendant trois ans entiers. Lorsque trois fois elles avaient montré qu'elles pouvaient être mères, ils les épousaient. Lorsqu'elles étaient enceintes, ils les respectaient, prouvant ainsi que pour eux le mariage n'était pas une source de plaisirs, mais bien une institution exclusivement destinée à leur donner de la postérité. Les femmes des Esséniens étaient soumises aux mêmes ablutions que leurs maris, et dans les mêmes conditions. Telles étaient les mœurs des Esséniens, suivant le dire de Josèphe. Dans le livre attribué par les uns à Origène, par les autres à Hippolyte (édition de M. Miller, Oxford, 1851), intitulé Φιλόσοφουμενα, toutes les hérésies sont passées en revue ; nous y retrouvons ce qui, dans les récits de Josèphe, concerne les sectes juives ; tout y est reproduit à très-peu près dans les mêmes tenues, si bien qu'il n'est pas possible de méconnaître un emprunt textuel. Cependant, communie quelques détails paraissent puisés à une autre source. nous ne pouvons nous dispenser de les donner ici. Voici en quoi ils consistent : Après avoir parlé du soin que les Esséniens prennent de
s'abstenir de tout travail manuel pendant le jour du sabbat, l'auteur des Philosophouména
ajoute : Quelques-uns d'entre eux ne quittent pas le
lit (p. 302 et 303 de l'édition
précitée) ; puis plus bas (p. 303)
: Quelques-uns s'imposent la règle de ne pas avoir
sur eux de pièces de monnaie, parce qu'ils prétendent qu'il n'est pas permis
de porter une image, pas plus que de la regarder ou de la fabriquer. C'est
aussi cause de cela que quelques-uns n'entrent pas dans la ville, pour n'en
pas traverser les portes sur lesquelles des figures sont sculptées. tenant
pour criminel de passer sous ces images. D'autres, lorsqu'ils ont entendu
quelqu'un parler de Dieu et de ses lois, s'il n'est pas circoncis, l'épient
jusqu'à ce qu'ils le trouvent dans quelque coin isolé ; là, ils le menacent
de le tuer, s'il ne se laisse circoncire. S'il ne veut pas consentir, ils ne
l'épargnent pas, mais l'assassinent. C'est pour cela que ces sectaires ont
reçu des uns, le nom de Zélotes, et des autres celui de Sicaires. D'autres, parmi les Esséniens, ne veulent donner à aucun autre qu'à Dieu le nom de Seigneur, et cela, devant la torture et la mort même. Ceux qui ont atteint un âge avancé dans la pratique de leur vie ascétique, tiennent en si grand mépris ceux qui ne sont affiliés que depuis peu de temps à la secte, qu'ils ne veulent même pas les toucher du bout du doigt. Si par hasard ils en touchent un, ils se hâtent de se purifier, comme s'ils avaient eu contact avec un étranger. Maintenant reprenons Josèphe, et voyons ce qu'il nous apprend sur le compte des Pharisiens et des Sadducéens. 14. Des deux autres sectes, la première, celle des Pharisiens, comprenait des hommes qui passaient pour les meilleurs interprètes de la loi. Tous les faits de la vie humaine étaient attribués par eux à la volonté de Dieu. Quant à la bonne ou à la mauvaise conduite, elle dépendait, à leur avis, en grande partie des hommes eux-mêmes, bien que la destinée y eût toujours une part. Pour les Pharisiens, toute âme était immortelle. Celles des hommes vertueux, revenaient animer de nouveaux corps. tandis que celles des méchants subissaient un supplice éternel. Les Sadducéens enfin, niaient absolument l'existence du destin, et se refusaient à admettre que la bonne ou la mauvaise conduite, dans cette vie, pût être imputée à Dieu, le choix du bien ou du mal restant uniquement le produit du libre arbitre de l'homme, qui avait de la manière la plus complète la liberté de préférer telle ou telle ligne de conduite. Ils niaient l'immortalité de l'âme. et par conséquent l'existence des récompenses et des peines futures. Les Pharisiens étaient liés entre eux, par une vive et mutuelle affection, et ils étaient animés d'une entière concorde pour le bien commun. Quant aux Sadducéens, ils étaient beaucoup plus durs entre eux, et n'avaient avec leurs confrères de secte, d'autres relations que celles qu'ils eussent eues avec des étrangers[22]. Telle est la teneur du premier passage de ses écrits, dans lequel l'historien Josèphe a esquissé, avec un véritable talent, les traits principaux qui caractérisaient les trois grandes sectes du judaïsme. Nous pourrions à la rigueur nous contenter. de la reproduction de cet intéressant morceau, mais nous avons pensé qu'il serait plus sage de ne négliger aucun de ceux qui peuvent compléter cette première étude. Voyons donc maintenant ce que le livre des Antiquités judaïques nous offre à son tour de renseignements sur les Pharisiens, les Sadducéens et les Esséniens. Au livre XIII, c. V, $ 9, nous lisons ce qui suit : A cette époque — il s'agit du moment où Jonathan, l'Asmonéen, exerçait le souverain pontificat à Jérusalem —, il existait dans la nation juive trois grandes sectes, qui avaient des opinions différentes sur la nature et la destina : humaines. C'étaient les Pharisiens, les Sadducéens et les Esséniens. Les Pharisiens disaient que
certains actes humains étaient régis par le destin, c'est-à-dire par Ce court passage n'ajoute pas grand chose, on le voit, aux notions que nous possédions déjà. Poursuivons donc notre recherche. Dans ce même livre XIII (c. X, § 6), à propos d'une insulte faite à Jean Hyrcan, le roi grand-prêtre, Josèphe s'exprime ainsi : Les Pharisiens sont naturellement portés à la clémence. lorsqu'ils ont une peine à infliger. Pour le moment, nous nous contenterons de dire que les Pharisiens ont voulu imposer au peuple beaucoup de règles qui ne sont que traditionnelles, et qui n'ont jamais trouvé place dans les lois de Moïse. Aussi les Sadducéens rejettent-ils ces règles, en soutenant que rien de ce qui, en fait de loi, est purement traditionnel, ne doit être conservé. Il est résulté de cette diversité d'opinions de graves dissentiments entre les deux sectes rivales. Car les Sadducéens ne cherchent à attirer que les riches dans leurs rangs, tandis que les Pharisiens s'appuient sur la faveur de la multitude. Au livre XVIII, c. I, nous trouvons un troisième passage, qui nous offre heureusement quelques notions nouvelles et intéressantes. Le voici : 2. Depuis les temps les plus reculés, il existait dans la nation juive trois sectes philosophiques, à savoir : les Esséniens, les Sadducéens et les Pharisiens... 3.
Les Pharisiens vivent petitement et ne donnent rien aux plaisirs. Ce que. la
raison a jugé bon et leur a transmis, est devenu la règle qu'ils suivent et
qu'ils entendent conserver et défendre par tous les moyens en leur pouvoir.
Ils tiennent la vieillesse en très-grand honneur, et l'on ne trouverait pas
parmi eux un seul homme assez outrecuidant pour se permettre de contredire ce
que les anciens mettent en avant. Quoiqu'ils disent que tout dépend du
destin, c'est-à-dire de Ces dogmes ont valu aux Pharisiens une si grande autorité sur l'esprit du peuple, que tout ce qui concerne la religion, comme la prière et le sacrifice, ne se pratique que selon leurs instructions. Les populations ont rendu une justice éclatante à leur vertu, en admettant qu'ils ont réglé tout ce qu'il y a de plus louable, tant dans la vie matérielle que dans la vie spirituelle. 4. Suivant la doctrine des Sadducéens, l'âme périt avec le corps. Ils se refusent à toute observance qui n'est pas fixée par la loi. Pour eux, discuter avec les maîtres qui leur ont enseigné la sagesse qu'ils professent, c'est accomplir un acte louable. Leurs dogmes ne sont acceptés que par un petit nombre d'adeptes, mais tous appartiennent à la classe la plus élevée de la nation. Presque tous restent inoccupés, et s'ils sont appelés par hasard à exercer une magistrature, c'est malgré eux, et comme contraint et forcés, qu'ils s'y astreignent ; mais, dans ce cas, ils opinent avec les Pharisiens. car sans cela le peuple ne les supporterait pas. 5. Les Esséniens sont d'avis que tout est entre les mains de Dieu. Ils admettent l'immortalité de l'âme et mettent la justice au-dessus de toutes les vertus. Lorsqu'ils portent des offrandes au temple, ils n'y font pas de sacrifice, parce qu'ils croient les rites de leur culte beaucoup plus saints. Aussi se renferment-ils en commun dans un sanctuaire qui leur appartient exclusivement, et où ils se livrent en secret aux pratiques de leur croyance. Ce sont du reste des hommes de mœurs très-pures, et principalement adonnés à l'agriculture. En réalité, ils méritent d'être admirés plus que tous ceux qui désirent se montrer vertueux. en raison de leur justice, cette vertu si honteusement méconnue parmi les Grecs et les Barbares, et qu'ils pratiquent depuis un temps si éloigné, qu'il n'y a pas eu le moindre obstacle à ce qu'ils admissent entre eux la communauté des biens, et que le riche ne jouit pas plus de ses richesses que celui qui ne possédait absolument rien. On compte plus de quatre mille affiliés dans cette secte. Ils ne se marient point. et ne veulent pas avoir de serviteurs. parce que le mariage leur parait honteux et la domesticité injuste. Ils vivent séparément et s'entraident mutuellement. Ils choisissent pour collecteurs de leurs revenus et des biens de la terre, des hommes probes qui sont leurs prêtres et qui préparent leurs aliments. Tous vivent exactement, de la même façon, et ils ressemblent autant que possible aux Daces, que l'on appelle Polistes[23]. Au chapitre IX, § 1 du livre XX, nous trouvons encore un passage important à transcrire. Il y est question du grand prêtre Ananus le jeune, et Josèphe s'exprime ainsi à son sujet : Il était de la secte des Sadducéens qui, dans les jugements, sont les plus sévères et les plus inflexibles de tous les Juifs, ainsi que nous l'avons dit plus haut. Enfin, dans l'autobiographie de Flavius Josèphe (ch. II) nous lisons : Lorsque je fus arrivé à l'âge de seize ans. je résolus d'étudier nos différentes sectes, et de les connaître par expérience. Elles sont au nombre de trois : la première est celle des Pharisiens, la seconde celle des Sadducéens, et la troisième celle des Esséniens, ainsi que je l'ai dit plus d'une fois. Je pensais qu'en les connaissant bien, je serais en mesure de choisir la meilleure. En me condamnant à une dure existence et à de nombreux travaux, j'expérimentai les trois sectes... A dix-neuf ans enfin, je me décidai à m'affilier à la secte des Pharisiens, qui a beaucoup d'affinité avec celle que les Grecs appellent les Stoïciens. Lorsque En outre des trois sectes qui existaient déjà, Judas le Gaulanite en institua une quatrième, dont les affiliés avaient les mêmes dogmes que les Pharisiens, mais étaient si passionnés pour la liberté, qu'ils entendaient la défendre à tout prix et ne reconnaître d'autre souverain, d'autre maître que Dieu. Les supplices pour eux-mêmes, pour leurs parents et pour leurs amis, étaient comptés pour rien, pourvu qu'ils ne fussent pas obligés de reconnaitre un homme pour leur maître. Nul doute que les affiliés à la nouvelle secte de Judas et de Saddok, n'aient joué un très-grand rôle dans les guerres des Juifs contre les Romains. Nous lisons en effet, quelques lignes plus bas, dans le même paragraphe : La nation fut infestée par cette maladie morale, sous le gouvernement de Gessius Horus, lorsque celui-ci, abusant de son pouvoir, la poussa tout entière à la défection, et à la fin du paragraphe Ier du même chapitre de ce livre XVIII, à propos des sectaires enflammés par Judas et par Saddok : Je veux en dire quelques mots, et cela avec d'autant plus de raison que les jeunes hommes, en acceptant leurs idées, ont causé la ruine de notre nation. Nous terminerons cette longue digression en prémunissant nos lecteurs contre une erreur qu'ils seraient peut-être tentés de commettre. Il existait parmi les Juifs des individus qui se vouaient à Dieu, et qui portaient le nom de Nazaréens ou Naziréens. On aurait tort de croire qu'ils constituassent une secte particulière. Ces Nazaréens ou Naziréens n'étaient que des ascètes, c'est-à-dire quelque chose dans le genre des moines soumis à une règle sévère, chez les chrétiens, ou des derviches, chez les musulmans. Au reste voici les deux seuls passages des écrits de Josèphe où il soit question d'eux. Ceux qui, par suite d'un vœu, se consacrent à Dieu — on les appelle Nazaréens [sic] —, laissent pousser leurs cheveux et s'abstiennent de vin, etc., etc. (Ant. Jud., IV, IV, 4.) Lorsqu'il fut arrivé à Jérusalem (il s'agit du roi Agrippa Ier), il immola des victimes en action de grâces, et n'omit rien des prescriptions de la loi religieuse. En conséquence, il fit couper les cheveux à beaucoup de Naziréens [sic]. Nous pouvons maintenant reprendre notre récit des faits et gestes d'Hérode. Dans la dix-huitième année de son règne[25], il conçut une vaste entreprise beaucoup plus délicate que toutes celles qu'il avait jusque-là menées à bonne tin. Il s'agissait en effet d'élever au Dieu des Juifs un temple nouveau, plus vaste et plus magnifique surtout que celui qui existait. Il comptait, et il avait en cela grandement raison, attacher une gloire éternelle à son nom, s'il réussissait, comme il l'espérait, à donner à ce temple une splendeur que nul autre édifice du lame genre ne pourrait jamais égaler. Mais le difficile était de faire accepter ce projet au peuple qui n'y était nullement préparé, et qui probablement l'accueillerait tout d'abord avec défaveur ; il résolut donc de le haranguer sur ce sujet, et, s'il trouvait de sa part de bonnes dispositions, de mettre résolument et immédiatement la main à l'œuvre. La nation fut donc convoquée, et Hérode prit la parole en ces termes : Citoyens, je crois inutile de vous parler de tout ce que j'ai fait depuis que j'ai reçu la couronne, quoiqu'il n'y ait pas une de mes actions qui n'ait eu pour but votre intérêt, bien plus que ma propre gloire. Vous le savez, dans les circonstances difficiles je n'ai rien négligé de ce qui pouvait alléger vos souffrances, et dans toutes les fondations que j'ai exécutées, je n'ai jamais eu d'autre pensée que celle d'être plus utile à vous tous qu'a moi-même. Aussi ai-je la conviction que, grâce Dieu, j'ai donné à la nation juive plus de bonheur qu'elle n'en a jamais eu dans le passé. Il serait donc superflu de vous énumérer ici tout ce que j'ai fait dans les provinces de mon royaume, pas plus que toutes les villes que j'ai fondées et achevées pour la plus grande gloire de notre race : vous les connaissez aussi bien que moi. Ce que je veux entreprendre aujourd'hui sera pour vous l'œuvre la plus sainte et, pour moi, la plus éclatante de mon règne. C'est ce que je tiens à vous démontrer. Le temple du Dieu très-haut a été, vous le savez, construit par vos pères à leur retour de la captivité de Babylone. Il lui manque soixante coudées en hauteur, pour être semblable à celui qu'avait édifié Salomon. Mais personne n'a le droit d'accuser nos ancêtres d'avoir en cela manqué de piété ; car il n'a pas été en leur pouvoir de donner à leur temple les dimensions qui avaient fait l'illustration du premier. Cyrus et Darius fils d'Hystaspe, en effet, prescrivirent le mode de reconstruction du sanctuaire. Sujets de ces deux rois et de leurs descendants, et, après eux, des Macédoniens, nos pères n'eurent jamais la liberté de bâtir un temple exactement semblable à celui qui, le premier, était né de la piété des Juifs. Maintenant que, par la grâce de Dieu, je suis à votre tête, maintenant que je jouis d'une paix assurée, et que je suis comblé de richesses, maintenant enfin que, ce qui vaut mieux encore, j'ai su me concilier l'amitié des Romains qui sont les maîtres de l'univers, il est de mon devoir de faire tout ce qui dépendra de moi pour porter remède à ce que la nécessité et le malheur des temps ont fait négliger dans le passé, et de rendre dignement à Dieu les actions de grâces que je lui dois pour tous les bienfaits qu'il a accumulés sur mon règne[26]. Le discours d'Hérode surprit singulièrement la foule, qui était loin de s'attendre à rien de semblable ; mais comme le résultat promis paraissait à peine possible à espérer, elle se montra froide et inquiète. Elle craignait effectivement que, si le roi se mettait d'abord à détruire tout ce qui existait, il ne se trouvât, financièrement parlant, dans l'impossibilité de parfaire Pauvre annoncée. La grandeur de cette œuvre elle-même semblait l'obstacle le plus sérieux à sa réalisation. Hérode était trop avisé pour ne pas saisir sur les visages de ses auditeurs la pensée qui les agitait. Il s'empressa donc de les rassurer, en leur affirmant qu'il ne serait pas touché au temple existant, avant que tout, ne fût prêt pour élever promptement celui qui devait le remplacer. Cette promesse rendit confiance à tout le monde. Le roi fit construire alors mille chariots destinés au transport des pierres ; dix mille ouvriers habiles furent enrôlés ; des vêtements sacerdotaux furent distribués à mille prêtres qui furent préposés à la taille des pierres et des charpentes ; et lorsque enfin tout fut prêt, on se mit à l'œuvre[27]. Les anciennes fondations furent arrachées, et on leur en substitua de nouvelles[28] sur lesquelles s'éleva rapidement le nouveau Naos, long de cent coudées, et haut à vingt coudées de plus, pour olivier au tassement que le temps ne pouvait manquer d'opérer. — C'est cette surélévation qu'il fut question de rétablir sous le règne de Néron —. Le temple était construit en blocs massifs de pierre blanche. Les dimensions de ces blues étaient d'environ vingt-cinq coudées de longueur, sur douze coudées de hauteur. Le temple dans toute sa longueur était, comme le portique royal, plus bas sur les deux lianes que le corps de bâtiment mitoyen dominait de beaucoup. Il était si élevé que les habitants du pays pouvaient l'apercevoir d'une distance d'un grand nombre de stades, surtout ceux qui demeuraient en face, ou qui venaient à Jérusalem. Les portes qui y donnaient accès étaient aussi élevées que le Naos lui-même. et elles étaient garnies de magnifiques tentures sur lesquelles paraissaient des colonnes entremêlées de fleurs purpurines. Au-dessus du couronnement de ces portes, s'étendait sur l'architrave une vigne d'or. de laquelle descendaient magnifiquement des branches également d'or, dont l'aspect stupéfiait le spectateur, tant par la richesse que par la beauté de l'œuvre. Le Naos fut en outre entouré de vastes portiques, admirablement proportionnés dans toutes leurs parties, et tellement plus riches que les anciens, qu'il ne semblait pas que jusque-là le Naos eût jamais été véritablement orné. Deux de ces portiques s'élevaient au-dessus d'une immense muraille, et cette muraille constituait, à elle seule, une des œuvres humaines les plus merveilleuses dont, on eût jamais entendu parler. Une colline rocailleuse, difficile d'accès, s'élevait doucement jusqu'à son sommet, sur le côté oriental de la ville. Salomon, notre premier roi, poussé par l'inspiration divine, en entoura le sommet d'une muraille immense, et commençant à partir du pied de la colline du côté du vent d'Afrique, où elle est entourée par une vallée profonde, il la revêtit de grands blocs reliés entre eux par du plomb, renfermant graduellement ainsi toujours un peu de l'espace intérieur, et s'élevant de plus en plus, si bien que la grandeur et la hauteur de cet ouvrage étaient effrayantes. La construction était quadrangulaire ; l'immensité des blocs employés se manifestait par l'étendue de leur surface extérieure, et reliés à l'intérieur par des liens de fer, ils formaient des assemblages indissolubles pour l'éternité. Ce travail ayant été continué de façon à arriver au niveau du sommet de la colline, celui-ci fut arasé ; les cavités comprises dans l'espace limité par les murailles furent comblées, et la superficie de ce massif fut aplanie, en retaillant les pointes de roc qui faisaient saillie. Cette plate-forme avait quatre stades de pourtour, chacun des côtés du quadrilatère mesurant un stade de longueur. Il construisit l'intérieur une autre muraille, entourant le plateau supérieur, et contre laquelle s'appuyait à l'orient un portique double, aussi long que le mur, faisant face aux portes du Naos qui fut bâti au milieu de la plate-forme. Beaucoup des anciens rois avaient orné ce portique. Tout le pourtour du Hiéron était garni de trophées enlevés sur les nations étrangères ; le roi Hérode les consacra de nouveau, en y ajoutant ceux qu'il avait conquis lui-même sur les Arabes[29] Sur le côté oriental, se trouvait une citadelle placée à
l'angle de l'enceinte sacrée, très-forte et très-solide. Les rois et les
pontifes prédécesseurs d'Hérode en avaient été les constructeurs ; ils lui
avaient donné le nom de Baris, et c'était qu'ils avaient mis en dépôt la robe
sacerdotale, qu'ils ne devaient revêtir que lorsqu'ils avaient à célébrer une
cérémonie religieuse. Hérode fit conserver au même endroit la robe en
question, et après la mort de ce prince, elle tomba au pouvoir des Romains,
entre les mains desquels elle resta jusqu'au temps de Tibère César. A cette
époque, Vitellius, préfet de Syrie, étant venu à Jérusalem. fut accueilli par
les Juifs avec les plus grands honneurs. et comme il exprimait le désir de
leur prouver sa reconnaissance, ils le supplièrent de leur rendre la robe
sacerdotale. Vitellius, n'osant prendre sur lui d'accéder à ce vœu, en
écrivit à Tibère qui donna son assentiment. A partir donc de ce moment, la
robe pontificale resta à la libre disposition des Juifs, jusqu'à la mort du
roi Agrippa. Lorsque cet événement arriva, Cassius Longinus, préfet le Hérode, augmenta considérablement la force de la tour Baris, dont il lit une forteresse capable de protéger et de défendre le Hiéron. Il lui imposa un nouveau nom. et, en l'honneur d'Antoine son ami, qui était l'un des chefs du peuple romain, il l'appela Antonia[30]. Sur le côté occidental de l'enceinte sacrée, s'ouvraient quatre portes dont l'une conduisait au palais, à travers une vallée sur laquelle était jeté un pont. Deux autres ouvraient sur le terrain placé en avant de la ville, et la dernière sur la ville neuve ; celle-là était munie d'un grand nombre de gradins par lesquels on gagnait le fond de la vallée, pour remonter ensuite sur l'autre flanc. La ville, en effet, assise en face du Hiéron, s'élevait en amphithéâtre, et était enveloppée sur toute sa face méridionale par une profonde vallée. La quatrième face du Hiéron, c'est-à-dire celle tournée au midi, avait aussi des portes ouvertes vers le milieu de sa longueur, et au-dessus de cette face s'élevait le portique royal qui était à trois nefs, et qui occupait toute la largeur de l'enceinte sacrée, de l'orient à l'occident ; il n'eût pas été possible de lui donner le moindre développement de plus. Ce triple portique, ou portique royal, était assurément l'œuvre la plus splendide qui eût jamais existé à la lumière du soleil. En effet, la vallée étant déjà assez profonde pour permettre difficilement à l'œil de sonder d'en haut sa profondeur, Vénale la couronna d'un portique d'une élévation si immense, que celui qui, placé sur son toit, essayait de juger du regard cette double hauteur, courait grand 'impie d'être pris de vertige. Le portique était orné de quatre rangs de colonnes disposées sur toute sa longueur, se faisant face régulièrement, et dont le quatrième rang était formé de colonnes engagées dans une magnifique muraille. L'ampleur de ces colonnes était telle, qu'il fallait trois hommes pour en embrasser le fin. Leur hauteur était de 27 pieds, et elles étaient garnies à la base d'une double moulure. Elles étaient en tout au nombre de 162[31]. Les chapiteaux, de style corinthien, étaient de la plus belle exécution. De ce qu'il y avait quatre rangs de colonnes. il résultait nécessairement que le portique se composait de trois nefs ou travées Les travées latérales étaient semblables et avaient chacune trente pieds de largeur, un stade de longueur, et plus de cinquante pieds de hauteur[32]. La travée du milieu avait une largeur égale à une fois et demie celle des travées latérales, et sa hauteur était double de la leur. Elle les dominait donc considérablement de chaque côté. Les plafonds étaient ornés de sculptures en bois de très-haut relief et de motifs variés. Le plafond de la travée centrale, beaucoup plus élevé que les deux autres, avait ses deux murs de soutènement ornés de belles corniches, supportées par des colonnes engagées. L'œuvre entière était si merveilleusement polie, que qui ne l'avait pas vue ne pouvait croire à une pareille splendeur, et que qui la voyait se sentait frappé d'admiration. Tel était le premier péribole. A l'intérieur s'en trouvait un second, au niveau duquel on accédait par quelques degrés. et qu'entourait une balustrade de pierre, portant une inscription qui défendait à tout étranger de la franchir, sous peine de mort. Ce péribole intérieur comportait. au midi et au nord, des pylônes au nombre de trois, régulièrement espacés entre eux : et à l'orient, une grande porte par laquelle les hommes et les femmes, en état de pureté, avaient l'habitude d'entrer. Plus à l'intérieur encore, se trouvait un second Hiéron, dont l'accès était interdit aux femmes, et enfin, après celui-ci, en existait un troisième, dans lequel les prêtres seuls pouvaient pénétrer. Dans ce dernier Hiéron se trouvait le Naos, devant lequel était placé l'autel des holocaustes. Jamais Hérode ne put approcher de ces trois sanctuaires[33], dont il était exclu parce qu'il n'était pas prêtre. En revanche, il se donna tout entier aux soins qu'exigeait la construction des portiques et des périboles extérieurs. Tout cela fut achevé dans l'espace de huit années[34]. Lorsque en dix-huit mois, le Naos eut été achevé par les prêtres[35], l'allégresse fut extrême parmi le peuple, d'abord parce que l'œuvre avait été si promptement accomplie, ce dont il rendait grâce à Dieu, et ensuite parce que le Roi avait déployé une pareille diligence pour activer les travaux. Une grande tac fut donc célébrée pour l'inauguration du nouveau temple. Hérode offrit en holocauste à Dieu trois cents !poids, et chacun des citoyens, suivant sa fortune, participa aux sacrifices. en consacrant des victimes. En dire le nombre, ajoute Josèphe, me serait absolument impossible ; car jet ne vois pas continent je pourrais approcher de la vérité. Par une heureuse coïncidence, qui sans doute ne fut pas fortuite, le jour de l'inauguration du temple tomba le jour anniversaire du couronnement d'Hérode, jour qu'il était d'habitude de fêter, et il en résulta forcément que la solennité fut beaucoup plus éclatante[36]. Hérode fit en outre creuser un souterrain qui conduisait d'Antonia à la porte orientale du Hiéron extérieur[37]. Sur cette porte il lit élever une tour, dans laquelle son souterrain lui permettait d'aller chercher un refuge qui le mit à l'abri de la fureur du peuple, si quelque jour celui-ci se révoltait. On raconte que pendant tout le temps que dura la construction du Naos, c'est-à-dire pendant dix-huit mois, il n'y eut pas un seul jour de pluie, celle-ci ne tombant jamais que la nuit, afin de ne pas entraver le travail. Cela, dit Josèphe, nous a été assuré par nos pères, et n'est vraiment pas incroyable, si l'on veut bien réfléchir à tous les autres faits par lesquels Dieu s'est manifesté à nous[38]. Il n'était pas sans intérêt de rechercher, dans le Talmud, quelques notions sur le temple construit par Hérode ; voici ce qu'a produit cette recherche. On lit dans le Talmud de Babylone (Traité Baba-Bathra, fol. 3b) un passage assez curieux relatif au nouveau temple. En voici la teneur : Et Baba-ben-Bouta, comment a-t-il pu donner à Hérode le conseil de détruire la maison sainte ? R. Hisda ne dit-il pas : que l'on ne détruise pas un lieu d'assemblée avant d'avoir bâti un autre lieu d'assemblée[39] ? — Il a peut être craint qu'elle ne tombât en ruine ; il a peut-être craint la volonté de la royauté, et de ne pas respecter ce que dit Samuel : Si la royauté dit : Arrachez-moi une montagne, arrachez la montagne et ne répliquez pas. Hérode était serviteur de la famille hasmonéenne ; il jeta les yeux sur une toute jeune fille de cette famille[40]. Un jour il entendit une grande voix qui disait : Voilà que tout serviteur qui se révolte, réussit. Il se leva, il tua tous ses maîtres, et ne laissa la vie qu'à cette jeune fille. Lorsque cette jeune fille vit qu'elle était destinée à devenir sa femme, elle monta sur la terrasse et s'écria : Quiconque se présentera disant qu'il est de la famille des Hasmonéens, ne peut-être qu'un esclave, car de cette famille il n'est resté qu'une jeune fille. Alors cette jeune fille se précipita du haut de la terrasse sur la terre (סעונרא, ce mot semble rappeler le mot agger) ; elle resta sept ans plongée dans le miel. Il dit (Hérode) : Qui a rappelé le verset : au sein de tes frères, tu te choisiras un roi ? — Les rabbins.— Levez-vous, tuez tous les rabbins.— Il ne resta que Baba-Ben-Bouta, pour lui servir de conseiller. Mais il appliqua sur ses yeux une bande de peau de hérisson (et l'aveugla). — Un jour, un des amis de ce dernier s'assit près de lui ; il dit : Hélas, maître, qu'a fait ce vil esclave ? L'autre répondit : Que puis-je y faire ? — Maudis-le. — Il est écrit : Si tu connais (même les crimes de) ton roi, ne le maudis pas. — Il n'est pas roi. — Ne fût-il que prince, il est écrit : Un prince de ta nation, tu ne le maudiras pas. A propos du temple d'Hérode, nous lisons encore dans le Talmud (Midrasch sur les Nombres, ou Bomidbar-Rabba, section XIV) : Le jour du grand pardon, on offrait un bouc comme sacrifice d'expiation, dit le livre des Nombres, XV, 2. Quel péché y avait-il à expier ? — La construction élevée par Hérode, a eu le tort d'être érigée par un roi impie. Toutefois cette édification a servi à faire pardonner son crime d'avoir massacré les sages d'Israël. Ce massacre des sages d'Israël fait évidemment allusion au passage que nous venons de lire et qui déclare que, de tous les rabbins, Baba-Ben-Bouta seul fut laissé en vie par Hérode. La particularité du manque de pluies pendant tout le temps de la reconstruction du Naos se trouve consignée dans le Talmud de Babylone (Taanith, fol. 23a, sur le Lévitique, XXVI : Je donnerai la pluie en son temps). Voici en quels termes : Au temps d'Hérode, lorsqu'on s'occupait de la construction du temple, la pluie tombait la nuit ; le lendemain matin, le vent soufflait, la terre assez sèche permettait de reprendre les travaux, et le peuple voyait que Dieu le secondait. Ce passage se retrouve identique au Sifri sur le Deutéronome, p. 112, et c'est immédiatement après ce passage que commence l'histoire de Honi le Thaumaturge. On rapporte que celui qui n'a pas vu les constructions d'Hérode, n'a jamais vu de belle construction de sa vie. — Avec quoi l'a-t-il faite ? Rabin dit : Avec des blocs de pierre blanche et de marbre. — Un autre dit : avec des blocs de pierre rouge et de marbre blanc. Il a sorti un bord et il a rentré un bord, afin de faire adhérer la chaux, son intention étant de revêtir d'or. Les rabbins dirent : Laissons-le : cela est très-bien ainsi ; cela a l'apparence des vagues de la mer[41]. Ce curieux passage se retrouve, en ce qui concerne le temple d'Hérode, dans le traité Soucca (fol. 51a) du même Talmud de Babylone. Cette tradition parait dune authentique et très-ancienne. Revenons maintenant au récit de la vie d'Hérode. Ce prince avait tellement à cœur de mettre un terme aux délits de toute nature qui se commettaient. non-seulement dans la capitale, mais encore dans les provinces de son royaume, qu'il ne recula pas devant la pensée d'édicter une loi en désaccord formel avec le code de la nation. Il décréta donc que les voleurs seraient vendus connue esclaves, à la condition que leurs acheteurs les emmèneraient hors du pays. Dans l'esprit du judaïsme, cette mesure paraissait trop sévère contre les coupables ; mais c'était ni son moindre défaut. Ce qu'on lui reprochait le plus amèrement, c'était de porter une atteinte mortelle aux mœurs et aux coutumes de la nation. En effet, réduire les condamnés à la condition d'esclaves chez les étrangers, dont le genre de vie n'avait rien de commun avec celui des Juifs, et les forcer d'obéir ainsi à toutes les fantaisies de pareils maîtres, c'était, disait-on, bien plus commettre un sacrilège, que châtier des criminels. Aussi les lois anciennes ne contenaient-elles rien de semblable. Elles se contentaient de frapper le voleur d'une amende quadruple de la somme volée ; dans le ras oui il était insolvable, elles autorisaient bien à le vendre, mais non pas il des étrangers, ni pour toujours puisqu'après six années de servitude le condamné recouvrait de droit sa liberté. La nouvelle législation promulguée par Hérode, passait donc aux yeux de tous pour dure et inique, et en nième temps pour souverainement arrogante. C'était, ajoutait-on, le fait d'un tyran, et non d'un roi, d'avoir imaginé une semblable pénalité qui outrageait les droits sacrés de la nation juive. On conçoit que cette malencontreuse innovation n'ait pas lien contribué à raviver les bailles que déjà tant de fois le Bol avait soulevées contre lui[42]. Vers cette époque[43], Hérode se décida à faire le voyage de l'Italie, avec le double but d'aller présenter ses hommages à Auguste, et de visiter ses fils qui recevaient à Rome une brillante éducation. Auguste accueillit le roi des Juifs avec la plus grande bienveillance, et remit entre ses mains, pour les ramener dans leur pays, ses fils dont l'instruction ne laissait plus rien à désirer. Lorsque les jeunes princes furent de retour à Jérusalem, le peuple s'empressa de leur témoigner son attachement et son admiration : n'étaient-ils pas au faite des honneurs, et leur élégance toute royale ne charmait-elle pas tout le monde ? Avec une femme comme Salomé, la faveur populaire était la condamnation des fils de Mariamme. Ces jeunes gens que tous aimaient et respectaient, la sœur du Roi les prit immédiatement en horreur, et cet abominable sentiment fut aussitôt partagé par tous les misérables dont les calomnies avaient causé la perte de Mariamme. Ceux-là, en effet, ne se faisaient pas d'illusions : si les fils de Mariamme arrivaient au pouvoir, ils leur feraient cruellement payer le sort de leur pauvre mère. Pour n'être pas perdus, ils fallait les perdre eux-mêmes, et la calomnie aidant, tous se mirent à l'œuvre. Ils commencèrent par insinuer, à petit bruit, que les jeunes princes, en souvenir de la mort de Mariamme, ne supportaient qu'avec répugnance la vie en compagnie d'Hérode, parce qu'ils ne voyaient en lui que le meurtrier de leur mère[44]. Concluant ainsi du vrai au vraisemblable, ces intrigants émérites circonvenaient le Roi, et arrachaient petit à petit de son cœur tous les bons sentiments qu'il avait pour ses enfants. Aucun d'eux naturellement n'osait aborder un pareil sujet en face ; mais les propos adroitement lancés dans le public, arrivaient jusqu'à l'oreille d'Hérode, et l'effet désiré par ces misérables était produit ainsi, sans danger pour eux. Ils réussirent si bien qu'ils finirent par faire germer dans le cœur de ce père irritable une haine contre ses fils telle que la voix du sang fut bientôt impuissante pour la réprimer[45]. Mais atteindre cet abominable résultat ne fut pas l'affaire d'un jour, et tant qu'Hérode fut plus sensible aux impulsions de son cœur paternel, qu'aux suggestions de la méfiance et de la colère, il traita les princes ses fils avec une distinction toute royale ; lorsqu'ils furent en âge de contracter mariage, il fit épouser à Aristobule Bérénice, fille de Salomé, et à Alexandre, Glaphyra, fille d'Archélaüs, roi de Cappadoce. Une fois mariés, ils ne cherchèrent plus guère à dissimuler leurs sentiments[46]. Après la célébration des fêtes nuptiales, Hérode apprenant
qu'Agrippa venait d'arriver de nouveau en Asie, s'empressa de quitter Jérusalem
pour aller au-devant de lui et le supplier de visiter son royaume, dans
lequel l'attendait l'accueil d'un hôte et d'un ami. A force d'instances, il
réussit à obtenir d'Agrippa son consentement à ce voyage, et ils partirent
ensemble pour Pendant toute la durée de son séjour dans ce pays, le prince romain fut comblé par son hôte royal de toutes les attentions les plus délicates. Le moindre de ses désirs était toujours prévenu ; mais il dut se résigner à parcourir le pays entier, tant le Roi avait à cœur de lui taire admirer mes nouvelles créations, sans en omettre une seule. Partout Agrippa et ses amis étaient traités avec la plus grande magnificence, et leur route était pour ainsi semée, à chaque pas, des plaisirs les plus variés et les plus somptueux. Sébasté, Césarée et son port, les forteresses d'Alexandrium, d'Herodium et d'Hyrcania, furent tour à tour honorées de la présence du gendre d'Auguste. Naturellement Jérusalem ne fut pas oubliée dans ce voyage triomphal, et lorsque Agrippa y lit son entrée, le peuple entier accourut, en habits de fêle, au-devant de lui et le reçut avec les plus joyeuses acclamations. Le Romain de son côté tenait faire bien les choses ; il offrit donc au Dieu des Juifs cent bœufs en holocauste, et donna. au peuple un banquet où tous les mets les plus rares furent servis à profusion. Cette visite d'Agrippa au temple de Jérusalem se trouve mentionnée dans une lettre du roi :grippa à Caïus Caligula, citée par Philon le Juif dans son mémoire sur la légation envoyée auprès de Caïus, pour le supplier de retirer le décret par lequel il avait ordonné de placer sa propre statue dans le saint des saints. M. Ferdinand Delaunay, qui prépare la publication des œuvres de Philon, a eu l'extrême obligeance de m'indiquer l'importance des extraits suivants que j'emprunte à sa traduction[47] : ... Agrippa ton aïeul a visité ce temple, et l'a honoré. Auguste a ordonné, dans une lettre, d'y envoyer les prémices de toutes parts, il y a même institué un sacrifice quotidien ; ton aïeule aussi l'a honoré... etc. Marcus Agrippa, ton aïeul maternel, étant en Judée, sous le règne d'Hérode, mon grand-père, ne dédaigna pas de quitter les côtes, pour s'avancer jusqu'à la capitale du pays, située dans l'intérieur des terres. Eu voyant le temple, les pompes sacerdotales, la pureté des habitants, il jugea qu'il avait sous les yeux le spectacle le plus imposant et le plus ineffable. Il n'avait, avec ceux qui l'entouraient et ses anus, d'autre conversation que celle qui roulait sur le temple et la louange de tout ce qu'il contenait. Tant qu'il resta à Jérusalem, pour plaire à Hérode, il ne se passa point de jour qu'il ne visitât le temple : car il prenait plaisir à voir l'appareil des sacrifices, la sainteté des cérémonies, l'ordre qui y préside, la majesté qui environne le grand-prêtre, lorsque, revêtu des habits pontificaux, il marche en tête des lévites. Il honora donc le temple d'autant de présents qu'il en put faire, il accorda au peuple tous les bienfaits qui ne portaient point de préjudice à Rome, remercia Hérode et reçut, à son tour, mille félicitations du roi. Il fut accompagné à la mer, non par les habitants d'une seule ville, mais par ceux de toute la contrée, qui jetaient sur son passage des feuillages et des feins, et qui admiraient sa piété. Il (Auguste) voulut que, sur ses revenus, on offrit chaque jour en holocauste, et suivant les rites, des victimes au Dieu très-haut ; on les offre encore aujourd'hui ; ces victimes sont un taureau et deux agneaux que César destina à notre autel, bien qu'il sût qu'il n'y avait la aucun simulacre, ni public, ni secret... etc. Ta bisaïeule, Julia Augusta, suivit cet exemple de piété, orna le temple de vases, de coupes d'or, et d'autres présents sans nombre et très-précieux... etc. (Légation à Caïus, traduction de M. Ferdinand Delaunay). Agrippa, quelque désir qu'il eût de prolonger son séjour en Judée, où tout était plaisirs et fêtes, dut cependant se hâter de partir, chassé par la mauvaise saison. Il fallait qu'il retournât en Ionie, et comme l'hiver allait commencer, il était sage de se prémunir contre les dangers de la navigation, en profitant au plus vite des derniers beaux jours de l'année[48]. Agrippa s'embarqua donc comblé. ainsi que tout son entourage. des riches présents d'Hérode. Celui-ci, après avoir passé l'hiver dans ses États, partit au printemps pour aller rejoindre le prince romain qui préparait une expédition militaire contre le Bosphore. Après avoir touché à Rhodes et à Cos, le roi des Juifs fit voile vers Lesbos, où il pensait devoir rencontrer Agrippa. Mais un coup de vent du nord lui ferma l'entrée de ce port et le rejeta sur Chio, où il dut rester plusieurs jours au mouillage. Il y rut entouré de respect et d'hommages qu'il paya en belle monnaie. et avec nue générosité toute royale. Les habitants, depuis la guerre de Mithridate. gémissaient en contemplant les tristes ruines d'un splendide portique qui avait été longtemps la gloire de leur ville ; la grandeur et la magnificence de ce portique les avait mis dans l'impossibilité de le relever, comme ils avaient relevé leurs monuments de moindre importance dévastés à la même époque. Hérode s'empressa de leur fournir tout l'argent nécessaire pour réparer ce portique, et il les engagea à ne pas perdre un jour pour rendre à leur ville son plus bel ornement. Si nous pouvons reprocher à Hérode bien des infamies, bien des crimes, nous ne nous reconnaissons pas le droit de l'accuser de parcimonie. Jamais prince, il faut en convenir, ne répandit plus libéralement les richesses qu'il savait se procurer par des moyens trop souvent coupables. Son excuse est tout entière, à ce sujet, dans l'emploi qu'il en faisait avec une prodigalité sans égale. Il est évident que, s'il était cupide, ce n'était pas pour satisfaire un ignoble désir d'accumuler des trésors, mais bien plutôt pour les jeter à tout venant, par pure ostentation, par pure vanité. Le fait que nous venons de raconter en fournit la preuve irréfutable. Lorsque la tempête se fut calmée. Hérode s'empressa d'appareiller et de quitter Chio. Il toucha d'abord à Mytilène, puis à Byzance, où il apprit qu'Agrippa avait déjà dépassé les îles Cyanées ; il fit donc force de voiles pour le rejoindre. Ce fut à Sinope, dans le Pont, qu'il réussit à l'atteindre. Arrivant ainsi, à l'improviste, la vue d'Hérode et de sa flotte n'en fut que plus agréable à Agrippa qui fit au roi des Juifs l'accueil le plus amical. Le prince romain comprit en effet qu'il recevait ainsi la plus grande preuve de dévouement et d'amitié, puisque Hérode n'avait pas reculé devant une si longue traversée, ni devant l'abandon de ses propres affaires, pour venir lui offrir son assistance, de la manière la plus empressée et en même temps la plus opportune. Hérode, pendant toute la durée de cette expédition sut se montrer un allié plein de zèle et de dignité, tout à la fois. Lorsqu'il fallait agir, il était prêt à prendre largement sa part des fatigues et des soucis ; homme de bon conseil, il provoquait toujours les mesures les plus salutaires ; le calme survenait-il dans l'esprit d'Agrippa, son ami devenait pour lui un compagnon agréable dont il recherchait la présence. En un mot, Hérode était le seul homme qui participât à tous les actes du Romain, par la confiance qu'il lui inspirait dans les circonstances difficiles. et par égard pour la dignité royale dont il était revécu, lorsqu'il n'était plus question que de partager des plaisirs. Lorsque par les soins de ces deux hommes vraiment
remarquables, les affaires du Pont eurent été réglées, lorsque Agrippa vit sa
mission spéciale terminée à son gré, lui et Hérode ne se soucièrent pas de
reprendre la mer pour revenir au point de départ. Ils traversèrent donc Josèphe ne dit pas un mot de plus sur la cause de la colère d'Agrippa contre les Iliens, et il nous serait fort difficile de le deviner, si par hasard, il n'avait survécu quelques pages de Nicolas de Damas, au naufrage presque complet des œuvres de cet écrivain. Quelques fragments, malheureusement trop peu nombreux, ont été retrouvés il y a quelques années et publiés en 1849 par les soins de M. Müller dans la collection de Didot. Voici ce que j'y trouve : (Extraits de l'Autobiographie de Nicolas de Damas, n° 3. Codex Torensis, fol. 224) : Nicolas accomplit un acte qui
dénote la grande humanité d'un honnête bouline. Car, comme Julia, fille de
César Auguste, et femme de M. Agrippa, se rendait de nuit à Ilium, il arriva
d'aventure que le Seamandre fut grossi outre mesure par plusieurs torrents
affluents. Julia, avec les serviteurs qui l'accompagnaient, faillit périr en
traversant la rivière, sans que les Iliens s'en aperçussent[50]. Agrippa,
furieux de ce qu'ils n'étaient pas venus au secours de sa femme, les frappa
d'une amende de 100.000 drachmes. Ceux-ci étaient dans une position difficile
; ils n'avaient pu prévoir ni la tempête, ni l'arrivée de Julia ; ils
n'osaient rien dire à Agrippa, mais venant trouver Nicolas, ils le
supplièrent de faim en sorte qu' Hérode les secondât, en intercédant pour eux
avec lui-même. Nicolas, en considération de l'antique illustration de la ville,
y consentit, et exposa à Hérode que le ressentiment d'Agrippa était immérité,
puisqu'il n'avait pas prévenu les Iliens de l'arrivée de sa femme, et qu'eux,
de leur côté, n'avaient pu, grâce à l'obscurité de la nuit, s'apercevoir de
cette arrivée. Hérode ayant pris en main la cause des habitants d'Ilium,
obtint pour eux la remise de l'amende, et reçut sur ce sujet une lettre
d'Agrippa pour les Iliens qui, désespérant de leur grâce, étaient déjà
retournés dans leur ville. Cette lettre, Hérode la remit à Nicolas qui allait
se rendre à Chio et à Rhodes, où demeuraient ses fils. Lui-même se préparait
en ce moment à suivre M. Agrippa en Paphlagonie. Nicolas s'embarqua à Amisus,
vint mouiller à Byzance, et de là cinglant vers Lorsque Agrippa, toujours accompagné d'Hérode, fut de retour en Ionie, la multitude des Juifs établis dans les villes de l'Asie Mineure, prit confiance dans l'influence que leur roi paraissait exercer sur l'esprit du prince romain, et s'empressa de saisir cette occasion pour lui soumettre les justes réclamations qu'ils étaient en droit d'élever. Ils lui représentèrent que les magistrats de leurs villes les traitaient d'une manière inique. en les mettant dans l'impossibilité de se conformer aux lois de leur nation. Ainsi, par exemple, on les appelait devant la justice les jours exclusivement consacrés pour eux à la prière ; on les dépouillait des sommes d'argent qu'ils devaient envoyer à Jérusalem ; on les forçait à subir les charges de la vie militaire, ou à remplir des emplois publics, dans lesquels ils étaient réduits à gaspiller les sommes dont la destination était sacrée ; jamais jusque alors cela n'avait été fait, parce que les Romains leur avaient reconnu le droit de vivre sous l'empire de leurs propres lois. Pendant que ces réclamations étaient plutôt vociférées que présentées par la foule, Hérode conjura Agrippa de daigner écouter son ami Nicolas, qui était prêt à plaider avec toute la modération convenable la cause de ses malheureux compatriotes. Agrippa y consentit, convoqua en assemblée judiciaire les grands personnages romains, les rois et les princes qui se trouvaient présents, et lorsqu'ils furent réunis. Nicolas prononça devant eux le discours suivant[51] : Puissant Agrippa, c'est une nécessité pour tous ceux qui souffrent, d'implorer les hommes qui peuvent soulager leurs misères. Ceux qui se présentent aujourd'hui en suppliants devant toi, savent qu'ils ont le droit de compter sur ta justice. Habitués de longue date à trouver en vous, Romains, l'équité qu'ils appelaient de tous leurs vœux, ils vous conjurent de ne pas leur enlever les bienfaits que vous leur avez accordés. Ils sont forts de cette pensée, que ces bienfaits ils les ont reçus de ceux qui seuls avaient le pouvoir de les leur accorder, et que ceux qui cherchent à les en dépouiller, bien loin d'être plus puissants que vous, ne sont pas moins soumis qu'eux-mêmes à votre empire. Si les grâces dont vous les avez comblés sont grandes, elles sont à leur louange, puisqu'ils se sont montrés dignes de les recevoir ; si au contraire vous les tenez de peu d'importance, il serait peu honorable pour ceux qui les ont octroyées, de se refuser à les confirmer. Il est manifeste que ces hommes qui traitent les Juifs d'une manière indigne, font injure en même temps à ceux qui ont revu les bienfaits disputés, puisqu'ils ne regardent pas comme d'honnêtes gens ceux à qui tant d'hommes illustres ont reconnu les mérites capables de justifier concessions, et à ceux qui les ont faites, s'ils agissent de façon à contrecarrer leur bon vouloir. Interrogez tous ceux pour qui je parle ; demandez-leur s'ils tiennent plus à la vie qu'aux rites de leurs pères, qu'aux pompes, aux sacrifices et aux fêtes des jours sacrés. J'en suis certain, vous n'en trouverez pas un seul qui ne soit prêt à tout endurer, plutôt que de permettre qu'on porte la plus légère atteinte aux institutions de ses ancêtres. Ne voyez-vous pas en effet que beaucoup d'entre eux se lancent dans les périls de la guerre, sans autre pensée que celle de sauvegarder l'intégrité de leurs lois ? Nous mesurons la félicité dont le genre humain tout entier jouit, grâce à vous, à la faculté que vous avez donnée à tous ceux qui vivent disséminés dans les provinces de votre empire, d'observer leurs prescriptions religieuses et de vivre en conservant les mœurs de leur mère patrie. Et ce qu'ils ne voudraient pas tolérer, s'il s'agissait d'eux-mêmes, ils s'efforcent de l'imposer aux autres par la violence, comme s'il n'était pas également criminel de négliger le culte de ses propres dieux et d'empêcher autrui, contre toute justice, de pratiquer la religion dans laquelle il est né et veut vivre. Maintenant je le soumets une autre considération. Est-il au monde un peuple, une cité, une race qui ne considère pas le patronage de votre empire, et la suprématie romaine, comme le plus grand des biens ? Existe-t-il un seul homme qui veuille que vos bienfaits soient vains et inutiles ? Certes il n'en est pas un, à moins qu'il ne soit fou. Car on n'en trouverait pas un seul qui, dans sa vie publique ou privée, n'ait eu sa part de ces bienfaits. Quiconque veut enlever à son prochain quoi que ce soit de ces concessions, ne laisse rien subsister par cela n'élue de celles qu'il a reçues de votre bonté. Pour lui, plus rien n'est assuré, plus rien n'est entier ; et pourtant ces bienfaits sont si éclatants, qu'il n'est pas possible de les apprécier à leur juste valeur. Car si nous comparons les royautés de jadis avec votre empire, nous sommes forcés de proclamer un bienfait qui domine tous les autres, et que lui seul a su donner aux peuples : c'est la liberté qu'il leur à apportée, en échange de la servitude. Quant à nos propres affaires, bien que nous soyons traités aussi bien que possible, elles ne sont pas faites pour nous attirer la jalousie de personne. Nous vous devons de pouvoir vivre heureusement au milieu de toutes les autres nations, et nous n'avons sollicité qu'un seul privilège qui nous serait commun aux autres, celui de suivre librement la religion de nos pères. Certes ce n'est pas là un privilège exclusif qui puisse nous être envié ; et d'ailleurs le seul avantage en revient à ceux qui nous l'ont concédé ; car si Dieu est satisfait des honneurs qu'on lui rend, il n'est pas moins satisfait sans doute de la conduite de ceux qui permettent de les lui rendre. Il n'y a rien dans nos institutions qui ne soit parfaitement humain ; tout y est empreint de piété et de la plus salutaire justice. Nous n'avons absolument rien de caché dans les préceptes qui nous servent à ordonner notre vie et notre culte, au milieu des nations étrangères. Nous employons chaque septième jour à l'enseignement de nos institutions et de nos lois, voulant consacrer nos méditations à leur étude qui doit nous mettre en mesure d'éviter le péché. Oui, ces institutions paraitront belles il quiconque voudra les discuter ; pour nous, elles sont respectables par leur antiquité, bien qu'il y ait des gens qui ne les jugent pas comme nous-mêmes. Quiconque les aura adoptées et observées avec un cœur pieux, ne s'en séparera jamais sans déchirement. Ces instituions, on nous les enlève par la violence et par l'iniquité. Bien plus, l'argent que nous avons amassé pour l'offrir à Dieu, on nous le ravit par un sacrilège ; on exige de nous un tribut ; les jours de fête on nous fait comparaître devant la justice, ou l'on nous force de nous occuper de discussions profanes qui seraient inutiles, si l'on tenait fidèlement les engagements contractés. Nos persécuteurs n'ont d'autre but que d'offenser notre religion, puisqu'ils nous poursuivent de la haine la plus injuste et la moins méritée. Votre autorité qui est la même pour tous, est réglée de façon à entretenir la bienveillance et à comprimer la haine dans le cœur de ceux qui préfèrent ce triste sentiment. Voilà pourquoi nous te supplions, puissant Agrippa, de nous protéger contre le mal que l'on nous a fait, contre les traitements iniques, contre les obstacles que l'on veut opposer il l'exercice de notre fini, contre la spoliation de nos biens. contre la violence enfin que l'on déploie pour entraver des pratiques religieuses que nous respectons chez les autres. Tout ce que nous te demandons est juste et légitime, et c'est à vous-mêmes, Romains, que nous devons le libre usage des droits que nous revendiquons. Nous pourrions en effet invoquer à ce sujet de nombreux sénatus-consultes, lire des décrets solennellement déposés au Capitole, dont vous nous avez gratifiés, lorsque vous avez eu apprécié notre bonne foi, décrets qui devraient être à jamais respectés comme saints, quand bien même nos mérites n'eussent pas appelé vos bienfaits. Ce n'est pas pour nous seuls que vous avez entendu faire une exception, car à tous les mortels vous avez conservé leurs droits ; votre domination a été un bienfait véritable pour beaucoup de peuples, que vous avez rendus plus heureux qu'ils n'eussent pu le rêver ; aussi, celui qui voudrait énumérer toutes les prospérités que vous avez engendrées, n'en finirait pas de longtemps. Pour te prouver que nous ne
sommes pas indignes de tout le bien que nous ont fait les Romains, qu'il me
suffise, en négligeant les faits antérieurs, de te parler, ô Agrippa, de
celui qui est aujourd'hui à la tête de notre nation, de ce roi qui siège à
tes côtés. Quelle est la preuve de bienveillance qu'il ait refusée à ta
famille ? En quelle circonstance sa fidélité a-t-elle jamais été ébranlée ?
Quel est l'honneur qu'il ne vous ait pas rendu ? Dans quelle conjoncture fâcheuse
n'a-t-il pas été le premier à vous dire : Me voilà ! Qui peut donc empêcher
que vos bienfaits ne soient à la hauteur de ses services ? Peut-être est-il
convenable que je ne passe pas sous silence la bravoure de son père
Antipater, qui, lors de l'expédition de César en Égypte, accourut à son aide
à la tête de deux mille soldats, et se montra le plus vaillant de tous, et
sur terre et sur mer. Mais à quoi bon rappeler de quelle importance fut la
venue de ce secours, et de quelles splendides récompenses César crut devoir
le payer ? N'ai-je pas tout à l'heure mentionné les dépêches que César, en
cette occasion, pensa devoir adresser au Sénat, et dit comment Antipater
reçut de Rome, la dignité et les droits de citoyen ? Tout cela suffit pour
démontrer que vos bienfaits étaient mérités par nous, et que nous pouvons
réclamer de toi, Prince, que tu nous continues des privilèges qui, s'ils ne
nous avaient pas été concédés depuis longtemps, devraient nous être accordés
par toi, en considération des sentiments du Roi à l'égard des Romains, et de
ceux des Romains pour lui. Enfin, nous savons par les habitants de Lorsque Nicolas de Damas eut terminé son plaidoyer — certes nous pouvons bien appliquer ce nom aux phrases de notre rhéteur —, les gens mis en cause ne prirent pas la peine de répliquer ; la question d'ailleurs n'était pas débattue avec les formalités usitées dans un procès ordinaire, et il ne s'agissait pic d'une supplique contre des actes de violence. Ils ne nièrent en aucune façon les faits qui leur étaient reprochés, et se contentèrent d'affirmer que les Juifs qui vivaient sur leurs terres, leur causaient par cela seul un préjudice appréciable. Ils alléguèrent qu'ils étaient les seuls indigènes, les seuls propriétaires légitimes du sol, et que ce n'était pas commettre une injustice envers les Juif, que d'exiger d'eux l'observation des lois du pays. Agrippa toutefois comprit que les Juifs étaient réellement violentés, et il appuya sa décision sur les considérations suivantes : Il était prêt à faire droit aux réclamations des Juifs, parce qu'il était touché des sentiments d'amitié d'Hérode envers lui, mais bien mieux encore parce que ces réclamations lui semblaient, justes. Eussent-ils demandé plus, il n'hésiterait pas à accueillir favorablement leur requête, pourvu que cela ne causât aucun préjudice à l'autorité romaine. Du moment qu'ils ne sollicitaient que la confirmation de privilèges qui leur avaient été concédés depuis longtemps, il le leur accordait sans hésiter, entendant que personne ne se permit de les troubler dans la pratique de leurs institutions. Cela dit, Agrippa déclara la séance close. Hérode alors se leva, et saluant le prince romain, le remercia de sa bienveillance envers ses compatriotes ; Agrippa charmé lui rendit compliment pour compliment et l'embrassa aux yeux de tous. Aussitôt après, Agrippa quitta Lesbos où s'était passée la
scène que nous venons de raconter. Quant à Hérode, dès qu'il eut pris congé
du prince romain, il s'embarqua pour regagner Vernix stériles, hélas ! Car dans l'intérieur du palais, les dissensions domestiques s'envenimaient chaque jour, et les ressentiments devenaient implacables. L'infernale créature qui s'appelait Salomé, avait. comme par droit d'héritage, reporté toute sa haine sur la tête des enfants de Mariamne ; folle de joie, en pensant que la perte de la mère était son œuvre exclusive, elle ne reculait plus devant rien ; il lui fallait désormais anéantir jusqu'au dernier rejeton de sa victime, pour qu'il n'y eût plus au monde un être capable de lui demander un jour compte de cet assassinat. Il lui fallait tuer, tuer toujours pour se soustraire à la vengeance qu'elle n'avait que trop de raisons de redouter. De leur côté les jeunes fils de Mariamme ne manquaient pas d'imprudence, et ils laissaient trop paraître leur ressentiment contre leur père, tant à cause du douloureux souvenir de leur mère, que de leur vif désir d'arriver au trône. Le même drame se jouait donc de nouveau dans la famille d'Hérode ; les personnages seuls avaient changé. Les princes maudissaient librement et ouvertement Salomé et Phéroras ; ceux-ci exécraient les princes, et ne cessaient de leur tendre les pièges les plus perfides. Des deux côtés, même haine ; mais moyens bien différents pour l'assouvir. Les princes proféraient hautement et audacieusement leurs injures et leurs insultes[54] ; ils n'avaient pas encore l'expérience qui apprend que se faire une gloire de ne pas dissimuler sa colère, c'est sottise et maladresse. Les autres suivaient une voie toute différente. répandaient sourdement le venin de leurs calomnies, toujours habilement combinées pour provoquer en toute occasion des enfants inexpérimentés. et les amener enfin, s'il était possible, à tourner leur audace contre leur père Pour eux, en effet, les crimes reprochés à leur trière n'existant pas, sa mort était un acte d'iniquité ; leurs rusés ennemis en concluaient que tôt ou tard ils en viendraient à vouloir exercer leur vengeance sur celui qui n'était pour eux que l'assassin de leur mère. A Jérusalem, il n'était plus bruit que de cette lutte ; c'était pour tous l'unique sujet d'entretien et de préoccupation ; et il arriva bientôt ce qui arrive parmi les témoins d'un combat acharné ; on se prit de pitié pour les jeunes princes sans expérience ? Mais à l'habileté opiniâtre de Salomé devait rester la victoire. Ses adversaires lui faisaient trop beau jeu pour qu'elle n'en profitât pas, et tout ce qu'elle disait était empreint de trop de vraisemblance pour ne pas être écouté. En effet, les jeunes princes, indignés minute ils l'étaient du meurtre de leur mère, et sachant que son nom et le leur étaient calomniés, ne négligeaient rien pour faire apprécier comme ils devaient l'être, le jugement et le supplice de Mariamme, et pour amener la nation à déplorer leur position de fils, condamnés à vivre en contact perpétuel avec les persécuteurs et les assassins de leur mère[55]. Pendant l'absence du roi, la situation s'était fortement
envenimée, parce que les occasions de froissement avaient été naturellement
plus fréquentes. Aussitôt qu'Hérode fut rentré à Jérusalem et eut présidé
l'assemblée de la nation, ainsi que nous l'avons raconté tout à l'heure.
Phéroras et Salomé s'empressèrent de dire au Roi qu'ils couraient tous un
très-grand danger, comme le prouvaient évidemment la conduite et les propos
menaçants des jeunes princes. qui disaient a tout moment qu'ils vengeraient
la mort de leur mère. Ils ajoutèrent que les princes comptaient sur l'appui
d'Archélaüs, roi de Cappadoce, pour pouvoir se rendre auprès d'Auguste, et
porter devant lui une accusation formelle contre leur père[56]. Hérode fut
grandement troublé par cette confidence, et d'autant plus troublé, que les
mêmes insinuations lui étaient revenues déjà de beaucoup d'autres côtés,
très-probablement par les soins des mêmes personnages. Tout cela lui
remettait cruellement en mémoire ce qu'il avait déjà souffert ; il était forcé
de se dire que si ces males dissensions intestines lui avaient déjà enlevé
les meilleurs de ses amis, et une épouse adorée, l'avenir lui ménageait des
calamités plus affreuses encore ; aussi ne savait-il plus que penser, ni que
résoudre. Plus Accablé de soucis et troublé par l'anxiété, Hérode, pour abattre l'orgueil des enfants de Mariamne, imagina de rapprocher de sa personne celui de ses fils qui était né de sa première femme Doris, lorsque lui-même était encore dans une humble condition, et il résolut de l'élever aux premières dignités. Ce jeune prince se nommait Antipater[58]. A ce moment, la pensée du Roi n'était pas de donner à ce fils une prééminence complète, comme il le fit plus tard, lorsqu'il eut-trouvé en lui presque un maître ; il n'avait qu'un but, celui de réprimer les prétendus attentats des fils de Mariamme, et de donner à ceux-ci une leçon salutaire. Leur arrogance, en effet. ne devrait-elle pas tomber, dès qu'ils auraient la conviction que la succession au trône ne leur revenait pas exclusivement et de plein droit. C'est en faisant ce malheureux calcul, qu'Hérode fit entrer Antipater au palais et le donna pour rival naturel à ses autres enfants ; il croyait agir sagement pour lui-même et pour les jeunes princes, qui, lorsqu'ils verraient leurs fières prétentions compromises, ne manqueraient pas de revenir à de meilleurs sentiments. Vain espoir, que les événements ne devaient pas tarder à dissiper de la manière la plus cruelle. Les fils de Mariamme virent une injure sanglante à leur adresse dans cette décision de leur père[59]. De son côté, Antipater qui était habile, Antipater, dès qu'il eut devant les yeux une espérance qu'il n'eût jamais Osé concevoir, se livra tout entier à une pensée unique. celle de traiter ses frères avec hauteur, de ne leur jamais céder le pas, et de caresser sans cesse les idées de son père, que les calomnies dont ou avait assiégé son cœur avaient fortement irrité ; il n'y réussit que trop bien, et la sourde irritation d'Hérode contre ses enfants s'accrut de jour en jour, grâce aux mensonges intéressés qu'Antipater faisait adroitement parvenir if l'oreille du Roi. C'était lui seul en effet qui sentait les rumeurs les plus perfides ; mais il se gardait bien de se donner l'apparence d'un délateur, en les répétant lui-même ; pour les faire arriver à leur adresse, il se servait d'intermédiaires à l'abri de tout soupçon de connivence, et que leur dévouement seul semblait faire agir[60]. Déjà Antipater était entouré de courtisans alléchés par sa fortune naissante, et c'étaient ces misérables qui circonvenaient Hérode, sous le masque du dévouement le plus désintéressé. Pendant que cette fatale comédie était joutée par des acteurs surs de leur rôle et s'entendant à merveille, les malheureux princes, par leur conduite, semblaient s'appliquer à justifier les calomnies qui devaient les perdre. Trop souvent, en effet, ils déploraient sans mesure l'injure qui leur était faite, et ils invoquaient le nom de leur mère ; parfois même, devant leurs amis, ils allaient jusqu'à traiter leur père de criminel. Antipater n'avait garde de laisser tomber ces imprudents propos, et ils étaient rapportés à Hérode, avec toutes les aggravations imaginables ; il n'en fallait pas tant pour que les divisions de la famille prissent un caractère plus déplorable encore, Hérode, poussé par les calomnies dont on l'assiégeait, voulait à tout prix abaisser les fils de Mariamne ; aussi accordait-il chaque jour de plus grands honneurs à Antipater, et même par installer sa mère au palais. Comme souvent il écrivait à Auguste, il ne perdit pas une occasion de lui vanter les mérites de ce fils. Bien plus, lorsque Agrippa, après avoir pendant dix années (en deux fois), administré les provinces asiatiques[61], fut sur le point de rentrer à Rome, Hérode s'embarqua pour aller lui présenter son fils Antipater qu'il avait seul amené, et il le lui confia pour le conduire à Rome, où il espérait qu'il saurait conquérir l'amitié d'Auguste, grâce aux riches présents dont il était amplement muni. Dès lors. il était bien évident que tout était désormais pour Antipater, et que les enfants de Mariamne n'avaient plus aucun espoir d'arriver au trône[62]. Ce voyage servit grandement les projets d'Antipater, tant à cause des honneurs qu'il lui attira, que de la prééminence marquée qu'il lui donna sur ses frères. Hérode l'avait recommandé chaudement à tous ses amis de Rome : aussi fut-il accueilli avec la plus grande distinction ; mais une pensée empoisonnait pour lui tous les plaisirs dont on l'entourait ; il était loin de soli père, il ne pouvait donc travailler il son aise il la perte de ses frères. Bien plus, il redoutait que quelque revirement subit ne vint modifier les sentiments d'Hérode, et ne lui rendit un peu d'indulgence pour les fils de Mariamne. Vivement préoccupé de cette crainte, il ne négligeait aucun moyen de continuer son œuvre, et il écrivait longuement au Roi, toutes les fois qu'il entrevoyait un moyen de l'affliger et de l'irriter contre ses frères ; ses lettres étaient remplies des expressions de la sollicitude la plus tendre ; il y feignait d'être assailli par une crainte dont il ne pouvait se défendre ; mais au fond, il n'a ait qu'une pensée, celle d'aviver l'indignation et la colère d'Hérode, et il y réussissait à souhait. Dès qu'Hérode en fut venu au point de songer sérieusement à punir les prétendus crimes de ses enfants, il résolut d'agir avec circonspection, et pour se mettre à l'abri de tout reproche de violence, il prit le parti de se rendre à Rome, de porter devant Auguste l'accusation qu'il voulait faire peser sur les jeunes princes, et de ne se permettre aucun acte dont l'énormité pût lui être imputée comme une impiété. Lorsqu'il arriva à Rome, Auguste était à Aquilée ; Hérode courut l'y chercher[63]. A la première audience qui lui fut accordée, il supplia
Auguste d'écouter les griefs cruels qu'il se croyait le droit de lui exposer.
Il lui amena ses fils, et dénonça devant eux-mêmes leur déplorable caractère
et leurs criminelles machinations. Ce sont des
monstres, lui dit-il ; ce sont les plus
implacables ennemis de ma personne, et il n'y a rien qu'ils n'aient fait pour
manifester la haine qui les anime contre leur malheureux père. Ils ont voulu
m'assassiner et s'assurer la couronne par le plus abominable des forfaits ;
et cela, parce que tu m'as accordé le droit de choisir, au moment de ma mort,
l'héritier de mon trône, et de le choisir dans celui de mes fils qui m'aura
toujours témoigné le plus d'affection et de respect. Pour eux, c'est moins
l'autorité royale, que le sang de leur père qu'il leur faut, tant est atroce
la haine qui s'est emparée de leurs cœurs. Longtemps j'ai fermé les yeux,
longtemps j'ai espéré les ramener à force de patience ; mais aujourd'hui
qu'ils ont comblé la mesure, je ne puis plus ne pas t'ouvrir mon cœur, ni épargner
à tes oreilles la confidence de mes douleurs. Que peuvent-ils donc me
reprocher ? Ai-je été dur et méchant envers eux ? Comment peuvent-ils trouver
bon et juste que cet empire conquis par moi au prix de tant de périls de
toute nature, je ne sois pas le maître d'en disposer à mon gré, et de le
léguer au plus méritant de mes enfants ? Celui qui n'a d'autre pensée que de
se montrer mon digne successeur, d'autre espérance que celle de conquérir les
mêmes affections que moi, celui-là doit recevoir la couronne, comme la juste
récompense de sa piété filiale, ceux-ci sont manifestement criminels de
nourrir des pensées semblables à celles qui les poussent ; celui qui n'a que
l'empire en vue, machine fatalement la mort de son père, s'il croit ne
pouvoir arriver à cet empire que par le parricide. N'ont-ils pas jusqu'ici
vécu en princes, en fils de roi ? Que leur ai-je refusé ? Certes ce ne sont
ni les dignités, ni l'autorité, ni les plaisirs. J'ai fait plus encore pour
eux, car je leur ai procuré les mariages les plus illustres, puisqu'à l'un j'ai
fait épouser la fille de ma sœur, et il l'autre, à Alexandre, la fille du roi
Archélaüs. Bien plus, après de pareils méfaits, je n'ai pas voulu user contre
eux de mon autorité, mais j'ai mieux aimé les amener devant toi, notre
bienfaiteur, et je suis venu, moi roi et père outragé, plaider d'égal à égal
avec les coupables. Je t'implore, César ; sois mon vengeur ; ne souffre pas
que ma vieillesse se passe dans des transes affreuses ; si d'ailleurs, après
les crimes qu'ils ont commis, ils échappaient cette fois au châtiment qu'ils
ont mérité, ils ne sauraient vivre plus longtemps sans être en butte eux-mêmes
aux terreurs dont ils m'ont abreuvé[64]. C'est ainsi qu'Hérode déblatéra avec véhémence devant Auguste. Pendant tout le temps que dura ce discours, les jeunes princes pleurèrent avec confusion ; mais quand ce terrible réquisitoire fut terminé, ils éclatèrent en sanglots. Leur conscience en effet ne leur reprochait pas l'odieuse impiété dont les accusait leur père ; mais ils sentaient bien qu'il leur était difficile de se disculper entièrement des griefs qui leur étaient imputés à crime, parce qu'il ne leur était pas possible, quelque nécessaire que cela fût, de répondre librement, et de montrer que leur père qui les chargeait avec tant de violence, avait été trompé sur leur compte. Ils ne trouvaient donc rien à dire, et ils ne savaient que sangloter, tout en craignant, s'ils restaient muets, de laisser croire que les remords leur fermaient la bouche ; en un mot, leur jeunesse et leur consternation ne leur permettaient pas de discerner le moyen de se défendre. Auguste, en voyant leur trouble, ne s'y trompa point ; il l'attribua bien plus à leur inexpérience et à leur modestie, qu'à la conscience de leur culpabilité. Parmi les assistants, il n'en était pas un qui ne fût émit de compassion ; et Hérode lui-même se sentit ébranlé[65]. Lorsque les accusés s'aperçurent que l'irritation de leur père était un peu calmée, qu'Auguste semblait touché ; et que, dans l'assistance, quelques-uns s'apitoyant ouvertement sur leur sort, ne pouvaient retenir leurs larmes, Alexandre, interpellant Hérode, essaya de se disculper et s'exprima ainsi : Ce procès, mon père, prouve assez ton affection pour nous. Car si ton cœur eût abdiqué toute pitié pour tes enfants, tu ne nous eusses jamais amenés devant celui qui est le sauveur de tous. Tu étais libre en effet, fort de tes droits de père et de roi, d'envoyer des coupables au supplice ; en nous conduisant à Rome et en prenant César pour juge, tu as prouvé ta volonté de nous épargner. Celui qui veut tuer, ne mène pas ses victimes dans un temple, dans un sanctuaire, pour les frapper. Notre destinée est affreuse, et nous ne voudrions pas vivre un instant de plus, si un seul homme pouvait rester convaincu que nous sommes criminels envers un tel père. Peut-être serons-nous plus à plaindre en vivant soupçonnés d'infamie, qu'en mourant innocents et purs ! Si la vérité peut t'inspirer la confiance, nous serons heureux de t'avoir paru dignes de croyance, et d'avoir échappé au péril. Mais si la calomnie l'emporte, cette journée est plus que suffisante pour nous ; comment en pourrions-nous supporter une autre, sous le poids de tes soupçons ? Quand tu nous accuses d'ambitionner la royauté, tu dresses un habile réquisitoire contre tes enfants, mais si tu y ajoutes une accusation contre notre malheureuse mère, cette infortune passée met le comble à notre infortune présente. Pense, je t'en supplie, si les reproches que tu nous adresses, ne le seraient pas aussi équitablement à tout le monde. Rien en effet ne peut empêcher un roi qui a des fils survivant à leur mère, de les tenir en suspicion, comme s'ils conspiraient contre lui ; mais le soupçon ne suffit pas pour imposer la croyance à un pareil forfait. Quelqu'un peut-il dire que nous ayons eu l'audace de commettre de ces actes qui font que les faits les plus incroyables ont pu être tenus pour dignes de foi ? Quelqu'un peut-il montrer le poison préparé par nos soins, peut-il donner la moindre preuve d'une conspiration ourdie par nous avec nos égaux, d'une subornation de nos serviteurs ? Quelqu'un peut-il produire des lettres coupables contre toi et écrites de notre main ? Tout cela, la calomnie le tire parfois du néant. Il est bien vrai que le royaume est en proie à la discorde, et que les dissensions intestines ont envahi le palais. Hélas ! il arrive trop souvent que la souveraineté que tu dis être la juste récompense de la piété filiale, excite la convoitise des pervers, et leur présente un tel attrait, qu'ils commettent les actes les plus coupables, afin de s'en rendre maîtres. Mais nous, à qui personne ne reproche une injure, comment pourrons-nous être mis à l'abri de la calomnie par celui qui ne veut pas nous entendre ? Avons-nous donc tenu des propos inconsidérés ? Ce n'est certes pas contre toi, c'eut été un crime ! mais bien contre ceux qui ne savent garder le silence sur rien de ce qu'ils ont entendu. Si nous avons déploré le malheureux sort de notre mère, c'est moins parce qu'elle n'est plus, que parce que des misérables calomnient sa mémoire. Avons-nous conspiré pour arracher la couronne à notre père ? Que pourrions-nous ambitionner ? Si nous jouissons des honneurs dus des princes, ce qui a lieu, nous le déclarons hautement, ne nous donnons-nous pas des soins inutiles ? Si ces honneurs ne nous étaient pas accordés, nous serait-il interdit de les espérer ? Avons-nous pu penser que, toi mort, nous hériterions de ta puissance, nous qui, après nous être souillés d'un parricide, ne serions plus dignes de vivre ni sur terre ni sur mer. La piété de tes sujets, la foi religieuse de la nation entière eussent-elles permis à des fils couverts du sang de leur père, de s'emparer de la couronne, et de pénétrer dans le saint temple que tu as consacré ? Hé quoi ! quand bien même tes meurtriers eussent pu mépriser la colère du reste des humains, comment, César vivant, eussent-ils réussi à échapper au juste châtiment de leur crime ? Non, tu n'as pas donné la vie à de tels impies, à de tels insensés, mais à des enfants plus malheureux qu'ils ne devraient pour l'honneur de ton nom. Si tu n'as aucun reproche grave à nous faire, si tu n'as découvert aucune perfidie à nous imputer, sur quels indices as-tu pu nous croire capables d'une aussi grande infamie ? Notre mère a péri, et sa fin devait bien plutôt nous servir de leçon, que nous pousser à la colère. Nous voudrions en dire plus pour notre défense, mais il est inutile de se disculper des fautes que l'on n'a pas commises. Aussi c'est devant César, le maître de tous et de nous-mêmes, devant César, notre juge, que nous prenons cet engagement solennel, avec toi, mon père. Si tu peux nous rendre ton affection exemple de tout soupçon. nous consentons à conserver la vie, et ce sera une vie désormais misérable, car il est bien cruel d'avoir été soupçonnés, même à tort. Mais s'il te reste au cœur quelque sujet de crainte, continue à prendre tes mesures de salut, et nous nous ferons justice à nous-mêmes. Car l'existence ne nous est pas si chère que nous désirions la conserver, afin qu'elle devienne un fardeau pour celui qui nous l'a donnée[66]. A mesure que le prince parlait, Auguste, qui dès l'abord avait refusé d'accueillir une si atroce calomnie, Auguste sentit tout doute se dissiper dans son esprit, et il ne cessa de tenir le regard fixé sur Hérode, dont la confusion ne lui échappait pas. Tous ceux qui assistaient à cette déplorable scène étaient pleins d'anxiété et de pitié pour les jeunes princes ; le tribunal entier murmurait des paroles de réprobation contre le Roi. Chacun en effet avait commencé par accorder peu de foi à une accusation aussi grave, portée contre des princes à la fleur de l'âge et de la beauté ; chacun s'était senti ému de compassion, et voulait traduire cette compassion par sa coopération à leur salut. Ce fut bien mieux encore lorsque Alexandre eut répondu avec tant de talent et de prudence à l'accusation que venait de formuler son père. Les deux princes avaient changé de contenance ; leurs yeux encore pleins de larmes étaient tristement fixés sur la terre ; mais on voyait poindre sur leurs traits un rayon d'espérance, et leur père qui commençait à sentir son accusation bien légère et bien injuste peut-être, comprenait qu'il avait besoin de s'excuser à son tour, quoiqu'il ne trouvât rien à répondre. Après quelque hésitation, Auguste déclara que les jeunes princes, s'ils n'étaient pas coupables d'un crime, étaient du moins blâmables de n'avoir pas, par leur conduite envers leur père, rendu de tels propos impossibles. Puis il exhorta Hérode à déposer tout soupçon et à restituer toute son affection à ses fils, parce qu'il était inique de croire ses enfants capables de crimes aussi odieux ; il pouvait arriver en effet que ce changement d'idées non-seulement effaçât le souvenir de ce qu'ils avaient souffert tous les trois, mais encore augmentât la bienveillance qu'ils se devaient réciproquement et les portât à se témoigner plus d'affection, en punition des odieux soignons qu'il avait conçus et nourris. En prononçant ces paroles, il fit un signe aux jeunes princes, et au moment où ceux-ci allaient se prosterner aux pieds de leur père et implorer leur grâce, le roi les prévint en leur tendant les bras et tous deux s'y jetèrent en sanglotant. Ce spectacle attendrissant tira des larmes de tous les yeux ; hommes libres ou esclaves, tous les témoins de ce dénouement inespéré se sentirent profondément émus[67]. Hérode et ses fils rendirent grâce à Auguste, et se retirèrent ensemble, en compagnie d'Antipater qui feignait d'être ravi de voir la concorde rétablie. Dans les jours qui suivirent, le roi des Juifs fit présent à Auguste d'une somme de trois cents talents, qui fut fort bien reçue, parce qu'à ce moment même le prince était tout occupé de la célébration de jeux solennels[68], et de la distribution des largesses nommées congiaires, offertes au peuple romain. Auguste lui donna en retour la moitié du revenu des mines de cuivre de Chypre, en lui confiant l'administration de l'autre moitié. En outre, il lui offrit la plus splendide hospitalité dans l'un des palais impériaux et lui accorda de choisir pour héritier de sa couronne celui de ses fils qu'il voudrait, ou de répartir ses États entre eux tous, à son gré. Comme Hérode se sentait disposé à procéder immédiatement à ce partage, Auguste refusa d'accéder à ce désir et lui déclara qu'il entendait que, tant qu'il vivrait, il restât le seul maître de son royaume et de la fortune de ses fils[69]. Tout cela réglé, Hérode repartit pour |
[1]
[2] L'orgye équivaut à 1m 80. De pareilles fondations paraissent de dimension exorbitante.
[3] Προκυμαία ; c'était un véritable brise-lames. De πρός, devant, et κύμα, vague, flot.
[4] Drusus, né en 38 avant l'ère chrétienne, mourut en l'an 9, c'est-à-dire à l'âge de vingt-neuf ans.
[5] Ant. Jud., XV, IX, 6. — Bell. Jud., I, XXI, 5, 6, 7 et 8.
[6]
Bell. Jud., I, XX,
4. — Il est dit ici que cette nouvelle concession de provinces eut lieu après
la première actiade, μετά
τήν Άκτιάδα. Josèphe
entend-il par ces mots la première année de l'ère actiaque instituée par
Auguste ? Cette première année courrait alors du 2 septembre 31 (avant l'ère
chrétienne) au 2 septembre 30, et en ce cas ces nouvelles grâces d'Auguste
trouveraient leur place dans l'intervalle écoulé du 2 septembre 30 au 2
septembre 29 avant l'ère chrétienne. Mais si l'actiade était un groupe de
quatre années, comme l'olympiade, par exemple, ce serait à trois ans plus tard
(27 à 26) ; qu'il faudrait placer le don fait à Hérode de
[7] Il y a là une grosse erreur de fait, et il est certain aujourd'hui, grâce à une inscription grecque de Bâalbek, que Zénodore était le descendant direct de Lysanias.
[8]
Bell. Jud., I, XX,
4. — Il est dit, dans ce passage, que Varron, après avoir rassemblé une armée,
purgea le pays de ces bandits, et l'enleva à Zénodore ; puis qu'Auguste en fit
présent à Hérode, pour empêcher que les brigandages dirigés contre
[9] Ant. Jud., XV, X, 1.
[10] Agrippa fut envoyé en Asie en l'an 17 avant l'ère chrétienne.
[11] Ant. Jud., XV, X, 2.
[12] Si, cette fois encore, nous comptons cette 17e année du règne d'Hérode, partir de la mort d'Antigone, nous tombons sur l'année 22 avant l'ère chrétienne. Or Auguste passa à Samos les deux hivers des années 21 et 20 avant l'ère chrétienne. Il y a donc accord satisfaisant.
[13] Panias, c'est Banias de nos jours ; mais il me parait moins facile de deviner ce qu'est la ville désignée par Josèphe sous le nom d'Oulatha. C'était vraisemblablement une localité voisine du lac Samachonite, le Bahr-el-houleh de nos jours. — Bell. Jud., I, XX, 4.
[14] Bell. Jud., I, XX, 4. — Ceci aurait eu lieu, dit le passage en question, dans la dixième année έτει δεκάτω. La dixième année de qui ? D'Auguste sans doute ; mais s'agit-il de l'an X de l'ère actiaque ? C'est probable. En ce cas, nous tomberions sur l'an 21 avant l'ère chrétienne, et effectivement Auguste était en Asie pendant cette année.
[15] Bell. Jud., I, XX, 4.
[16] La construction de ce temple serait donc de l'an 20 avant l'ère chrétienne. Quant au Paneion, ce n'est autre chose que la grotte de Banias.
[17]
[18] Nous avons pensé qu'il serait utile de présenter ici l'énumération succincte des fondations qu'Hérode fit à l'extérieur de son royaume, ainsi que l'a donnée Josèphe lui-même. (Bell. Jud., I, XXI, 11 et 12.) Voici la traduction de cet intéressant passage :
11 Après tant de fondations, il témoigna encore sa générosité à un grand nombre de villes étrangères. Il construisit, en effet, des gymnases à Tripolis, à Damas et à Ptolémaïs, une muraille à Byblos, des exèdres, des portiques, des temples et des marchés à Béryte et à Tyr, des théâtres à Sidon et à Damas; à Laodicée sur mer, un aqueduc ; à Ascalon, des bains, de somptueuses fontaines, des colonnades admirables pour la beauté et les dimensions ; d'autres cités furent embellies de parcs et de prairies. Beaucoup de villes, comme si elles eussent été associées à son royaume, reçurent de lui des territoires ; d'autres, comme Cos, obtinrent des gymnasiarchies annuelles à perpétuité, assurées par des rentes constituées, afin de n’être jamais privées de cet honneur. Il distribua du blé à tous ceux qui en avaient besoin ; il fournit aux Rhodiens à diverses reprises de fortes sommes destinées à des constructions navales, et quand leur Pythion fut incendié, il le fit reconstruire plus magnifiquement à ses frais. Faut-il rappeler ses présents aux Lyciens et aux Samiens, et des marques de générosité qu'il répandit dans l'Ionie entière suivant les besoins de chacun ? Les Athéniens, les Lacédémoniens, les habitants de Nicopolis, de Pergame en Mysie, ne sont-ils pas comblés des offrandes d'Hérode ? Et la grande rue d’Antioche de Syrie, qu'on évitait à cause de la boue, n'est-ce pas lui qui l'a pavée en marbre poli sur une longueur de vingt stades, lui qui l'a ornée d'un portique de même longueur pour abriter les promeneurs contre la pluie ?
12.
Tous ces dons, dira-t-on, n'intéressaient que chacun
des peuples particuliers ainsi gratifiés ; les largesses qu'il fit aux Éléens
ne sont pas seulement un présent commun à
Ces deux paragraphes sont suivis, dans le récit de Josèphe, d'une appréciation d'Hérode, au point de vue de ses qualités physiques ; nous croyons bien faire en en faisant connaître la substance au lecteur.
Bell. Jud., I, XXI, 13. — Il était servi par une constitution physique en rapport avec son génie. Il excella toujours à la chasse, où il se distingua surtout par son expérience de cavalier : en un seul jour il terrassa quarante bêtes sauvages, car le pays nourrit des sangliers, et foisonne surtout de cerfs et d'ânes sauvages. Il fut aussi un soldat irrésistible. Souvent, dans les exercices du corps, il frappa d'étonnement les spectateurs à le voir jeter le javelot si juste et tirer de l'arc avec tant de précision. Mais outre les avantages de l'esprit et du corps, il eut encore pour lui la bonne fortune : il fut rarement battu à la guerre ; ses échecs ne furent-ils pas de sa faute, mais dus à la trahison, ou a l'ardeur téméraire de ses soldats.
[19] Ant. Jud., XV, X, 4.
[20] Ant. Jud., XV, X, 5.
[21] Pline nous apprend que les Esséniens étaient établis sur la côte occidentale du lac Asphaltite. Voici comment il s'exprime (Hist. Nat., lib. V, cap. XVII) A l'occident, les Esséniens fuient le rivage jusqu'au point où son voisinage cesse d'être nuisible. Nation unique et plus étonnante que toutes les autres nations de la terre, sans femmes, sans amour, sans argent, sans autres compagnons que les palmiers, chaque jour leur nombre se complète par la venue de tous ceux qui, fatigués de la vie du monde, vont chercher le repos dans la pratique de leurs mœurs. Ainsi, à travers des milliers d'années (ô merveille !) une nation s'éternise, dans laquelle il ne naît personne ! Au-dessous des Esséniens est Engadda, etc., etc..
Nous trouvons dans l'autobiographie de Josèphe (cap. 2) un passage assez singulier à propos du choix qu'il fit de celle des trois sectes judaïques dans laquelle il voulait entrer. Il déclare d'abord qu'il avait seize ans lorsqu'il se unit à faire l'expérience qui devait décider de sa vocation, et que cette expérience le porta alternativement dans les trois sectes. Puis il ajoute :
Ne jugeant pas cette étude expérimentale suffisante pour ma conscience, j'entendis parler d'un certain Banoun, qui vivait retiré dans le désert, ne portant d'autres vêtements que ceux qu'il tirait des arbres, ne se nourrissant que d'aliments fournis par la nature, et se livrant jour et nuit à de fréquentes ablutions d'eau froide, exécutées en guise de sanctification ; j'allai le trouver et je me unis à vivre comme lui. Après avoir passé trois années entières en sa compagnie, lorsque j'eus accompli tout ce que j'avais voulu faire, je revins à la ville. J'avais alors dix-neuf ans, etc., etc.
Si Josèphe avait seize ans en commençant son étude des sectes judaïques, et s'il en avait dix-neuf lorsqu'il revint du désert où il était resté trois années entières avec l'anachorète Banoun, quel temps a-t-il pu donner à son expérimentation des coutumes particulières des Pharisiens, des Sadducéens et des Esséniens ? Il y a dans ce récit une incohérence palpable. Nous pensons que la vérité est ceci : Josèphe a voulu d'abord se faire Essénien, et Banoun était un Essénien avec lequel il a passé ses trois années de noviciat réglementaires. Puis trouvant la règle trop dure, il aura jeté le froc aux orties, pour venir s'affilier aux Pharisiens, parmi lesquels, il le dit lui-même, il était sûr de trouver une vie douce et bonne, et une certaine autorité sur ses compatriotes.
[22] Beaucoup de nos lecteurs, nous en sommes convaincu, seront frappés comme nous des rapports étroits qui existent entre les dogmes des Esséniens et ceux d'une grande secte moderne, sur le compte de laquelle on a beaucoup écrit, mais beaucoup plus divagué.
[23] Mon excellent confrère et ami, M. Miller, consulté par moi sur le sens de ce membre de phrase, m'a donné les précieux renseignements qui suivent :
Mon cher ami,
Je suis tout à fait de l'avis de Dindorf, en ce qui concerne le passage de Josèphe. Il me parait certain qu'il doit être rapproché de celui (Strabon, lib. VII, p. 296) où il est dit que, parmi les Thraces, il existe des hommes qui vivent sans femmes et qui sont connus sous le nom de Clistœ : οί χωρίς γυναικός ζώσιν, οΰς ΚΤΊΣΤΑΣ καλείθαι. Le mot κτίστης est synonyme de πολιστής comme le dit Pollux, et j'approuve la correction πολισταίς au lieu de πλείστοις dans le passage de Josèphe. Ici έμφέροντες avec le datif a bien le sens de être semblable, conforme. Quant aux Daces, il ne faut pas prendre l'expression trop à la lettre ; tous les peuples habitant les environs du Danube étaient confondus par les historiens. etc., etc.
[24] And. Jud., XVIII, I, 6.
[25]
Dans
[26]
[27] Ant. Jud., XV, XI, 2.
[28] A quoi bon ? Je serais bien embarrassé pour le dire.
[29] Ant. Jud., XV, XI, 3.
[30]
Ant. Jud., XV, XI,
4. — Dans
[31] Ce nombre, non divisible par quatre, nous fait supposer que la dernière colonne des deux rangs intermédiaires était supprimée, pour donner un plus large accès sur le pont auquel aboutissait la nef du milieu.
[32] On remarquera que cette fois toutes les dimensions rapportées par Josèphe sont exprimées en mesures grecques ; cela nous donne à penser que ce sont des architectes de l'école grecque qui, de ce portique royal, avaient fait une œuvre de style purement grec.
[33] C'est-à-dire du dernier Hiéron intérieur, de l'autel des holocaustes et du Naos.
[34] Ant. Jud., XV, XI, 5. — C'est-à-dire dans l'intervalle compris entre les années 24 et 16 avant l'ère chrétienne.
[35] Nous avons vu plus haut qu'Hérode avait chargé des prêtres, de la taille des pierres et des charpentes à mettre en œuvre dans les parties du temple où seuls ils pouvaient avoir accès.
[36] Ant. Jud., XV, XI, 6.
[37] Le texte que j'ai entre les mains porte τοΰ έσωθεν ίεροΰ. Mais je soupçonne fort qu'il y a là une erreur et que le mot έσωθεν doit être remplacé par έξωθεν. Ce souterrain, en effet, devait permettre au Roi de fuir de Jérusalem, à un moment donné, et non d'aller chercher un refuge bien peu sûr dans le Hiéron intérieur seulement.
[38] Ant. Jud., XV, XI, 7. — Voir plus bas le passage talmudique relatif à ce fait.
[39] Le mot talmudique employé ici est כנישחא, du chaldéen כנש, assembler. C'est évidemment le même mot que les Arabes emploient pour désigner une église.
[40] C'est très-probablement Mariamne qui est ainsi désignée. Ce qui suit est un hors-d'œuvre, mais nous n'avons pas voulu tronquer ce passage.
[41] Comprenne cela qui pourra !
[42] Ant. Jud.. XVI, I, 1.
[43] C'est vraisemblablement, vers l'an 18 avant l'ère chrétienne, qu'il faut placer ce voyage d'Hérode en Italie.
[44] Bell. Jud., I, XXIII, 1. — Josèphe, dans ce passage, est très-explicite : les jeunes fils de Mariamne, dit-il, avaient hérité des ressentiments de leur mère, et la pensée du crime qui la leur avait enlevée, leur inspirait, à l'égard de leur père, la même défiance qu'ils eussent conçue pour un ennemi avéré. Dès avant leur départ pour Rome, ils étaient dans cette disposition d'esprit, qui ne lit que se développer après leur retour en Judée, et à mesure qu'ils avançaient en âge.
[45] Bell. Jud., I, XXIII, 1.
[46]
[47] Philon le Juif — Sur les vertus et sur la légation à Caïus, § XI. Ce morceau, malheureusement incomplet, a été écrit sous le règne de Claude.
[48] Ant. Jud., XVI, II, 1.
[49] Ant. Jud., XVI, II, 2.
[50] Ceci se passait à la fin de l'an 17 avant l'ère chrétienne, pendant l'hivernage.
[51] Ant. Jud., XVI, II, 3.
[52] Ant. Jud., XVI, II, 4.
[53] Ant. Jud., XVI, II, 5.
[54] Bell. Jud., I, XXIII, 1.
[55] Ant. Jud., XVI, III, 1.
[56] Bell. Jud., I, XXIII, 1.
[57] Ant. Jud., XVI, III, 2.
[58] Bell. Jud., I, XXIII, 1.
[59] Bell. Jud., I, XXIII, 2.
[60] Bell. Jud., I, XXIII, 2.
[61] Agrippa était arrivé en Asie en l'an 17 avant l'ère chrétienne, ce serait donc en l'an 7 qu'Hérode lui aurait conduit son fils Antipater. Mais les dates basées sur ce calcul sont inexactes. Agrippa a rempli deux missions en Asie, et la première commença en l'an 23 avant l'ère chrétienne ; il est clair que les dix ans de son administration, mentionnés par Josèphe, se composent de la durée de ces deux missions. Il est certain d'ailleurs qu'Agrippa revint d'Asie en l'an 13 avant l'ère chrétienne, et qu'il mourut en mars de l'année 12. C'est donc bien en 13 avant l'ère chrétienne qu'Antipater est parti pour Rome.
[62] Ant. Jud., XVI, III, 3. — Bell. Jud., I, XXIII, 2. — Dans ce dernier passage Josèphe dit que dès lors Antipater était, dans le testament d'Hérode, choisi pour héritier de la couronne ; qu'il partit en roi pour Rome et qu'à l'exception du diadème, il avait déjà revêtu tous les insignes de la royauté. En peu de temps Antipater avait réussi à faire entrer sa mère Doris dans le lit de Mariamne, et à inspirer à Hérode la pensée de se débarrasser, par un meurtre, des fils de la malheureuse femme qu'il avait fait égorger.
[63] Ce voyage doit probablement se rapporter à l'an 13 avant l'ère chrétienne.
[64] Ant. Jud., XVI, IV, 1. — Bell. Jud., I, XXIII, 3. — Dans ce passage Josèphe précise mieux et dit qu'Hérode accusa les fils de Mariamme d'avoir formé le projet de l'empoisonner.
[65] Ant. Jud., XVI, IV, 2.
[66] Ant. Jud., XVI, IV, 3.
[67]
[68] Il s'agit probablement de la dédicace du théâtre de Marcellus, que Pline rapporte (Hist. nat., VIII, 17) à l'an 11 avant l'ère chrétienne (sous le consulat de Q. Tubero et de Fabius Maximus, le 4 des nones de mai), tandis que Dion (l. IV, 26) la place avant le retour d'Agrippa, et en l'année 13 avant l'ère chrétienne. C'est cette dernière date qui me semble confirmée par le récit de Josèphe.
[69]