HISTOIRE DE LOUVOIS

TOME PREMIER

 

NOTE SUR UN MÉMOIRE INÉDIT DE LOUIS XIV RELATIF À LA CAMPAGNE DE 1672.

 

 

Il y a parmi les Vieilles Archives du Dépôt de la Guerre un certain nombre de volumes désignés sous ce titre : Papiers de M. de Chamlay. Dans le classement actuel, ces volumes ne sont pas rassemblés ; ils sont disséminés dans la série chronologique des archives, suivant la place qu'assigne à chacun la date des principales pièces qui s'y trouvent contenues. Ce sont des lettres écrites ou reçues par Chamlay, des notes, des mémoires sur divers sujets, politiques ou militaires. Tous ces documents sont d'une grande importance : pas un, è coup sûr, ne peut être comparé è la pièce capitale qui se rencontre précisément la première dans le tome 1112. C'est un mémoire en quarante-six pages in-folio, entièrement écrit de la main de Chamlay. Mais qu'importe l'écrivain, le scribe, le copiste ? Celui qui parle, c'est Louis XIV. Dans ces pages, Louis XIV, d'un ton superbe et dédaigneux, veut bien éclairer la postérité sur ses griefs contre la Hollande, sur les préparatifs et les actes de son implacable vengeance. La campagne de 1672 est là tout entière, orgueilleusement racontée.

A quelle date faut-il rapporter la composition de ce mémoire ? A ne juger que d'après la première phrase, a la guerre présente qui vient de s'allumer entre la France et les Provinces-Unies a semble donner la date même de 1672 ; mais comme il est fait mention plus loin d'événements qui ne se sont accomplis qu'au mois de septembre 1673, il est certain que ce mémoire n'a pu être terminé, au plus tôt, que vers la fin de l'année 1673 ou vers le commencement de l'année 1674. Je dis terminé, en ce sens qu'il aurait été fait par parties, par morceaux successifs, à diverses reprises. J'indique cette hypothèse, mais je doute beaucoup qu'elle soit juste. Voici mes raisons de douter. Quand on lit de suite ce mémoire, on a l'impression d'une œuvre de premier jet et d'élan continu, d'une improvisation à perte d'haleine, sans élagage et sans retouche. Les incorrections de langage, les erreurs de fait y abondent. Il y a bien çà et là des essais ou plutôt des projets d'amendement, des rectifications proposées de mots et de choses, des versions à choisir ; mais rien d'arrêté ni de définitif[1]. Ce travail est dont : resté inachevé, tel quel, avec ses lacunes, ses négligences, ses imperfections de toute sorte, mais aussi avec sa grandeur native. La main polie d'un historiographe ou d'un écrivain de profession n'a point passé sur cette ébaudie. Un homme compétent, non pas sans doute dans la pratique du beau langage, niais dans le maniement de la politique et de la guerre, Chamlay, ne s'est pas cru lui-même en droit d'y exercer sa critique.

On sait qu'après avoir mérité l'estime, la considération, l'amitié de Turenne, de Condé, de Louvois, Chamlay est entré très-avant dans la confidence de Louis XIV. Il a en communication de ce mémoire sur la campagne de 1672 ; il l'a copié de sa main avec une scrupuleuse exactitude, en sorte que la copie vaut l'original. Il l'a recueilli et respecté comme un document précieux, auquel, quoique fautif, il importait de ne rien changer. Il y a, en effet, je le répète, des erreurs tellement graves, qu'il est difficile de s'expliquer cousinent Louis XIV, même dictant de souvenir, a pu les commettre. Je n'en citerai qu'un exemple : du mois de septembre 1673, date certaine de l'événement, la surprise de Naerden par le prince d'Orange est reportée d'une année en arrière, au beau milieu de la campagne de 1672 ! Et ce n'est pas un lapsus, car Louis XIV y revient à plusieurs reprises, comme sur une affaire qu'il juge avec raison de la plus grande importance.

Ce n'est donc pas l'exactitude des faits qui recommande ce mémoire ; c'est un intérêt d'une autre sorte et bien autrement considérable ; c'est l'expression des sentiments et des idées de Louis XIV. J'ose dire qu'il y a là des révélations inattendues, des jours et comme des percées nouvelles sur des côtés ignorés ou mal éclairés de son caractère et de son esprit.

Voici le texte de ce mémoire :

 

 

Quoiqu'il ne soit pas séant aux princes, non plus qu'aux particuliers, de reprocher les bienfaits dont ils out comblé leurs amis ou leurs voisins, on peut cependant, sans crainte de tomber dans ce défaut, imputer la source et l'origine de la guerre présente, qui vient de s'allumer entre la France et les Provinces-Unies, à l'ingratitude, à la méconnoissance et à la vanité insupportable des Hollandois. Chacun sait que ces peuples doivent leur établissement en république libre à la puissante protection que les rois très-chrétiens [Variante : mes prédécesseurs] leur ont accordée pendant près d'un siècle, soit contre la maison d'Autriche, leur ancienne souveraine, soit contre l'Empire et l'Angleterre ; chacun sait que, sans son appui, ces puissances, ou liguées ensemble on agissant séparément, auroient en divers temps englouti [Var. conquis] cet État. Ces événements sont de nos jours ; et il suffit, pour le prouver, d'alléguer la dernière guerre que l'Évêque de Munster, un des plus foibles princes de l'Empire. sans aucun subside ni secours étranger, a faite en dernier lieu à cette république qui étoit à deux doigts de sa perte, sans les troupes auxiliaires que je lui envoyai. Je m'attache à [Var. choisis] cet événement, préférablement à tout autre, pour faire voir l'impuissance ou le mauvais gouvernement de cette république et le peu de fondement qu'elle avoit d'être si fiére, puisque, dans son état le plus florissant, elle se laissoit insulter par un prince qui n'étoit pas, pour ainsi dire, plus riche que quelqu'un de ses sujets, et pour faire remarquer au public que, sans mou secours, qui étoit le seul auquel elle pût avoir recours, l'Empire, l'Espagne et l'Angleterre n'étant point pour lors en termes avec elle de lui en donner, elle seroit peut-être rentrée dans des fers moins nobles et plus pesants que ceux qu'elle avoit brisés avec tant de sang et de peine quatre-vingts ans auparavant.

La postérité, qui n'aura pas été témoin de tous ces événements, demandera quel a été le prix et la reconnoissance de tous ces bienfaits ; pour la satisfaire, je veux lui apprendre que, dans toutes les guerres que les rois mes prédécesseurs ou moi avons entreprises, depuis près d'un siècle, contre les puissances voisines, cette république ne nous a non-seulement pas secondés de troupes ni d'argent, et n'est pas sortie d'une simple et tiède neutralité, mais a toujours taché de traverser, ou ouvertement ou sous main, nos progrès et nos avantages. Ce qui vient d'arriver le justifie assez. J'avois inutilement sollicité l'Espagne, après la mort du roi catholique[2], de rendre justice à la reine sur les légitimes prétentions qu'elle avoit sur les Pays-Bas. Accablé de refus continuels, j'avois pris les armes et avois porté la guerre dans ces provinces pour faire valoir les droits de cette princesse et lui faire restituer les États qui lui appartenoient. Dieu, qui est le protecteur de la justice, avoit béni et secondé mes armes ; tout avoit plié devant moi, et à peine avois-je parti, que la plupart des meilleures places des Pays-Bas s'étoient soumises à mon obéissance. Au milieu de toutes ces prospérités, l'Angleterre ni l'Empire même, convaincus de la justice de ma cause, quelque intérêt qu'ils eussent à arrêter la rapidité de mes conquêtes, ne s'y opposèrent point. Je ne trouvai dans mon chemin que mes bons, fidèles et anciens amis les Hollandois, qui, au lieu de s'intéresser à ma fortune [Var. mon bonheur] comme à la base de leur État, voulurent m'imposer des lois et m'obliger à faire la paix, et osèrent même user de menaces en cas que je refusasse d'accepter leur médiation. J'avoue que leur insolence nie piqua au vif, et que je fus prés, au risque de ce qui pourroit arriver de mes conquêtes aux Pays-Bas espagnols, de tourner toutes mes forces contre cette altière et ingrate nation. Mais, ayant appelé la prudence à mon secours, et considéré que je n'avois ni le nombre de troupes, ni la qualité des alliés requis pour une pareille entreprise, je dissimulai, je conclus la paix à des conditions honorables, résolu de remettre la punition de cette perfidie à un autre temps.

Depuis la conclusion de la paix, qui fut signée en 68, jusques en 71, je travaillai à engager dans mon alliance toutes les puissances que je crus nécessaires à mon entreprise. Fatigué et, pour ainsi dire, accablé des perfidies du duc de Lorraine et des engagements dans lesquels il entroit continuellement contre mou service et contre sa parole, je nie rendis en peu de temps maitre de son pays et de ses places. Incontinent après, j'augmentai peu à peu mes troupes, afin de ne point alarmer mes voisins par des levées brusques et puissantes. Je disposai ensuite mes alliances de cette manière : j'engageai le roi de la Grande-Bretagne, aussi mécontent, de son côté, des Hollandois que moi, à unir ses forces aux miennes, et l'Empereur et quelques-uns des plus considérables Électeurs et princes de l'Empire à ne se mêler de rien et à garder une parfaite neutralité. Je ne faisois pas un grand fonds sur la solidité de ces alliances que je prévoyois bien ne devoir pas durer longtemps, comme on le verra dans la suite ; mais je comptoir pour un grand avantage de pouvoir châtier en liberté, pendant quelque temps, l'insolence des Hollandois, et j'espérois les réduire à souscrire à une paix honteuse, avant que les puissances, mes alliées, pussent être en état de les secourir.

Pendant l'année 1671, il survint en Allemagne un incident favorable à mes desseins. L'Électeur de Cologne voulant faire revivre d'anciennes prétentions sur la ville de Cologne, la ville, pour s'en soustraire et pour maintenir sa liberté, se jeta entre les bras des Hollandois et de l'Empereur, qui y firent incontinent après passer des troupes. Je profitai de cette occasion ; j'offris ma protection et mon secours à l'Électeur ; je mis heureusement de la partie l'Évêque de Munster, qui étoit un prince de réputation dans l'Empire et grand ennemi des Hollandois. Tout réussit comme je le souhaitais. Je traitai avec l'Électeur, lequel s'engagea de me remettre toutes ses places et de donner dans son pays des quartiers d'hiver à mes troupes. En un mot, je vins à bout de la seule chose qui pouvoit me mettre en état de porter la guerre dans le cœur des Provinces-Unies ; car, sans cela, l'entreprise étoit d'une difficulté invincible, et, pour y parvenir, il ne falloit pas moins que déclarer la guerre à l'Espagne et passer sur le ventre de toutes les, places fortes que cette couronne possède aux Pays-Bas, et ainsi entamer une guerre dont les Espagnols, et non les Hollandois, eussent été la victime, ou bien se résoudre à attaquer ces derniers seulement par mer, comme se passent toutes les guerres entre l'Angleterre et cette nation, qui eût été une expédition d'aucune solidité et d'aucune ressource.

Suivant cette heureuse disposition d'alliance, je fis partir mes troupes au commencement de l'année 72, en deux corps, le premier, sous les ordres de Montclar, et l'autre, sous ceux de La Feuillée, brigadier de cavalerie. Pour soulager les États de l'Électeur de Trèves, qui m'avoit accordé passage dans son pays, ces troupes arrivèrent en peu de jours à Rhimback, petite ville située sur les frontières de l'Électorat de Cologne, où le marquis de Louvois, que favois chargé de la négociation avec l'Électeur de Cologne et l'Évêque de Munster, fit prêter serment à mes troupes entre les mains de l'Électeur qui y étoit en personne. Il survint, à cette occasion, un petit incident que je ne veux pas taire. La proposition de prêter serment à un prince étranger cabra d'abord celles de ma maison qui sont particulièrement destinées à la garde de ma personne ; mais aussitôt que le marquis de Louvois leur eut expliqué mes intentions, et qu'il y alloit de mon service d'en user ainsi, elles se conformèrent sans difficulté à ce que les autres venoient de faire. Cette précaution étoit absolument nécessaire, tant pour porter l'Électeur de Cologne, qui n'était point entièrement dans la confidence de la guerre que je projetais de faire dans la suite aux Hollandais, et qui, sur ce pied, ne se seroit point engagé avec moi, à signer le traité par lequel il me remettait toutes ses places, que pour fasciner les yeux aux Hollandais par ce faux prétexte de soutenir l'Électeur contre la ville de Cologne et les empêcher d'entrer à main armée dans l'Électorat et de ruiner en un instant l'établissement que j'y faisais, sans lequel il était absolument impossible que je portasse la guerre chez eux. La chose réussit comme je me l'étais proposé ; l'écharpe et l'étendard de Cologne rassurèrent les Hollandais et l'Empire sur l'arrivée de mes troupes et la prise des quartiers d'hiver dans l'Électorat. Tout demeura calme. Pendant l'hiver, on travailla à l'accommodement de l'Électeur avec la ville capitale, et je fis travailler à mettre les fortifications de Neuss et de Keiserwert sur le Blin, et de Dorsten sur la Lippe, en bon état, afin de pourvoir à la sûreté des grands magasins de toutes sortes de munitions de guerre et de bouche que j'y faisais faire en diligence, et qui devaient être le fondement de l'entreprise de Hollande.

J'avoue que ces commencements furent un peu délicats et qu'ils ne me donnèrent pas peu d'inquiétude, quand je faisais réflexion que mes troupes étaient éparses dans les villages du plat pays, que toute la sûreté de la frontière qui les couvrait consistait en de mauvaises places de guerre toutes ouvertes, et que les Hollandais pourraient entrer avec toutes leurs forces dans le plat pays, et ruiner tous mes projets sans que je pusse y apporter aucun remède, au hasard de perdre la meilleure partie de mes troupes, et de ne pouvoir tirer raison de l'insulte que les Hollandais m'auraient faite, par l'impossibilité de porter la guerre chez eux que par les Pays-Bas espagnols, qui eût été une entreprise, ainsi que je l'ai remarqué ci-dessus, à laquelle il n'eût pas été prudent de penser. Mais Dieu favorisa mes desseins : les Hollandais, enivrés [Var. entêtés] de leur grandeur et de leur puissance, demeurèrent dans un assoupissement presque léthargique pendant tout l'hiver ; la bonne intelligence régna sur les frontières ; le commerce ne fut point interrompu ; l'Empire demeura tranquille, et j'eus le loisir de me pourvoir abondamment de tous mes besoins. Chamilly l'ainé, que j'avais donné à l'Électeur de Cologne pour général de ses troupes, commanda aussi les miennes, et se conduisit dans toute cette affaire avec beaucoup de prudence et d'adresse.

Si les États-Généraux firent une lourde faute de ne pas faire marcher leurs forces dans l'Électorat de Cologne pour en chasser mes troupes et pour y ruiner tous les établissements que j'y faisois, ils la réparèrent en quelque façon en travaillant à une augmentation considérable de leurs forces de terre et de mer. De Witt, pensionnaire de Hollande, étoit alors à la tête de la république, et avoit la principale part au gouvernement. Le prince d'Orange étoit fort jeune, et la charge de statholder, qu'avoient possédée ses pères, étoit alors supprimée. De Witt, dont l'esprit étoit fort républicain, et qui étoit par conséquent l'ennemi du prince d'Orange, soutint assez la gageure tant que le péril fut éloigné, comme il arrive à la plupart des gens qui s'enivrent de leur bonne fortune et ne prévoient pas les malheurs qui peuvent leur arriver en gardant une mauvaise conduite avec leurs voisins. Il se regardoit comme le dictateur perpétuel, et vouloit que sa république ne cédât en rien en fierté et en hauteur à la république de Rome, et ne voyoit pas la différence infinie qu'il y avoit de l'une à l'autre, et par le fonds de sa puissance et par la qualité de ses voisins. Mais quand, au printemps, l'orage commença à gronder, les armes lui tombèrent des mains, et, par force ou par crainte de ne pouvoir pas soutenir lui seul le pesant fardeau de la guerre qui étoit prête à s'allumer, il souscrivit au rétablissement de la charge de statholder en faveur du prince d'Orange, qui en fut revêtu sur-le-champ, avec un pouvoir plus ample qu'aucun de ses pères ne l'avoit autrefois possédée.

Les choses étoffent en cet état au commencement du printemps. J'avois disposé mes projets de guerre de manière que je devois tomber en même temps sur quatre places considérables des ennemis, dans la pensée que j'avois qu'on ne pouvoit faire un trop grand effort dans le commencement pour déconcerter les États-Généraux et leur abattre le courage. Je fis d'abord assembler l'armée du prince de Condé sous Sedan, et je le fis marcher par les Ardennes jusques auprès de Liège ; j'assemblai la mienne vers Charleroi, et je marchai par la Hesbaie, avec mon frère et le vicomte de Turenne, à Viset, où je passai la Meuse sur un pont de bateaux. En arrivant, j'envoyai le marquis de Chamilly, qui m'étoit venu joindre du pays de Cologne, et qui avoit laissé le commandement des troupes à Montai, avec un gros détachement à Maseick, pour se saisir de cette place, qui étoit un poste important du pays de Liège, tant à cause du passage de la Meuse que pour couper la communication de Maëstricht avec le reste de la Hollande. Nous marchâmes ensuite, moi et le prince de Condé, par des routes différentes, pour faire subsister plus aisément les troupes, à travers les pays d'outre-Meuse, de Juliers et de Cologne ; et mes armées arrivèrent en peu de jours sur le Rhin, à la hauteur de Neuss. Je fis passer le Rhin au prince de Condé avec la sienne sur un pont de bateaux que j'avois fait construire sur le Rhin, près de Keiserswert ; je l'envoyai passer la Lippe à Dorsten, et je lui ordonnai d'attaquer Wesel, place si importante et si connue, qu'il n'est pas besoin d'en rien dire. Je séparai en même temps mon armée en trois[3] ; j'envoyai mon frère avec une attaquer Burick, et je marchai avec la troisième à Rhinberg, toutes places considérables situées sur le Rhin, entre Wesel et Keiserswert. Les mesures de ces quatre entreprises furent concertées si juste, que ces quatre places furent investies en même temps. Orsoi et Burick ne tinrent pas ; Rhinberg et Wesel furent pressées si vivement, qu'elles subirent le sort des deux premières, en sorte que les États-Généraux apprirent presque aussitôt la nouvelle de leur reddition à mou obéissance que de leur investiture. Toutes les troupes qui étoient dedans furent faites prisonnières de guerre[4]. Ce grand commencement fut un présage heureux du reste de la campagne, et il fut accompagné des progrès avantageux que le duc de Luxembourg, que j'avois donné pour général à mes alliés, fit, avec les troupes de Munster et de Cologne et quelques-unes des miennes, sur les frontières de l'Over-Yssel, en se saisissant brusquement des places de Dorckum, Borkeloo, Brefort et Groll, et autres voisines[5].

Après avoir pourvu à la sûreté des quatre places du Rhin nouvellement conquises, je résolus de profiter de ma boume fortune et de pousser ma pointe le plus diligemment que je pourrois ; j'envoyai le vicomte de Turenne se saisir du fort de liées, qui étoit situé sur le bord du Rhin, vis-à-vis de la ville de Rées ; le prince de Condé attaqua Limerick, et je passai le Rhin avec mon frère et marchai à Rées. Toutes ces places, alarmées par le succès de mes armes, et se voyant abandonnées par les Hollandois, ne tinrent point ; en sorte qu'en huit ou dix jours je nie trouvai maitre absolu du bas Rhin, à la réserve du fort de Schenk et d'Arnheim. Avant d'engager toutes mes forces du côté du Rhin, j'avois pourvu à la sûreté de mes places des Pays-Bas, et j'y avois laissé un corps de troupes sous les ordres de .....[6], proportionné et même plus puissant que celui que les Espagnols pouvoient mettre sur pied, ne voulant pas que pendant que je serois occupé à la conquête de la Hollande, l'Espagne, toujours mal intentionnée et jalouse de ma grandeur, me donnât aucune inquiétude pour nies places et pour mes anciennes frontières. J'avois aussi pourvu à la sûreté de l'Alsace, quoique je susse bien que l'Empereur n'étoit pas pour lors en état de rien entreprendre de ce côté-là.

Pour revenir à l'expédition de Hollande, il est à propos de dire que, lorsque les Hollando :s virent la guerre engagée sans aucune ressource, prévoyant que le premier effort de mes armes tomberoit sur les places du Rhin, et sachant bien qu'on ne pouvoit pénétrer dans le cœur de leur pays qu'en passant le Wahal, le Rhin ou Ussel, ils se mirent l'esprit en repos sur le premier fleuve, qui, à camuse de son extrême largeur, rapidité et profondeur, n'est pas praticable polir un passage brusque, et ils s'attachèrent à défendre les deux derniers, fort inférieurs eu difficultés à l'autre. Ils assemblèrent un grand nombre de paysans, et tirent faire de grands retranchements sur les bords de ces fleuves ; et parce que l'Yssel étoit plus foible que le Rhin, et que le passage étoit plus commode pour entrer en Hollande, les États y envoyèrent le prince d'Orange avec le gros de l'armée, et tirent passer Montbas dans le Bétau avec un corps considérable de troupes, polir soutenir les retranchements du Rhin. Toutes ces dispositions étoient faites avec assez de raison ; le prince d'Orange étoit posté derrière Ussel, prés de Doesbourg, vis-à-vis Wersterforde ; Montbas derrière le Rhin, au-dessous de Tolbus ; ils se vouvoient donner la main en cas que l'un des deux fleuves fût attaqué. Comme le succès de cette entreprise étoit important pour la suite de la guerre, et qu'il étoit difficile qu'il ne se passât quelque grande action au passage de l'une de ces rivières, j'examinai avec soin à laquelle des deux il convenoit de s'attacher pour réussir. Je fis part de mon dessein à mon frère, au prince de Condé et au vicomte de Turenne, et je résolus de tenter le passage du Rhin préférablement à celui de l'autre, quoique jusque-là cette entreprise n'eût été ni formée, ni conçue, même par ceux des deux partis qui avoient autrefois fait la guerre en Hollande. Mais, afin d'embarrasser les ennemis et de leur ôter entièrement la connaissance de mon véritable dessein, et afin de les empêcher de dégarnir Ussel pour porter toutes leurs forces dans le Bétau, je détachai le coude de Roye avec un corps de troupes considérable, el lui ordonnai de marcher à Wersterforde, vis-à-vis les retranchements des ennemis, et de faire semblant de vouloir passer ce fleuve, afin de donner de l'attention de ce côté-là aux ennemis [Var. au prince d'Orange]. En mène temps, le duc de Luxembourg, qui s'étoit saisi de Cœvorden, place d'une ancienne et grande réputation sur ces frontières, avoit la tête tournée avec les troupes de mes alliés du côté de Deventer, grande place située sur le bas Yssel, lequel mouvement ne donnoit pas encore de ce côté-là peu d'inquiétude aux ennemis, quoique le duc de Luxembourg en fit pour lors [Var. encore] fort éloigné. La marelle du comte de Roye produisit l'effet que je m'étois proposé, contint le prince d'Orange et l'empêcha de fortifier le corps de Montbas, qui veilloit à la garde du Bétau.

En effet, la profondeur, la rapidité et la largeur du Rhin pou-voient donner quelque confiance et mettre l'esprit en repos. Cependant, sur le rapport de plusieurs gens du pays, que le comte de Guiche avoit menés le long du fleuve pour visiter les bords, et qui assurèrent qu'on pouvait le passer vis-à-vis le Tolhus, je résolus, de ravis du prince de Condé, de faire teiller le passage. Le comte de Guiche, à la tête des cuirassiers et de la brigade de Pilloy[7] et de plusieurs gens de qualité de la cour volontaires, se jeta dans le Rhin ; un escadron des ennemis, qui n'où posté dans le Talus, débusqua brusquement de son poste et se jeta de son côté d'assez bonne grâce dans le Rhin pour disputer le passage de ce fleuve au comte de Guiche, et fit sa décharge dans le milieu de l'eau, de laquelle Guitry, grand maitre de ma garde-robe[8], Nogent, maréchal de camp et maitre de ma garde-robe, Théobon et quelques autres officiers ou volontaires furent tués. Revel, colonel des cuirassiers, et quelques autres blessés. J'avois moi-même posté une batterie un peu au-dessous de l'endroit où se bison le passage qui le voyoit à revers ; à peine l'escadron fut entré dans l'eau, que je fis tirer dessus. Le grand leu du canon favorisa le passage et ébranla si fort les ennemis, qu'ils se retirèrent en désordre, et portèrent à Montbas, qui étoit avec le gros de ses troupes dans son camp, au-dessous de Tolhus, la triste nouvelle du passage forcé et de l'entrée de nies troupes dans le Bétau. Ce contre-temps fâcheux déconcerta si fort Montbas, qu'il ne songea plus qu'a la retraite du côté d'Arnheim. A peine les premières de mes troupes furent passées[9], que le prince de Condé, le duc d'Enghien son fils, et le duc de Longueville, qui, an bruit du passage, avoit accouru à toute bride d'auprès du comte de Roye, avec lequel il étoit détaché, passèrent le Rhin dans une petite barque, et leurs chevaux à la nage. Le prince ne songea d'abord qu'à mettre ce qu'il y avoit de cavalerie passée en bataille, afin de marcher ensuite avec un corps réglé aux ennemis, ou pour les combattre, ou [du moins] pour les inquiéter dans leur retraite.

J'étois présent au passage, qui fut hardi, vigoureux, plein d'éclat et glorieux pour la nation. Je fis passer brusquement des troupes, afin de fortifier le corps du prince de Condé ; je fis travailler diligemment à un pont de bateaux sur le Rhin, et je demeurai avec maton frère, le vicomte de Turenne[10], qui, après l'expédition du fort de Rées, m'étoit venu joindre, elle reste de l'année sur les bords du Rhin, pour m'opposer au prince d'Orange, en cas que sur l'avis du passage forcé du Rhin, il eût pris le parti de passer brusquement l'Yssel et de marcher à moi pour tomber sur l'armée à demi passée et attaquer mon arrière-garde. Mais il se trouva par la suite que ma précaution, quoique nécessaire, devint inutile ; car le prince d'Orange, sur la retraite du comte de Roye, qui lui donnoit de l'attention pour l'Yssel, et apparemment sur les avis que Montbas lui donna, prit un parti tout différent, et envoya diligemment, par Arnheim, un corps considérable de troupes dans le Bétau pour soutenir Montbas, et demeura avec le reste de son armée sur Ussel. Ce corps trouva Monilias en marche et ne lui inspira point l'esprit de retour.

Pendant ce temps-là, le prince de Condé s'avança vers les retranchements des ennemis pour accélérer leur retraite ; il fut suivi de tout ce qu'il y mit de gens de la première qualité de France, auxquels j'avois permis de l'accompagner. Tous ces volontaires, la plupart jeunes gens désireux de se distinguer à ma vue, et de mérite r mon estime et celle du plus grand capitaine de l'Europe qui étoit à leur tête, donnèrent d'abord beaucoup d'occupation au prince de Condé pour les retenir ; mais enfin le duc d'Enghien et le due de Longueville lui échappèrent et voulurent forcer mie barrière pour joindre les ennemis. Le pays n'est que prairies assez basses, fermées de watergans, c'est-à-dire fossés, ou de haies vives, et chaque particulier a sa barrière pour entier dans son héritage ; ce terrain étoit, par conséquent, fort favorable à l'infanterie. A peine le prince de Condé se fut aperçu de l'absence de son fils et de celle du duc de Longueville, qu'oubliant pour ainsi dire, si l'on ose parler ainsi du plus grand homme du inonde, son caractère de général, et s'abandonnant tout entier aux mouvements du sang et de l'amitié tendre qu'il portoit à son fils et à son neveu, accourut, ou pour les empêcher de s'engager légèrement, ou tenir les retirer du mauvais pas où leur courage et leur peu d'expérience mima pu les embarquer ; il les trouva avec tous les volontaires aux mains avec les ennemis, qui, se voyant pressés et profitant du terrain qui leur étoit favorable, avoient tourné brusquement. Les ennemis ne tinrent pas longtemps et continuèrent leur retraite en désordre, après avoir perdu beaucoup de inonde et des drapeaux et étendards.

Cette action fut fort vive et fort glorieuse ; mais la blessure du prince de Condé au poignet, la mort du duc de Longueville, et les blessures des ducs de la Rochefoucauld, de Coislm et de Vivonne, du jeune La Salle, de Brouilly, aide-major de mes gardes du corps, etc., et de plusieurs autres gens de qualité, en diminuèrent fort le prix et me donnèrent une grande mortification, particulièrement la blessure de M. le Prince, tant à cause de sa naissance et de son mérite singulier que de la faiblesse de son tempérament, exténué par la goutte, que j'appréhendois ne pouvoir pas résister à la violence du mal.

Après avoir donné les premiers moments aux mouvements de la nature, de l'amitié et de la considération que j'avois pour ce prince, et avoir donné au duc d'Enghien, son fils, la patente de général de mes armées[11], je m'appliquai à pourvoir à la sûreté de nies troupes, qui étoient dans le Bétau et qui avoient cessé de poursuivre les ennemis dans leur retraite, et j'envoyai dès le même jour le vicomte de Turenne pour commander l'armée du prince de Condé. Je lui ordonnai de marcher brusquement an bout du pont d'Arnheini pour empêcher que l'armée ennemie n'y vint repasser le Rhin pour rentrer dans le Bétau, et pour disputer cette ile à mes troupes qui en étoient pour lors les maîtresses. Je résolus en même temps de marcher à l'Yssel avec mon armée pour y passer ce fleuve à la vue même de farinée ennemie, pour forcer ensuite ses retranchements et pour la combattre. Mais j'appris aussitôt, par une lettre du vicomte de Turenne qui, en arrivant au bout du pont d'Arnhem, avoit battu un corps d'in-tuilerie des ennemis qui s'étoient retranchés au Grieg, qui est un ancien canal qui traverse le Bétau et aboutit d'un côté au Rhin, ail faubourg d'Arnheini, et au Wahal au fort de Knotzenbourg, vis-à-vis de Nimègue, pour lui disputer le passage, j'appris, dis-je, que le prince d'Orange avoit abandonné ses retranchements de l'Yssel, et se retiroit, à la vue de l'armée du vicomte de Turenne, le long du Rhin, du côté de Rhenen, de Wagueningen et de Wick-Overstede, pour se porter de là dans le cœur de la Hollande, et rassurer les esprits que la rapidité de nies conquêtes avoit fort alarmés. Cette nouvelle de la retraite prompte du prince d'Orange, quoique avantageuse pour le bien de mon service, nie donna d'abord quelque mortification pour ce qui regardoit ma propre gloire, parce que, s'il fût resté sur l'Yssel, j'espérois le combattre et peut-être défaire entièrement son armée ; mais, ayant toujours préféré l'intérêt de l'État à celui de ma réputation, je ne songeai qu'à profiter des avantages que la retraite des ennemis me fournissoit. La conduite que j'avois tenue au commencement de la campagne, en attaquant les quatre places du Rhin en même temps, m'avoit si bien réussi et avoit si fort abattu le courage des ennemis, que je résolus de m'y conformer et de renchérir même dessus, afin de déconcerter entièrement les ennemis. J'envoyai ordre au vicomte de Turenne d'attaquer Arnheim, au duc de Luxembourg de marcher à Deventer, à mon frère d'investir Zutphen[12], et moi je marchai à Doesbourg pour en faire le siège. Toutes ces places étoient très-considérables, fort bien fortifiées, et pourvues des troupes et des munitions nécessaires pour une longue défense.

La postérité aura peine à croire que j'aie pu fournir de troupes, d'artillerie et de munitions assez abondamment pour des entreprises de la considération de celles-ci. Cependant, j'avois si bien pourvu à toutes choses, et mes ordres furent exécutés avec tant de régularité et de justesse par les soins du marquis de Louvois, que l'on ne manqua de rien à tous les sièges. Le vicomte de Turenne se contenta d'abord de canonner Arnheim, le Rhin entre deux, où le comte du Plessis, maréchal de camp, fut tué d'un coup de Canon de la place, croyant que la place se l'endroit, et pendant ce temps-là alla avec un gros détachement attaquer le fort de Knotzenbourg, situé sur le bord du Wahal, vis-à-vis de Nimègue, comptant de l'emporter d'emblée ; mais les ennemis, ayant posté des batteries sur le quai ou le port de Nimègue, et placé des frégates armées sur le Wahl, qui voyoient à revers la tranchée, tirent un feu si épouvantable de canon à cartouche, que les travaux cessèrent d'avancer, les troupes ayant presque toutes été obligées de se mettre sur le ventre pour être un peu à couvert. Heureusement, un peu avant le jour, comme le vicomte de Turenne se disposoit à lever le siège, le gouverneur demanda à capituler, et remit sur-le-champ la place à nies troupes, qui en prirent possession. Le vicomte de Turenne retourna aussitôt au siège d'Arnheim, trouva son pont de bateaux achevé sur le Rhin, et, comme il se disposoit à passer de l'autre côté pour assiéger la place dans les formes, elle demanda à capituler, et mes troupes entrèrent dedans dans le moment. Je pressai pendant ce temps-là vivement la ville de Doesbourg, qui faisoit une assez bonne défense ; mon frère, le duc de Luxembourg, tirent la même chose à Deventer et à Zutphen ; enfin, toutes ces places, de peur d'être emportées, résolurent d'ouvrir leurs portes et de se soumettre à mon obéissance. Je n'entre point dans aucun détail de ces sièges. quoiqu'il s'y soit passé des actions considérables, particulièrement à Dœshourg, et qu'ils se soient conduits avec toute l'économie, la prudence et la régularité possible, de peur de grossir trop cette histoire que je permets aux historiens d'étendre autant qu'ils le jugeront à propos. Je perdis Martinet, maréchal de camp, au siège de Doesbourg, dont je fus fort fâché, parce qu'il avoit beaucoup contribué à mettre mon infanterie sur le bon pied et à lui inspirer la règle et la discipline.

Aussitôt que le vicomte de Turenne se fut rendu maitre d'Arnheim, je lui envoyai ordre de marcher au fort de Schenk et d'en faire le siège ; cette place, si renommée dans les guerres passées, est située dans le Bétau, dans la fourche du Wahal et du Rhin qui en baignent la pointe et les deux flancs, et ne laissent que la tête du côté de terre ferme attaquable ; elle étoit fort bien fortifiée et bien munie de toutes choses, et m'êtoit d'une conséquence extrême pour ouvrir le Wahal et le Rhin, et par conséquent le commerce des places conquises du Rhin avec Arnheim et les places de l'Yssel, et pour me mettre en état d'attaquer Nimègue et de porter la guerre plus avant en Hollande et vers la basse Meuse. Le vicomte de Turenne, après avoir établi ses quartiers vis-à-vis la tête de terre ferme, la fit attaquer avec beaucoup de vigueur. La défense ne répondit pas à la bonté et à l'heureuse situation de la place, et elle fut soumise, en quatre ou cinq jours de tranchée ouverte, à mon obéissance. Cette conquête fut d'un grand secours [pour mon armée], par la faculté qu'elle donna de voiturer tous ses besoins par eau. La garnison aussi bien que celles de presque toutes les places conquises avoient été faites prisonnières de guerre, et ces échecs avoient diminué considérablement les forces des Hollandois. Ma flotte commandée ayant joint celle du roi d'Angleterre, étoient toutes deux à la mer.

[Il faut détailler ce qui se passa à la mer.]

Les grands et surprenants progrès que mes armées de terre avoient faits en si peu de temps, les avantages que ma flotte et celle d'Angleterre avoient remportés sur celle des Etats, l'idée et les préjugés d'une ruine certaine et d'un bouleversement général Je la république, le peu de fonds qu'il y avoit à faire sur une armée nouvelle déjà fort dépréciée et commandée par un jeune prince sans expérience, toutes ces tristes et funestes réflexions mirent les Hollandois hors de toutes mesures et leur firent presque tourner la tête. Utrecht, ne se croyant pas en sûreté après la conquête de l'Yssel et du Rhin, recourut à ma protection, et se jeta entre mes bras, pendant que je faisois respirer mes armées dans le Velau vers Dieren. J'envoyai Rochefort avec un gros détachement pour se saisir de cette grande place, et, comme j'étois en pleine marche pour m'y rendre en personne, je lui ordonnai de pousser en avant du côté d'Amsterdam et de se saisir, s'il étoit possible, de Muyden, dans laquelle étoient les eaux douces pour l'usage de celte ville capitale[13]. En passant, il se saisit de Naerden, comme je fis d'Amersfort en marchant à Utrecht ; mais, lorsqu'il fut près d'entrer dans Muyden, le prince de Nassau se jeta brusquement dans la ville avec un grand corps de troupes et fit échouer l'entreprise.

La ville d'Amsterdam en fut cependant si alarmée et si consternée, que, tous les conseils, les magistrats et les principaux bourgeois s'étant assemblés dans la maison de ville pour délibérer sur le parti qu'il y avoit à prendre dans la conjoncture présente, il fut résolu qu'on me députeroit pour me demander ma protection, et même la lettre que le magistrat m'écrivoit pour se soumettre fut expédiée, et le trompette de la ville prêt à partir pour me l'apporter et me venir demander des passeports pour les députés. Il arriva sur cela un incident qui releva un peu le courage des magistrats et dés principaux membres des conseils, et fit différer l'exécution de ce qui avoit été projeté ; quelques particuliers, plus fermes, plus sensés et plus judicieux que les antres, s'élevèrent, reprochèrent aux magistrats leur foiblesse et leur terreur panique, et leur représentèrent que la ville d'Amsterdam étoit une ville assez importante et assez considérable pour mériter d'être sommée de se rendre. Ces remontrances judicieuses, inspirées à propos, remirent un peu l'esprit des magistrats et du peuple. L'envoi de la lettre et des députés fut différé, et par ce moyen, la ville se trouva sauvée, n'ayant pas pu y marcher, dans ce temps-là, faute de vivres et de préparatifs, et ayant moins pu le faire dans la suite, parce que les Etats, revenus un peu de leur première frayeur, et convaincus que le salut du reste de leur pays consistoit dans celui de cette capitale qui en est comme l'âme, lâchèrent leurs écluses, mirent leur pays entièrement sous l'eau, et me mirent dans la nécessité de borner mes conquêtes, du côté de la province de Hollande, à Naerden, à Utrecht et à Wœrden. La résolution de mettre tout le pays sous l'eau fut un peu violente ; mais que ne fait-on point pour se soustraire d'une domination étrangère ! Et je ne saurois m'empêcher d'estimer et de louer le zèle et la fermeté de ceux qui rompirent la négociation d'Amsterdam, quoique leur avis si salutaire pour leur patrie, ait porté un grand préjudice à mon service.

Toutes ces extrémités fâcheuses auxquelles la Hollande se trouvoit réduite, firent extrêmement crier les peuples et les portèrent à me demander la paix. Le roi d'Angleterre s'entremit auprès de moi pour [la] leur procurer ; on négocia pendant quelque temps, et les propositions qu'on me fit étoient fort [Var. assez] avantageuses ; mais je ne pus jamais me résoudre à les accepter ; et quoique je ne sois pas obligé de rendre compte des raisons qui m'empêchèrent d'y souscrire, je veux bien cependant dire que le secret pressentiment que j'eus que le fardeau de la guerre retomberoit enfin sur les Pays-Bas espagnols, et que les places qui me seroient cédées par la paix seroient d'un bien autre prix pour la sûreté et l'agrandissement de mon royaume que Celles de Hollande que je ne pourrois soutenir qu'avec des peines et des dépenses infinies, à cause du grand éloignement de mes frontières, et que je serais peut-être obligé d'abandonner dans la suite, me détermina de refuser la paix aux conditions qu'on me l'offrit. La postérité ajoutera foi, si elle vent, à ces raisons, et rejettera à sa fantaisie ce refus sur mon ambition et sur le désir de me venger des injures que j'avois reçues des Hollandois ; je ne nie justifierai point auprès d'elle. L'ambition et la gloire sont toujours pardonnables à un prince, et particulièrement à un prince jeune et aussi bien traité de la fortune que je l'étois. Du reste, j'ai fait assez voir par ma conduite suivante que je n'ai pratiqué la vengeance que par représailles[14], et pour maintenir la gloire et la réputation [Var. l'intérêt] de mon royaume [Var. mes sujets].

Dans le temps que je me mis en marche pour m'approcher d'Utrecht, les villes de Campen et de Zwoll, grandes places de la province d'Over-Yssel, se rendirent à mon obéissance, et j'envoyai ordre au vicomte de Turenne, qui faisoit rafraichir son armée dans le Bétau, de passer diligemment le Wahal sur un pont de bateaux et d'attaquer Nimègue. Cette place étoit fort bien fortifiée et pourvue d'une garnison de quatre ou cinq mille hommes commandés par un vieux lieutenant général de réputation[15], et de toutes sortes de munitions. Le vicomte de Turenne l'attaqua dans toutes les formes et la pressa si vivement, que, nonobstant sa vigoureuse résistance, il l'obligea, eu huit ou dix jours de tranchée ouverte, de se rendre à discrétion, et la garnison prisonnière de guerre. En même temps le duc de Luxembourg, avec l'armée des alliés, avoit tourné la tête du côté de la Frise, dans le dessein d'attaquer Groningue, qui en est la capitale, contre mon avis, n'étant pas persuadé que cel te armée pût venir à bout d'une entreprise aussi considérable que celle-lit, ainsi que l'événement l'a justifié dans la suite. Mais par complaisance pour l'Évêque de Munster qui prétendoit avoir des intelligences secrètes dans cette place et qui se flattoit d'y réussir, je une laissai aller à y consentir ; et c'est le seul événement [Ver. la seule expédition] qui ait fait eu quelque façon déshonneur à cette magnifique campagne. Dans ce même temps encore le marquis de Chantilly que j'avois laissé dés le commencement de la campagne avec un corps de troupes pour observer la garnison de Maëstricht, s'approcha par tues ordres de Grave, place importante, tant par sa situation que parce qu'elle ouvroit le commerce de la Meuse. Il s'en rendit sur-le-champ maitre, après avoir permis à la garnison, forte de douze ou treize cents hommes, de se retirer à Bos-le-Duc.

Après la prise de Nimègue, voulant entièrement nettoyer la Meuse, et couper la communication de Bos-le-Duc avec le reste de la Hollande, j'envoyai ordre au vicomte de Turenne de marcher à Crèvecœur, place située sur la Meuse, à l'embouchure du canal de Bus-le-Duc, vis-à-vis l'île de Bommel. Il attaqua brusquement cette place et s'en rendit maitre en peu de temps, aussi bien que des forts d'Orten et d'Engelen, situés sur le canal do Bos-le-Duc et des forts de Worn et de Saint-André, le premier situé à la pointe de l'ile de Saint-André du côté de la haute Meuse, et l'autre à l'autre pointe de la mime ile du côté de tabasse Meuse, par divers détachements qu'il y envoya. Il passa ensuite avec son armée sur le pont de bateaux qu'il avoit fait faire vis-à-vis du château de Heel, près de Crevettier, passa dans Cité de Rommel, et vint assiéger la place capitale du même nom, située sur le Wahal, sur lequel les ennemis avaient plusieurs frégates armées ; mais à peine la place fut investie, et la garnison vit les préparatifs que l'on faisoit pour l'attaquer qu'elle se rendit à discrétion. Thielt subit incontinent après le même sort, et le vicomte de Turenne, après avoir pourvu à la sûreté de ces places, repassa la Meuse, et vint se poster à Berlicum, près de Bos-le-Duc, pour y laisser rafraichir et respirer son armée des grandes fatigues qu'elle venoit d'essuyer.

Pendant que le vicomte de Turenne faisoit toutes ces expéditions, je pourvus à la sûreté d'Utrecht, de Wœrden et de toute cette frontière ; je retirai le duc de Luxembourg de l'armée des alliés, et envoyai Rend à sa place pour la commander ; je chargeai le duc de Luxembourg du commandement d'Utrecht et de toute cette frontière, le comte de Lorge de celui du Bétau, du Wahal et de la Meuse, le comte d'Estrades de celui de Wesel et des places et pays adjacents, et j'envoyai Chamilly avec ses troupes occuper son ancien poste dans le voisinage de Maëstricht pour veiller[16] à la garnison. Il y mourut peu de temps après ; je le regrettai fort, parce que c'étoit un galant homme et capable de nie bien servir. J'établis aussi en même temps Montal à Tongres pour y commander et à la frontière voisine. Je laissai à tous ces généraux un nombre de troupes proportionné à celles des ennemis à qui ils avoient affaire, et aux entreprises que je vouloir qu'ils tentassent ; et voyant que la campagne étoit avancée et que ma présence n'étoit plus nécessaire en Hollande, puisque par le parti que les ennemis avoient pris de mettre le pays sous l'eau, il n'y avoit aucune expédition à faire, je résolus d'en partir avec les troupes de ma maison ; et, après avoir passé le Rhin à Arnheim, le Wahal à Nimègue, et la Meuse à Grave, je me rendis à Boxtel, sur la rivière de Dommel, dans la mairie de Bos-le-Duc, assez prés de cette place. Pendant le séjour que j'y fis pour laisser reposer mes troupes, le duc de Neubourg, avec tous ses enfants, me vint voir et m'assurer de son zèle et de sa reconnoissance et de son attachement à mon service. J'envoyai faire plusieurs courses dans le pays ennemi, et entre autres Fourille, près de Breda, pour soumettre toute cette contrée à la contribution. Je donnai le commandement de l'armée capitale qui restoit en campagne au vicomte de Turenne ; je l'instruisis à fond de mes intentions et des partis qu'il y avoit à prendre, soit pour s'opposer aux entreprises que les Hollandois voudroient faire sur mes conquêtes, soit pour observer les mouvements de l'Empereur et de quelques princes de l'Empire qui, jaloux de ma gloire et de nies prospérités, et sollicités puissamment par mes ennemis de s'opposer au torrent de mes conquêtes, commençoient à remuer ; et enfin je partis de Boxtel avec les troupes de ma maison, le 31 du mois d'août[17], pour m'en retourner en France par ....[18], pleinement satisfait de la bénédiction que Dieu avoit donnée à nies armes, n'ayant à me plaindre que de la trop grande sagesse de ceux qui, par leurs bonnes raisons, avoient empêché les conseils et les magistrats d'Amsterdam de se soumettre à mon obéissance, et n'ayant ii me reprocher que l'extrême indulgence que j'avois eue pour près de vingt mille prisonniers de guerre, en les renvoyant eu Hollande, lesquels ont formé les principales forces que cette république a depuis employées dans la suite contre moi.

Après mon départ, le vicomte de Turenne demeura avec son armée dans la mairie de Bos-le-Duc ou aux environs de Grave pendant le mois d'août, et, ayant appris que l'Empereur et l'Électeur de Brandebourg armoient et se disposoient à entrer en campagne, et que d'ailleurs tout étoit tranquille en Hollande, les États agissant de concert avec l'Empereur, et ne devant mettre leurs armées en campagne qu'en même temps que la sienne, il résolut de marcher à travers [Var. pari du pays de Clèves, de venir passer le Rhin à Wesel, et de se porter à Boerbeck et dans le pays d'Essen pour y observer les mouvements des Allemands.

Dans ce temps-là, il arriva en Hollande un événement bien funeste. Les États, outrés des mauvais succès de la campagne, et suscités, à ce qu'on prétend, par le prince d'Orange, qui ne pouvoit pardonner au pensionnaire de Witt l'opposition qu'il avait toujours témoignée à son élévation, rejetèrent tous les malheurs qui leur étaient arrivés sur la mauvaise administration de ce dernier. Ils avaient commencé par faire arrêter son frère, le bailli de Putten, à qui ils avaient imputé les mauvais succès de la flotte ; et comme le pensionnaire l'alla voir dans la prison de La Haye, pour l'en retirer suivant la permission qu'il en avait obtenue des États, le peuple en furie agissant ou par son propre mouvement ou par l'instigation des émissaires du prince d'Orange, se jeta sur les deux frères, les mit en pièces, et pendit leurs corps au gibet public, après leur avoir fait toutes les indignités dont une populace forcenée est capable. Cette espèce de sédition, si dangereuse dans un temps comme celui-là, ne fut point recherchée ni punie par les États ; tout fut assoupi dans le moment. Fagel, créature dévouée de tout temps à la maison des princes d'Orange, succéda à de Witt dans sa charge de pensionnaire, et alors le prince d'Orange commença à prendre tout à fait l'essor.

Le vicomte de Turenne passa le mois de septembre dans les pays d'Essen et de Marck, appartenant à l'Électeur de Brandebourg, et, ayant appris que les armées de l'Empereur et de l'Électeur de Brandebourg étaient en marche pour se rendre au rendez-vous général qui était fixé à Berg, dans la Wetteravie, près de Francfort, partit de Bockum à la fin du mois de septembre avec son armée, et s'avança à Mulheim [sur le Rhin] dans le duché de Berg, un peu au-dessous de Cologne, où il régla son séjour sur celui que les ennemis faisaient auprès de Francfort, et enfin remonta le Rhin, vers la tin d'octobre, jusques à Neyewid, près d'Hermenstein, pour y observer de plus près les mouvements des ennemis. Pendant ce temps, les Espagnols, qui jusque-là avaient été simples spectateurs de cette scène, envoyèrent d'Agourto en Hollande avec un corps considérable de cavalerie sur le pied de troupes auxiliaires, en exécution d'un prétendu traité, par lequel le roi catholique s'était engagé d'envoyer ce nombre de troupes aux États. Le prince d'Orange assembla aussitôt son armée, et, ayant joint les Espagnols, assiégea Naerden, dont la conquête lui était d'une grande importance à cause de sa situation sur le Zuiderzée, pour rassurer la cille d'Amsterdam que le voisinage de mes forces alarmoit continuellement. Le duc de Luxembourg les assembla le plus diligemment qu'il put pour marcher au secours de cette place, comptant que le gouverneur que j'y avois établi comme un homme de confiance et de réputation parmi les troupes, feroit son devoir ; mais à peine le prince d'Orange parut et les attaques furent commencées, que la tête hu tourna et il se rendit indignement, étant près d'être secouru par le duc de Luxembourg[19].

J'étois informé qu'après la prise de Naerden les États-Généraux, de concert avec l'Empereur et avec l'Électeur de Brandebourg, avoient résolu de faire passer le prince d'Orange avec leur armée jusques auprès de Trèves, pour se joindre à l'armée de l'Empire, et obliger par là le vicomte de Turenne de repasser le Rhin pour se rapprocher de mes frontières et les garantir des courses que les ennemis pourroient y faire. Ce projet étoit fort bien concerté, parce qu'il conduisoit à tirer la guerre de l'Empire et à la porter en Lorraine ou dans les Évêchés, à la faveur de la Moselle et des villes de Trèves et de Luxembourg, qui auroient pu fournir aux ennemis tous leurs besoins. Je compris d'abord combien il étoit important de renverser un semblable projet, dont je fis part sur-le-champ au vicomte de Turenne, et lui envoyai ordre de faire diligemment construire un pont sur le Rhin et d'y faire faire deux bons forts pour le couvrir, afin d'être en état de passer diligemment ce fleuve pour s'opposer à la jonction des Hollandois et des Allemands, et de pouvoir repasser dans l'Empire, si la nécessité le requéroit. En effet, pendant que le vicomte de Turenne faisoit travailler à son pont, Montecucculi, général de l'armée impériale, et l'Électeur de Brandebourg, s'approchèrent de Mayence avec leurs armées, et firent construire un pont de leur côté sur le Rhin, près de Gustavebourg, et le prince d'Orange passa la Meuse sur le pont de Maëstricht, vint attaquer le château de Fauquemont, dans le pays d'outre-Meuse, qu'il prit en peu de temps, le gouverneur ayant aussi mal fait son devoir que celui de Naerden, et s'avança avec l'armée de Hollande jusqu'à Saint-With, sur les frontières des pays de Luxembourg et de Liège. J'avois en même temps envoyé le prince de Condé sur la rivière de Saar en Lorraine, et Duras dans le pays de Juliers, avec des corps considérables de troupes ; le premier pour couvrir la Lorraine et les Evêchés, où pour accourir en Alsace en cas de besoin ; l'autre pour observer le prince d'Orange et l'incommoder dans ses marches et dans ses vivres, et tous deux pour joindre, en cas de nécessité, l'armée du vicomte de Turenne et le mettre en état de rompre le col aux ennemis, s'ils s'approchoient trop de lui. Toutes ces choses étant ainsi disposées, et la guerre venant de commencer auprès de Nassau, entre mes troupes et celles de l'Empire. par un parti que commandoit La Fitte, lieutenant de mes gardes du corps, qui battit tes ennemis, j'envoyai [Var. je donnai] ordre au vicomte de Turenne de passer diligemment le Rhin. et de s'approcher de Trèves, et de conserver cependant son pont de bateaux sur le Rhin, dont il confia depuis la garde à un corps d'infanterie commandé par Montbron, maréchal de camp.

Le vicomte de Turenne, vers la mi-novembre, passa le Rhin et vint se poster dans des quartiers prés de 1Vitlich, à portée de soutenir son pont et d'empêcher la jonction des Hollandois et des Allemands. Cette disposition réussit parfaitement bien ; les ennemis des deux nations voyant leurs projets déconcertés et l'impossibilité qu'il y avoit de se joindre, firent un assez long séjour, les lins auprès de Saint-With, et les autres auprès de Mayence ; et enfin, désespérant de pouvoir rien entreprendre du reste de la campagne, prirent le parti de marcher pour retourner prendre des quartiers d'hiver dans leurs pays, et, en passant, les Allemands attaquèrent les retranchements qui couvroient le pont de bateaux d'Andernach, d'où ils furent repoussés avec perte. Le prince de Condé s'aboucha ensuite avec le vicomte de Turenne, à l'abbaye de Clousen dans le pays de Trèves, pour se communiquer mutuellement mes ordres, et puis se séparèrent ; le premier retourna en Lorraine, et l'autre marcha à Adenau, sur les frontières du pays de Cologne, pour observer les mouvements de l'armée du prince d'Orange qui se retiroit vers la Meuse, et pour se préparer à repasser le Rhin an commencement de l'année suivante, et à rentrer en Allemagne pour chasser les troupes impériales et de Brandebourg des quartiers d'hiver qu'ils avoient pris en Westphalie et s'y établir à leur place.

Le peu de succès que le prince d'Orange avoit eu dans ses desseins faisoit juger avec raison que la campagne étoit finie pour lui : cependant, pour faire une action d'éclat qui lui donnât de la réputation dans le monde et qui l'accréditât particulièrement en Hollande, et pour payer en quelque façon les Espagnols des peines qu'ils avoient prises de passer dans les Provinces-Unies pour le siège de Naerden, il résolut. malgré la rigueur de la saison, d'attaquer Charleroi, comptant, suivant la parole du comte de Monterey, lors gouverneur des Pays-Bas, de l'emporter d'emblée, tant pince que le gouverneur en était absent que parce que la garnison était foible et que la place était ouverte. Les motifs de ce projet ne me paraissant que trop justes, j'envoyai en toute diligence ordre au prince de Coudé, qui mettoit ses troupes en quartiers d'hiver, d'y marcher brusquement pour tâcher d'y introduire des secours, et à Montai, qui en étoit gouverneur, et qui commandoit pour lors à Tongres et dans le pays de Liège, de se jeter dedans. Tous deux se !mirent en devoir d'exécuter promptement mes ordres. Montai entra heureusement dans la place par le quartier des Espagnols, et tint lieu de secours ; à peine fut.il entré, que le armes tombèrent des moins aux ennemis. Ils levèrent aussitôt le siège et s'en retournèrent dans leur pays, peu satisfaits les uns des antres, comme il arrive ordinairement dans les mauvais succès. Ces prémices furent d'un funeste augure aux ennemis pour le cours du reste de la guerre. Le prince d'Orange ne se rebuta cependant pas pour ces premiers mauvais succès ; et, comptant que la solidité de son établissement naissant dépendoit de quelque action d'éclat qui prévint le public en sa faveur, il repassa en Hollande avec son armée, et, connaissant de quelle importance il étoit pour lui de chasser les François de Wœrden, place qui étoit dans le centre du pays et qui les mettroit en étal de pénétrer à la faveur des glaces jusqu'à La Haye, il résolut de les attaquer. La Marck, colonel de Picardie, y commandoit avec...[20] hommes. Mais la fortune ne lui fut pas plus favorable dans cette occasion qu'elle l'avait été pendant toute la campagne à ses mai-Ires ; et le due de Luxembourg, qui avoit assemblé ses troupes en diligence, l'obligea de lever honteusement le siège[21] et de se retirer en Hollande, aussi peu satisfait de sa campagne que j'avois sujet d'être comblé des succès heureux de la mienne.

 

FIN DU PREMIER VOLUME

 

 

 



[1] Dans le manuscrit, les variantes sont placées entre les lignes, un mot au-dessus d'un autre ; certaines additions et corrections sont indignées en marge.

[2] En marge : Philippe quatrième.

[3] En marge : Le roi prit Orsoi et Rhinberg.

[4] En marge : Rhinberg ne fut pas prisonnière.

[5] En marge : Marquer que M. de Luxembourg marcha en même temps que le roi allait à Orsoi.

[6] Le nom manque.

[7] En marge : Savoir si c'est celle de Pilloy.

[8] En marge : Guitry ne fut pas tué là.

[9] En marge : Remarquer que M. le comte de Guiche avait poussé devant M. le Prince.

[10] En marge ; M. de Turenne étoit à Rées.

[11] En marge : A demander.

[12] En marge : Monsieur n'alla à Zutphen qu'après être arrivé à Doesbourg avec le roi.

[13] Louis XIV se trompe absolument sur les ordres donnés au marquis de Rochefort. — Voir le récit et l'examen de l'affaire de Muiden, ch. V.

[14] Au-dessus : Ôter la vengeance.

[15] En marge : Welderen.

[16] Au dessus : Ce mot ne vaut rien.

[17] Au dessus : Juillet.

[18] Lacune.

[19] C'est là une erreur d'autant plus étrange et grossière, qu'il s'agit d'un fait d'une très-grande importance. La prise de Naerden n'a eu lieu que dans la campagne suivante, au mois de septembre 1673 ; en 1672, le prince d'Orange n'avait fait sur cette place, avant l'affaire de Wœrden, qu'une légère et vaine tentative. Il est incroyable que Louis XIV se soit trompé à ce point. — Voir les chapitres V et VI.

[20] Le chiffre manque.

[21] Autre anachronisme. L'affaire de Wœrden avait eu lieu au mois d'octobre 1672, plus de deux mois avant l'attaque de Charleroi.