HISTOIRE DE LOUVOIS

TOME PREMIER

 

CHAPITRE SIXIÈME.

 

 

Préparatifs pour la campagne de 1673. — Opinion de Turenne et de Condé. — Opinion de Vauban. — Libelles contre les Hollandais. — Lettre de l'intendant Robert. — Stoppa. — Luxembourg. — Le prince d'Orange. — Négociations. — Le prince de Condé à Utrecht. — Projet du siège de Maëstricht. — Rôle de Louvois. — Marche de l'armée royale à travers les Pays-Bas. — Terreur à Bruxelles. — Investissement de Maëstricht. — Changements introduits par Vauban dans les travaux d'approche. — Les parallèles. — Principaux épisodes du siège. — Capitulation de Maëstricht. — Lettres de Colbert à Louis XIV et à Louvois. — Popularité de Louvois. — Le congrès de Cologne — Courtin. — Dispositions de l'Espagne, de l'Empereur et des Allemands. — Désarmement des villes d'Alsace. — Siège et prise de Trèves. — Correspondance de Courtin et de Louvois. — Lettre de Louvois au prévôt des marchands. — Le tiers-parti. — Difficulté sur la Lorraine. — Prise de Naerden par le prince d'Orange. — Procès de Dupas. — Commencement d'évacuation de la Hollande. — Projet de Louis XIV sur la Franche-Comté. — La guerre déclarée entre l'Espagne et la France. — Inaction du prince de Condé en Flandre. — Rapports de Turenne et de Louvois. — Les intendants. — Charuel. — Camus de Beaulieu. — Déclaration de l'Empereur contre la France. — Marche de Turenne en Allemagne. — Manœuvres de Montecucculi. — Évacuation d'Utrecht et de la plupart des places hollandaises. — Jonction des impériaux, des Espagnols et des Hollandais. — Siège et prise de Bonn. — Lettre du prince Guillaume de Fürstenberg à Louvois. — Retraite du duc de Luxembourg. — Résultats de la campagne de 1675. — L'opinion se retourne contre Louvois. — Coalition de ses adversaires. — Le Tellier détache le prince de Condé de la coalition. — Entrevue de Louvois et de Turenne. — Lettre de Turenne à Louis XIV. — Lettre de Louvois à Courtin.

 

La campagne de 1672 n'était pas encore terminée que Louvois prenait ses dispositions et préparait, si l'on peut ainsi parler, son budget militaire pour la campagne suivante. Il comptait pouvoir disposer, an printemps, de quatre-vingt-seize mille hommes d'infanterie et de vingt-huit mille cavaliers. Après avoir prélevé huit mille hommes pour le Roussillon, mille pour la garnison de Pignerol, et sept mille pour la Lorraine ; il lui restait une force de cent huit mille hommes à répartir entre la Hollande, l'Allemagne et les Pays-Bas espagnols. C'est sur cette répartition que Louvois, par ordre de Louis XIV, consultait, dès la fin du mois de novembre, Turenne et le prince de Condé[1].

Ces deux illustres hommes de guerre n'étaient pas parfaitement d'accord. Turenne croyait nécessaire d'entretenir cinquante-cinq mille hommes en Hollande ; ce qui ne permettait de réunir, sur les frontières de Flandre et sur les bords du Rhin, que deux petites armées de vingt-six à vingt-sept mille hommes chacune[2] ; tandis que M. le Prince estimait qu'il fallait masser quarante mille hommes contre les Allemands, et distribuer également le reste entre la Hollande et les Par-Bas. Cependant, comme il était persuadé que la Flandre étoit le seul endroit où l'on pût encore prendre quelque chose de bien considérable et qui couperoit par la racine toute cette guerre, il aurait souhaité que le roi pût disposer, de ce côté-là, de cinquante mille hommes au moins. Mais une pareille augmentation de forces ne pouvait se faire que par une levée extraordinaire, au risque d'épuiser les ressources de la France, ou par une réduction considérable de l'armée du Rhin ; aussi conseillait-il de faire jouer tous les ressorts de la diplomatie, et de n'épargner aucun sacrifice pour diviser l'Allemagne contre elle-même, opposer les Allemands aux Allemands, et décider les Suédois à se jeter dans l'Empire. Je sais, disait-il[3], que pour tout cela il faut beaucoup d'argent ; mais il n'y a pas de remède, et quand on est dans une affaire, il en faut sortir.

Louvois ne faisait fond ni sur les Suédois ni sur les Allemands ; il s'en était même expliqué nettement avec M. le Prince, et lui avait écrit que la France ne devait et ne pouvait compter que sur elle-même[4]. Toutefois il ne négligeait pas ses avis ; car il lui annonçait, le 25 janvier 1673, que le roi venait de renouveler son traité avec l'Électeur de Cologne et d'en conclure un autre avec l'Électeur de Bavière, tandis qu'il se mettait en mesure d'en négocier un troisième avec le duc de Hanovre. C'était un secours éventuel de trente mille hommes environ, mais sur lequel il ne fallait pas beaucoup se fier. Quant il la distribution des troupes françaises, elle se rapprochait plus du projet de Turenne que de celui de Condé ; on se proposait de mettre trente mille hommes sur le Rhin, trente mille sur la frontière de Flandre, et quarante-huit mille en Hollande, sur lesquels vingt-cinq initie hommes devaient composer l'armée active, le reste étant destiné à fournir de grosses garnisons aux places de la Meuse, de l'Yssel et du Wahal ; celles du Zuyderzée devaient être abandonnées pour la plupart et démantelées[5].

Parmi les hommes d'autorité dont Louvois recherchait ou accueillait les conseils, il ne faut pas oublier Vauban. Pour lui, comme pour le prince de Condé, c'était du côté des Pays-Bas espagnols qu'il importait de chercher le solide agrandissement de la France. L'état de confusion où le traité d'Aix-la-Chapelle avait mis la frontière de Flandre ne satisfaisait ni son bon sens politique ni ses exigences militaires. Il s'en plaignait à Louvois, avec cette façon de dire les choses, spirituelle, nette, familière et hardie, qui fait le charme et l'originalité de son style. Après ce que j'ai eu l'honneur de vous proposer, lui écrivait-il, pour les fortifications de Guise et de Saint-Quentin, il m'est entré du depuis dans l'esprit un moyen très-excellent pour les mieux fortifier, dont il faut que je vous fasse part, qui est d'en aller tracer les fortifications alentour de Mons, Saint-Guillain, Condé et Ypres[6]. C'est un moyen sûr pour les bien assurer et plus de vingt autres avec. Sérieusement, monseigneur, le roi devroit un peu songer à faire son pré carré. Cette confusion de places amies et ennemies, pêle-mêlées les unes parmi les autres, ne me plan point. Vous êtes obligé d'en entretenir trois pour une, vos peuples en sont tourmentés, vos dépenses de beaucoup augmentées, et vos forcés de beaucoup diminuées ; et j'ajoute qu'il est presque impossible que vous les puisiez toutes mettre en bon état et les bien munir. Je dis de plus que si, dans les démêlés que nous avons si souvent avec nos voisins, nous venions à jouer un peu de malheur, ou (ce qu'à Dieu ne plaise) à tomber dans une minorité, la plupart s'en iroient comme elles sont venues. C'est pourquoi, soit par traité, ou par une bonne guerre, si vous m'en croyez, monseigneur, prêchez toujours la cadrature, non pas du cercle, mais du pré ; c'est une belle et bonne chose que de pouvoir tenir son fait des deux mains[7]. Et Louvois lui répondait[8] : Tout ce que votre lettre contient me paroit fort bon, mais il ne peut pas s'exécuter aussi promptement que l'on voudroit bien. Il faut donc se donner patience et espérer toujours que, avec un peu de temps, vos avis pourront être exécutés.

S'il n'avait tenu qu'au comte de Monterey, la guerre eût déjà éclaté dans les Pays-Bas ; Louvois l'y provoquait par ses démonstrations militaires ; mais le gouvernement espagnol, qui ne se sentait pas encore en mesure, hésitait devant les conséquences d'une agression. Entre les deux adversaires, c'était à qui ne porterait pute premier coup.

En attendant, Louvois ne désespérait pas de réduire les Hollandais à l'obéissance ; il y employait à la fois les moyens les plus opposés, la persuasion et la violence, la dialectique de Stoppa et les rudes arguments du due de Luxembourg. Stoppa composait, sur les thèmes que lui envoyait le ministre, des libelles sans nombre, du ton le plus varié. Louvois avait une grande fécondité d'invention et toutes sortes de ruses. Ainsi il écrivait à son collaborateur, en lui adressant son canevas : Il faut coucher cela de manière que l'on ne puisse point croire que cet écrit soit fait par des François, et au contraire, affecter de dire bien du mal de la France[9]. Une autre fois, il imaginait, avec une singulière audace, de réveiller en Hollande les haines nationales et religieuses contre les Espagnols, comme s'il avait affaire aux contemporains de Henri IV et de Philippe II. N'est-il pas piquant de voir le négociateur insolent de 1672, le futur auteur des dragonnades, s'efforcer de prouver que ce sont les Espagnols qui sont les véritables ennemis de la Hollande, puisque, en ayant été autrefois maîtres, ils ont toujours dans l'esprit qu'ils le doivent redevenir ; qu'ils sont les plus cruels ennemis de leur religion, puisqu'ils ne la tolèrent point et la persécutent en tous lieux ; au lieu que la France la souffre dans le royaume, et vient présentement de conseiller au roi d'Angleterre d'abandonner l'intérêt des catholiques ; ce qui fait bien voir qu'elle est persuadée qu'il ne faut pas penser à abolir la religion protestante, et qu'au contraire il faut la conserver ?[10]

Ailleurs c'est le prince d'Orange que Louvois a surpris travaillant à refaire, aux dépens de la France, de la Suède et de la Hollande elle-même, la carte de l'Europe. Au duc de Lorraine Guillaume a promis la restitution de son duché ; aux Espagnols, les places hollandaises de la Flandre et du Brabant, la suppression du traité d'Aix-la-Chapelle et le rétablissement du traité des Pyrénées ; au roi de Danemark, la restitution des provinces que les Suédois lui ont enlevées ; à l'Empereur, Brisach, Philipsbourg, toute l'Alsace, avec les palatinats de Sandomir, Cracovie et Lublin ; — déjà, cent ans à l'avance, le démembrement de la Pologne ! — les Polonais recevant en échange, il est vrai, la Poméranie suédoise. Là-dessus Louvois prend le style ironique : Le prince d'Orange, écrit-il à Stoppa[11], a sans doute ouï dire qu'Alexandre disposoit ainsi des royaumes ; et, quoiqu'il n'ait ni sa bravoure, ni' son bon sens, ni ses armées, il a cru qu'il seroit l'Alexandre de ce siècle-ci, s'il pouvoit l'imiter en cette distribution, quelque imaginaire qu'elle fût. Si j'avois assez de temps pour lire l'histoire de don Quichotte, je pourrois finir cette lettre par une comparaison qui ressemble assez à celui dont je parle ; mais comme je n'en ai que oui parler, consultez sur cela M. de Luxembourg, lequel, ayant lu les bons livres, vous donnera assurément de quoi achever votre ouvrage.

Pourquoi M. de Luxembourg, qui a tant d'esprit et de lecture, ne prendrait-il pas aussi la plume ? César, un grand seigneur et un grand général, s'est bien donné la peine de faire ses Mémoires. M. de Luxembourg a quelque démangeaison d'écrire, mais il en a aussi quelque honte ; Louvois a flatté sa vanité, mais c'est sa vanité rame qui le relient. Il m'étoit aussi aisé, répond-il[12], de travailler aux écrits que vous jugez nécessaires, qu'il me l'est de les faire imprimer. Vous en verriez de beaux de ma façon ; mais je n'ose m'y hasarder, et M. Stoupe en prend le soin beaucoup mieux que je ne le ferois. Louvois insiste ; Luxembourg lui envoie son thème : Réflexions d'un Hollandais réfugié à Hambourg, adressées à un ami. Mais, ajoute-t-il[13], j'ai eu peur de faire dire peu de borines choses à un Helandois et beaucoup de méchantes ; outre cela, la honte m'a pris en songeant que j'aurois écrit ; et tout ce dont je me suis jugé capable, c'est de dire mon avis pour ne pas omettre des endroits que je dirai à M. Stoupe. Je me suis tâté là-dessus ; c'est tout ce que je puis et que j'ose faire. Louvois presse encore, inutilement ; M. de Luxembourg ne veut plus céder. Pour moi, dit-il en manière de conclusion[14], que je fasse une pièce d'écriture, je vous l'ai déjà dit, monsieur, je n'en ai pas la hardiesse, et, en mille ans, je ne ferois pas une page. Si un autre n'est le maître écrivain, je ne trouverois pas quatre mots à dire. Si vous saviez la vie qu'on mène ici, vous jugeriez bien que ce ne sont pas les divertissements, mais l'incapacité et la honte qui me retiennent, que je ne suis pas capable de surmonter ; car, dès que je penserois que quelque chose partiroit de moi pour le public, je ne pourrois pas faire une panse d'a. Stoppa resta donc le maitre écrivain, et le timide Luxembourg s'en alla vaquer aux contributions et aux incendies. Il avait aussi, en cette matière, un collaborateur du plus grand mérite, l'intendant Robert.

Jamais et nulle part au monde, dans quelque temps et sous quelque gouvernement que ce soit, le génie de la fiscalité ne s'est produit avec un pareil luxe de raffinements et d'audace. L'intendant Robert est véritablement un type. Le duc de Luxembourg n'avait pas trop d'admiration pour lui : M. Robert, disait-il, fait le diable à quatre ; il vend de méchants meubles des confiscations, dont je ne donnerois pas un sol, de grosses sommes ; et je pense qu'il en tirera des États, ce qui me paroissoit aisé comme de tirer de l'huile d'un mur[15]. Nous avons quelques échantillons de cette habileté merveilleuse. Est-ce aux libelles hollandais que nous les empruntons ? Non ; c'est à la correspondance de Robert lui-même ; et nous affirmons que les mêmes faits ont, dans le récit courroucé du libelliste qui s'en indigne, bien moins d'odieux et révoltants détails que dans le simple aveu de celui qui les raconte. Qu'on ne croie pas que, par un vice de nature, cet homme n'ait pas de conscience ; il en a une, il entend ses reproches, il ne les étouffe pas, il les écarte, et il s'en ‘ante, ou plutôt il ne prend pas même la peine de s'en vanter ; il a dans sa façon de dire une placidité naïve, dans le jugement de ses propres actes une liberté d'appréciation, nous dirions presque une candeur qui met le juge dans un singulier embarras. Comment faire la leçon à un accusé qui se la fait lui-même avec tant d'aisance ?

Il y a surtout une lettre de Robert à Louvois qui est un chef-d'œuvre ; elle est longue, mais elle vaut la peine d'être citée tout entière. Robert écrit d'Utrecht, le 14 février 1673 : J'ai bien cru que les clameurs dont on vous avoit parlé ne vous auroient pas fait changer de résolution, puisque j'ai toujours été persuadé que c'est plutôt cela que de l'argent que vous cherchez ; aussi, bien loin de discontinuer en aucune façon mes poursuites, j'y ai tous les jours augmenté de nouvelles rigueurs. Il est inutile de vous dire le détail, suffisant que vous sachiez qu'il est impossible que l'on crie davantage que l'on fait. Pour vous faire concevoir la misère qui est dans le peuple de cette ville, et l'effet qu'y produit la violence avec laquelle nous levons la taxe, je vous dirai que l'on est accablé, aux portes de la ville, de gens qui veulent s'en aller. Je poursuis les confiscations dans cette ville, avec toute l'application possible ; mais je ne trouve aucun meuble (le valeur dans toutes les maisons des personnes absentes et sujettes à confiscation. Je ne trouve que de méchants sièges, de grandes armoires de bois et quelques méchantes tapisseries de cuir doré. Je fais enlever tout cela des maisons où cela est, afin de faire de l'éclat, et fais tout transporter dans une grande maison déserte que j'ai choisie pour tout resserrer. Je cherche à vendre lesdits meubles, mais inutilement ; car personne n'en veut acheter ; mais nous n'y perdons pas grand'chose ; car, en vérité, je ne crois pas que tous les meubles confiscables que j'ai trouvés jusqu'à présent en cette ville, valent mille écus, à bien payer. Le bruit est pourtant que tous les beaux meubles n'ont point été transportés en Hollande, et qu'assurément il y en a dans des caches ; mais j'ai beau faire chercher et fureter partout ; je n'ai pas encore trouvé grand'chose.

J'ai fait publier et afficher une ordonnance, sur peine du quatruple, à tous les habitants de cette ville qui auront chez eux des meubles retirés ; qui ne les viendront pas déclarer ; et, ayant surpris deux hommes en faute, l'un qui n'avoit qu'un méchant cuir doré avec quelques sièges et armoires de bois, et l'autre qui avoit environ quatre ou cinq cents volumes de méchants livres de médecine ou de droit, j'ai estimé les meubles du premier cent cinquante patagons[16], et les livres du second cinq cents patagons, qui est en vérité une fois plus qu'ils ne valent ; et, à cause qu'ils n'étoient pas à eux, et que, nonobstant l'ordonnance, ils ne me l'étoient pas venus déclarer, j'ai condamné le premier à six cents écus d'amende, et le second à deux mille écus ; et comme c'étoient deux hommes accommodés, j'ai sur-le-champ mis garnison chez' eux à discrétion ; ce qui a produit un fort bon effet à l'égard du payement de ces deux-là. Mais, du reste, l'effet que cela a produit me donne bien plus de chagrin que de joie ; car tout le monde a eu si peur de ces deux exemples, que l'on m'a en même temps apporté une infinité de déclarations qui auroient pu me produire une bonne somme d'argent par l'amende du quatruple, en faisant l'estimation un peu forte, si on ne les avoit pas déclarés ; mais qui ne me produiront rien qui vaille après la déclaration ; tout ce qu'on m'a déclaré jusqu'à présent n'étant que des gueuseries.

Je suis présentement après à pousser un peu violemment, et peut-être pas trop justement, deux des plus notables et des plus riches de cette ville. L'un s'appelle M. Wulst, qui est un des États de cette ville, chez qui j'ai trouvé environ deux douzaines de méchants sièges qui étoient à une personne retirée en Hollande ; par où il tomboit dans le cas de l'amende du quatruple, puisqu'il ne les avoit pas déclarés ; mais comme lesdits sièges, à les bien estimer, ne valent que vingt sols tout au plus la pièce, l'amende n'auroit dû être que de cent livres. Cependant, au lieu de cent livres, je lui ai demandé une amende de six mille florins, sans avoir de fort bonnes raisons à lui dire pourquoi je lui demande une amende si forte, sinon parce que je prétends que lesdits sièges étoient dans une maison où l'on a fait rompre les scellés que j'y avois fait mettre. Voilà le prétexte dont je me sers ; mais la raison que j'ai dans le fond, c'est que j'ai été très-bien informé que dans l'Assemblée des États, personne n'a jamais été plus contre les intérêts du roi que lui ; et j'ai cru que vous ne trouveriez pas Mauvais que je me servisse de ce petit prétexte, que j'ai cherché avec bien de la peine, pour lui donner cette mortification qui profitera de six mille florins au roi, et qui donne de la joie et en même temps de l'appréhension à tous les plus notables habitants ; car il n'est point du tout aimé, et il n'y a personne qui n'ait d'abord deviné pour quelle raison je lui ai fait cette querelle d'Allemand. Je ne sais pas quand il payera ; mais, à bon compte, il y a déjà cinq jours qu'il a douze soldats citez lui, et deux jours qu'il en a vingt, qui font assurément fort grande chère, et sont si saouls de vin qu'ils ne veulent plus boire que de l'hypocras.

L'autre personne que j'ai condamnée à une amende un peu violente, est M. Œuft le fils, lequel a son père et trois sœurs à La Haye. Je lui ai fait une querelle sur ce que, sa mère étant morte depuis quelques mois, il ne peut pas encore vraisemblablement avoir fait de partage, et qu'ainsi je dois considérer tout ce qu'il a, non pas comme lui appartenant en son propre, comme il le prétend (et comme cela est peut-être vrai), mais comme étant indivis entre lui et ses sœurs et son père ; et, en conséquence de cela, je lui demande de me payer cinquante florins par jour pour quatre mois, pour son père et pour chacune de ses sœurs, ce qui ne monte seulement qu'à vingt-quatre mille florins. Il m'a d'abord voulu abandonner tout ce qu'il a de meubles et de hardes, soit que je les regardasse comme à lui ou comme à ses frères[17] ou sœurs ; mais je n'ai eu garde d'accepter ses offres, car j'y aurois trop perdu, n'ayant pas, je crois, pour cinq cents écus de meubles en cette ville ; et, après lui avoir dit les moins méchantes raisons que j'ai pu, j'ai envoyé quatre soldats chez lui ; et, comme il dit toujours qu'il n'a pas de quoi payer cela, ni approchant, je lui ai envoyé depuis deux jours une augmentation de dix soldats. Il persiste à dire qu'il n'a ni argent ni crédit ; et moi je persiste à dire qu'il payera ou que j'abattrai la maison qu'il a en cette ville, qui est très-belle ; et je ne me relâcherai point assurément qu'il ne lui en coûte tout au moins la moitié. Je sais bien que si l'on approfondissoit beaucoup ses raisons et les miennes, les siennes vaudroient peut-être mieux que les miennes, je dis même au pied de la lettre de l'ordonnance du roi ; mais j'ai cru qu'il suffisoit à son égard que j'eusse une raison vraisemblable, parce que j'ai appris que son père a beaucoup gagné en France dans les affaires, et que s'il y avoit été, il auroit payé une bonne taxe à la chambre de justice ; et ainsi, j'ai cru ne pouvoir mieux choisir que lui pour servir d'exemple au public ; d'autant plus qu'il est fort haï dans la ville, parce qu'il y a fait beaucoup de sortes d'affaires. Ces gens-ci, qui avoient coutume d'être les maîtres, sont tellement étourdis de se voir traités comme ils le sont, qu'ils en sont devenus tous hébétés et incapables de songer à aucuns expédients[18].

Louvois n'a que des éloges pour un agent si ingénieux et si énergique. Robert lui écrit encore le 6 mars[19] : Je vous puis assurer que je suis si bien votre intention de ne point ménager le pays, que je suis très-certain que vous ne souffririez jamais toutes les cruautés que je fais pour en tirer le peu d'argent que j'en tire, si vous étiez présent. Peu d'argent ! monsieur l'intendant ; ne demandons pas à la province d'Utrecht ce qu'il lui a coûté, pour vous si peu satisfaire, de misères et de larmes ; voyons ce qu'en pense M. de Louvois, dont vous êtes bien le digne parent et le très-zélé serviteur : J'ai reçu l'état des contributions. La somme totale a dépassé mes espérances. Je vous prie de ne vous point lasser d'être méchant, et de pousser les choses à cet égard avec toute la vigueur imaginable[20].

Comment Louvois ne ressentait-il pas un peu de pitié pour cette misérable terre de Hollande, où il étoit mort une furieuse quantité de peuple, où les eaux avoient apporté des millions de bestiaux morts et noyés ? C'était Luxembourg qui lui faisait ce tableau ; mais Luxembourg n'y trouvait qu'un sujet de railler. J'ai pensé ne vous point mander cela, continuait-il[21], pitoyable comme je vous connois, de peur de vous faire de la peine ; mais je n'ai pu m'en dispenser, parce qu'il faut dire les choses comme elles sont. Et Louvois lui répondait sur le même ton : Je vous sais le plus méchant gré du monde de m'avoir si bien instruit de toutes les misères de la Hollande, parce que j'en ai été louché au dernier point ; et si j'avois ici des casuistes, je les consulterois pour savoir si je puis, en conscience, continuer à faire une charge dont l'unique objet est la désolation de mon prochain ; et s'ils me conseilloient de la quitter, je m'en retournerois à Paris. Par bonheur pour moi, il n'y en a point à la suite de l'armée[22] ; ainsi je continuerai à servir le reste de cette campagne, avec un ferme propos de me retirer à la fin, si la paix ne se fait point[23]. Louvois, Luxembourg et Robert étaient faits pour s'entendre.

M. de Luxembourg, cependant, devait trouver parfois le ministre bien inconséquent et bien injuste. Louvois approuvait et excitait toutes les violences ; Louvois voulait bien qu'on dit aux soldats, qui avaient quelque répugnance à s'en aller en Hollande, qu'ils y feraient tous fortune, le pays étant au pillage[24] ; et malgré tout, Louvois reprochait durement à M. de Luxembourg le pillage du pays et la licence des soldats[25]. C'est qu'en effet, par une singulière contradiction, Louvois exigeait que, dans le désordre, la discipline fût maintenue, et que, dans la spoliation de la Hollande, tout le profit fût pour le roi. Deux officiers généraux, qui n'avaient pas les mains nettes, le comte de La Marck et M. de Genlis, furent révoqués de leurs commandements et rappelés en France[26]. Au milieu de tous ces scandales, c'est un bonheur de rencontrer la figure calme, honnête et intelligente de Stoppa ; il reste pur ; les plus corrompus même lui rendent hommage. Louvois veut que la ville d'Utrecht, dont il est gouverneur, lui paye mille livres par mois : Cela est juste, dit l'intendant Robert[27], car on ne peut pas en user d'une manière plus désintéressée que lui ; mais de la manière qu'il est fait, il ne prendra point cela, à moins que je ne lui donne moi-même ; c'est pourquoi je pense que vous trouverez bon que je m'en mêle.

Stoppa, il faut le dire, n'était pas le seul dam l'armée qui protestât contre le désordre ; il y avait d'autres officiers qui s'en indignaient et qui communiquaient leur indignation à leurs amis de la cour et de Paris. Il y a de grands coquins parmi nous ! s'écriait M. de Luxembourg. Qu'on y prenne garde ; M. de Luxembourg ne parlait pas des fripons, mais au contraire de ceux qui attaquaient les fripons et qui blâmaient sa propre conduite. Il y avait de ces coquins-là même à la cour, même dans l'antichambre de Louvois, même dans la chambre de Louis XIV ; l'évêque d'Utrecht, qui avait fait un voyage-à Saint-Germain, pendant l'hiver, les y avait vus et entendus. Quelques gentilshommes étaient venus le trouver dans son hôtellerie, à l'Image de Notre-Dame, et s'étaient apitoyés avec lui sur les misères de sa province, détestant les violences dont elle était victime ; l'un d'eux même s'était si fort abandonné à dire le diable contre la France, que le bon évêque, de retour à Utrecht, disait tout naïvement à Luxembourg : L'on parle librement en France, et chacun dit son avis. Louvois aurait bien voulu savoir qui étaient ces gens-là ; et Luxembourg aussi : Pour moi, s'écriait-il, j'avoue que je ne sais ce que je ne serois point capable de faire contre telle canaille. Mais, soit qu'il craignit de se compromettre, soit qu'il ignorât réellement qui étaient ces amis inconnus, l'évêque ne put ou ne voulut pas révéler leurs noms[28]. Tout ce qu'il nous importe de savoir et de constater, c'est que, au plus brillant du règne de Louis XIV, il y avait, à la cour, une certaine opposition et une certaine liberté de langage.

Si la politique du roi rencontrait en France quelque contradiction, le gouvernement du prince d'Orange était bien autrement attaqué en Hollande ; la bourgeoisie épuisée voulait la paix ; le peuple lui-même commençait à la souhaiter. Tout le monde, écrivait M. de Luxembourg, raisonne sur le tableau qui se voit publiquement à La Haye ; c'est un Hollandois qui est tiré par un François et par un Anglois, durant que l'Empereur, d'un côté, et l'Electeur de Brandebourg, de l'autre, lui prennent son argent dans ses poches ; et sur le tout, il y a un Espagnol qui se moque du Hollandois et qui lui fait les cornes. Cette représentation t'ait sur l'esprit du peuple plus d'effet que la raison, et les petits et les grands disent : Voilà le véritable état où nous sommes et comme l'on nous traite ; et ajoutent à cela qu'il faut les en tirer par la paix, après quoi tous respirent[29]. Le prince d'Orange et le parti de la guerre se virent obligés de donner satisfaction, au moins en apparence, à l'opinion publique. Après avoir longtemps éludé la médiation des Suédois, ils avaient fini par l'accepter ; un congrès allait s'ouvrir à Cologne.

Ce congrès réussirait-il à concilier les prétentions opposées des parties belligérantes ? Les Hollandais se résoudraient-ils à donner à Louis XIV des satisfactions capables de le désarmer ? Louvois en doutait fort, et il exprimait brutalement une opinion qui ne manquait pas, au fond, de justesse : Si les Hollandois étoient des hommes, disait-il, il y a longtemps qu'ils auroient fait la paix ; mais comme ce sont des bêtes qui se laissent conduire par des gens qui ne songent qu'à leurs intérêts, il vaut mieux se préparer à la guerre cille de se relâcher sur quelque apparence de paix[30]. C'était avec plus d'insolence encore qu'il prescrivait au duc de Luxembourg et au comte d'Estrades de rendre aux plénipotentiaires hollandais, sur leur passage, les honneurs qui leur étaient dus : Le roi m'a commandé de vous dire, leur écrivait-il[31], que nonobstant le mépris que l'on doit avoir pour les gens de cette nation, il faut les traiter comme des ambassadeurs. Les médiateurs avaient proposé une suspension d'armes ; les Hollandais, qui l'avaient repoussée quelques mois auparavant, la souhaitaient alors ; mais Louis XIV, qui l'aurait peut-être accordée pendant l'hiver, n'en voulait plus entendre parler, et avec raison. Toutes les chances de la guerre étaient pour lui ; autant de succès, autant d'arguments pour ses ministres au congrès. C'était le moment, d'ailleurs, où la retraite de l'Électeur de Brandebourg lui faisant un ennemi de moins, il prenait d'autant mieux son avantage contre ceux qui restaient.

Un événement de cette importance, qu'on ne pouvait prévoir au mois de décembre, devait nécessairement amener des modifications dans les plans de campagne et dans la distribution des armées, outre que les fatigues des troupes, pendant le laborieux hiver qu'elles venaient de traverser, les armes à la main, avaient sensiblement diminué l'effectif. Si l'Empereur voulait continuer la guerre, on lui opposait trente-quatre mille hommes ; trente-cinq mille étaient destinés à contenir le prince d'Orange ; le roi s'en réservait trente-deux mille pour frapper quelque grand coup, soit contre la Hollande, soit contre les Pays-Bas espagnols, si la politique décidée du comte de Monterey l'emportait à Madrid sur les hésitations de son gouvernement. On sait que Louis XIV ne pouvoit plus être que seul à commander une armée. Turenne demeurait en Allemagne ; mais comment occuper le prince de Condé ? Faute de mieux, on lui donna le commandement de l'armée de Hollande ; faute de mieux, il s'en contenta, sans en être content. Surveiller et attendre, c'était tout ce qu'il y avait à faire dans ce poste-là ; rien n'était plus antipathique au génie agressif du vainqueur de Rocroi.

Le duc de Luxembourg allait donc avoir ce supérieur que Louvois lui avait promis ; et ce supérieur était de sorte qu'il fallait, sous peine de ridicule, ronger son frein en silence. Louvois s'égayait aux dépens de son ami. M. le Prince, lui écrivait-il[32], part pour aller commander au lieu où vous êtes ; je l'ai fort assuré que vous auriez grande peine à le reconnoître, et que vous craigniez fort de ne pouvoir servir sous lui, à cause de l'obscurité de ses commandements. On bien encore[33] : M. le Prince étant présentement à Utrecht, c'est à lui que je dois écrire dorénavant, et ne plus avoir commerce avec un petit subalterne comme vous. Luxembourg avait trop d'orgueil pour ne pas sentir la raillerie, et trop d'esprit pour en paraître touché ; il ne laissait voir que tout juste ce qu'il fallait de ressentiment. N'est-ce pas un plaisir, disait-il avec une pointe d'amertume, quand on ne sauroit rendre d'aussi grands services qu'on voudroit à son maitre, de pouvoir lui faire quelques petits sacrifices qui marquent le dévouement et la résignation qu'on a pour ses volontés ?[34] Si vous ne devez point, monsieur, vous rabaisser à avoir commerce avec un petit subalterne comme moi, il me semble aussi que la chose doit être, ainsi que disoit le général Roze, armafrodite, qui est ce que nous appelons réciproque en langue françoise ; et, par cette raison, je n'aurai plus assez d'outrecuidance pour m'émanciper de vous écrire. Vous y gagnerez beaucoup ; car vous serez défait de mes méchantes lettres, et vous n'en recevrez que de bonnes à leur place[35]. Il n'est pas besoin de dire que la correspondance continua entre Luxembourg et Louvois, un peu moins fréquente peut-être et moins officielle, mais d'autant plus familière[36].

En arrivant à Utrecht, le prince de Condé n'avait paru rien moins que satisfait. Outre la nature du service qui lui déplaisait, il avait trouvé les troupes en assez bon état, mais très-diminuées ; les compagnies d'infanterie française ne comptaient pas plus de trente hommes en moyenne ; il est vrai que les recrues n'étaient pas encore arrivées. Mais ce qui l'avait surtout attristé, c'était la désolation du pays. Condé qui, dans le feu d'une bataillé, faisait trop bon marché, sans doute, de la vie des hommes, était, hors du combat, profondément humain. Il tenait à Louvois un tout autre langage que celui de l'intendant Robert et du duc de Luxembourg. Je ne saurais m'empêcher de vous dire, lui écrivait-il[37], que je trouve les esprits de ces peuples ici tout autres que l'année passée ; ils sont tous au désespoir, à cause dos taxes insupportables qu'on leur fait tous les jours. Il me semble que le profil qu'on en a tiré, au delà de ce qu'on auroit pu en tirer par la douceur, est bien médiocre, et qu'il ne valoit pas l'aversion cruelle qu'on s'est attirée. Je sais s'il est de l'intérêt du roi de continuer. Louvois était inexorable ; plus la Hollande résistait, plus il fallait user de violence. Le roi, répliquait-il[38], sait fort bien que les taxes qu'il a commandé à M. Robert, par des ordres réitérés, de faire sur les peuples de la Hollande, ne peuvent les avoir mis de bonne humeur, ni leur faire souhaiter de rester sous sa domination ; mais Sa Majesté a trouvé que de l'argent valoit mieux que leurs bonnes grises, et qu'outre cela, il seroit fort utile de faire crier, en Hollande, tous les particuliers qui perdroient leurs biens. C'est pourquoi elle désire qu'on continue à tenir la même conduite qu'on a tenue jusqu'à présent à cet égard, et que Votre Altesse paroisse aussi méchante et aussi impitoyable à ceux qui lui viennent faire des représentations, que vous le seriez peu, si vous suiviez votre naturel. Sa Majesté juge à propos que vous continuiez à faire brêler tout le plus que vous pourrez, afin que les Hollandois ne reçoivent aucun soulagement. Quand Votre Altesse ne feroit, dans toute la campagne, qu'obliger les Hollandois à couper leurs digues et à faire entrer la mer dans leur pays, ce seroit toujours un grand avantage, puisque, deux mois après, ils seroient infailliblement réduits faire la paix aux conditions que l'on voudroit. A ces ordres absolus et terribles, le prince de Condé faisait une dernière protestation, pour l'honneur de sa conscience ; puis il ajoutait avec tristesse : Je vais pourtant prendre mon front d'airain, puisque vous le voulez ainsi, et être le plus impitoyable du monde[39]. Mais ce métier de tourmenteur lui répugnait ; il en laissait tout l'odieux à l'intendant Robert.

Cependant, s'il se réfugiait vers les devoirs du commandement, quelle consolation y trouvait-il, et quels soins dignes de son génie guerrier ? Il passait des revues de détail, comme, un commissaire des guerres ; il visitait les places, surveillant la démolition de celles qu'on abandonnait, faisant accommoder les autres, comme un ingénieur au début de la carrière. Il semblait qu'en tout il Rit devenu un général de second ordre. Louvois adressait directement ses instructions à l'intendant et aux subalternes, quelquefois sans les communiquer à M. le Prince ; peut-être était-ce un oubli ; en tous cas, c'était un manque d'égards. Condé s'en irritait et s'en plaignait amèrement à Louvois : Je veux croire, lui écrivait-il, le 19 mai, que m'adressant ces ordres, vous voudrez bien ne me pas faire un secret du sujet pour lequel on les donnera parce que, quand on est si éloigné que je le suis de Sa Majesté, il peut arriver souvent que les choses ont changé de face, et que ce seroit mal fait que d'obéir aveuglément, qui est pourtant la chose que je fais mec plus de plaisir. Il ne parlait pas comme cela, l'année précédente, lorsqu'il se joignait à Louvois pour blâmer Turenne.

S'il se tournait du côté des ennemis, il n'y trouvait pas plus de satisfaction. Les eaux étaient d'une hauteur prodigieuse, plus hautes qu'en 1672 ; tous les postes fortifiés et bien garnis, soutenus par des frégates ou des chaloupes canonnières. Les Hollandais n'osaient attaquer, mais leur défensive était formidable. L'ennui gagnait les troupes françaises, qui dépérissaient aussi faute de subsistances ; la viande manquait[40] ; les soldats, qui ne tenaient pas garnison dans les villes, étaient littéralement réduits au pain et à l'eau[41] ; beaucoup désertaient. Ce n'est pas que, lorsqu'ils en trouvaient l'occasion, malheureusement trop rare, ils ne passassent volontiers leur mauvaise humeur sur l'ennemi.

Il y avait quelquefois des actions brillantes et hardies, celle-ci entre autres : une chaloupe détachée d'une frégate hollandaise qui croisait dans le Zuyderzée, s'étant approchée du rivage pour chercher de l'eau douce, des cavaliers se mirent résolument à la mer, essuyèrent le feu de ses deux pièces de canon, la prirent et la brillèrent sous le feu de la frégate et de dix autres chaloupes venues inutilement au secours. Ce n'était pas assurément un succès de grande importance ; mais, comme disait le prince de Condé[42], c'étoit une chose assez plaisante de voir des cavaliers entrer à cheval dans la mer pour aller prendre un bateau et en venir à bout, quoique secouru du canon d'une frégate et de quantité d'autres chaloupes. Si l'on veut bien remarquer que cette anecdote est ce qu'il y a de plus saillant dans la correspondance du prince de Condé, pendant son séjour en Hollande, on ne sera pas étonné de l'entendre dire : Ce ne m'est pas une petite mortification de me voir aussi inutile que je suis. Ma consolation est qu'il faut servir le roi à sa mode, et qu'il n'a pas prétendu que nous fassions beaucoup de choses[43].

Le roi voulait en effet se réserver tout l'honneur de la campagne. L'année précédente, il avait négligé Maëstricht pour se porter plus rapidement au cœur de la Hollande ; cette année, la Hollande s'opiniâtrant tenir son territoire sous les eaux plutôt que de le rendre, Maëstricht était le seul point vulnérable où la colère de Louis XIV pût encore l'atteindre. Par orgueil plutôt, que par prévoyance, Louis XIV amassait tous les moyens de vaincre ; un échec aurait encore plus blessé sa gloire que compromis ses intérêts il ne voulait frapper qu'à coup sûr. Les trente-deux mille hommes, qu'il s'était attribués dans la distribution des armées, ne lui paraissant pas suffisants pour écarter toutes les mauvaises chances d'une si grande entreprise, il avait résolu de faire concourir au siège une partie de l'armée de Turenne. Turenne était donc sacrifié comme le prince de Condé ; mais il avait moins sujet de se plaindre, n'ayant pas encore d'ennemi à combattre. Les troupes de l'Empereur, si elles devaient marcher à lui, ne semblaient pas prêtes à quitter leurs cantonnements ; parmi les hommes de guerre, leur lenteur était devenue proverbiale. Non-seulement Turenne ne faisait aucune difficulté de se priver d'une partie de ses forces, mais au contraire il jugeait la conquête de Maëstricht si importante pour les intérêts du roi, qu'il offrait à Louvois d'envoyer plus de monde qu'on ne lui en demandait[44].

Le siège de Maëstricht est le premier de ces grands sièges qui tiennent dans l'histoire militaire de ce règne une place importante et justement glorieuse. Ceux de la guerre de dévolution et de la campagne de 1672 n'avaient pas eu beaucoup d'éclat, parce que le succès avait été trop facile ; mais Louis XIV et Louvois s'y étaient formés à un genre de guerre qui leur plaisait et leur convenait. Louis XIV n'aimait pas la guerre de campagne ; quoiqu'il ne voulût pas se l'avouer, il n'y était pas propre, et n'y fit jamais grande figure ; les grandes parties du commandement lui manquaient ; il fallait trop donner à la fortune et trop attendre de l'inspiration. Tout autre était la guerre de siège, une science plutôt qu'un art, depuis que le génie de Vauban avait imaginé des procédés et formulé des règles d'une précision et d'une sûreté mathématiques. Louis XIV, qui avait l'esprit exact, s'était facilement pénétré de ces procédés et dé ces règles ; d'ailleurs, il avait toujours, quand il assiégeait une place, Vauban auprès de lui ; et-qui avait Vauban, pouvait infailliblement dire : Ville assiégée, ville prise !

Louvois avait les mêmes qualités d'esprit ; de bonne heure, il avait fait une étude approfondie de la science des fortifications, et Vauban avait achevé de l'instruire. L'intelligence et l'application de l'élève étaient dignes des soins que lui prodiguait son maitre ; Louvois serait devenu, s'il n'avait été ministre, un bon ingénieur. La guerre de siège, outre qu'il s'y entendait bien, lui plaisait encore par un autre côté. Pour les apprêts d'une campagne, pour la distribution des armées, pour l'attirail des convois, pour les magasins, les munitions, les vivres, il avait une prévoyance et une autorité sans égale ; mais là finissait son rôle ; s'il voulait passer outre et diriger les opérations, il rencontrait, comme nous avons vu et comme nous verrons encore, la juste opposition des généraux. Pour un siège, au contraire, il entrait sans que personne y pût trouver à redire, dans le domaine de l'action ; l'administrateur se doublait d'un homme de guerre. Non-seulement il préparait de longue main les mouvements des troupes, les feintes, les fausses démonstrations qui devaient donner à l'ennemi de l'inquiétude pour toutes Ses places, sans lui en donner spécialement sur aucune ; les combinaisons qui, des points les plus divergents, devaient, au jour, à l'heure, presque à la minute, fixés parfois des mois à l'avance, amener sur un point choisi les corps destinés à concourir au siège ; non-seulement il dessinait tout l'ensemble du plan et tous les détails, avec une précision minutieuse, une lucidité parfaite, et, par-dessus tout, un secret impénétrable ; mais encore il dirigeait l'exécution, il expédiait les ordres, recevait les rapports, parait aux accidents, pressait ou retardait la marche des colonnes ; en un mot, il n'était plus seulement le ministre de la guerre, il était le major général d'une armée. Il fut l'un et l'autre au siège de Maëstricht. Il fut d'abord un diplomate.

Maëstricht faisait partie de l'évêché de Liège, qui était annexé à l'Électorat de Cologne ; les Hollandais n'y tenaient garnison qu'en vertu d'un droit, ou plutôt d'un fait d'occupation contre lequel l'Électeur n'avait cessé de protester ; c'était même l'espoir de rentrer en pleine possession de son domaine qui l'avait entrainé dans l'alliance française. Par le traité conclu à Hildesheim, le 11 juillet 1671, Louis XIV s'était engagé à chasser les Hollandais de Maëstricht pour le rendre à son légitime propriétaire. L'engagement, éludé en 1672, Louis XIV allait se trouver tenu de le remplir. Mais Louvois savait que l'Électeur souhaitait avant toutes choses d'être délivré de l'inquiétude que lui causait le voisinage des Hollandais. Il spécula si habilement sur les terreurs de M. de Cologne qu'il le réduisit à solliciter le siège de Maëstricht comme un service capital pour ses propres intérêts, et comme un sacrifice que le roi voudrait bien lui faire, au préjudice des siens. Ainsi, mandait Louvois à l'évêque de Strasbourg[45], si M. l'Électeur désire que le roi prenne Maëstricht pendant cette campagne, il faut qu'il se résolve à consentir que le roi le garde après la paix, aux mêmes conditions que les Hollandois le possèdent présentement ; et Sa Majesté rendra Maseick à la fin de la guerre, sans prétendre de M. l'Électeur les quarante mille écus que Sa Majesté lui a prêtés sur ledit Maseick : Si M. l'Électeur ne veut pas consentir à cette proposition, Sa Majesté ne l'attaquera point, et songera à faire des conquêtes qui lui puissent demeurer par la paix, sans blesser les traités qu'elle a avec Son Altesse Électorale. Le malheureux Électeur ne put faire autrement que de se soumettre, et demeura le serviteur très-obligé de Louis XIV.

Ce qui ajoute quelque piquant à cette comédie, c'est que, tandis que Louvois paraissait si médiocrement se soucier de Maëstricht, l'armée française était déjà en marche pour l'assiéger. Il est vrai qu'elle ne suivait pas, pour y aller, le plus court chemin. Il s'agissait de donner le change aux Espagnols et de les empêcher d'y jeter du secours. C'était à quarante lieues à l'ouest, entre Courtrai et Oudenarde, que les troupes et l'équipage d'artillerie avaient eu l'ordre de se réunir vers le 15 avril. M. le comte de Monterey, disait Louvois[46], n'est pas peu embarrassé d'apprendre que le roi assemble son armée à Harlebeck, parce que de là l'on va en beaucoup d'endroits.

Louis XIV quitta Saint-Germain le 1er mai, en grand appareil ; la reine et la cour l'accompagnaient. Après un voyage d'une majestueuse lenteur, il établit le 15, à Courtrai, son quartier-général. Huit jours s'écoulèrent encore, huit jours d'impatience belliqueuse pour les Français, d'inquiétude et d'agitation pour les Espagnols. Enfin, le 23 mai, tandis que la reine s'en allait à Tournai pour être, à distance, spectatrice des événements, l'armée entrait sur le territoire espagnol et prenait position aux portes de Gand. C'était donc la guerre avec l'Espagne ? M. de Monterey, qui avait retiré d'abord les garnisons des places pour en former un corps d'observation, se hâtait de les y renvoyer. Mais le lendemain, une forte avant-garde passait, sur plusieurs points, le canal de Bruges. C'était donc quelque place de la Flandre hollandaise, Lécluse, Aerdenbourg, le Sas-de-Gand, qui allait être attaquée ? Le 27, l'orage menaçait de nouveau les Pays-Bas ; Monterey était tenu en échec, à Dendermonde, par le marquis de Rochefort[47] ; le 2 juin, Louis XIV campait sous les murs de Bruxelles. On était si peu préparé à l'y voir, que, s'il n'eût été retenu par des considérations politiques, il eût emporté la ville en un tour de main ; le gouverneur, qui avait tout le premier perdu la tète, lui mandait naïvement qu'il auroit été bien aise de savoir s'il ne faisoit que passer ou s'il se vouloit arrêter[48]. Louis XIV ne jugea pas à propos d'éclaircir ses doutes.

Cependant les troupes que Monterey faisait venir en toute hâte de Gueldre et de Namur an soutien de sa capitale, se croisaient avec la cavalerie française qui s'en allait à toute bride du côté de Maëstricht. Commencé le 6 juin, sur la rive gauche de la Meuse, par l'avant-garde de l'armée royale, l'investissement était achevé le lendemain, sur l'autre rive, par les troupes détachées de l'armée de Turenne Le programme tracé par Louvois avait été suivi de point en point, avec la dernière exactitude. Quant au comte de Monterey, il avait en plein donné dans le panneau ; pas un Espagnol n'avait eu l'idée de se jeter dans Maëstricht. Ce n'est pas que la garnison, abandonnée à elle-même ; se sentit découragée ; elle était composée de six à sept mille hommes de bonnes troupes, et commandée par un officier de grand mérite, Français d'origine, nominé Fariaux.

Maëstricht était situé au confluent du Jaar et de.la Meuse, sur la rive gauche du fleuve ; de l'autre côté, sur la rive droite, s'étendait le faubourg de Wick. L'en ceinte bastionnée, qui formait le corps de la place, n'était pas très-forte ; mais tout autour se développait un triple ring d'ouvrages avancés ou dehors vraiment formidables. Le premier soin de Louis XIV, aussitôt après son arrivée devant Maëstricht, le 10 juin, fut de reconnaitre le terrain, de disposer le campement, de l'enfermer entre deux ligues de circonvallation et de contrevallation, et de faire communiquer les deux parties de l'armée par des ponts de bateaux jetés sur la Meuse, au-dessus et au-dessous de la place. La force numérique et l'énergie de la garnison exigeaient qu'on ne négligent aucune des précautions recommandées par les ingénieurs, mais souvent omises dans les précédents sièges. Lorsque les troupes françaises furent entrées dans les lignes, elles donnèrent un effectif de vingt-six mille fantassins et de dix-neuf mille cavaliers le parc d'artillerie comptait cinquante-huit pièces de canon ; il y avait dans les magasins du camp des vivres et des munitions pour six semaines[49].

Jusqu'alors, c'étaient les généraux qui ordonnaient ; dirigeaient et changeaient à leur gré les attaques ; les ingénieurs n'ayant qu'à exécuter, sous leurs ordres, des travaux le plus souvent mal conçus ; Louis XIV décida que Vauban aurait seul désormais la direction et la conduite des travaux d'approche. Ces travaux furent entrepris sur trois points à la fois, à droite de la Meuse, contre le faubourg de Wick, à gauche, contre les ouvrages de la porte de Bruxelles et de la porte de Tongres. De ces trois attaques, la dernière seule était sérieuse ; les deux autres n'avaient pour objet que de diviser l'attention et les forces des assiégés. La porte de Tongres étaie couverte par une demi-lune comprise entre les branches d'un ouvrage à corne, en avant duquel se trouvait une autre demi-lune, défendue elle-même par un bon chemin couvert qui renfermait et protégeait tout cet ensemble. Tels étaient les ouvrages devant lesquels la tranchée fuit ouverte le long du Jaar, dans la nuit du 17 au 18 juin. Le lendemain, le feu commença, de part et d'autre, avec une vigueur inaccoutumée ; dans l'espace de trente heures, les batteries françaises, armées de vingt-six pièces de canon, ne tirèrent pas moins de cinq mille coups ; une de ces batteries, construite sur la hauteur de Saint-Pierre, entre le Jaar et la Meuse, fit particulièrement merveille, parce qu'elle voyait à revers 'quelques-uns des travaux des assiégés ; aussi l'artillerie de la place, remarquablement servie et pointée d'abord, finit-elle bientôt par être démontée ou réduite au silence.

Toutefois, ce qui étonnait les défenseurs de Maëstricht, c'était moins encore l'effet du canon que la conduite des travaux d'approche qui était, pour les assiégeants eux-mêmes, un objet de surprise et d'admiration. D'ordinaire les attaques étaient poussées par des boyaux étroits, isolés ou sans communication régulière. Vauban avait imaginé d'élargir les tranchées, de les réunir par des parallèles, et d'y ménager de vastes places d'armes, où les troupes de garde pouvaient se déployer à l'aise contre lest sorties de l'assiégé. Les parallèles avaient été, dit-on, employées pour la première fois par les Turcs, au siège de Candie ; peut-être Vauban en avait-il eu connaissance par un jeune ingénieur, nommé Paul, qui avait servi dans les troupes vénitiennes[50] ; en tout cas, il porta tout de suite à sa perfection ce nouveau moyen d'attaque. La façon dont la tranchée étoit conduite, a dit Louis XIV[51], empêchoit les assiégés de rien tenter ; car on alloit vers la place quasi en bataille, avec de grandes lignes parallèles qui étoient larges et spacieuses ; de sorte que, par le moyen des banquettes qu'il y avait, on pouvoit aller aux ennemis avec un fort grand front. Le gouverneur et les officiers qui étaient dedans n'avoient encore jamais rien vu de semblable, quoique Fariaux se fût trouvé en cinq ou six places assiégées, mais où l'on n'avoit été que par des boyaux si étroits qu'il n'étoit pas possible de tenir dedans à la moindre sortie. Les ennemis, étonnés de nous voir aller à eux avec tant de troupes et une telle disposition, prirent le parti de ne rien tenter tant que nous avancerions avec tant de précautions. Après le témoignage de Louis XIV, voici celui d'un subalterne : Les premiers jours de tranchée ne coûtèrent pas beaucoup ; M. de Vauban, en ce siège comme en quantité d'autres, a sauvé bien du, monde par son savoir-faire. Du temps passé, c'étoit une boucherie que les tranchées ; c'est ainsi qu'on en parloit ; maintenant, il les fait d'une manière qu'on y est en sûreté comme si on étoit chez soi[52].

Épargner la vie des soldats, prévenir l'effusion inutile du sang humain, toujours précieux, c'était en effet la grande préoccupation de Vauban ; c'est son honneur et sa gloire. Aussi n'avait-il pas assez d'irritation contre ceux qui s'exposaient aux coups, par bravade. Je ne sais, disait-il, si on doit appeler ostentation, vanité ou paresse, la facilité que nous avons de nous montrer mal à propos, et de nous mettre à découvert hors de la tranchée sans nécessité ; mais je sais bien que cette négligence ou cette vanité (comme on voudra l'appeler) a coûté plus de cent hommes pendant le siège, qui se sont fait tuer ou blesser mal à propos et sans aucune raison. Ceci est un péché originel dont les François ne se corrigeront jamais, si Dieu, qui est tout-puissant, n'en réforme toute l'espèce[53]. Louis XIV n'était pas lui-même tout à fait à l'abri de ce reproche ; les troupes admiraient le sang-froid avec lequel il s'exposait assez pour mériter le blâme respectueux des courtisans. Il me semble, écrivait M. le Prince à Louvois[54], que cela est présentement au-dessous de lui, et qu'il fait de si grandes choses qu'il devroit mépriser ces bagatelles. Vous lui direz sur cela ce que vous jugerez à propos, de ma part, ou ne lui en direz rien, si vous jugez que cela lui puisse déplaire. Ceux des officiers que Vauban estimait et regrettait davantage, parce qu'il était obligé de les moins épargner, c'étaient les ingénieurs ; beaucoup furent frappés, victimes de leur devoir, sous les yeux de leur illustre chef, disons mieux, de leur père. Je crois, écrivait-il à Louvois[55], que monseigneur sait bien que le pauvre Regnauld a été tué tout roide, dont je suis dans une extrême affliction. Bonnefons a été aussi blessé ce soir au bras. J'ai laissé tons les autres en bon état ; je prie Dieu qu'il les conserve ; car c'est bien le plus joli troupeau qu'il est possible d'imaginer.

A mesure qu'on approchait de la place, les assiégés en disputaient les abords avec plus de vigueur ; Louvois était obligé de reconnaître le mérite d'une résistance que l'on ne devoit point, disait-il[56], attendre des Hollandois. Les tranchées cependant avaient atteint le pied du glacis. Dans la nuit du 24 au 25 juin, trois colonnes d'assaut s'élancèrent en même temps des trois attaques. A celle de Tongres, malgré un feu terrible de mousqueterie et de grenades, malgré l'explosion des fourneaux de mine que firent jouer les assiégés, malgré le retour offensif que Fariaux dirigea lui-même, les assaillants se mirent et se maintinrent en possession du chemin couvert et de la demi-lune qui précédait l'ouvrage à corne. Aux deux autres attaques, destinées seulement à favoriser l'effet de la première, on avait dû se contenter de bouleverser les ouvrages occupés pendant quelques heures ; malheureusement, à l'attaque de gauche, du côté de la porte de Bruxelles, M. de Montal, emporté par son ardeur, avait outrepassé ses ordres et fait tuer inutilement beaucoup de monde. En somme, le succès fut considérable ; mais à quel prix ? D'Artagnan, le célèbre capitaine des mousquetaires, était mort ; cent vingt officiers, quatre-vingts mousquetaires, sept cents soldats étaient tués ou blessés[57]. Il est certain néanmoins que cette action, qui coûtait si cher, avait fort avancé l'issue du siège. Dans la nuit du 27 au 28, l'ouvrage à corne fut emporté, avec bien moins d'efforts et de pertes ; on s'y logea ; dans la nuit du 29 au 30, une batterie de brèche fut construite, un trou de mine percé sous la dernière demi-lune qui couvrait la porte de Tongres. Le 30, au point du jour, toutes les batteries avaient ouvert leur feu, lorsque les assiégés demandèrent à capituler. Les conditions furent bientôt réglées. La garnison sortit le 2 juillet pour se rendre à Bois-le-Duc ; elle avait perdu plus de deux mille hommes. Grâce à Vauban, les pertes de l'armée française, malgré la sanglante affaire du 25, étaient moindres ; elles ne s'élevaient pas plus de quinze ou seize cents hommes.

Maëstricht était une grande et glorieuse conquête. Colbert, à qui Louis XIV avait ordonné de lui envoyer son peintre de sièges, Van der Meulen ; car, disait-il[58], je crois qu'il y aura quelque chose de beau à voir ; Colbert écrivit au roi une lettre de félicitations hyperboliques[59]. Louvois en eut aussi sa juste part ; pour être moins outré, le compliment n'en pouvait être que mieux reçu. Il n'appartient qu'à vous, lui écrivait son collègue et son rival[60], de si bien exécuter les ordres du roi, qu'il ne lui manque rien pour une si grande entreprise.

Si haute que fût la fortune de Louvois, l'opinion la faisait plus haute encore ; ses ennemis, à qui le dénigrement n'avait pas réussi, s'armaient perfidement contre lui de l'engouement public. Son bon sens s'effrayait de cet excès de popularité ; il y soupçonnait quelque machination. Ceux qui font courir des bruits sur les charges que le roi m'a données, écrivait-il à l'un de ses affidés[61], n'ont pas de bonnes intentions pour moi. Je suis plus que content de celles que j'ai et n'en désire aucune ; et lorsque l'on vous demandera si pareilles choses sont véritables, il faut répondre de manière qu'on ne vienne plus vous questionner sur de semblables impertinences. Il eût même souhaité quelque légère disgrâce : A l'égard de notre réputation, disait-il à Le Tellier[62], son père, bien loin de chercher à faire des choses qui l'établissent, j'en voudrois trouver qui la déprimassent, rien ne pouvant être meilleur dans la situation présente des affaires. Six mois après, ses vœux faillirent être trop bien exaucés. Il est sans doute curieux de suivre et d'étudier la série de coups de dés qui vint subitement déranger la chance de ce joueur, jusque-là si habile et si heureux.

Le congrès auquel les Suédois avaient eu but de peine à faire consentir les États plus ou moins engagés dans la lutte, ne s'ouvrit qu'à la fin du mois de juin. Louis XIV y était représenté par un grand seigneur, le duc de Chaulnes, et par deux hommes de robe, MM. Barillon et Courtin. Courtin, le plus intelligent des trois, connaissait le mieux la situation générale des affaires en Europe, et particulièrement les dispositions de la puissance médiatrice, puisqu'il venait de résider à Stockholm comme envoyé du roi de France. C'était un ami intime de Louvois, un ami rare et dévoué, sans illusion et sans complaisance. Le grand mérite de sa correspondance, écrite d'un bon style, c'est une extrême franchise, une préoccupation exclusive de ce qu'il croit être la vérité, une confiance sans orgueil dans la justesse de ses vues, point d'entêtement, mais point de fausse modestie, beaucoup de désintéressement et beaucoup de dignité. Dans la foule des gens qui écrivent à Louvois, il n'ya guère que Vauban, Chamlay, Catinat et le maréchal de Bellefonds qui mettent, à l'égal de Courtin, leur pensée à découvert ; il n'ya que Vauban, Catinat et Chamlay qui aient pour Louvois un aussi sincère attachement.

S'il fallait juger de l'avenir du congrès de Cologne par les conférences préparatoires, il n'y avait rien d'efficace à en attendre. Les médiateurs avaient beau courir de l'un à l'autre ; ils ne recueillaient que des reproches et des récriminations contradictoires. Les Hollandais voulaient toujours et avant tout qu'on leur dit pour quels motifs le roi de France leur faisait la guerre ; les Français répondaient imperturbablement qu'ils devaient savoir gré au roi de son silence. Louvois n'avait pas encore imaginé la fameuse formule qu'il adressera l'année suivante au comte d'Estrades : Le roi a été attaqué par le manque de respect des Hollandois[63]. De propositions exactes et précises, personne n'en voulait faire ; les ambassadeurs d'Angleterre seuls laissaient entendre qu'ils pourraient s'accommoder de quelques places maritimes de la Flandre hollandaise ou de la Zélande ; mais les Hollandais se fussent-ils résignés à un tel sacrifice, Louis XIV n'y aurait pas donné son assentiment. Le lendemain même de la capitulation de Maëstricht, le 1er juillet, voici ce que Louvois écrivait à Turenne et au prince de Condé[64] : Sa Majesté croit pourvoir à ce que les Espagnols et les Hollandois ne puissent rien entreprendre avec succès, et ne poussera pas assez les Hollandois pour les réduire en état de donner aux Anglois les places qu'ils leur demandent ; ce que Sa Majesté estimeroit au dernier point désavantageux à son service. Cependant, le temps de la campagne se passant, les Anglois voyant approcher celui de leur parlement, sans apparence de pouvoir faire de descente avec succès, se réduiront probablement à-d'autres conditions ; et les Hollandois, ne pouvant recevoir aucun secours d'Allemagne et ne voyant aucun soulagement à leurs maux, seront obligés à faire la paix aux conditions que le roi leur voudra imposer. Louis XIV était d'autant plus certain de faire échouer les prétentions de ses alliés que la Suède avait déclaré qu'elle ne pouvait consentir à la ruine de la Hollande, et que c'étoit la ruiner que de prétendre que l'Angleterre eût des ports de mer[65]. Mais la confiance du roi dans le succès de sa propre politique n'était pas à beaucoup près aussi bien fondée.

Pour contenir en même temps les Espagnols et les Hollandais, Louis XIV avait d'abord imaginé de placer entre eux, dans le Brabant, le prince de Condé avec un gros corps de cavalerie. Si M. le Prince quittait sans regret la Hollande, il n'avait pas lieu d'être beaucoup plus satisfait de la mission qu'on lui donnait en échange, mission ingrate et dangereuse à la fois ; car elle se réduisait pour lui à un simple service de vedette, tandis qu'il était menacé à chaque instant de voir les Espagnols unis aux Hollandais marcher à lui, sans qu'il eût un seul homme d'infanterie à leur opposer, et, disait-il à Louvois[66], je vous avoue que je n'aimerois pas à finir une campagne, où j'ai fait aussi peu que dans celle-ci, par une vilaine démarche. Louis XIV ne le laissa pas longtemps dans cette fausse situation.

Loin de décourager ses adversaires, la prise de Maëstricht n'avait fait que les irriter davantage. Le passage hardi et insolent de l'armée royale à travers les Pays-Bas espagnols, l'alarme qu'elle avait donnée à Gand et surtout à Bruxelles, fournissaient au comte de Monterey et au parti de la guerre à Madrid, des arguments sans réplique ; si on ne prenait pas sur-le-champ le seul parti conforme aux traditions et à l'honneur de la couronne d'Espagne, il n'y avait plus qu'à supplier humblement le roi Très-Chrétien de faire savoir au roi Catholique si l'hommage des Pays-Bas aurait la vertu de le désarmer et de le satisfaire. A Vienne, la présence d'un ami du prince d'Orange, Conrad Hemskeerken, pensionnaire d'Amsterdam, avait aussi réveillé l'ardeur des ennemis de la France, à la tête desquels s'agitait l'infatigable duc de Lorraine. L'émotion gagnait l'Allemagne ; l'Électeur palatin, les Électeurs de Trèves et de Mayence commençaient à s'inquiéter du voisinage des Français ; et devant les menaces agressives de l'Empereur, les princes qui avaient d'avance engagé leur concours à Louis XIV n'éprouvaient aucun embarras à lui offrir leur neutralité, comme une compensation suffisante pour les pensions et subsides qu'ils continuaient à vouloir bien accepter de lui.

Éclairé par ces indices et conseillé par Louvois, Louis XIV prit rapidement ses dispositions pour n'être pas surpris ; il réunit en Flandre, au moyen des garnisons des places, une petite armée dont il donna le commandement au prince de Condé[67] ; celui des troupes cantonnées en hollande était rendu au duc de Luxembourg[68]. La Lorraine et l'Alsace étaient du département de M. de Pomponne ; Louvois les prit dans le sien, et se mit tout de suite en devoir d'augmenter les fortifications de Nancy, de Philisbourg et de Brisach. Vauban, qui achevait de rétablir les défenses de Maëstricht, reçut l'ordre de passer immédiatement en Alsace[69]. Louis XIV vint s'établir à Nancy, afin de surveiller de plus près l'exécution des mesures que Louvois lui avait suggérées pour assurer sa frontière contre l'agression probable des Allemands.

L'Alsace pouvait-elle être considérée comme une province française, lorsque Strasbourg, ville impériale, échappait complètement à la souveraineté du roi, lorsque dix autres villes, dont Colmar et Schelestadt étaient les principales, conservaient des privilèges qui rendaient illusoire l'autorité royale ? S'attaquer à Strasbourg, c'était une tentative prématurée qui eût soulevé l'Allemagne entière ; il n'y avait pas autant de danger ni de peine à modifier la condition des dix villes, moins intimement liées au corps germanique. Louvois se chargea de ménager lui-même les préliminaires de l'accommodement. Pendant un voyage qui ne dura guère que dix jours, du 6 au 16 août, il s'entendit avec les magistrats et les principaux des villes, fit intervenir à propos les pensions, les faveurs et les promesses ; en un mot, il réussit au point que lorsque Louis XIV traversa l'Alsace, quelques jours après, comme pour aller visiter Brisach, le corps de huit mille hommes et l'équipage d'artillerie que la prudence du ministre avait fait suivre à tout événement, passèrent au milieu des populations ébahies et paisibles, comme une somptueuse escorte de parade. Il n'y a guère à citer, pour relever un peu la vulgarité de cette révolution bourgeoise, que l'invention d'un petit stratagème imaginé pour surprendre Colmar, Colmar, a dit ironiquement Louis XIV[70], qui se croyoit considérable, et paroissoit trop fière pour avoir affaire à un homme comme moi. Le roi fit dire aux bourgeois qu'il voulait honorer leur ville de sa présence ; les bourgeois ouvrirent leurs portes, et lorsque les gardes françaises et les gardes suisses eurent pris position sur les places, le roi fit saisir l'artillerie municipale et les armes des habitants, et commencer la destruction des murailles. Schelestadt et les huit autres villes, qui n'étaient que des bicoques, furent également désarmées et démantelées[71]. Le tout ne prit pas beaucoup plus de trois semaines.

Un événement bien autrement considérable mettait pendant ce temps-là toute l'Allemagne en rumeur. Louvois, qui ne négligeait rien pour être exactement informé de ce qui se passait et se tramait au dehors, avait des correspondants parmi les plus intimes serviteurs des cours étrangères, entre autres un secrétaire du comte de Monterey. Il avait su, par cette voie, que l'Empereur et les Espagnols étaient en négociation avec l'Électeur 'de Trèves, pour mettre garnison dans sa ville capitale. Il était si important pour les intérêts de Louis XIV et pour la sûreté de ses troupes en Hollande, de maintenir libre le cours de la Moselle comme celui du Rhin, qu'il n'hésita pas à prévenir ses adversaires en faisant occuper Trèves, sauf à remettre cette ville en séquestre entre les mains de quelque prince de l'Empire, dont la neutralité ne fût pas suspecte. Le marquis de Rochefort, chargé de l'opération, y trouva plus de difficulté qu'on n'en supposait autour du roi. La garnison n'était pas nombreuse, il est vrai ; mais les habitants, très-animés contre la France, étaient disposés à faire une défense énergique. Il me paroit, écrivait M. de Rochefort[72], que ces gens-ci sont un peu trop mutins, car le bourgeois s'en mêle. Le fossé de la place avait trente pieds de large et autant de profondeur. Il fallut faire un siège en règle. Le roi s'étonnait et s'impatientait : Je ne veux pas avoir le démenti de cette affaire, disait-il[73], et je veux faire tout ce qui sera nécessaire pour prendre Trèves ; mais je crois qu'il sera bien à propos de châtier les habitants quand la ville sera prise, pour ne pas donner un aussi méchant exemple à celles que j'attaquerai dans la suite. Enfin, après huit jours de tranchée ouverte, d'attaque par le canon et par la mine, les assiégés capitulèrent le 7 septembre. Rochefort ne put pas prendre possession de sa conquête ; il avait été blessé deux jours auparavant. Louis XIV, dans sa colère, avait d'abord voulu raser les murailles de Trèves ; mais Louvois, plus avisé, lui remontra qu'il valait mieux, pour commander le cours de la Moselle, en conserver les défenses, et que le meilleur moyen de mortifier les bourgeois, c'était de les contraindre à vider leur bourse.

La prise de Trêves pouvait Lien déjouer pour un temps les combinaisons militaires de l'Empereur et des Espagnols ; mais elle venait à point pour servir en Allemagne leur propagande politique : une ville électorale, une des capitales du Saint-Empire, profanée par les Français ! Et cependant Louis XIV et Louvois lui-même croyaient toucher à la paix. Louvois y comptait si bien qu'il recommandait à l'intendant Robert de suspendre ses achats d'avoine et de blé[74]. Charles II, sur les instances de Louis XIV, avait renoncé à demander aux Hollandais la cession de quelques-uns de leurs ports de mer ; et Louis XIV s'était décidé à formuler au congrès de Cologne des propositions notablement réduites. Voici ce que Louvois écrivait à Le Tellier[75] : Le roi d'Angleterre vient d'envoyer ordre à ses ambassadeurs de se relâcher de la prétention des places maritimes ; et comme les médiateurs offrent déjà, de la part des Hollandois, Maëstricht et ses dépendances, Breda, Crèvecœur et Bois-le-Duc, avec Ictus dépendances, il y a apparence que la paix est pour se conclure, pour peu que les Hollandois y aillent de bonne foi, puisque le roi n'a ajouté à ce qu'ils offrent que le fort de Saint-André, et quelques villages des environs de Crèvecœur et de Grave, à la charge de ne les pouvoir jamais fortifier. Dans son impatience d'en finir, Louvois se faisait une grande illusion ; il attribuait aux Hollandais ce qui n'était qu'une proposition bénévole des médiateurs.

Peut-être les Hollandais auraient-ils fait la paix, l'année précédente, à ces conditions-là ; mais les situations étaient bien changées. La Hollande gagnait tous les jours des alliés, tandis que l'isolement se faisait autour de la France ; les victoires de Ruyter et de Tromp sur les flottes combinées de France et d'Angleterre, confirmaient non-seulement la sécurité de leur pays du côté de la mer, mais encore établissaient fortement sa suprématie navale. C'était donc bien la faute de Louvois s'il ne comprenait pas que les Hollandois pussent être endiablés pour ne point faire la paix[76]. Cependant Louis XIV avait fait une nouvelle concession aux médiateurs ; il n'exigeait plus directement des Hollandais que Maëstricht, et proposait un arrangement par lequel les Espagnols, prenant possession du Brabant hollandais et des villes de la Généralité, lui donneraient en échange soit le Luxembourg et la Franche-Comté, soit, du côté de la Flandre, Aire, Saint-Omer, Ypres et Cambrai, avec leurs dépendances[77]. En même temps il faisait écrire en Angleterre pour empêcher que l'Assemblée de Cologne ne se rompit du chef de Sa Majesté ni de ses alliés, connoissant bien de quelle importance il lui étoit d'en laisser tomber le blâme sur ses ennemis[78]. Mais l'heure des concessions était passée ; toute précaution devenait inutile.

Le 30 août, trois traités d'alliance offensive avaient été signés, à La Haye, entre les Etats-Généraux, l'Empereur, le roi d'Espagne et le duc de Lorraine. C'était le commencement des coalitions contre la France. Il est aisé de juger en quel désarroi ce grand événement jeta le congrès de Cologne, déjà si troublé. Courtin disait des dernières instructions envoyées par M. de Pomponne aux plénipotentiaires, que c'était l'extrême-onction de leur négociation. Louvois en tombait d'accord ; mais il en rejetait la faute sur l'opiniâtreté des Hollandais, qui ne voulaient, disait-il, traiter à aucun prix. Plus il avait fait d'efforts sincères pour plier son caractère aux sentiments pacifiques, plus il s'irritait que ses efforts n'eussent pas le succès qu'ils méritaient, selon lui, d'obtenir.

Si faible que fût désormais l'espoir d'un accommodement, c'est l'honneur de Couffin de s'y être attaché avec une courageuse persévérance, et d'y avoir consacré toutes les ressources de son esprit. Le roi est puissamment armé, écrivait-il à Louvois[79] ; il agit lui-même ; il a de grands généraux, quantité de bons officiers ; ses ennemis n'ont pas le même avantage. Aussi, monsieur, selon toutes les apparences, Sa Majesté doit réussir dans toutes ses entreprises. Mais si vous me permettez de ne vous point parler comme à un ministre infatigable en prévoyance, en application et en action, qui anime et qui soutient quasi tout ce qui se fait, et qui jouit du plaisir de contribuer à la gloire de son maître, je prends la liberté de vous représenter que le roi étant sans contredit le plus grand prince qui soit aujourd'hui dans le monde et le plus heureux, et le pouvant demeurer par une paix que l'Europe juge très-honorable pour lui et très-avantageuse à son État, j'ai peine à concevoir par quel intérêt Sa Majesté aime mieux hasarder ce bonheur et cette gloire, et se jeter dans des embarras à l'avenir qui serviront, à la vérité, pour faire éclater son courage et pour exercer sa vertu, mais qui causeront sans doute la ruine de ses sujets.

Louvois souffrait volontiers la contradiction, lors même qu'il ne croyait pas devoir se rendre aux raisons de ses adversaires ; la franchise de Courtin lui plaisait sans le convaincre. Je ne réponds rien, lui écrivait-il[80], à tous les compliments que vous me faites, parce que je ne les mérite point, et que je compte tellement sur votre amitié, que je les crois superflus, entre nous. Vous me faites un hideux portrait de la continuation de la guerre, laquelle je crois qu'il ne faut pas regarder comme un avantage, mais comme un mal nécessaire et qu'il n'est pas possible d'éviter, à moins que de se résoudre à faire une paix comme celle de 1668. Le roi en est foi t éloigné, et croit que ses ennemis joints ensemble, quand leurs affaires iroient aussi bien qu'elles ont été mal jusqu'à présent, ne lui reprendront pas en plusieurs années ce que Sa Majesté a conquis, et que, quoiqu'il soit vrai que l'argent soit rare et qu'il le deviendra tous les jours davantage, elle a de quoi aller bien plus loin que tous ses ennemis joints ensemble ; et je ne vous célerai pas que, suivant la disposition où le roi est présentement, il céderoit aussitôt Paris et Versailles que Maëstricht. Quelques jours après, il écrivait encore[81] : Le roi donnera toujours les mains aux propositions qui lui seront faites pour une paix raisonnable ; mais il aime mieux que l'on lui prenne toutes ses conquêtes les unes après les autres que d'en faire une malhonnête, et il croiroit en faire une de cette qualité, s'il rendoit Maëstricht pour quoi que ce pût être.

Courtin n'était pas seul à s'alarmer des proportions que la guerre allait prendre ; l'opinion publique à Paris était en émoi. Louvois ne croyait pas qu'il fût d'une bonne politique de l'apaiser en la trompant ; il écrivait au prévôt des marchands, comme il écrivait à Courtin[82] : Quand une fois la guerre est commencée, on ne la finit pas quand on veut, à moins que l'on ne veuille sacrifier toute la gloire que le roi peut avoir acquise. Ainsi, si les envieux de sa gloire veulent se joindre ensemble pour empêcher que la paix ne se fasse, il faut se résoudre à une longue guerre et espérer qu'elle ne sera pas si ruineuse au royaume que l'ont été les dernières qui l'ont précédée.

Une longue guerre, une bonne longue guerre[83], une lutte acharnée au bout de laquelle un des adversaires, tous les adversaires peut-être devaient succomber d'épuisement, telle était la perspective que Louvois présentait brusquement aux regards de la France ; il la croyait capable de soutenir sans faiblesse un pareil spectacle, et prête à tous les sacrifices pour sauver l'honneur du roi, son propre honneur et sa propre gloire. Sans doute le premier sentiment devait être une surprise pénible. Quoi ! tant d'efforts heureux de la diplomatie et des armes, tant de villes enlevées en courant, n'avaient pas conquis la paix l'année précédente ! Quoi ! dans cette présente année, la retraite de l'Électeur de Brandebourg, la prise de Maëstricht, n'avaient pas tout achevé ! Quoi ! ce petit peuple de Hollande, à moitié conquis, à moitié noyé, résistait encore, et non-seulement il résistait, mais il ameutait une grande partie de l'Europe contre la France ! Telle était la vérité ; la guerre de Hollande était finie ; la guerre européenne commençait.

La France allait s'y trouver isolée ; ces alliances de la Suède et de l'Allemagne, qu'elle avait cru s'assurer par de si grands sacrifices, lui manquaient. Au moment où, selon la teneur des traités, l'Empereur se déclarant, le roi de Suède, l'Électeur de Bavière et le duc de Hanovre devaient prendre les armes, ils proposaient de former un tiers-parti, sous prétexte de négocier encore et de concerter entre eux les moyens d'agir. Si les affaires du roi bâtoient mal, s'écriait Louvois avec une juste indignation[84], ce ne seroit point les faits d'armes des alliés de Sa Majesté qui lui donneroient du soulagement, puisque présentement que les affaires sont en balance, ils ont la perfidie de ne point exécuter ce qu'ils ont promis. Courtin cependant lui représentait qu'il valait mieux user de ménagements pour essayer de ramener ces alliés infidèles, ou tout au moins pour les mettre évidemment dans leur tort, que de leur donner, par des violences, le prétexte qu'ils souhaitaient de se dégager absolument. Louvois se laissa persuader ; Louis XIV consentit à la formation du tiers-parti ; il consentit même à ce que les graves questions que soulevait l'occupation de la Lorraine fussent soumises à un arbitrage, mais seulement après la conclusion de la paix générale.

Les médiateurs souhaitaient et les Hollandais exigeaient davantage ; ils voulaient que le duc de Lorraine pût envoyer des députés au congrès, et que ses intérêts y fussent immédiatement débattus. Sur cette prétention, Louis XIV fut inflexible ; Louvois ne voulut à cet égard laisser aucun doute à Courtin. Ce qu'on vous mande touchant la Lorraine, lui écrivait-il[85], est le dernier pas que le roi peut faire. Comptez que le roi s'exposera plutôt à une guerre pour le reste de sa vie que de se relâcher au delà. Sa Majesté n'espère point que le pas qu'elle fait tant à l'égard de la Lorraine que du tiers-parti nous procure la paix ; mais le roi s'attend qu'il ôtera aux Suédois et à ses alliés tout le prétexte qui leur reste de ne pas exécuter leurs traités, et que, ou il tirera le fruit de leur exécution, ou, connoissant qu'il ne s'y doit point attendre, il pourra se décharger des considérables subsides qu'il leur donne sans en tirer aucun fruit. Cette difficulté incidente de la Lorraine fut le coup de grâce du congrès ; les Hollandais l'avaient habilement introduite pour avoir l'occasion de se retirer, non sur une question qui les touchât directement, mais sur une question qui intéressait un de leurs alliés.

Pendant tous ces embarras diplomatiques, les événements politiques et militaires avaient rapidement marché. A peine la Hollande avait-elle conclu avec l'Empereur, l'Espagne et le duc de Lorraine ses traités offensifs, que le prince d'Orange, pour donner à ses alliés l'exemple d'une action rapide, était sorti tout à coup de l'attitude d'observation où il s'était tenu depuis l'hiver. Soutenu par un corps de troupes espagnoles, il se jeta, le 7 septembre, avec vingt mille hommes environ, sur Naerden, qu'il avait manqué l'année précédente. Cette fois, le duc de Luxembourg se trouva surpris, et d'ailleurs il était trop faible. De l'aveu de tous ses officiers, même de Stoppa, il était hors d'état de secourir la place, ne pouvant réunir plus de vingt bataillons d'infanterie, c'est-à-dire huit ou dix mille hommes au plus[86]. Tout ce qu'il put faire, ce fut d'appeler à lui la cavalerie de l'évêque de Munster, et de demander à Louvois des renforts. Je vous écris, monsieur, lui disait-il, une grande lettre comme on fait au ministre ; en voici une comme à mon ami, qui demeurera, s'il vous plaît, entre nous. Domine, quare me dereliquisti ? Mais ce n'est que de vous à moi que je vous fais ce petit reproche. Je n'ai que cette affaire-ci, vous en avez mille autres, et ne faites rien sans de bonnes raisons. Mais je voudrois que vous n'en eussiez pas eu pour Ôter M. le Prince du Brabant ; il obligeoit M. le prince d'Orange à y tenir ses troupes, et à ne rien faire par conséquent[87]. Louvois ne pouvait lui envoyer que des consolations et des encouragements, au lieu de renforts. Les mauvais discours, lui disait-il, ne pouvaient toucher le roi, qui était fort content de ses services ; tout au plus insinuait-on qu'il aurait mieux fait de tenir un peu plus de monde dans Naerden, et d'y mettre un officier général, homme de tête, dont l'autorité pût imposer davantage aux officiers et à la garnison que celle d'un simple colonel. Mais, ajoutait le ministre[88], quand il y a plus de deux mille hommes effectifs dans une place comme celle-là, on peut, ce me semble, espérer qu'elle se défendra longtemps.

Tout était là ; pourvu que Naerden nt une vigoureuse et longue défense, on se résignait à faire un sacrifice qui du moins coûterait cher à l'ennemi, s'il n'en était pas le mauvais marchand[89]. Louvois en prenait simplement son parti : En tous cas, écrivait-il à Luxembourg[90], quand Naerden seroit pris, ce n'est pas la première fois qu'on a perdu une place. Mais tout à coup une nouvelle étrange éclata comme un coup de foudre. Le gouverneur Dupas, bon et brave officier jusque-là, se voyant seul, sans secours, à l'extrémité de la Hollande, attaqué par terre et par mer, avait complètement perdu la tête ; il s'était rendu, le 12 septembre, après quatre jours seulement d'attaque ouverte, lorsque ses défenses avaient à peine souffert, lorsqu'il avait encore deux mille deux cents hommes de troupes, des vivres et des munitions pour un mois. Luxembourg était stupéfait et outré. Les ennemis, disait-il[91], ont trouvé la garnison de Naerden aussi coquille qu'eux, et c'est une chose sans exemple que Dupas se soit rendu, comme il lui a pris en gré de le faire. Il a rendu sa place à la hollandoise, ce que je n'aurois jamais cru. Louvois, de son côté, était si fermement convaincu que Dupas ferait son devoir, qu'il se préoccupait à l'avance de récompenser sa bonne conduite. Qu'on juge de son emportement à la nouvelle de l'infâme reddition de Naerden. Le prince de Condé n'était pas moins indigné : C'est, disait il[92], une action si vilaine et d'un si méchant exemple qu'elle mérite un très-sévère châtiment.

Peu s'en fallut que Louis XIV ne prononçât lui-même et sur-le-champ l'arrêt de mort de Dupas, pour faire un exemple, disait Louvois, qui serve de leçon aux autres gouverneurs, et puisse apprendre aux étrangers que si dès François font des lâchetés, on ne les tolère point parmi eux[93]. Cependant on suivit les formes juridiques ; Dupas avait demandé lui-même à passer devant un conseil de guerre. Les ordonnances portaient qu'un gouverneur ou commandant de place ne devait se rendre qu'après avoir soutenu trois assauts. En rappelant ce principe au duc de Luxembourg, Louvois ajoutait expressément que la volonté du roi était que les coupables fussent promptement jugés et exécutés, sans que l'on pût surseoir à l'exécution[94]. Le conseil de guerre ne fut pas si impitoyable ; aucun des juges, pas même l'officier qui faisait fonction de procureur du roi, ne conclut à la mort ; Dupas fut condamné seulement à la dégradation et à la prison perpétuelle[95]. En apprenant l'arrêt du conseil, Louvois écrivit à l'intendant Robert[96] : C'est un grand bonheur à M. Dupas que d'avoir été jugé comme il a été, puisqu'un homme n'a jamais si bien mérité la corde que lui, et que dans le crime dont il étoit accusé, il ne doit pas y avoir de milieu entre l'absolution et la mort. L'année suivante, le malheureux condamné, perdu de douleur, obtint de prendre part comme volontaire à la défense de Grave ; il s'y fit tuer.

Il est certain que la misérable défense de Naerden eut des effets désastreux. Amsterdam retentit de Clameurs enthousiastes ; l'orgueil et la puissance des Français venaient de recevoir une première et profonde blessure ; encore un effort, et la Hollande serait délivrée. Les hollandais avaient raison. Depuis que les nécessités d'une guerre plus étendue avaient forcé Louvois de réduire le corps d'occupation, les Français ne se maintenaient plu ; que par le prestige de leurs succès passés ; ce prestige détruit, ils avaient tout à craindre.

Louvois et Luxembourg voyaient le danger. Si nous avions quelques places de moins, disait Luxembourg[97], nous aurions plus de troupes pour en garnir les autres. Louvois l'autorisait à faire raser sur-le-champ, et sans autre avis, celles qu'il jugerait le plus à propos, parce qu'il était urgent d'empêcher à tout prix que le prince d'Orange ne fit quelque nouvelle conquête ; et non-seulement il fallait raser les villes condamnées, mais encore les brûler entièrement, afin que l'ennemi n'y pût trouver ni défense ni abri[98]. L'intendant Robert, l'exécuteur des hautes œuvres, avait des instructions encore plus cruellement précises : raser et brûler les habitations, ruiner les habitants. Louvois lui écrivait, le 16 octobre[99] : Je suis persuadé que ce n'est pas une chose aisée que de faire nourrir les troupes par les villes que l'on voudra abandonner, que cela excitera beaucoup de crieries et pourra causer la désertion ; mais il vaut mieux que toutes les villes de Hollande périssent et désertent que les troupes du roi. Il ne faut point se rebuter, et quand en un jour on a fait abattre vingt maisons, il en faut abattre autant le lendemain, et ne se pas lasser. Cependant il est à propos que vous commenciez à taxer les maisons des absents à tant par jour, et à faute de payer, que vous commenciez à les faire démolir, donnant aux soldats les bois et les tuiles, afin que rien n'en reste aux propriétaires. Comment justifier ces violences ? Elles n'avaient plus même l'excuse d'être un moyen extrême pour dompter la résistance des Hollandais ; c'était la déplorable vengeance de l'orgueil désappointé.

La dispersion et l'infériorité numérique des troupes, qui avaient empêché le duc de Luxembourg de secourir Naerden, paralysaient également, en Flandre, l'activité du prince de Condé. C'était à peine si, en affaiblissant presque jusqu'à l'imprudence les garnisons des places, il avait pu réunir quatorze bataillons de nouvelle levée, mal instruits et sans expérience de la guerre ; aussi n'en faisait-il pas compliment à Louvois : Je vous ai mandé, lui écrivait-il, l'état où sera l'armée ; elle ne sauroit être pire pour l'infanterie, et assurément il n'y auroit pas plaisir d'être à sa tête dans une grande action. Vous n'aurez pas de peine à croire qu'on a de méchantes heures, quand la réputation d'un homme roule sur des troupes comme celles-là. Du reste, je crains bien que le pronostic que je fis au roi en votre présence ne soit que trop vrai, et que je finisse cette campagne sans rien faire et sans pouvoir rien entreprendre, comme je l'ai commencée. Vous voyez bien que cela n'est pas fort agréable ; mais il faut servir le roi comme il le commande, et jamais personne ne le fera avec plus de zèle que moi[100]. La réponse de Louvois n'était pas faite pour démentir le pronostic de M. le Prince : Vous ferez plaisir à Sa Majesté, lui disait le ministre[101], de vouloir bien n'avoir point d'inquiétude sur ce que vous ne ferez pas, cette campagne, des actions aussi éclatantes que celles que vous avez faites par le passé, puisque son service le requiert ainsi, et que Votre Altesse connoit bien qu'il n'est pas possible de faire autrement. Louis XIV avait sacrifié M. le Prince en Hollande pour se donner la satisfaction de prendre Maëstricht ; il le sacrifiait cette fois en Flandre pour se donner la satisfaction de conquérir la Franche-Comté.

On se souvient que Louis XIV avait imaginé ce beau projet l'année précédente, pendant les anxiétés du siège de Charleroi. Bien que Louvois l'y eût fait renoncer alors, il ne l'avait jamais perdu de vue depuis ce temps-là ; il y tenait particulièrement comme à une conception personnelle. Son espoir même s'était réveillé au mois de février 1673, sur le bruit d'une révolte générale de la noblesse et des populations franc-comtoises contre le gouvernement espagnol ; déjà les ordres étaient expédiés pour faire marcher les troupes, lorsqu'on eut, au bout de peu de jours, la preuve désolante que la prétendue révolte n'avait jamais existé que dans l'imagination d'un certain baron ou marquis de Listenois, lequel demandait vingt mille écus pour chasser entièrement les Espagnols de la province[102]. Six mois passés sur cette déception en avaient affaibli le souvenir, lorsque la nouvelle des traités de La Haye et de l'attaque de Naerden vint troubler à Nancy la satisfaction du vainqueur de Maastricht ; il crut sa gloire obligée à châtier, par quelque nouveau triomphe, l'insolence de ses ennemis. Dès le 15 septembre, Louvois annonçait à Turenne que le roi prétendait partir, le 25 ou le 26, pour la Franche-Comté, avec quatre mille chevaux et dix mille hommes de pied.

On a vu par quelle série d'hésitations, d'incertitudes et de contradictions Louis XIV était descendu, à la fin de l'année précédente, de l'agitation la plus turbulente à la plus complète inaction ; on aura ici un spectacle du même genre, mais bien plus intéressant, en ce que la péripétie est brusquée ; du jour au lendemain, sans transition, tout est rompu. Le 22 septembre, Louvois envoyait à Vauban le programme royal[103] : Nous nous en allons en Franche-Comté ; nous commencerons par mettre garnison dans la ville de Besançon, qui n'est point en état de tenir ; l'on bloquera la citadelle avec trois ou quatre escadrons de cavalerie ; l'on ira ensuite à Salins, dont les forts ne peuvent tenir plus d'un jour ; de là on s'en reviendra à Nie, qui n'est point non plus en état de défense, n'y ayant ni canon, ni dehors, ni fossé ; et, après que l'on s'en sera saisi, l'on délibérera si l'on attaquera la citadelle de Besançon, ou si, laissant une forte garnison dans la ville et beaucoup de cavalerie dans les villages des environs, l'on y laissera la garnison mourir de faim. Quand Louvois faisait, de son chef, le projet de quelque grande entreprise, il le faisait plus sérieux que cela. Le 25, il écrit au prince de Condé : Si les Espagnols ne commencent bientôt, Sa Majesté est résolue de leur épargner la peine de la déclaration, et je ne doute point qu'entre ci et trois jours, je ne reçoive ordre d'envoyer à Votre Altesse l'ordonnance qui est déjà toute dressée pour déclarer la guerre aux Espagnols. Le 25, l'ordonnance, datée de la veille, est expédiée ; Louvois recommande au prince de faire passer par Dijon et Auxonne ses dépêches au roi, qui part pour la Comté.

Le 26, situation renversée, bouleversée de fond en comble ; plus de Franche-Comté, plus de guerre à l'Espagne. L'Angleterre et la Suède n'approuvent pas que la France attire sur soi le reproche de la rupture. Le roi tourne le dos à la Franche-Comté, et s'en va du côté de la Flandre. Que va-t-il faire en Flandre ? Attaquer une place, comme il le mande au prince de Condé ? Mais alors il va rompre le premier avec l'Espagne ; que diront la Suède et l'Angleterre ? Et pourquoi délaisser la conquête si facile de la Franche-Comté, pour s'en aller courir en Flandre des chances moins favorables ? Singulière contradiction ! Qui nous donnera le mot de cette énigme ? Louvois peut-être. Il est remarquable que ce voyage de Flandre allait se faire, non avec la rapidité d'un conquérant qui voudrait supprimer le temps et l'espace, mais avec une lenteur majestueuse, prudente et réfléchie. Louis XIV devait quitter Nancy, le 30 septembre, pour n'arriver à Saint-Quentin que le 4I octobre. Or, voici la confidence intime que Louvois faisait, le 27, à son père : Je vous écrirai ponctuellement de tous les lieux où nous passerons ; mais je crois, entre nous deux, s'il sous plaît, avoir lieu de croire que nous serons, auparavant la Toussaint, à Saint-Germain. Bien avant la Toussaint, assurément, puisque, dès le 28, il n'est déjà plus question de s'en aller en Flandre. Sa Majesté, — c'est Louvois qui écrit à M. le Prince, — Sa Majesté croit qu'il sera plus utile qu'elle retourne à Saint-Germain vaquer aux choses nécessaires pour les préparatifs de la campagne prochaine. Ainsi se dénoue cet imbroglio ; pour le résumer, nous n'avons qu'à réduire en un mot chacune des trois dépêches adressées en quatre jours au prince de Condé : le 25, Franche-Comté ; le 26, Flandre ; le 28, Saint-Germain[104]. Certes, M. le Prince avait bien le génie et le goût des inspirations soudaines ; mais les inspirations du chef de sa maison n'en devaient pas moins lui causer quelque surprise. Heureusement pour Louis XIV, l'impatience du comte de Monterey vint à propos le tirer d'embarras.

Comme le prince de Condé, sans déclarer la rupture, étendait ses contributions sur le territoire espagnol, le gouverneur des Pays-Bas trouvait au moins étrange cette coutume des François de faire la guerre, et prendre des villes et piller des pays, et dire toujours qu'il n'y avoit point de guerre[105]. Il y répondit par des actes formels d'hostilité ; le 14 octobre, quinze cents cavaliers espagnols envahirent la châtellenie d'Ath, pillèrent quelques villages, et s'avancèrent jusque sous le feu de la place. Enfin, s'écriait Louvois avec satisfaction[106], enfin les Espagnols ont commencé la guerre ! Le 20 octobre au matin, le lieutenant de police, M. de La Reynie, faisait publier à son de trompe et afficher, dans Paris, l'ordonnance pour la déclaration de guerre contre les Espagnols.

Était-ce pour le prince de Condé te signal tant souhaité du combat ? Son génie, si longtemps contenu, allait-il renouveler les prodiges de Lens ? Oui, si on lui donnait les moyens de combattre, si on lui donnait enfin une armée ; car on ne pouvait appeler de ce nom les huit misérables bataillons d'infanterie qui lui restaient, les places ayant à peine des garnisons suffisantes. On ne lui donnait pas d'armée, mais on lui indiquait des vues, presque des plans de campagne, seulement par manière de conversation, et sans que cela le contraignit en quoi que ce soit[107]. Il avait encore quelque cavalerie : on lui retira trente-sept escadrons pour les envoyer au maréchal d'Humières, qui allait remplacer en Hollande le duc de Luxembourg, appelé en toute hôte sur le Rhin. C'est là que se préparaient les événements décisifs de la campagne. Personne ne s'inquiétait plus des Pays-Bas ; la guerre à peine déclarée entre la France et l'Espagne, y était suspendue comme par un accord tacite ; le comte de Monterey lui-même, se tenant sur la défensive, envoyait tout ce qu'il pouvait de troupes du côté du Rhin ; ainsi faisait Louis XIV. Louvois écrivait, le 18 octobre, au prince de Condé : Comme la perte de Bonn ou d'Andernach seroit une affaire capitale, Sa Majesté a cru qu'elle n'avoit point d'affaire plus importante que celle-là. Condé voyait avec douleur la fortune des combats lui échapper encore et s'envoler du côté de Turenne ; mais il ne se sentait plus en état de la poursuivre jusqu'en Allemagne : Je ne crois pas, disait-il, que Sa Majesté m'y destine, ma santé n'étant pas assez forte pour faire une vie de cravate tout l'hiver[108]. Quelques jours après, il écrivit au roi pour être relevé d'un poste où il ne trouvait que dès fatigues sans profit et sans gloire. Le 4 novembre, le maréchal de Bellefonds reçut les pouvoirs d'usage pour commander, à la place de M. le Prince, ce qu'on appelait encore l'armée de Flandre.

Tandis que le prince de Condé se retirait ainsi, inutile et froissé, Turenne avait-il lieu d'être plus satisfait des ennemis, de Louvois et de lui-même ? On a vu comment, après ses brillants et rapides succès sur les troupes de l'Empereur et de l'Électeur de Brandebourg, les rapports étaient devenus meilleurs entre le ministre et le maréchal. La trêve fut courte malheureusement ; mais, sans vouloir trop justifier Louvois, il faut bien reconnaître que ce ne fut pas lui qui la rompit le premier. Turenne ne s'accommodait pas des intendants. Ces agents du pouvoir, créés par le cardinal de Richelieu, renversés par la Fronde, rétablis et relevés plus haut encore par le cardinal Mazarin, étaient les ennemis naturels des situations indépendantes. Dans les provinces du royaume, ils avaient réduit à néant l'autorité des gouverneurs ; toutes les affaires, toute l'influence étaient dans leurs mains. Si, dans les armées, ils n'avaient pu dépouiller les généraux de leurs attributions essentielles, ils réglaient en maitres tous les détails d'administration et de finance ; ils imposaient et percevaient les contributions ; tel était leur rôle officiel ; ils en avaient un autre occulte et redouté, une sorte de surveillance et de contrôle sur les actions des généraux. La plupart y mettaient de la modération ; quelques-uns affectaient d'être sans ménagements et sans complaisance. De ce nombre était l'intendant Charuel, qui avait eu, à l'occasion des affaires de Lorraine, en 1670, de si graves difficultés avec le maréchal de Créqui. C'était d'ailleurs un administrateur exact, intelligent, actif, et certainement un des meilleurs intendants d'armée.

Lorsque Turenne apprit que Charuel était nommé pour servir auprès de lui, il n'attendit même pas de le voir : M. Charuel, écrivit-il à Louvois[109], passe pour un homme dont les écritures sont fort dangereuses ; j'ai une façon de vie qui ne me met pas ii couvert de cela, quand on n'agit pas de bonne foi. Louvois se contenta de répondre doucement qu'il était bien persuadé que rien, dans la conduite de l'intendant, ne justifierait les soupçons qu'on avait voulu donner par avance à Turenne[110]. Cependant il souhaitait si sincèrement d'écarter toute occasion de querelle que, bien que Charuel se fût tenu sur une grande réserve, il le remplaça, peu de temps après, par tin homme d'un caractère plus conciliant, Camus de Beaulieu. Il faut, disait-il à ce dernier, en lui adressant ses instructions, il faut avoir beaucoup de respect pour M. de Turenne, et exécuter ponctuellement les ordres qu'il vous donnera ; mais il ajoutait : Il faut me tenir averti de tout ce qui se passera, de quelque nature que ce puisse être[111]. Turenne se montra satisfait du nouvel intendant qu'on lui envoyait : Ce que j'ai vu de M. de Beaulieu, disait-il[112] ; et ce que j'en ai ouï dire, est d'un très-honnête homme et très-aisé à vivre.

Il ne dépendait pas toujours de Louvois d'éviter tous les froissements. Les troupes faisaient du désordre en Allemagne en traversant les pays neutres ; les princes allemands s'en plaignaient au roi ; il fallait Lien transmettre ces plaintes à Turenne et lui recommander une meilleure discipline ; mais cette recommandation lui était faite sous une forme très-adoucie[113]. On se souvient peut-être que, l'année précédente, Louvois s'était fait l'écho des critiques de cour qui reprochaient à Turenne de n'avoir pas attaqué les Allemands lorsqu'ils étaient campés entre Francfort et Hanau ; à dix mois de distance, la vue des mêmes lieux où la guerre ramenait le maréchal, avait réveillé tout son ressentiment contre la plus grande injustice du monde, et ses méfiances pour l'avenir[114]. Aux anciens comme aux nouveaux griefs, Louvois faisait la même réponse : que Turenne multipliât ses courriers, qu'il prit soin de faire connaitre en détail au roi ses raisons pour agir ou ne point agir ; le roi serait alors en état de fermer la bouche aux malveillants et aux bavards. Je vous en parle souvent, ajoutait Louvois[115], mais assurément encore moins fréquemment que Sa Majesté ne m'ordonne de le faire. Les événements donnaient à ce conseil un singulier à-propos.

Dans les premiers jours du mois d'août, l'Empereur avait quitté Vienne pour aller passer en revue son armée, rassemblée à Egra, en Bohème ; le 28, tandis que ses troupes commençaient à marcher vers le Rhin, il avait fait communiquer à la diète de Ratisbonne une déclaration qui était un manifeste contre la France enfin, le 16 septembre, l'ambassadeur de Louis XIV, M. de Grémonville, reçut, avec ses passeports, l'injonction de sortir sur-le-champ du territoire impérial. Au premier bruit des mouvements de l'ennemi, Turenne s'était porté sur le Mein, aux environs d'Aschaffenbourg ; son dessein était de pousser jusqu'à Nuremberg et de rejeter Montecucculi en Bohême ; mais il lui fallait des renforts. Louis XIV, en ce moment-là, n'avait pas encore renoncé à la conquête de la Franche-Comté ; les troupes qu'il retenait inutilement à Nancy ne pouvaient donc être envoyées en Allemagne.

Le 9 septembre, Louvois écrivit à Turenne une longue dépêche ; il reconnaissait tout l'avantage de ses projets offensifs ; mais il lui proposait, puisqu'il ne pouvait être soutenu par des renforts en temps utile, de se contenter de prendre sur le Tauber, affluent méridional du Mein, une position défensive, à distance à peu près égale de Philisbourg et de Nuremberg ; de la sorte, il 's'avancerait assez en Allemagne pour qu'il ne parût pas craindre de rencontrer l'ennemi, et cependant il ménagerait ses troupes, tout en mettant son adversaire en demeure de justifier les rodomontades qu'on avait faites à Égra, et qu'on faisait encore tous les jours dans toutes les cours d'Allemagne, où les Impériaux avoient voix au chapitre. L'essentiel, aux yeux du roi, était d'interdire à Montecucculi les abords du Rhin, et de l'empêcher de se joindre au prince d'Orange. Cette proposition, toute simple, sans le luxe de développements et de détails qui accompagnaient d'ordinaire les plans de campagne, était d'ailleurs présentée avec des précautions de forme et de langage auxquelles Turenne n'était point habitué. Voilà, lui disait-on, ce que Sa Majesté pense sur l'action de son armée que vous commandez, et ce que, à tout autre qu'à vous, elle enverroit ordre positif d'exécuter ; mais vu la confiance qu'elle prend en vous, et que souvent ce qui paroit de loin difficile et ruineux pour une armée, paroit tout au contraire à ceux qui sont sur les lieux, Sa Majesté vous laisse une entière liberté de faire ce que vous jugerez plus à propos[116]. Il est fâcheux d'avoir à le dire, l'effort que Louvois s'était imposé pour assouplir la roideur de son caractère ne fut pas récompensé ; Turenne lui fit cette réponse sèche et peu juste : Je vois bien les intentions du roi et ferai tout ce que je pourrai pour m'y conformer ; mais vous me permettrez de vous dire que je ne crois pas qu'il fût du service de Sa Majesté de donner des ordres précis de si loin au plus incapable homme de France[117].

Turenne d'ailleurs n'avait pas attendu la dépêche du ministre, ni les renforts qu'il avait demandés, pour exécuter son mouvement offensif et marcher aux Impériaux, qui avaient déjà dépassé Nuremberg et manœuvré pour tourner le Tauber au-dessus de Rotenbourg. Le 12 septembre, il n'était plus qu'à deux heures de l'ennemi. Dans le moment, dit l'intendant Beaulieu, toute l'armée fut en bataille et marcha avec une fierté qui ne sauroit s'imaginer. J'observois tout le monde ; c'étoit une gaieté qu'on n'a jamais vue, et si l'on avoit pu en venir aux mains, le bon succès en étoit assuré[118]. Montecucculi, voyant son projet découvert, refusa le combat et se retira si précipitamment qu'il laissa quelque bagage aux mains des Français ; le lendemain, lorsque Turenne pensait l'atteindre et le forcer à faire tète, il le trouva campé sur la rive gauche du Mein, dans une position inaccessible ; il n'y eut que des escarmouches sans importance et quelques coups de canon échangés. Turenne s'établit dans un bon poste en face de son adversaire[119]. La dépêche de Louvois étant arrivée sur ces entrefaites, c'est sans doute au dépit que causait à Turenne cette bataille manquée, qu'il faut attribuer l'aigreur de sa réponse. Quoi qu'il en soit, elle blessa profondément le ministre et ralluma entre eux l'hostilité.

Louvois se doutait que les Impériaux avaient repris le projet qui avait échoué l'année précédente, de rejoindre sur le Rhin les Hollandais et les Espagnols ; il savait que Montecucculi engageait le comte de Monterey à tenter une surprise sur le pont d'Andernach ; il avertissait Turenne et lui recommandait de prendre bien garde que les Impériaux, lui échappant ail delà du Mein, ne se portassent sur Cologne[120]. Ses soupçons étaient sur le point de se réaliser. L'évêque de Wurtzbourg, se déclarant pour l'Empereur, livra son pont à Montecucculi. Turenne, menacé d'être tourné, fut obligé de se replier sur le Taulier, dans la position que Louvois lui avait indiquée naguère ; mais elle n'avait plus alors le même avantage. Cependant, comme il était urgent de lui envoyer des renforts, on fit partir de Nancy, pour le rejoindre, quatre bataillons, dix escadrons et un convoi d'artillerie[121]. On ne cessait de lui recommander d'être vigilant avec l'ennemi, et sévère avec ses troupes qui mettaient au pillage, non-seulement les villages allemands, mais encore les approvisionnements du munitionnaire. Sa Majesté, écrivait Louvois, seroit très-mal satisfaite, si cela arrivoit davantage ; elle ne peut pas s'imaginer qu'il y ait aucune discipline dans une armée capable de piller ses propres magasins[122]. Ce désordre eut de graves conséquences ; Turenne, embarrassé pour ses vivres, ne put suivre d'assez près les mouvements de l'ennemi, qui descendait rapidement par la rive droite du Mein sur Francfort. Cette marche le surprit ; il l'avoua franchement[123] : Je ne croyois pas, écrivait-il à Louvois, que l'ennemi vint avec son armée auprès de Francfort ; mais quand je l'eusse su, c'étoit quitter toute l'Allemagne pour me mettre au Rhin ; et il falloit l'avoir prévu longtemps devant, car son chemin est beaucoup plus court que le mien, et je n'y pouvois venir faute de vivres.

Il fallut bien cependant se mettre au Rhin, et même repasser sur la rive gauche, par le pont de Philisbourg. Montecucculi ne s'était pas arrêté à Francfort ; il avait poussé jusqu'à Mayence. Louvois écrivit froidement à Turenne : J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer le 16 de ce mois, par laquelle le roi a connu que ses affaires en Allemagne ne sont pas en un état aussi avantageux que Sa Majesté le pourroit souhaiter. Il est fâcheux que l'on se soit avancé si avant pour avoir l'affront de reculer si loin qu'il est impossible que la réputation des armes de Sa Majesté ne souffre de cette retraite, qui servira fort à donner aux armes de l'Empereur un crédit qu'elles étoient sur le point de perdre. Sa Majesté voit ces choses et fait les réflexions susdites sans vous en rien imputer, et est très-persuadée qu'il n'a pas été possible de mieux faire et que vous avez pris en tout le bon parti[124]. L'intendant Beaulieu disait, non par ironie, mais de très-bonne foi, que Turenne était extrêmement content de la position qu'il avait prise en deçà du Rhin, son armée couvrant l'Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté, et se trouvant à portée de soutenir Trèves : Il est vrai, ajoutait-il[125], que le côté d'en bas est dégarni. Le côté d'en bas, c'était l'Électorat de Cologne, où se portait l'effort des confédérés.

Turenne, au fond, était moins satisfait que ne le croyait son intendant : Il faut, disait-il, que l'ennemi ait un concert avec les Hollandois et les Espagnols. Comme Bonn et Andernach ne valent rien du tout, il est bien à craindre qu'ils ne s'en saisissent, et je ne saurois pas remédier à cela. Quoique je voie très-bien l'importance de la chose[126], je trouve entièrement impossible, à cause des vivres, des chemins et de la saison, de passer dans la plaine de Cologne. Je crois que le roi ne veut pas que son armée se perde, sans espérance seulement de combattre[127]. Il voyait enfin, et trop tard, l'importance de la chose ; s'il ne l'avait pas vue d'abord, ce n'était pas la faute de Louvois qui l'avait plus d'une fois averti. Mais, comme il se sentait faible sur ce point-là, il songeait à prendre son avantage sur un autre : Si Bonn avoit été un peu en meilleur état, disait-il, les ennemis n'aûroient jamais pensé à l'attaquer[128]. C'était en effet sous les murs de Bonn qu'avaient chi se rencontrer les Impériaux, les Espagnols et les Hollandais.

Aussitôt la rupture avec l'Espagne déclarée, et tandis que le prince d'Orange commençait à se mettre en mouvement pour joindre le comte de Monterey, Louvois avait fait prendre à Louis XIV une résolution soudaine et importante. Le roi, écrivait-il le 20 octobre au marquis de Rochefort[129], doit délibérer aujourd'hui sur l'abandonnement d'Utrecht, et comme c'est une chose nécessaire, je crois pouvoir vous dire, pour demeurer entre nous deux, que cela sera résolu et exécuté dans très-peu de temps. Non-seulement on abandonnait Utrecht, mais encore toutes les places du Zuyderzée, de l'Yssel et du Leck ; on ne gardait que les places du Wahal, de la Meuse et du Rhin, avec Arnheim comme poste avancé : C'était une résolution vigoureuse qui faisait honneur à l'intelligence, au bon sens et au sang-froid de celui qui l'avait inspirée. Turenne approuvait ; Condé blâmait ; il se fondait sur la perte de la réputation et sur le décri que cet abandon alloit donner aux affaires du roi dans toute l'Europe[130]. Condé se rencontrait avec l'opinion publique ; on n'aime pas à reculer, en France ; tout mouvement de retraite est pris pour une atteinte à l'honneur national. La Hollande était le prix de la guerre ; quinze mois d'occupation en avaient fait une province française ; cependant on l'abandonnait à moitié ; à qui ? à quel vainqueur ? Quelle bataille avait-on perdue ? L'opinion ne se demandait pas si la guerre avec l'Empereur et avec l'Espagne n'appelait pas sur d'autres points les forces militaires de la France. Cette nécessité, que le public ne comprenait pas encore, le prince de Condé la voyait bien ; mais, quoique Louvois lui eût affirmé qu'il était impossible d'armer davantage, il exhortait le ministre à faire quelque effort en Suisse, en Angleterre et même en France, plutôt que d'abandonner Utrecht.

Louvois eut le courage de résister au prince et à l'opinion ; il fit sans hésiter, à l'intérêt public, le sacrifice de sa popularité. Il le fit sans trouble ; rien de plus net, de plus méthodique et de plus facile à suivre que les instructions qu'il dressa pour le duc de Luxembourg. Le moment était favorable, lui disait-il, pendant que le prince d'Orange s'amusoit à crotter ses bottes en Flandre. Désarmer et démanteler les places, enlever toutes les munitions de guerre et de bouche, rançonner les villes et villages auxquels on ne pourrait plus imposer de contributions, et cependant prévenir ou réprimer les désordres et les violences, lesquels Sa Majesté seroit bien aise d'épargner autant qu'il ne seroit pas absolument nécessaire ; tout était prévu, noté, détaillé. Le roi voulait laisser, dans les places qu'il conservait, cinq cent trente-quatre compagnies d'infanterie, c'est-à-dire près de vingt mille hommes effectifs ; les garnisons des places abandonnées et les corps que Luxembourg avait ordre de recueillir sur sa route pour les ramener en France, devaient former une armée de vingt mille hommes de pied et de dix mille chevaux[131].

Quelque diligence qu'il fût important d'y mettre, une opération aussi considérable demandait beaucoup de temps ; Luxembourg la commençait à peine, que le prince d'Orange, ayant rallié en chemin un corps de troupes espagnoles, paraissait sous les murs de Bonn, tandis que les Impériaux, qui avaient descendu le Rhin depuis Mayence, y arrivaient d'un autre côté. Il faut rappeler ici que Bonn dépendait absolument de l'Électeur de Cologne, et qu'il n'avait jamais aliéné au profit de Louis XIV, même pour un temps, ses droits de souveraineté sur cette ville, comme il avait fait pour Neuss et pour Maëstricht. Ce ne fut qu'au dernier moment, et après les plus vives instances, que l'évêque de Strasbourg, principal ministre de l'Électeur, consentit à laisser entrer dans la place une garnison française sous les ordres de M. de Révillon ; encore ce dernier dut-il partager le commandement avec le chef des troupes Électorales. Les défenses étaient mauvaises et désarmées, les magasins presque vides. Il fallut faire en quelques jours des prodiges d'activité pour mettre la place hors d'état d'être enlevée du premier coup. Le siège commença le 3 novembre ; le 12, après une résistance énergique dont la garnison française eut seule toutes les fatigues et tout l'honneur, la mauvaise volonté des troupes Électorales, les chicanes de leur chef, et l'insurrection de la population allemande, contraignirent M. de Révillon à laisser faire une capitulation à laquelle il ne voulut pas du moins apposer sa signature ; tout se passa entre les généraux de l'armée assiégeante et les représentants de l'Électeur de Cologne[132].

Le duc de Luxembourg avait envoyé à la hâte quelques régiments d'infanterie à Neuss, et le maréchal d'Humières s'était empressé d'accourir avec un corps d'armée pour couvrir Cologne. Ces mouvements eurent tout le succès qu'ils pouvaient avoir ; ils empêchèrent les généraux alliés de rien tenter sur ces deux villes après la prise de Bonn. On avait eu grand'peur à Cologne ; l'Électeur et ses conseillers, avec une injustice expliquée par leur terreur même, s'en prenaient à Louvois, qui les avait sans cesse avertis de se, tenir sur leurs gardes, puisqu'ils ne voulaient pas se confier absolument à la protection du roi ; et aux généraux français, à qui cependant ils étaient redevables de leur salut. Les plénipotentiaires eux-mêmes n'avaient pu se défendre de quelque inquiétude. Courtin s'était laissé aller à critiquer la conduite des généraux. Comment voulez-vous, avait-il dit[133], que je sorte de Cologne avec honneur, si la guerre se tourne en chicane, et que nos généraux continuent à mener une vie de plénipotentiaires ? Pour moi, je suis résolu, pour leur montrer l'exemple, de me jeter dans Bonn ou dans Neuss. Luxembourg, on le sait, était prompt à la riposte ; dès qu'il apprit que Courtin lui reprochait de s'amuser à démolir les places de Hollande au lieu de marcher du côté de Turenne, il répondit[134] : Quand M. Courtin parle de cela, il lui semble que cela nous est aussi aisé comme il lui est à lui de faire sa petite mine riante, et ne songe pas que ce seroit aussi bien fait à lui de ne point trouver à redire à ce qui se fait à la, guerre, comme il l'est à moi de ne point condamner ce qui se passe dans la négociation de son ambassade.

Louvois, de son côté, reçut du prince Guillaume de Fürstenberg une assez rude semonce. Le prince avait eu un peu moins peur que les autres, ce qui le rendait plus lier et plus susceptible ; or Louvois, pour le mieux encourager sans doute, avait eu la mauvaise idée de le railler sur l'inquiétude que lui avait causée l'approche des Hollandais et des Impériaux. Le prince Guillaume, qui avait depuis longtemps ses dédains sur le cœur, ne manqua pas l'occasion de lui décocher quelques traits directs et personnels que les circonstances devaient lui rendre plus sensibles : Pour répondre avec la même franchise, monsieur, que vous me faites l'honneur de me parler, je vous dirai, comme votre véritable et passionné serviteur, que je ne puis pas comprendre pourquoi vous me reprochez la peur et l'appréhension que je vous ai témoignées de l'approche des armées du prince d'Orange et de Montecucculi, puisque vous devriez avoir assez connu, par les sinistres événements, que la conduite que l'on a tenue depuis quelques mois et contre laquelle tout le monde, et même les plus fidèles serviteurs que le roi ait en Allemagne, ont tant déclamé, ne pouvoit pas produire un autre fruit que celui que nous voyons, qui est que l'affection des princes d'Allemagne et des États de l'Empire pour la France diminue tous les jours, que M. l'Électeur de Cologne voit ruiner tout son pays de fond en comble et ses places se rendre, par une armée que vous dites devoir faire pitié par le mauvais état où elle est, et cela à la barbe de l'armée du roi. En vérité, vous parlez bien à votre aise à Versailles, et faites les armées des ennemis aussi petites, et marcher en la manière qu'il vous plaît ; mais comme ils ne s'arrêtent pas à votre jugement, mais poursuivent toujours leur pointe, il arrive de là que l'on se trouve bien embarrassé lorsque les ennemis font tout autrement que l'on s'étoit imaginé. Je sais bien que je ne suis pas un capitaine, que j'ai moins d'esprit qu'un autre, et que je puis me tromper dans mon sens ; mais malheureusement pour le roi et pour nous, MM. les ambassadeurs et tous les ministres du roi en ce pays me pourront rendre témoignage si je ne leur ai pas prédit tout ce qui est arrivé. C'est à vous, monsieur, qui voulez qu'on se laisse toujours conduire, et qui désapprouvez ordinairement tout ce que l'on propose, de suggérer présentement les moyens de redresser les affaires ; à quoi de mon côté je contribuerai tout ce que l'on peut désirer d'un serviteur du roi parfaitement fidèle et zélé. Mais vous me permettrez de vous donner confidemment à connoitre que je ne crois pas que les services que j'ai rendus et tâché de rendre au roi lui permettent d'avoir de moi les mêmes sentiments qu'il semble par votre lettre que vous avez, je veux dire que je sois si intéressé, privé d'honneur et même lâche, que pour obliger le roi à ce que je désirois, je puisse faire naître des difficultés, ou contribuer à ce que d'autres en fassent. Et encore que l'on pourroit prétendre vouloir donner de moi de semblables impressions à Sa Majesté, je ne crains nullement que l'on en vienne à bout ; et quand rame cela seroit, je ne laisse, rois pas pour cela de faire ce que je dois. C'est de quoi je vous prie d'être persuadé et d'assurer, s'il vous plaît, le roi ; Il est aisé de juger en quel embarras d'esprit se trouve M. de Cologne, lorsqu'il voit tous ses États ruinés, sur le point d'être perdus, et nul moyen d'entretenir ses troupes et de subsister pour sa propre personne ; et tout cela non pas par sa faute, mais par celle de ceux qui veulent que tout se règle par leur opinion particulière plutôt que selon le véritable état des affaires. En vérité, belle campagne et bon succès que les grands soins qu'on a pris de mécontenter le monde auront produits ! Je vous fais juge si on ne veut pas forcer ce pays d'embrasser tout à fait les intérêts des ennemis du roi, dans l'espérance de trouver par là leur repos ; car tout le monde ne s'étourdit guère du bruit que l'on sera traité en ennemi, lorsqu'il est déjà traité en cette qualité. Je souhaiterois de tout mon cœur que je puisse m'entretenir une demi-heure avec vous, et je suis assuré que vous seriez d'accord avec moi que ce style de parler ne procure autre avantage au roi que de cabrer tout le monde coutre lui. L'embarras d'affaires, où vous vous pouvez aisément imaginer que je suis, ne me permet pas de vous en dire davantage pour cette fois, ni de vous faire de 'grands compliments pour vous assurer que, de tous ceux que vous pouvez honorer de votre appui et de votre amitié, il n'y en a assurément pas un qui soit aussi véritablement que moi, etc.[135].

Il est certain que la situation de l'Électeur de Cologne était bien précaire. Louvois lit encore un effort pour engager Turenne à tenter, du côté de l'Électorat, une marche que Turenne jugeait impossible. C'était le même débat qu'à la fin de la campagne précédente ; mais les rôles étaient changés. Louvois poussait à l'action ; il se fondait sur l'inconvénient de laisser l'année de l'Empereur maitresse de l'Allemagne, les alliés du roi sans défense, etc.[136]. Turenne renvoyait au ministre ses arguments d'autrefois : la mauvaise saison, les mauvais chemins, le manque de vivres, la fatigue des troupes, la nécessité de leur donner du repos[137]. Turenne l'emporta cette fois comme l'autre. Louvois écrivait, le 19 décembre, à Courtin : Personne ne doute de l'avantage qu'il y aurait de pouvoir tomber présentement sur les Impériaux ; mais ceux qui commandent les armées disent que vingt lieues de marche en cette saison détruiroient plus une armée que la perte d'une bataille ; sur quoi personne n'étant en état de répliquer, il faut remettre la partie au printemps prochain. Déjà, quinze jours auparavant, Louvois avait envoyé à Turenne les ordres nécessaires pour séparer les troupes et leur donner des quartiers en Alsace et en Lorraine. Je finirai celle-ci, lui disait-il[138], par les assurances que je vous donne que personne n'aura plus de joie que moi de vous revoir en bonne santé, ni désire davantage de vous rendre ses humbles services. On verra bientôt si Turenne apportait à Louvois des dispositions aussi amicales ; mais il faut auparavant suivre jusqu'au bout les derniers événements de la campagne.

Après la prise de Bonn, les généraux alliés avaient tenu conseil sans parvenir à se mettre d'accord. Lassé de toutes ces discussions inutiles, Montecucculi avait brusquement rompu les conférences, et s'en était allé à Vienne, en laissant à ses lieutenants l'ordre de ramener son armée sur la rive droite du Rhin. On croyait que le prince d'Orange, malgré son dépit, avait pris le parti de retourner en Hollande, lorsque des lettres du duc de Luxembourg, qui était déjà arrivé à Maëstricht avec les troupes qu'il ramenait en France, annoncèrent qu'il avait devant lui, sur la grande chaussée de Maëstricht à Charleroi, le prince d'Orange et le comte de Monterey, déterminés, comme il semblait, à lui barrer le passage. Aussitôt ces nouvelles reçues, Louvois écrivit Luxembourg que des ordres étaient expédiés pour faire assembler sous Charleroi une armée de vingt mille hommes de pied et de dix mille chevaux, qui allait dans quelques jours marcher à sa rencontre, sous les ordres de M. le Prince et de M. de Turenne[139]. Ni l'un ni l'autre n'eurent besoin de se remettre en campagne. Au premier bruit de la formation d'une armée française sur la Sambre, le prince d'Orange et le comte de Monterey avaient compris le danger de se trouver pris entre deux feux, et s'étaient retirés, après avoir fatigué inutilement leur infanterie et ruiné leur cavalerie dans les boues[140]. Vers le milieu du mois de janvier 1674, Luxembourg rentrait à Charleroi, sans autre difficulté que celle d'une marche pénible.

La campagne de 1673 était terminée, mais non pas à l'avantage de la France. La déclaration de l'Empereur et de l'Espagne, la tiédeur, le découragement ou la faiblesse des alliés du roi, la prise de Naerden, les manœuvres de Montecucculi, sa jonction avec le prince d'Orange, la prise de Bonn, l'interruption des libres communications par le cours du Rhin, l'abandon d'Utrecht et de tant d'autres places, et pour ainsi dire la résurrection de la Hollande, avaient entièrement effacé le souvenir de la conquête de Maëstricht. En réalité, pour un observateur impartial, la France n'avait fait que des pertes sans grande importance ; elle gagnait au contraire à resserrer ses positions et à ramasser ses forces ; cependant, par l'émotion des esprits au dedans et au dehors, elle était moralement affaiblie. Ses ennemis avaient trop de confiance pour quelques succès ; ses peuples, trop d'inquiétude pour quelques disgrâces ; mais ces excès de confiance et d'inquiétude étaient un grand mal.

Les erreurs de l'opinion sont terribles ; quelquefois elles emportent, dans leur aveugle fureur, les gouvernements tout entiers ; quelquefois elles se contentent d'une seule victime. Louvois était menacé d'être cette victime expiatoire ; chacun se déchargeait sur lui de ses fautes ou de ses mécomptes. Au-dessus de la foule variable et ingrate qui le poursuivait de ses ressentiments, comme six mois auparavant elle le poursuivait de son enthousiasme, au-dessus même des courtisans intrigants et jaloux, il voyait se former contre lui une coalition puissante. Colbert ne lui avait jamais pardonné son rapide essor. Pomponne, doux et timide, avait longtemps souffert en silence son intervention despotique dans les affaires étrangères ; mais enfin, se sentant soutenu, il commençait à se plaindre ; il reprochait à Courtin son commerce avec Louvois. Il est vrai que Louvois ne ménageait guère sou collègue, et qu'en le dépouillant, il ne lui épargnait pas les sarcasmes. Il y a déjà du temps, écrivait-il à Courtin, que M. de Pomponne est travaillé de la maladie de vouloir faire sa charge et d'empêcher que personne ne s'en mêle ; et soit que son humeur appréhensive lui fasse craindre qu'il ne la fait pas bien, ou qU'il lui revienne quelque chose' de ce qui s'en dit dans le public, il est devenu depuis quelque temps fort fâcheux sur cela[141].

Le plus redoutable ennemi de Louvois, Turenne, était revenu mécontent de tout le monde, du ministre qui ne lui avait pas donné assez de troupes ; de Montecucculi qui n'avait pas voulu se faire battre, et dont les manœuvres avaient été plus savantes ou plus heureuses que les siennes ; de lui-même enfin, qui s'était laissé tromper, et qui ne se sentait pas assez au-dessus du blâme pour le dédaigner. A son retour, il avait trouvé un autre mécontent, le prince de Condé, humilié du rôle qu'on l'avait forcé de jouer pendant toute la campagne. Turenne, aigrissant les ressentiments du prince, lui persuada de se joindre à lui pour accuser devant Louis XIV le ministre présomptueux et détesté qui était l'auteur de toutes les taules- dont la gloire du roi commençait à souffrir. Appuyés par Colbert et Pomponne, soutenus par l'opinion de la cour et de la ville, Turenne et M. le Prince étaient presque assurés d'obtenir son renvoi. Jamais, dans sa longue carrière, la fortune de Louvois ne fut plus sérieusement menacée. Livré à lui-même, à la fierté de son caractère indomptable, il eût peut-être succombé ; son père le sauva. Le Tellier, rompu aux intrigues, pénétra celle-ci ; il courut au prince de Condé, fit valoir les services que lui-même et son fils lui avaient rendus, réveilla sa jalousie contre Turenne, lui montra le danger d'une victoire dont son allié, redevenu promptement son rival, lui déroberait tous les fruits ; il lui promit, pour la prochaine campagne, une ample réparation des griefs dont il croyait avoir à se plaindre ; enfin, il le détacha complètement de la ligue.

Turenne, demeuré seul, ne laissa pas de faire ses plaintes au roi ; mais la défection du prince de Condé ne lui permettait plus d'espérer un succès complet ; tout ce qu'il obtint ce fut d'avoir, en dehors de sa correspondance officielle avec le ministre, une correspondance directe avec le roi, par l'entremise du cardinal de Bouillon, son neveu. Il obtint aussi que Louvois vint lui faire ses soumissions. Imposée par Louis XIV, conseillée par Le Tellier, cette démarche, qui était comme une capitulation, coûtait beaucoup à l'orgueil de Louvois ; il la fit cependant. Turenne nous en a laissé le procès-verbal, entaché peut-être de partialité, dans la lettre suivante adressée à Louis XIV : Sire, afin de faire connoitre à Votre Majesté que ce n'est pas à Paris, où je vais aujourd'hui faire mes dévotions et où je demeurerai peu, que l'on m'a donné des impressions, je lui dirai que M. le marquis de Louvois vint me voir hier, que j'irai chez lui dès que je serai de retour, et que j'en userai fort civilement avec lui. Il m'a avoué que l'on a eu beaucoup de temps pour sauver Bonn, avec quatre ou cinq mille hommes, et par là toutes les affaires. Nous sommes entrés dans de grands détails, avec beaucoup d'honnêteté et de dissimulation de son côté. Je savois parfaitement, il y a deux jours, comme s'étoit passé l'accommodement de M. le Prince avec M. Le Tellier, et comme M. le marquis de Louvois y est entré, et les raisons que l'on lui a dites pour cela. Comme j'aurai l'honneur de pouvoir parler à Votre Majesté ici, et de lui écrire quand elle sera éloignée, je lui dirai ou lui ferai savoir les pas que M. de Louvois continuera à faire pour entrer dans les sentiments de son père, lequel n'a jamais pardonné ; et cela joint avec la hauteur et l'ambition du fils, Votre Majesté peut bien juger du danger où est un homme éloigné, et quel est le précipice qu'il voit à chaque pas devant soi, puisque étant près, il a remarqué quantité de petits endroits qui ne l'assurent que trop de cette vérité-là[142]. Ce n'était pas un traité de paix, tant s'en faut ; mais c'était, pour un temps, la cessation des hostilités.

Louvois entrait dans l'année 1674, comme Louis XIV lui-même, avec la nécessité de rétablir sa fortune. Le bruit de sa disgrâce s'était rapidement propagé en France et à l'étranger ; sans rien démentir, il répondit à Courtin, qui s'était empressé de lui écrire au sujet de ces rumeurs[143] : Les bruits que vous dites qui ont couru sur mon chapitre sont bien effectifs de l'inquiétude des courtisans, qui, après m'avoir mis, un an durant, au-dessus de tout le monde, m'ont fait la grâce de me disgracier, sans que j'aie bougé de ma place[144].

On ne se douterait pas, en lisant sa correspondance officielle, toujours aussi active, aussi variée, aussi nette, des combats qui durent se livrer dans son âme pendant cette crise ; il n'y a pas trace de préoccupation personnelle. Le ministre avait failli être précipité du pouvoir : le service du roi n'avait pas reçu la moindre atteinte.

 

 

 



[1] 27 novembre 1672. D. G. 280.

[2] Turenne à Louvois, 9 décembre. D. G. 281

[3] Condé à Louvois, 12 déc. D. G. 281.

[4] M. le Duc à Louvois, 1er décembre. — Louvois à M. le Duc, 6 décembre. D. G. 281.

[5] Louvois à Condé, 25 janvier 1673. D. G. 314.

[6] Ces places appartenaient aux Espagnols.

[7] Vauban à Louvois, 19 janvier 1673. D. G. 357.

[8] 24 janvier 1673. D. G. 301 et 337.

[9] 28 avril 1673. D. G. 313.

[10] Louvois à Stoppa, 31 mars. D. G. 314.

[11] 14 mars 1673. D. G. 314 et 533.

[12] Luxembourg à Louvois, 24 janvier 1673. D. G. 332.

[13] 27 janvier. D. G. 332.

[14] Février. D. G. 332.

[15] Luxembourg à Louvois, 28 mars 1673. D. G. 333. — Il est question des États de la province d'Utrecht.

[16] Le patagon valait à peu près un écu de France.

[17] Le mot frère est sans doute un lapsus ; il faut lire père.

[18] D. G. 337. — Comparer le récit des mêmes faits, dans l'Advis fidelle aux véritables Hollandois, p. 19 et suivantes. — Voir aussi, à la fin du même ouvrage, les protestations multipliées des États de la province d'Utrecht, p. 73-192.

[19] D. G. 338.

[20] Louvois à Robert, 27 avril. D. G. 315.

[21] 28 avril. D. G. 334.

[22] Louvois venait de partir avec le roi pour l'expédition de Maëstricht : il écrivait cette lettre à Péronne.

[23] 6 mai 1675. D. G. 315.

[24] Louvois à Rochefort, 11 fév. 1673. D. G. 314.

[25] Louvois à Luxembourg, 23 fév. D. G. 332.

[26] Louvois à Luxembourg, 27 janvier. D. G. 332.

[27] Robert à Louvois, 14 février. D. G. 337. — On lit dans l'Advis fidelle aux véritables Hollandois, p. 31 : J'espère que M. Stupe ne trouvera pas mauvais qu'on lui rende ce témoignage qu'il n'a jamais voulu prendre part aux excès qui se sont commis dans la ville d'Utrecht, et qu'au contraire, en protestant que le roi son maitre lui donnoit de quoi subsister honorablement, il n'a jamais voulu prendre des présents, de quelque nature qu'ils fussent, directement ou indirectement, de peur qu'on ne lui pût un jour reprocher d'avoir profité des misères des habitants d'Utrecht, dont il a toujours eu horreur, et dont il a toujours condamné les auteurs.

[28] Luxembourg à Louvois, 21 avril et 5 mai. — Louvois à Luxembourg. 28 avril. D. G. 334.

[29] Luxembourg à Louvois, 28 mars. D. G. 333.

[30] Louvois à Robert, 23 mars. D. G. 314.

[31] 1er avril. D. G. 315.

[32] 30 mars. D. G. 314.

[33] 28 avril. D. G. 315.

[34] Luxembourg à Louvois, 5 avril. D. G. 333.

[35] 5 mai. D. G. 334.

[36] On trouve en effet, dans les mois de mai et de juin, une certaine correspondance plus que familière, échangée entre Louvois, Luxembourg et le marquis de La Vallière, leur ami commun.

[37] 25 avril. D. G. 334.

[38] 5 et 8 mai. D. G. 315.

[39] Condé à Louvois, 19 mai. D. G. 334. — Louvois s'empressa d'écrire à Robert : Il ne faut omettre aucun soin ni sévérité pour tâcher de tirer du pays tout le plus d'argent que faire se pourra, à quoi vous n'aurez pas grande difficulté, puisque M. le Prince m'a assuré, par sa dernière lettre, qu'il alloit prendre son front d'airain et qu'il seroit impitoyable. 27 mai. D. G. 315.

[40] Louvois écrivait à Hubert, le 5 juillet : Il ne faut pas souffrir que les troupes manquent de vaches ; le roi aimant mieux que les habitants se plaignent, que d'apprendre que ses troupes soient dépéries, et je dois vous dire que ce n'est pas sur ce chapitre qu'il faut épargner les violences, mais bien empêcher que les troupes ne fassent des désordres dont Sa Majesté reçoit fort souvent des plaintes, à quoi je vous prie de tenir toujours la main. D. G. 316.

[41] Condé à Louvois, 23 juin. D. G. 335.

[42] Condé à Louvois, 16 juin. D. G. 335.

[43] Condé à Louvois, 9 juin. D. G. 335.

[44] Turenne à Louvois, 25 avril 1673 : Il me paroît que, quelques troupes qu'il y ait dans Maëstricht, il faut l'assiéger, la raison que le roi avoit, l'adnée passée, de marcher promptement en Hollande ne subsistant plus. — 16 mai : Je pense que le roi commandera qu'il marche plus d'infanterie de cette armée pour le siège de Maëstricht, étant raisonnable, à mon avis, qu'il n'y ait que cette entreprise-là qui se fasse en ce temps-là. D. G. 346.

[45] Louvois à l'évêque de Strasbourg, 6 et 27 mai 1673. D. G. 315.

[46] Louvois à Rochefort. 21 avril. D. G. 315.

[47] Louvois à Turenne, 27 mai. D. G. 315.

[48] Mémoire sur la campagne de 1673. Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 319.

[49] Louvois à Le Tellier, 24 juin. D. G. 315.

[50] Ce jeune ingénieur, de grande espérance, fut tué précisément au siège de Maëstricht.

[51] Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 349.

[52] Mémoires inédits du comte d'Aligny. Il était alors officier subalterne dans les mousquetaires.

[53] Fragment du journal du siège de Maëstricht, cité par le colonel Augoyat : Abrégé des services du maréchal de Vauban. Paris, 1839.

[54] 23 juin. D. G. 335.

[55] Vauban à Louvois, rapport du 22 juin. D. G. 338.

[56] Louvois à Turenne, 25 juin. D. G. 315.

[57] Le régiment du roi fut le plus maltraité : cinquante-trois officiers tués ou blessés, deux cents soldats tués, trois cents trente blessés ; puis le régiment Dauphin ; quarante officiers et trois cents soldats tués ou blessés. Œuvres de Louis XIV, t. III, p 568. — Louvois avait donné tous ses soins ü l'installation de l'hôpital ; rien n'y manquait. Citons le témoignage d'un officier : Je ne saurais dire autre chose de cet hôpital, sinon que si j'avois été dans la maison de ma mère, qui eût eu vingt mille livres de rente, avec la meilleure volonté du monde, je n'aurois pas mieux été ; tous les officiers de même, et les soldats à proportion. Mémoires du comte d'Aligny. — Ce n'est pourtant pas tin ami de Louvois qui parle, tant s'en faut.

[58] Louis XIV à Colbert, 11 juin. Œuvres, t. III, p. 411.

[59] 4 juillet. Œuvres, t. III, p. 412.

[60] 4 juillet. D. G. 335.

[61] Louvois à Carpatry, 1er août. D. G. 305.

[62] Louvois à Le Tellier, 10 août. D. G. 305.

[63] 1er oct. 1674. D. G. 382.

[64] D. G. 316.

[65] Louvois à Turenne, 10 juil. D. G. 316.

[66] 18 juil. D. G. 335.

[67] Le roi et Louvois à Condé, 29 juil. D. G. 316 et 335.

[68] Louvois à Luxembourg, 29 juil. D. G. 316.

[69] Louvois à Vauban, 2 août : Il faudra aller à Brisach et à Phalsbourg, du soin desquels on me vient de charger, quoi que j'aie pu faire pour m'en exempter. D. G. 305 — Voici la réponse de Vauban, 10 août : Je ne semis, monseigneur, nie réjouir de vous voir encore chargé des fortifications de Brisach et de Phalsbourg ; j'y prévois tant de soins pour vous et tant de peine et de fielleux voyages pour moi, que cela me fait peur. Si vous nie voulez faire l'honneur de m'en croire, nous nous vengerons de ceux qui nous ont procuré cet emploi, en proposant au roi une dépense de 4 ou 500.000 écus, moyennant quoi vous ferez la meilleure place du monde de Brisach. D. G. 359.

[70] Mémoire de 1673, Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 400.

[71] Louvois à Turenne, 30 août. D. G. 316.

[72] Rochefort à Louvois, 2 sept. D. G. 348.

[73] Louis XIV à Louvois, 7 sept. autographe. D. G. 348.

[74] 20 août. D. G. 316.

[75] 16 août. D. G. 316.

[76] Louvois à Robert, 7 sept. D. G. 316.

[77] Louvois à Le Tellier, 10 sept.

[78] Louvois à Le Tellier, 13 sept.

[79] 16 sept. D. G. 348.

[80] 21 sept. D. G. 316.

[81] Louvois à Courtin, 25 sept.

[82] 12 sept. D. G. 306.

[83] Louvois au prince de Fürstenberg, 5 octobre. D. G. 317.

[84] Louvois à Courtin, 8 oct. D. G. 317.

[85] 16 nov. 1673. D. G. 317.

[86] Stoppa à Louvois, 7 sept. D. G. 336.

[87] 12 sept. D. G. 336. — Outre cette lettre confidentielle et autographe, il y a une autre dépêche officielle du même jour.

[88] Louvois à Luxembourg. 18 sept. D. G. 316.

[89] Louvois à Condé, 13 et 17 septembre.

[90] 13 sept. D. G. 316.

[91] Luxembourg à Louvois, 15 et 18 sept. D. G. 336.

[92] Condé à Louvois, 27 sept. D. G. 312.

[93] On lit encore dans une lettre de Louvois à Luxembourg, du 5 octobre : J'attends avec impatience des nouvelles du jugement du sieur Dupas ; il est de la dernière importance pour le service de Sa Majesté, de faire un exemple de cette infamie, et puisqu'on ne peut pas empêcher qu'un François ne l'ait commise, de faire au moins connoitre à tout le monde qu'on ne la souffre pas impunie. D. G. 317. — Louvois écrivait aussi à Gaudin, le 21 septembre. La reddition de Naerden est use infâme chose. Le roi a commandé que l'on fit le procès au sieur Dupas ; mais le sang de ce misérable ne rendra pas Naerden et n'empêchera pas que les armes du roi n'aient reçu un fort vilain affront. D. G. 316.

[94] 20 septembre. — Le roi à Luxembourg, même date ; avec l'ordonnance pour la convocation du conseil de guerre. D. G. 316.

[95] Luxembourg à Louvois, 7 nov. D. G. 336.

[96] 18 nov. D. G. 317.

[97] Luxembourg à Louvois, 15 sept. D. G. 336.

[98] Louvois à Luxembourg, 20 sept. D. G. 316.

[99] D. G. 317.

[100] 30 août, 19 et 27 sept. Lettres originales. D. G. 312.

[101] 13 sept. D. G. 316.

[102] Louvois à Rochefort, 20 février 1673. — Louvois à Vaubrun, 21 février, 4, 5 et 11 mars. D. G. 314. — Voir aussi, de janvier à mars, un grand nombre de lettres de l'intendant de Bourgogne Bouchu, de Gourville et du marquis de Vaubrun. D. G. 344-345.

[103] D. G. 316.

[104] Louvois à Condé, 25, 26, 28 sept. D. G. 310. — Louvois à Le Tellier, 27 sept. D. G. 306.

[105] Condé à Louvois, 25 sept. D. G. 312.

[106] Louvois à Rochefort, 16 oct. D. G. 317.

[107] Louvois à Condé, 16, 18, 20 et 22 oct. D. G. 317.

[108] Condé à Louvois, 6 octobre. D. G. — Cravate, cavalier légèrement équipé et monté, faisant le service de batteur d'estrade et d'éclaireur.

[109] 9 avril 1673. D. G. 346.

[110] Louvois à Turenne, 22 avril. D. G. 315.

[111] Louvois à Camus de Beaulieu, 6 juillet. D. G. 316. — Il lui écrivait encore le 9 octobre : Vous pouvez être fissuré que M. de Turenne ne saura jamais que vous me tourniez, aussi particulièrement que vous faites, le détail de ce qui se passe ; ainsi vous pouvez continuer en toute sûreté. D. G. 317.

[112] Turenne à Louvois, 18 juil. D. G. 347.

[113] Louvois à Turenne, 5 juillet : Le roi a vu, par le mémoire ci-joint, les plaintes que l'on fait du désordre que les troupes de l'armée que vous commandez ont commis en passant dans le comté de Hackenbourg ; sur quoi Sa Majesté m'a ordonné de vous faire savoir que, suivant ce qu'elle vous a déjà fait mander, elle souhaite que vous teniez la main à ce que ses troupes rivent oses une meilleure discipline dans les pays où elles iront, et je suis obligé de vous dire que, comme ces plaintes lui font beaucoup de peine, elle aura bien agréable que vous conteniez ses troupes de sorte qu'elle n'en reçoive plus de cette nature. D. G. 316.

[114] Turenne à Louvois, 29 août. D. G. 347.

[115] 9 et 22 sept. D. G. 316.

[116] Louvois à Turenne, 9 sept. D. G. 306 et 316.

[117] 15 sept. D. G. 348.

[118] Beaulieu à Louvois, 12 septembre. — Beaulieu ajoute ce détail : Tous les officiers disent qu'il ne manque pas un cavalier ni un soldat dans les rangs, à la réserve de deux du régiment de La Ferté qui ne s'y trouvèrent point. Comme on les vit paroitre dans le moment qu'on dit que les ennemis s'étoient retirés, tous les soldats du bataillon ne voulurent pas les y laisser entrer. On les fit prendre, et on les remit au prévôt.

[119] Turenne à Louvois, 12, 13, 14 sept. — Beaulieu à Louvois, 13 sept.

[120] Louvois à Turenne, 15 sept. D. G. 316.

[121] Louvois à Turenne, 26 sept. D. G. 316.

[122] 9 octobre. D. G. 317. — Ordre était donné à l'intendant de dédommager le munitionnaire au moyen d'une retenue sur la solde et les appointements de toute l'armée.

[123] 16 octobre. D. G. 348. — On lit dans une lettre de Chamlay à Louvois, du même jour : Cette marche imprévue à laquelle M. de Turenne ne s'attendoit point, et à laquelle il ne pouvoit et ne jugeoit pas même à propos de remédier, dans la nécessité fielleuse et embarrassante il se trouvoit, de ne pouvoir mettre aucunes farines devant soi, et de ne pouvoir faire amas de pain pour trois jours, etc. D. G. 348.

[124] 26 oct. D. G. 317.

[125] Beaulieu à Louvois, 28 oct. D. G. 348.

[126] Cette expression est répétée trois fois en quelques lignes.

[127] Turenne à Louvois, 26, 29 et 31 oct. D. G. 348.

[128] Turenne à Louvois, 14 nov. D. G. 349.

[129] D. G. 317.

[130] Condé à Louvois, 21 oct. D. G. 312.

[131] Louvois à Luxembourg, 21 et 25 octobre. — Louvois à Condé, 22 octobre. — On lit dans la dépêche du 25 à Luxembourg : Quand je vous ai dit ci-dessus, 534 compagnies françoises ou la valeur, c'est que Sa Majesté compte une compagnie suisse pour quatre compagnies françoises et une compagnie angloise, écossoise et italienne pour deux. D. G. 317.

[132] Journal du siège de Bonn, du 6 déc. D. G. 349.

[133] Courtin à Louvois, 21 oct. D. G. 348.

[134] Luxembourg à Louvois, 13 nov. D. G. 346.

[135] Guillaume de Fürstenberg à Louvois, 7 novembre 1673. — Courtin fournit à Louvois un moyen de calmer l'irritation du prince Guillaume. Le prince était passionnément amoureux de la comtesse de la Marck : Ç'a été, disait Courtin, un grand bonheur pour nos affaires ; car je crois pie, sans cet amour, il ne seroit pas demeuré auprès de M. de Cologne. Il ne s'agissait que d'exempter de la contribution les terres de la comtesse, que le commandant de Thionville avait imposées. Mettez-vous, s'il vous pie, à la place de ce pauvre prince, continuait Courtin, et considérez un peu ce que vous souhaiteriez qu'on fit si on vouloit rainer par la contribution une personne que vous aimeriez fort. Vous obligerez encore M. Spaar, un de nos médiateurs, qui n'est pas moins amoureux que M. le prince Guillaume. Courtin, en très-habile homme, qui ne néglige aucun argument, ajoutait que la comtesse disait du roi que de tous les hommes qu'elle avait jamais vus, c'était celui qui lui avait plu davantage. Courtin à Louvois, 25 nov. D. C. 549. — Inutile de dire que Courtin gagna sa cause.

[136] Louvois à Turenne, 14 et 17 nov.

[137] Turenne à Louvois, 10, 14, 18, 30 nov., 5 déc.

[138] 4 décembre. D. G. 317.

[139] 28 et 31 déc. 1673.

[140] Louvois à Rochefort, 15 janv. 1674. D. G. 379.

[141] 17 décembre 1675. D. G. 309 et 317. — Il faut dire toutefois que dans cette même lettre, Louvois prenait contre Courtin la défense de Pomponne et qu'il ne se contraignait pas de faire la leçon à son ami : Il faut vous abstenir, dans la suite, de vous conduire tout à fait selon votre sens et être persuadé que, quoique les gens qui sont auprès du roi ne l'aient pas tout à fait si bon que vous, comme ils voient plus de choses et qu'ils ont les affaires générales devant les yeux, ils reconnoissent des inconvénients à des choses où il ne vous en paroit pas. Courtin était accusé d'avoir fait, de son chef, des ouvertures indiscrètes aux médiateurs suédois.

[142] Cette lettre, datée de janvier 1674, sans indication de jour, se trouve imprimée dans la collection des Lettres et mémoires de Turenne, t. II, p. 441, et dans les Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 424.

[143] Courtin à Louvois, 13 janvier 1674. — Je ne vous dis rien, monsieur, sur tous les bruits qui vous regardent, qui sont extrêmement répandus dans les pays étrangers, parce que je les crois sans fondement, et que je suis persuadé que vous ne doutez pas que je ne sois l'homme du monde qui prend une plus véritable part I tous vos intérêts. D. G. 410.

[144] 23 janv. 1674. D. G. 379.