Institutions militaires. — État de l'armée avant la réforme de 1668, Vénalité des charges. — Ses abus. — L'entretien des troupes partagé entre le roi et les officiers. — Négligence et malversations des officiers. — Abus des passe-volants. — Conséquences financières et militaires de cet abus. — Insouciance de Le Tellier. — Politique du cardinal Mazarin à l'égard des généraux. — Réclamations du marquis de Bellefonds. — Suppression de la charge de colonel général de l'infanterie. — Abaissement des autres grandes charges — Caractère et génie de Louvois. — Était-il possible de supprimer la vénalité des charges ? — La richesse plus considérée que la naissance. — Les officiers bourgeois. — Formation d'une compagnie. — Enrôlement. — Habillement. — Question de l'uniforme. — Armement. — Le mousquet et la pique. — Le fusil. — Réception de la compagnie. — Prime de levée. — Solde. — Traitement des capitaines. — Gratifications. — Ustensile. — Recherche et punition des passe-volants. — Punition des capitaines. — Les commissaires des guerres. — Affaire du commissaire Aubert. — Un passe-volant en 1676. — Punition des officiers de la garnison de Belle-Ile. — Révolte des officiers contre les commissaires. — Affaire du chevalier de Mauconseil. — Éducation militaire du soldat. — Le régiment du roi. — Création des inspecteurs. — Martinet. — Le chevalier de Fourilles. — Indiscipline des officiers. — Sévérité de Louvois. — Éducation des officiers. — Les cadets. — Cornettes ou enseignes. — Sous-lieutenants. — Lieutenants. — Le sergent est officier. — Il peut devenir lieutenant. — Belle action et avancement du sergent Lafleur. — Major. — Lieutenant-colonel. — Le colonel, premier capitaine du régiment. — Analyse de l'armée. — Maison du roi. — Gardes du corps. — Gendarmes et chevau-légers de la garde. — Mousquetaires. — Corps de la gendarmerie. — Régiments de cavalerie. — Infanterie. — Gardes françaises. — Gardes suisses. — Institution des grenadiers. — Ordre hiérarchique des régiments d'infanterie. — Les vieux et les petits-vieux. — Les régiments à nom fixe et à nom variable. — Avancement du régiment du roi. — Dragons. — Composition des armées. — Supériorité de la cavalerie sur l'infanterie. — Causes de cette supériorité. — Tactique. — Mousquetaires et piquiers. — Défense d'un bataillon contre un escadron. — Avenir de l'infanterie. — Disposition d'une armée. — Brigades. — Institution des brigadiers. — Maréchaux de camp. — Lieutenants généraux. — Ordre de bataille. — Première ligne. — Deuxième ligne. — Réserve. — Artillerie. — Son organisation spéciale. — Le grand maître. — Les officiers d'artillerie. — Batteries à l'entreprise. — Privilèges du grand maitre. — Louvois restreint son autorité. — Le duc de Mazarin. — Le comte du Lude. — Origine des troupes d'artillerie. — Le régiment des fusiliers. — Les bombardiers. — Rapprochement de l'artillerie et de l'armée. — Assimilation de grade. — Dumetz, maréchal de camp. — Les ingénieurs militaires. — Confusion dans le service ales fortifications. — Vauban. — Situation des ingénieurs. — Ils commencent à former un corps. — Vauban réclame la création d'une troupe spéciale pour le génie. — Attelages et transports. — Subsistances. — Magasins. — Avantages des armées françaises sur les armées étrangères. — Hôpitaux. — Sort des soldats estropiés ou infirmes. — Religieux lais. — Origine des Invalides. — Établissement de l'Hôtel des Invalides. — Les ordres réunis de Notre-Dame du Mont-Carmel et de Saint-Lazare. — Mérite de Louvois. La guerre de dévolution avait achevé de démontrer à Louvois les vices el les lacunes d'une organisation militaire qui passait cependant pour la meilleure de l'Europe. Celte supériorité relative ne lui faisait pas illusion ; dès son entrée aux affaires, il s'était proposé de mettre l'armée française au-dessus de toute comparaison, et son mérite hors concours. L'armée, telle qu'il l'avait trouvée en 1662, laissait fuit à désirer, sous beaucoup de rapports ; l'exception d'un petit nombre de corps, elle n'était ni permanente, ni régulière ; sans aucune exception, elle manquait de discipline. L'autorité royale était loin d'y être souveraine ; celle du secrétaire d'État de la guerre à peu près nulle ; celle des généraux, quand elle n'était pas fondée sur l'éclat du génie ou l'énergie du caractère, entravée par mille résistances subalternes. La hiérarchie des grades était confuse ou méconnue ; les rivalités aristocratiques y produisaient autant de désordre qu'aurait pu faire la démocratie la plus turbulente. Les causes de cette anarchie étaient multiples ; mais il y en avait une principale qui expliquait toutes les autres, un vice originel, la vénalité des charges militaires. L'armée n'appartenait pas exclusivement au roi ou à l'État ; elle appartenait, par parcelles, à tous les officiers, soit qu'ils eussent été gratifiés de leurs charges, soit qu'ils les eussent acquises à beaux deniers comptants. Un régiment, une compagnie d'infanterie ou de cavalerie, étaient une propriété aussi réelle, sinon aussi sûre qu'un moulin ou qu'un champ. Toutes les fois que les besoins de l'État exigeaient une augmentation de troupes, le secrétaire d'État de la guerre délivrait, au nom du roi, des commissions pour lever soit des régiments, soit des compagnies. Ces commissions, gratuitement accordées, devenaient, entre les mains de ceux qui en étaient nantis, de véritables titres de propriété. Les mestres de camp ou colonels dans leurs régiments, les capitaines dans leurs compagnies, disposaient à leur gré des charges inférieures, les donnaient ou les vendaient, selon la générosité de leur caractère ou les nécessités de leur bourse. Ce n'est pas que le trafic des grades subalternes fût légal ; les ordonnances l'interdisaient formellement ; mais il en était de ces ordonnances comme de celles qui exigeaient, pour l'exercice des emplois militaires dont la collation était abandonnée aux chefs de corps, la sanction royale, on tout au moins celle des colonels généraux de la cavalerie ou de l'infanterie. Tel était le désordre, à cet égard, que les intéressés eux-mêmes ne s'inquiétaient guère si leurs brevets étaient réguliers, ni même s'ils avaient des brevets ; possession vaut titre, disaient-ils, et ils ne s'en souciaient pas davantage. En 1665, le comte de Coligny écrivait à Louvois[1] : J'ai trouvé que presque tous les vieux officiers n'ont point de provisions, soit qu'ils les aient perdues, ou qu'ils aient négligé d'en prendre, dans un temps où on n'y prenoit pas garde de près, s'étant contentés de la parole de leurs mesures de camp ou de leurs capitaines, qui disposoient en ce temps-là des charges sans en parler à personne. Il n'est pas même certain que lorsqu'un mestre de camp voulait se défaire de son régiment, ou un capitaine de sa compagnie, il se mit toujours en peine d'obtenir l'agrément du roi ou du colonel général ; mais il est hors de doute qu'il aurait trouvé fort mauvais qu'on lui suscitât quelque difficulté sur le choix de son successeur ou plutôt de son acquéreur. Il y avait donc, pour les charges militaires, un marché constamment ouvert, et soumis, comme tous les autres, aux oscillations de la hausse et de la baisse. Au commencement ou dans le fort d'une guerre, ces valeurs d'un nouveau genre étaient très-recherchées et, par conséquent, très-chères ; au contraire, la fatigue des belligérants, les bruits d'accommodement, les suspensions d'armes, les dépréciaient sans mesure. La paix achevait de les anéantir ; car la paix, c'était la réforme, le licenciement sur une grande échelle. Un très-petit nombre de corps, les plus anciens, les premiers dans l'ordre hiérarchique[2], avaient seuls le privilège d'être toujours sur pied ; eux seuls constituaient l'armée permanente ; aussi se maintenaient-ils, en tout temps, à un prix très-élevé. Tous les autres pouvaient disparaître absolument, si la réforme était générale ; si elle n'était que partielle, les plus favorisés subissaient des réductions toujours considérables. Et comme les commissions primitives avaient été de pure faveur et toutes gratuites, l'État ne se croyait pas tenu d'indemniser ceux qu'atteignaient les ordonnances de licenciement. Ils avaient acquis, à leurs risques et périls, une propriété caduque ; c'était affaire à eux ; l'État n'avait rien à y voir. Malheureusement les intérêts de l'État n'étaient pas aussi bien garantis qu'on pourrait le croire ; il y avait mille fraudes et mille abus au moyen desquels les officiers, menacés d'expropriation, se dédommageaient d'avarice des inconvénients de la réforme. On veut parler ici, non des pillages et des extorsions qui désolaient les provinces du roi autant pour le moins que les pays ennemis, mais des désordres et des malversations que provoquait l'organisation défectueuse de l'administration militaire. Si l'on compare les budgets de la guerre au dix-septième siècle et au dix-neuvième, on est effrayé, à première vue, de l'énorme surcroît de charges qui pèse sur notre temps ; mais il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui l'État a pris à son compte toutes les dépenses de l'armée, tandis qu'autrefois il n'en supportait qu'une partie, le reste devant être acquitté par les officiers eux-mêmes. C'est là ce qui explique ce droit de propriété que l'État reconnaissait implicitement aux colonels sur leurs régiments, aux capitaines sur leurs compagnies. Le roi ne fournissait que la solde, qui était insuffisante : aux officiers, le soin de recruter eux-mêmes, d'équiper et de faire vivre leurs soldats, d'acheter et d'entretenir les chevaux, les habits ; les armes. Si le contrôleur général et le secrétaire d'État de la guerre passaient des marchés de fournitures, ils stipulaient, non pour le compte de l'État, mais simplement comme intermédiaires entre les fournisseurs et les officiers, auxquels ils assuraient l'avantage de pouvoir se procurer à tout instant, et moyennant un prix réglé, les objets dont ils avaient besoin pour l'entretien des troupes, les officiers toutefois restant parfaitement libres de profiter du bénéfice de ces marchés ou de se pourvoir ailleurs. L'administration, lorsqu'elle avait payé, plus ou moins régulièrement, la solde entre les mains du capitaine, se contentait d'un droit vague de surveillance, exercé, d'une façon illusoire, par les commissaires des guerres. Soit connivence chez le plus grand nombre, soit timidité chez le peu d'agents honnêtes à qui répugnait la fraude, mais qui ne se sentaient pas assez protégés contre les violences des officiers prévaricateurs, le désordre était au comble. Bien souvent, trop souvent, l'officier, se dérobant aux ennuis de la garnison, venait à Paris, sans congé, dissiper au jeu, en folles débauches, l'argent destiné au soldat ; tandis que ce pauvre misérable, frustré, mal vêtu, mal équipé, mal armé, surtout mal nourri, n'avait de ressource pour vivre que le pillage, le vol ou la désertion ; pour lui, les chances de chaque jour se résumaient dans cette alternative, mourir de faim ou se faire pendre. Telle est l'exacte vérité, même en 1668. Le 14 février de cette année, le marquis de Rochefort écrit à Louvois : La maladie cesse fort dans notre infanterie, mais la pourriture de leur habillement et de leurs chemises empêche les convalescents de se remettre. Je sais bien que les officiers ne s'y appliquent pas autant qu'ils devroient ni qu'ils pourvoient ; mais c'est un esprit qui règne tellement dans l'infanterie qu'il n'est pas possible de l'Ôter qu'avec le temps[3]. Le duc de Luxembourg est-il plus satisfait de ses officiers ? Il y en a, dit-il[4], dans le grand nombre, un petit dont je ne saurois vous dire que du bien ; niais je ne puis vous parler de même du reste ; car la plupart des gens se sont relâchés à un point qu'il n'y en a guère qui servent comme ils devroient. S'il n'y avoit que quelques particuliers qui se distinguassent à mal faire, on s'en pourroit prendre à eux ; mais c'est une négligence dans tous les corps, qui est presque générale. Il n'y en a quasi point, dans la cavalerie ni dans l'infanterie, qui ne laissent courre leurs cavaliers et leurs soldats partout où l'on voudroit qu'ils n'allassent point. Je leur dis qu'on s'en prendra aux officiers, que je vous manderai que ceux qui souffrent cela servent le plus mal du monde ; nous avons fait passer des gens par les armes ; demain nous en ferons pendre ; et tout cela ne peut remédier au plus grand libertinage que j'aie jamais vu. Les finances du roi étaient-elles plus respectées que le
denier du soldat ? Au premier rang des moyens coupables qu'employaient les
officiers, pour grossir leur bourse aux dépens de l'État, il faut mettre
l'industrie des passe-volants. C'étaient, le plus souvent, des valets
d'officiers, des marchands suivant les troupes, du des gens sans aveu, à qui
l'on mettait, pour la revue du commissaire, l'épée au côté, le mousquet sur
l'épaule ; il n'y avait pas à s'inquiéter de l'uniforme, puisque l'uniforme
n'existait pas encore. D'autres fois, c'étaient de vrais soldats que les
capitaines se prêtaient obligeamment et réciproquement les uns aux autres, et
qui passaient et repassaient ainsi sous les yeux des commissaires, comme ces
personnages de comédie qui remplissent successivement plusieurs rôles dans la
même pièce. Le recrutement abandonné aux soins des officiers, l'absence de
contrôle sérieux, la coutume de désigner les soldats, non par leurs
véritables noms, mais par des noms de guerre fort peu variés, favorisaient
singulièrement cet abus. Les inconvénients étaient de plusieurs sortes, mais
tous très-graves. Ainsi le roi, qui, sur les états de revue, trouvait la
compagnie complète, tenait compte au capitaine de soldats qui n'existaient
pas. Il me semble, disait M. de Luxembourg[5], qu'il faut se prendre directement aux capitaines de la
hardiesse qu'ils ont de montrer leurs compagnies si fortes pour le payement
et si foibles dans le service. Ce qui n'était qu'une dilapidation regrettable, en temps ordinaire, devenait, en temps de guerre, un sérieux danger. Entre l'effectif supposé d'après les contrôles et l'effectif réel, il y avait souvent une disproportion effrayante. Qu'on se figure la situation d'un général qui, croyant pouvoir disposer de dix mille hommes, n'en avait à mettre en ligne, dès le début d'une campagne, que cinq ou six mille. S'il s'inquiétait des autres, on les disait malades, et, après la première action de quelque importance, ces malades de fantaisie devenaient des morts imaginaires, parce que tout ce qui manquait à l'effectif normal des corps était exactement porté, par les officiers sur la liste des victimes de la guerre. Comme chacun veut profiter du malheur, écrivait au prince de Condé M. de La Feuillade (15 août 1675), ainsi les pertes passées et les malingres sont mis comme perdus. Il suivait de là que, dans les rapports d'un général après un combat, les pertes de ses troupes étaient encore plus exagérées que celles de l'ennemi, et que les corps les moins bien entretenus étaient ceux qui paraissaient avoir le plus souffert. Il suivait de là que l'opinion publique était surprise et que les faveurs royales s'égaraient sur les moins dignes. Comme la gloire est d'ordinaire et très-justement proportionnée au sacrifice, les régiments les plus glorieux étaient ceux qui s'étaient le plus sacrifiés eu apparence, tandis qu'en réalité leurs rangs incomplets avaient donné moins de prise aux coups de l'ennemi. C'était à eux qu'on réservait les meilleurs quartiers, les bonnes garnisons ; et leurs chefs recevaient des gratifications du Trésor, pour les aider à réparer des pertes qu'ils n'avaient pas faites. Quel exemple était-ce là pour les bons et rares officiers qui s'efforçaient loyalement de tenir leurs compagnies au complet, qui ne cherchaient à frauder ni le Trésor ni l'opinion, et qui cependant ne venaient qu'au second rang, parce qu'ils n'avaient eu ni la volonté ni l'art d'ajouter, par imagination, au triste nécrologe des champs de bataille ! Mais la mode était aux passe-volants ; on ne s'en cachait pas, on s'en faisait fête ; les plus habiles étaient les plus admirés ; c'était à qui, parmi la plus noble et la plus fière jeunesse, leur servirait de complice. Piémont, écrivait le comte de Coligny[6], a été plus malheureux que les autres, et ce qu'il a perdu étoit de ses meilleurs soldats ; néanmoins, ils trouvent des inventions de passer forts ; j'ai peur que les volontaires ne leur fassent quelques prêts de valets. Il ajoutait, quelques mois plus tard[7] : Tant que les volontaires ont été avec la cavalerie, on n'a jamais pu empêcher qu'ils ne l'aient servie de passe-volants. De tels abus, et mille autres, presque aussi graves, frappaient les moins clairvoyants. Comment Le Tellier, s'il n'avait volontairement fermé les yeux, aurait-il pu ne s'en pas apercevoir ? Avant d'être secrétaire d'État, il avait vécu, pendant qu'il était intendant de l'armée en Piémont, au milieu de tous ces désordres ; et cependant il les ménageait ou les combattait mollement. C'est qu'il était avant tout un politique prudent, tout préoccupé de se maintenir en équilibre et de se faire le moins d'ennemis possible ; non qu'il dédaignât ou qu'il refusât la lutte, quand il la croyait nécessaire à ses intérêts ; mais il n'aimait et ne pratiquait que la Iode souterraine, patiente, dissimulée, sans éclat, si ce n'est au dénouement, comme l'explosion d'une mine. Les questions d'administration proprement dite ne le, touchaient guère, non plus que la gloire des réformes ; il évitait ou il tournait les difficultés, sans les résoudre. D'ailleurs, habile à se modeler sur le cardinal Mazarin, son guide et son patron, il le savait indifférent, c'est peu dire, complaisant aux friponneries des officiers. Le cardinal avait au moins le mérite logique de n'exiger pas des autres plus de probité qu'il ne s'en imposait lui-même. Le témoignage d'un honnête homme, franc et désintéressé, ne permet à ce sujet aucun doute. Voici ce que le marquis de Bellefonds écrivait à Louvois en 1668[8] : M. le Cardinal a si fort autorisé ces abus que vous aurez besoin d'une extrême application pour remettre les choses dans l'ordre. La grande préoccupation de Mazarin était, non pas que les généraux eussent les mains nettes, mais qu'ils ne les eussent pas assez libres pour manier l'épée leur guise. Les souvenirs de la Fronde le poursuivaient et lui donnaient une égale appréhension de M. le Prince qui l'avait jeté bas et de M. de Turenne qui l'avait relevé. Toute sa politique à l'égard de l'armée se réduisait à cette formule : restreindre l'autorité des généraux, leur enlever toute initiative. M. de Bellefonds se plaignait amèrement de cette politique, dans une dépêche qu'il adressait à Louvois pendant la guerre de Flandre, et qui mérite d'être citée tout entière[9] : Je ne me lasserai point de vous dire qu'il faut, sur ces frontières, donner de l'autorité à ceux qui y doivent commander ; il leur faut de la confiance. Faites-vous informer de ce qu'étoient les officiers généraux ; remettez-les dans les mêmes fonctions, et ne les laissez pas dans l'anéantissement où les défiances de M le Cardinal les avoient réduits. Peut-être que cc règne n'est pas si malheureux qu'il ne se trouve des sujets qui puissent l'emplir ces postes avec la satisfaction du roi et l'avantage de ses affaires. J'oserai même vous dire une chose, qu'une petite faute d'un homme qui en sera chargé, préjudiciera moins au service que la langueur de ceux qui ne répondent de rien, et qui ont toujours sur qui se décharger des accidents qui arrivent ou des mesures qui n'ont pas été bien prises. Le gouvernement du roi réveille assez les gens de notre métier, l'on a assez d'expérience des grâces qu'il répand pour songer à les mériter, et si jamais l'on a dû espérer que les sujets se conformassent aveuglément aux volontés de leur maitre, ce doit être aux volontés d'un maitre fait comme celui-ci. L'habileté de la forme n'enlève rien à l'énergie de la protestation ; mais il ne faut pas se faire, sur la valeur de cette protestation, plus d'illusion que ne s'en faisait sans doute M. de Bellefonds lui-même. Pressé par cette franchise indomptable et souvent indiscrète qui fait de lui un personnage original, il obéissait à sa conscience bien plutôt qu'à l'espoir du succès, sachant très-bien qu'il prêchait des incorrigibles, mais se donnant la satisfaction morale de leur infliger son sermon. Il y avait plus de six ans que Mazarin était mort, et son héritage politique n'était pas pour s'amoindrir entre les mains de légataires tels que Louis XIV et Louvois. L'armée avait appris de bonne heure qu'elle ne devait plus avoir qu'un seul chef, le roi. Au mois de juillet 1661, à la mort du dernier duc d'Épernon, la charge de colonel général de l'infanterie fut supprimée. C'était la plus grande des charges militaires, depuis trente ans surtout, que l'épée de connétable avait été brisée par le cardinal de Richelieu. Dans l'infanterie, tous les grades, toutes les existences dépendaient du colonel général ; il n'était pas seulement le chef de l'arme dans son ensemble, il était le chef de chaque régiment en particulier ; dans chaque régiment, la première compagnie lui appartenait ; elle était la compagnie colonelle. Aussi bien, Louis XIV qui supprimait la charge, n'en supprima pas toutes le-prérogatives ; il se les attribua, tant elles étaient réelles et sérieuses. Désormais, tous les officiers d'infanterie, depuis le colonel jusqu'à l'enseigne, durent être nommés ou agréés par le roi, tous les brevets dressés et signés par le secrétaire d'État de la pierre. Deux autres grandes charges restaient encore, presque aussi considérables, celle de colonel général de la cavalerie et celle de grand maître de l'artillerie. L'importance des personnages qui en étaient revêtus, M. de Turenne et le duc de Mazarin, les grands services de l'un, le grand nom de l'autre, les sauvèrent d'une ruine totale ; elles continuèrent d'exister, moralement affaiblies par la chute de la première, lentement, mais incessamment envahies par la persévérante usurpation de Louvois, privées de leurs droits essentiels, réduites à leurs privilèges extérieurs et honorifiques. Ainsi se trouvait réalisé le vœu des deux cardinaux ministres, la concentration du pouvoir militaire dans la main du roi. L'œuvre toutefois était-elle complète ? Ce pouvoir militaire concentré dans la main du roi, sur qui s'exerçait-il ? On le sait, sur une année sans organisation et sans principes, sans unité comme sans discipline. C'est ici que commence le labeur de Louvois, labeur héroïque, travail d'Hercule, — poursuivi et accompli après trente années de lutte et d'efforts sans relâche. Le génie de Louvois, c'est la volonté. L'abbé Vittorio Siri disait de lui : C'est le plus grand commis et le plus grand brutal qu'on puisse voir. Brutal, peut-être ; il n'avait pas le temps d'être gracieux ; et d'ailleurs la franche brutalité de Louvois valait mieux que l'obséquieuse et perfide politesse de son père. Mais pourquoi l'appeler un commis ? Est-ce à dire qu'il prenait ses inspirations d'autrui, de Louis XIV sans doute ? Il y a longtemps que l'histoire a fait justice de ces flatteries. Ni Colbert ni Louvois n'ont été des commis ; ils ont été des maîtres. Il y a dans Louvois deux personnages distincts, un administrateur et un politique ; par l'ordre des temps comme par la grandeur des services, l'administrateur tient le premier rang. Le procès peut être fait au politique ; l'administrateur est hors de cause. Un ensemble de qualités le distingue, qui semblent d'abord incompatibles avec cette brutalité ou, pour employer le mot de Saint-Simon, cette férocité de caractère qui n'était que l'énergie d'une volonté puissante : un sens droit, un jugement sain, une vue nette de l'utile et du possible. Louvois faisait peu de théorie ; il n'avait qu'un petit nombre d'idées premières, très-précises et très-simples, comme les axiomes fondamentaux des géomètres ; mais il avait une singulière aptitude, une fécondité ingénieuse, une méthode infaillible pour les appliquer à la solution de tous les problèmes. S'imaginer un novateur turbulent, audacieux, infatué de son génie, impatient de tout conseil, c'est se faire de Louvois un portrait sans ressemblance. Il n'aimait ni les bavards, ni les importuns, ni les visionnaires, et leur faisait mauvais accueil ; mais les hommes d'affaires trouvaient toujours audience. Jamais ministre, dit un contemporain, n'a été plus circonspect dans la conversation ; si un homme lui parloit, il le regardoit en face, il l'écoutoit et observoit s'il y avoit du génie et du bon sens dans ce qu'il lui disoit, et, soit qu'il approuvât sa proposition ou non, il gardoit toujours un profond silence, se réservant d'en faire une sage économie en temps et lieu[10]. Ceux qu'il avait une fois jugés capables et compétents, il les excitait à lui communiquer librement leurs idées ; il les provoquait même à la contradiction. Bien loin de trouver mauvais, écrivait-il à l'un d'eux[11], que vous me mandiez sur toutes choses votre sentiment avec liberté, et que vous me contestiez même dans les choses dans lesquelles, par la connoissance que vous avez sur les lieux, vous trouvez qu'on peut mieux faire que ce que je propose, je vous renouvelle sur ce chapitre tout ce que je vous ai dit et vous prie de continuer dorénavant. Mais il voulait des raisons et non des assertions : Ces sortes de décisions sentencieuses ne me conviennent pas, disait-il[12]. C'est assez, écrivait-il encore à Vauban[13], que je remarque les défauts et que je vous fasse part de mes scrupules ; vous me les lèverez, s'il vous plaît, par un discours assez clair pour que je le puisse comprendre ; car je ne m'accommode en façon du monde des décisions qui ne sont pas accompagnées de raisonnements qui éclairent mon ignorance. De même qu'il n'avait pas, pour l'opinion d'autrui, ce dédain superbe qui n'est pas, tant s'en faut, un signe infaillible de supériorité intellectuelle, il n'avait pas davantage ce mépris absolu du passé, cette impatience contre les institutions vieillies, qui ne doit pas être confondue avec le sage esprit de réforme. Le passé, cependant, lui léguait bien des abus, bien des désordres dans l'organisation militaire de la France ; les bases mêmes en étaient mal assises ; mais ces bases étaient celles de la société tout entière ; il n'y fallait porter la main qu'avec une extrême prudence. Peut-on douter, par exemple, que la vénalité des charges, ce vice capital de l'armée, n'ait préoccupé l'esprit de Louvois, et que, s'il avait pu la détruire, il ne l'eût fait ? Malheureusement la vénalité des charges était comme une de ces infirmités chroniques que les sages médecins se gardent bien d'attaquer, parce qu'elles ne peuvent finir qu'avec le malade. Il n'y a que les empiriques ou les fous qui aient de ces audaces. La vénalité des charges n'a disparu qu'en 1789, dans la ruine du vieux corps social. Restituer à l'État ses droits exclusifs sur l'armée en dépossédant les officiers propriétaires, c'était une entreprise pleine de difficultés et de périls. Était-il absolument impossible d'y réussir ? Non sans doute, en théorie. Il ne faut pas oublier que la situation des officiers, placés incessamment sous le coup d'une réforme, était essentiellement précaire. Les réformes partielles, que la cessation des hostilités amenait comme une conséquence nécessaire, en atteignaient, après chaque guerre, un nombre plus ou moins considérable, à qui l'État ne se croyait pas tenu d'accorder aucune indemnité. Le roi, dans les limites extrêmes de son droit souverain, aurait donc pu prononcer une réforme générale, absolue, sans exception. Mais, passé le premier moment de stupeur, que de ressentiments, que de colères, que de révoltes peut-être ! Et, pour des voisins jaloux, quelle tentation de profiter du désordre, quelle occasion d'attaquer un pouvoir détesté et désarmé ! Que si, pour prévenir une telle crise, le roi s'obligeait à dédommager les intéressés, quelle charge accablante pour le Trésor, quels accroissements de taxes, quel épuisement du royaume ! Encore si cette misère ne devait durer qu'un temps ! Il n'était pas permis de l'espérer. Réduits à leurs devoirs purement militaires, les officiers cessaient d'être, pour employer une expression dont la vulgarité ne diminue pas la justesse, des marchands d'hommes, des entrepreneurs de soldats ; à l'industrie privée, il fallait bien que l'État substituât la sienne ; le recrutement et l'entretien des troupes retombaient à sa charge, et le budget de la guerre se trouvait doublé. Mais alors il fallait changer les bases de l'impôt, supprimer les privilèges, réformer la société dé fond en comble, en un mot, faire mie révolution. Nos pères ont fait cela ; Louvois ne pouvait pas le faire. Il laissa donc subsister la vénalité des charges[14], ou, pour être
plus exact, la vénalité des régiments et des compagnies ; mais, en respectant
ce qu'il faut bien appeler la propriété militaire, il la contraignit à
remplir toutes ses obligations ; il ne toucha pas à l'industrie des
officiers, mais il la surveilla de près et sévèrement ; de lucrative qu'elle
était, il la rendit ruineuse pour quelques-uns, coûteuse pour tous. J'ai, lui écrivait Vauban, un
pauvre diable de cousin, lieutenant dans le régiment de Nonan-cavalerie, bon
et vieil officier, qui auroit été capitaine il y a longtemps, s'il avoit eu
le secret de métamorphoser de méchantes compagnies en de fort bonnes, sans se
ruiner[15].
Au temps jadis, au bon temps, avant Louvois, le cousin de Vauban n'eût pas
cherché le secret de cette métamorphose ; il aurait acheté une compagnie,
telle quelle, à bon compte ou même à crédit ; il ne l'aurait pas rendue bonne
assurément ; mais, au moyen des passe-volants, des retenues de solde et des
fraudes accoutumées, il aurait payé ses dettes et mis peut-être un peu
d'argent dans sa poche. Louvois survint ; il interdit la spéculation ;
avait-il tort ? Sans doute un certain nombre de pauvres officiers se
trouvaient arrêtés comme le cousin de Vauban : c'était l'inconvénient du
système, non la faute de Louvois, qui venait au secours des plus honnêtes et
des plus dignes, par des gratifications, des pensions, ou des emplois
réservés dans l'état-major des places. Quelquefois, si les capitaines d'un
régiment n'avaient pas assez de ressources pour suffire au bon entretien de
leurs compagnies, il leur choisissait un colonel riche, auquel il imposait
l'obligation de les aider. J'ai vu,
mandait-il à Le Tellier[16], une lettre de M. de Luxembourg par laquelle il propose le
sieur de Girouville pour le régiment de Rambures ; sur quoi je suis obligé de
représenter à Sa Majesté que, quoique ce soit un très-bon officier, ce sera
assurément la perte de ce régiment-là, si Sa Majesté ne met à la tête un
homme de qualité capable d'y faire de la dépense. Quoique le marquis de
Nangis n'ait pas encore beaucoup d'expérience, il a vingt mille écus de rente
; peut-être Sa Majesté jugeroit-elle à propos de l'engager dans l'infanterie
en lui donnant ce régiment. Sous le régime de la vénalité des charges et des troupes à l'entreprise, l'argent joue nécessairement un grand rôle ; un colonel doit être riche, d'abord parce qu'il faut qu'il achète son régiment, surtout parce qu'il est obligé de l'entretenir. L'essentiel, c'est la richesse ; la naissance n'est que l'accessoire. Si Louvois fait valoir la qualité du marquis de Nangis, c'est un argument contre les préjugés de la haute noblesse qui n'estime que le service de la cavalerie ; engager dans l'infanterie des hommes de la qualité du marquis de Nangis, voilà le bon moyen de rétablir l'égalité des deux armes. Pour un ministre issu de la bourgeoisie, la naissance n'est pas un titre au commandement ; les officiers bourgeois sont assurés de trouver en lui un protecteur efficace ; il mettra tout leur mérite en relief ; il aidera de toutes ses forces, par exemple, à la fortune de Catinat ; mais il est important que ces bourgeois soient riches, ou tout au moins aisés :. Soyons justes et reconnaissants envers Louvois ; il a fait beaucoup pour la bourgeoisie ; il a fait beaucoup aussi pour la noblesse, en la rappelant au sentiment de sa dignité, en faisant du service une affaire d'honneur, au lieu d'une bonne affaire. En cela, son mérite est le même que celui de Colbert ; il est plus grand, si l'on considère les adversaires qu'ils ont eu chacun à combattre ; par le nombre, l'audace et les ressentiments, les officiers étaient bien autrement redoutables que les traitants. Ceux d'entre eux qui ont écrit des mémoires n'ont pas épargné Louvois ; leur concert a gagné l'opinion. Comment se douter, en les lisant, que le grand crime de cet odieux ministre, c'est d'avoir voulu donner à l'armée des vertus qui lui étaient étrangères, l'obéissance, l'exactitude et la probité ? Entrons avec lui, suivons-le pas à pas dans le détail. L'unité militaire, au point de vue tactique, c'est le bataillon ou l'escadron ; au point de vue administratif, c'est la compagnie. Un capitaine s'est fait pourvoir d'une commission pour lever une compagnie ; cette commission vaut un contrat. Le capitaine s'est engagé à fournir au roi on certain nombre d'hommes en état de servir, habillés, équipés, armés ; de son côté, le roi s'engage à payer au capitaine, pour chaque homme reconnu propre au service, d'abord une prime de levée, puis une solde journalière, soit en argent, soit en fournitures dont la valeur sera imputée sur la solde. Le capitaine ou ses agents se mettent en campagne, cherchant des hommes de bonne volonté ; car, en principe, l'engagement doit être volontaire ; en fait, il n'est guère que le résultat de l'industrie peu loyale des uns sur l'ignorance et la crédulité des autres[17]. Présentement que le roi a besoin de soldats, écrit Louvois en 1672[18], ce n'est pas le temps d'examiner s'ils ont été bien ou mal enrôlés ; il faut qu'ils demeurent dans les compagnies où ils se trouvent ; mais à l'avenir, quand un capitaine engagera un soldat et qu'il lui donnera un écrit pour se retirer où bon lui semblera dans un certain temps, l'écrit doit avoir son effet, et il est juste que, si le soldat se veut retirer après avoir servi le temps qui y est porté, il le puisse faire, et il suffit seulement qu'il avertisse son capitaine auparavant que de se retirer. Une ordonnance du 28 octobre 1666 fixe à quatre ans la moindre durée du service ; passé ce terme, le soldat, si sa compagnie ne sert pas en campagne, est libre de réclamer son congé ou de contracter un engagement nouveau. Tant qu'il n'est pas empêché par les infirmités ou les blessures, il peut continuer de servir. Louvois estime qu'un vieux soldat vaut mieux qu'un jeune paysan qui sort de son village. Naturellement les recruteurs s'adressent de préférence aux hommes dans la force de l'âge, entre vingt et trente ans ; mais de mérite que cette limite, uniquement fondée sur l'usage, peut s'étendre au delà, elle peut s'abaisser en deçà, rétrograder jusqu'à l'adolescence. Les nécessités de la guerre, des armements plus considérables, un recrutement plus difficile trouvent Louvois plus tolérant et toujours optimiste. Lorsque les soldats de quinze ou seize ans sont bien tournés, dit-il[19], il faut les laisser dans les compagnies, parce que, quelques années après, ils sont en état de mieux servir que les autres qui y entrent plus vieils. On verra plus tard l'abus de ces levées d'enfants. Les hommes enrôlés, le capitaine doit s'occuper de les vêtir. Aura-t-il quelque prescription à suivre pour la coupe ou la couleur des habits ? Nullement. Aucune ordonnance, à quelque date que ce soit, dans la période antérieure à la paix de Nimègue, ne prescrit l'habillement uniforme ; et cependant il est certain que l'usage s'en est établi pendant cette période ; mais il s'est établi graduellement, librement, par la seule volonté des colonels et des capitaines. La mode a commencé par quelques-uns ; les autres ont suivi, par esprit d'imitation. En 1665, Louis XIV, amoureux de l'étiquette et de la magnificence, instituait, en faveur de quelques seigneurs privilégiés, le fameux justaucorps à brevet, presque aussi recherché que le cordon de ses ordres[20] ; c'était une manière d'uniforme civil. Ce qu'il faisait pour l'ornement de sa cour, il dut le faire aussi pour l'ornement de sa maison militaire, gardes du corps, mousquetaires, gendarmes et chevau-légers de la garde. Ce fut, pour ces corps distingués, une distinction nouvelle au-dessus de l'armée. Celle-ci demeura quelques années encore, avec ses vêtements disparates. L'uniforme s'y introduisit d'abord par les troupes étrangères au service de la France ; les avantages extraordinaires, faits à ces troupes et à leurs chefs, permettaient à Louvois de leur imposer des conditions qu'il ne pouvait exiger des nationaux, beaucoup moins favorisés, sous le rapport des appointements et de la solde. On lit, dans un traité pour le rétablissement du régiment de Roussillon-étranger, conclu en 1668, que le colonel Caramani s'oblige à faire habiller tous ses soldats d'une même manière[21]. L'année suivante, Louvois passe en revue, sur les glacis d'Arras, les Allemands du régiment d'Alsace, tous vêtus d'une même façon ; à Dunkerque, les Allemands du régiment de Fürstenberg, tous vêtus de drap bleu doublé de jaune[22]. Il s'en faut que l'infanterie française soit en aussi belle tenue. Le régiment du roi, le régiment modèle, a lui-même des misères de costume qui font peine à Louvois : Il paroit, écrit-il le 1er mars 1669[23], il paroit qu'il y a beaucoup de soldats, dans le régiment du roi, qui n'ont que des hauts de chausses ou culottes de toile ; il est bon d'obliger les capitaines à leur en donner de bon draps. Que les soldats soient convenablement vêtus, c'est tout ce que Louvois peut et doit exiger ; mais il ne demande pas que les habits soient tout d'une parure[24], parce que les officiers n'y pourraient suffire. En 1672, l'uniforme n'est pas encore de règle dans l'armée française, puisque, le 9 octobre de cette année, le commandant du château d'Angers, M. d'Autichamp, écrit à Louvois[25] : Pardon, monseigneur, de la liberté que je prends de vous dire qu'il me semble que les soldats auroient plus de peine à déserter, s'ils étoient tous vêtus de même manière, parce qu'on les connoitroit partout plus facilement. Voilà, pour l'uniforme, un argument sérieux, un argument vraiment militaire, et qui, si timidement qu'il fût présenté par son auteur, dut toucher profondément Louvois, peu sensible aux raisons d'élégance et de parade. Cependant il ne se crut pas encore le droit d'imposer cette charge aux officiers français. Le 8 avril 1673, il écrivait au duc de Luxembourg[26] : Il ne faut point songer à faire habiller l'infanterie de neuf pour cette année, ni tout d'une parure ; il faut se contenter de faire raccommoder ce qu'il y a de rompu, et mettre des pièces où il y a des trous, et ne s'appliquer qu'à faire mettre en bon état les armes, les chaussures et les bas. Les beaux habits sont pour la montre, les bons souliers pour la guerre ; tout ce qui, dans l'équipement, Mail essentiel, indispensable au service, Louvois l'exigeait des officiers ; s'ils tardaient à s'exécuter, le ministre faisait les fournitures pour leur compte, sur leurs appointements saisis[27]. Quant aux habits, l'amour-propre, la vanité réussirent mieux que n'auraient pu faire les ordonnances les plus injustement impérieuses. Humiliés par la comparaison de leurs troupes avec les troupes étrangères, les colonels et les capitaines français suivirent peu à peu leur exemple, et, sans are prescrit, l'uniforme devint pour chacun une obligation volontaire. Louvois n'eut qu'à encourager une mode qui favorisait le développement de l'esprit militaire, de l'esprit de corps, et l'action de la discipline. La liberté, laissée au costume, ne s'étendait pas, ne
pouvait pas s'étendre jusqu'à l'armement. lei l'uniformité est de toute
rigueur. Pour armer ses hommes, le capitaine est tenu dé se conformer aux
ordonnances qui fixent la longueur des épées et des piques, le calibre des
mousquets, la disposition des bandoulières. Cependant il y résiste. Sur cette
question de l'armement, un antagonisme persévérant divise les soldats et les
officiers subalternes, d'un côté, les généraux, le ministre et le roi, de
l'autre. Eh quoi ! disent les premiers, voici une invention merveilleuse, le fusil, dont le feu
est si rapide, et vous nous imposez le mousquet, une arme vieillie, dont le
feu est si lent[28] ! Voyez que de temps perdu, que de commandements et de
mouvements inutiles ; l'embarras de cette mèche qu'il faut prendre, souffler
une première fois, mettre sur le serpentin, compasser, souffler encore, et,
quand le coup est tiré, remettre en son lieu[29] ! Voyez le fusil au contraire ; que de temps gagné !
Quelle simplicité de mouvements ! La pierre s'abat, le coup part ! Cependant
vous faites si bien que le mousquetaire, qui du moins n'essuie pas le feu de
l'ennemi sans le rendre, est pour le piquier, son malheureux camarade, un
objet d'envie. Car vous nous l'imposez toujours, cette arme encore plus
vieille que le mousquet, celte longue pique de quatorze pieds, qui fatigue et
dégoûte nos plus robustes et nos meilleurs soldats. Les chefs
militaires ne discutent pas avec leurs subalternes ; est-ce à dire qu'ils
manquent de raisons ? Non sans doute ; seulement ils discutent entre eux et
avec eux-mêmes. Voici leurs raisons : Une
modification dans l'armement est chose grave et qui veut are mûrie. Nous
avons l'habitude du mousquet et de la pique ; c'est sur leur emploi qu'est
fondée toute l'éducation du soldat et de l'officier, mieux encore, toute la
lactique et l'art de la guerre. Changer d'arme, c'est presque se désarmer, au
moins pour un temps. Si l'invention du fusil est bonne, si la substitution du
silex à la mèche est de quelque avantage, l'expérience prononcera. Le fusil
remplacera le mousquet peut-être ; mais par quoi remplacer la pique ? Elle
est incommode et lourde : soit ; mais, jusqu'à présent, elle est la seule
défense de l'infanterie contre la cavalerie. Une fois leur feu fourni,
mousquetaires ou fusiliers, peu importe, que deviendraient-ils sans la
protection des piquiers ? Commencez donc par trouver l'arme qui rendra la
pique inutile. Voilà le débat ; c'est l'éternel conflit du progrès et
de la résistance. Après vingt-cinq ans de lutte, le fusil finit par
l'emporter, mais seulement lorsque Vauban, par l'invention de la baïonnette[30], l'eut mis en
état de remplacer à la fois le mousquet et la pique. Louvois s'était mêlé de bonne heure à cette grave
discussion. Le 28 janvier 1666, il écrivait au marquis de Pradel : Le roi ne veut point que, sous quelque prétexte que ce
puisse être, l'on paye un soldat qui ne sera point armé d'un mousquet ou
d'une pique, c'est-à-dire que l'intention de Sa Majesté est d'abolir entièrement
l'usage des fusils[31]. Déjà même, une
ordonnance de 1665 avait enjoint aux commissaires de faire saisir et briser
sur-le-champ tous les fusils qu'ils trouveraient dans l'infanterie, et de les
remplacer par des mousquets, aux dépens des capitaines : Sa Majesté veut et entend, disait l'ordonnance, que toutes les compagnies d'infanterie soient dorénavant
armées, savoir : les deux tiers de mousquets, et l'autre tiers de piques, sans
qu'aucun puisse avoir de fusil[32]. Toutefois,
quelques années après, le fusil fut admis à faire ses preuves comme arme de
guerre. La présence de quatre fusiliers, dans chaque compagnie, fut autorisée
par une ordonnance de 1670, dont la teneur suit : Quant
à la manière dont les soldats doivent être armés, bien que Sa Majesté, par
divers règlements et ordonnances, ait ordonné qu'il y aura toujours dans
chaque compagnie le tiers de piquiers et qu'aucun ne pourra être armé de
fusil, néanmoins il n'y a presque point de piquiers dans les compagnies, et
la plupart des soldats se licencient de porter des fusils. Sa Majesté, pour y
remédier, a ordonné et ordonne qu'il y aura toujours, dans chaque compagnie,
vingt soldats armés de piques[33], lesquels seront les plus grands et les plus forts
d'entre les soldats d'icelle ; et à l'égard des fusils, qu'aucun soldat ne
pourra désormais en être armé, à la réserve de quatre soldats qui seront
choisis par le capitaine entre les plus adroits de sa compagnie, auxquels
seulement Sa Majesté a permis d'en porter, et à condition que les fusils
qu'ils auront seront de la même longueur et du même calibre que les mousquets
des soldats de la compagnie dans laquelle ils serviront[34]. Il faut ajouter
ce fait important que la solde est accrue d'un dixième en faveur des
piquiers, Sa Majesté, dit l'ordonnance, ayant estimé à propos de leur donner cette augmentation
de solde, afin de les obliger à porter cette arme avec moins de répugnance. Le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, s'efforçait de régler sa petite armée sur le modèle de
l'armée française ; il s'intéressait donc beaucoup à toutes ces questions de
costume et d'armement qui s'agitaient en France. Louvois lui écrivait,
le 29 janvier 1671 : Je crois que Votre Altesse
Royale a fait une chose utile à son service et à sa gloire que de pourvoir à
ce que ses troupes fussent aussi bien vêtues que j'ai oui dire qu'elles sont
bonnes. Celles du roi le sont, sans qu'il lui en coûte rien, quoique la solde
soit moins forte que celle de Votre Altesse Royale, et que les vivres soient
de plus d'un tiers plus chers dans les lieux de leurs garnisons qu'ils ne
sont en Piémont. Je souhaite que Votre Altesse Royale ait pris le même
expédient dont l'on se sert ici. Comme le roi a reconnu, dans les guerres
passées, qu'il est fort difficile de se servir de mousquets, quand le temps
devient un peu fâcheux, particulièrement dans les entreprises qui doivent
s'exécuter la nuit[35], et que d'un autre côté Sa Majesté a reconnu que les
mousquets sont d'un très-grand service pour tirer à la longue, soit pour la
tranchée, soit pour la défense de quelque poste que l'on attaque, elle m'a
commandé de faire chercher quelque manière d'arme qui lût fusil et mousquet
quand on le désire. Je prends la liberté d'envoyer à Votre Altesse Royale un
modèle de ces sortes d'armes dont l'on va commencer à armer les mousquetaires
du roi, qui seront tous semblables à celui que j'adresse à Pignerol pour être
présenté à Votre Altesse Royale[36]. On avait cru
résoudre le problème, en adaptant au même canon une double platine de
mousquet et de fusil ; cet essai de conciliation ne l'ut pas heureux, parce
qu'il ne décidait rien. Le premier mérite d'une bonne arme de guerre, c'est
d'être très-simple et très-facile à manier ; mettre entre les mains du soldat
deux platines, en lui laissant le choix entre les deux, qu'était-ce autre
chose qu'ajouter inutilement et dangereusement aux embarras de l'attirail et
de la manœuvre ? L'esprit essentiellement pratique de Louvois eut bientôt
saisi les dangers de cette combinaison malheureuse ; il la proscrivit, en
dépit des capitaines qui l'avaient généralement adoptée. Une ordonnance de
1675 renouvela les prescriptions du régiment de 1670 sur l'armement de
l'infanterie[37]
; mais les partisans du fusil avaient obtenu que les expériences fussent
poursuivies sur une plus grande échelle, et dans les meilleures conditions
qu'ils pussent espérer. Des corps d'élite, les mousquetaires du roi, les
compagnies de grenadiers, les dragons, avaient été armés de fusils, aussi
bien que les compagnies franches qui formaient, sous le commandement
personnel des gouverneurs, les garnisons permanentes des places[38] ; enfin, un
régiment spécial de fusiliers avait été créé en 1671. Dans tout le reste des
compagnies d'infanterie française et étrangère, la proportion des mousquets,
des piques et des fusils demeura ce qu'elle était en 1670. L'uniformité des
calibres surtout fut rigoureusement maintenue ; pour l'établir, Louis XIV
avait même fait d'assez grands sacrifices, en payant exceptionnellement, aux
entrepreneurs, une partie du prix des armes qu'ils s'étaient chargés de
fabriquer, suivant les ordonnances, et de tenir à la disposition des
officiers. Il est vrai, écrivait Louvois en
1673[39], que les armes des magasins sont présentement plus chères
que l'année dernière, et cela vient de ce que le roi n'en paye plus rien, ce
que Sa Majesté en a fait n'étant que pour faciliter à toute l'infanterie les
moyens de changer les armes qu'elle avoit alors, qui n'étoient pas de la
grandeur et du calibre qu'elle désiroit qu'elles fussent ; mais afin que les
gens du sieur Titon[40] ne puissent abuser les officiers, je vous adresse un
mémoire de ce qu'ils[41] doivent acheter chaque nature d'armes. Lorsque enfin le capitaine avait pourvu sa compagnie de vêtements et d'armes, il la conduisait au quartier d'assemblée qui lui était désigné, pour la faire passer en montre devant un commissaire des guerres. C'était alors qu'il touchait la prime de levée, dix écus pour un fantassin, cinquante écus pour un cavalier monté. Désormais la compagnie était agréée ; mais il fallait que le capitaine la tint exactement au complet ; pendant le quartier d'hiver surtout, il devait se procurer le nombre de recrues nécessaires pour remplacer les morts, les disparus ou les déserteurs. Tous les deux mois, se renouvelait la visite du commissaire, qui dressait les états de solde sur le nombre des hommes présents à la revue. Avant Louvois, la solde n'était ni fixe ni régulièrement payée ; elle variait quelquefois d'une armée à une autre, d'un régiment à un autre, même d'une compagnie à une autre ; les arriérés étaient souvent considérables. De là mille plaintes et mille désordres des officiers et des soldats. Louvois rendit la solde invariable et les payements réguliers. Le fantassin eut cinq sous par jour[42], le cavalier monté quinze sous, le dragon monté onze sous. Lorsqu'en temps de guerre, et pendant les mois de campagne, le roi fournissait le pain et le fourrage, les commissaires faisaient une retenue d'un sou sur la solde du fantassin, de huit sous sur celle du cavalier, et de cinq sur celle du dragon. Le capitaine était tenu d'acquitter, tous les dix jours, le prêt, c'est-à-dire la somme qui revenait à chacun de ses hommes, et qui était spécialement affectée à leur entretien et à leur nourriture. Voyons maintenant quel était le traitement fait au capitaine lui-même. Dans l'infanterie, ses appointements fixes, de soixante-quinze livres par mois, en temps ordinaire, s'élevaient de moitié pendant les mois de campagne, qui étaient comptés de quarante-cinq jours[43]. De plus, il lui était permis de retenir un sou par jour sur la solde de chacun de ses hommes, pour l'entretien des habits, de la chaussure, des armes, de l'équipement en général[44]. Si l'effectif réel de la compagnie atteignait le complet réglementaire de cinquante hommes, le capitaine touchait, comme gratification extraordinaire, trois payes de soldat, et cinq, lorsque le grand complet fut porté à soixante hommes[45]. Pendant le quartier d'hiver, les habitants des communautés astreintes au logement des gens de guerre devaient, outre leurs obligations individuelles[46], se cotiser pour fournir, sous le nom d'ustensile, une contribution quotidienne de cinq livres par compagnie d'infanterie. Sur cette contribution, quatre livres neuf sous étaient attribués au capitaine pour le rétablissement de sa compagnie ; le surplus appartenait aux officiers subalternes[47]. Pour les communautés qui logeaient des chevau-légers ou des dragons, l'ustensile était beaucoup plus lourd, puisque de deux ou trois sous par fantassin, il s'élevait, en moyenne, à dix sous par cavalier[48]. Comme dans l'infanterie, la plus grande partie de cette contribution était affectée aux capitaines pour l'habillement, l'équipement et la remonte de leurs compagnies. Enfin, il arrivait quelquefois que le roi consentait, par exception, à entrer pour une part dans la dépense des armes et des habits[49] ; plus fréquemment, au début ou pendant le cours d'une campagne, il faisait fournir, sur les fonds de l'extraordinaire des guerres, une paire de souliers à chaque fantassin[50]. Naturellement, ces grâces royales ne tombaient que sur ceux des officiers qui se distinguaient, aux yeux attentifs de Louvois, par leur application et leur bonne conduite. En assurant à tous le payement régulier de leurs appointements, et des avantages de solde à ceux qui les méritaient par leur exactitude, il se donnait le droit de poursuivre les anciens abus et de dire avec autorité : Lorsque les officiers allèguent que le peu de décompte des soldats les empêche de les entretenir, il ne les faut pas écouter, parce qu'ils n'ont été de leur vie si bien traités qu'ils sont présentement, et ils ne doivent pas s'imaginer que les hommes passés qu'ils ont[51] leur soient donnés à autre intention que de bien entretenir leurs soldats[52]. Dans le champ le mieux cultivé, les mauvaises herbes sont difficiles à détruire ; il en était ainsi dans l'armée travaillée par Louvois ; les abus s'y reproduisaient opiniâtres, et surtout le plus odieux de tous, l'abus des passe-volants. Suivant que le fléau faisait plus ou moins de ravages, les remèdes étaient plus ou moins violents, toujours sévères. Contre les passe-volants, la justice militaire était expéditive ; point de procédure ; la peine immédiate, suivant les ordonnances. En 1663, on se contentait de fustiger le coupable, et de le promener devant les troupes, avec un écriteau devant et derrière, portant ce seul mot : Passe-volant[53]. En 1665, au fouet est ajoutée la flétrissure par la main du bourreau, la fleur de lis imprimée au fer rouge sur le front ou sur la joue[54]. En 1667, la peine de mort[55]. Après la réforme de 1668, le châtiment est réduit à la flétrissure ; en 1676, il se relève jusqu'à la mutilation ; le passe-volant doit avoir le nez coupé[56]. Si le dénonciateur est un soldat, il reçoit immédiatement son congé, avec une prime de cent à trois cents livres, prélevée sur les appointements du capitaine prévaricateur, lequel est, en outre, frappé d'interdiction pour un mois au moins, et peut même être renvoyé tout à fait du service. Telles sont les ordonnances. Mais la loi ne vaut que par celui qui l'applique. Ici, les agents de la loi, ce sont les commissaires des guerres ; c'est d'eux surtout qu'il dépend qu'un abus comme celui-là persiste ou disparaisse. Louvois veut qu'il disparaisse ; il exerce, sur tous les actes des commissaires, un contrôle exact et sévère. Malheur à ceux qui seront pris en connivence avec les officiers ! Il excite le zèle des intendants ; il écrit à l'un d'eux, en 1667[57] : Je vous supplie d'examiner les raisons pour lesquelles les troupes sont toujours averties de la revue, deux jours avant que les commissaires se rendent dans la placet. En 1671, Louvois surprend lui-même, en Flandre, un des plus habiles et des plus coupables. Le 17 avril, il mande au roi : J'eus l'honneur de dire à Votre Majesté, peu de jours avant que de prendre congé d'elle, que j'avois de graves soupçons de la conduite du commissaire Aubert, qui avoit le département de Dunkerque. Je reçus, en partant de Paris, des lettres de tous les commissaires, dans le département desquels les compagnies suisses qui sont sorties du sien sont entrées, qui m'y confirmèrent encore davantage. Je mandai d'Hierge au capitaine Palavichiny, qui étoit depuis peu arrivé avec sa compagnie à Marienbourg, de me venir trouver à Philippeville, et là, en le menaçant de lui faire son décompte, pour toute l'année passée, sur le pied de cent soixante hommes qu'il a présentement[58], et en lui promettant que, s'il me disoit la vérité, Votre Majesté lui pardonneroit sa faute, je tirai de lui la vérité de ce qui s'est passé à Dunkerque depuis six ans, qui est que les compagnies suisses n'avoient que cent cinquante-cinq à cent soixante hommes ; qu'ils donnoient, par mois, trois payes audit commissaire, moyennant quoi il les avertissoit, deux fois vingt-quatre heures devant qu'il dût faire la revue ; que, lorsque l'intendant étoit sur les lieux, ils envoyoient quérir des hommes à Bergues et à Furnes, pour passer complets ; et, quand l'intendant étoit absent, ils ne faisoient point la dépense d'avoir des passe-volants, et donnoient un rôle de malades que le commissaire se chargeoit de vérifier, quoiqu'il ne le fit pas ; et qu'assurément tous les autres capitaines que je trouverois sur la route me confirme-voient la même chose. Comme les principaux capitaines que je devois rencontrer, dont les compagnies viennent de sortir de Dunkerque, sont ceux qui ont négocié cette friponnerie et qui portoient les paroles aux capitaines suisses qui arrivoient dans la garnison, pour les mettre sur ce pied-là, je dépêchai de Philippeville un courrier à Dunkerque, pour faire arrêter ledit commissaire, par le retour duquel je viens d'apprendre qu'il est dans la citadelle de Dunkerque. Toutes les compagnies que j'ai trouvées à Ath et ici[59], et le capitaine qui est à Oudenarde, que j'ai envoyé quérir, m'ont confirmé la même chose, et l'ont même déposé par-devant le prévôt de l'armée. Je supplie humblement Votre Majesté de trouver bon qu'une friponnerie de cette nature ne demeure point impunie, et, par l'exemple qui se fera en la personne de ce fripon-là, de me mettre en état de la faire servir fidèlement par tous, et de faire voir aux autres qui ont de pareils emplois que, quand on vole Votre Majesté, on n'en est pas quitte pour cesser de la voler et être révoqué[60]. La justice de Louvois n'était pas cette justice aveugle et sourde qui ne distingue pas entre les délits, et les frappe tous avec une égale rudesse ; il savait être équitable et faire, à propos, l'application des circonstances atténuantes. En 1676, par exemple, il écrivait au roi[61] : Il est arrivé un accident à un capitaine du régiment de Conti, lequel a la plus belle compagnie du régiment. Un soldat sortit des rangs pour me dire qu'il avoit trois passe-volants ; l'un étoit le frater de la compagnie ; l'autre, un homme qui a été son valet, il y a six mois, et qui a monté toutes les gardes pendant cet hiver ; à l'égard du troisième, c'étoit véritablement son valet ; ainsi, je ne pus me dispenser, en exécution de l'ordonnance de Votre Majesté, de faire interdire sur-le-champ le capitaine, et de faire donner dix pistoles au soldat, et son congé. Sur quoi je supplie Votre Majesté d'observer que ce capitaine ayant soixante-cinq hommes, et assurément une aussi belle compagnie qu'on en puisse voir, mériteroit quelque grâce, et je croirois que, s'il plaisoit à Votre Majesté de faire lever son interdiction et d'ordonner qu'il payeroit ce que l'on a donné au dénonciateur, l'exemple nécessaire pour son service seroit fait, et elle ne perdroit pas un homme qui est un très-bon officier, et auquel ce valet ne pouvoit produire aucune utilité, puisque l'on ne paye point les hommes qui sont au delà de soixante. Mais lorsque la fraude était sans excuse, lorsque l'officier coupable se révoltait contre le commissaire qui l'avait pris en faute, surtout lorsqu'il ameutait, contre la loi et contre l'agent de la loi, d'autres officiers, ses complaisants ou ses complices, alors la sévérité de Louvois était impitoyable. Et tel était l'effet de sa puissante énergie que Le Tellier lui-même, oubliant ses vieilles tolérances, provoquait, contre les délinquants, les rigueurs de son fils, comme si, dans cette école du devoir et de la discipline dont Louvois était bien le fondateur et le maître, il avait jamais eu besoin des leçons de Le Tellier. En 1675, tandis que Louvois était avec Louis XIV au siège de Maëstricht, il reçut de son père la communication suivante[62] : Je vous envoie, avec plusieurs papiers, une lettre et un procès-verbal du commissaire de Jonville, fait au sujet d'un passe-volant qui s'est trouvé dans la garnison de Belle-Isle, par lequel vous verrez la charge qu'il y a contre ledit passe-volant et son capitaine, et les défenses dudit capitaine, tant pour lui que pour le prétendu passe-volant, lesquelles défenses sont certifiées par [le gouverneur] M. de Logerie, et par le major de la place ; sur quoi je vous prie de taire considérer au roi que l'entreprise de Logerie, de faire arrêter le dénonciateur, au préjudice du congé du commissaire, anéantira dorénavant le travail des commissaires pour l'exécution de l'ordonnance rendue contre les passe-volants, étant plus expédient, en telle matière, que le passe-volant souffre sans raison que de discréditer le commissaire ou d'exposer le dénonciateur au ressentiment des officiers. Il semble qu'il soit du service du roi de conserver tout ce qu'a fait le commissaire, de mettre le dénonciateur en liberté, et de blâmer par une dépêche, bien sévèrement, Logerie de la violence qu'il a entreprise de faire arrêter le dénonciateur, ne déférant pas au passeport du commissaire 1. Dès qu'il eut pris connaissance de l'affaire, Louvois écrivit aussitôt au gouverneur de Belle-Ile[63] : Le roi a vu avec beaucoup de surprise que vous vous soyez assez oublié pour faire mettre un sergent prisonnier, auquel le commissaire Jonville avoit donné son congé, après lui avoir déclaré un passe-volant, et qu'au lieu de le protéger contre les officiers, vous vous soyez entendu avec eux pour empêcher l'exécution de l'ordonnance du roi. Une pareille conduite vous devroit sans doute attirer la privation de vos charges et une punition exemplaire, si Sa Majesté, en considération de vos longs services, n'avoit mieux aimé vous faire avertir, pour cette fois, de la faute que vous avez commise, et vous priver de vos appointements pendant un mois, pour vous apprendre à vous mieux conduire à l'avenir ; vous déclarant que si pareille chose vous arrive de votre vie, vous serez puni si sévèrement que vous servirez d'exemple aux autres. J'ai expédié, par ordre de Sa Majesté, un ordre pour interdire le major de la place pendant trois mois, et le priver aussi de ses appointements, pour n'avoir pas dénoncé le passe-volant, et un autre pour casser le capitaine Couchet, qui l'a présenté en revue. L'intention du roi est que vous remettiez le sergent dénonciateur entre les mains du commissaire, auquel je mande que si le capitaine ou aucun officier de la garnison lui a fait le moindre mauvais traitement, le roi veut qu'il soit privé de ses appointements pendant un mois, et qu'on les donne au sergent. C'est à quoi vous tiendrez la main fort soigneusement, et vous vous entendrez avec le commissaire pour aller sur les lieux faire exécuter tous les ordres de Sa Majesté. Si Louvois exigeait beaucoup de ses agents, les agents se
sentaient fortement soutenus par leur chef. Ils avaient besoin de l'être ;
car, à chaque pas, ils se heurtaient contre les malversations des officiers,
passe-volants, retenues illégales sur la solde, défaut d'entretien, toutes
choses qui désorganisaient le service, désespéraient le soldat et le
poussaient à la désertion ou à la révolte. En 1669, un commissaire écrivait à
Louvois : J'ai vu le régiment de Bretagne. Il y eut
un capitaine réformé qui commande la compagnie du lieutenant-colonel de
Liscouet, qui s'appelle le chevalier de Mauconseil, qui maltraita le
commissaire de Voigny, sur ce qu'il lui disoit d'avoir soin des armes de
ladite compagnie, afin qu'elles fussent en bon état et dans le nombre
suffisant. L'officier lui répondit qu'il se moquoit de cela et qu'il n'en
prendroit aucun soin, qu'il étoit fort libre de faire ce qu'il voudroit,
attendu qu'il ne dépendoit de personne ; ce qui obligea le commissaire de lui
dire qu'un autre en prendroit le soin. L'officier lui répondant que personne
n'oseroit l'entreprendre, a dit des paroles assez factieuses audit
commissaire, et celui-ci le menaçant de l'interdire, l'officier lui dit : Si
vous m'interdisez, je vous casserai et vous briserai ; ce qui obligea
ledit commissaire de Voigny d'interdire ledit officier[64]. Par bonheur
pour le chevalier de Mauconseil, Louvois était absent de Paris ; il visitait
les places de Flandre. Ce fut Le Tellier qui lut celte dépêche ; apparemment
il n'avait pas encore cette ardeur de néophyte dont on a vu plus haut un
curieux témoignage ; il laissa passer plus d'un mois avant d'expédier sa
réponse ; pendant ce délai, le chevalier de Mauconseil eut le temps et le bon
sens de faire au commissaire de Voigny toutes les satisfactions
possibles. Le duc de Navailles, son général, et l'intendant du corps
d'armée auquel il appartenait, intercédèrent pour lui. Le Tellier écrivit
enfin au duc de Navailles[65] : Puisque le chevalier de Mauconseil a fait satisfaction au
commissaire des guerres qu'il avoit insulté, en faisant sa charge, et que le
bruit de sa cassation a fait assez d'éclat pour porter les autres officiers à
être sages, Sa Majesté approuve que vous ayez sursis l'exécution de l'ordre
qui avoit été expédié, et elle veut bien qu'il n'ait point son effet ; et, en
faisant connoître au chevalier de Mauconseil l'indulgence que Sa Majesté a
eue pour lui, vous prendrez, s'il vous plaît, la peine de lui recommander de
tenir à l'avenir une meilleure conduite. Il est douteux que Louvois
eût aussi facilement pardonné l'outrage fait à la fonction plus encore qu'à
la personne de l'agent offensé. Les commissaires des guerres n'étaient que des administrateurs ; habiles à connaître de l'effectif, de la solde, des habits, de l'équipement et des armes, ils n'avaient pas à s'ingérer dans le détail de l'action purement militaire : Un commissaire des guerres, disait Louvois à l'un d'eux[66], n'a pas droit de prétendre aucun commandement sur les troupes. Ils préparaient les éléments du soldat, en quelque sorte ; mais le soldat se formait en dehors de leur contrôle. Est-ce à dire qu'il se formait au hasard, suivant le bon plaisir, la négligence ou l'activité de son capitaine ? Il en était vraiment ainsi avant Louvois ; il n'en fut plus ainsi désormais. Louvois institua, dans l'infanterie d'abord, puis dans la cavalerie, des officiers inspecteurs auxquels il donna une grande autorité. Où et comment les choisit-il ? En 1662, un corps avait été spécialement créé, pour servir de modèle à toute l'infanterie française ; c'était le régiment du roi. Tous les officiers, nobles et riches, sortaient des mousquetaires, un seul excepté, le lieutenant-colonel Martinet, un de ces hommes intelligents, énergiques et dévoués, que Louvois se plaisait à tirer de la bourgeoisie, pour donner l'exemple aux jeunes gens de bonne maison, aussi braves, mais moins entêtés de la discipline et de la règle. Martinet fut le véritable chef de ce corps, tant que le régiment n'eut pas d'autre colonel que le roi ; il continua de l'être, par le fait, sinon par le litre, lorsqu'en 1665, le marquis de Dangeau fut nommé colonel[67] ; il le devint enfin de toute manière, lorsqu'en 1670, il hérita du titre même, après la retraite du marquis de Dangeau. C'était sur lui que Louvois avait de bonne heure porté son choix, pour l'associer à la glorieuse et pénible tâche de refaire l'éducation et de châtier les habitudes vicieuses de l'infanterie française, officiers et soldats. L'œuvre commença tout de suite après la réforme qui suivit la paix d'Aix-la-Chapelle[68]. Le 27 octobre 1668, Louvois écrivit à Martinet : Sa Majesté m'a commandé de vous adresser un ordre pour aller visiter toutes les garnisons des places conquises et de l'Artois, afin de l'informer de l'état des troupes, si elles font l'exercice bien ou mal, et faire entendre aux officiers d'infanterie le& soldats qu'ils doivent garder ou changer, les réparations qu'il faut qu'ils fassent aux armes et aux habits de leurs compagnies, et rendre compte à Sa Majesté de la manière qu'ils se porteront à satisfaire aux choses que vous leur ordonnerez[69]. Ces instructions sommaires se trouvent développées dans la dépêche suivante, du 20 décembre de la même année : Vous savez qu'il ne suffit pas que les compagnies soient complètes, et qu'il faut tâcher qu'elles soient composées d'hommes en état de servir, par leur âge, par leurs habits et par leurs armes. Je ne prétends point par là vous faire entendre que le roi désire que toute l'infanterie soit composée de grands hommes ; pourvu que les petits ne soient pas des enfants, l'on ne demande pas autre chose ; mais il faut s'appliquer à purger l'infanterie de ce que l'on appelle malingres, que vous connoissez mieux que personne. Il ne faut point non Plus demander aux officiers d'avoir leurs habits tout d'une parure ni faits en même temps, parce qu'ils ne le pourraient pas ; mais il ne faut pas souffrir, pour quoi que ce soit, que leurs soldats soient mal chaussés ou mal vêtus, ni que leurs armes ne soient pas en état de servir, tant par le calibre de leurs mousquets que par leur qualité. Je vais lâcher de faire en sorte que l'entrepreneur des armes établisse un magasin à Lille, pour y vendre, à juste prix, des mousquets, piques et bandoulières, moyennant quoi, les officiers auront moyen de se pourvoir plus aisément de leurs besoins ; et vous devrez obliger les capitaines de tenir les bandoulières de leurs compagnies en bon état, en sorte qu'il y ait au moins huit ou neuf charges en chacune, et ne pas souffrir aussi qu'ils conservent de méchantes piques, les faisant casser si, après les en avoir avertis, ils ne les changent. Envoyez-moi un projet de règle. : ment général, que vous dites qui est nécessaire pour la police de l'infanterie, afin que je le puisse faire voir au roi. Je proposerai à Sa Majesté d'augmenter encore deux sergents par compagnie d'infanterie, et je vous ferai savoir ce que Sa Majesté résoudra. Cependant, comme elle est persuadée que les officiers de son régiment vous rendront un bien plus fidèle compte de tout ce qui se fait dans toutes les places, tant pour les exercices que pour tenir les compagnies en bon état, je vous adresse un ordre par lequel Sa Majesté ordonne que vous choisirez un des officiers en pied ou réformés de son régiment, pour faire sa résidence dans chacune des places qui ont été commises à vos soins, et vous rendre compte, toutes les semaines, de ce que chaque officier fera, tant pour instruire ses soldats que pour rétablir sa compagnie en la manière que vous l'aurez réglé. Vous prendrez soin de choisir, pour cet effet, les officiers que vous connoîtrez les plus capables et les plus appliqués, et, afin que l'habitude qu'ils feront dans une garnison ne les fasse pas avoir de la complaisance pour quelqu'un, de les changer de temps en temps d'une place à une autre. Je crois aussi que vous leur devez ordonner de se trouver tous les jours quand la garde monte, et, auparavant qu'elle défile, de faire faire l'exercice du mousquet aux soldats, et quelques mouvements à droite, à gauche et en avant, pour leur apprendre en détail à bien marcher. Cela, joint aux exercices du dimanche à toutes les garnisons, fera qu'assurément ils seront adroits en peu de temps[70]. Quelques mois à peine écoulés, Louvois voulut se rendre compte, par lui-même, du résultat des inspections ; son attente fut dépassée. Si tout ce que je verrai de troupes, d'ici à mon retour, écrivait-il à son père, le 19 mai 1669[71], est en aussi bon état que ce que j'ai vu jusqu'à présent, le roi a sujet d'être entièrement satisfait, et de se persuader que si les visites de M. Martinet continuent, dans trois mois il n'y aura nulle différence de toute l'infanterie à son régiment. Je ne vous dis rien de la cavalerie ; je suis seulement persuadé qu'il est du service du roi de trouver quelque M. Martinet, pour ainsi dire, pour réveiller un peu les officiers qui s'endorment, autant que l'étoient les officiers d'infanterie, pendant la précédente paix ; mais je supplie très-humblement le roi de ne point prendre de résolution à cet égard, ni même de s'expliquer qu'il ait ce dessein, jusqu'à ce que j'aie eu l'honneur de lui rendre compte de tout ce que j'aurai vu de cavalerie pendant mon voyage. La nécessité d'une réforme était peut-être plus grande encore dans la cavalerie que dans l'infanterie. Différence de solde, inégalité d'effectif, tel était le désordre accepté jusqu'alors[72], que Louvois n'y put remédier qu'en démolissant tout l'édifice, en quelque sorte, afin de le reprendre par la base et de le relever à nouveau : Je ne sais, écrivait-il au duc de Coislin[73], après la paix d'Aix-la-Chapelle, si vous savez que le roi ne conserve aucun régiment de cavalerie et qu'il remet tout en compagnies franches. Mais une fois les compagnies organisées sur un plan uniforme, les régiments furent bientôt rétablis, et les mestres de camp, provisoirement dépossédés, reprirent leur place à la tête des corps. Le Martinet de la cavalerie fut un officier d'un rare mérite et d'une grande fermeté, le chevalier de Fourilles. Parmi les obligations des inspecteurs, l'une des principales et, sans contredit, la plus difficile, était d'imposer aux officiers la discipline, la subordination, le respect. Aux yeux d'une jeunesse turbulente et désordonnée, c'était presque se déshonorer que d'obéir ; il fallut faire des exemples, briser ceux qui refusaient de se plier au devoir. Louvois n'acceptait aucune transaction, aucun échappatoire : Vous devez faire entendre à tous les officiers qui commandent les corps, écrivait-il à Martinet[74], que l'intention du roi est qu'ils rétablissent l'obéissance sans réplique à l'égard des officiers qui leur sont subalternes, et que, pour cet effet, le premier à qui il arrivera de désobéir sera cassé, pourvu que l'on m'en avertisse. Il y avait des orgueilleux que la menace d'être cassés n'effrayait pas et qui se glorifiaient de quitter le service, comme des martyrs d'indépendance ; contre ceux-là, Louvois prescrivit des peines humiliantes. J'ai vu, mandait-il à un commandant[75], j'ai vu la conduite que tiennent les sieurs de Chantereine et de Cerisy ; vous avez eu grand tort d'avoir eu tant de patience avec eux, puisque c'est le plus méchant moyen du monde pour réduire les officiers d'infanterie. Le roi désire que vous fassiez mettre en prison ou au cachot le premier qui ne vous obéira pas ou qui vous fera la moindre difficulté ; el, afin qu'ils ne s'en prennent qu'à eux, si cela leur arrive, il faut que vous leur fassiez voir, et à tous ceux de votre garnison, ce que je vous mande de l'intention de Sa Majesté. Il n'était pas même permis à un officier de donner impunément sa démission, par découragement ou par dépit, Sa Majesté, disait Louvois[76], n'aimant pas les gens chagrins ni impatients, et rien n'étant si pernicieux auprès du roi que de vouloir composer avec lui. — Je crois Montil trop sage pour me demander à se retirer, disait-il encore au sujet d'un officier mécontent[77], parce que ce sera le chemin d'aller se reposer à la Bastille, où le roi met d'ordinaire les gens qui font de pareilles propositions. Entrer au service du roi, c'était contracter un engagement sans limites, aliéner sa liberté pour un temps indéfini, sans autre chance de la recouvrer un jour que celle des infirmités ou des blessures graves. Cependant les jeunes gens y couraient en foule. Tous devaient, sans aucune exception, se préparer au commandement par la pratique de l'obéissance. Tous devaient, pendant un temps plus ou moins long, porter le mousquet comme simples soldats, avant de parvenir hu rang d'officier. De ces cadets, les plus distingués par leur naissance avaient seulement le privilège de faire leur noviciat dans les quatre compagnies des gardes du corps, dans les deux compagnies des mousquetaires ou. dans la compagnie colonelle du régiment du roi, d'où ils sortaient, après deux années au moins de service, avec la permission d'acheter une compagnie d'infanterie ou de cavalerie. Les autres, répartis deux par deux dans les compagnies des régiments[78], attendaient l'occasion de gagner leur premier grade. Ce premier grade variait suivant les circonstances. Pendant la guerre, le roi faisait délivrer, en grand nombre, des brevets temporaires de sous-lieutenant, de cornette et d'enseigne ; mais à la paix, tous les sous-lieutenants étaient réformés[79] ; il ne restait plus que deux enseignes par régiment d'infanterie[80], que deux cornettes par escadron de cavalerie. Le premier grade était donc, en temps ordinaire, celui de lieutenant. Louvois avait absolument interdit aux chefs de corps le trafic des charges subalternes[81] ; il ne leur avait même laissé, en leur reconnaissant le droit de présentation, qu'une prérogative honorifique et bien souvent illusoire, puisque les promotions ne se faisaient, en réalité, que d'après les notes et sur l'avis des inspecteurs[82], lesquels ne s'accordaient pas toujours avec les colonels pour recommander les mêmes sujets. II ne faudrait pas croire que le rang d'officier fût
réservé aux seuls cadets, issus de noble race ou de bonne bourgeoisie, à
l'exclusion absolue du pauvre soldat venu de son village. Le sergent dans
l'infanterie, le maréchal des logis dans la cavalerie, étaient déclarés
officiers par ordonnance royale ; à ce titre, s'ils commettaient un crime ou
un délit militaire, ils ne pouvaient pas être jugés et punis sommairement
comme les soldats, mais ils avaient le privilège d'être traduits, sur un
ordre du ministre, devant un conseil de guerre[83]. Ce privilège
d'officier, qui était un honneur et une garantie, avait bien aussi quelquefois
ses périls et ses dommages. Il ne suffit pas,
disait Louvois[84],
de faire pendre les sergents, lorsqu'ils désertent ;
il faut les faire rouer, puisque, étant officiers, ils sont beaucoup plus
coupables que de simples soldats qui commettent ce crime. Un fait qui,
malgré les ordonnances royales, pouvait néanmoins diminuer la condition du
sergent, c'est que les cadets, après avoir porté le mousquet sous ses ordres,
n'avaient pas besoin de passer par son grade pour gagner la lieutenance. Il
est d'autant plus intéressant de montrer qu'il y pouvait arriver lui-même. En 1674, un sergent de la garnison de Grave, le sergent
Lafleur, du régiment de Dampierre, déjà fort connu
pour un fort joli garçon, c'est-à-dire pour un brave, en style
militaire, est envoyé en parti, avec vingt et un hommes de son régiment. Il
se glisse vers les postes ennemis, se met en embuscade, fait des prisonniers,
et revient, lorsqu'il est assailli tout-à coup par deux cents Hollandais
sortis de Bois-le-Duc. Une masure se trouve par hasard sur le bord de la
route ; il s'y retranche, fait un feu nourri de mousqueterie et de grenades,
lue ou blesse, en une demi-heure, trente-quatre de ses adversaires, épouvante
les autres qui se retirent en désordre, et rentre dans Grave, ramenant tous
ses prisonniers et tous ses hommes en bon état, sauf un mort et un blessé. Le
gouverneur de la place, M. de Chamilly, bon juge en fait d'intelligence et de
bravoure, le recommande chaudement à Louvois : Tout
le régiment de Dampierre, écrit-il[85], dit mille bien de ce sergent-là, qui est d'ailleurs fort
honnête homme, et on ne sauroit jamais rien faire de mieux que de l'avancer.
Louvois répond aussitôt[86] : Le roi a fort estimé l'action du sergent du régiment de
Dampierre, nommé Lafleur, et Sa Majesté désire qu'il soit fait lieutenant ;
s'il y a une de ces charges vacante dans ledit régiment, vous l'y ferez
recevoir, et cependant vous lui ferez donner cinq cents livres par
gratification. Le lieutenant Lafleur est-il devenu capitaine ? Peut-être,
s'il a eu le moyen d'acheter une compagnie. Ici, la vénalité des charges rend l'avantage à la fortune. Parmi les capitaines, les plus riches sont seuls en passe de devenir colonels, pourvu que le roi leur permette d'acheter un régiment ; les autres seraient à jamais confinés dans leur grade par la modicité de leurs ressources, si le roi ne gratifiait les plus intelligents et les plus dignes des emplois de lieutenant-colonel et de major, qui ne se vendent pas. Ces deux emplois ou ces deux grades n'étaient point, comme aujourd'hui, deux échelons obligés pour l'avancement du capitaine qui voulait monter au rang de colonel ; ils étaient non pas dans la hiérarchie, mais à côté de la hiérarchie. En fait, le colonel était le premier capitaine de son régiment ; le lieutenant-colonel était le second ; chacun d'eux avait sa compagnie distincte. Celui des capitaines qui était nommé major, se défaisait de la sienne, afin de consacrer tous ses soins aux fonctions générales qui lui étaient attribuées ; c'était sur lui que roulait tout le détail du régiment, surveillance des officiers, administration, discipline, exercices, manœuvres, évolutions, campement ; il était assisté d'aide-majors choisis parmi les lieutenants. Le grade moderne de chef de bataillon ou d'escadron n'existait pas dans l'ancienne armée. Lorsqu'un régiment se composait de plusieurs bataillons ou escadrons, le premier était directement commandé par le colonel, le second par le lieutenant-colonel, le troisième par le plus ancien capitaine, et ainsi des autres, s'il y en avait plus de trois. Dans tout ce qui précède, on n'a fait qu'étudier les principes constitutifs, la composition élémentaire de l'armée ; il est temps de la montrer dans- son ensemble, avant de séparer de nouveau ses éléments et de faire voir suivant quelles lois, quels usages et quelles dispositions tactiques ces mêmes éléments se groupent et se combinent, pour former les armées en campagne. En tête de toutes les troupes, mais profondément distinguées d'elles par des privilèges d'honneur et de solde, par des différences essentielles d'effectif et d'organisation, figurent les corps d'élite de la maison du roi et de la gendarmerie. C'est à Louis XIV que la plupart d'entre eux ont dû leur institution, tous leur illustration militaire. Qu'était-ce avant lui que les gardes du corps ? Milice d'ornement et de palais, chargés d'un service domestique et de parade autour de la personne royale, ils ne se composaient guère que de fils de bourgeois ou de fermiers qui, loin de souhaiter la guerre, étaient seulement séduits par les loisirs d'une vie facile, et surtout par l'exemption de l'impôt roturier, de la taille ; souvent même, au lieu de recevoir une prime d'enrôlement, ils payaient les capitaines pour se faire enrôler. En 1664, Louis XIV changea tout cela. Il voulut faire de ses gardes un vrai corps d'élite, en n'y admettant que des hommes aguerris et recommandés par leurs services ; ce fut le seul corps d'où la vénalité des charges fut totalement proscrite[87]. Les capitaines des gardes du corps étaient toujours des seigneurs de la plus haute noblesse ou des maréchaux de France ; les officiers subalternes avaient presque tous rang d'officiers généraux ou supérieurs dans l'armée. Quant aux simples gardes, une circulaire adressée par Louvois aux chefs de corps et aux gouverneurs de province, indique nettement les conditions exigées pour le choix des recrues : Sa Majesté souhaite qu'ils soient tous catholiques, gens bien faits, ayant de la barbe, et âgé de plus de vingt-huit ans ; qu'ils soient tous, s'il se peut, gentilshommes, et qu'ils aient servi dans les troupes, savoir : les gentilshommes au moins deux ans, et les autres au moins quatre, et qui, en s'engageant, ne songent point à retourner chez eux de quatre ans[88]. Aux gardes du corps succèdent, dans l'ordre de préséance, la compagnie des gendarmes et la compagnie des chevau-légers de la garde, composées chacune de deux cents cavaliers. On connaît de reste les deux compagnies des mousquetaires du roi, exclusivement formées de jeune noblesse[89]. Fantassins au commencement, et comptés encore comme troupe d'infanterie, dans un contrôle de 1665[90], les mousquetaires ont, peu de temps après, pris leur rang définitif dans la cavalerie de la maison du roi, mais sans oublier leur origine. Eux seuls avaient à la fois le drapeau et l'étendard, double marque de leur double service à pied et à cheval ; réclamant partout, comme un droit ou comme un privilège, le poste le plus dangereux, on les trouvera toujours, dans les sièges, en tête des colonnes d'assaut, ou prêts à charger en première ligne, sur les champs de bataille[91]. Immédiatement après la maison du roi, rapprochée d'elle dans le service, et confondue avec elle dans l'estime publique, vient la gendarmerie, illustre héritière de la chevalerie féodale et des fameuses compagnies d'ordonnance. Successivement augmenté par Louis XIV, ce corps a compté, pendant la guerre de Hollande, huit compagnies de gendarmes et trois de chevau-légers[92]. Par un insigne honneur qu'elles partageaient avec les mousquetaires, les gendarmes et les chevau-légers de la garde, les quatre premières compagnies avaient le roi pour capitaine : c'étaient les gendarmes écossais, anglais, de Bourgogne et de Flandre. Puis venaient les gendarmes et les chevau-légers de la reine, les gendarmes et les chevau-légers du Dauphin, les gendarmes d'Anjou, les gendarmes et les chevau-légers de Monsieur. Réunies, la maison du roi et la gendarmerie ont donné, en 1678, un effectif de trois mille quatre cent vingt cavaliers. Au temps jadis, les hommes d'armes, sous leur vêtement de fer, se distinguaient naturellement du reste de la cavalerie, légèrement équipée. Sous Louis XIV, les armures avaient disparu, si ce n'est que les ordonnances imposaient à tous les officiers de cavalerie l'obligation, sans cesse éludée, de porter la cuirasse[93]. Ils s'y soumettaient à peine, un jour de bataille, ou lorsque la fantaisie les prenait de se faire peindre avec le harnais de guerre. L'armure des anciens preux n'était plus qu'une fiction pittoresque. Il y avait bien un régiment spécial de cuirassiers ; mais, par une singulière anomalie, ce régiment, qui n'avait l'honneur d'appartenir ni à la maison du roi ni à la gendarmerie, figurait à contre-sens dans la cavalerie légère ; ainsi nommait-on toute la cavalerie de l'armée. Les distinctions morales avaient survécu aux- distinctions extérieures et matérielles ; équipée à peu de chose près comme les autres troupes à cheval, la gendarmerie n'en conservait pas moins une supériorité réelle qu'elle devait aux souvenirs, aux traditions, à l'opinion, à l'esprit de corps, et qu'elle maintenait à force d'intelligence, de discipline et de bravoure. C'était le modèle offert à toute la cavalerie de l'armée. Celle-ci, réorganisée par Louvois en 1668, se composait de compagnies enrégimentées : cinquante chevaux par compagnie, quatre compagnies par escadron. Le nombre seul des escadrons variait, suivant le rang et la qualité des régiments : trois pour les principaux de l'arme, distingués par le titre de royaux ; trois ou deux pour les autres, appelés en commun régiments de gentilshommes, et qui changeaient de nom, chaque fois qu'ils changeaient de propriétaire. Louis XIV mit sur pied, pendant la guerre de Hollande, quatre-vingt-dix régiments de cavalerie, qui donnaient, au 1er janvier 1678, un effectif de quarante-sept mille chevaux. Le rang que tenait la maison du roi au-dessus des troupes à cheval, les deux régiments des gardes françaises et suisses le tenaient au-dessus des troupes à pied. Le régiment des gardes françaises se composait de trente compagnies, d'un effectif moyen de cent cinquante hommes, et réparties en six bataillons. Dix compagnies formaient le régiment des gardes suisses ; mais, dans ce corps d'élite comme dans les autres régiments de la même nation au service de la France, l'effectif des compagnies était de deux cents hommes. Il était de cent hommes pour tout le surplus de l'infanterie étrangère, et de cinquante à soixante pour toute l'infanterie française. Dans celle-ci, les bataillons furent d'abord composés, pendant les premières guerres du règne de Louis XIV, de douze compagnies égales entre elles. En 1607, Martinet proposa de choisir, à titre d'essai dans le régiment du roi, quatre soldats par compagnie, les plus adroits et les plus braves, et de les exercer à lancer des grenades, pour mettre en désordre, soit une troupe de cavalerie dans un combat en rase campagne, soit dans un siège entrepris et soutenu, les défenseurs ou les assaillants. L'essai réussit ; en 1670, tous les grenadiers du régiment du roi furent réunis en une seule compagnie, qui prit la droite sur les autres compagnies du corps. Bientôt chaque régiment d'infanterie eut ses grenadiers[94]. Ce fut par eux que commença l'emploi régulier du fusil, à l'exclusion du mousquet et de la pique. Vers le même temps, le nombre des compagnies fut porté de douze à quinze par bataillon[95]. Pendant la guerre de Hollande, la plupart des régiments d'infanterie furent constitués à trois bataillons ; le régiment du roi, par une distinction spéciale, en eut quatre. Le plus important de l'armée après les gardes, le régiment du roi n'était pas cependant le premier dans l'ordre hiérarchique[96]. Les anciens marchaient devant, fiers de leurs traditions et de leurs services ; ils étaient douze, qui avaient conquis et qui maintenaient, comme un titre de noblesse, leur droit d'être appelés vulgairement les vieux et les petits-vieux. N'a pas qui veut l'honneur de ces sobriquets illustres, de ces héroïques familiarités qui sont la consécration populaire de la gloire. Dans un régiment comme dans une famille, où les mérites des générations se succèdent et s'ajoutent, il faut, pour les relier, une chaine visible, palpable en quelque sorte, la perpétuité du nom. C'était l'avantage des vieux corps, par exemple, sur ceux qui, changeant de colonel et de nom en même temps, semblaient recommencer chaque fois une existence nouvelle. Picardie, Piémont, Champagne, Navarre, Normandie, la Marine, les six vieux, n'avaient pas besoin de produire leurs états de service ; on les connaissait de reste ; on connaissait Bourbonnais, Auvergne ; on connaissait Rambures, qui, de 1612 à 1676, eut successivement à sa tête cinq colonels de la même famille ; mais lorsque Rambures devint Feuquières, il ne dégénéra pas, sans doute ; cependant il eut besoin de reconquérir l'attention publique, déroutée par cette métamorphose. Quand Louis XIV voulut avancer son régiment et lui donner un rang où son ancienneté ne le plaçait, pas, ce fut un de ces corps anonymes, pour ainsi dire, tant ils avaient de noms, qui consentit à lui vendre son droit d'aînesse, et le régiment du roi, par ce trafic, devint le dernier des petits-vieux, à la place de celui qui s'appelait alors le régiment de Saint-Vallier[97]. Au début de la guerre de Hollande, Louis XIV avait à sa solde, sans compter les gardes, soixante régiments d'infanterie française ou étrangère. En 1678, l'effectif des bataillons de campagne était de cent vingt mille hommes, et celui des garnisons, de cent mille. A l'infanterie se rattachait le corps des dragons ou mousquetaires à cheval, ainsi qu'on les nommait en 1669[98]. Les dragons, dans les armées du dix-septième siècle, jouaient le rôle d'infanterie légère et de tirailleurs. Leurs chevaux, de taille moindre et de moindre valeur que ceux de la cavalerie, trop faibles pour fournir ou recevoir une charge en ligne, ne servaient en réalité qu'à transporter plus rapidement les hommes sur le point où ils devaient combattre à pied. Armés de fusils, exercés aux manœuvres et aux évolutions de l'infanterie, les dragons rendaient en campagne les services les plus variés comme les plus utiles ; dans les marches, ils escortaient les convois, éclairaient les colonnes ou les couvraient en retraite ; dans un campement, ils occupaient les avant-postes et fournissaient les vedettes ; dans un combat, leur place était aux extrémités de la ligne de bataille ; c'était eux qui engageaient l'action, qui se jetaient en avant pour escarmoucher, pour inquiéter les mouvements de l'ennemi ou pour lui disputer une position. Lorsqu'ils étaient arrivés à portée de fusil, ils mettaient pied à terre ; en un instant, tous les chevaux d'un même rang étaient attachés ensemble, par un système fort simple de crochets et d'anneaux ; deux hommes seulement restaient à leur garde, tandis que les autres, dispersés en tirailleurs, commençaient le feu ; s'ils étaient pressés et forcés de battre en retraite, ils couraient à leurs chevaux, les détachaient, se remettaient en selle et rejoignaient les troupes de soutien, ou se portaient sur un point où l'ennemi était moins sur Ses gardes. On les employait même dans les sièges, pour tirailler dans la tranchée. Peu nombreux et mal appréciés avant 1672, la guerre de Hollande fournit aux dragons l'occasion de développer toutes leurs qualités militaires ; ils s'y couvrirent de gloire. Louvois s'empressa de favoriser les progrès d'une troupe excellente. Il n'y avait que deux régiments de dragons en 1669 ; il y en eut quatorze en 1678, donnant un effectif de dix mille hommes environ[99]. Parler du service des dragons en campagne, c'est déjà toucher, par un point, au problème de la formation des armées actives. Les troupes d'une même sorte, si nombreuses qu'elles soient, ne constituent pas une armée. Une armée se compose, en proportions inégales, d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie. On parlera plus loin de l'artillerie. Quelles étaient, dans les armées qui ont fait la guerre de Hollande, par exemple, les proportions relatives de l'infanterie et de la cavalerie ? En d'autres termes, quels étaient, pendant cette période du règne de Louis XIV, le rôle respectif et les rapports militaires des deux armes ? Lorsqu'on étudie les documents de cette époque, les contrôles, les ordres de bataille, on est frappé d'un fait constant, la part considérable attribuée à la cavalerie dans la composition d'une armée ; cette part n'est jamais au-dessous du tiers de l'effectif total ; souvent elle le dépasse. On commence par s'étonner ; on accuse de cette anomalie l'état social et les préjugés de caste, triste héritage des temps féodaux où la chevalerie était tout, la pédaille rien ; on déplore la persistance de cette idée qui fait du service à cheval le service noble, le service par excellence, plus recherché, plus considéré, mieux rétribué que le service d'infanterie. Voilà deux recrues, sortant du même village ; l'un reste obscur et misérable, c'est le fantassin, le soldat ; l'autre devient une manière de personnage, le cavalier, le mettre, en style officiel ; on dit une compagnie de cinquante maîtres, un escadron de deux cents maîtres. Même distinction entre les officiers ; les gens bien nés se portent d'instinct vers la cavalerie ; l'infanterie est abandonnée à la bourgeoisie, à la roture, aux officiers de fortune[100]. Louis XIV el Louvois combattent vigoureusement cette tendance ; ils imposent aux fils de famille l'obligation de servir d'abord dans l'infanterie ; ils les y retiennent par des faveurs et par l'espoir d'un avancement plus rapide. Qu'on y prenne garde, cependant ; cette tendance qu'ils combattent, ce n'est pas, comme on est tenté de le croire, l'effet d'un préjugé suranné, d'un orgueil étroit, d'une vanité ridicule ; c'est la conséquence d'un fait certain, irrécusable, attesté par tous les officiers, par tous les généraux, reconnu par Louis XIV et par Louvois même, la supériorité militaire de la cavalerie sur l'infanterie. La force réelle de la cavalerie, c'est l'élan, l'impulsion, le choc ; l'éducation de l'homme et du cheval, la tactique, les évolutions, les manœuvres ont réglé les applications de cette force originelle, sans l'accroitre essentiellement elle-même. L'infanterie, au contraire, a débuté par l'impuissance. Abordée par la cavalerie, en rase campagne, sans protection d'aucune sorte[101], elle n'avait pu d'abord opposer qu'une résistance passive, l'inertie d'une masse compacte. A peine l'intervention des armes à feu dans les batailles avait-elle diminué l'omnipotence du cavalier et relevé le fantassin de sa faiblesse. Entre l'un et l'autre, sous Louis XIV, la distance était encore énorme, quoi qu'on fit pour la combler. Les progrès des armes à feu ont été très-lents. Le mousquetaire du dix-septième siècle était-il beaucoup mieux armé que l'arquebusier du seizième ? Charger un mousquet, et surtout le bien charger, était une opération longue, compliquée, difficile ; si le mousquetaire était surpris hors d'état de faire feu, l'arme qu'il tenait entre ses mains était plus embarrassante ét moins utile qu'un béton. S'il était conduit à la charge, infanterie contre infanterie, il marchait le mousquet sur l'épaule et l'épée à la main ; mais contre la cavalerie, quels étaient ses moyens de défense ? que valaient-ils ? Peu de chose. Un armement défectueux entraînait une tactique défectueuse. D'un côté, l'escadron, troupe homogène, composée de cavaliers tous semblables, tous capables d'une action commune ; de l'autre, le bataillon, troupe hétérogène, composée de deux espèces de soldats, les piquiers massés au centre, les mousquetaires sur les ailes[102], armés et disposés de manière que leur action ne pouvait être qu'alternative. Une troupe de cavalerie s'avançait-elle contre le bataillon ; c'était d'abord le mousquetaire qui faisait feu, tandis que le piquier demeurait inutile ; si le feu du mousquetaire n'arrêtait pas la charge, c'était le tour du piquier de se mettre en défense, tandis que le mousquetaire demeurait spectateur oisif, mais non désintéressé du combat ; car si le piquier se laissait vaincre, c'était fait de lui et du mousquetaire en même temps ; sans compter que le piquier, se tirant d'affaire pour son propre compte, laissait souvent le mousquetaire payer pour tous les deux. Tout au plus restait-il à celui-ci, désarmé ou mal armé, ce qui revient au même, une chance de salut, l'immobilité, l'inertie collective. De même que les tacticiens du dix-septième siècle avaient été forcés de conserver la pique, arme des vieux âges, et de faire des piquiers, par le choix des hommes et par la place qu'ils leur assignaient au centre, la force principale du bataillon ; de même ils avaient cru devoir, conserver le principe grossier de la résistance par la masse, l'enfance de l'art. Tandis que l'escadron était formé sur trois rangs seulement, le bataillon était formé sur six, quelquefois même sur huit, lorsque les troupes étaient peu aguerries, les derniers rangs n'ayant autre chose à faire que de se serrer sur les premiers pour les consolider et les soutenir[103]. Il résultait de là que le front du bataillon était fort étroit, et, par suite, le nombre des hommes capables de faire feu tellement réduit que, sur un bataillon de six cents hommes, par exemple, à peine y en avait-il cent ou cent vingt qui pussent tirer un coup de mousquet avant d'être chargés par la cavalerie. Et pourtant tout le monde comprenait que la puissance de l'infanterie, en rase campagne[104], dépendait de la puissance de son feu ; mais comment augmenter la puissance du feu sans étendre le front du bataillon, c'est-à-dire sans diminuer sa profondeur, c'est-à-dire sans compromettre sa solidité ? Cercle vicieux où tournaient les tacticiens désespérés ; problème insoluble, tant que le mousquet et la pique, séparés, armeront des mains différentes ; problème résolu, dès que le mousquet et la pique, transformés, perfectionnés, ajoutés l'un à l'autre, armeront une seule et même main. Il sera résolu le jour où le mousquetaire et le piquier réunis donneront le fantassin moderne, le fusilier prêt pour l'attaque et pour la défense. Ce jour-là, le bataillon, homogène, déployé sur un front plus étendu, pourra recevoir sur la pointe de ses baïonnettes le choc de l'escadron, déjà retardé par un feu plus rapide et plus nourri. Ce jour-là verra tomber la supériorité de la cavalerie, grandir l'infanterie, changer les principes de la tactique. L'emploi de la baïonnette achèvera la révolution commencée par l'invention des armes à feu ; il marquera le second épisode de cette révolution, presque aussi considérable que le premier, parce qu'en développant ses effets utiles, il lui aura donné toute son importance. Ce jour glorieux pour l'infanterie n'est pas encore près de se lever. Louvois lui-même n'en verra que l'aurore ; il mourra, ayant aperçu la terre promise, ayant tout préparé pour l'émancipation prochaine du tiers état militaire, des plébéiens de l'armée, des obscurs et utiles fantassins. A l'époque de la guerre de Hollande, ils sont encore en tutelle. Les règlements militaires défendent expressément aux généraux de faire marcher, en pays ennemi, un corps d'infanterie, sans lui donner la protection d'une escorte de troupes à cheval ; et quelquefois, en effet, quand cette précaution n'a pas été observée, des bataillons entiers ont été surpris en plaine et forcés de mettre bas les armes. Est-il besoin d'en dire davantage pour démontrer la supériorité de la cavalerie sur l'infanterie de ce temps-là ? Et si la démonstration est suffisante, est-il besoin d'expliquer plus longuement pourquoi la cavalerie avait les préférences des jeunes gentilshommes, et pourquoi une si large part lui était faite dans la composition des armées actives, pendant cette période du règne de Louis XIV ? Les escadrons et les bataillons d'une armée sont distribués par brigades. Avant l'année 1667, les chefs de brigade, choisis parmi les mestres de camp et les colonels, n'étaient pourvus que de commissions temporaires ; la fonction, dont ils se trouvaient passagèrement revêtus, ne constituait pas un grade. Au mois de juin 1667, Louis XIV créa des brigadiers de cavalerie en titre d'office ; au mois de mars 1668, des brigadiers d'infanterie[105] ; quelques années après, des brigadiers de dragons. Le grade de brigadier, définitivement institué, fut dès lors le degré d'introduction dans la hiérarchie des officiers généraux, où l'argent ne pouvait donner accès. Toutefois, il faut noter que le colonel, promu brigadier, gardait son régiment. Il n'était pas d'ailleurs absolument nécessaire d'être colonel pour devenir brigadier. Martinet fut l'un des premiers nommés en 1668, n'étant que lieutenant-colonel au régiment du roi ; mais il était inspecteur général d'infanterie ; Louvois voulut lui donner, avec un grade supérieur, plus d'autorité sur les colonels des régiments qu'il visitait. Catinat et Vauban durent également à Louvois de devenir brigadiers, sans avoir été colonels. Les grands services ont toujours justifié les grandes faveurs. Heureux les ministres qui peuvent et qui savent faire de telles exceptions ! De brigadier on passait, par promotion, maréchal de camp ; de maréchal de camp, lieutenant général. Entre les maréchaux de camp et les lieutenants généraux, si la différence du grade est bien marquée, il n'en est pas ainsi de la différence des fonctions ; tout ce qu'on peut dire, c'est que les premiers assistaient et doublaient, en quelque sorte, les autres dans leur commandement. Ce commandement, à peu près analogue à celui de nos généraux de division, s'exerçait sur un certain nombre de brigades réunies. La spécialité de service n'était pas exigée des lieutenants généraux et des maréchaux de camp, comme elle était exigée des brigadiers, affectés à telle ou telle arme ; c'est-à-dire qu'un lieutenant général ou un maréchal de camp pouvait, en vertu de son titre, commander indifféremment un corps d'infanterie ou un corps de cavalerie. Le maréchal de Luxembourg, en 1677, s'était plaint de cette confusion d'aptitude ; Louvois lui répondit[106] : Il est vrai qu'il seroit mieux que, suivant l'usage des armées étrangères, les officiers généraux que Sa Majesté fait, fussent attachés chacun ou à l'infanterie ou à la cavalerie ; mais comme ce n'est pas l'usage en France, Sa Majesté a cru qu'elle pouvoit laisser aller les choses, à cet égard, sur le pied qu'elles ont été par le passé, parce que, mettant à la tête de ses-armées des gens capables d'en faire le discernement, avec l'autorité nécessaire pour cet effet, ils ne manqueroient pas d'employer chacun à ce à quoi ils les jugeroient propres. C'était donc le général en chef qui devait, sous sa responsabilité, distribuer les commandements ; avant d'entrer en campagne, il réglait son ordre de bataille, c'est-à-dire la répartition et la disposition de ses troupes. Au contraire de l'usage moderne, qui fait varier le nombre des divisions suivant l'effectif général, une armée, au dix-septième siècle, eût-elle plus ou moins de brigades, se divisait invariablement en sept parties. L'ordre de bataille comprenait deux lignes et une réserve, chaque ligne composée d'un corps d'infanterie au centre, et de deux ailes de cavalerie ; la réserve, formée de troupes des deux armes réunies en un seul corps. Il y avait donc, si l'on peut employer un terme qui n'était pas alors en usage, quatre divisions de cavalerie, deux d'infanterie et une division mixte ; chacune d'elles était commandée par un lieutenant général assisté d'un maréchal' de camp, ou par un maréchal de camp, s'il n'y avait pas assez de lieutenants généraux. Les divers corps connaissant d'avance leur place de bataille, se formaient sous la direction du major général et des majors de brigade. Les troupes d'élite avaient leurs postes d'honneur, la maison du roi et la gendarmerie à l'aile droite, les .gardes françaises et suisses au centre de la première ligne. Les bataillons et les escadrons étaient séparés les uns des autres par des intervalles ou créneaux, égaux au moins à l'étendue de leur front ; ceux de la seconde ligne et ceux de la réserve étaient disposés en échiquier, de façon que les pleins d'une ligne répondissent aux vides de la précédente. Il est à peine besoin de faire remarquer que cette formation générale, adoptée par les armées de ce temps-là, françaises ou étrangères, subissait les modifications exigées par les accidents du terrain sur lequel elles manœuvraient, et par les incidents mêmes de la bataille. Il n'a rien été dit, jusqu'à présent, de l'artillerie ; c'est que l'artillerie avait son organisation absolument distincte de celle de l'armée. Elle ne relevait même pas du secrétaire d'État de la guerre ; le grand-maître de l'artillerie, qui avait rang parmi les grands-officiers de la couronne, exerçait sur le corps une autorité pleine et entière. Il disposait d'un grand nombre de charges, qui toutes étaient vénales, et qui, jusqu'au temps de Louvois, n'avaient rien de commun avec les grades de l'armée. Le titre d'officier d'artillerie, abstraction faite des fonctions, n'éveillait par lui-même aucune idée militaire, pas plus que le titre d'officier de justice, d'officier de police ou d'officier de finance. On disait : les officiers d'artillerie, comme on dit encore aujourd'hui : les officiers ministériels. Assurément, le. canon jouait déjà un assez grand rôle dans les batailles, et les occupations de ceux qui le maniaient n'étaient rien moins que pacifiques ; mais il n'en est pas moins vrai qu'ils tenaient à honneur, en quelque sorte, de n'être pas confondus avec les officiers de l'armée, dont ils avaient cependant besoin de demander le concours et d'emprunter les soldats, pour le service de leurs pièces ; car il n'y avait pas de troupes d'artillerie. Les principaux officiers, immédiatement au-dessous du
grand-maître, s'appelaient alors, par une indifférence de langage qui ferait
de nos jours une étrange confusion, lieutenants généraux ou simplement
lieutenants d'artillerie ; puis venaient des commissaires provinciaux, des
commissaires ordinaires et extraordinaires ; puis, parmi les subalternes, des
officiers pointeurs, des maîtres canonniers brevetés, des capitaines de
charroi, des conducteurs ; enfin, des artisans habiles à travailler le bois
et le fer. Voici, par exemple, quel était, en 1674, le personnel d'un
équipage d'artillerie adjoint à une armée de vingt mille hommes de pied et de
dix mille chevaux : Un lieutenant, sept commissaires
provinciaux, douze commissaires ordinaires, dix commissaires à cent livres,
le commis du contrôleur, le commis du garde, six officiers pointeurs, six
déchargeurs, dix-sept canonniers, huit mineurs, un artificier, trois
capitaines de charroi, six conducteurs, un tourneur, un tonnelier, six charpentiers,
huit charrons, deux scieurs de long, six forgeurs, un aumônier, un chirurgien
et son aide, un maréchal des logis et un prévôt[107]. Enfin, pour faire mieux connaitre une organisation et des usages si différents de ceux de notre temps, il n'est peut-être pas sans intérêt d'ajouter que, dans un siège, les officiers d'artillerie entreprenaient à forfait la construction et le service des batteries. D'après un tarif qui a peu varié, une pièce de 24 ou de 18, mise en état de tirer, leur était payée cent écus en batterie ordinaire, quatre cents livres en batterie de brèche ; un mortier, deux cents livres en première batterie, et trois cents sur la contrescarpe. Outre les outils et les munitions, le roi donnait de dix à vingt livres pour le service d'une pièce de canon, seize livres pour le service d'un mortier, pendant vingt-quatre heures ; de leur côté, les entrepreneurs étaient tenus de payer aux soldats qu'ils embauchaient comme travailleurs et comme servants, un salaire de vingt sous par jour, et de vingt sous par nuit ; le surplus formait le revenant-bon, que les officiers d'artillerie se partageaient entre eux[108]. Quant au grand maître, ses profits étaient bien autrement considérables ; dans toute ville, forteresse ou château, qui s'était laissé tirer le canon avant de capituler, tous les objets de cuivre et de fer, excepté l'artillerie, depuis les cloches des églises jusqu'aux plus vulgaires ustensiles de ménage, appartenaient de droit au grand maître, qui les faisait enlever et vendre, si les magistrats ou les habitants ne se hâtaient de composer avec lui[109]. Ce n'était ni les bénéfices ni les honneurs de sa charge que Louvois enviait au grand maitre de l'artillerie ; il respecta scrupuleusement les uns et les autres ; mais il restreignit ses prérogatives essentielles, son pouvoir presque souverain ; il le força de subir la loi commune ; il entra en compétition avec lui, en partage d'autorité. Toutefois, dans cette révolution, lentement et prudemment conduite, il eut soin d'éviter, autant qu'il put, les conflits, et pour les prévenir, il eut soin de faire tomber les fonctions, ou plutôt les dépouilles qu'il convoitait, sur les hommes les moins capables de les défendre. Le premier grand maître qu'il trouva sur sa roule, le duc de Mazarin, était un fou, à qui ses démêlés avec sa femme avaient donné une célébrité déplorable ; c'était pour l'artillerie un chef, pour la couronne un grand officier insupportable et ridicule ; de gré ou de force, il résigna sa charge, en 1669. Sans la vive opposition de Louvois, un fou de pire espèce l'aurait emportée, un fou bien plus dangereux que l'autre, par son audace, par son esprit et par la faveur même du roi, Lauzun, c'est assez dire. Il est permis de croire que l'amertume de son ressentiment et la vivacité de son langage contre Louvois n'ont pas médiocrement contribué, deux ans après, en 1671, à sa soudaine disgrâce. Quoi qu'il en soit, la charge de grand maitre échut au comte du Lude, homme d'honneur et de mérite, mais d'un caractère doux et traitable. Ce fut sur lui que Louvois commença ses usurpations salutaires. Louvois avait résolu de faire entrer l'artillerie dans l'armée, en créant des troupes d'artillerie. Il voulut présider lui-même à cette création, à l'organisation des premières compagnies, au choix des hommes. Le 21 avril 1671, pendant un voyage en Flandre, il mandait au roi : J'ai formé la compagnie de canonniers, ayant pour cela demandé six hommes par bataillon, que les officiers ont donnés de la meilleure grâce du monde ; je choisirai cent ou cent dix hommes pour faire voir à Votre Majesté. Je dois avoir, ce soir, le mémoire des ouvriers, et, dimanche, je choisirai parmi eux deux cents hommes, pour composer les deux compagnies du régiment des fusiliers ; elles pourront n'être pas si belles que celle des canonniers, à cause qu'il faudra s'arrêter davantage à l'industrie des soldats qu'à leur bonne mine[110]. En 1672, ce corps, rapidement augmenté, formait déjà deux bataillons de treize compagnies chacun. Considéré d'abord comme troupe d'infanterie, le régiment
des fusiliers comptait à son rang parmi les autres régiments de l'arme ;
comme eux, il avait ses grenadiers ; comme eux, dans les sièges, il montait
la tranchée, quand son tour était venu. Sa conduite, devant Bouchain, lui
valut un magnifique éloge : Le régiment des
fusiliers, disait Vauban[111], est le plus beau régiment du monde, à compter depuis le
dernier soldat jusqu'au premier officier. C'était par son armement, et
par la spécialité de son service en campagne, qu'il se distinguait du reste
de l'infanterie. Il n'avait ni piquiers ni mousquetaires ; tous les soldats
étaient armés de fusils ; dans l'ordre de bataille, il ne figurait dans
aucune brigade ; sa place n'était ni à la première ligne, ni à la seconde, ni
à la réserve ; elle était partout où se portait le canon, qu'il devait garder
et servir ; il se séparait en autant de détachements qu'il y avait de
batteries de campagne, ou, comme on disait alors, de brigades d'artillerie. Louvois eut l'art d'intéresser à la fortune de ce corps le grand maitre lui-même, qu'il en fit nommer colonel ; de sorte que son autorité, s'exerçant à la fois sur les officiers du régiment et sur les officiers d'artillerie, pouvait prévenir ou résoudre les conflits inévitables, dans les premiers temps, entre gens d'origine et de traditions différentes, et les accoutumer insensiblement à vivre côte à côte, en bonne intelligence. Après le régiment des fusiliers, deux compagnies franches de bombardiers furent créées, en 1676[112]. C'était assez d'avoir fait brèche dans l'organisation primitive de l'artillerie ; Louvois n'y voulut pas multiplier tout d'un coup les fonctions militaires ; il eut soin d'en faire un titre qu'on recherchait, une distinction, une faveur. Il choisit, parmi les lieutenants du grand maitre, deux ou trois des plus intelligents et des plus dévoués qu'il nomma, par assimilation de grade, officiers généraux dans l'armée. C'est ainsi qu'il fit maréchal de camp Dumetz, le premier officier de son arme, le véritable chef de l'artillerie, sous la direction de Louvois. Mais il se trouva qu'une fois pourvu de son titre, le nouveau maréchal de camp prétendit en faire toutes les fonctions ; telle n'était pas l'intention du ministre, qui, en lui donnant celle marque d'honneur, n'avait pas entendu le distraire d'un service tout spécial. Il résulta, de ce léger conflit, un règlement d'attributions qui fit loi désormais pour l'assimilation de grade. Le 1er septembre 1676, Louvois écrivait au maréchal de Schönberg : J'ai appris, par votre capitaine des gardes, que M. Dumetz faisait les fonctions de maréchal de camp dans l'armée que vous commandez ; sur quoi, je crois vous devoir dire que, n'ayant point eu de lettres pour servir sous vous, Sa Majesté seroit surprise si elle apprenoit que vous le lui eussiez permis ; et que la raison pour laquelle elle ne lui en a point fait expédier, c'est qu'elle n'a point prétendu, en lui donnant cette dignité, le détourner des fonctions de lieutenant d'artillerie, qui sont entièrement incompatibles avec celles ordinaires de maréchal de camp. Sa Majesté a eu seulement intention que, étant revêtu de cette dignité, il prit commander, dans les escortes d'artillerie, aux brigadiers tant d'infanterie que de cavalerie[113]. Dumetz, cependant, fut chagrin de cette décision ; il réclama. Louvois, qui ne voulait pas le rebuter, consentit enfin à lui donner satisfaction pour vingt-quatre heures : Le roi, mandait-il au maréchal de Luxembourg[114], trouve bon que M. Dumetz prenne jour de maréchal de camp pour le satisfaire ; mais Sa Majesté désire que, passé ce jour-là, il n'en fasse plus aucune fonction pendant le reste de la campagne. Cette règle, fondée sur la spécialité du service, devait-elle s'appliquer également aux ingénieurs militaires ? Ceux-ci ne formaient pas, comme l'artillerie, un corps à part, distinct de l'armée ; ils lui appartenaient, au contraire, par leur origine, par leurs obligations de tous les jours, officiers d'infanterie avant tout, ingénieurs par accident et, pour ainsi dire, par tolérance. Vauban, capitaine dans le régiment de Picardie, mais déjà chargé des grands ouvrages de Lille, en 1667, était obligé de demander, comme une faveur, d'être exempté des gardes ordinaires[115]. Du reste, tout était confusion dans le service du génie. Les grands travaux de fortification n'étaient ni confiés à des ingénieurs d'un même ordre, ni soumis à la même direction générale. Chacun des quatre secrétaires d'État ayant l'administration d'un quart des, provinces, avait soin des places qui étaient situées dans les provinces comprises dans son département. Un partage intelligent, puisqu'il y avait obligation de partage, aurait dû attribuer au secrétaire de la marine toutes les provinces maritimes, au secrétaire de la guerre toutes les provinces frontières. Il n'en était pas ainsi ; la Bretagne et la Provence, par exemple, appartenaient au département des étrangers, la Guyenne au département des affaires religieuses. Exclu d'une partie si importante du littoral[116], Colbert avait, sur les frontières du Nord, la Picardie, la Champagne, les Trois Évêchés ; il ne restait guère à Louvois que l'Artois, le Roussillon et le Dauphiné. L'unité des travaux était-elle possible ? Ici, des ingénieurs de la marine ; là, des ingénieurs civils ; à peine çà et là quelques ingénieurs militaires. La guerre de 1667 servit d'abord à réformer ce désordre ; le lot de Louvois s'accrut de la Flandre ; pendant la guerre de Hollande, un échange lui donna la Lorraine avec l'Alsace, et la conquête la Franche-Comté. Il y eut dès lors, dans le dé parlement de Louvois, un grand nombre de places à réparer ou à construire ; ce fut pour les ingénieurs militaires une belle occasion de faire éclater des mérites qui n'avaient encore été ni appréciés ni récompensés comme ils devaient l'être. Dans les sièges, toujours les premiers aux travaux d'attaque ou de défense, ils avaient les fatigues et les coups, d'autres les faveurs et la gloire ; bien longtemps, trop longtemps encore, ils demeurèrent, suivant la mélancolique expression de Vauban, les martyrs de l'infanterie. En 1674, Vauban sollicitait de Louvois une grâce pour quelqu'un de ses aides : Cela feroit, disait-il[117], un effet merveilleux parmi ses camarades, qui sont si bien persuadés qu'on ne leur veut point donner d'élévation, qu'il est comme infaillible que vous perdrez partie des principaux après cette campagne, si vous n'avantagez quelqu'un des plus considérables ; que si vous le faites, et qu'il paroisse que le roi en fait une distinction avantageuse, il n'y aura point d'honnête homme qui ne s'en veuille mêler. Vauban avait raison ; il fallait encourager ces jeunes volontaires qu'une vocation généreuse tirait des rangs des cadets ou des grades subalternes de l'infanterie, et qui, s'ils avaient la chance d'échapper aux dangers d'un siège, n'échappaient pas toujours, en rentrant à leurs compagnies, aux sarcasmes de leurs camarades, jaloux de leur science et de leur zèle, ni à la malveillance, tout au moins à l'indifférence de leurs chefs, qui les regardaient comme des étrangers. Le grand malheur, c'est qu'ils ne faisaient point corps ; disséminés, isolés la plupart du temps, appelés, par intermittence, à servir quelques-uns ensemble, puis retombant dans l'isolement, ils s'épuisaient en détail, incapables de s'entr'aider et de rompre, par un effort commun, la barrière qui les confinait dans les bas grades. Vauban, le grand Vauban, déjà célèbre dans toute l'Europe, consulté par M. le Prince et par Turenne, estimé, aimé de Louis XIV et de Louvois, admis dans leur confidence, n'avait encore, en 1674, à quarante et un ans, que le grade de capitaine. L'usage n'était pas qu'un ingénieur s'élevât plus haut ; il se révolta contre l'usage ; il persuada Louvois, qui fit une révolution en le faisant brigadier. J'ai parlé au roi, lui écrivait le ministre[118], du rang que vous désiriez dans les places où vous vous jetteriez, et Sa Majesté a bien voulu que vous commandassiez toute l'infanterie qui se trouveroit dans une place où vous vous jetteriez, avec la même autorité que pourroit faire un brigadier d'infanterie. Son brevet lui fut expédié le 30 août 1674[119]. Deux ans après, il fut maréchal de camp (3 août 1676), mais comme les officiers généraux nominés dans l'artillerie, par assimilation de grade. Qu'importe ? La barrière était rompue ; les ingénieurs passèrent à sa suite. Vauban s'entendit avec Louvois pour leur donner
l'organisation qui leur manquait ; voici la proposition qu'il fit au ministre
(6 novembre 1675) : Comme il y a beaucoup d'ingénieurs qui n'ont qu'autant de
capacité qu'il leur en faut pour exécuter ce qu'on leur dira dans un siège,
je serois d'avis de lei diviser en deux classes, savoir, ordinaires et
extraordinaires. Les ordinaires seroient ceux qui seroient pourvus dit roi et
qui jouiroient de la paye ordinaire, qu'on leur auroit une fois réglée ; et
les extraordinaires, ceux à qui on auroit donné des charges dans l'infanterie
qui, en cas de paix, leur seroient conservées par préférence, et qui
toucheroient une pension modique, mais bien payée. Quand on auroit besoin de
ceux-ci, on leur pourroit donner des appointements extraordinaires qui ne
dureroient qu'autant qu'on auroit besoin d'eux, et, quand on les feroit
servir en campagne, on pourroit aussi y faire marcher leurs compagnies qui,
apparemment, seront toujours bonnes. Après mûr examen, Louvois
accueillit, eu les modifiant sur quelques points, les propositions de Vauban :
Je suis tout à fait de votre avis, lui
mandait-il[120],
qu'il faut faire deux états des ingénieurs, l'un de
ceux que l'on emploiera à la construction des places, et dont le nombre se
réglera suivant le besoin que l'on en aura ; et l'autre de ceux auxquels le
roi donnera quatre ou cinq cents livres de pension, outre les appointements
de capitaine ; moyennant quoi, ils seront obligés de venir aux sièges
lorsqu'ils y seront mandés, et ils recevront, lorsqu'ils serviront, leurs
appointements sur le pied de campagne. Le corps des ingénieries était désormais constitué, dans une situation mixte, il est vrai, puisqu'ils appartenaient encore à l'infanterie. Pour les en tirer tout à fait, pour mieux distinguer leur service et lui donner plus d'efficacité, la création d'une troupe spéciale aurait été bonne. C'était, dès 1673, l'idée de Vauban ; il proposait à Louvois, soit la formation d'un régiment de vingt compagnies qui se serait appelé le régiment de la tranchée[121], soit l'introduction d'une compagnie de sapeurs ou mineurs dans chaque régiment d'infanterie[122]. L'idée plaisait à Louvois : Je suis fort d'avis, répondait-il[123], de la compagnie de mineurs que vous proposez pour le sieur Paul ; mais il faut être un peu de loisir pour cela ; et ce sera, à mon sens, un des corps du régiment des ingénieurs que le roi a envie de mettre sur pied au premier loisir. Une compagnie de mineurs fut créée, en effet, l'année suivante ; mais la formation d'un régiment tout entier demandait plus de loisir que n'en donna jamais la guerre de Hollande. Vauban ne se rebutait pas ; au lieu d'un régi ment, il
proposait, en 1675, des compagnies franches de cent ou cent vingt hommes, qui seront, écrivait-il à Louvois[124], tous canonniers, tous grenadiers et tous terrassiers,
sachant couper, tailler et poser le gazon, le placage, le fascinage et
clayonnage, faire des gabions, planter des palissades et remuer la terre à
propos ; il y aura de plus trente mineurs au moins, cinq ou six charpentiers
ou charrons, autant de forgeurs, des armuriers, quelques artificiers, menuisiers,
tonneliers, meneurs de partis et messagers. Au cas que la chose plaise à Sa
Majesté, je m'offre de mettre la première sur pied et de la bien faire
instruire. Mais vous entendez bien, monseigneur, qu'elle demande une autre
paye que l'ordinaire, tant pour les soldats que pour les officiers.
J'achèverai un mémoire là-dessus que j'ai commencé il y a deux ans, par
lequel je vous en exposerai le besoin et les services qu'on en peut tirer, et
sur cela, je ne crains pas de vous dire que je me tiens assuré de votre
approbation comme de la chose du monde la plus nécessaire et la plus utile au
service du roi et à la défense de ses places ; mais Je demande, s'il vous
plait, d'en être le Martinet, car je ne prétends nullement que les apôtres de
M. Desbonnais[125] se mêlent de me l'endoctriner ; j'en veux faire mon
ouvrage tout entier. Est-ce la dépense qui effraya Louvois, ou bien la
difficulté de réunir et de mettre d'accord tant d'habiles gens, d'aptitudes
si diverses ? Toujours est-il que Vauban, mécontent de son silence, lui
écrivait encore, à la fin de l'année suivante[126] : Vous ne m'avez rien répondu, monseigneur, sur la
proposition des sapeurs ; il y a apparence qu'elle n'a pas été autrement bien
reçue ; mais du moins laites-moi l'honneur de me le faire savoir, pour la
peine que j'ai eue d'en faire le mémoire. Sur ce dernier reproche,
Louvois s'empressa de lui donner satisfaction : Je
ne vous ai rien répondu, lui dit-il[127], sur la proposition de la compagnie de sapeurs, parce que
ce n'est pas une affaire à régler en votre absence, et que Sa Majesté voudra
vous entretenir avant que de se déterminer à rien. Bientôt après vint
la campagne de Gand ; puis la paix de Nimègue et la réforme des troupes ; la
compagnie de sapeurs, étouffée dans son germe, n'eut plus chance de naitre. Dans l'ancienne armée, tout se donnait à l'entreprise, même les hommes ; à plus forte raison les attelages, les convois, les transports de toute sorte. On sait que l'organisation militaire du train des équipages est toute moderne. A la fin du dernier siècle, des entrepreneurs fournissaient encore les chevaux, les voitures et les conducteurs nécessaires soit au service de l'artillerie, soit au charroi des munitions de guerre et de bouche. Des écrivains spéciaux, voulant honorer Louvois, l'ont surnommé le grand vivrier. Barbarisme à part, l'éloge est parfaitement juste. C'est à Louvois que revient la gloire d'avoir résolu le problème si difficile des subsistances. Avant lui on ne s'en mettait guère en peine. Je me souviens, disait Vauban[128], que dans la vieille guerre, quand nous étions sur le pays ennemi, nous étions quelquefois des trois semaines entières sans prendre une ration de pain. Comment donc vivait le soldat ? De maraude. Il avait ses jours d'abondance et ses jours de misère, ceux-ci plus nombreux que ceux-là ; mais après la maraude, après l'abondance ou la misère, venait l'inévitable et fatale conséquence, l'indiscipline. Louvois, qui créait les grandes armées et qui ne les voulait que disciplinées, se préoccupait d'abord de leur assurer le pain quotidien. Quand il faut qu'on pense à cinquante mille bouches extraordinaires, venant en un même lieu pendant cinq ou six semaines, disait-il[129], c'est pour les préparatifs pour les faire vivre que je suis en peine. Il fit une chose qui exigeait, non pas sans doute un grand effort de génie, mais un grand esprit de méthode, d'exactitude et de suite ; il fit des magasins. Cette idée, si simple en apparence, était d'une exécution tellement difficile que les ennemis de la France, si intéressés qu'ils fussent à imiter ses pratiques militaires, hésitèrent longtemps à s'y engager, et n'y réussirent jamais aussi bien qu'elle. La création des magasins doubla la puissance stratégique des armées françaises ; en leur donnant des mouvements plus libres, elle augmenta la rapidité, l'étendue et la durée de leur action. La cavalerie étrangère, par exemple, n'ayant point de magasins, était obligée d'attendre que la végétation fut assez avancée pour lui permettre de consommer en vert les herbes des prairies et des champs ; tandis que la cavalerie française, abondamment pourvue de. fourrages secs, était, en quelque saison que ce fut, en état de marcher et d'agir. Sans parler des expéditions si souvent faites au cœur même de l'hiver, comme l'expédition de Franche-Comté, les armées de Louis XIV étaient toujours prêtes à entrer en campagne, un mois au moins avant l'ennemi. D'après les règles établies et les traités passés par Louvois avec les munitionnaires, toutes les places devaient être constamment approvisionnées pour six mois[130] ; en outre, dans les grandes places de l'extrême frontière, existaient des magasins généraux, exclusivement affectés aux besoins des armées actives. Partout où marchaient les troupes, les subsistances marchaient après elles ; Louvois ne-voulait pas que le pain leur manquât un seul jour. Deux grands administrateurs, deux directeurs généraux, comme on dirait aujourd'hui, Saint-Pouenges pour les détails administratifs, Chamlay pour les détails militaires, et deux grands munitionnaires, Jacquier et Berthelot, méritent d'être cités après Louvois ; c'est avec leur aide qu'il a donné à Louis XIV les éléments de ses victoires et de ses conquêtes. Mieux nourri, mieux entretenu que par le passé, le soldat devait mieux supporter les fatigues de la guerre ; mais aucune prévoyance ne pouvait le maintenir toujours valide ni le rendre invulnérable. En passant sous l'administration exclusive de Louvois, le service des hôpitaux avait reçu sans doute de grandes améliorations ; il était réglé comme celui des munitions et des vivres : un hôpital permanent dans chaque place de guerre, de grands hôpitaux mobiles, des ambulances à la suite des armées en campagne. Toutefois le service sanitaire restait entaché d'un vice capital ; les directeurs d'hôpitaux étaient avant tout des entrepreneurs, placés fatalement entre leurs intérêts et leurs devoirs, soupçonnés toujours, convaincus trop souvent de sacrifier ceux-ci à ceux-là, de spéculer sur les misères des malades et des blessés confiés à leurs soins[131]. La plus grande gloire de Louvois peut-être, et certainement la plus pure, c'est de s'être fait lui-même, au nom de l'État, directeur d'hôpital, administrateur général de l'hôtel des Invalides. Qui ne connaît ces terribles estampes de Callot, les Grandes misères de la guerre ? Qui n'a vu ces débris d'hommes, mutilés, estropiés, infirmes, sollicitant la-charité publique plus effrayée que touchée ? N'y avait-il donc point d'asile pour ces misérables ? La sollicitude des rois guerriers n'avait-elle donc rien fait pour soulager les souffrances de leurs plus humbles compagnons d'armes ? On sait, au contraire, que depuis des siècles, les nombreux monastères, les abbayes, les grands bénéfices de nomination royale ou seigneuriale qui couvraient le sol de la France, étaient tenus de recevoir, sous le nom de religieux-lais[132] ou d'oblats ; un ou plusieurs soldats invalides, suivant l'importance de leurs revenus. Mais il était toujours arrivé que, moines et soldats étant d'humeur et d'habitudes peu compatibles, les moines avaient tout fait pour se débarrasser de leurs hôtes, qui, de leur côté, moyennant quelque argent, avaient trafiqué de leurs droits et quitté la place. L'idée d'ouvrir une retraite commune pour les victimes de
la guerre n'était pas moins ancienne ; elle avait même reçu, plusieurs fois,
un commencement d'application, sous Philippe-Auguste d'abord, plus récemment
et plus sérieusement sous Henri IV et sous Louis XIII. Des édits de 1597, de
4600 et de 1604 avaient affecté aux pauvres
gentilshommes, capitaines et soldats estropiés, vieils et caducs, pour y être
logés, nourris et entretenus le reste de leur vie, la maison royale de
la Charité chrétienne et la maison de Lourcine au faubourg Saint-Marceau.
Interrompue par la mort de Henri IV, l'exécution de ce généreux projet avait
été reprise, en 1634, par le cardinal de Richelieu, si ce n'est qu'il avait
substitué le château de Bicêtre à l'établissement de Paris. Pas plus qu'à
Henri IV, il ne fut donné au grand cardinal de mener jusqu'au bout
l'accomplissement de son œuvre. C'était à Louvois, à son génie, à sa persévérance, qu'il était réservé d'assurer et de fonder, au nom de Louis XIV, le magnifique et durable asile des soldats invalides. Parce que la plupart des religieux-lais avaient mieux aimé reprendre la vie vagabonde que de se cloitrer dans les monastères, et parce que les moines avaient payé leur inconstance, alun de se délivrer eux-marnes d'une obligation gênante, il n'en résultait pas que l'obligation eût jamais été prescrite. Le 4 décembre 1668, un arrêt du conseil ordonnait aux intendants de dresser des états contenant, pour chaque généralité, la liste des abbayes et prieurés qui pouvaient être taxés pour l'entretien des religieux-lais. Le 8 octobre de l'année suivante, Louvois réclamait la prompte expédition de ces états[133]. D'autres arrêts du conseil établirent en règle que tous les abbés et priais, pourvus par nomination royale d'un bénéfice de mille livres de revenu, auraient désormais à payer chacun, entre les mains de Penautier, receveur général du clergé, une somme annuelle de cent cinquante livres, représentant la pension d'un oblat[134]. Par un édit du 24 février 1670, cette contribution fut affectée à l'établissement d'un hôtel royal où, pour mettre fin à tous les abus, seroient entretenus les soldats blessés et estropiés à la guerre ou vieillis dans le service. Mais comme cette source de revenus eût été très-inférieure à la dépense, un arrêt du conseil, daté du 12 mars de la même année, ordonna qu'il serait retenu à l'avenir, au profit de l'établissement des Invalides, deux deniers pour livre sur les payements de toute nature faits par le département de la guerre[135]. En outre, toutes les denrées nécessaires à l'approvisionnement de l'hôtel, particulièrement le sel et le vin, furent exemptées de tous droits de ferme, d'aides, de péage et d'octroi. En attendant que les immenses bâtiments, entrepris dès l'année 1670,-dans la plaine de Grenelle, fussent en état de recevoir les pensionnaires du roi, Louvois les réunit dans un établissement provisoire, à l'entrée de la rue du Cherche-Midi, près de la Croix-Rouge[136] ; ils y restèrent quatre ans à peine, tant l'architecte Libéral Bruant, stimulé par l'impatience du ministre, mit de zèle et d'activité à construire le grand hôtel royal. Enfin il fut solennellement inauguré par Louis XIV en personne, au mois d'octobre 1674. Dès le mois d'avril précédent, un édit célèbre avait réglé, dans ses moindres détails, l'organisation définitive des Invalides. Rien de plus noble et de plus franc que le préambule de cet édit, touchant hommage aux vétérans épuisés dans le service, appel confiant aux générations naissantes : Il étoit bien raisonnable que ceux qui ont exposé librement leur vie et prodigué leur sang pour la défense et le soutien de cette monarchie, et qui ont si utilement contribué au gain des batailles que nous avons remportées sur nos ennemis, aux prises de leurs places et à la défense des nôtres, et qui, par leur vigoureuse résistance et leurs généreux efforts, les ont réduits souvent à nous demander la paix, jouissent du repos qu'ils ont assuré à nos autres sujets, et passent le reste de leurs jours en tranquillité. Voilà pour le passé ; voici pour l'avenir : Comme aussi rien n'est plus capable de détourner ceux qui auroient la volonté de porter les armes, d'embrasser cette profession, que de voir la méchante condition où se trouveroient ceux qui, s'y étant engagés et n'ayant point de bien, y auroient vieilli ou été estropiés, si l'on n'avoit soin de leur subsistance, nous avons pris la résolution d'y pourvoir. Louvois s'était fait nommer directeur et administrateur général de l'hôtel, titre substitué, par l'édit de fondation, à tous les futurs ministres de la guerre, que le fondateur intéressait ainsi d'avance à la perpétuité de son œuvre. Il en fit, jusqu'à sa mort, toutes les fonctions avec la dernière exactitude, béni de ces vétérans à qui, par une délicate pensée, il avait conservé, dans le repos, tous les honneurs de la guerre ; par le costume, par l'organisation, par la discipline, ils étaient, ils se sentaient toujours soldats. Ils avaient à leur tête, sous la direction du ministre, un gouverneur, un état-major, des officiers. L'hôtel des Invalides n'avait rien d'un hôpital, c'était l'image d'une place de guerre. Cependant beaucoup d'officiers nobles répugnaient à s'y faire admettre, quoiqu'ils fussent bien souvent dénués de ressources. Louvais trouva le moyen de secourir, sans la froisser, leur misère hautaine. Il y avait deux anciens ordres militaires dont on ne par lait plus, les ordres de Saint-Lazare et de Notre-Dame-du-Mont-Carmel. Louvois les fit revivre, les réunit en un seul, par lettres royales du 4 février 1672, et s'en lit nommer chef, sous le litre modeste de grand-vicaire. Il compulsa leurs archives, rechercha les domaines qui leur avaient appartenu, les reprit à ceux qui s'en étaient emparés, et les distribuant en prieurés et commanderies, il en fit des récompenses avidement recherchées par les officiers nobles. Telle a été l'œuvre de Louvois, du moins une partie de son œuvre. Il a refait l'armée ; il a beaucoup exigé d'elle, mais il a beaucoup travaillé pour elle, pour son bien-être, pour sa discipline, pour sa bonne réputation, pour sa gloire. Depuis Louvois bien des progrès se sont accomplis ; des institutions meilleures ont remplacé les siennes. Qu'importe ? Son nom mérite de tenir une grande place dans notre histoire militaire, sa mémoire d'y être grandement honorée, ne serait-ce qu'a ce seul titre : il a fondé les Invalides. |
[1] Coligny à Louvois, 8 janvier 1685. D. G. 190.
[2] Spécialement dans l'infanterie, les régiments qu'on appelait les vieux et les petits-vieux.
[3] M. de Rochefort ajoute expressément que la plupart des officiers sont allés à Paris par libertinage et s'y cachent. — Le marquis de Bellefonds se plaint aussi très-vivement du même désordre. D. G. 224.
[4] Luxembourg à Louvois, 28 mai 1668. D. G. 226.
[5] Luxembourg à Louvois, 2 octobre 1675. D. G. 452.
[6] Coligny à Le Tellier, 31 mai 1664. D. G. 190.
[7] Coligny à Louvois, 7 octobre 1664, D. G. 190.
[8] 8 janvier. D. G. 224.
[9] 17 septembre 1687. D. G. 209.
[10] Mémoires de Chambly-Landrimont. Bibliothèque du Dépôt de la guerre, mss., 77, suppl.
[11] Louvois à Charuel, 18 janvier 1668. D. G. 222.
[12] Louvois à Cartier, 14 septembre 1678. D. G. 583.
[13] 31 octobre 1679. D. G. 632.
[14] Elle ne fut supprimée que d'ans les quatre compagnies des gardes du corps.
[15] 19 septembre 1675. D. G. 452. — Vauban écrit encore en faveur de son cousin, le 15 avril 1676, et le 10 septembre 1677. Louvois lui répond, le 12 septembre, que les notes de son cousin ne sont par fort avantageuses.
[16] 31 juillet 1676. D. G. 484.
[17] Desbonnais à Louvois, 23 janvier 1815 : Le sieur de la Morillière, capitaine au régiment de Navarre, en garnison à Monthulin, a enrôlé six soldats sur le pied de dragons, et en les engageant pour servir en cette qualité, il leur donna à chacun huit pistoles, lesquelles il leur a ôtées par violence depuis l'engagement, et les a conduits à sa garnison, où ils servent présentement dans sa compagnie avec beaucoup de chagrin. Il seroit bon que les capitaines eussent plus de bonne foi dans le levée de leurs soldats ; la désertion ne seroit pas si fréquente ni les hommes si difficiles à trouver. D. G. 396.
[18] Louvois à Desbonnais, 26 septembre 1672. D. G. 268.
[19] Louvois à Dufay, 23 juin 1673. D. G. 355.
[20] Louvois à Vardes, Arpajon et Montpezat, 13 février 1665 : Depuis quelque temps le roi a fait expédier une ordonnance portant défense à toutes sortes de personnes de faire appliquer sur des justaucorps bleus des galons, des passements ou de la broderie d'or et d'argent, et Sa Majesté, ayant bien voulu en exempter quelques personnes de qualité, elle vous a compris dans leur nombre et vous a fait expédier le brevet qui est ci-joint. D. G. 191.
[21] 15 octobre 1668. D. G. 216.
[22] Louvois à Le Tellier. 10 et 28 mai 1669. D. G. 241.
[23] Louvois à Martinet. D. G. 232.
[24] Louvois à Martinet, 20 décembre 1668. D. G. 221.
[25] D. G. 279.
[26] D. G. 315.
[27] Louvois aux commissaires, 2 février 1676. D. G. 364.
[28] La différence du fusil à silex au mousquet consistait essentiellement dans la substitution du chien garni de sa pierre au serpentin garni de sa mèche. Le serpentin s'abattait sur le bassinet par la détente d'un ressort, et la mèche communiquait directement le feu à la poudre. Le fusilier n'avait pus à se préoccuper de la pierre, fixée au chien, à demeure ; le mousquetaire devait d'abord mettre de côté la mèche enflammée, pendant qu'il chargeait son arme ; s'il négligeait cette précaution, il s'exposait et il exposait ses camarades aux plus graves dangers ; puis il fallait qu'il ravivât la combustion de la mèche, qu'il l'enroulât autour du serpentin et qu'il la compassât, c'est-à-dire qu'il loi deuil :il la longueur nécessaire pour qu'elle atteignit le bassinet.
[29] Pratiques et maximes de la guerre, in-18, 1675. Commandement et exercice du mousquet, p. 176.
[30] Précisons : ce que Vauban a inventé, c'est la baïonnette à douille qui embrasse le canon et ne gène en rien le feu. On connaissait depuis longtemps la baïonnette simple, lame de fer garnie d'un manche qui s'enfonçait dans le canon et qui, par conséquent, rendait le tir impossible. Quelques corps d'infanterie avaient cette baïonnette, mais ils ne s'en servaient presque jamais ; ils aimaient mieux aller à la charge l'épée à la main.
[31] D. G. 198.
[32] Règlement général du 25 juillet 1665, art. 54.
[33] L'effectif des compagnies était alors de soixante-dix hommes ; lorsqu'en 1671, il fut réduit à cinquante, le nombre des piquiers fut réduit à douze. Ord. du 22 juin 1671.
[34] Ord. du 6 février 1670. Les mousquets et fusils doivent avoir une longueur de trois pieds huit pouces, depuis la lumière du bassinet, et le calibre de vingt balles à la livre.
[35] La lueur des mèches trahissait, pendant la nuit, la présence et les mouvements des troupes.
[36] D. G. 254.
[37] Ord. du 25 février 1675.
[38] Louvois à Bellefonds, 26 février 1671. D. G. 379.
[39] Louvois à Pesbonnais, 28 février 1675. D. G. 301.
[40] L'entrepreneur des armes de guerre.
[41] Les officiers.
[42] Dans une compagnie d'infanterie, le mousquetaire avait cinq sous, le piquiez six deniers de plus, l'anspessade (le premier grade, au-dessous du caporal) six sous, le caporal sept, le sergent dix. Ordonnance du 6 février 1670.
[43] Le lieutenant recevait trente livres en garnison, et quarante-cinq en campagne.
[44] Ord. du 5 décembre 1666.
[45] Ord. du 22 juin 1674 et du 20 octobre 1675.
[46] Le coucher, place au feu et à la chandelle.
[47] Ord. du 20 octobre 1674 et du 1er février 1675.
[48] Douze sous par place de chevau-léger, huit sous par place de dragon.
[49] Le 26 octobre 1674, Louvois mande aux colonels que pour soulager les officiers et les encourager à soigner leurs compagnies, le roi donnera à chaque homme de recrue un justaucorps et des armes. D. G. 375.
[50] Voir, par exemple, l'Ordonnance du 5 avril 1668. — Mémoires sur le traitement des troupes, sur la solde, etc. ; n° 1, 2, 9. D. G. 1179.
[51] Les payes au delà du complet.
[52] Louvois à Martinet, 18 mars 1669. D. G. 272.
[53] Ord. du 21 mars 1667.
[54] Ord. du 25 juillet 1665.
[55] Ord. du 15 juillet 1667.
[56] Ord. du 1er juin 1676.
[57] Louvois à Choisy, 5 octobre 1667. D. G. 208.
[58] Les compagnies suisses devaient être de deux cents hommes.
[59] A Tournai.
[60] D. G. 255.
[61] 6 avril 1676. — Le Tellier répond à Louvois, le 9 avril, que le roi approuve sa proposition. D. G. 483.
[62] Le Tellier à Louvois, 3 juin 1675.
[63] Louvois à Logerie, 12 juin. D. G. 304.
[64] Lourant à Louvois, 16 avril 1669. D. G. 238.
[65] 24 mai. D. G. 238.
[66] Louvois à Pérou, 7 mai 1665. D. G. 195.
[67] Louvois à Martinet, 8 octobre 1665 : L'avis qui vous a été donné de la promotion de M. le marquis Dangeau à la charge de colonel du régiment du roi, est véritable. Il y a longtemps que cette charge étoit à remplir, et Sa Majesté a cru être obligée d'y pourvoir présentement que, conformément au traité d'alliance fait en 1662 avec les États de Hollande, elle va faire passer en leur pays un accents considérable, et que son régiment fera partie de I infanterie qui le composera. Vous devez être persuadé que Sa Majesté considère votre personne et vos services. D. G. 195. — Le régiment du roi ne fut cependant pas envoyé en Hollande ; sa première campagne a été celle de Flandre, en 1667.
[68] Le régiment du roi particulièrement, qui avait cinquante-quatre compagnies, fut réduit à trente-quatre. — Louvois à Martinet, 7 mai 1668. D. G. 214.
[69] D. G. 219. — Les appointements extraordinaires de Martinet, comme inspecteur général, étaient de quatre cents livres par mois ; les inspecteurs sous ses ordres recevaient double solde.
[70] D. G. 221. — Louvois se référait à une circulaire qu'il avait adressée, le 9 juillet précédent, à tous les gouverneurs des places, pour leur enjoindre de faire faire l'exercice à leur garnison, tous les dimanches, et de faire tirer trois coups de mousquet à chaque soldat. Pour la cavalerie, chaque officier devait l'exercer une fois par semaine dans son quartier ; en outre, tous les cavaliers d'une garnison devaient être assemblés, deux fois par mois, pour faire des évolutions générales et pour faire des salves, afin d'accoutumer les chevaux au feu. D. G. 216.
[71] Louvois à Le Tellier. D. G. 241.
[72] Louvois mande aux mestres de camp, le 2 décembre 1667 que le roi a résolu de faire un traitement égal à toute sa cavalerie légère, soit pour la solde, soit pour le nombre d'hommes dont les compagnies sont composées. D. G. 207.
[73] 14 mai 1668. D. G. 222.
[74] 18 mars 1669. D. G. 232.
[75] Louvois à La Leuretière, 22 août 1673. D. G. 355.
[76] Louvois à Vauban, 4 et 15 octobre 1676. D. G. 479.
[77] Louvois à Vauban, 20 juin 1677.
[78] Ils n'y étaient admis qu'au dessous de dix-huit ans.
[79] Hormis dans les corps de la maison du roi, dans la gendarmerie et dans le régiment des gardes.
[80] Dans la compagnie du colonel et dans celle du lieutenant-colonel. Autrefois chaque compagnie d'infanterie avait son enseigne ou drapeau, chaque compagnie de cavalerie son étendard ou cornette ; mais au temps de Louis XIV, le nombre des drapeaux était réduit m trois par bataillon, celai des étendards à deux par escadron de quatre compagnies. A défaut d'enseigne, c'était le sous-lieutenant qui, en temps de guerre, était chargé de la garde du drapeau.
[81] Louvois à Beringhen, 6 janvier 1673. D. G. 301. — La vénalité des charges subalternes continua d'être tolérée dans les corps de la maison du roi, dans la gendarmerie et dans le régiment des gardes.
[82] Ordre du roi au sieur d'Aoust, major de Besançon, pour avoir soin de la discipline de l'infanterie qui est présentement en Franche-Comté. — Entre autres choses, il duit proposer des sujets pour les emplois de capitaine et pour les charges subalternes. Cet ordre est daté du 18 juillet 1674. D. G. 380.
[83] Luxembourg à Louvois, 2l avril 1673. D. G. 334. — Le 5 avril 1675, le commissaire Levacher demande les ordres de Louvois nu sujet d'un sergent accusé de plusieurs crimes ; il pense qu'étant sergent et déclaré officier par une ordonnance du roi, l'accusé ne peut être renvoyé devant le conseil de guerre, sans un ordre du ministre. Louvois répond en donnant l'ordre demandé. D. G. 456.
[84] Louvois à Estrades, 22 août 1673. D. G. 335.
[85] Chamilly à Louvois, 12 juin 1674. D. G. 398.
[86] Louvois à Chamilly, 27 juin. D. G. 380.
[87] Ordonnance du 30 septembre 1664.
[88] Circulaire du septembre 1676. D. G. 484. — L'effectif des gardes du corps a beaucoup varié ; de cent gardes par compagnie, en 1661, il s'est élevé jusqu'à quatre cents en 1676. Chacune des quatre compagnies formait deux escadrons.
[89] L'effectif de chaque compagnie a varié de cent à trois cents hommes.
[90] Bibliothèque impériale, mss., 9350 (89).
[91] En 1676, Louis XIV institua, dans sa maison militaire, une compagnie de grenadiers à cheval, appelés, comme les mousquetaires, à faire parfois le service d'infanterie.
[92] Voici le résumé chronologique des transformations de la gendarmerie pendant cette période du règne de Louis XIV. Un contrôle de 1665 porte quatre compagnies de gendarmes, Écossais, Reine mère, Reine, Monsieur ; el six compagnies de chevau-légers, Dauphin, Reine-mère, Reine, Monsieur, Condé, Enghien. La même année, suppression des gendarmes et chevau-légers de la Reine mère, des chevau-légers de Condé et d'Enghien. En 1666, création des gendarmes Dauphin ; en 1667, des gendarmes anglais ; en 1668, des chevau-légers bourguignons, qui prennent, en 1674, le nom et le rang de gendarmes de Bourgogne ; en 1669, créa-lion des gendarmes d'Anjou ; en 1673, des gendarmes de Flandre.
[93] Ordonnance du 5 mars 1675.
[94] Louvois à Charuel, 2 janvier 1671 : Le roi fait augmenter, à commencer du premier de ce mois, une compagnie de grenadiers dans chacun des régiments de Lyonnois, d'Anjou, Dauphin et des vaisseaux. D. G. 252.
[95] Louvois aux colonels, 27 octobre 1670. D. G. 248.
[96] Ordonnance du 20 mars 1670, portant règlement général pour le rang des régiments d'infanterie étant à la solde de Sa Majesté. — Voici l'ordre : 1 Gardes françoises, 2 Gardes suisses, 3 Picardie, 4 Piémont, 5 Champagne, 6 Navarre, 7 Normandie, 8 La Marine, 9 Rambure, 10 Castelnau, 11 Auvergne, 12 Sault, 13 Baudeville, 14 Saint-Vallier, 15 Douglas, 16 du Roi, ci-devant Lorraine, 17 Plessis-Praslin, 18 Lyonnois, 19 Monseigneur le Dauphin, ci-devant Lignières, 20 Crussol, 21 Montaigu, 22 Monseigneur le duc d'Anjou, ci-devant Royan, 23 Turenne, 24 Lamotte, 25 Dampierre, 26 Louvigny, 27 Grancey, 28 la Reine, 29 Montpezat, 30 Harcourt, 31 Royal des vaisseaux, 32 Monseigneur le duc d'Orléans, 33 Artois, 34 Bretagne, 35 Carignan, 36 Royal, 37 Sourdes, 38 Vendôme, 39 La Ferté, 40 Conti, 41 La Fère, 42 Alsace, 43 Royal-Roussillon, 44 Condé, 45 Enghien, 46 Jonzac, 47 Montpeyroux, 48 Château-Thierry, 49 Bourgogne, 50 Royal la marine, 51 Amiral de France.
[97] Ordonnance du 5 janvier 1672, par laquelle le roi donne à son régiment d'infanterie le rang du régiment de Saint-Vallier.
[98] Considérant que nous avons sur pied deux régiments de mousquetaires à cheval dits dragons. Édit de création d'un état-major général pour les dragons, du 17 mai 1669. D. G. 235.
[99] C'est par erreur que l'introduction des hussards parmi les troupes françaises a été attribuée à Louvois ; le premier essai des hussards n'a été fait qu'en 1692, après la mort du ministre.
[100] Madame de Sévigné écrit à sa fille, le 8 avril 1671 : M. d'Ambres est fort content d'être hors de l'infanterie, c'est-à-dire de l'hôpital. Il avait cependant l'honneur de commander l'un des premiers et des plus glorieux régiments de l'armée, le régiment de Champagne.
[101] Les Flamants à Courtrai, les archers anglais à Crécy, Poitiers, Azincourt, étaient couverts par des défenses naturelles ou artificielles.
[102] Les ailes du bataillon, formées de mousquetaires, portaient le nom de manche droite et manche gauche.
[103] Pratiques et Maximes de la guerre, 1675, p. 49.
[104] Il est évident qu'il n'est question ici que des combats en rase campagne, sur nu terrain absolument découvert ; il est évident que toutes les fois que le champ de bataille offrait des obstacles naturels ou artificiels, villages, fermes, bouquets de bois, haies, fossés, retranchements, c'était au désavantage de la cavalerie et à l'avantage de l'infanterie, qui pouvait employer tout le feu des mousquetaires ; mais alors les piquiers étaient sans emploi. Une autre remarque qu'il importe de faire, c'est qu'on parle en général, et non d'une manière absolue, des rapports de l'infanterie et de la cavalerie. On a vu, dans certaines rencontres, à la bataille d'Ensheim, en 1674, par exemple, des bataillons soutenir, sans se rompre, le choc des escadrons ; exception glorieuse qui ne détruit pas la règle.
[105] Les quatre premiers brigadiers d'infanterie furent Castelan, Martinet, Desbonnais et Rambures.
[106] Louvois à Luxembourg, 6 septembre 1677. D. G. 533.
[107] 2 janvier 1674. — État de l'équipage d'artillerie pour l'armée de Monsieur le Prince. D. G. 379.
[108] Louvois à Charuel, 2 avril 1684. D. G. 722. — Louvois à Catinat, 2 février 1691. D. G. 1077. — Voir aussi Quincy, Maximes et instructions sur l'art militaire, à la suite de l'Histoire militaire de Louis XIV, t. VIII, p. 365.
[109] Voir, sur ce privilège, Quincy, t. VIII, p. 305, et le P. Daniel, Histoire de la milice française, t. II, p. 375.
[110] D. G. 255.
[111] Vauban à Louvois, 11 mai 1676.
[112] Louvois à Dumetz, 21 novembre 1676. D. C. 485.
[113] D. G. 484.
[114] 31 août 1677. D. G. 533.
[115] Vauban à Louvois, 15 octobre 1667. D. G. 299.
[116] Il faut préciser. On ne veut parler ici que des fortifications d'une place maritime du côté de la terre. Quant aux ouvrages exclusivement marins, quant aux travaux à la nier, ils dépendaient nécessairement dit secrétaire d'État de la marine. Ainsi, à Dunkerque, par exemple, les travaux et les défenses du port dépendaient de Colbert ; mais les travaux et les défenses de la place dépendaient de Louvois.
[117] Vauban à Louvois, 4 avril 1674. D. G. 405.
[118] 21 août 1674. D. G. 381.
[119] Louvois à Vauban. D. G. 372.
[120] 14 juin 1677.
[121] 23 février 1672.
[122] 29 juillet 1672. D. G. 292.
[123] 13 novembre 1672.
[124] 31 août 1675. D. G. 451.
[125] Les inspecteurs d'infanterie. Desbonnais, excellent officier, avait succédé à Martinet, comme inspecteur général.
[126] 21 décembre 1676. D. G. 515.
[127] 29 décembre 1676 D. G. 515.
[128] Vauban à Louvois, 13 septembre 1677. D. G. 556.
[129] Louvois à Vauban, 15 février 1671, D. G. 254.
[130] Des grains pour six mois, des farines pour deux.
[131] Le roi donnait huit sous par jour pour l'entretien de chaque soldat malade ou blessé ; en outre il allouait aux officiers d'hôpital un traitement personnel de quarante-cinq à soixante livres par mois.
[132] Lais, laïques.
[133] Louvois aux intendants, 8 octobre 1669. D. G. 235.
[134] Arrêts du 21 janvier 1669, des 15 janvier, 27 août, 28 septembre 1671, du 27 avril 1672.
[135] En 1675, la retenue fut portée à trois deniers, et à quatre définitivement quelques années après.
[136] On trouve, à la date du 12 novembre 1670, un règlement du gouverneur de l'hôtel royal des Invalides pour les soldats y demeurant.