La famine. — Misère du peuple et sa vengeance s'exerçant sur Foulon et Berthier. — Enthousiasme des provinces. — Retour de Necker. — Clémence du peuple. — Physionomie de l'Assemblée. — Les partis en présence. — L'abbé Maury. — Cazalès. — Mounier, — Barnave. — Les deux Lameth. — Duport. — Sieyès. — Mirabeau. — Guerre aux châteaux, paix aux chaumières. — Trahison de l'aristocratie et complot de Brest. — Commission nommée par l'Assemblée sur la proposition de Duport. — Meurtre de Pinet, secrétaire du roi. — Les brigands. — Terreur des campagnes. — Erreur de la bourgeoisie. — Nuit du 4 août. — Abolition des droits féodaux et des privilèges. — Louis XVI proclamé restaurateur de la liberté française. — Réticences du lendemain. — Abolition des dîmes. — Le veto. — Déclaration des droits de l'homme. — Rapport de Necker sur les finances. — Emprunt de trente millions voté par l'Assemblée. — Décret qui assure le maintien de la tranquillité publique. — Résolution prise dans la nuit du 4 août formulée par un décret.I La famine grandissait. Chaque jour elle devenait plus menaçante et plus terrible. La cour complotait, le peuple mourait de faim. Dans la rue on rencontrait des hommes à figure pâle, traînant par les ruisseaux un corps fatigué et enveloppé d'un haillon. Quelquefois ces pâles figures s'animaient ; on sentait le désir de la vengeance qui brillait dans ces yeux caves rayonnant d'un feu sombre et couvant un morceau de pain. Les femmes surtout avaient une attitude effrayante. L'homme est plus résigné ; la femme ne pardonne pas la souffrance. Elle est née faible, elle a droit à la nourriture commune que la nature prodigue à la terre, elle est fille, elle est mère ; pour son enfant elle volera, elle tuera, il faut que son enfant mange. Et elles erraient par les rues, ces femmes, cherchant à satisfaire une faim dévorante et tombant épuisées sur le pavé. La reine Marie-Antoinette versait des larmes, mais c'étaient des larmes de rage. Elle pleurait le prestige du trône évanoui. La femme du peuple pleurait aussi, mais c'étaient des larmes de désespoir. Nos femmes sanglotaient de misère et de pitié pour les petits enfants qui s'éteignaient dans leurs bras. Qu'on n'essaie pas de nous apitoyer avec les larmes d'une reine. Nos femmes dans leurs guenilles valaient mieux que cette femme orgueilleuse venue d'Autriche et qui n'aimait pas la France. Nos mères ont eu faim ; nous ne pleurerons pas pour un trône perdu. Mais, dans son désespoir et dans sa douleur, le peuple cherchait les auteurs de la famine. Il n'eut pas de peine à les rencontrer. Le premier qui. lui tomba sous la main fut Foulon, ancien intendant des armées, un ministre d'un jour, un ami de Broglie, et un des hommes qui avaient voix à la cour. Ce financier, accapareur de grains, s'était enrichi du désordre du dernier règne, et il espérait bien refaire une. nouvelle fortune des misères de celui-ci. En 1756, il avait déshonoré sa patrie en Westphalie et dans la Hesse par ses concussions, et avait donné des preuves d'une nature cupide, avide, non-seulement âpre au gain, mais dure, sauvage et cruelle. On citait de lui des propos infâmes : On devrait faucher Paris comme on fauche un pré ; moi, si j'étais ministre, je ferais manger du foin aux Français. Patience, disait-il encore, ils ont faim, ils brouteront l'herbe. Un tel homme était peu fait pour captiver la pitié de ceux qu'il insultait après les avoir dépouillés. Il avait un gendre nommé Berthier, qu'il avait choisi pour lui et à sa convenance. C'était un homme de cinquante ans, actif, travailleur, mais d'un libertinage qui touchait à la démence. Nommé intendant de Paris, il profitait de sa position pour se livrer à tous les excès d'une imagination dépravée. Il achetait, disait-on, des petites filles de douze ans, et prenait à peine le soin de dissimuler ses honteuses passions. Les Parisiens le détestaient à l'égal de son beau-père et nourrissaient contre eux une haine qui n'eut plus de limites quand ils apprirent que ces deux misérables travaillaient depuis plusieurs mois à la banqueroute de la France et faisaient fabriquer secrètement dès armes et des cartouches pour les faire massacrer. La prise de la Bastille ruina les espérances de Foulon et de Berthier. Voyant leur complot découvert, ils s'isolèrent, Foulon déclarant qu'il ne voulait plus du ministère et faisant courir le bruit qu'il venait d'être frappé d'une attaque d'apoplexie, Berthier fuyant vers le nord et passant quatre nuits sans dormir. La supercherie du premier, qui s'était donné de magnifiques funérailles, ne trompa personne, et il fut arrêté en même temps que Berthier qu'on découvrit à Compiègne. Foulon s'était réfugié à Viry, dans une terre appartenant à M. de Sartines, ancien préfet de police, et qui était resté son ami. Il espérait échapper à la fureur populaire. Mais il avait compté sans la haine des propres vassaux de son hôte. Surpris par ceux-ci, il fut arrêté et conduit sous bonne escorte à Paris. Amené à l'Hôtel de ville, un bouquet de chardons, un collier d'orties et une botte de foin derrière le dos, il fut aussitôt interrogé par le comité. Cet homme était coupable, à plus d'un titre, et le peuple résolut d'en faire immédiatement justice. Le comité résista, et voulut envoyer le prisonnier à l'abbaye pour donner le temps à son procès de s'instruire. Bailly, l'homme sage et modéré que la nation révérait alors, parla dans ce sens ; mais ses paroles avaient la mollesse de ses convictions et ne firent aucune impression sur la foule qui demandait la tête de son ennemi. Lafayette s'adresse à son tour au peuple : Citoyens, dit-il, je ne puis blâmer votre colère et votre indignation contre cet homme ; je ne l'ai jamais estimé ; je l'ai toujours regardé comme un grand scélérat, et il n'est aucun supplice trop rigoureux pour lui. Vous voulez qu'il soit puni, nous le voulons aussi, et il le sera ; mais il a des complices, et il faut que nous les connaissions. Je vais le faire conduire à l'abbaye Saint-Germain ; là nous instruirons son procès, et il sera condamné, selon les lois, à la mort infâme qu'il n'a que trop méritée. On applaudit à ce discours plus patriote que celui de Bailly ; mais malheureusement pour lui, Foulon fit comme la foule et battit des mains. Ils sont de connivence, crie-t-on, ils veulent le sauver. Cette parole fut fatale à l'intendant. Saisi, traîné sous un réverbère, on lui ordonne de se mettre à genoux, et, sa prière faite, malgré ses cris, ses supplications, la corde lui est passée autour du cou et il est hissé au fatal réverbère. II Berthier, qui était alors intendant de Paris, ne fut pas plus heureux ; il s'était rendu odieux au peuple par ses rapines et ses vexations. Dans son portefeuille, qui avait été saisi, on avait trouvé le signalement de plusieurs citoyens reconnus zélés pour la cause publique. On lui reprochait d'avoir eu la direction du camp de Saint-Denis ; on le chargeait d'avoir fait à ses agents secondaires la distribution de sept à huit mille cartouches, d'un grand nombre de balles, et de douze cents livres de poudre. Il s'était donné de grands mouvements pour l'approvisionnement de la capitale ; mais il était connu depuis longtemps pour ses spéculations sur les grains, pour des accaparements, des monopoles. Quelques personnes le soupçonnèrent même d'avoir eu part à la coupe des blés en vert, qui avait servi à la fois de prétexte pour le rassemblement des troupes près Paris, et de moyen pour faire hausser le prix du grain. Opération à laquelle il avait eu un très grand intérêt. Donc de quelque côté qu'on examine sa conduite, il était coupable, sa mort fut jurée comme celle de son beau-père. Le malheur voulut qu'il arrivât le soir même de l'exécution de ce dernier. Il était escorté de plus de cinq cents cavaliers en armes ; des soldats de divers corps, des bourgeois, des femmes, le précédaient et le suivaient, lui montrant le poing et lui prédisant la mort. Tristes scènes que nous voudrions pouvoir effacer de l'histoire de notre grande révolution. Elles furent l'œuvre, du reste, d'un certain nombre d'hommes que nous retrouverons à l'heure de bien d'autres catastrophes. La nation n'est pas plus responsable d'un crime isolé qu'un général d'armée ne l'est de la trahison de quelques soldats. Il était entré par la porte Saint-Martin. A la fontaine Maubuée on lui montra la tête de son beau-père. Il devint pâle et chancela. Il se remit cependant et continua sa route. A l'Abbaye ! criait-on ; mais la multitude, irritée et toujours grossissante, menaçait de ne pas le laisser arriver jusque là. Arrivé à l'Hôtel de ville, il est saisi et transporté sous le réverbère. Lafayette et Bailly implorent en vain pour lui ; leurs voix sont couvertes par les vociférations de la foule. Berthier alors retrouve son courage ; il arrache un fusil et de la crosse se défend contre les nombreux ennemis qui l'entourent. Il tombe frappé de cent coups de baïonnette. Sa vie fut celle d'un criminel, sa mort fut celle d'un soldat. Un dragon, un misérable, qui l'accusait d'avoir fait mourir son père, lui arracha le cœur et le porta à l'Hôtel de ville. La foule, saisie d'horreur, se recula de cet homme, qui mit le cœur de Berthier au bout d'un coutelas, et, au milieu de quelques forcenés, le promena par la ville. Le soir même, les mânes de Berthier et la nation furent vengées d'un acte aussi atroce. Tout son régiment s'était levé contre l'homme au sanglant trophée, et ses camarades lui ayant déclaré qu'ils se battraient tous avec lui jusqu'au dernier, il fut tué en duel dans la nuit. III Ces deux vengeances du peuple, qui un moment avaient effrayé les citoyens paisibles, n'eurent pas de suites à Paris. Du reste, un sentiment d'amour et de concorde régnait dans tous les cœurs, et dans tout citoyen, le peuple, confiant et crédule, ne vit bientôt plus qu'un ami. A Rennes, l'étendard de la liberté fut levé ; les régiments d'Artois et de Lorraine et les dragons d'Orléans refusèrent de tirer sur le peuple qui avait pris les armes. A Saint-Malo, la jeunesse donna le même exemple de patriotisme et de dévouement à la cause de la liberté. A Bordeaux, les bourgeois se mêlèrent avec l'armée ; des membres du parlement se firent inscrire comme soldats dans les compagnies de la milice bourgeoise ; le commandant du Château-Trompette, loin d'imiter le gouverneur de la Bastille et de tirer sur le peuple, envoya présenter les clefs de la forteresse aux quatre-vingt-dix électeurs des communes. Bordeaux donna l'exemple du civisme et de la modération, et, la joie éclatant dans tous les cœurs, un piédestal fut dressé au buste de Necker, qui, placé au bas de la statue de Louis XV, fut couronné de lauriers et de fleurs. A Grenoble, à Lyon, ce fut le même patriotisme et le même enthousiasme. Tous les cœurs battaient à l'unisson ; d'un bout de la France à l'autre la même pensée agitait tous les esprits : tous les citoyens d'une même nation faisaient le serment de combattre pour la patrie et les lois, et de verser tout leur sang pour assurer la vie, la liberté des représentants de la nation. Partout on arbora la cocarde ; partout on espéra dans l'avenir, et on promit d'oublier le passé. Nul sentiment de vengeance dans le cœur du peuple : pour un meurtre isolé, le pardon universel ! Du reste, Necker arrivait, et sa présence à Paris était un gage de réconciliation entre le roi et son peuple. Messieurs, dit-il en réponse à un discours que Bailly lui fit à l'Hôtel de ville, plus de jugements, de proscriptions, plus de scènes sanglantes ; généreux Français, respectez, même dans vos moments de calamité et de crise, ce caractère de bonté, de justice et de douceur qui distingue votre nation. Il plaida la cause de l'humanité et fut entendu parce qu'il fut compris. Il demanda une amnistie générale ; électeurs et représentants de la commune, le peuple tout entier lui aurait accordé alors le pardon de son plus grand ennemi. Quelques jours après cependant, la puissance de Necker recevait un échec et l'Assemblée nationale déclarait persister dans ses précédents décrets relatifs à la responsabilité des ministres et agents du pouvoir exécutif. Elle arrêtait en outre que la commune n'avait le droit ni de condamner, ni d'absoudre, et qu'elle avait outrepassé ses pouvoirs en promettant la mise en liberté de Bezenval ; celui-ci, malgré l'intervention de Necker, dut rester prisonnier. Il y eut encore un meunier, nommé Sauvage, qui périt victime des soupçons du peuple. Un fermier, du nom de Thomassin et noté comme accapareur, fut bientôt aussi désigné à la vindicte publique et poursuivi à outrance. Enfermé dans la prison de Poissy, que la foule déjà entourait, sa tête fut demandée par les plus furieux. L'Assemblée nationale apprit le danger que courait Thomassin ; elle envoya aussitôt une députation pour l'arracher, s'il était possible, à la fureur populaire. L'évoque de Chartres harangua la foule et parvint à l'apaiser. Ils n'ont pas essayé de protéger Sauvage, parce qu'il était pauvre, dit une voix ; ils veulent-sauver Thomassin, parce qu'il est riche. Cette parole amena un nouvel arrêt de mort contre Thomassin. La prison fut envahie et le malheureux, saisi et garrotté, fut considéré comme perdu. Mais l'évêque de Chartres ne perdit pas espoir : il se jeta à genoux, et les députés l'imitant, ils tendirent vers le peuple des mains suppliantes. Cette fois la foule fut émue, les armes disparurent, toute colère tomba et Thomassin fut rendu à la liberté. Le peuple avait prouvé qu'il connaissait aussi la clémence, car Thomassin n'était pas une victime choisie au hasard, mais un accapareur dl3 grains, un de ces misérables qui, de concert avec la cour, avaient amené la famine et provoquaient la guerre civile. IV Dans ce moment, en effet, les partis commençaient à se prononcer davantage. Les parlements, la noblesse, le clergé, la cour, menacés tous de la même ruine, avaient confondu leurs intérêts. Une sorte de consternation, mêlée de désespoir, régnait dans l'aristocratie, ajoute un historien. N'ayant pu empêcher ce qu'elle appelait le mal, elle désirait maintenant que le peuple en commît le plus possible, pour amener le bien par l'excès même de ce mal. Ce système, mêlé de dépit et de perfidie, qu'on appelle le pessimisme politique, commence chez les petits dès qu'ils ont fait assez de pertes pour renoncer à ce qui leur reste, dans l'espoir de tout recouvrer. L'aristocratie se mit dès lors à l'employer, et souvent on la vit voter avec les membres les plus violents du parti populaire. Quelques membres espérèrent encore arrêter la marche de la révolution, de ce nombre fut Lally-Tollendal. Il raconta en pleine assemblée le meurtre de Berthier et chercha à gagner la pitié de son auditoire : Vous ne savez que sentir, lui cria Mirabeau, lorsqu'il ne faut que penser. — Qu'est-il donc arrivé ? s'était déjà écrié Robespierre, dans une autre séance de l'Assemblée nationale, alors que ce même Lally-Tollendal sonnait le tocsin de la terreur. On parle d'émeute ! cette émeute, Messieurs, c'est la liberté ! Ne vous y trompez pas ; le combat n'est point à sa fin. Demain, peut-être, se renouvelleront des tentatives funestes ; et qui les repoussera, si d'avance nous déclarons rebelles ceux qui se sont armés pour notre salut ? Le geste absolu de Robespierre, dit Louis Blanc, le feu couvert qui brillait dans ses yeux, le mouvement convulsif de ses lèvres minces, son visage d'une pâleur formidable, l'appel menaçant et bref qu'il faisait à la force du peuple, tout cela fit sur l'Assemblée une impression profonde sans doute, car tout à coup la scène changea d'aspect. Mais à côté des Glaizen, des Blésau, des Buzot, de Mirabeau, de Robespierre, et de tant d'autres pour lesquels nous nous réservons, se dressait un parti qui comptait dans son sein des hommes remarquables par le talent et par l'habileté. Les chefs de ce parti, disent Ferrant et Lamarque, étaient deux hommes d'un talent supérieur : Maury et Cazalès. L'abbé Maury, orateur brillant et lucide, ne possédait pas cette éloquence entraînante qui maîtrise une assemblée et lui impose des convictions. Doué d'une faconde intarissable, il apportait à la tribune les habitudes de la chaire et les traditions de l'Académie. Rhéteur et sophiste, il ne craignait d'aborder aucune question, sauf à ne pas la comprendre et à donner des citations et des saillies pour des arguments. Il attaquait avec audace, se défendait avec adresse, tenait tête aux débats les plus orageux, et ne se laissait pas déconcerter même par l'évidence. Malheureusement, comme il n'avait jamais que des convictions chancelantes et un jugement peu ferme, il ne pouvait ni persuader l'Assemblée, ni être utile à son parti. Tout au rebours, ce qui distinguait Cazalès, c'était la rectitude de son esprit, la rapidité de son coup d'œil, une élocution facile, à la fois précise et animée, quoique sans pompe et sans déclamation. Organe de la noblesse, il mettait un rare talent au service d'une cause perdue. Venait ensuite un parti modéré dont Necker était le chef. Ce parti rêvait la constitution anglaise et voulait une transaction entre la royauté et le peuple. Des orateurs éloquents, tels que : Mounier, Lally-Tollendal, Malouet et Clermont-Tonnerre secondaient les vues de Necker. La gauche alors était occupée par un triumvirat composé de trois jeunes gens : Barnave et les deux Lameth. Ce parti s'était formé dans le club breton, et plus tard il devint la Société des Amis de la constitution. Barnave était un jeune avocat de Grenoble, doué d'une grande éloquence et d'une âme tendre. Il était réellement l'orateur dé cette jeune pléiade qui avait Duport pour penseur et les Lameth comme hommes d'exécution. Duport, du reste, était le fondateur de ce club breton qui, avant d'être transporté à Versailles, avait d'abord été établi rue du Chaume, au Marais. Mirabeau n'alla qu'une fois chez Duport, dit Michelet ; il appelait Duport, Barnave et Lameth, le Triumgueusat. Sieyès y alla aussi et n'y voulut pas retourner : C'est une politique de caverne, disait-il ; ils prennent des attentats pour des expédients. Il les désigne ailleurs plus durement encore : On peut se les représenter comme une troupe de polissons méchants, toujours en action, criant, intriguant, s'agitant au hasard et sans mesure ; puis riant du mal qu'ils ont fait... On peut leur attribuer la meilleure part dans l'égarement de la Révolution. Certes, Sieyès avait raison, ces hommes n'étaient point de taille à comprendre le grand mouvement qui se préparait. Aussi furent-ils bientôt devancés et leur étoile pâlit et s'éteignit devant celle des Robespierre, des Danton, des Saint-Just et des Camille Desmoulins. Mais il serait injuste de leur refuser un certain enthousiasme pour la liberté, un commencement d'amour pour la cause de l'humanité. S'ils ne furent pas les héros de la Révolution, ils en furent l'avant-garde. Saluons en passant tous ces hommes, Mirabeau à leur tête, qui, pour n'avoir pas été à la hauteur des questions redoutables qui allaient se débattre, ont néanmoins préparé la voie de la Révolution et jeté, dans le sol ingrat des préjugés funestes, le premier germe de l'indépendance. Mais au-dessus de ces hommes dominait toujours Mirabeau. Son éloquence foudroyante entraînait les décisions de l'Assemblée. Peu à peu, soutenue par les inflexions de l'esprit et du savoir, dit un contemporain, sa voix s'élevait et, tout à coup, elle montait avec souplesse au ton plein, varié, solennel, des pensées que développait son génie. Sa laideur disparaissait, sa vigueur avait des grâces, tant son âme le transformait tout entier. Souvent trivial dans ses plaisanteries, toujours sublime dans ses mouvements d'indignation, il étonnait, charmait et subjuguait l'Assemblée. Une discussion venait-elle à se prolonger au delà des limites ordinaires, impatienté, il tranchait d'un mot le nœud d'une question difficile. Malheur à ceux qui osaient l'interrompre mal à propos ou le harceler ! d'un geste ou d'un regard il les faisait rentrer dans le silence, et il les écrasait de sa parole au bruit des applaudissements de l'Assemblée et des acclamations des tribunes. On n'était jamais rassasié de l'entendre, et quand il se levait pour parler, tous les yeux se tournaient vers lui, comme s'il allait monter à la tribune pour, la dernière fois. Supérieur à tous ses rivaux, il découvrait, par des répliques accablantes, le défaut de leurs armes ; mais sa plus grande force était dans sa colère. Nul alors n'osait l'attaquer si ce n'est, dit madame de Staël, ceux des aristocrates qui, ne se servant pas de la parole, lui envoyaient défi sur défi pour l'appeler en duel. Mirabeau, du reste, était alors redoutable aux partis de l'aristocratie qu'il avait tour à tour attaqués et caressés. De l'avis des conseillers de Louis XVI, des propositions lui avaient été faites pour soutenir le roi contre la Révolution dont le flot grandissant menaçait de saper le trône dans sa base. Mirabeau, dévoré de besoins et flatté d'une alliance avec la cour, n'avait point su résister. Mais Marie-Antoinette n'avait point voulu d'un tel auxiliaire. Elle détestait trop le tribun pour savoir oublier ses rancunes et faire taire ses colères. Elle ne jugeait pas sa chute encore assez imminente pour dissimuler avec l'homme qu'elle avouait mépriser de toute son âme. Mirabeau, furieux, ne se releva de cette humiliation, qu'il avait subie dans l'ombre, qu'avec plus de colère et plus d'éloquence. Ce fut le lion déchaîné qui s'élance par bonds et secoue sa crinière hérissée. Il voulait être maire de Paris, il ne fut pas nommé, et sa rage n'en acquit que plus de force et de haine. Mais à côté de ces différents partis se dressait la véritable puissance populaire. Le peuple se retournait déjà vers cette figure ardente et réfléchie à la fois d'un homme qui allait un jour marcher à la tête de la Révolution devant Robespierre. Le peuple, écoutant la voix de Mirabeau qui tonnait à l'Assemblée, s'étonnait déjà, et prêtait une oreille plus attentive à la parole âpre et mordante de Camille Desmoulins, à la voix rugissante de Danton. V Mais laissons d'abord parler les événements. La nation était alors dans une situation périlleuse. Menacée dans son sein, elle l'était déjà à ses frontières. Tout ce qui était riche fuyait ; tout ce qui était pauvre souffrait. Aux noms de ceux qui avaient pris la route de l'étranger il fallait en joindre beaucoup d'autres. Le duc de Luxembourg, le duc de Coigny, le marquis de Sérens, le comte de Vaudreuil, le prince de Lambesc, le comte du Cayla, la princesse de Beauffremont : tous fuyaient, tous partaient, abandonnant le peuple à la famine et la cour à l'incertitude et aux désordres qui allaient naître. Tous avaient des millions dans les coffres de leur voiture. Était-ce pour ne revenir jamais ? Non, disait le peuple, c'est pour former une armée à nos frontières et mitrailler un jour Paris. La nation fit bonne garde à ses barrières. Le baron de Bachmann, major du régiment des gardes suisses, fut arrêté au moment de son départ. Cazalès, qui fuyait aussi, fut obligé de revenir prendre son poste à l'Assemblée nationale. A Péronne, l'abbé Maury, qui avait noué ses cheveux et rejeté son rabat sur sa tête, fut reconnu et ramené à Paris. Au Havre, il en fut de même pour le duc de La Vauguyon, ambassadeur de France en Espagne, ex-gouverneur de Louis XVI, et pour son fils le duc de Garency. Mais à ces embarras de la nation vinrent se joindre bientôt d'autres préoccupations plus terribles : La grande conspiration, la grande trahison des aristocrates, criait-on par les rues ; et partout le bruit se répandait que la cour avait eu le dessein de livrer le port de Brest aux Anglais. Était-ce la cour ou seulement ses satellites qui avaient eu cette odieuse pensée ? Était-ce l'Anglais qui avait voulu allumer le scandale et semer la discorde entre les partis déjà irrités ? Toujours est-il qu'une lettre du duc Dorset, adressée à Mi de Montmorin, était lue en pleine Assemblée. Cette lettre disait : Votre Excellence se rappellera plusieurs conversations que j'eus avec elle au commencement du mois de juin dernier, le complot affreux qui avait été proposé relativement au port de Brest, l'empressement que j'ai eu à mettre le roi et ses ministres sur leurs gardes, la réponse de ma cour, qui correspondait si fort avec mes sentiments et qui repoussait avec horreur la proposition qu'on lui faisait. Vous sentez combien il est essentiel pour moi qu'on rende justice à ma conduite et à celle de ma cour. Cette lettre était très-grave : elle tombait de haut, elle devait produire une profonde agitation. Dans la séance du 18 juillet, Duport demanda la parole. Sur la proposition de Volney, un comité de trente membres, investi de la mission de recevoir, d'examiner les Mémoires, plaintes et requêtes, avait été institué. Duport voulait une commission de quatre membres pour entendre le rapport et les indices sur le complot de Brest et autres semblables. Combattu assez violemment dans l'assemblée, ce projet fut néanmoins appuyé. La commission fut nommée, mais de douze membres au lieu de quatre. Les commissaires choisis furent Duport, l'évêque de Chartres, le duc de La Rochefoucauld, de Glaizen, Fréteau, Tronchet, Rewbell, d'André, Bouche, Pétion, Yvernault et le comte de Virieu. Telles furent les premières bases du fameux tribunal révolutionnaire, qui joua un si grand rôle dans les événements qui vont suivre. VI A ces soupçons, à ces craintes de chaque jour, se mêla bientôt la terreur des brigands. Chacun croyait avoir près de soi des démons exterminateurs, dit Michelet. Le matin, on courait aux champs voir s'ils n'étaient pas dévastés. Le soir, on s'inquiétait, craignant de brûler dans la nuit. Au nom des brigands, les mères erraient, cachaient leurs enfants. Les troupes du roi, qui en d'autres temps eussent paru une protection, étaient justement ce qui faisait peur. Qui voyait-on à leur tête ? Les plus insolents des nobles, ceux qui cachaient le moins leur haine. L'homme devait compter sur soi, sur nul autre. La France fut armée en huit jours. L'Assemblée nationale apprit coup sur coup les progrès miraculeux de cette révolution, elle se vit en un moment à la tête de l'armée la plus nombreuse qui fût depuis les croisades. Chaque courrier qui arrivait l'étonnait, l'effrayait presque. Un jour, on venait lui dire : — Vous avez deux cent mille hommes ! Le lendemain, on lui disait : — Vous avez cinq cent mille hommes ! D'autres arrivaient : — Un million d'hommes sont armés cette semaine, deux millions, trois millions !... L'ancienne armée avait disparu, elle était rentrée sous terre, ses chefs n'ayant ni le courage ni la force, ses soldats n'ayant ni l'enthousiasme ni la conviction. L'armée c'était la nation. Partout elle était puissante. Le peuple des villes et celui des campagnes veillait, prêt à lutter contre le despotisme du passé et la nuée de brigands envoyés par ses ennemis. La fureur de la noblesse égalait l'assurance et le calme du peuple. Les magistrats eux-mêmes ne parlaient plus que de combattre. On plaignait le roi et on ne plaignait pas ceux qui mouraient de faim. On raconte qu'à Quimper un membre du parlement de Bretagne, traversant la place publique où le peuple était réuni, disait, désignant les uns et les autres du doigt et les nommant par leur nom : Je les jugerai sous peu, et laverai mes mains dans leur sang ! En Franche-Comté, M. Mommay de Quincey fit mieux : exalté par un odieux fanatisme qui lui faisait voir un ennemi de la société dans tout homme ami du progrès, il fit savoir à Vesoul et dans les campagnes environnantes, qu'en réjouissance de la nouvelle de la prise de la Bastille, il était dans l'intention de donner une grande fête... Et on accourt, bourgeois, ouvriers, paysans, soldats, tous prennent place à une grande table et fêtent l'ère de la régénération des peuples. Tout à coup la terre s'entr'ouvre, une mine éclate, et de tous les joyeux convives il ne reste plus sur le sol que des membres sanglants, des corps mutilés, des têtes fracassées. L'Assemblée nationale s'indigna, le peuple, qui n'obtint pas justice et n'eut jamais le dernier mot de cette affaire, comprit de plus en plus que ses ennemis les plus puissants et les plus acharnés étaient dans la noblesse. La terreur s'en répandit plus grande dans les campagnes ; mais paysans et bourgeois jurèrent désormais de veiller au salut de la nation. VII Dans le même moment arriva le meurtre ou le suicide de Pinet, et de nouveau l'opinion publique fut alarmée. Celui-ci était agent de change et secrétaire du roi. C'était un homme généralement estimé, dit Prud'homme ; il avait des mœurs douces, une âme bienfaisante, et mettait à remplir ses engagements une exactitude presque religieuse. Néanmoins, il était devenu riche en très-peu de temps, et cette grande fortune n'avait pas été sans laisser tomber sur lui quelques soupçons. Il n'était ni joueur, ni amateur de loteries, payait des intérêts énormes à ceux qui lui confiaient des fonds, et faisait face à des dépenses excessives. Après la mort de Foulon et de Berthier, il parut atteint d'une tristesse morne, et le 29 juillet, après la lecture d'une lettre qui lui fut remise, il disparut entre six à sept heures du soir et ne reparut plus. Le lendemain, à l'entrée du bois du Vésinet, près de Saint-Germain, un homme fut trouvé presque mort et couvert de sang. C'était Pinet. Transporté aussitôt au Pecq, dans une auberge, un chirurgien fut appelé qui lui donna les premiers soins. Rappelé à lui, il déclara ne rien concevoir à son état, ni comment il se faisait qu'on l'avait rencontré dans un endroit aussi écarté, ni comment il avait été blessé ; il se rappelait seulement que sa tête avait porté sur un tronc d'arbre et que depuis il avait perdu connaissance. Ce n'est point un tronc d'arbre qui vous a fait cette blessure, dit le chirurgien, mais un coup de feu. Pinet, à ces mots se troubla, et fit comprendre qu'il voulait garder le silence. Trois jours après, il avouait secrètement qu'il avait été assassiné et bientôt il expirait. L'agent de change avait parlé d'un certain portefeuille rouge qu'il avait recommandé. Ce portefeuille ne fut pas retrouvé. Mais, deux mois après, Pinet était déclaré en faillite et son passif s'élevait au chiffre de cinquante-quatre millions. C'était la ruine de plus de quinze cents familles. On n'en sut jamais davantage. La mort de Pinet restera un mystère dans l'histoire. Ce qui parut le plus plausible alors, et semblerait encore le plus certain aujourd'hui, c'est que Pinet était le banquier du monopole des grains, le caissier de l'accaparement, et il continuait à servir le pacte de famine. Jamais autrement il n'eût pu payer jusqu'à 75 pour 100 d'intérêt, et, dans un temps de trouble et de misère, réaliser des bénéfices si immenses. Contentons-nous de la réflexion que Loustalot écrivit dans son journal : Cet événement doit produire de grands éclaircissements sur la révolution actuelle, mais le nombre des coupables, leur rang, leur crédit, leur richesse, empêcheront la vérité d'éclater. VIII Il y eut alors dans le peuple un redoublement de crainte et de colère. La cherté du pain augmenta, et des émeutes violentes eurent lieu. A Caen, le major Belzunce, qui s'était posé en ennemi déclaré de la Révolution et avait donné des preuves de son dédain et de son mépris, fut attaqué dans sa caserne, traîné à l'hôtel de ville et tué d'un coup de fusil. C'est alors qu'on vit surtout paraître ce que l'histoire appelle les brigands. Ils s'étaient montrés jusqu'alors en groupes isolés ; ils apparaissaient cette fois par bandes nombreuses. Brigands étranges !... Ils partaient la nuit, une torche à la main et un glaive de l'autre, traversant les villages au pas de course, et, alors que le tocsin d'alarme sonnait à leur approche et que, tout tremblants, les femmes et les enfants fuyaient fermant la porte au verrou, ils criaient ; précipitant leur marche : N'ayez point peur, bonnes gens, nous n'en voulons qu'à vos ennemis. Mais s'ils respectèrent les chaumières, ils brûlèrent les châteaux ; s'ils se détournèrent du champ du pauvre, ils pillèrent la propriété du riche. Ce ne fut pas aux personnes qu'ils s'attaquèrent, mais aux pierres insolentes qui rappelaient le long despotisme qui planait depuis des siècles sur les provinces. Les grands, les riches, les seigneurs des provinces ont si longtemps, si cruellement écrasé le peuple, qu'il y a une ancienne haine presque ineffaçable, dit une brochure de l'époque. On a pris à ce peuple sa subsistance pour la foudre en argent, pour la porter en redevances à des seigneurs tyranniques ; tantôt, c'étaient des corvées, tantôt des procès injustes, tantôt des violences. La vengeance s'amasse pendant un siècle dans des cœurs ulcérés, et aussitôt qu'elle peut agir, c'est un torrent qui ne connaît plus de frein. Cependant la pitié sut encore se faire jour dans le cœur de ces brigands. Le château de Mezin ne fut pas détruit, parce qu'une femme malade y fut trouvée. Le marquis de Montfermeil, accusé d'accaparement, fut, après enquête, déclaré bienfaiteur de la contrée et porté en triomphe. Mais on faisait peur à la bourgeoisie ; on lui disait : Après nous, ce sera votre tour ; et les brigands décimeront vos maisons comme ils ont renversé nos demeures seigneuriales. La bourgeoisie crut souvent ce qu'on avait intérêt à lui faire accroire, et placée entre l'ancien régime qu'elle détestait et la crainte du pillage, dans son erreur elle prêta souvent main forte à ses ennemis les plus terribles parce qu'ils étaient les plus anciens, les plus avides et les plus despotes. IX En face d'un tel état de choses, l'Assemblée nationale sentit qu'elle ne pouvait pas plus longtemps rester spectatrice. Il fallait réprimer les désordres et rendre au pays la tranquillité et la sécurité dont il avait tant besoin, raturer le passé et lui assurer la liberté. L'Assemblée comprit son devoir, et, dans une nuit à jamais célèbre, donna l'exemple du courage, de la force, de la grandeur et du sublime. C'était un mardi. Il était huit heures du soir environ. La séance s'ouvrit. Nous autres, petit-fils de la Révolution, souvenons-nous de cette séance mémorable, de cette nuit du 4 août, à laquelle nous devons d'être ce que nous sommes, et de pouvoir faire surtout de nos fils ce que nous en ferons. Le Chapelier présidait. Tous les fronts étaient soucieux. Sur les bancs de la noblesse, les députés paraissaient agités ; plusieurs s'interrogeaient en silence, et l'un d'eux, désignant la place que devait occuper Mirabeau, s'étonna de son absence. Target se leva et lut un rapport qui concluait au respect pour les personnes et les propriétés. A peine avait-il terminé que le vicomte de Noailles s'élance à la tribune : Messieurs, s'écrie-t-il, on veut protéger les personnes, garantir les propriétés, mais comment peut-on espérer d'y parvenir sans connaître quelle est la cause de l'insurrection qui se manifeste dans le royaume, et comment y remédier sans appliquer le remède au mal qui l'agite ? Les communes ont fait des demandes. Ce n'est pas seulement une constitution qu'elles ont désirée, mais que les droits d'aides fussent supprimés ; qu'il n'y eût plus de subdélégués ; que les droits seigneuriaux fussent allégés ou échangés. Ces communes voient, depuis plus de trois mois, leurs représentants s'occuper de ce que nous appelons, et de ce qui est en effet, la chose publique ; mais la chose publique leur paraît être surtout la chose qu'elles désirent et qu'elles souhaitent ardemment d'obtenir. Elles ont vu des personnes puissantes qui s'y opposaient. Qu'est-il arrivé dans cet état de choses ? Elles ont cru devoir s'armer contre la force, et aujourd'hui elles ne connaissent plus de frein. Aussi, en ce moment, le royaume flotte entre l'alternative de la destruction de la société ou d'un gouvernement qui sera admiré et suivi de toute l'Europe. Comment l'établir ce gouvernement ? par la tranquillité publique ; comment l'espérer cette tranquillité ? en calmant le peuple, en lui montrant qu'on ne lui résiste que dans ce qu'il est intéressant pour lui de conserver. Pour parvenir à cette tranquillité si nécessaire, je propose : 1° Qu'il soit dit, avant la proclamation projetée par le comité, que les représentants de la nation ont décidé que l'impôt sera payé par tous les individus du royaume, dans la proportion de leurs revenus ; 2° Que toutes les charges publiques seront à l'avenir supportées également par tous ; 3° Que tous les droits féodaux seront rachetables par les communautés, en argent, ou échangés sur le prix d'une juste estimation, c'est-à-dire d'après le revenu d'une année commune, prise sur dix années de revenu ; 4° Que les corvées seigneuriales, les mains-mortes et autres servitudes personnelles seront détruites sans rachat. Grande fut l'émotion des députés .de l'extrême gauche. Ces sentiments que venait d'exprimer le vicomte de Noailles, ils étaient ceux du club Breton, ce futur club des Jacobins, et avaient été confiés, la veille, au duc d'Aiguillon qui en faisait partie. C'était à celui-ci à prendre la parole ; il se leva, et le fit en termes éloquents. Messieurs, dit-il, dans ce siècle de lumières où la saine philosophie a repris son empire, à cette époque fortunée où, réunis pour le bonheur public et dégagés de tout intérêt personnel, nous allons travailler à la régénération de l'État, il me semble, messieurs, qu'il faudrait, avant d'établir cette constitution si désirée que la nation attend, il faudrait, dis-je, prouver à tous les citoyens que notre intention, notre vœu est d'aller au-devant de leurs désirs, et d'établir le plus promptement possible cette égalité de droits qui doit exister entre tous les hommes, et qui peut seule assurer leur liberté. Je ne doute pas que les propriétaires de fiefs, les seigneurs de terres, loin de se refuser à cette vérité, ne soient disposés à faire à la justice le sacrifice de leurs droits. Ils ont déjà renoncé à leurs privilèges, à leurs exemptions pécuniaires, et dans ce moment, on ne peut pas demander la renonciation pure et simple à leurs droits féodaux. Ces droits sont leurs propriétés. Ils sont la fortune de plusieurs particuliers ; et l'équité défend d'exiger l'abandon d'aucune propriété sans accorder une juste indemnité au propriétaire, qui cède l'agrément de sa convenance à l'avantage public. D'après ces puissantes considérations, Messieurs, et pour faire sentir aux peuples que vous vous occupez efficacement de leurs plus chers intérêts, mon vœu serait que l'Assemblée nationale déclarât que les impôts seront supportés également par tous les citoyens, en proportion de leurs facultés, et que désormais tous les droits féodaux des fiefs et terres seigneuriales seront rachetés par les vassaux de ces mêmes fiefs et terres, s'ils le désirent ; que le remboursement sera porté au denier fixé par l'Assemblée ; et j'estime, dans mon opinion, que ce doit être au denier 30, à cause de l'indemnité à accorder. C'est d'après ces principes, Messieurs, que j'ai rédigé l'arrêté suivant, que j'ai l'honneur de soumettre à votre sagesse, et que je vous prie de prendre en considération : L'Assemblée nationale, considérant que le premier et le plus sacré de ses devoirs est de faire céder les intérêts particuliers et personnels à l'intérêt général ; Que les impôts seraient beaucoup moins onéreux pour les peuples, s'ils étaient répartis également sur tous les citoyens, en raison de leurs facultés ; Que la justice exige que cette exacte proportion soit observée ; Arrête que les corps, villes, communautés et individus qui ont joui jusqu'à présent de privilèges particuliers, d'exemptions personnelles, supporteront à l'avenir tous les subsides, toutes les charges publiques, sans aucune distinction, soit pour la quotité des impositions, soit pour la forme de leur perception. L'Assemblée nationale, considérant en outre que les droits féodaux et seigneuriaux sont aussi une espèce de tribut onéreux, qui nuit à l'agriculture, et désole les campagnes ; Ne pouvant se dissimuler néanmoins que ces droits sont une véritable propriété, et que toute propriété est inviolable : Arrête que ces droits seront à l'avenir remboursables, à la volonté des redevables, au denier 30, ou à tel autre denier qui, dans chaque province, sera jugé plus équitable par l'Assemblée nationale, d'après les tarifs qui lui seront a présentés. Ordonne enfin, l'Assemblée nationale, que tous ces droits seront exactement perçus et maintenus comme par le passé, jusqu'à leur parfait remboursement. Le duc d'Aiguillon, qui venait de parler, était le petit-neveu de Richelieu. Après le roi, c'était le plus riche seigneur en propriétés féodales. Membre du club Breton, il avait été à même de juger les hommes du parti populaire et adoptait avec enthousiasme les idées de la Révolution. On s'étonna de l'entendre parler ainsi ; mais, vaincus par sa parole entraînante, quelques nobles applaudirent. C'est alors qu'un nouveau député monta à la tribune. Celui-là c'était un Bas-Breton, en costume de son pays. Il se nommait Le Guon de Kerengal. Personne ne le connaissait. Jamais il n'avait parlé et jamais on ne l'entendit depuis. Son visage était austère, presque sombre ; son geste rude, presque brutal. On regarda cet homme étrange et on prêta une oreille attentive : Messieurs, s'écria-t-il, vous eussiez prévenu l'incendie des châteaux, si vous aviez été plus prompts à déclarer que les armes terribles qu'ils contenaient, et qui tourmentent le peuple depuis des siècles, allaient être anéanties par le rachat forcé que vous en alliez ordonner. Le peuple, impatient d'obtenir justice et las de l'oppression, s'empresse à détruire ces titres, monuments de la barbarie de nos pères. Soyons justes, Messieurs, qu'on nous apporte ici les titres qui outragent, non-seulement la pudeur, mais l'humanité même. Qu'on nous apporte ces titres qui humilient l'espèce humaine, en exigeant que les hommes soient attelés à une charrette comme les animaux du labourage. Qu'on nous apporte ces titres qui obligent les hommes à passer les nuits à battre les étangs pour empêcher les grenouilles de troubler le sommeil de leurs voluptueux seigneurs. Qui de nous, Messieurs, dans ce siècle de lumières, ne ferait pas un bûcher expiatoire de ces infâmes parchemins, et ne porterait pas le flambeau pour en faire un sacrifice sur l'autel du bien public ? Vous ne ramènerez, Messieurs, le calme dans la France agitée, que quand vous aurez promis au peuple que vous allez convertir en prestations en argent, rachetables à volonté, tous les droits féodaux quelconques ; que les lois que vous allez promulguer anéantiront jusqu'aux moindres traces dont il se plaint justement. Dites-lui que vous reconnaissez l'injustice de ces droits acquis dans des temps d'ignorance et de ténèbres. Pour le bien de la paix, hâtez-vous de donner ces promesses à la France ; un cri général se fait entendre ; vous n'avez pas un moment à perdre ; un jour de délai occasionne de nouveaux embrasements ; la chute des empires est annoncée avec moins de fracas. Ne voulez-vous donner des lois qu'à la France dévastée ? X Au Bas-Breton succéda un Franc-Comtois, et les archives du régime féodal sont déchirées : des pages de sang se déroulent devant l'Assemblée ; il semble que tout un passé s'écroule, découvrant à nu les misères, les horreurs de plusieurs siècles de despotisme et de barbarie. Peindre fidèlement l'ivresse sainte, l'indomptable ivresse dont cette nuit du 4 août 1789 signala le mystérieux empire, les écrivains qui en furent témoins l'ont eux-mêmes tenté vainement, dit Louis Blanc. Ce fut une fièvre de générosité, ce fut un délire d'abnégation auxquels les annales d'aucun autre peuple n'eurent jamais rien de comparable. Le marquis de Foucault s'étant plaint de l'abus des pensions de la cour, les ducs de Guiche et de Mortemart s'empressèrent de déclarer que la haute noblesse serait fière de renoncer, pour l'avantage commun, aux bienfaits du roi. Le vicomte de Beauharnais, de proclamer tous les citoyens admissibles aux fonctions publiques ; le comte de Custine, de mettre le prix du rachat des droits féodaux à un taux moins élevé que le denier trente, indiqué par M. d'Aiguillon ; le duc de La Rochefoucauld, de délivrer les noirs des colonies ; M. Cotin, de supprimer les justices seigneuriales ; M. de Richer, d'abolir la vénalité des offices. L'émotion allait croissant. Une impatience qui ne différait pas de l'héroïsme ; confondait les vœux en rapprochant les âmes. Le nombre des offres généreuses était si considérable, le concours des motions expiatoires si véhément, que les secrétaires n'en pouvaient suivre sur le papier l'énumération trop rapide. Un conseiller du parlement réclama la destruction des privilèges de la magistrature. Barère fit don à ses concitoyens du prix de sa charge. Ceux qui n'avaient aucun sacrifice personnel à faire prenaient la parole pour exprimer leur douleur : Je suis comme Catulle, dit le comte de Virieu, je n'ai qu'un moineau : je l'offre. — Il est ici, répondit quelqu'un, plus d'une Lesbie prête à l'accepter. C'était la grâce dans l'enthousiasme. Seul, dans ce grand tournoi d'idées généreuses, le clergé ne partagea pas l'enivrement de l'Assemblée. Interpellé par le président Le Chapelier, l'évêque de Nancy n'émit que des vœux puérils ; l'évêque de Chartres fut plus adroit sans être plus généreux ; il sacrifia les droits de chasse insignifiants pour le clergé et très-importants pour la noblesse. Les nobles se regardèrent ; mais le feu était aux poudres, ils ne reculèrent pas, appuyèrent la renonciation, et, se vengeant en homme d'esprit, le duc du Châtelet proposa que les dîmes en nature fussent converties en redevances pécuniaires rachetables à volonté. Ceci touchait plus directement le clergé. Il se défendit comme il le put et avec son adresse habituelle : Je voudrais avoir une terre, dit l'évêque d'Uzès, il me serait doux de la remettre entre les mains des laboureurs ; mais nous ne sommes que dépositaires. Il faudrait cependant s'entendre sur ce mot : si votre dépôt est à Dieu, il n'en a que faire ; s'il est aux pauvres, vous le leur retenez arbitrairement et injustement, car ils en ont grand besoin. L'évêque nous ôte la chasse, avait dit le duc du Châtelet, je vais lui ôter ses dîmes. Il ignorait qu'on n'ôte rien au clergé, puisqu'il se refuse à lui-même le droit de se dépouiller. Les évêques de Montpellier et de Nîmes ne furent pas plus généreux. Seul, le bas clergé fut à la hauteur de la situation : plusieurs, n'ayant rien à offrir, parlèrent de céder leur casuel. L'attendrissement, l'exaltation étaient montés, de proche en proche, à un point extraordinaire, dit un historien. Ce n'était dans toute l'Assemblée qu'applaudissements, félicitations, expressions de bienveillance mutuelle. Les étrangers présents à la séance étaient muets d'étonnement ; pour la première fois, ils avaient vu toute la richesse de cœur de la France. Ce que des siècles d'efforts n'avaient pas fait chez eux, elle venait de le faire en peu d'heures par le désintéressement et le sacrifice. L'argent, l'orgueil immolé, toutes les vieilles insolences héréditaires, l'antiquité, la tradition même. Le monstrueux chêne féodal abattu d'un coup, l'arbre maudit, dont les branches couvraient la terre d'une ombre froide, tandis que ses racines infinies allaient dans les profondeurs chercher, sucer la vie, l'empêcher de monter à la lumière. La France peut tomber sous le despotisme, elle ne tombera jamais sous le coup des privilèges arbitraires. Par une de ces catastrophes qu'on ne peut prévoir, et dont Dieu nous préserve, notre nation peut avoir à courber la tête sous un joug tyrannique, elle ne la courbera jamais sous la rigueur des lois de l'ancienne monarchie. La France peut perdre une à une toutes ses libertés, elle vivra toujours sous l'empire de l'égalité. XI Puis, après les privilèges des classes, vinrent ceux des provinces. Le Dauphiné ouvrit la voie, et bientôt les Bourguignons, les Lorrains, les Normands, les Provençaux, les Languedociens, les Auvergnats, les Francs-Comtois, les Alsaciens, les Bretons mêmes, tous suivirent. Les pays d'Etat furent supprimés, les barrières abattues, les privilèges particuliers anéantis ; il n'y eut plus qu'une seule famille, qu'une seule nation, qu'un seul peuple, qu'un seul pays la France ! Et il avait fallu une nuit, une seule nuit, pour abattre erreurs, barbarie, privilèges, préjugés, despotisme, plusieurs siècles de féodalité ! Alors ce ne fut plus de la joie, de l'enthousiasme, du délire, ce fut le feu du génie qui éclata sur tous ces visages comme transportés dans un autre monde. Oui Dieu descendit au milieu de cette Assemblée pour leur déciller les yeux et leur montrer du doigt l'avenir ; dans cette heure solennelle, ils ne furent pas des hommes ordinaires, mais des êtres inspirés. L'injustice du passé se découvrit à eux, et par une force invincible ils se sentirent appelés à reconstituer la société. Ils s'oublièrent eux-mêmes pour ne songer qu'à l'avenir du peuple. Triste génération que nous sommes, à l'heure présente, nous, qui n'avons dans l'âme que le sentiment de la vertu, sans avoir la force de l'accomplir ; qui, avides de richesses et d'honneurs, ne savons plus distinguer le véritable mérite ; qui, dans notre ignorance, condamnons les actes glorieux de nos pères et leurs sublimes convictions, et qui, dans notre abaissement, jetant la bave du rire sur tout ce qui est grand et sacré, ne sommes plus de taille à comprendre cette nuit mémorable. Mais souvenons-nous au moins de ce qu'en disaient nos pères, étudions-en les conséquences, et, avouant ce que nous leur devons, on nous pardonnera peut-être de rire si nous ne renions pas notre dette. Voici ce qui venait d'être déclaré : Abolition de la qualité de serf et de la mainmorte, sous quelque dénomination qu'elle existe ; Faculté de rembourser les droits seigneuriaux ; Abolition des juridictions seigneuriales ; Suppression du droit exclusif de chasse, des colombiers et des garennes ; Taxe en argent représentative de la dîme ; rachat possible de toutes les dîmes, de quelque espèce que ce soit ; Abolition de tous privilèges et immunités pécuniaires ; Égalité des impôts ; Admission de tous les citoyens aux emplois civils et militaires ; Déclaration de l'établissement prochain d'une justice gratuite et de la suppression de la vénalité des offices ; Abandon des privilèges particuliers des provinces et des villes ; Suppression du droit de déport et vacat, des annales, de la pluralité des bénéfices ; Destruction des pensions obtenues sans titres ; Réformation des jurandes. Le duc de Liancourt propose d'éterniser par une médaille le souvenir de la nuit du 4 août ; l'archevêque de Paris réclame un Te Deum : Et le roi, Messieurs, le roi ! s'écrie Lally-Tollendal qui, un instant auparavant, faisait passer au président un billet qui disait : Méfiez-vous de l'entraînement de l'Assemblée, levez la séance. — Le roi ? dit-on, que voulez-vous pour lui ? — Messieurs, reprend Lally-Tollendal, c'est au milieu des États-généraux que Louis XII a été proclamé le Père du peuple ; je propose qu'au milieu de cette Assemblée nationale, la plus auguste, la plus utile qui fût jamais, Louis XVI soit proclamé le Restaurateur de la liberté française ! L'œuvre était terminée, il était deux heures du matin, on se sépara le visage transformé, l'ivresse dans le cœur, se serrant les mains et pleurant de joie. La foudre eût frappé tous ces hommes du même coup, que tous eussent béni la mort qui les atteignait : ils venaient d'accomplir un grand acte, ils sentaient qu'ils avaient acquis dans une nuit des droits à l'immortalité et qu'ils étaient vraiment les pères de la liberté française. XII Pourquoi revenir sur un acte accompli ? pourquoi couvrir d'un voile de tristesse cette nuit sublime qui doit être le signal de l'abnégation et de la liberté ? Il n'est que trop vrai cependant que le lendemain, lorsque le jour parut, que l'enthousiasme fut passé, il y eut des craintes et des regrets. L'abolition des droits féodaux était chose convenue, mais il restait à rédiger les décrets ; et ici ce fut à qui retiendrait une bribe des privilèges qu'il avait, la veille, si généreusement abandonnés. La majorité de l'Assemblée réunit ses efforts et malgré les restrictions de la noblesse et la colère du clergé, elle sut faire respecter une première décision. Elle abolit les services personnels, elle abolit les redevances, elle supprima les servitudes, elle déclara achetables toutes les rentes perpétuelles, elle anéantit les justices seigneuriales, et, arrivée au droit exclusif de chasse, elle soutint la discussion, lutta avec énergie et toutes les capitaineries furent détruites. Mais c'est quand arriva l'article des dîmes que le débat devint des plus violents. L'Assemblée voulait les abolir sans rachat en ajoutant qu'il serait pourvu par l'État à l'entretien du clergé. C'était un pas immense fait vers la justice ; il était en effet profondément injuste que l'impôt du culte ne s'exerçât que sur une classe du peuple. La dîme valait plus de cent trente millions et n'imposait que le laboureur, impôt lourd, exécrable, montant souvent jusqu'au tiers de la récolte d'un pays, mettant le laboureur sous les pieds du prêtre, faisant de la terre la vassale de l'Église. C'était un impôt sur le soleil, sur la pluie, sur le pain et sur la sueur du pauvre, sur le bien-être et sur la misère de la nation. L'impôt proposé était plus juste puisque, chargeant sur l'État il devenait un impôt général : Mais c'est un vol à la masse de la nation que vous commettez, s'écria Sieyès, de lui faire supporter une dette qui ne doit peser que sur les propriétaires fonciers. Et il ajouta : Vous voulez être libres, et vous ne savez pas être justes. Quoique Sieyès ne crût pas qu'il fût possible de répondre à cette objection, la réponse était facile. La dette du culte est celle de tous, dit Thiers, convient-il de la faire supporter aux propriétaires fonciers plutôt qu'à l'universalité des contribuables ? c'est à l'État à en juger. Il ne vole personne en faisant de l'impôt la répartition qu'il juge la plus convenable. La dime, en écrasant les petits propriétaires, détruisait l'agriculture ; l'État devait donc déplacer cet impôt ; c'est ce que Mirabeau prouva avec la dernière évidence. Le clergé, qui préférait la dîme parce qu'il prévoyait bien que le salaire adjugé par l'État serait mesuré sur ses vrais besoins, se prétendit être propriétaire de la dîme par des concessions immémoriales ; il renouvela cette raison si répétée de la longue possession, qui ne prouve rien, car tout, jusqu'à la tyrannie, serait légitimé par la possession. On lui répondit que la dîme n'était qu'un usufruit ; qu'elle n'était point transmissible, et n'avait pas les principaux caractères de la propriété ; qu'elle était évidemment un impôt établi en sa faveur, et que cet impôt, l'État se chargerait de le changer en un autre. Certes rien n'était plus odieux que la dîme, et nous ne sommes pas avec Sieyès qui la défendait. Mais nous ne trouvons pas non plus parfaitement juste de dire que la dette du culte est celle de tous. La dette est une chose essentiellement personnelle, elle appartient à celui qui la contracte ; or, nous ne voyons pas pourquoi l'on nous oblige à payer des hommes qui ne sont pour nous d'aucune utilité et un luxe dont nous ne jouissons pas et que, le plus souvent, nous blâmons. Mais d'autres en jouissent, nous dira-t-.on ; il faut des églises, des prêtres, de l'encens. Soit, nous sommes de ceux qui voulons la tolérance la plus large, mais nous nous adressons ici au plus simple bon sens : Si vous pratiquez la religion catholique, pratiquez-la à votre aise, mais payez-en les frais. L'impôt du culte ne devrait nécessairement exister que sur ceux qui l'emploient. L'Église s'enrichirait moins vite peut-être, mais elle l'est si puissamment déjà qu'elle pourrait sans péril ne plus augmenter son capital. Mais alors déjà elle se révoltait de l'idée qu'elle allait recevoir un salaire de l'État. Elle s'en plaignit amèrement et demanda à qui on l'assimilait : Ne vous emportez pas ! s'écria Mirabeau, dans une société je ne connais que trois moyens d'exister : être ou voleur, ou mendiant, ou salarié. Il fallut se soumettre. Le clergé le fit avec colère, ne cédant que ce qu'il ne pouvait retenir : Quand vous nous avez invités à venir nous joindre à vous au nom du Dieu de paix, fit entendre la voix d'un curé, c'était donc pour nous égorger. L'abolition de la dîme fut décrétée, sous la condition que l'État se chargerait des frais des cultes, mais qu'en attendant la dîme continuerait d'être perçue. Clause inutile : le peuple déjà ne voulait plus payer ; le régime féodal, que l'Assemblée nationale abattait, n'était déjà plus qu'une vieille tour qui s'écroulait d'elle-même. Le 13 août, le roi, à qui tous les articles furent présentés, accepta le titre de Restaurateur de la Liberté française et assista à un Te Deum chanté à cette occasion. La nuit du 4 août avait porté ses fruits, la réforme était couronnée. XIII Mais la France continuait à avoir faim ; la famine était constamment à l'ordre du jour ; les uns entassaient, — les autres ne parvenaient pas à saisir la moindre subsistance. Les farines avaient de la peine à arriver jusqu'à Paris ; il en fallait pour Versailles, et Versailles était grand mangeur. Trente mille hommes iront demain chercher nos farines si Versailles ne nous les rend pas, écrivit un jour Bailly à Necker. C'était là le grand engin de guerre pour la cour, c'était par la famine qu'on espérait vaincre le peuple de Paris. Le peuple se défendait comme il le pouvait, et il trouvait des hommes très-inspirés pour le seconder : le malheur est qu'on n'aboutissait pas assez vite. L'Assemblée nationale animée des meilleurs sentiments, mais composée de trop d'éléments divers, subissait des hésitations mortelles. Depuis la nuit du 4 août, où elle avait fait preuve de patriotisme, elle semblait fatiguée et avoir hâte de repos. Souvent elle rétrogradait au lieu d'avancer. Elle faisait de la politique ; Bailly de l'administration ; Necker avait le souci des finances ; — aucun n'était assez hardi pour enterrer une bonne fois le passé, jeter la nation dans les idées nouvelles et arborer l'ère des libertés publiques. L'Assemblée s'occupait alors du veto, c'est-à-dire si le roi aurait le droit absolu d'empêcher ce qu'elle aurait décidé ou le droit seulement d'ajourner. C'était insensé ; à quoi bon la prise de la Bastille, la nuit du 4 août, si le roi conservait le droit de dire : Cette Bastille, je la relève ; ces droits féodaux que vous avez abolis, je les maintiens ? Sieyès, que son intérêt avait emporté dans la discussion des dîmes, fut superbe ici de justice et de profondeur. Il établit qu'aux empiétements réciproques des pouvoirs le remède n'était pas dans l'arbitrage du pouvoir exécutif, mais dans celui du pouvoir constituant qui est dans le peuple. Une assemblée peut se tromper ; mais combien un roi dépositaire inamovible d'un pouvoir héréditaire n'a-t-il pas plus de chances de se tromper ! Il a tout contre lui pour être juste. Le veto c'est une simple lettre de cachet lancée par un individu contre la volonté générale. On ne pouvait mieux définir cette chose absurde qui dévorait un temps précieux que l'Assemblée nationale eût dû employer à secourir le peuple et à consolider la Révolution. Le veto fut néanmoins accordé au monarque, mais- le veto suspensif, le droit d'ajourner jusqu'à la seconde législature qui suivrait celle qui proposerait la loi. Cette assemblée décidément vieillissait, alors que la France commençait seulement à naître. Dans cette question il y eut un homme qui donna tristement à réfléchir : Mirabeau y fit un discours long, diffus, prolixe, sur le veto absolu, et comprenant bientôt toute la faiblesse de sa cause, il l'abandonna avant d'avoir tout fait, tout essayé pour la faire triompher. XIV Le 12 août, il fut arrêté qu'une déclaration des droits de l'homme serait faite et placée en tête de l'acte constitutionnel. La rédaction de ces droits de l'homme prit beaucoup de temps et amena de vives discussions. Néanmoins l'Assemblée nationale en sortit avec honneur, et nous avons cette magnifique page placée en tête de la constitution de 91 : DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN. ARTICLE IER. — Tous les hommes ont un penchant invincible vers la recherche du bonheur ; c'est pour y parvenir, par la réunion de leurs efforts, qu'ils ont formé des sociétés et établi des gouvernements. Tout gouvernement doit donc pvoir pour but la félicité publique. ART. II. — Les conséquences qui résultent de cette vérité incontestable sont que le gouvernement existe pour l'intérêt de ceux qui sont gouvernés, et non de ceux qui gouvernent ; qu'aucune fonction publique ne peut être considérée comme la propriété de ceux qui l'exercent ; que le principe de toute souveraineté réside dans la nation, et que nul corps, nul individu ne peut avoir une autorité qui n'en émane expressément. ART. III. — La nature a fait les hommes libres et égaux en droits ; les distinctions sociales doivent donc être fondées sur l'utilité commune. ART. IV. — Les hommes, pour être heureux, doivent avoir le libre et entier exercice de toutes leurs facultés physiques et morales. ART. V. — Pour s'assurer le libre et entier exercice de ses facultés, chaque homme doit reconnaître et faciliter dans ses semblables le libre exercice des leurs. ART. VI. — De cet accord exprès ou tacite résulte entre les hommes la double relation des droits et des devoirs. ART. VII. — Le droit de chacun consiste dans l'exercice de ses facultés, limité uniquement par le droit semblable dont jouissent les autres individus. ART. VIII. — Le devoir de chacun consiste à respecter le droit d'autrui. ART. IX. — Le gouvernement, pour procurer la félicité générale, doit donc protéger les droits et prescrire les devoirs. Il ne doit mettre au libre exercice des facultés humaines d'autres limites que celles qui sont évidemment nécessaires pour en assurer la jouissance à tous les citoyens, et empêcher les actions nuisibles à la société. Il doit surtout garantir les droits imprescriptibles qui appartiennent à tous les hommes, tels que la liberté personnelle, la propriété, la sûreté, le soin de son honneur et de sa vie, la libre communication de ses pensées, et la résistance à l'oppression. ART. X. — C'est par des lois claires, précises et uniformes pour tous les citoyens, que les droits doivent être protégés, les devoirs tracés, et les actions nuisibles punies. ART. XI. — Les citoyens ne peuvent être soumis à d'autres lois qu'à celles qu'ils ont librement consenties par eux ou par leurs représentants ; et c'est dans ce sens que la loi est l'expression de la volonté générale. ART. XII. — Tout ce qui n'est pas défendu par la loi est permis ; et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. ART. XIII. — Jamais la loi ne peut être invoquée pour des faits antérieurs à sa publication ; et si elle était rendue pour déterminer le jugement des faits antérieurs, elle serait oppressive et tyrannique. ART. XIV. — Pour prévenir le despotisme et assurer l'empire de la loi, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire doivent être distincts. Leur réunion dans les mêmes mains mettrait ceux qui en seraient les dépositaires au-dessus de toutes les lois, et leur permettrait d'y substituer leurs volontés. ART. XV. — Tous les individus doivent pouvoir recourir aux lois, et y trouver de prompts secours pour tous les torts ou injures qu'ils auraient souffertes dans leurs biens ou dans leurs personnes, ou pour les obstacles qu'ils éprouveraient dans l'exercice de leur liberté. ART. XVI. — Il est permis à tout homme de repousser la force par la force, à moins qu'elle ne soit employée en vertu de la loi. ART. XVII. — Nul ne peut être arrêté ou emprisonné qu'en vertu de la loi, avec les formes qu'elle a' prescrites, et dans le cas qu'elle a prévus. ART. XVIII. — Aucun homme ne peut être jugé que dans le ressort qui lui a été assigné par la loi. ART. XIX. — Les peines ne doivent point être arbitraires, mais déterminées par les. lois, et elles doivent être absolument semblables pour tous les citoyens, quels que soient leur rang et leur fortune. ART. XX. — Chaque membre de la société ayant droit à la protection de l'État, doit concourir à sa prospérité et contribuer aux frais nécessaires dans la proportion de ses biens, sans que nul puisse prétendre aucune faveur ou exemption, quel que soit son rang ou son emploi. ART. XXI. — Aucun homme ne peut être inquiété pour ses opinions religieuses, pourvu qu'il se conforme aux lois et ne trouble pas le culte public. ART. XXII. — Tous les hommes ont le droit de quitter l'État dans lequel ils sont nés, et de choisir une autre patrie, en renonçant aux droits attachés dans la première à leur qualité de citoyen. ART. XXIII. — La liberté de la presse est le plus ferme appui de la liberté publique. Les lois doivent la maintenir en la conciliant avec les moyens propres à assurer la punition de ceux qui pourraient en abuser pour répandre des discours séditieux ou des calomnies contre des particuliers. Suivaient les principes du gouvernement français, dont nous ne donnons ici que quelques extraits : Le gouvernement français est monarchique ; il est essentiellement dirigé par la loi ; il n'y a point d'autorité supérieure à la loi. Le roi ne règne que par elle ; et quand il ne commande pas au nom de la loi, il ne peut exiger l'obéissance. Le pouvoir judiciaire ne doit jamais être exercé par le roi ; et les juges auxquels il est confié ne peuvent être dépossédés de leur office pendant le temps fixé par la loi, autrement que par les voies légales. Aucune taxe, impôt, charge, droit ou subside ne peuvent être établis sans le consentement libre et volontaire des représentants de la nation. Les ministres, les autres agents de l'autorité royale, sont responsables de toutes les infractions qu'ils commettent envers les lois, quels que soient les ordres qu'ils aient reçus ; et ils doivent en être punis sur les poursuites des représentants de la nation. Les citoyens de toutes les classes peuvent être admis à toutes les charges et emplois, et ils auront la faculté d'acquérir toute espèce de propriété territoriale, sans être tenus de payer à l'avenir aucun droit d'incapacité ou de franc-fief. Aucune profession ne sera considérée comme emportant dérogeance. Les emprisonnements, exils, contraintes, enlèvements, actes de violence en vertu de lettres de cachet ou ordres arbitraires seront à jamais proscrits. Puis venaient une quantité d'articles qui garantissaient la personne du roi, l'inviolabilité de sa famille, ses pouvoirs et ses privilèges. Ceci fait, il ne restait plus qu'à commencer les travaux de la constitution. Mais nous n'entrerons pas dans les vaines et puériles discussions qui suivirent, puisque, comme l'a avoué M. Thiers, un historien peu entaché de libéralisme, la république était dans les opinions sans y être nommée, et, sans le savoir, l'on était déjà républicain. Le peuple l'était plus que l'Assemblée. Si sa joie avait été grande le lendemain de la nuit du 4 août, il éprouva comme une terreur universelle le jour où il apprit que l'Assemblée accordait au monarque le veto suspensif. Pourquoi pas le veto absolu ? dit ce peuple, qui avait longtemps ignoré ce que ce mot absurde.de veto signifiait ; le roi eût pu décréter que la Révolution n'existait pas. XV Mais la ruine menaçait l'État. Un emprunt voté récemment par l'Assemblée n'avait pas réussi. L'émigration emportait nos capitaux à l'étranger. Necker, désespéré, se présenta une fois encore à l'Assemblée, proposant une contribution nouvelle représentant le quart du revenu de chaque particulier. Trois jours furent consacrés à examiner ce plan. Les trois jours expirés, il fut débattu et menaça de disparaître dans l'explosion des sentiments multiples de l'Assemblée. Mirabeau répétait sans cesse : Je n'approuve pas les plans de Necker ; mais, puisque l'opinion lui décerne la dictature, il faut les approuver de confiance. S'apercevant que la discussion s'égarait et que le plan allait être rejeté, il remonta une troisième fois à la tribune : Au milieu de tant de débats tumultueux, s'écria-t-il, ne pourrais-je donc pas ramener à la délibération du jour, par un petit nombre de questions bien simples ? Daignez, Messieurs, daignez nie répondre. Le premier ministre ne vous a-t-il pas offert le tableau le plus effrayant de votre situation actuelle ? Ne vous a-t-il pas dit que tout délai aggravait le péril, qu'un jour, une heure, un instant pouvait le rendre mortel ? Avons-nous un plan à substituer à celui qu'il nous propose ? Oui, a crié quelqu'un dans l'Assemblée. Je conjure celui qui répond oui de considérer que son plan n'est pas connu, qu'il faut du temps pour le développer, l'examiner, le démontrer... Et moi aussi, je ne crois pas les moyens de M. Necker les meilleurs possibles ; mais le ciel me préserve, dans une situation si critique, d'opposer les miens aux siens. Vainement je les tiendrais pour préférables. On ne rivalise pas en un instant avec une popularité prodigieuse conquise par des services éclatants, une longue expérience, la réputation du premier talent financier connu, et, s'il faut tout dire, des hasards, une destinée telle qu'elle n'échut en partage à aucun mortel. Il faut donc en revenir au plan de M. de Necker. Deux siècles de déprédations et de brigandages ont creusé le gouffre où le royaume est près de s'engloutir. Il faut le combler, ce gouffre effroyable. Eh bien ! voici la liste des propriétaires français, choisissez parmi les 'Plus riches afin de, sacrifier moins de citoyens, mais choisissez ; car ne faut-il pas qu'un petit nombre périsse pour sauver la masse du peuple ? Allons, ces deux mille notables possèdent de quoi combler le déficit ; ramenez l'ordre dans vos finances, la paix et la prospérité dans le royaume ; frappez, immolez sans pitié ces tristes victimes. Vous reculez d'horreur, hommes inconséquents, hommes pusillanimes ! Eh ! ne voyez-vous. pas qu'en décrétant la banqueroute, ou, ce qui est plus odieux encore, en la rendant inévitable sans la décréter, vous vous souillez d'un acte mille fois plus criminel ; car enfin cet horrible sacrifice ferait au moins disparaître le déficit. Mais croyez-vous, parce que vous n'avez pas payé, que vous ne devez plus rien ? Croyez-vous que les milliers, que les millions d'hommes qui perdront en un instant, par l'explosion terrible ou par ses contrecoups, tout ce qui faisait la consolation de leur vie, et peut-être leur unique moyen de se sustenter, vous laisseront paisiblement jouir de votre crime ?... Non, vous périrez, et dans la conflagration universelle que vous ne frémissez pas d'allumer, la perte de votre honneur ne sauvera pas une seule de vos détestables jouissances ! Voilà où nous marchons. J'entends parler de patriotisme, d'élans de patriotisme, d'invocations au patriotisme. Ah ! ne prostituez pas ces mots de patriotisme et de patrie ! Il est donc magnanime l'effort de donner une portion de son revenu pour sauver tout ce qu'on possède ? Eh ! messieurs, ce n'est là que de la simple arithmétique, et celui qui hésitera ne peut désarmer l'indignation que par le mépris que doit inspirer sa stupidité. Oui, messieurs, c'est la prudence la plus ordinaire, la sagesse la plus triviale, c'est notre intérêt le plus grossier que j'invoque. Votez donc ce subside extraordinaire ; puisse-t-il être suffisant ! Votez-le, parce que si vous avez des doutes sur les moyens — doutes vagues et non éclaircis —, vous n'en avez pas sur sa nécessité et sur votre impuissance à le remplacer, immédiatement du moins. Votez-le, parce que les circonstances ne souffrent aucun retard et que nous serions comptables de tout délai. Gardez-vous de demander du temps. Le malheur n'en accorde jamais... Eh ! Messieurs, à propos d'une ridicule motion du Palais-Royal, d'une risible insurrection, qui n'eut jamais d'importance que dans les imaginations faibles ou les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise toi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés : Catilina est aux portes de. Rome, et l'on délibère ! Et, certes, il n'y avait autour de nous ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome. Mais aujourd'hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là, elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur et vous délibérez ! Ce fut un cri d'enthousiasme, des applaudissements frénétiques. Le plan de Necker fut adopté. XVI Le 20 septembre de cette année mémorable de 1789, l'Assemblée nationale présentait au roi les articles votés durant la nuit du 4 août. Louis XVI, quelques jours après, répondit qu'il en approuvait l'esprit, mais ne donnait à quelques-uns qu'une adhésion conditionnelle, dans l'espoir qu'on les modifierait en les faisant exécuter. Si l'on combat notre puissance constituante, s'écria encore Mirabeau, on nous obligera à la déclarer. Qu'on en agisse franchement et sans mauvaise foi. Nous convenons Ides difficultés de l'exécution, mais nous ne l'exigeons pas. Ainsi nous demandons l'abolition des offices, mais en indiquant pour l'avenir le remboursement et l'hypothèque du remboursement ; nous déclarons l'impôt qui sert de salaire au clergé destructif de l'agriculture, mais en attendant un remplacement, nous ordonnons la perception de la dîme ; nous abolissons les justices seigneuriales, maison les laissant exister jusqu'à ce que d'autres tribunaux soient établis. Il en est de même des autres articles ; ils ne renferment tous que des principes qu'il faut rendre irrévocables en les promulguant ; d'ailleurs, fussent-ils mauvais, les imaginations sont en possession de ces arrêtés, on ne peut plus les leur refuser. Répétons ingénument au roi ce que le fou de Philippe Il disait à ce prince si absolu : Que ferais-tu, Philippe, si tout le monde disait oui quand tu dis non ? Aussi, se reconnaissant peu satisfait de la réponse du roi, le président de l'Assemblée dut-il retourner vers le roi pour lui demander sa promulgation. Cette démarche le farouche tribun en avait eu l'initiative. Il était écrit qu'il réussirait tout ce qu'il entreprendrait ; qu'il suffirait que sa parole éloquente se fit entendre, pour que ceux qui l'attaquaient se rendissent, pour que ceux qu'il défendait triomphassent, pour que toute question qu'il soulevait devint la question à l'ordre du jour. Cet homme fut vraiment extraordinaire : il eut toute la puissance du génie et toutes les faiblesses de l'homme. |