RECHERCHES SUR LA XIVe DYNASTIE DE MANÉTHON

 

XIII. — Examen de l’opinion de M. de Rougé, qui pense que Moïse sortit de l’Égypte sous le règne de Ménenphphah. — Difficultés de chronologie et d’histoire.

 

 

Voici quel est le raisonnement de l’illustre égyptologue[1] : Le règne du persécuteur des Hébreux fut très long ; il les a contraints de bâtir des villes dont l’une portait le nom de Ramsès ; or le règne de Ramsès Méïantoun a duré 68 ans et il a bâti, dans la basse Égypte, une ville à laquelle il a donné son nom. Moïse, fugitif à 40 ans, ne revint d’Arabie qu’à l’âge de 80, après la mort du roi. Il obligea son successeur à laisser partir le peuple de Dieu et l’armée égyptienne fut engloutie en voulant le poursuivre, mais rien ne prouve que le roi ait partagé son sort ; ainsi, même en réunissant dans un court espace les événements qui séparent la mort du vieux roi de la sortie des Hébreux, on peut encore accorder à Ménephthah les 19 années que lui attribue Africain. La mort de Joseph aura eu lieu au temps des troubles qui précèdent l’avènement de Ramsès Ier ; celui-ci sera le roi nouveau qui ne connaissait pas Joseph, et Moïse sera né sous le long règne de Séthos.

Restreinte à ces termes, la question paraît assez claire, et même, si l’on ne donne à Ménéphthah que 5 années, selon l’hypothèse que j’ai exposée plus haut, on pourrait à la fois admettre que l’Exode suivit de près la mort de Ramsès, et que le Pharaon qui régnait alors partagea le sort de son armée. J’écarte pour le moment la date de la vie de Joseph ; j’aurai à y revenir dans un instant, et, dans tous les cas, son ministère est antérieur à la 19e dynastie. Mais, à ne considérer que les rapprochements où figure le nom de Ramsès II, j’avoue que les raisons dont je viens de présenter la suite ne me paraissent point convaincantes. Il n’est pas nécessaire d’étendre à 68 ans ni même à 60 le règne du Pharaon sous qui Moïse s’est exilé. Le prophète avait 40 ans, il est vrai, quand il a quitté la cour, et, lorsque le roi dont il avait fui les états est mort, Moïse habitait depuis longtemps l’Arabie[2] ; mais il y a plusieurs règnes assez longs dans la 18e dynastie : on connaît une daté de la 36e année d’Aménophis III ; ses deux prédécesseurs paraissent, il est vrai, avoir gouverné peu de temps l’Égypte, mais il est probable que ce roi, dont la mort précéda le retour de Moïse, n’est pas celui qui régnait à l’époque de sa naissance, et rien, dans la Bible, ne nous dit combien de fois le sceptre changea de mains dans cet intervalle. Si maintenant le retour de Moïse eut lieu quelques années après l’avènement de Horus[3], la naissance de ce prophète se trouverait reportée probablement aux dernières années de Thouthmosis III, ou peut-être au temps d’Aménophis II, puisque nous ignorons tout à fait l’étendue de ce dernier règne. L’époque de cette naissance est signalée par un redoublement de persécution, par l’ordre monstrueux de jeter dans le Nil tous les enfants mâles des Israélites ; mais ce n’est pas la le commencement de la tyrannie à laquelle ils furent soumis : la construction des villes de Ramsès et de Pithom leur avait été précédemment imposée[4] ; il est donc bien difficile, en tout état de cause, de l’attribuer au prince qui mourut longtemps après le départ de Moïse pour l’Arabie, et le nom de la ville de Ramsès ne peut être invoqué pour placer l’Exode sous Ménéphthah.

Carrière rappelle même dans son Commentaire sur l’Exode qu’un lieu de ce nom est mentionné dans le récit de l’établissement de Jacob (Gen., XLVII, 11), époque bien certainement antérieure même à Ramsès Ier. Il n’y a d’ailleurs rien d’invraisemblable à admettre en Égypte plusieurs villes de même nom. Champollion ne nous apprend-t-il pas que la bourgade de Ghirsché, en Nubie, portait le même nom sacré que Memphis c’est-à-dire Thyptah, ou demeure de Phtha[5] ? Le nom de Ramsès put être porté par quelque parent de Thouthmès, qui aurait fondé une ville en son honneur. Si maintenant on abandonne cette preuve et que l’on s’en tienne à rapprocher l’Exode de la fin de Ramsès le Grand, on se trouverait dans l’impossibilité de reculer cet événement plus loin que le commencement du 14e siècle, puisque le commencement de la 20e dynastie est fixé par des considérations astronomiques ; or l’histoire des Hébreux ne peut se tenir renfermée dans des limites comme celles-là : il est vrai que la découverte de la date de Ramsès III, n’était pas faite quand M. de Rougé a émis cette opinion dans les Annales, et que d’ailleurs il y était conduit par un ordre de considérations fort graves, mais sur lequel j’espère donner, en terminant ces recherches, complète satisfaction.

 

 

 



[1] Notice sur le musée Ég. du Louvre, Préf., p. 14-15. — Cf. Ann. de Philos. chrét., juillet 1847, t. XVI, page 19 (3e série), et la Notice, dans le t. III, p. 262 (4e série).

[2] Cf. Exode, n, 23 et Act., VI, 23.

[3] Il n’est pas nécessaire de placer ce retour aussitôt après la mort du roi précédent ni l’année même où les Hébreux quittèrent l’Égypte. Le 23e verset du 2e chapitre dit seulement : Post multum vero temporis mortuus est rex Ægypti : et ingemiscentes filii Israel propter opera vociferati sunt ; ascenditque clamor eorum ad Deum ab operibus ; puis, aux chapitres suivants, le livre sacré raconte comment Dieu donna à Moïse sa mission libératrice, sans dire précisément en quelle année de sa vie (Moyses autem pascebat oves Jethro.... Apparuitque ei Dominus in flamma ignia in medio rubi, etc. III, 1-2 et sq.) Moïse avait 80 ans quand les plaies à Égypte commencèrent (VIII, 7).

[4] Exode, I, 11-22.

[5] Lettres écrites d’Égypte, lettre 11e.