Il se fit grand bruit, et de vives discussions s'élevèrent dans le Conseil. Les uns disaient que ce n'était qu'un enfantillage ; les autres exigeaient les mesures les plus sévères. On se permit les propos les plus amers contre les Médicis et leurs partisans. Contre toute attente, le résultat fut favorable aux prisonniers. On fut d'accord qu'il ne pouvait être question ici que d'une intrigue pour nuire à ces citoyens, et qu'on était allé trop loin contre eux pour que le fait pût être même taxé d'imprévoyance. On leur rendit la liberté. Mais en même temps on résolut de ne plus laisser Catherine auprès des nonnes. On courait le danger que la jeune fille ne fût enlevée par des citoyens du parti Médicis ou délivrée par un coup de main des assiégeants. La position du couvent facilitait l'une et l'autre de ces entreprises, et aucune des deux ne répondait aux desseins de la Seigneurie. Tandis qu'au Conseil on agissait encore avec tant de modération, les Arrabbiati donnaient tumultueusement carrière à leur haine contre les Médicis, pur les excès les plus grossiers ; ils incendièrent la célèbre villa de Caregi, et se raillèrent du Pape par des caricatures indécentes et des couplets infâmes. Dès le commencement des troubles, la petite Duchesse avait été l'objet de leur aversion. Comme elle était la seule héritière légitime de la ligne aînée des Médicis, on craignait pour l'avenir les prétentions qu'elle pourrait élever ou qu'on élèverait en son nom. En tout cas on craignait d'avance les tentatives continuelles, les prétextes sans fin de la voir mêlée aux affaires publiques. Léonard Bartolini, un homme dépravé qui avait menacé sou frère de lui briser lu tète lors de l'émeute contre Capponi s'il dépassait le seuil du palais de lu Seigneurie, avait conseillé au commencement du siège d'enfermer Catherine plutôt dans une maison publique que dans un cloitre ; le Pape perdrait ainsi l'envie de la marier à des Princes ou Seigneurs. Cette proposition ne fut entendue qu'avec mépris et dégoût ; mais maintenant que les esprits étaient plus exaltés par la misère et par le blocus, il s'en trouva qui opinèrent pour lier Catherine à l'endroit le plus exposé des remparts, afin de voir ce que diraient les halles du Prince d'Orange devant ce rejeton de la famille. Mais cet autre odieux projet ne fut pas mieux accueilli que le' premier. Les gouvernants avaient trop d'humanité et de prudence pour céder à de pareils conseils. Ils se dirent cependant que Catherine était entre leurs mains un otage, un gage qui détournerait le Pape de résolutions extrêmes. Le danger qu'elle courait n'en était pas moins imminent. Salvestro Aldobrandini, rejeton de noble famille, jurisconsulte habile et homme de grand sens, chancelier et secrétaire intime de la Seigneurie, fut chargé, avec trois commissaires, de retirer Catherine de Médicis de chez les Murate et de la ramener à Sainte-Lucie. Les religieuses de ce couvent, ainsi que les frères de Saint-Marc leurs voisins, s'étaient montrés favorables au parti populaire ; l'esprit de Savonarole vivait encore parmi elles. Accompagné de gardes bourgeoises, Messer Salvestro se rendit au cloître et demanda à voir l'Abbesse des Murate. Une confusion et une angoisse indescriptibles s'emparèrent des nonnes. Il pouvait arriver du mal à l'enfant, la mort peut-être l'attendait. Salvestro eut grand'peine à accomplir sa mission, et ce ne fut qu'après un long temps que les nonnes apparurent à la grille du parloir avec Catherine. La petite était habillée en nonne, et, à l'égal des autres, elle s'était fait tailler les cheveux. L'envoyé lui fit part de l'ordre du gouvernement d'une voix douce et usa des paroles les plus obligeantes. Allez et dites à mes maîtres et pères que je deviendrai nonne et passerai ma vie entière auprès de ces mères respectables, lui répondit Catherine. Messer Salvestro ajouta ce qui lui parut propre à agir sur l'esprit de l'enfant et sur son entourage. Il ne s'agissait que de la mettre en lieu plus sûr, car ce cloître était à quelques pas seulement des murs de la ville et risquait d'être trop exposé en cas d'attaque. Sainte-Lucie, une fondation de sa famille, lui promettait un accueil et un traitement aussi bienveillants qu'aux Murate ; d'ailleurs, n'y avait-elle pas déjà vécu ? elle devait le savoir par expérience. Mais rien n'y fit. Aux protestations de Catherine les nonnes joignirent les leurs : elles entourèrent Messer Salvestro, le suppliant de leur laisser l'enfant au lieu de l'exposer à une mort certaine dans le désordre d'une ville soulevée. Agenouillées, elles demandèrent au ciel le salut de leur protégée. Aldobrandini, voyant que les meilleures paroles qu'il avait pu dire n'avaient aucun résultat, repartit et rendit compte de sa mission échouée à la Seigneurie. On fit tenir à l'Abbesse l'ordre de se soumettre à la volonté de la Seigneurie. Peu de jours après, le 20 juillet, Messer Salvestro reparut le soir au couvent des Murate. Catherine pleura amèrement, puis elle se tranquillisa et se montra disposée à mieux écouter l'envoyé de la Seigneurie. Les exhortations entrainantes de Salvestro et les paroles encourageantes de Messer Antoine de Nerli qui l'accompagnait firent une impression salutaire sur l'esprit de la jeune fille. Suivie de ses gens, elle gagna sans éclat, à dos de mule, le cloitre de la Via San-Gallo. Elle y fut reçue cordialement et bien traitée, et y resta jusqu'au jour où, épuisée plutôt que vaincue, la courageuse Florence dut mettre bas lés armes et se rendre[1]. Les rapports entre Catherine de Médicis et le couvent des Murate n'ont point cessé avec l'année 1530, année pendant laquelle le couvent avait été la résidence et le refuge de la jeune princesse, et d'où elle avait été, on peut dire, arrachée. Dauphine, Reine de France, Catherine a toujours gardé des dames de ce cloître le plus fidèle et le plus heureux souvenir. Elle fut même en correspondance avec l'Abbesse, lui donnant des nouvelles de ses affaires privées, lui parlant de son époux et de ses enfants, se recommandant à ses prières. Jadis ce couvent avait protégé sa personne ; elle lui recommandait maintenant son aine. Étant Dauphine, elle s'était promis de bénéficier les Murate et de rendre à cette maison tous les services possibles. Elle n'a point manqué à ces promesses de gratitude, et, une fois qu'elle fit sur le trône, elle leur fit don d'une belle possession dans le val d'Elsa, et eut une longue correspondance avec les Grands-Ducs François et Ferdinand pour garantir les dispositions qu'elle avait prises à cet égard, et exempter les nonnes des droits et des taxes ordinaires en de pareils contrats ou en de telles donations. File avait pensé un instant à faire exécuter pour leur église sa propre statue ; mais ensuite elle se contenta de leur offrir un portrait des plus ressemblants. Peu d'années avant de mourir, et déjà bien vieille, elle avait manifesté le désir de savoir si quelqu'une des nonnes qui l'avaient vue enfant vivait encore, et elle pria ces dames de continuer à prier pour ses bien-aimés défunts, pour le feu Roi son époux, pour les deux Rois ses fils trépassés, pour le Roi Henri régnant alors et pour elle-même, demandant surtout que dans ces prières ces dames invoquassent la bonté céleste pour qu'il lui fût donné de revoir la France rétablie dans la prospérité et la splendeur où elle l'avait trouvée au temps où elle y était venue comme fiancée du Duc d'Orléans. Un an aussi avant d'avoir rempli sa vie si agitée, elle se recommanda de nouveau et pour une dernière fois à l'Abbesse et à ses dames, appelant leurs prières sur le Roi son fils et la Reine sa belle-fille, pour qu'ils eussent une descendance à la gloire du royaume et de la chrétienté. On est, il faut le dire, touché de rencontrer ces marques d'une vive gratitude, ces témoignages d'une affabilité constante au milieu d'une existence si remuée et si tourmentée, en proie aux violents orages des passions politiques, des inimitiés des factions, et livrée aux angoisses de la guerre civile et à toutes les anxiétés et les inquiétudes pour la conservation d'un royaume si beau, menacé de devenir la proie d'irréparables divisions. Catherine fut aussi toujours reconnaissante envers Messer Aldobrandini pour les égards et pour la bonté qu'il lui avait montrés dans ces moments malheureux. Après que Florence eut ouvert ses portes, les proscriptions commencèrent ; elles auraient rappelé celles de Marius et de Sylla, si l'on n'en avait eu des exemples plus récents pendant les luttes de parti et de faction entre les Guelfes et les Gibelins, et. entre les Albizzi et les Médicis. Silvestro Aldobrandini, qui, en qualité de Secrétaire de la Seigneurie, avait dû ratifier la capitulation conclue le 12 août au camp impérial, risqua de perdre la vie. Au commencement du siège, il avait exprimé en vers énergiques, devenus bientôt populaires, la douleur causée par la destruction des églises et des tombeaux des ancêtres à laquelle le Pape, citoyen lui-même, excitait les citoyens ; il finissait en disant que lorsque le Pape prendrait la ville, ce ne serait plus qu'une mourante à laquelle il aurait à donner l'extrême-onction[2]. C'était contre lui maintenant que se tournait la colère des Palleschi. Ils voulaient sa mort. Catherine apaisa d'abord Baccio Valori, qui, comme plénipotentiaire du Pape auprès de j'armée impériale, pouvait beaucoup et pensait à se venger sur Silvestro d'une épigramme que ce dernier avait faite à son adressé. Ensuite, la jeune Princesse s'adressa à Clément VII. Sur sa prière, le Pape changea la peine capitale eu celle de l'exil. Faenza lui fut assignée comme séjour de trois ans, et on exigea de lui une caution de deux mille ducats. Il n'était pas riche et il avait plusieurs enfants ; la bienveillance de la petite Duchesse se manifesta de nouveau et lui fit porter secours par Valori[3]. Aldobrandini se fit, dans plusieurs des villes de la Romagne où il s'arrêta durant son exil, la réputation d'un bon jurisconsulte, et, après la mort du Pape, il s'attacha à Hippolyte de Médicis, sur lequel les Florentins expatriés reportaient toutes leurs espérances. Loin de sa patrie, il lui consacra toute son activité, il prit part aux remontrances éloquentes adressées à l'Empereur par les chefs des émigrés contre la tyrannie du Duc Alexandre et la violation des conditions conclues lors de la reddition de la ville. Il remplissait à Bologne les fonctions de juge lorsque Lorenzino vint à lui pour lui annoncer le meurtre du Duc ; mais pour le peu de cas et d'estime qu'il faisait du messager, il ne voulut pas croire à la nouvelle, et il n'y prêta point foi jusqu'au moment où lui parvint l'avis de poursuivre Lorenzino, qui se réfugia à Venise, où il trouva Philippe Strozzi aussi peu disposé à le croire, dès le premier instant[4]. Pendant le séjour de Messer Silvestro à la Cour d'Urbino, il se passa, à l'occasion de sa fille Julie, mi incident qui fit du bruit. Fabrice Maramaldo, un capitaine napolitain dans l'armée impériale, après le combat de Gavinana avait tué le général François Ferruccio fait prisonnier et blessé. A un banquet de la Cour, il engagea la jeune Florentine à la danse. Elle refusa, et lorsqu'il lui en demanda la raison, objectant qu'elle avait dansé avec d'autres, la fille de l'Aldobrandini lui répondit fièrement qu'elle ne voulait point avoir devant soi le lâche meurtrier du courageux Ferruccio. Lorsque Silvestro Aldobrandini[5], pauvre et affligé, partit pour l'exil, — c'était en 1530, — aurait-on pu lui prédire avec vraisemblance l'éclat et la grandeur future de sa maison dans la personne de son fils Hippolyte, qui, né cinq ans plus tard à Fano en Romagne, s'éleva, de degré en degré, dans les dignités ecclésiastiques, jusqu'à la dignité suprême. Le 30 janvier 1590, en effet, encore plein de force et de vigueur, le fils de cet Aldobrandini se vit poser la tiare sur la tête, en prenant le nom de Clemens Octavus, Pontifex Maximus. |
[1] Varelli, XI (11, 389, 390) ; Nardi, ibid., IX (11, 225, 226) ; Cronica di Suor Giustina Niccolini, 128. Gio Batista Rimini (Lettere a Benedetto Varchi sugli avvenimenti dell' assedio di Firenze, Pisa, 1822, 147) nous fournit la note curieuse que voici : Ancora avete a sapere che la Regina, che è ora, cra nelle Murate, e messe tant' arte e confusione fra quelle Nencioline, che il Monastero era confuso e diviso, e chi pregava Dio (clic altr' arme non avevano) per la libertà e chi per i Medici ; talchè i magistrati la tramutarono, e mandarono per M. Salvestro a cavarla di quivi ; ed ella piangeva credendo che la volessero fare ammazzare ed ora è regina.
[2]
Deh ! quanto è gran dolore
Ruinar
di nostre mani
L'arche
de' Padri nostri,
Li
templi de' Cristiani.
Deh
! quanto è gran dolore
Pensar
che a tal destino
Mena
la madre patria
Un
Papa, un cittadino !
Ma
di tener Fiorenza
Non
avrai, Papa, il vanto !
O tu
l'avrai morente
Per darle l'Olio santo !
Les sonnets à Baccio Valori commencent ainsi :
Povero Campanile
sventurato
. . . . . . . . . . . . . . .
Vanne, Baccio Valor, dal
Padre Santo.
[3] Varchi, XII, II, 559 : Baccio Valori non ostante il sonetto fattogli contra, gli campò, favorendolo ancora la Duchessina, la vita.
[4] Lorenzino de Médicis, fils de Pier-Lorenzo, appartenait à la branche collatérale de Cosme, Père de la patrie. Tous les recueils de documents manuscrits en Italie sont remplis de détails sur ce dramatique événement de l'année 1536.
[5] Voyez dans le Giornale storico degh archivi Toscani (anno II, dispenza IIa, 1858) les curieuses pièces publiées par l'honorable et savant commandeur F. Bonaini, surintendant des archives de Florence, de Sienne, de Lucques et de Pise : Riconciliazione di Silvestro Aldobrandini con Cosimo de' Medici dimostrata per le loro lettere e pei dispacci dell' ambasciatore Averardo Serristori, p. 129. (Note du traducteur.)