L’ANNEAU DE CÉSAR - Souvenirs d’un soldat de Vercingétorix

 

LES AIGLES

CHAPITRE XVIII — La fin d’un traître.

 

 

Nous n’avions pas fait cent pas dans une des ruelles de l’oppidum, quand soudain apparut Kérétorix, qui semblait se hâter vers le quartier général.

Il nous regarda tout surpris, puis irrité, et enfin furieux, comme s’il comprenait ce qui venait de se passer.

Où vas-tu ? d’où viens-tu ! cria-t-il, en se précipitant sur moi.

Que t’importe ? répondis-je. Passe ton chemin. Il n’a jamais été le mien.

Je lui parlais cependant avec modération, craignant que le bruit d’une querelle n’attirât vers nous quelque officier romain. Heureusement, la ruelle était déserte. Il y* avait des cadavres entassés le long des murs, mais pas un être vivant.

Oh ! reprit-il avec emportement. Je sais d’où tu viens. Tu viens du quartier général. Sans doute tu auras fait ta soumission, puisque te voilà, comme moi, le bras droit nu jusqu’à l’épaule.

C’est possible, mais ce n’est pas ton affaire.

C’est absolument mon affaire, car pour prix de ta soumission tu t’es fait restituer cette femme, cette captive...

Peut-être.

Cette captive est à moi. Hier, je l’ai tirée des mains qui allaient la déchirer. Je l’ai fait conduire auprès de César. Il me l’a promise en récompense de mes services.

Tu n’ignores pas que c’est ma femme. D’ailleurs, j’ai payé à César le prix de sa rançon. Et il n’a qu’une parole.

Il t’a peut-être restitué Néhaléna l’Aulerke. Mais...

Que veux-tu dire ?

Mais il ne t’a pas restitué Ambioriga l’Éburone, la fille d’Ambiorix. J’ai pris mes renseignements, je sais tout. Oui, la fille d’Ambiorix !

Tais-toi, malheureux !

Tu lui as caché la vérité, à César. Moi aussi, je la lui avais cachée. Mais maintenant je n’ai plus de raison de la taire. Et je cours de ce pas...

Je me plaçai devant lui

Tu cours la livrer au supplice. Ne le comprends-tu donc pas ? Si César a seulement le soupçon qu’elle soit la fille de l’homme qui a détruit sa légion du pays des Éburons, la fille de l’homme qu’il hait plus que Vergassilaun et Vercingétorix...

S’il en a le soupçon ? dis-tu. Il va en avoir la certitude. Ton Ambioriga, il la gardera comme otage, pour vaincre la résistance du père, ou la fera périr dans les tourments pour se venger de lui... Tu me demandes si je ne comprends pas ? Rassure-toi... C’est cela même que je veux ! Ambioriga sera perdue pour moi, mais elle sera perdue pour toi. Ainsi elle ne sera à personne. Et toi tu seras perdu avec elle.

La haine et un amour pire que la haine l’affolaient. Les yeux lui sortaient de la tête, et il grinçait des dents.

Kérétorix, lui dis-je gravement. Fais attention. Ta passion insensée, de mauvais patriote que tu étais, a fait de toi un traître. De traître, tu vas devenir assassin, l’assassin d’une femme ! Rappelle-toi de qui tu es le fils.

J’essayai, à force de paroles douces et persuasives, de réveiller dans cette âme pervertie quelque étincelle de l’honneur de chevalier, quelque reste d’amour pour le sol natal. Ce fut en vain. Mes paroles ne faisaient que l’irriter.

Ah ! oui, disait-il furieux. Vous avez toujours raillé mon costume, mon visage rasé à la romaine, mon goût pour les choses d’Italie. Dans vos festins, j’étais le plastron de vos plaisanteries barbares. Pour ton Cingétorix, même à ma propre table, j’étais une manière de parasite, d’ardélion, de bouffon, avec qui l’on pouvait tout se permettre. C’est à peine si on ne me donnait pas des nasardes pour faire rire les autres invités. Vous m’appeliez Quiritorix, et Kérétorix le Romain, et Kérétorix le faux Gaulois. Eh bien ! le voici, Kérétorix le Romain ! C’est à son tour maintenant de plaisanter et de rire. Et tu vas voir si ma plaisanterie n’est pas de meilleur goût que les vôtres... Puis vous m’avez évité comme un pestiféré, m’excluant de vos fêtes, refusant mes invitations. Celle-ci, cette orgueilleuse, m’a reçu chez toi comme un mendiant importun... Elle m’a demandé des têtes de Romains, la mienne... La nuit tes gens m’ont donné la chose comme à un voleur, ont lâché sur moi les chiens... Vous avez accueilli toutes les dénonciations, toutes les calomnies de mes ennemis, de mes vassaux infidèles. Un Porédorax a été reçu par vous à bras ouverts parce qu’il me trahissait, et sur ses épaules marquées des verges, comme celles d’un esclave, vous avez jeté une saie de chevalier. A la bataille du Lucotice, vous m’avez repoussé de vos rangs, vous vous êtes gaussés de ma blessure. Mes ambactes abandonnant leur chef sur le champ de bataille, — chose inouïe depuis qu’il y a une Gaule ! Vous les avez enrôlés dans les vôtres... Leur châtiment ne s’est pas fait attendre ! Hier j’ai eu la joie de les voir broyés par les machines romaines, sabrés par la cavalerie, hachés par les légions. Tous morts. ou esclaves !... Je n’ai pas fini : après la bataille du Lucotice, votre sénat de Lutèce a prononcé la confiscation de mes terres, voué mon nom à l’infamie, et vos druides m’ont interdit l’eau et le feu... Maintenant mon heure est venue, l’heure de la vengeance. Et tu crois, imbécile, que je vais la laisser échapper, comme tu as laissé échapper César prisonnier ! Tu viens me parler de chevalerie, de patrie... Mais puisque vous m’avez dégradé de ma chevalerie ! puisque vous avez fait de moi un homme sans patrie, un banni, un proscrit ! Je ne suis plus que Kérétorix le Romain ; mais Kérétorix vainqueur, Kérétorix triomphant de vos désastres, Kérétorix l’ami de César... Kérétorix qui lui doit la vérité et qui de ce pas va tout lui révéler... La fille d’Ambiorix, quelle capture ! quelle bonne surprise pour lui ! quel piment à ce grand banquet d’Alésia !

Tu te fais plus mauvais que tu ne l’es, essayai-je de lui dire. Et tu t’exagères le dommage qu’on t’a causé. Ne persiste pas dans le mal. N’achève pas de perdre ton âme.

Vénestos ! interrompit Ambioriga. Laisse là ce traître ! Qu’il aille faire son rapport à César ! Quand les satellites du proconsul accourront ici sur ses pas, tu sais bien que ce n’est pas une vivante qu’ils trouveront.

Ni un vivant, lui dis-je tranquillement.

J’eus un moment la tentation de me jeter sur Kérétorix, de le tuer avant qu’il eût pu parler, avant que le bruit de notre querelle eût attiré quelque espion ; mais mes blessures m’avaient si cruellement affaibli que j’aurais eu à peine la force de tirer mon glaive.

Ambioriga eut la même pensée ; mais elle était sans armes.

Écoute ! me dit-elle tout bas. Tu as l’épée, et moi j’ai la force. C’est moi qui frapperai.

Kérétorix, devinant nos pensées, avait déjà mis le glaive hors du fourreau ; mais il dit :

Me battre avec vous ! Non, non. Être tué sans m’être vengé ! vous n’y pensez pas. Vous tuer, vous ? mais votre supplice par les bourreaux de César aura bien plus de charme pour moi... Les verges et les haches du licteur, c’est bien mieux que mon glaive.

Une patrouille de soldats romains approchait. Nous nous sentîmes perdus : nous ne pouvions plus ni attaquer Kérétorix, ni l’empêcher de crier le nom que j’aurais voulu, au prix de mille vies, lui renfoncer dans la gorge.

Nous fîmes quelques pas dans notre première direction ; mais ce n’était plus la liberté qui nous attendait radieuse au bout de notre chemin ; c’était, avant que nous eussions fait cent autres pas, un suicide héroïque ou une mort ignominieuse.

Kérétorix nous rappela et, quand nous nous fûmes retournés vers lui, nous cria :

A bientôt, chers amis ! Vous verrez, dans peu d’instants, si je sais acquitter une dette de reconnaissance.

A ce moment il me sembla que quelque chose remuait dans un monceau de cadavres à l’angle d’une ruelle.

Je n’y prêtais pas attention, car Ambioriga et moi nous ne cherchions plus qu’un coin d’ombre pour nous unir dans la mort.

Soudain, de ce tas de trépassés, un spectre se leva, pile, sanglant, une flèche sur l’arc bandé.

Avant que nous eussions pu reconnaître Porédorax, son trait siffla, et son ancien maître, atteint entre les deux omoplates, tomba le visage contre terre, le cœur traversé.

Porédorax avait enfin lavé les cicatrices serviles de son épaule. Il se recoucha, et ses yeux déjà ternes se fixèrent sur nous.

Quand arriva la patrouille, il était mort. On ne procède pas à l’arrestation d’un défunt. Quant au cadavre de Kérétorix, les soldats le retournèrent, puis, avec insouciance, le poussant du pied contre un mur, ils dirent :

Encore une de ces brutes gauloises ! un de moins, et voilà tout.

Ils continuèrent leur chemin, sans même nous demander notre tessère.

Ainsi c’était la main des dieux, non la nôtre, qui avait frappé le traître, dont l’âme souillée de crimes descendit dans l’abîme des ténèbres.

Nous marchions toujours et nous étions arrivés à une place d’où, par-dessus les remparts de l’oppidum, on distinguait la plaine de la Brenne, le camp sur le mont Rhéa et tous les champs de bataille de la veille.

Là seulement j’eus la force de reprendre la parole, et je dis à Ambioriga :

Eh bien ! me voilà presque le soldat de César ! Moi, un guerrier de Vercingétorix ! un champion de l’indépendance !... Mais pourquoi donc, quand César m’a fait cette étrange proposition et que je regardais de ton côté, pourquoi as-tu incliné la tête comme pour me faire signe d’accepter ? Je te connais trop pour savoir que ce n’est pas la crainte de la mort qui t’agitait, pas plus que la crainte de la servitude, car il n’est pas de servitude pour celui qui est toujours prêt à mourir.

Pourquoi j’ai incliné la tête ? je ne le sais pas moi-même. Ce n’est pas de mon propre mouvement que j’ai agi ainsi. Une force d’en haut a fait ployer ma nuque rebelle... Les dieux ne se trompent pas et ne peuvent nous tromper.

Elle resta quelque temps songeuse, et je vis passer dans l’azur dé ses yeux ce trouble étrange que je lui avais déjà vu, quand un esprit l’agitait. Tout à coup, d’une voix haletante et qui ne semblait pas la sienne, elle dit :

Les vois-tu, là-bas, bien loin d’ici, dans une plaine semée d’arbres inconnus dans nos pays, sous un ciel plus bleu, sur un fleuve dont les ondes murmurent en une langue que ne comprennent pas nos fleuves gaulois... Les vois-tu, ces deux armées immenses qui se ruent l’une contre l’autre. De part et d’autre ce sont des légions, avec leurs armures, leurs enseignes, leur tactique ; et les cris de commandement, les cris de guerre y retentissent dans la même langue. Vois, comme furieux se précipitent l’un contre l’autre les escadrons, les officiers au casque empanaché, en manteau de pourpre. Ce sont des pila qui percent les cuirasses romaines ; c’est sur des boucliers resplendissants de foudres d’or que s’ébrèchent les glaives forgés par les marteaux italiens. Des étendards tout pareils se heurtent, froissant et brisant les aigles d’or de leur hampe. Jamais Romains contre Gaulois ne furent si acharnés que ne le sont entre eux les fils de la Louve. Guerre de frères où l’on ne fait pas de prisonniers ! Vois-tu Labienus menaçant César de son épée, et les soldats de la guerre des Éburons lançant leurs javelots contre le bourreau des Éburons ? Que de morts, quelles larges blessures, que de sang ! De tels torrents de sang qu’ils suffiraient pour balayer à la mer tous les cadavres tombés sur tous les champs de bataille de la Gaule...

Elle garda le silence un moment, puis elle reprit :

Sur le rivage de la mer bleue, vois-tu ces hommes qui apportent à César une tête, une tête romaine ? la tête de quelqu’un qui fut aussi grand que lui !... Maintenant, c’est une salle immense, où, parmi des colonnes de marbre et des dieux de marbre, siège sur des trônes une assemblée d’hommes en longues robes blanches bordées de pourpre. Tous plus orgueilleux que des rois, et cependant la pâleur de la crainte et les grâces grimaçantes de l’esclave sont sur leurs traits. Tous ont les yeux tournés vers un d’eux qui occupe un siège plus haut que les leurs, vers cet homme au front chauve, à la face rigide, à l’œil de flamme.... Plusieurs s’avancent vers lui, suppliant et rampant, mais dans les plis de leur toge, je vois luire l’éclair des poignards cachés... L’homme tout à coup s’affaisse et disparaît au milieu de ces suppliants, et vingt glaives se lèvent, retombent et se relèvent encore pour frapper... Et vois cette panique de ceux qui sont restés assis, cette fuite de ceux qui ont frappé, ces sièges renversés sur les dalles, cette salle immense tout à coup déserte, vide dans sa resplendissante blancheur, ce filet de sang sur le marbre poli et cette chose informe, comme un sac tombé de la croupe d’un âne, et qui fut le grand César ?... Encore des champs de bataille ! On s’égorge sur la terre, on s’égorge sur la mer... Les tribunes des orateurs, les prétoires des généraux ne sont plus ornés que de têtes fraîchement coupées, et ce sont des têtes à la lèvre rasée, aux cheveux bouclés, à la bouche béante, cette bouche qui ne s’ouvrait naguère que pour demander le sang des nations gauloises et les richesses de nos cités...

Et tout en parlant ainsi, les yeux perdus dans un rêve, terrifiée et joyeuse, de ses deux mains crispées, elle me serrait et me meurtrissait le poignet.

Puis elle fit quelques pas, le buste renversé, les deux bras étendus, contemplant ces cadavres gaulois qui couvraient les pentes des monts d’Alésia, semblaient encore monter à l’assaut des remparts de Réginus, ou mouchetaient au loin la plaine de la Brenne. Maintenant c’est à eux qu’elle adressait la parole, lentement et comme sur un rythme sacré :

Guerriers ! qui depuis sept années, dans les marais de la Ménapie, dans les chênaies des Nerviens, dans les gorges de l’Éburonie, sur les flots sauvages de la mer armoricaine, sur les pentes des cratères d’Arvernie, avez cherché la victoire presque toujours fuyante ! Chevaliers aux colliers d’or qu’animait l’héroïsme des mètres, paysans au cœur desquels monta un jour la rancune de la terre gauloise, femmes qui avez souffert la faim et qui avez pressé sur votre sein des nourrissons morts, afin que le jour du triomphe romain fût retardé !... Guerriers qui, sous le soleil d’hier, sentiez vos cœurs frémir dans l’attente de la victoire, dont la prunelle s’est dilatée d’horreur devant le spectacle de la défaite et des carnages, et qui aviez des larmes dans les paupières quand elles se sont fermées pour jamais ! Cadavres dépouillés, mutilés, profanés, qui fûtes des héros ! Vous tous qui attendrez vainement une sépulture, des honneurs funéraires !... Sur vous tous j’atteste que celui-ci a bien fait de reprendre des mains de César le glaive qu’il avait reçu des mains de Vercingétorix... Les libations qui ne seront point versées ici sur votre tombe, c’est là-bas, là-bas, au couchant, au levant, au nord, au midi, qu’elles couleront comme des fleuves, et ce seront des libations de sang romain, et elles seront répandues avec tant de profusion que la terre en sera pénétrée jusqu’aux entrailles, et qu’il n’est pas de mort gaulois qui n’en sente la douce chaleur...

Tu t’exaltes trop, chère Ambioriga, lui dis-je doucement ; car j’avais peur que cette crise n’achevât de briser ce corps épuisé déjà par tant de privations et de cruelles émotions.

Tu ne le comprends donc pas ? me dit-elle, me regardant alors dans les yeux. Les déités expriment assez clairement leur volonté, et je sais pourquoi tout à l’heure elles ont forcé ma nuque à se ployer dans un signe d’acquiescement. L’avenir ? je l’ai aperçu tout à coup dans ce sourire imperceptible de César, quand il t’a dit : Ne veux-tu pas que je te donne des Romains à combattre ? Oui, ce sont des Romains qu’il te donnera. C’est d’un sang plus précieux pour lui que le sang des Gaulois que son ambition maintenant est altérée. C’est pour toi, c’est pour la liberté de la Gaule, que ces légions romaines s’entrechoqueront. Nous n’a vous pu les détruire : c’est elles qui se détruiront. Va ! va les aider dans leur œuvre de mort ! Tandis que ces Romains ne chercheront qu’à assouvir leurs haines dans la mêlée des vexilla, garde la tienne au cœur et rassasie-la. Assieds-toi à ce banquet sanglant, prends-on ta large part. Il coulera bien assez de sang pour que les glaives celtiques en soient aussi abreuvés... Oublie que c’est sous les enseignes de César que tu combattras ; regarde seulement, en face de toi, celles de ce Pompée qui lui prêta des légions pour aider à notre destruction, celles de ce Labienus qui extermina les Éburons et les Parises, celles de ce Sénat qui, à chaque fois qu’une nation gauloise était anéantie ou traînée en esclavage, décrétait des actions de grâces aux dieux. Et sois tranquille l Contre les aigles de César, dans l’autre armée, il y aura aussi des contingents parlant notre langue. C’est nous, les Celtes et les Bolgs, qui, partagés entre les deux camps, conduirons les légions romaines à la boucherie, donnerons le signal de l’égorgement, veillerons à ce qu’il ne soit pas fait de prisonniers, ramènerons au combat ceux qu’épouvantera la lutte fratricide. César croira que c’est son génie qui mène tout, les légions de l’adversaire comme les siennes ; mais, ce sera le génie du grand Teutatès qui, de champ de bataille en champ de bataille, empoignant César comme un glaive latin dans ses mains celtiques, planera sur les funérailles romaines. C’est lui qui conduira l’Imperator parla narine, ainsi qu’un taureau blanc, jusqu’à la pierre du sacrifice où l’attendent les haines et les poignards déjà aiguisés. C’est lui, notre grand Teutatès, qui, sous Gergovie, arracha César de ton étreinte, le réservant pour instrument de ses desseins... Retourne donc vers l’Imperator et dis lui : Dispose de moi ! Non, tu n’es pas, de soldat de Vercingétorix, devenu le soldat de César : tu restes le soldat du dieu gaulois des exterminations... Retourne vers le proconsul. Tu as mon approbation et celle de mon père Ambiorix, celle de Vercingétorix captif, réservé à la hache, et celle de tous ces morts qui resteront étendus sur les coteaux des Mandubiens, la face tournée vers le ciel, mouillée des pluies de l’automne, baignée des rayons du soleil ou de la lumière des étoiles.

Le soir, je revis César.

Avant tout, me dit-il, tu vas me jurer de ne plus prendre part à aucun soulèvement.

Comment aurais-je pu prendre part à aucun, même à ceux que je prévoyais encore chez les Bellovaks et les Atrébates ? Je savais que chez moi je ne retrouverais ni un chevalier, ni un écuyer, ni même un paysan en état de porter les armes... Tous étaient morts dans la bataille du Lucotice, dans les plaines de la Vingeanne, sous la montagne d’Alésia... Je savais qu’il n’y avait plus chez moi ni un cheval de guerre, ni une lance, ni un glaive.

Je promis à César de rester en paix.

Tu vas retourner chez toi, continua-t-il. Tu travailleras à calmer les esprits chez les Lutéciens et les autres Parises. Songe que toute diversion qui me retiendrait encore en Gaule serait un ajournement pour mes vastes desseins, un retard dans la carrière de gloire qu’il nous reste à parcourir ensemble.

Il ajouta :

Je ne crois pas que j’aie besoin de toi avant un an. Je te rappellerai quand le moment sera venu.