L’ANNEAU DE CÉSAR - Souvenirs d’un soldat de Vercingétorix

 

LES AIGLES

CHAPITRE I — Le fils de Keltil.

 

 

La prise de Genabum avait donné le signal, si longtemps espéré, du soulèvement général. Les flammes de la ville romaine illuminaient encore l’envers des nuées quand le lendemain, au petit jour, les contingents du Nord se mirent en route pour rejoindre en Arvernie Vercingétorix. Notre contingent de Parises comptait au moins cinq cents cavaliers, tous gens d’élite.

Nous mîmes sept jours à nous rendre de Genabum à Gergovie, car les jours étaient courts, les chemins encombrés par les neiges. Puis, lorsqu’on fut sorti des plaines des Bituriges et qu’on entra dans le pays des Arvernes, la route devint montueuse et difficile, resserrée dans des gorges terribles, bordée de précipices au fond desquels roulaient des rivières torrentueuses.

Le soir du septième jour, nous arrivâmes dans une sorte de plaine très accidentée, entre des montagnes très hautes, dont l’une supportait l’oppidum de Gergovie.

Vergassilaun nous assigna pour cantonnement un gros village sur la rivière de l’Auzon, d’où il dut faire décamper un corps d’infanterie arverne. La pays entier, eu effet, regorgeait de troupes, et, à toute heure de la journée et de la nuit, il en arrivait de nouvelles.

C’étaient des contingents venus de toutes les nations voisines, mais principalement des Lémoviks, des Carnutes, des Cadurks, qui, les premiers, avaient pu répondre au signal de l’insurrection. Et, à chaque arrivage, c’étaient de grands cris de joie dans tous les campements ; les noms des chefs, qui amenaient ainsi leurs hommes, volaient de bouche en bouche.

La nuit, on voyait briller de toutes parts, sur la plaine et sur Ies hauteurs, les feux des, bivouacs, ou les lumières de l’oppidum et des villages pleins de soldats.

Le lendemain matin, nous fumes avisés que Vercingétorix allait nous passer on revue. Nous défilâmes devant lui, et il parut content de notre armement.

Après la revue, je fus appelé à l’ordre ainsi que les principaux chefs des Parises, et, pour la première fois, il me fut donné de voir de près le fils de Keltil.

C’était un homme de trente ans, dont la taille colossale et la figure sévère inspiraient le respect et même l’effroi. A la manière dont il promena sur nous ses yeux bleus aux reflets do métal, au ton bref dont il nous posa des questions et nous donna des ordres, nous sentîmes tout de suite la distance à laquelle il entendait nous tenir.

On voyait bien que ce favori des pâtres et des paysans savait qu’il était le rejeton d’une longue lignée de rois : de Luern qui, sur son passage, jetait à pleines mains les pièces d’or et d’argent, et qui, dans les festins qu’il offrait aux nations, faisait remplir de vin et d’hydromel des citernes ; de Bituit, qui avait ébloui les Romains de sa richesse et les avait terrifiés par la multitude de ses guerriers ; de Keltil, qui avait trouvé l’Arvernie et presque la Gaule trop étroites pour son ambition.

Il savait bien aussi qu’il était le fils d’un héros cruellement sacrifié à la haine des grands et à la craints servile envers les Romains. Une ombre de tristesse lui en restait sur son visage au teint clair, et aussi une expression de sévérité.

Peut-être avait-il le pressentiment qu’une destinée pareille le menaçait ; peut-être avait-il interrogé des oracles, soit dans les îles magiques de l’Océan, sait dans les cavernes de l’Arvernie, au tond desquelles on entend gronder des voix infernales. D’aucuns croyaient retrouver sur son front certain pli tragique qui avait été au front de son père. Il était plus sérieux qu’on ne l’est à son âge. Il se comportait comme un homme marqué par les dieux de leur sceau, comme un holocauste encore vivant, mais déjà désigné. A personne l’idée ne serait venue que ce jeune homme prit, un jour, être un vieillard. Quelque chose de religieux et de grave planait sur lui. Dans ce guerrier il y avait du prêtre.

Sa parole, si impérieuse qu’elle fût, ne choquait point, car on comprenait qu’il ne parlait pas en son nom. seulement, mais au nom des dieux, vers qui montaient sans cesse ses, pensées, au nom de quelque chose d’aussi auguste que les dieux : la mère patrie des Gaulois, une déité qui, jusqu’alors, n’avait pas chez nous d’autel, encore flottante dans nos esprits et vague devant nos yeux, mais si puissante déjà qu’elle faisait battre à l’unisson tous les cœurs, des Cévennes à l’Océan.

C’était au nom de plus grand que lui qu’il commandait ; mais il était visible qu’il entendait être obéi, à l’expression sévère de ses traits ne laissait, sur ce point, de doute à qui que ce fût.

Comme sur le masque olivâtre de César, on eût pu lire sur le visage blanc et rose de Vercingétorix la passion de la gloire et du commandement, mais avec je ne sais quoi de moins âpre et de moins personnel, de plus exalté et de plus noble, sans cette indifférence superbe pour les souffrances des mortels, sans ce mépris de dieu terrestre pour une espèce inférieure, et avec une teinte de mélancolie, comme d’un homme qui poursuit un rêve sublime et peut-être irréalisable.

J’ai souvent pensé que Vercingétorix était au fond meilleur et plus humain que César, bien qu’à l’occasion il se soit montré presque aussi impitoyable. Car, s’il fut parfois cruel, c’est que la nécessité implacable l’y poussait, que l’intérêt de la mère patrie l’exigeait, et que le génie terrible de Teutatès se substituait au sien. César le frit uniquement par calcul, ou par un caprice méchant succédant à un caprice de clémence, dédaigneuse ou de bouté ironique, par fantaisie de despote après une fantaisie de philosophe ayant appris l’humanité dans les livres grecs, car il n’avait pas de patrie à sauver et il ne croyait pas aux dieux de Rome, quoiqu’il fut leur grand pontife.

Vercingétorix, après qu’il nous eut quelque temps regardés, nous adressa une courte harangue.

Il nous dit qu’il avait pris les armes non pour venger son injure, mais pour venger celles de la Gaule entière ; que le moment était venu de savoir si les fils de Teutatès se courberaient sous les verges et les haches des licteurs ; si nous serions les sujets de ceux que nos pères avaient eus pour tributaires ; si les richesses que les dieux avaient départies à la Gaule, la fécondité de son sol, le labeur de nos bras serviraient uniquement à payer les dettes d’un proconsul ; si nos femmes n’enfanteraient que pour recruter les bandes d’esclaves pour les domaines d’Italie ; si nos enceintes sacrées seraient profanées par la présence des idoles romaines ; si nos champs seraient mesurés pour allotir les colons venus du Tibre ; ou bien si la Gaule entière recouvrerait la libre élection de ses magistrats, la libre direction de ses assemblées ; si elle voudrait s’unir pour rejeter tous les Barbares qui profanaient son sol sacré, aussi bien lès Romains dans le sud que les Germains dans le nord...

Emporté tout à coup par l’élan de sa pensée, il nous montrait une Gaule plus grande et plus puissante que l’empire romain, confédérant même les tribus celtiques, belges, aquitanes, qui habitent les Iles Britanniques, la péninsule d’Espagne, l’Italie du nord, les rives du Danube, appelant à la liberté toutes les nations qu’oppriment les proconsuls et que rançonnent les publicains, allant chercher dans Rome même, par des chemins déjà parcourus par nos ancêtres, la revanche des défaites sur l’Aisne, sur la Sambre, sur la mer des Vénètes et sur la Garonne, entrant dans le Sénat pour demander compte aux Pères conscrits des actions de grâces qu’ils ont décrétées pour l’extermination ou la mise à l’encan de vingt peuples gaulois.

Nous l’écoutions ravis et dans un tel enthousiasme que nous n’osions l’interrompre, même pour applaudir.

Il nous dit ensuite :

Déjà, presque toutes les nations entre les Cévennes et l’Océan, jusqu’au détroit de Morinie, jusqu’à la Garonne, ont répondu à mon appel. J’ai reçu leurs otages ; chaque jour arrivent leurs contingents. J’attends ceux des Nitiobriges, des Pétrocores et des peuples de l’Océan. Je vais mettre le feu sous le ventre aux Rutènes, aux Bituriges, aux Helves. Je compte aussi sur vous, Parises, sur vous tous, et sur les peuples de votre région. Les Édues nous manquent encore ; mais les amis de l’indépendance sont à l’œuvre chez eux. Au banquet de la victoire, il ne restera de place vide que celle des traîtres, les misérables Rhèmes... Je vais porter la guerre à la fois chez les Senones et dans la Province Romaine. A supposer même que César ait eu le temps de passer les Alpes, il n’aura pas le temps de passer les Cévennes.... Dans deux mois, s’il plait aux dieux, la Province Romaine sera redevenue une libre Gaule. Quand les neiges commenceront à fondre sur les hauteurs, nous franchirons les Alpes : Hannibal l’Africain et avant lui nos anciens Brenns nous ont montré le chemin... Des Alpes à Rome, nous savons comment retrouver les champs de bataille du Tessin, de la Trebbia, du lac Trasimène... Un dernier mot, Parises ! Nous sommes plus braves que les Romains, mais nous ne pouvons vaincre les Romains que par la discipline romaine... Le chef que je vous ai donné voua fera connaître les châtiments qui attendent le guerrier indocile ou négligent, celui qui pille en pays ami, celui qui ne répond pas au premier appel de la carnix, celui qui combat sans ordre, celui-là même qui est victorieux sans la permission de son chef... J’ai aussi des récompenses pour les braves : à quiconque escaladera le premier les parapets d’un camp, son bouclier plein de pièces d’or ; à quiconque m’apportera une aigle, deux mille arpents dei terre à choisir parmi celles des colons romains, et cinq cents à qui m’apportera un vexillum. Dans le châtiment ou dans la récompense, je ne distinguerai pas entre le noble et le paysan. La servitude romaine, en s’appesantissant sur la Gaule entière, a effacé entre ses fils toute distinction. Il n’y aura désormais plus de noblesse que celle qui datera de la victoire ou qui s’y sera retrempée... Et maintenant à vos postes !

Nous pûmes bientôt admirer les merveilleux progrès que Vercingétorix avait réalisés dans son armée.

Comme il était le plus riche de l’Arvernie et le plus puissant seigneur, il faisait frapper de la monnaie d’or à sa marque. Rien que parmi ses clients et ses sujets, il avait pu recruter l’effectif d’une légion. Il lui avait donné une organisation et un équipement que n’eût pas désavoués la fameuse Dixième légion de César.

Dans ses rangs, il avait remplacé les grandes épées de fer mou par les courts glaives d’acier à l’ibérique, les lourds saunions par des pila munis de l’amentum ou lanière de jet, les grands pavois d’osier par des boucliers oblongs en fer sur lesquels serpentaient des foudres de bronze doré.

Il forçait les hommes qui, par ostentation de bravoure, prétendaient combattre la tête nue et la poitrine nue, à porter des casques ronds, en fer ou en cuir, surmontés d’une pointe acérée, et des cuirasses de fer en écailles ou en lamelles.

Cette infanterie régulière était sectionnée en cohortes, manipules et centuries, et au-dessous de légats et de tribuns, Vercingétorix avait nommé des centurions. Un questeur était chargé de distribuer la solde et les vivres.

Cette troupe d’élite faisait l’admiration de nos contingents. Il y avait foule autour d’elle quand, tous les matins, elle s’exerçait et, aussi rapidement qu’une légion romaine, se formait en colonne, pour la marche ; en ligne droite sur trois rangs, pour faire front à l’ennemi ; en échiquier, avec quatre cohortes en tête, trois au centre, et de nouveau quatre en arrière, pour opposer aux légions romaines leur propre tactique ; en coin, pour pénétrer plus aisément dans les intervalles des groupes ennemis ; en carré ou en cercle, pour recevoir une charge de cavalerie ; en équerre ou en potence, pour rabattre l’adversaire d’une ligne sur l’autre. Les soldats étaient également instruits à former la tortue, avec les boucliers imbriqués l’un sur l’autre comme des tuiles, afin de s’approcher d’une muraille et de l’escalader.

Notre défaut, à nous autres Gaulois, lorsque nous attaquons une troupe ennemie ou que nous assaillons un retranchement, c’est de nous avancer en troupeau, combattant chacun pour soi, comme des gens qui sont à la chasse. Les Romains, au contraire, s’avancent d’un pas rythmé, en se sentant les coudes, dans une poussée régulière. Chez eux, il y a bien l’effort individuel, mais il se confond et se règle dans l’effort commun. Chez nous, chaque combattant ne vaut que par lui-même, au lien d’ajouter à cette valeur celle des autres et, par là, de la centupler. C’est à ce défaut national que Vercingétorix essayait de remédier par une bonne instruction tactique.

Il avait formé aussi une cavalerie régulière, divisée en alœ ou ailes, avec des préfets ; en turmes ou escadrons de soixante hommes, avec un porteur de vexillum ; en décuries de dix hommes, dont chacune avait un decurio en tète et un optio en queue.

Il avait môme apporté, pour certains escadrons, un perfectionnement qu’il avait emprunté aux Germains et que les Romains ne connaissaient pas : à chaque cavalier était adjoint un fantassin choisi parmi les plus lestes, qui courait aussi vite que le cheval, suspendu d’une main à la crinière. Lorsqu’un de ces escadrons chargeait un escadron ennemi, le cavalier latin, qui ne s’attendait qu’à croiser la lance contre celle de son adversaire, voyait tout à coup surgir auprès de celui-ci un piéton ; ce piéton se glissait avec un poignard sous le cheval du Romain ou bien envoyait à l’homme une javeline dans l’ail. Quand notre cavalerie faisait demi-tour, le piéton se reprenait à la crinière du cheval, et, dans le tourbillon de poussière soulevée par les sabots, on ne voyait que les semelles du coureur qui semblaient lui battre en mesure les omoplates.

Vercingétorix connaissait toutes les machines des Romains, et il en avait fait construire de pareilles. Il savait comment on creuse le fossé d’un camp, comment on élève des remparts de terre, comment on les plante de palissades, comment on les garnit de loricae d’osier à créneaux. II savait aussi bâtir un mur à la gauloise, avec des poutres entremêlées de pierres taillées, défiant à la fois le bélier et la torche.

Il avait organisé en escouades des artisans habiles à travailler le bois et la pierre, et aussi des mineurs qui, dans les filons de fer et d’étain dont abonde le pays, avaient appris à pratiquer toutes sortes de galeries souterraines. D’autres gens du peuple étaient requis pour conduire les chariots, comme les calones des Romains, ou pour faire le service de propreté dans le camp, comme leurs lixæ. Ceux-là nous les appelions gens du train ou tringlots ; ceux-ci étaient simplement les goujats.

Peu à peu il avait amené bon nombre des guerriers arvernes à accepter cette formation régulière en légions d’infanterie, en cohortes de vélites ou soldats armés à la légère, en ailes de cavalerie. Tous n’étaient pas arrivés au même degré d’instruction que ses réguliers, mais, à force de bonne volonté, ils finissaient par en approcher. A côté de la légion et des escadrons modales, il y avait beaucoup de corps qui nous paraissaient valoir les légions romaines de nouvelle levée.

L’engouement pour ces nouveautés gagnait parmi les contingents gaulois, et, au bivouac, on entendait des guerriers vêtus de peaux et armés d’un casse-tête raisonner sur la valeur comparée de la longue épée et du court glaive ; disserter comme des tacticiens grecs sur la formation en colonne, en ligne, en échiquier, en cintre, en carré, en losange, en cercle, en équerre et en potence.

Tous auraient voulu se faire inscrire dans les cadres créés par Vercingétorix ; mais celui-ci craignait qu’ils n’eussent pas le temps de se plier à ses règlements. Plutôt que d’être des légionnaires imparfaits, il valait mieux qu’ils combattissent avec les procédés auxquels ils étaient habitués dès leur jeunesse, gardant toute leur confiance en leurs armes et en leurs chefs, toute leur fougue de sang, toute l’impétuosité naturelle aux Gaulois.

Une bande de guerriers lémoviks était tout à fait découragée. Comparant leurs armes avec celles de la légion arverne, ils disaient qu’on les envoyait au combat avec des broches à faire rôtir des moutons et des boucliers tout au plus bons à filtrer le lait.

Vercingétorix leur envoya un de ses bardes, qui leur chanta une légende de l’île d’Hibernie : les guerriers du roi Bréas avaient député à leurs adversaires des gens porteurs de deux lances fora, légères et en .môme temps fort aiguës ; les guerriers du roi Sreng avaient également député à ceux du roi Bréas, mais leurs messagers étaient porteurs de deux lances fort lourdes, sans pointe. Chacun des deux partis voulait effrayer l’autre en lui montrant de quelles armes terribles il se servait. Et, en effet, si les guerriers du roi Sreng furent très intimidés à la vue des lances pointues, les guerriers du roi Bréas ne le furent pas moins à la vue des lances sans pointe. Plus ils les regardaient, plus ils ressentaient d’épouvante, car ils supposaient à ces morceaux de bois quelque vertu secrète et meurtrière. A la fin, les armées s’envoyèrent de nouveaux ambassadeurs ; chacun des deux partis faisait dire à l’autre qu’il ne consentirait à combattre, les guerriers du roi Sreng que quand ils auraient des lances légères et pointues, les guerriers du roi Bréas que lorsqu’ils auraient des lances lourdes et sans pointe. Nous voulons avoir des lances comme les vôtres, diront à leurs adversaires l’une et l’autre ambassade, et sans doute vous voudrez en avoir de pareilles aux nôtres ; convenons donc de différer la bataille. Et d’un commun accord, car c’étaient des hommes loyaux et francs comme des Celtes, il fut entendu qu’on aurait cent cinq jours pour se préparer.

Quand le barde de Vercingétorix eut chanté sa chanson, il demanda aux Lémoviks :

Pensez-vous que César vous donnera cent cinq jours pour faire votre choix entre la longue épée et le court glaive, entre la formation en équerre et la formation en losange ?

Les Lémoviks partirent d’un éclat de rire, et, quand l’histoire fut connue, une traînée de gaieté courut tous les camps gaulois.

Longue épée ou court glaive, disait-on partout en reprenant confiance, qu’importe, pourvu que cela entre bien au défaut des cuirasses romaines ? Nos ancêtres ne comptaient pas l’ennemi ; ne nous attardons pas à mesurer des armes. Ce n’est pas l’outil qui fait l’ouvrier.

On but du vin d’Italie au succès des vieilles armes et au succès des nouvelles.

Il y eut sous les étendards de l’indépendance des troupes armées à la mode de nos pères et des troupes armées à la romaine. Le même cœur les animait toutes.

Une chose que demanda pourtant Vercingétorix, c’est que les contingents ne combattissent point pêle-mêle, cavaliers, piétons armés de lances, paysans munis de rare et de la fronde, comme on était arrivé de son village. Il disloqua les clans, mit ensemble les cavaliers, ensemble les fantassins armés de, la lance, ensemble les archers et les frondeurs. Il disait que chacune de ces armes a sa destination propre dans une bataille : celle-là pour éclairer l’armée, charger l’ennemi, le poursuivre après sa défaite ; celle-ci, pour recevoir le choc des légions sur la pointe des lances ; les autres pour voltiger sur le front et autour de l’adversaire, faire pleuvoir sur lui une grêle de balles et de flèches.

Sans tenir compte des liens de clientèle ou de sujétion, il sépara les groupes de guerriers diversement armés, et, sans considérer la noblesse ou les colliers d’or, il nomma lui-même des officiers suivant le mérite qu’il reconnut en eux.

On était prêt à accepter tous les sacrifices : tel chef de vallée, qui avait amené un contingent de cent cavaliers et cinq cents piétons, s’estimait fier d’obtenir le grade d’optio ou décurio dans les escadrons d’élite, ou d’être centurion primipilaire dans une cohorte d’infanterie, ou de commander une escouade de frondeurs, d’archers ou de tringlots.

Quant aux chefs et aux contingents qui répugnaient à ces dislocations et à cos formations, Vercingétorix ne les contraignait pas. Il disait que toutes les tactiques comme toutes les armes étaient bonnes contre les Romains. C’est le cœur qui fait le guerrier et non pas les règlements.

Il lui suffisait d’avoir un bon noyau de troupes régulières : des autres il n’exigeait que l’obéissance aux ordres du quartier général et la stricte observation des signaux de combat ou de retraite.

Tous les matins, les chefs de troupes régulières et de contingents irréguliers se rendaient au rapport.

Le Pen-tiern ou généralissime — c’était le titre qu’avait pris Vercingétorix — les recevait debout sur le tertre d’un prætorium construit dans le genre de celui des Romains. Les druides, de leur baguette magique, en rivaient dessiné les lignes, après avoir consulté celles du firmament ; l’enceinte était considérée comme un némèdh et le tertre comme un autel ; c’était là qu’on offrait les sacrifices pour le salut de l’armée et qu’à certains jours les enseignes de tous les corps et contingents étaient réunies pour être aspergées avec le gui trempé dans le sang des victimes.

Là, les chefs faisaient au Pen-tiern des rapports sur l’état de leur troupe, et sur tout ce qu’ils avaient pu apprendre de nouveau ; ils recevaient des ordres pour la journée. De là ils se rendaient auprès du questeur général de l’armée pour y toucher la solde de leurs hommes et y recevoir les tessères, ou bons de vivres et de fourrages.

La discipline se maintenait rigoureusement. Les moindres infractions étaient, ainsi que dans les troupes romaines, punies d’une privation de solde, de vivres, de part dans le butin ; de la révocation d’un grade, s’il s’agissait d’un officier ; de la perte de son cheval et du renvoi dans l’infanterie, s’il s’agissait d’un cavalier ; de l’inscription parmi les goujats et les tringlots, s’il s’agissait d’un. piéton. Un jour, je vis à la porte du prætorium un de mes Castors, pieds nus, en simple chemise, une chaîne autour du corps, grelottant et bleuissant de froid : il avait tiré la langue à un optio !

Quand l’infraction était plus grave, Vercingétorix chargeait les druides de statuer sur les coupables. Alors, ou bien on se contentait de les excommuniai et de les chasser du camp à demi nus, et sans armes ; ou bien on leur coupait les oreilles ou le poignet : ou bien ils étaient battus de verges ; décapités, brillés vifs.

Ces châtiments si cruels étaient rares : on ne les employait que contre ceux qui avaient blasphémé les dieux, compromis le salut de l’armée, tenté de déserter, entretenu des intelligences avec l’ennemi et qui étaient notés en même temps pour appartenir à quelque famille dévouée aux Romains et mal disposée pour la cause de l’indépendance.

Vercingétorix savait que plusieurs des partisans de son oncle Gobanition avaient été contraints par leurs voisins ou leurs ambactes de venir au camp, et il lui fallait avoir l’œil sur cette graine d’espions et de traîtres, qui eussent volontiers attenté à ses jours ou livré aux Romains le secret de ses décisions.

Quant à ceux qui s’obstinaient à bavarder sous les armes, on Ies punissait seulement comme on punit dans nos assemblées ceux qui pérorent trop longtemps : on leur coupait la moitié de leur saie. S’ils récidivaient, on les mettait aux fers.