HISTOIRE DE LOUIS XI

 

LIVRE NEUVIÈME

 

 

L’intérêt que le roi prenait aux florentins, et la justice de leur cause n’empêchait pas que le pape ne continuât à les persécuter. Ce qui l’inquiétait le plus, était la convocation du concile que le roi demandait. Il envoya Urbin de Fiesque évêque de Fréjus, pour assurer ce prince qu’il lui remettait ses intérêts entre les mains, et lui recommandait l’honneur du saint Siège ; discours ordinaire du pontife, lorsqu’il trouvait quelque obstacle à ses desseins.

D’un autre côté les princes de la ligue d’Italie imploraient la protection de la France, de sorte que le roi se voyait l’arbitre de tous ceux qui redoutaient sa puissance, ou qui réclamaient sa justice. Ce prince nomma Guy d’Arpajon vicomte de Lautrec, Antoine de Morlhon de Castelmarin président au parlement de Toulouse, Jean De Voisins vicomte d’Ambres, Pierre de Caraman de Leonac, Tornieres juge de la sénéchaussée de Carcassonne, Jean de Morlhon avocat de Toulouse, et Compains notaire et secrétaire du roi, pour aller pacifier les troubles d’Italie, et représenter aux différents partis que leurs dissensions exposaient tous les états chrétiens aux invasions du turc. Les ambassadeurs étaient principalement chargés de presser le pape de s’accorder avec les florentins ; d’assembler un concile général comme il y était obligé par les conciles de Pise, de Constance et de Bâle, sinon de lui déclarer que le roi défendrait à tous ses sujets de se pourvoir à Rome pour bénéfices ou dispenses. Les ambassadeurs allèrent d’abord à Milan. Le président de Morlhon portant la parole, dit à la duchesse et au duc son fils, que le roi regardait leurs affaires comme les siennes ; qu’il voulait rétablir la paix en Italie, ou se déclarer contre celui qui refuserait de la faire ; que le pape et les princes de la ligue lui avaient donné parole de s’en remettre à son jugement, et qu’à l’égard de Gènes et de Savonne, il saurait bien y maintenir sa souveraineté.

La duchesse et le duc de Milan commencèrent leur réponse par des remerciements sur l’intérêt particulier que le roi voulait bien prendre au duché de Milan.

Nous n’avons point commencé la guerre, ajoutèrent-ils, et nous sommes prêts d’accepter toute paix honnête. Nous ne craindrons jamais nos ennemis, tant que sa majesté nous honorera de sa protection. Comme nous gouvernons nos sujets avec justice, ils nous servent avec affection ; ils nous respectent, nous craignent et nous aiment. La paix n’a été rompue que par l’ambition du pape et du roi de Naples. Dans le temps où nous secourions les vénitiens nos alliés, contre le turc ennemi commun des chrétiens, le pape au lieu d’animer notre zèle et de soutenir nos efforts, fait révolter contre nous Gènes et Savonne. Il abuse de la simplicité des suisses, il leur promet le ciel s’ils nous font la guerre ; la récompense de la vertu et de la paix devient le prix de la persécution. Dans le temps même que Saint Séverin, Fiesque et Fregose ravagent nos terres et celles de Florence, le pape et Ferdinand font dire au roi par leurs ambassadeurs qu’ils ne veulent rien faire qui lui déplaise : ils cherchent à surprendre sa religion, ne pouvant séduire sa justice.

Les ambassadeurs s’étant rendus à Florence, eurent leur audience du prieur de la liberté, du gonfalonier et de la seigneurie en présence des conseillers de la ville, des ambassadeurs de la ligue, de Laurent de Médicis, et de toute la noblesse. Ils répétèrent à peu près ce qu’ils avaient dit à Milan, appuyant sur le dessein que le roi avait de pacifier l’Italie, et de travailler à la réformation de l’église, en demandant la convocation d’un concile général d’autant plus nécessaire, qu’il n’y en avait point eu depuis celui de Bâle. Le prieur de la liberté et le gonfalonier représentants la seigneurie, firent une réponse qui était la même au fonds que celle du duc de Milan ; mais les expressions en étaient encore plus vives, et telles que la reconnaissance les dicte à des malheureux qui implorent la protection d’un roi puissant, et qui n’osent encore se plaindre qu’avec respect d’un ennemi aussi redoutable que vindicatif.

Les ambassadeurs passèrent de Florence à Rome. Ils commencèrent par remettre leurs lettres de créance au cardinal de saint Pierre aux liens, dont le roi les avait chargés de prendre les conseils, et qui les conduisit le lendemain à l’audience du pape. Le président de Morlhon portant encore la parole, assura le pape qu’ils venaient de la part du roi lui rendre l’obéissance filiale ; qu’il l’avait toujours aimé comme son père, et qu’il souhaitait que sa sainteté l’aimât comme son fils. Morlhon demanda ensuite une audience publique qui fut accordée pour le lendemain. Le pape assisté de presque tous les cardinaux, reçut les ambassadeurs avec beaucoup d’appareil. Morlhon sachant combien Sixte était animé contre les Médicis et les florentins, eut l’attention de ne pas prononcer leur nom dans cette première audience. Il se borna à représenter l’état présent de l’Italie et les dangers qui menaçaient le nom chrétien. Il dit que le turc ayant fait la paix avec Ussum Cassan et le Soudan d’Égypte, allait sans doute tourner ses armes contre les chrétiens, et que les divisions qui régnaient en Italie lui en rendraient la conquête facile ; que le roi croyait qu’il était de son devoir de rétablir la paix entre les princes chrétiens ; que les papes étaient chargés de veiller à la conservation de la foi, et les rois de France à la défense de l’église. Morlhon, en parlant du zèle de nos princes, prit naturellement occasion de relever les services qu’ils avaient rendus aux papes : il ajouta que le roi n’ayant ni moins de vertu ni moins de puissance que ses ancêtres, était résolu de terminer des guerres scandaleuses pour la foi, et dangereuses pour les états chrétiens ; que l’évêque de Fréjus nonce du pape, les ambassadeurs de Naples et ceux de la ligue d’italien avaient assuré le roi que toutes les parties le prenaient pour arbitre de leurs différends. Morlhon finit par conjurer les cardinaux d’employer leurs sollicitations auprès du pape, pour l’engager à mettre un terme à sa vengeance, et à ne pas s’armer du flambeau de la guerre, lui qui était le vicaire d’un dieu de paix.

Les ambassadeurs rappelèrent au pape dans une audience particulière, l’amitié qui avait toujours été entre sa sainteté et le roi, et les soins que ce prince avait eus de la cultiver. Ils ajoutèrent, pour détacher Sixte de l’alliance de Ferdinand roi de Naples, que le roi savait que Ferdinand avait traité avec le turc ; que Sixte ne pouvait pas ignorer qu’après un tel traité il ne lui était plus permis d’être allié de Ferdinand, ni de se dispenser de le punir sans se déshonorer ; qu’ils ne lui parlaient ainsi que pour remplir leur commission. Sixte répondit qu’il aimait le roi, et qu’il ferait tout pour conserver son amitié ; qu’il était vrai que Ferdinand avait reçu les ambassadeurs turcs, mais qu’il ignorait qu’il y eût entre eux aucune alliance. Sixte, sans s’arrêter sur les points qui ne lui étaient pas favorables, passa tout de suite à ce qui concernait les Médicis, et dit qu’il ne pouvait s’imaginer que le roi très chrétien voulût souffrir ou excuser qu’on pendît un archevêque et des prêtres, ou qu’on les effigiât avec les marques mêmes de leur dignité, pour joindre le scandale à la cruauté ; que les florentins loin de marquer le moindre repentir de leurs excès, les consacraient par des monuments, et avaient fait mettre dans le palais de Florence des tableaux qui représentaient ces exécutions ; que cependant il consentait, en considération du roi, à écouter les propositions qui lui seraient faites, pourvu que l’on conservât l’honneur du saint Siège. Quoiqu’il ne fût pas difficile de justifier l’exécution de l’archevêque de Pise et des prêtres qui avaient eux-mêmes déshonoré leur caractère par leurs crimes, les ambassadeurs ne voulurent pas aigrir l’esprit du pape en insistant sur cet article. Ils répliquèrent que le traité de Ferdinand avec le turc était de notoriété publique ; que le roi aurait soin de conserver l’honneur du saint Siège et les droits de l’église qui lui avaient toujours été chers ; mais que si on prétendait détruire la seigneurie de Florence, soutenir la révolte de Gènes et de Savonne, dépouiller ses parents et alliés de leurs droits, et le priver lui-même de l’hommage que ces deux villes lui devaient, il saurait bien se faire la justice qu’on lui refuserait. Les ambassadeurs tinrent le même langage dans les visites qu’ils rendirent aux cardinaux, et ne dissimulèrent pas que si le pape continuait à n’écouter que sa passion, ils devaient s’y opposer, sans quoi l’Italie et la religion même étaient dans le plus grand danger. Ils déclarèrent enfin ouvertement que le roi malgré son respect pour le saint Siège, serait inébranlable sur ses droits.

Cependant Sixte ne décidait rien ; il désavouait ouvertement l’évêque de Fréjus au sujet de l’arbitrage qui avait été déféré au roi. Sixte interrogea ce prélat en présence des ambassadeurs ; et sur l’aveu qu’il fit, que sa sainteté lui ayant dit qu’elle désirait la paix, il avait pris sur lui d’avancer qu’elle choisissait le roi pour arbitre, quoiqu’elle ne l’eût pas dit expressément ; Sixte transporté de colère le fit sortir, le priva de son office de référendaire, et lui défendit de reparaître devant lui. La disgrâce de l’évêque de Fréjus intimida tellement les cardinaux, qu’ils n’osèrent s’opposer au pape, ni s’exposer à ses emportements.

Les ambassadeurs ayant reçu de nouvelles instructions, représentèrent au pape que plusieurs de ses prédécesseurs n’avaient pas craint de remettre leurs intérêts entre les mains des rois de France ; que ce moyen avait ordinairement été le plus sûr pour conserver ou rétablir la paix dans l’église ; et que pour terminer tous les différends, ils avaient ordre de proposer les conditions suivantes :

Laurent de Médicis et la seigneurie de Florence demanderont pardon au pape pour avoir fait pendre de leur autorité l’archevêque de Pise et des prêtres sans les avoir fait dégrader auparavant.

Le pape leur donnera l’absolution en la forme accoutumée par procureur et en présence d’un légat que sa sainteté enverra pour cet effet à Florence :

On ôtera du palais tous les tableaux qui représentent ces exécutions.

Il y aura tous les ans un service pour le repos des âmes de ceux qui ont été exécutés. Les florentins jureront de demeurer toujours fidèles à l’église, et de ne jamais rien entreprendre contre les libertés et immunités ecclésiastiques, ni contre les droits et autorité du saint siège.

La très illustre ligue promettra la même chose, et ni les uns ni les autres ne troubleront les états de l’église, ceux du roi Ferdinand, du comte Jérôme de La Rovere et de tous autres que le pape voudra nommer.

Le souverain pontife, le roi Ferdinand, le comte Jérôme, et tous leurs alliés jureront pareillement d’observer la paix avec la ligue, les florentins et le magnifique Laurent de Médicis ; et tous s’uniront contre le turc pour la sûreté de leurs états.

La paix ainsi faite, ils tourneront tous leurs armes contre le turc, fourniront et entretiendront ce qu’ils pourront de troupes pour le temps qu’on jugera nécessaire ; et cela fait, le pape fera rendre aux florentins ce qui leur a été pris, et leur donnera l’absolution.

Sa sainteté est priée de considérer que les florentins ne sont point les agresseurs, et que s’ils ont fait quelque chose contre les saints canons, on doit s’en prendre à ceux qui les ont attaqués.

On menaçait toujours le pape, s’il rejetait la paix, d’assembler un concile en France, où les rois d’Espagne et d’Écosse, le duc de Savoie, tous les alliés de la couronne, les princes et états de la ligue d’Italie enverraient leurs députés. Sixte se voyant vivement pressé de la part du roi, voulut s’appuyer de l’empereur et de Maximilien ; il pria leurs ambassadeurs de se trouver à l’audience qu’il devait donner à ceux de France. Ceux-ci ayant répété sommairement leurs propositions, l’archevêque de Strigonie prit la parole, et dit que l’empereur son maître avait appris qu’on attaquait l’honneur du saint Siège ; qu’on blâmait le pape et qu’on formait de grands desseins contre lui ; mais qu’il s’y opposerait de toutes ses forces ; qu’il avait pitié des florentins ; qu’il désirait que le pape les traitât avec bonté, mais qu’il ne trouvait rien à redire à sa conduite ; qu’il désirait pareillement la paix de l’Italie, et que tous les princes chrétiens se réunissent pour repousser les turcs ; qu’il ne savait pourquoi on proposait l’assemblée d’un concile qui n’était nullement nécessaire ; et qu’il emploierait toutes ses forces pour défendre l’honneur et l’autorité du saint Siège. L’ambassadeur de Maximilien ayant pris la parole pour appuyer ce qu’avait avancé l’archevêque, commença son discours par ces mots : le duc de Bourgogne mon maître. Morlhon l’interrompit, en disant que Maximilien n’était duc de Bourgogne de fait ni de droit, et que ce titre n’appartenait qu’au roi.

Si tous les princes chrétiens, continua Morlhon, sont obligés de défendre la religion, l’église et l’autorité du pape, personne n’est plus en droit de le faire que le roi ; c’est un droit acquis par trop de services rendus jusqu’ici par lui et ses prédécesseurs, pour qu’on ose le lui disputer : on n’a proposé la convocation d’un concile, qu’au cas que le pape ne veuille pas rétablir lui-même le calme dans l’église ; s’il continue à le refuser, le roi sera dans l’obligation d’en assembler un ; si l’empereur et Maximilien n’y envoient point de députés, on l’assemblera sans eux.

Sixte répondit par écrit au mémoire des ambassadeurs ;

qu’il désirait ardemment la paix, mais que le sacré collège refusait absolument de prendre le roi pour arbitre ; que les excès des Médicis et de leurs complices étaient de telle nature, qu’ils ne pouvaient s’en confesser ni en recevoir l’absolution par procureur ; qu’il fallait que Laurent de Médicis, le prieur de la liberté, le gonfalonier et dix députés se présentassent eux-mêmes pour en demander pardon ; que les florentins fonderaient une chapelle avec deux prêtres qui diraient tous les jours la messe pour le repos de l’âme de l’archevêque de Pise ; qu’on aviserait aux sûretés qu’il fallait prendre au sujet du serment de fidélité des florentins aussi bien que pour la confédération qu’on proposait ; qu’il serait à propos que le roi déclarât ce qu’il prétendait fournir de sa part dans l’union qu’on ferait contre le turc ; qu’il fallait, avant de restituer ce qu’on avait pris sur les florentins, qu’ils payassent les frais de la guerre ; et que pour statuer sur cet article, on devait attendre les ambassadeurs de la ligue.

En attendant que ces ambassadeurs arrivassent, les troupes du pape désolaient le pays : ce n’étaient que meurtres et incendies ; les laboureurs fuyaient et abandonnaient les terres, de sorte que la famine allait succéder incessamment à toutes les horreurs de la guerre. Sur les plaintes qui en furent portées au pape, il eut la dureté de répondre que ce n’était que par de telles voies qu’on pouvait ramener les Florentins.

À cette réponse barbare qui tenait de la frénésie, on lui déclara que s’il persistait dans ces sentiments, tous les princes l’abandonneraient, et qu’il verrait ensuite comment il continuerait la guerre, et retiendrait le peuple de Rome dans l’obéissance. Les prétentions de Sixte augmentaient chaque jour avec ses excès ; il proposait de nouveaux articles toujours plus durs que les premiers, il voulait que tout subît ses lois, et la fureur les dictait. Les ambassadeurs lui déclarèrent que si dans huit jours il ne posait les armes, et s’il ne levait les censures, ils se retireraient. Ils lui répétèrent toutes les raisons qu’ils avaient déjà employées, et ajoutèrent que toute l’Europe était aussi scandalisée de son opiniâtreté que révoltée de son injustice. Sixte se vit enfin obligé de lever les censures, et d’accorder une suspension d’armes. Peu de temps après il arriva une ambassade de Gènes pour rendre obéissance au pape. Les ambassadeurs de France allèrent aussitôt le trouver, et lui dirent qu’il ne pouvait ignorer que le roi était souverain de Gènes et de Savonne ; que les génois ne pouvaient rendre obéissance à sa sainteté, ni elle recevoir leurs ambassadeurs sans les reconnaître pour indépendants ; ce qu’ils n’étaient pas. Sixte répondit qu’il ne prétendait faire aucun préjudice au roi, mais qu’il ne pouvait se dispenser d’entendre les ambassadeurs de Gènes ; qu’il ne recevait leur obéissance que pour le spirituel, et que les ministres du roi pouvaient se trouver le lendemain à l’audience qu’il donnerait aux génois, et faire leurs protestations.

Les ambassadeurs de Gènes parurent au consistoire, et présentèrent leurs lettres de créance signées de Jean-Baptiste Campo-Fregose duc de Gènes par la grâce de Dieu, firent leur harangue et remercièrent le pape de ce que par son secours et celui du roi de Naples, ils étaient remis dans leur ancienne liberté. Morlhon ayant voulu parler, le pape lui imposa silence, reçut l’obéissance de Campo-Fregose comme duc de Gènes, en fit dresser acte, et dit ensuite à Morlhon qu’il pouvait parler.

Morlhon protesta contre tout ce qui venait de se faire, et déclara qu’il ne prétendait en aucune manière reconnaître la juridiction du pape en cette affaire qui était réservée au roi, seul et légitime souverain de Gènes et de Savonne ; qu’il n’était point permis à messire Baptiste, c’était ainsi que Morlhon nommait Fregose, de prendre la qualité de duc par la grâce de Dieu, encore moins de prêter obéissance au pape ; qu’il osait dire à sa sainteté qu’elle avait eu tort de l’interrompre, encore plus de recevoir l’obéissance de Gènes, et qu’elle ne pouvait le réparer qu’en se rétractant : Morlhon s’adressa tout de suite aux génois, et les somma de déclarer s’ils se reconnaissaient sujets du roi ou non. Le pape prit la parole pour eux, et dit qu’il ne prétendait point être seigneur temporel de Gènes, et qu’il en recevait l’obéissance sans préjudicier aux droits du roi.

Les notaires du pape, et Jean Compain secrétaire du roi, dressèrent chacun de leur côté un procès-verbal de ce qui venait de se passer. Il y avait beaucoup de chaleur dans les esprits. L’ambassadeur de l’empereur voulant prendre parti dans la contestation, dit que le titre de très chrétien appartenait mieux à son maître qu’au roi, puisque l’empereur protégeait le pape et l’église, au lieu que le roi soutenait une ligue contre l’un et l’autre. Les ministres du roi répliquèrent avec fermeté ; mais toutes ces disputes ne tendaient pas à la paix ni n’éclaircissaient la question. Quelques jours après les ambassadeurs d’Angleterre arrivèrent à Rome, et se joignirent à ceux de France. Ces ministres déclarèrent hautement que leurs maîtres voulaient absolument terminer les guerres d’Italie, et que c’était au pape à décider s’il voulait ou non les prendre pour arbitres, comme les princes ligués en étaient déjà convenus. Le pape tint encore un consistoire où il appela les ambassadeurs de France, d’Angleterre, de la ligue, et tous les ministres étrangers. Il fit lire un long discours, qui en paraissant discuter la question, ne faisait que l’embarrasser et en éloigner la décision. Les ambassadeurs de France et d’Angleterre fatigués de tant de remises, déclarèrent que leurs pouvoirs étaient expirés ; et celui de Venise, qu’il avait ordre de se retirer. Le pape n’ayant plus d’autre parti à prendre, se soumit enfin à l’arbitrage des deux rois.

Les ambassadeurs assistèrent, avant de partir, au serment que prêtèrent le cardinal de saint Pierre Aux Liens pour l’évêché de Mande, et Galéas de La Rovere pour celui d’Agen. Ils jurèrent l’un et l’autre d’être bons et loyaux au roi envers et contre tous ; de garder le secret sur tous les conseils où ils seraient appelés, et de lui révéler tout ce qui pourrait être contraire à lui et à sa couronne. Laurent de Médicis jugeant que le pape violerait sans scrupule une parole qu’il avait eu tant de peine à donner, prit le parti de s’adresser directement à Ferdinand roi de Naples. Ce prince fut touché de la confiance de Médicis, et fit la paix avec lui. Sixte en fut si mécontent, qu’il se brouilla bientôt avec Ferdinand. Les intérêts des princes d’Italie changeant alors de face, le roi s’attacha à rétablir la paix entre le duc de Milan et les suisses, pour ne plus s’occuper que de ses propres affaires. Sa principale attention était de cultiver l’amitié du roi d’Angleterre, et de l’empêcher de se laisser gagner par les sollicitations de la duchesse douairière de Bourgogne. Comme il ne faisait pas grande attention aux formalités quand il était utile de s’en écarter, il ordonna au chancelier Doriole, quoique sa place le dispensât de faire aucune visite, d’aller voir l’ambassadeur d’Angleterre, pour tâcher de pénétrer le secret de ses instructions.

Le chancelier mania si habilement l’esprit de l’ambassadeur, que celui-ci engagea son maître à signer la prolongation de la trêve pour cent ans après la mort des deux rois. Après le traité fait avec l’anglais, le roi redoutant moins les ennemis qu’il pourrait avoir, réforma dix compagnies d’hommes d’armes. Plusieurs de ceux qui les commandaient furent disgraciés en même temps que réformés. Balzac fut poursuivi criminellement ; le roi était si prévenu contre lui, qu’il écrivit au chancelier un billet conçu en ces termes :

prenez garde que vous y fassiez si bonne justice, que je n’aie cause d’être mal content ; car c’est à vous à faire justice.

Il fallait que, malgré tant de prévention, Balzac fût innocent, puisqu’il fut renvoyé absous. Doriole et son lieutenant furent convaincus d’avoir voulu passer au service de Maximilien et condamnés à perdre la tête ; leurs corps mis en quartiers furent exposés à Béthune, à Arras, et dans les principales villes de Picardie. Dammartin fut traité avec distinction ; le roi lui écrivit sur la réforme, et lui conserva ses pensions qui montaient à plus de vingt-cinq mille livres. Le roi employa les fonds de ces compagnies à lever un corps de suisses. C’est de ce temps-là qu’ils sont entrés au service de France.

La défiance réciproque du roi et de Maximilien annonçait une rupture prochaine. Cambrai paraissait de si grande importance aux deux partis, qu’il fut décidé que la garnison serait mi-partie ; mais Bossu et Haubourdin surprirent cette place. La trêve étant rompue, Bossue et Harchies, Ravestein et Jean de Luxembourg se mirent en campagne, et prirent Crèvecœur, Oisi, Honnecourt et Bouchain. Dix-huit français se jetèrent dans le château de cette dernière place, et s’y défendirent pendant trois heures contre toute une armée ; mais sept d’entre eux ayant été tués, les autres furent forcés, et exécutés sans égard à une valeur si rare et digne d’un autre sort. Des Querdes et Gié qui commandaient pour le roi dans ce canton-là, rassemblèrent environ huit cents lances, et reprirent la plupart des places dont les ennemis s’étaient emparés.

Le roi envoya un héraut au duc et à la duchesse d’Autriche pour se plaindre de l’infraction de la trêve, et fit marcher en même temps une puissante armée en Bourgogne sous le commandement de Charles de Chaumont.

Maximilien paraissait en vouloir à Dijon ; mais Chaumont fit échouer ce projet en se saisissant de tous les châteaux voisins, et forma le siège de Dole. C’était une entreprise d’éclat : la situation avantageuse de la place, et l’honneur qu’elle avait eu de faire déjà lever le siège à une armée française, ne firent qu’animer Chaumont. Il fit battre la ville avec une forte artillerie ; l’attaque et la défense étaient également vives, les sorties fréquentes et meurtrières.

Les français ayant été repoussés à un assaut, le succès du siège devenait fort incertain ; mais une partie de la garnison composée d’étrangers se laissa corrompre. Les français profitant d’une sortie, entrèrent dans la place en poursuivant les assiégés. Ils crient aussitôt victoire, égorgent le corps de garde, et mettent la ville à feu et à sang. Presque tous les habitants périrent les armes à la main ; ceux qui échappèrent au massacre furent dispersés.

La terreur se répandit dans toute la province. Auxonne se rendit, à condition que tous ceux qui voudraient se retirer, tant soldats que bourgeois, le pourraient faire avec leurs effets, sans toutefois passer dans le parti contraire ; que ceux qui resteraient dans la ville, y conserveraient leurs biens, et les privilèges dont elle jouissait avant de se mettre sous l’obéissance du roi. Chaumont jura tous les articles de la capitulation, et Ferry de Clugny fit serment au nom des habitants qu’ils serviraient fidèlement le roi envers et contre tous, et nommément contre le duc et la duchesse d’Autriche.

Ceux de Besançon se rendirent au roi aux mêmes conditions qu’ils s’étaient donnés aux derniers ducs de Bourgogne ; disant qu’ils faisaient une association avec lui comme comte de Franche-Comté. Le commandant pour le roi devait avoir la disposition absolue de tout ce qui regardait la guerre et la justice ; les revenus et les droits utiles devaient être partagés entre le roi et la communauté. Le traité signé par Chaumont, fut ratifié par le roi à Nemours. Toutes les places de la province suivirent l’exemple de celles qui avaient fait leur accord, de sorte que la valeur et la sagesse de Chaumont rendirent le roi maître de la Franche-Comté dans une seule campagne.

Le roi voulant profiter des dispositions de ses nouveaux sujets, vint à Dijon, jura de conserver tous les privilèges de la ville, confirma ceux de l’église de Mâcon et de plusieurs autres.

Les français ne réussirent pas si bien dans les Pays-Bas ; ils tentèrent de surprendre Douai ; mais un déserteur ayant donné l’alarme dans la ville, on se mit aussitôt sur ses gardes, on tira sur eux, et on les obligea de se retirer. Le comte de Chimay fut plus heureux que les français dans l’entreprise qu’il fit sur Verton. La garnison de cette place faisait des courses continuelles dans le Luxembourg, et mettait toute la province à contribution. Chimay assiégea Verton à la tête de dix mille hommes, et pressa si vigoureusement le siège, que la garnison craignant d’être emportée d’assaut, se rendit avec la seule condition de sortir un bâton blanc à la main, sans rien emporter. Chimay assura la prise de Verton par celle de plusieurs châteaux.

D’un autre côté Maximilien assembla sous Saint Omer une armée de vingt-huit mille hommes et investit Térouenne. À cette nouvelle des Querdes décampa de Blangis, et s’avança à la découverte. Aux approches des français, Maximilien changea l’ordre de son armée qui était partagée en plusieurs corps. Des Querdes apercevant ce mouvement, crut que l’ennemi fuyait, et marcha pour l’attaquer. Le jeune Salazar, téméraire, mais excellent pour un coup de main, étant allé à la découverte, surprit un parti français et le battit. Ce petit avantage détermina la bataille. Les troupes de Maximilien demandèrent qu’on les menât combattre. Les français occupaient la montagne d’Enguin opposée à celle de Guinegatte, dont les ennemis s’emparèrent. L’armée française était composée de dix-huit cents lances et de quatre mille francs archers. Des Querdes la partagea en trois corps. Les ennemis avaient beaucoup moins de cavalerie, mais ils étaient fort supérieurs en infanterie, et les armées étaient à peu près égales. Maximilien s’appuyant de la montagne de Guinegatte, mit au front de son armée cinq cents archers anglais soutenus par trois mille archers ou arquebusiers allemands bordés d’artillerie, et jeta sa cavalerie sur les ailes.

La bataille commença sur les deux heures ; les gendarmes français attaquèrent la cavalerie ennemie : le choc fut rude ; on combattit longtemps avec un égal avantage ; mais les cavaliers flamands étant poussés au-delà de l’infanterie, plièrent et prirent bientôt la fuite. Des Querdes et Torcy les poursuivirent jusques sur les fossés d’Aire, et firent une faute irréparable en menant avec eux la cavalerie qui faisait la force de leur armée. Les archers français prenant ce premier avantage pour le gain de la bataille, se jetèrent sur le bagage, et se mirent à piller au lieu de combattre. Le comte de Romont profita du désordre, tomba sur les archers et les mit en fuite. Nassau chargea dans le même instant la cavalerie française qui s’était débandée en poursuivant les gendarmes flamands. Les français une fois divisés ne se ralliaient plus que par pelotons : ils combattaient toujours vaillamment ; mais tous leurs efforts ne servaient qu’à disputer une victoire qu’ils perdirent par leur faute, sans que leurs ennemis pussent se l’attribuer. Ceux-ci passèrent, à la vérité, la nuit sur le champ de bataille, mais ce fut tout l’avantage qu’ils retirèrent de cette journée ; ils furent obligés d’abandonner le siège, et ne purent rien entreprendre d’important le reste de la campagne. Ils perdirent beaucoup d’officiers de distinction, tels que le grand bailli de Bruges, le fils de Corneille bâtard de Bourgogne, d’Halluin, des Cornets, Abazieres, Lormont, Salins, Moleroncourt. Les comtes de Romont et de Joigny furent blessés. Ligne, Olivier de Croy, Condé Frêne, Barlette, La Marche, La Grutuse, Du Tilloy, Quesnoy, Vismal, Grandinet, demeurèrent prisonniers. Les français ne perdirent d’officiers de marque que Waste De Montpedon, et Blosset le Beauvaisien.

Le roi fut dans de grandes inquiétudes aux premières nouvelles qu’il eut de cette action ; sa défiance naturelle lui fit croire qu’on lui dissimulait la perte. Il avait coutume de dire qu’il ne tirait d’argent de ses sujets que pour épargner leur sang, et n’aimait pas à hasarder une bataille. Il n’attaquait même une place, qu’après avoir essayé de gagner le gouvernement par ses présents ; et lorsqu’il le trouvait avare, il en triomphait bientôt par la prodigalité. Amelgardus, auteur contemporain et très passionné contre Louis XI dit que chaque parti s’attribua la victoire, et que les français, après l’avoir eue, ne la perdirent que par leur avarice.

Le roi étant mieux instruit de l’action, envoya de tous côtés pour calmer les esprits que son inquiétude même avait alarmés. Comme il sut que la bataille n’avait été perdue que parce que sa cavalerie avait voulu faire des prisonniers pour gagner sur les rançons, il voulut qu’on les mît tous au butin, et en écrivit à Saint-Pierre grand sénéchal, en ces termes :

M. le grand sénéchal, je vous prie que remontriez à M. de Saint André, que je veux être servi à mon profit, et non pas à l’avarice. Tant que la guerre dure, mettez les prisonniers au butin, et de ceux que vous verrez qui me pourront nuire, je vous prie qu’ils ne soient point délivrés... je fais que tout soit au butin ; car par ce moyen les capitaines auront tous ces prisonniers les plus gros pour un rien qui vaille ; c’est ce que je demande, afin qu’ils tuent une autrefois tout, et qu’ils ne prennent plus prisonniers, ne chevaux, ne pillage, et jamais nous ne perdrons bataille. Je vous prie, M. le grand sénéchal mon ami, parlez à tous les capitaines à part, et faites que la chose vienne ainsi que je la demande. ... dites à M. de Saint André qu’il ne fasse point du floquet ni du rétif, car c’est la première désobéissance que j’aie jamais eu de capitaine... je lui ôterai bientôt la tête de dessus les épaules ; mais je crois qu’il ne contredira pas.

La France fut amplement dédommagée d’avoir manqué la victoire à Guinegatte par les succès du vice-amiral Coulon, qui ayant rencontré la flotte hollandaise composée de quatre-vingt navires revenant de la mer Baltique, et de la pêche du hareng, la prit et la conduisit dans les ports de Normandie. Cette prise jeta la consternation dans toute la Hollande. Maximilien ayant rétabli son armée, partit d’Aire à la tête de vingt-cinq mille hommes d’infanterie et de mille chevaux, et vint attaquer le château de Malanoy défendu par Remond d’Ossaigne surnommé le cadet Remonnet, et par cent soixante gascons déterminés. Cette poignée de monde arrêta pendant trois jours l’armée de Maximilien. Ils furent enfin forcés et périrent presque tous les armes à la main ; Remonnet s’étant rendu sur la parole qu’on lui donna de le traiter comme prisonnier de guerre, fut pendu. Le roi, résolu de tirer une vengeance éclatante de l’exécution de Remonnet, ordonna de choisir plusieurs prisonniers de marque, et de les faire pendre. Tristan L’Hermite prévôt de l’armée en fit pendre sept sur le lieu où Remonnet avait été exécuté ; dix furent pendus devant Douai, dix devant Saint Omer, dix devant Lille et dix devant Arras. Parmi ces malheureux, il se trouva un fils du roi de Pologne qui allait être exécuté, lorsqu’il arriva un courrier de la part du roi pour lui sauver la vie. Le roi, pour achever sa vengeance, fit marcher ses troupes le long de la Lis vers le comté de Guine, avec ordre de mettre tout à feu et à sang. On prit dix-sept places qu’on réduisit presque toutes en cendres. Le roi, après avoir vengé la mort de Remonnet, fit venir les deux enfants de cet officier, les fit élever auprès de lui, et tâcha par ses bienfaits de réparer la perte qu’ils avaient faite.

La suite et l’enchaînement de ce qui se passa cette année dans les Pays-Bas et dans les deux Bourgognes, ne m’a pas permis de m’arrêter sur les projets que le roi avait formés, et qu’il aurait tous exécutés, si la trêve eût été aussi fidèlement gardée qu’il l’espérait.

Il ordonna de rassembler toutes les lois et coutumes, soit françaises, soit étrangères, afin d’en former un code fixe et uniforme pour tout le royaume. Il voulait par-là abréger les procès, prévenir les chicanes qui naissent de la diversité des interprétations, et qu’il n’y eût qu’une loi, qu’un poids, qu’une mesure. Il n’y a personne, excepté ceux qui vivent de nos erreurs et de nos abus, qui ne doive regretter qu’un pareil projet soit resté sans exécution. Louis fit encore cette année un règlement très sage sur le guet et la garde des châteaux. Les seigneurs particuliers abusaient d’un prétendu droit pour vexer leurs vassaux ; leur faisaient abandonner le commerce et le labourage, ou les obligeaient de s’exempter du guet à force d’argent ; ils exigeaient les sommes les plus fortes de ceux qui étaient les plus nécessaires à leur profession, et par conséquent à l’état. Le roi faisant garder par ses troupes les places qui importaient à la sûreté du royaume, jugea qu’il était inutile et peut-être dangereux que les seigneurs particuliers fissent garder leurs châteaux ; que ce droit qui avait pu être utile autrefois, n’était plus qu’une occasion de révolte et un prétexte à la vexation ; et que dans le gouvernement présent il devait cesser avec le besoin qui l’avait fait naître. Il fut ordonné que pour toutes les places qui n’étaient pas frontières, ceux qui étaient sujets au guet et à la garde, en seraient affranchis, en payant cinq sols chaque année. Le peuple se vit délivré par-là d’une multitude de tyrans particuliers dont la domination était d’autant plus dure, qu’elle était souvent usurpée. En approuvant Louis XI d’avoir affermi l’autorité légitime, je ne prétends point dissimuler qu’il ne l’ait quelquefois portée fort loin. Il fit informer contre les officiers du duc de Bourbon sur plusieurs entreprises dont ils étaient accusés par un nommé Doyac vassal du duc et son ennemi déclaré. Le mémoire présenté contre ce prince portait qu’il fortifiait ses places, entretenait des troupes, réformait la monnaie, empêchait les appels de sa justice à celle du roi, et qu’il avait fait mourir plusieurs personnes. Le roi ordonna d’en informer ; mais ce qui marquait plus la passion que la justice, c’est que Doyac même fut du nombre des commissaires nommés pour l’information. Le chancelier du duc De Bourbon comparut au parlement, prouva que son maître n’avait rien fait que de juste, et détruisit toutes les accusations calomnieuses. Après une longue suite de procédures, les officiers du duc furent renvoyés absous.

Sur ces entrefaites Ferdinand ayant fait la paix avec la France, la reine Isabelle fit un voyage à Alcantara pour voir Donna Beatrix sa tante, mère de la reine de Portugal. On espérait d’abord qu’un accord entre les couronnes de Castille et de Portugal serait le fruit de cette entrevue ; mais les conférences furent sans effet. La guerre recommença plus vivement que jamais. Les portugais ayant perdu la bataille d’Albufera et plusieurs places importantes, furent obligés de faire la paix. Le roi de Portugal et Jeanne sa mère renoncèrent à la couronne de Castille, et Ferdinand au titre de roi de Portugal. Zurita se trompe lorsqu’il dit que la paix entre le Portugal et l’Espagne fut conclue dans l’entrevue d’Isabelle et de Donna Beatrix ; elle ne se fit que huit mois après. Zurita est encore dans l’erreur en avançant que ce fut alors que l’on convint des arbitres sur les différends entre la France et l’Espagne, on en était convenu dès l’année précédente ; et il n’y avait alors en Espagne aucun ministre de la part du roi.

Vers ce même temps le duc d’Albanie frère de Jacques III roi d’Écosse, arriva à Paris après s’être sauvé d’un château où le roi son frère le retenait prisonnier. Six mois auparavant il était venu une ambassade d’Écosse pour traiter d’un mariage pour le duc d’Albanie ; c’est tout ce qu’on en sait : on croit que c’était avec Anne de La Tour, fille de Bertrand de La Tour et de Louise de La Trémouille. L’historien de l’université pourrait s’être trompé en parlant d’ambassadeurs de Suède, devant lesquels l’université passa en procession. Je ne trouve point qu’il en soit venu de Suède cette année ; peut-être faudrait-il lire scotioe au lieu de suecioe.

Le roi fit rendre au duc d’Albanie tous les honneurs possibles ; mais il lui refusa les secours qu’il demandait contre la persécution de son frère. Édouard lui fournit une armée sous le commandement du duc de Gloucester. Le duc d’Albanie rentra en Écosse, fut reçu dans Édimbourg, et aurait pu détrôner son frère, si la générosité ne l’eût emporté sur le ressentiment. Le roi d’Écosse plus offensé que touché de sa vertu, ne put pardonner à son frère de l’avoir fait trembler. Le duc d’Albanie se voyant obligé ou de recommencer la guerre, ou d’être toujours l’objet de la persécution, repassa en France pour s’y soustraire.

Depuis la journée de Guinegatte le reste de cette année se passa en négociations. Louis avait envoyé en Provence dès le commencement de l’année Blanchefort son maréchal des logis, afin d’engager le roi René à lui céder le Barrois, l’Anjou, et les autres terres dont il pouvait traiter. Le roi pour déterminer René, lui demandait la dot de Marie d’Anjou, le remboursement de plusieurs sommes considérables que le duc de Calabre avait reçues, et la rançon de la reine Marguerite. Il forma enfin tant de prétentions, que René consentit à céder au roi la ville et prévôté de Bar-Le-Duc, avec cette clause :

par arrentement et pour six ans, suivant les appointements faits par l’évêque de Marseille, et Honorat de Berre.

René envoya pour cet effet La Jaille son chambellan. Le roi chargea Bourmel son maître d’hôtel, et Montmirel clerc des comptes, de prendre possession du duché de Bar. René tenait ce duché du cardinal de Bar, qui l’avait usurpé sur Robert de Bar son neveu. L’amitié que le roi avait toujours eu pour la maison de Savoie, l’engagea encore à prendre sous sa protection le duc Philbert, qui n’avait pas quatorze ans au temps de la mort de sa mère Yolande De France. Les oncles du jeune duc prétendaient tous également à la régence et à la tutelle dont les états voulaient décider. Le roi envoya le comte de Dunois, oncle du duc par sa femme, avec Frédéric prince de Tarente, et Commines, qui amenèrent Philbert en Dauphiné. Malgré les engagements solennels que le duc de Bretagne avait pris avec Louis XI il entretenait toujours des liaisons avec Édouard, et lui offrait de donner sa fille en mariage au prince de Galles. Le roi fit représenter au duc ses traités, ses lettres et ses serments, et lui fit dire qu’il ne pouvait ignorer que le roi était en guerre avec Maximilien ; que la France étant attaquée, elle devait être secourue par ses vassaux ; et que lui duc de Bretagne étant prince du sang, y était obligé par sa qualité, son rang, et ses traités.

Le duc ne paraissant pas disposé à remplir ses engagements, le roi résolut de lui donner de l’inquiétude. Il acheta de Jean de Brosse et de Nicole de Châtillon ou de Bretagne, les droits qu’ils avaient sur ce duché. Nicole était arrière-petite-fille et héritière de Jeanne la boiteuse, qui avait disputé si courageusement la Bretagne à Jean de Montfort son oncle. Le duc sachant que de pareils droits fondés par eux-mêmes, deviennent encore plus réels entre les mains d’un roi puissant, fit avec le duc et la duchesse d’Autriche et avec Édouard, une ligue défensive et offensive.

Louis voyant qu’il était inutile de rappeler la foi des traités à des princes qui ne les interprétaient jamais que suivant leurs intérêts souvent mal entendus, aima mieux paraître ignorer ce traité, que de s’en plaindre. Il acheva le payement de la rançon de la reine Marguerite, continua de payer la pension d’Édouard ; et fit passer en Angleterre Guyot de Chesnay son maître d’hôtel, et Garnier maître des requêtes et maire de Poitiers, sous prétexte de régler le douaire de la princesse Élizabeth qui devait épouser le dauphin. Les anglais demandaient jusqu’à quatre-vingt mille livres ; le roi faisait toujours offrir fort au-dessous, parce qu’il n’avait pas dessein de conclure, et qu’il ne voulait que gagner du temps et négocier partout. Il envoya des ministres dans chaque canton suisse, pour y faire des levées, et pour empêcher ses ennemis d’en faire. d’un autre côté il écoutait les propositions que les génois lui faisaient faire par Hector De Fiesque comte de Lomaigne. Dans le même temps Perceval De Dreux chambellan du roi, et Pierre Francberge maître des requêtes, étaient à Metz pour conférer avec les députés de Catherine De Gueldre, de l’évêque de Munster, et du comté de Zutphen. Ces députés demandaient d’abord qu’on mît en liberté le jeune duc de Gueldre et sa sœur, que le feu duc Charles avait emmenés avec lui lorsqu’il s’était emparé du duché de Gueldre et du comté de Zutphen, et que Maximilien retenait toujours prisonniers.

Le roi voulait que Catherine De Gueldre, l’évêque de Munster, et les états de Zutphen, s’engageassent par lettres patentes à servir toujours la France contre Maximilien et ses descendants. Les députés s’accordaient assez avec les ministres du roi ; mais ils demandaient que ce prince ne pût faire la moindre trêve avant la délivrance du duc de Gueldre, au lieu que le roi ne voulait pas renoncer à la liberté de faire une courte suspension d’armes suivant les conjonctures. On ignore quelle fut la suite de ces conférences.

Vers la fin de cette année le roi fit transporter le corps de Marguerite d’Écosse sa première femme, de la cathédrale de Châlons, dans une chapelle de l’abbaye de saint Laon de Thouars, où cette princesse avait choisi sa sépulture. Le peu de confiance que donnaient les traités, obligeait le roi à négocier continuellement. Il apprit toutes les intrigues du duc de Bretagne ; il sut que l’empereur avait menacé les suisses de leur faire la guerre s’ils fournissaient des troupes à la France. Il profita de ces avis pour entretenir des pensionnaires dans chaque canton. Le roi portant toujours son attention sur l’Angleterre, fit repartir l’évêque d’Elne avec Castelnau, Bretevoux et Baillet maître des requêtes, pour régler les conditions de la trêve de cent ans, pour convenir des arbitres sur les différends qui naîtraient pendant la trêve, et pour persuader aux anglais qu’il désirait l’accomplissement du mariage du dauphin avec la princesse Élizabeth.

La plus grande difficulté venait de ce qu’Édouard voulait que les ducs d’Autriche et de Bretagne fussent compris dans la trêve. Louis prétendait qu’ils en devaient être exclus, parce que le traité du mois d’août 1475 portait que ceux qui voudraient être compris dans la trêve, seraient tenus de le déclarer dans trois mois ; que le feu duc Charles ne l’ayant pas fait, ceux qui le représentaient n’étaient plus en droit de le faire ; que d’ailleurs l’article qui regardait autrefois le duc de Bourgogne, ne pouvait plus s’appliquer qu’au roi qui était réellement souverain de la Bourgogne, puisqu’elle était réversible à la couronne. Il ajoutait que Maximilien considéré comme duc de Bourgogne, était vassal et sujet de France, et que le traité portait expressément que les deux rois n’assisteraient, sous quelque prétexte que ce fût, les vassaux et sujets l’un de l’autre. Le roi se servait de cette dernière raison à l’égard du duc de Bretagne qui étant son vassal, lui avait fait hommage, et dont la justice ressortissait au parlement. Les ambassadeurs étaient encore chargés d’assurer Édouard que tout ce qui appartiendrait à ses sujets dans les lieux dont le roi se rendrait maître, leur serait rendu. On leur recommandait surtout que l’obligation des cinquante mille écus que le roi devait payer à Édouard chaque année de la trêve, fût dressée de façon qu’elle y fût relative, afin que le roi fût déchargé du payement, si la trêve venait à se rompre. Indépendamment des instructions que le roi donna à ses ambassadeurs, il écrivit une lettre de sa main à Édouard pour l’assurer qu’il ne désirait rien avec plus d’ardeur que d’entretenir avec lui l’amitié la plus étroite, et de la sceller par le mariage du dauphin. Louis sachant qu’Édouard était moins sensible aux protestations d’amitié qu’à l’argent, lui fit payer vingt-cinq mille écus pour six mois  de pension. Il proposa aussi de faire épouser au prince de Galles la fille de la duchesse de Milan. Édouard envoya pour cet effet un ambassadeur à Milan. Ce projet manqua par les autres engagements qu’Édouard prit bientôt après ; mais le roi ne voulant que gagner du temps, obtint en partie ce qu’il désirait.

Tandis que le roi employait tous les moyens possibles pour éviter la guerre, il n’oubliait rien pour se mettre en état de la soutenir. Il ordonna que les compagnies d’ordonnance fussent complètes, et fit garnir de troupes les frontières de Picardie et de Flandre. Il sentait aussi qu’il ne pouvait assurer ses conquêtes qu’en détruisant tout germe de révolte dans l’intérieur du royaume. Il avait plusieurs fois pardonné aux habitants d’Arras, sans pouvoir se les attacher ; il résolut donc de les disperser, et de repeupler la ville de nouveaux habitants. Il y fit venir des ouvriers et des marchands qu’il tira des principales villes du royaume. Ceux qu’il chargea de cette commission, ne prirent que des vagabonds ennemis du travail, toujours prêts au crime, pernicieux à l’état par leur inaction seule, et nullement capables de soutenir une nouvelle colonie. En effet la plupart s’enfuirent, et ruinèrent ceux qui restaient. Le roi donna de nouveaux ordres, voulut y établir des manufactures, et mit, pour subvenir à cette dépense, un impôt sur le sel dans les provinces qui bordent la Seine et l’Yonne. Le roi pour s’assurer des nouveaux habitants, et obliger les villes d’où il tirait des ménages entiers, à faire de bons choix, fit avancer par chacune de ces villes cinq cents écus à ceux qui en sortaient pour venir s’établir à Arras ; ainsi elles choisirent des gens laborieux afin qu’ils pussent rendre les sommes qu’on leur avançait. Louis donna à cette ville qu’il regardait comme son ouvrage, les armes qu’elle porte aujourd’hui. Il voulut aussi qu’on la nommât franchise, mais le nom d’Arras lui est demeuré.

Le roi se comporta différemment à l’égard de la Franche-Comté. Il s’appliqua à gagner la noblesse, il honora Guillaume de Vergy de sa confiance, et le chargea de traiter avec les suisses. Il donna une abolition à Charles de Neuchâtel archevêque de Besançon, et confirma tous les privilèges de cette ville, ne se conservant que le droit de protection. Il acquit Châtel-Sur-Moselle moyennant soixante mille livres. Cette acquisition, celle du duché de Bar, et les nouvelles pensions qu’il payait en Angleterre, lui coûtaient beaucoup ; il se vit encore obligé de donner cent mille livres aux suisses. Ayant remarqué que cette nation indifférente sur ses alliés, se déterminait par intérêt, il la gouvernait par-là, et l’empêchait de se déclarer en faveur de Maximilien qui ne pouvait que promettre, au lieu que la France donnait un argent considérable. Vergy, Bussy Lamet, Cleret et Vaudrey, n’étaient occupés qu’à retenir les suisses dans l’alliance du roi. Ce prince ne pouvant ignorer que malgré l’argent qu’il leur donnait ils ne le voyaient qu’avec peine maître de la Franche-Comté, faisait fortifier Auxonne, Poligny, et les autres places que Chaumont avait prises.

Tant de dépenses extraordinaires obligèrent Louis XI de retrancher un quart sur les pensions. Cette ressource ne suffisant pas, on assembla les états de plusieurs provinces ; et il fut résolu que pour soulager l’état sans fouler les peuples, les impôts seraient payés en denrées dans plusieurs provinces, qui les donneraient plus facilement et aussi utilement pour l’état que de l’argent. La Normandie fut chargée de fournir de vivres l’armée de Picardie, et la Champagne celle de Luxembourg. Les provinces d’au delà de la Loire devaient entretenir l’armée de Bourgogne. Coittier premier médecin, et Galchaut maître d’hôtel du roi, allèrent visiter les vivres.

Le gros de l’armée était dans l’Artois, et tenait en échec celle de Maximilien. Chaumont avec un corps de troupes entra dans le Luxembourg, et prit Vireton et Yvoy.

La campagne se passa en escarmouches. Galiot qui depuis la mort du duc Charles était passé au service du roi, faisait des courses continuelles dans le Luxembourg. Chantereine assiégea Beaumont. La comtesse de Varnebourg de la maison de Croy, s’y défendit avec toute la valeur du plus grand capitaine. Ne pouvant plus tenir dans la place, elle se retira dans le château, et ne capitula que sur un ordre précis de son mari ; elle sortit à des conditions honorables, et se retira auprès de lui en Allemagne.

Les deux partis craignant une affaire générale, cherchaient à se surprendre l’un l’autre. Des Querdes lieutenant pour le roi en Picardie, fit donner un faux avis par un nommé Robin à Cohin gouverneur d’Aire. Celui-ci se laissa persuader qu’il était très facile de surprendre Hesdin, et partit pour cette expédition à la tête de cinq cents hommes des plus braves de la garnison d’Aire. Il arriva la nuit au pied de la muraille ; Robin s’approchant, parla à la sentinelle, qui répondit comme étant d’intelligence. Il y avait un trou dans une tour à six pieds de rez-de-chaussée que Des Querdes avait fait faire exprès. Robin y entra le premier, et se sauva à la faveur des ténèbres ; chacun s’empressant à l’envi de le suivre ; les ennemis furent bientôt en grand nombre dans la tour, et crièrent vive Bourgogne. Mais la herse tomba dans le même instant, et ils se trouvèrent pris lorsqu’ils se croyaient maîtres de la place. Ne pouvant se sauver et ne voulant pas se rendre, ils périrent tous les armes à la main. Cohin qui n’était pas encore entré, se retira au désespoir.

Louis établit cette année les postes sur les grandes routes du royaume. Le premier établissement ne fut d’abord que pour le service du roi et des princes ses alliés, avec défenses de donner des chevaux à aucun particulier, sans un ordre exprès du grand-maître qui fut créé en même temps. Le roi avait fait expédier les lettres dès le mois de juin 1464 mais ce ne fut que cette année que le projet fut exécuté, à l’occasion d’une maladie du dauphin. Le roi voulant en avoir des nouvelles tous les jours, établit des courriers sur les routes depuis Amboise jusques dans la Beauce et le Gatinois où il passa l’été.

Louis parut dans les plus grandes alarmes sur la vie de son fils. Après sa guérison, il anoblit Thomas Guillaume son médecin ordinaire, qui avait conduit cette maladie, et donna les revenus de la prévôté de Meaux à Étienne de Vesc ; les lettres portent :

celui de nos serviteurs qui est continuellement nuit et jour occupé pour la sûreté de la personne du dauphin, et en qui avons pour ce singulière fiance.

Le roi avait eu raison d’annoncer au pape, au roi de Naples, et aux princes d’Italie, que les chrétiens ne pouvaient être trop en garde contre les turcs. Mahomet II prudent, actif, intrépide et cruel, n’avait que des vertus ou des vices de héros. La prise de Constantinople, et la destruction de plusieurs empires sur lesquels il établit le sien, le rendirent maître de l’orient, et redoutable à l’Europe. Ses victoires lui inspirèrent le désir de passer en Italie. La division qui régnait entre les princes chrétiens, l’assurait presque du succès. Il fit marcher à la fois deux armées accoutumées à vaincre. La plus forte descendit dans l’île de Rhodes, et ouvrit la tranchée devant la ville. Tout ce que la valeur peut entreprendre, tout ce que la fureur peut employer de plus terrible, fut mis en oeuvre contre la place ; mais tout l’effort des ottomans devint inutile par la sagesse, la vigilance, et la fermeté du grand-maître Pierre D’Aubusson, et par l’intrépidité des chevaliers. Ces héros dont l’âme s’est perpétuée dans leurs successeurs, firent échouer la fortune de Mahomet. Les turcs après quatre mois de tranchée ouverte, furent contraints de lever un siège qui leur coûta plus de trente mille hommes. L’armée ottomane fut plus heureuse en Italie. Elle emporta d’assaut la ville d’Otrante après un mois de siège. Tout fut passé au fil de l’épée, sans distinction d’âge ni de sexe. L’archevêque fut massacré aux pieds des autels, en exhortant les habitants à mourir en chrétiens. Aucun ne voulut racheter sa vie aux dépens de sa foi. Tous périrent les armes à la main, dignes de compassion par leurs malheurs, si leur mort n’était digne d’envie. Comme les chrétiens ne devaient leurs pertes qu’aux divisions qui régnaient entre eux, l’Italie ne dut son salut qu’à celles qui s’élevèrent entre les fils de Mahomet II et qui leur firent perdre la ville d’Otrante.

Sur ces entrefaites René roi de Naples mourut âgé de soixante et onze ans, regretté de ses sujets, et aussi célèbre par ses malheurs, que recommandable par ses vertus. Il disposa par son testament de la Provence et de ses droits sur le royaume de Naples en faveur du seul mâle de sa maison, Charles son neveu, fils du comte du Maine. Il donna le duché de Bar à Yolande sa fille aînée, qui avait déjà hérité de la Lorraine, et l’avait cédée à René II qu’elle avait eu du comte de Vaudemont. Il ne laissa à Marguerite douairière d’Angleterre, sa seconde fille, qui était prisonnière lorsqu’il fit son testament, que mille écus une fois payés, et deux mille livres de rente sur le duché de Bar. René légua à Jeanne de Laval sa femme, de très-grands revenus en Anjou, en Provence, et dans le Barrois. Il donna à Jean son fils naturel, le marquisat de Pont-à-Mousson, avec les terres de saint Remi et de Saint Cannat en Provence. Il fit, suivant l’usage de ces temps-là, beaucoup de bien aux églises, particulièrement à saint Maurice d’Angers, où il fut enterré, et aux cordeliers de la même ville, où son cœur fut porté. Plus jaloux de son titre de roi que s’il en eût eu les états, il ordonna que ses funérailles se fissent avec la pompe convenable à la majesté. Ce prince ayant vécu près de six ans après avoir fait son testament, il en annula plusieurs clauses par les traités qu’il fit depuis.

Louis à qui la reine Marguerite avait cédé tous ses droits, se plaignit que cette princesse eût été déshéritée, elle qui n’ayant rien eu en mariage, n’avait rien fait qui pût lui préjudicier. Il soutint qu’elle devait avoir la moitié des biens de sa mère, et même toute la Lorraine, puisque Yolande par son contrat de mariage avec le comte de Vaudemont, avait renoncé à toute succession paternelle et maternelle, moyennant la dot qu’elle avait reçue. Indépendamment des droits que le roi tenait de Marguerite, il était créancier pour plus d’un million des ducs Jean et Nicolas. Il avait payé deux cents mille écus lorsqu’il avait été question du mariage de sa fille Anne avec Nicolas alors marquis du Pont, quarante mille livres de rente pendant dix ans au père et au fils, cinquante mille écus pour la rançon de Marguerite, et une pension de six mille livres pour sa subsistance. Cette princesse renouvela cette année la cession qu’elle lui avait faite quatre ans auparavant. Louis chargea l’archevêque de Bordeaux, Philippe Pot comte de Saint Pol, Francberge maître des requêtes, Baudot et Henriet conseillers au parlement, d’aller en Lorraine représenter tous ces titres à Yolande à qui il ne donnait que le titre de comtesse de Vaudémont.

Le duc René son fils étant alors à Venise, engagea la république à recommander ses intérêts au roi. Ce prince fit donner par écrit à l’ambassadeur de Venise les sujets de plainte qu’il avait contre René. Il lui reprochait d’abord le peu de reconnaissance qu’il avait eue de la protection qu’on lui avait accordée contre le duc de Bourgogne, et d’avoir toujours favorisé Maximilien contre la France. On ajoutait qu’il ne devait pas ignorer qu’il était sujet du roi ; que son plus grand honneur était de descendre de la maison de France par sa mère ; que tous ses états relevaient de la couronne ; que la Lorraine n’était point un fief masculin, puisqu’il n’en jouissait que du chef de sa mère et de son aïeule ; qu’entre filles il n’y avait point de droit d’aînesse, et que par conséquent Marguerite devait partager également avec Yolande sa sœur ; que Marguerite avait cédé tous ses droits au roi, et qu’il demandait sa moitié dans tout ce que pouvait posséder la duchesse Yolande, sans compter les sommes considérables dont il était créancier.

Pendant que le roi discutait ses droits sur la succession du roi René, Charles de Martigny évêque d’Elne fut rappelé d’Angleterre, et cité au parlement par le procureur général, comme ayant passé ses pouvoirs et signé des traités préjudiciables à la France. Martigny répondit pour ses défenses qu’il avait été nommé trois fois ambassadeur sans l’avoir demandé, et qu’en l’acceptant, il n’avait jamais eu d’autre objet que le service du roi ; que ce prince avait paru satisfait de sa première négociation ; que la seconde avait encore été plus remarquable, puisqu’il avait eu à combattre les ministres de l’empereur, de Maximilien et d’Espagne, qui tous avaient un parti puissant dans le parlement ; qu’il avait été plusieurs fois en danger d’être assassiné par les flamands ; qu’il avait été assez heureux pour triompher de toutes leurs cabales, et retenir Édouard dans le parti de la France. À l’égard de sa troisième ambassade, Martigny convenait que par ses instructions il n’était chargé que de prolonger les trêves de 1475 et 1476 sans y rien changer ; mais que le roi lui ayant fait entendre que le principal objet de sa commission était d’empêcher l’union des anglais avec les flamands, il avait cru, en interprétant la volonté du roi, qu’il valait mieux passer ses ordres aux risques d’être désavoué, que de manquer à renouveler une trêve absolument nécessaire à la France ; que c’était dans cette vue qu’il avait compris les ducs d’Autriche et de Bretagne dans la dernière trêve, quoiqu’ils ne le fussent point dans les précédentes ; qu’il avait pareillement consenti que le roi se soumît aux censures ecclésiastiques, s’il discontinuait le payement des cinquante mille écus, quoique Édouard refusât de se soumettre aux mêmes peines en violant la trêve ; qu’il avait cependant fait à ce sujet toutes les représentations possibles, et qu’il ne s’était relâché de ses pouvoirs, que pour conserver la trêve, qui sans cela eût été rompue ; qu’il avait fait enfin tout ce qui convenait au bien de l’état, au service du roi, et à la nécessité. Le parlement connaissant l’innocence de l’évêque d’Elne, les besoins de l’état et les intentions du roi, fit beaucoup d’éclat par ses procédures, mais ne prononça rien contre l’accusé : en effet Martigny était un ministre habile et tel qu’il convenait au roi. Il s’était conduit avec une fidélité éclairée qui sait se prêter aux circonstances. Il avait rendu le service le plus important en s’exposant à être désavoué. Il donnait par-là au roi le temps de prendre un parti, au lieu que s’il eût suivi littéralement ses instructions, la guerre était inévitable, et le succès fort douteux.

Louis XI après s’être mis en état de désavouer un ministre qu’il approuvait intérieurement, ne changea point de conduite avec Édouard, et lui fit payer exactement ses pensions. Il se conduisit avec autant d’habileté à l’égard de Howard et Langton ambassadeurs d’Angleterre. Le sujet de leur commission était le mariage du dauphin avec la princesse Élisabeth. La difficulté ne regardait que la pension que les anglais exigeaient pendant que la princesse demeurerait en Angleterre. Le roi offrait beaucoup moins qu’on ne demandait ; mais il avait soin de laisser toujours espérer aux ambassadeurs qu’ils pourraient l’amener au point qu’ils désiraient, afin qu’ils ne se relâchassent pas eux-mêmes. Il voulait faire naître des difficultés pour ne rien décider : suivant ses vues, gagner du temps, c’était réussir. Lorsque Martigny fut rappelé d’Angleterre, la duchesse douairière de Bourgogne, sœur d’Édouard, y passa pour convenir du mariage d’Anne troisième fille du roi son frère avec Philippe comte de Charolais, fils aîné de Maximilien et de Marie de Bourgogne. La duchesse douairière avait avec elle La Baume Sieur d’Irlain, second chambellan du duc d’Autriche, Thomas De Pleine et Jean Gros. Ses propositions paraissaient également avantageuses à Édouard et à Maximilien. Il s’agissait de renoncer à l’alliance de France, de renouveler celle qui avait été entre l’Angleterre et le feu duc Charles, de faire une ligue offensive et défensive contre la France, d’y faire passer des troupes pour reconquérir la Normandie et la Guyenne en faveur d’Édouard, tandis que Maximilien reprendrait les provinces que Louis lui avait enlevées. Avec des espérances si séduisantes, la duchesse n’offrait point d’argent comptant, Édouard en ayant toujours besoin pour ses plaisirs, était extrêmement sensible à celui qu’il recevait de France, au lieu qu’on lui demandait deux cents mille écus pour la dot de sa fille. Il était fort indécis, lorsque le chevalier Howard arriva de France ; il alla aussitôt saluer la duchesse de Bourgogne, et lui dit qu’il avait apporté l’argent d’un quartier de la pension d’Édouard ; que Louis XI consentait à se soumettre aux censures ecclésiastiques, s’il manquait de continuer le payement des cinquante mille écus, et s’il n’accomplissait pas le mariage du dauphin avec la princesse Élisabeth ; mais qu’il demandait que les ducs d’Autriche et de Bretagne ne fussent pas compris dans la trêve, et qu’il était résolu, pour l’empêcher, de sacrifier plutôt la moitié de son royaume.

La duchesse de Bourgogne prit aussitôt le parti d’offrir à Édouard les mêmes avantages qu’il tirait de France. Elle s’engagea au nom du duc et de la duchesse d’Autriche à lui faire payer la même pension de cinquante mille écus, et à commencer le payement du jour qu’il aurait déclaré la guerre à la France. Le lendemain le contrat de mariage du comte de Charolais et de la princesse Anne fut dressé. On fit ensuite une autre convention par laquelle le duc et la duchesse d’Autriche remettaient à Édouard la dot de sa fille ; et ce prince, pour ne pas céder en générosité, ou plutôt prévoyant qu’il ne serait jamais payé de sa pension, la leur remit. Mais ne voulant pas perdre celle qu’il tirait du roi, il déclara quelques jours après qu’il voulait se rendre médiateur entre Louis et Maximilien, et fit partir des ambassadeurs pour en faire part au roi. Pendant que la duchesse de Bourgogne tâchait d’exciter son frère à faire la guerre à Louis XI, Maximilien ne comptant plus sur Édouard, donna pouvoir au comte de Romont de conférer avec Du Lude pour travailler à une trêve. Elle fut conclue pour sept mois et prolongée ensuite. La duchesse de Bourgogne qui recevait de Maximilien des instructions très opposées au projet d’une trêve, en fut extrêmement offensée ; elle s’en plaignit amèrement et repassa en Flandre.

Le duc de Bretagne ne fut pas plutôt instruit de la trêve, qu’il craignit de devenir seul l’objet du ressentiment du roi. Il était entré dans tous les complots contre ce prince, et souvent en avait été l’auteur. Il avait fait une ligue avec Maximilien, et avait tâché, par toutes sortes de voies, d’y attirer Édouard. Il avait même offert de donner sa fille Anne en mariage au prince de Galles : cette alliance eût été la chose du monde la plus fatale au royaume, puisqu’elle y aurait fait rentrer l’anglais. Le duc de Bretagne ne pouvant se dissimuler combien il avait offensé le roi, envoya Parthenay et La Villeon en Angleterre pour solliciter, par le moyen de la duchesse de Bourgogne, un renouvellement d’alliance avec Maximilien sous la garantie d’Édouard ; mais comme la duchesse était retournée en Flandre lorsque ces ambassadeurs arrivèrent, ce traité ne put se faire que l’année suivante.

Cependant le cardinal de saint Pierre Aux Liens neveu du pape, arriva en France en qualité de légat pour travailler à la paix entre le roi et les princes ses voisins : Louis s’informait d’abord du caractère de ceux avec qui il devait traiter. Il sut que le légat était un homme plein de vanité et de fausse gloire : il résolut de le gagner par-là. Il lui fit rendre tous les honneurs imaginables dans les villes de son passage. Le comte dauphin d’Auvergne, le bâtard du Maine, Château-Villain, Dauvet et plusieurs prélats allèrent au-devant de lui jusqu’à saint Saphorin d’Oson. Dauvet lui délivra les pouvoirs les plus amples, et acheva de le gagner par une chose qui paraissant une précaution, n’était qu’une distinction flatteuse pour sa personne. Il exigea un acte par lequel le légat déclarait qu’il n’abuserait point de l’étendue de ses pouvoirs, et que les honneurs qu’on lui rendait ne tireraient point à conséquence pour les légats qui viendraient dans la suite en France.

Le légat passa quelques jours avec le roi à Vendôme, et fut charmé de la confiance dont ce prince l’honora. De-là il se rendit à Paris où il fut reçu avec les plus grands honneurs. Le parlement lui prodigua tous ceux qui s’accordaient avec les lois et les maximes du royaume ; mais ne croyant pas que l’acte que ce cardinal avait donné à Dauvet, fût suffisant ni convenable à la majesté du roi, dès le lendemain de l’entrée du légat, les gens du roi firent leur opposition à la lecture de la bulle par laquelle le pape lui donnait pouvoir de contraindre par censure ou excommunication, le roi et Maximilien à faire la paix. Ce pouvoir fut borné à la voie du conseil. Le légat écrivit à Maximilien que le pape désirait ardemment de rétablir la paix entre tous les princes chrétiens pour les réunir contre les turcs ; que le roi y était très disposé ; qu’il ne doutait point que son excellence ne fût dans les mêmes sentiments, et qu’il allait le trouver pour terminer une œuvre aussi sainte et aussi avantageuse à toute la chrétienté.

La liaison étroite qui paraissait entre le roi et le légat, rendit celui-ci suspect à Maximilien. Il lui fit réponse que l’affaire était trop importante, pour qu’il prît une résolution sans l’avis de son conseil, et qu’il priait sa paternité de ne pas passer plus avant sans avoir reçu de ses nouvelles.

Le légat récrivit à Maximilien qu’il n’avait jamais eu dessein d’entrer dans ses états que sous son bon plaisir ; mais qu’il suppliait son excellence d’avoir égard à l’honneur du saint Siège : que les affaires dont il s’agissait ne regardaient point la personne du pape, que c’étaient celles de toute la chrétienté, et qu’il ne convenait point à la dignité dont il était revêtu, d’attendre trop longtemps la résolution de son excellence.

Le légat s’étant avancé jusqu’à Péronne, fit partir en même temps l’archevêque de Rhodes et Octavien Suessa avocat consistorial, pour presser la décision de Maximilien. Ce prince envoya la lettre et les instructions des deux députés du légat à Dauffay et Lannoy, afin qu’ils allassent conférer avec le légat. Mais Dauffay fit observer que le légat pourrait bien passer outre, et qu’il fallait ou lui notifier les causes de suspicion qu’on avait contre lui, ou lui signifier un acte d’appel de la part du procureur général du duc. Le légat envoya quelques jours après à Maximilien un bref par lequel le pape représentait à ce prince qu’il s’était mal à propos laissé prévenir ; que le cardinal n’était pas plus porté pour le roi que pour lui ; et qu’il n’avait en vue que le bien public. C’est pourquoi il priait le duc qu’il traitait de votre noblesse, de rejeter tous ces soupçons, et de donner une audience favorable au légat. Celui-ci joignit au bref une lettre, par laquelle il réitérait ce qu’il avait déjà dit dans les précédentes, et demandait une réponse positive. Le légat n’en recevant point, et ne sachant plus quel parti prendre, récrivit encore, et envoya sa lettre par l’archevêque de Rhodes qui avait toute sa confiance.

La prévention de Maximilien venait du cardinal évêque de Tournay, et de l’évêque de Sebenigo nonce du pape, qui étaient auprès de ce prince, et ne cessaient de lui représenter le légat comme un homme artificieux et livré à la France ; ils engagèrent encore dans leur parti l’archevêque de Rhodes. Ce prélat s’était élevé de la naissance la plus basse à des dignités qu’on ne doit presque jamais, quand on part de l’obscurité, qu’à de grandes vertus ou à de grands vices. Ambitieux, fourbe, avare, il avait tous les vices bas, et l’ingratitude qui en est la suite. Il devait sa fortune au légat à qui il s’était attaché par intérêt, et il le trahissait par le même motif. Le roi étant toujours le premier instruit de ce qui se passait chez ses ennemis, donna avis au légat que l’archevêque de Rhodes s’était laissé gagner par le cardinal de Tournay et Sebenigo, et que s’il ne portait pas une réponse décisive, il n’y avait plus d’autre parti que de se retirer ; mais qu’il fallait auparavant déclarer aux gantois que la légation n’avait point d’autre objet que la paix. Que si l’on pouvait une fois semer la division entre ces peuples et le conseil du duc, ils prendraient feu aisément. Qu’avant tout il était nécessaire que le pape rappelât l’évêque de Sebenigo, et citât à Rome le cardinal de Tournay et l’archevêque de Rhodes, pour leur faire leur procès ; que c’était l’unique moyen de faire respecter et craindre l’autorité du saint Siège.

Le légat fit réponse au roi qu’il avait prévenu son conseil, que la bulle avait été notifiée à Gand, à Bruges, et dans toutes les villes de Flandre. Qu’il allait encore leur écrire pour leur représenter les maux que leur désobéissance au saint siège devait leur attirer ; et que s’ils y persistaient, il se retirerait. Que le pape saurait bien faire justice du cardinal de Tournay et du nonce ; à l’égard de l’archevêque de Rhodes, qu’il fallait s’en assurer, et le faire conduire à Château Neuf près d’Avignon. Le roi ayant chargé du Bouchage de l’exécution, l’archevêque de Rhodes fut enlevé et conduit à Château Neuf.

Cependant Baudricourt, Soliers et Du Bouchage, étaient sur la frontière, et tâchaient de faire la paix ou de prolonger la trêve. La duchesse douairière de Bourgogne, d’intelligence avec les ambassadeurs de Maximilien, faisait tous les jours naître de nouvelles difficultés, soit par son inquiétude naturelle, soit par le désir de se rendre nécessaire. La négociation était entamée entre les plénipotentiaires ; mais la défiance réciproque était un obstacle continuel à la paix. On disputait sur chaque article sans l’éclaircir. Le caractère d’ambassadeur ne paraissait pas une sauvegarde, ils n’osaient aller les uns chez les autres, qu’ils ne se donnassent des otages. Le reste de l’année se passa plutôt en disputes qu’en conférences.

Le roi avait déclaré qu’il ne voulait point mettre en compromis ce que les ducs de Bourgogne avaient eu en apanage. Que si les filles en pouvaient hériter, elles pouvaient aussi hériter de la couronne, ce qui est contraire à la première loi de l’état. Que la cession de la Bourgogne faite par le roi Jean au duc Philippe le Hardi, était nulle, et que le parlement du royaume était seul juge de tout ce qui concerne les pairies.

Maximilien prétendait au contraire qu’avant toutes choses on devait lui rendre ce qui avait été de l’ancien patrimoine de la maison de Bourgogne, et que le roi ne pouvait refuser de la mettre en possession des comtés d’Artois et de Bourgogne, de la vicomté d’Aussone, et du ressort de saint Laurent, sans quoi il y serait contraint par le roi d’Angleterre.

Louis demandait de son côté Lille, Douai et Orchies, avec tout ce que le duc Charles et Marie avaient levé sur le comté d’Artois, fief de la couronne, dont ils n’avaient jamais rendu hommage. Le roi après avoir établi son droit, offrait d’abandonner Lille, Douai et Orchies, et de donner quittance de ce qui était dû par la succession des ducs de Bourgogne, pourvu que le duc et la duchesse d’Autriche renonçassent à toutes prétentions sur les comtés d’Artois et de Bourgogne. Édouard voyant que le roi et le duc d’Autriche ne s’accordaient sur rien, écrivit à Maximilien que Louis ne pouvant pas vivre encore longtemps, le meilleur parti qu’ils pussent prendre était d’attendre sa mort pour faire valoir leurs droits, et de conclure en attendant une trêve de deux ans, ou si Louis la refusait, que les anglais fourniraient contre lui un secours de cinq mille hommes.

Il était vrai que la santé du roi s’affaiblissait tous les jours ; il tombait souvent dans des faiblesses qui faisaient craindre pour sa vie. Il en eut une si considérable en sortant de table, qu’on crut qu’il allait mourir. Il perdit la parole, et sa connaissance était fort imparfaite. Cependant il fit signe qu’on ouvrît les fenêtres, et qu’on lui donnât de l’air ; mais soit qu’on ne l’entendît pas, ou que l’on crût que l’air lui était contraire, on le retint auprès du feu les fenêtres fermées ; Angelo Catto son médecin, depuis archevêque de Vienne, à qui Commines a dédié ses mémoires, étant arrivé, les fit ouvrir. Le roi reprit peu à peu la connaissance et la parole. Il fut encore quelque temps sans pouvoir se faire entendre parfaitement. Il voulait toujours qu’on lui rendît compte des affaires qui s’étaient passées durant sa maladie ; mais s’apercevant lui-même qu’il n’avait pas la tête absolument libre, et craignant de faire connaître son état, il feignait de lire et d’entendre, et se contentait de répondre quelques mots, ou de faire des signes qu’il pût dans la suite expliquer à son gré. Il s’informa de ceux qui avaient empêché qu’on n’ouvrît les fenêtres, et les chassa. Il était si jaloux de son autorité, qu’il voulait une obéissance aveugle, sans qu’on osât interpréter sa volonté. Il craignait qu’en cessant de lui obéir dans des bagatelles sous prétexte de le mieux servir, on ne vînt à s’emparer des affaires. Il avait même coutume de dire qu’il n’approuvait point qu’on eût osé employer la force pour faire manger son père Charles VII dans le temps qu’il craignait d’être empoisonné. Le légat se servit de la crainte que le roi avait de la mort, pour obtenir la liberté du cardinal Balue et de l’évêque de Verdun. Il lui persuada qu’il devait craindre les jugements de Dieu, en retenant dans les fers un cardinal et un évêque. Balue, pour achever de toucher le roi par la compassion, feignit d’être dangereusement malade. Le premier médecin Coittier eut ordre de le visiter, et sur ce qu’il dit qu’il ne pouvait pas vivre longtemps, le roi le fit remettre entre les mains du légat, après en avoir tiré parole que le pape le ferait punir. À peine Balue fût-il à Rome, qu’il y fut comblé d’honneurs. Après la mort de Louis XI il revint en France en qualité de légat, et fut reçu malgré les défenses du parlement.

À l’égard de l’évêque de Verdun, il fut remis en liberté en donnant caution, et fut transféré de l’évêché de Verdun à celui de Vintimille. Louis rendit encore la liberté à Hébert évêque de Coutances. Ce prélat avait été compris dans le procès contre le duc de Bourbon, et accusé d’astrologie. Il fut arrêté comme criminel, et relâché comme fou ; ce dernier jugement convenait mieux que le premier à l’espèce d’accusation qu’on avait formée contre lui.

Louis réunit le duché d’Anjou à la couronne, et conserva la chambre des comptes établie à Angers. Il écrivit en même temps aux états de Provence en faveur de Charles duc de Calabre, à qui le roi René avait donné par testament le royaume de Naples et le comté de Provence. Louis craignait que René duc de Lorraine, petit-fils par sa mère du roi René, ne revînt contre le testament. Soit que les provençaux aimassent mieux Charles, soit qu’ils voulussent plaire au roi, ils exclurent absolument René, et reconnurent Charles pour leur souverain. Quoique la trêve ne fût pas expirée, le comte de Chimay, Bossu et Croy assiégèrent Luxembourg ; mais ils furent obligés de lever le siège. Malgré cette infraction le roi n’usa point de représailles, et donna ordre à Du Bouchage de prolonger la trêve pour tout le temps que le turc serait en Italie, afin, ajouta-t-il, que je puisse servir Dieu et notre-dame contre le turc. La puissance du roi n’était pas si parfaitement établie en Franche-Comté, qu’il n’y eût toujours des rebelles qui s’attroupaient, et surprenaient de petites villes qu’on reprenait aussitôt ; de sorte que ce qui se passait dans cette province, ressemblait assez à une guerre civile. Louis nomma lieutenants généraux de Bourgogne Jean et Louis D’Amboise, l’un évêque de Maillezais, et l’autre d’Albi, pour commander dans l’absence de Charles D’Amboise leur frère.

Les états du comté assemblés à Salins, présentèrent à ces deux prélats les cahiers dont les principaux articles tendaient au maintien de la justice et de la discipline militaire ; à la sûreté des chemins, du labourage, et du commerce. Ils demandaient aussi l’établissement d’un parlement à Salins, dont le roi payerait les officiers ; et réclamaient la conservation de leurs privilèges. La politique du roi s’accordait assez avec les demandes des comtois ; il ne cherchait pas à inquiéter les pays conquis, ou qui se donnaient à lui. Loin de les dépouiller de leurs privilèges, il leur en accordait de nouveaux, et n’oubliait rien pour leur inspirer la fidélité ; mais lorsqu’il trouvait un esprit de rébellion trop opiniâtre, il avait recours aux remèdes violents. Il faisait mourir les plus coupables, bannissait les autres, et quelquefois dispersait les habitants, comme il fit à Perpignan et à Arras. Il établit donc un parlement à Salins, et donna l’année suivante une déclaration qui exemptait les comtois du droit d’aubaine, et les mettait au rang des autres français. Les maladies dont le roi était accablé, et les affaires étrangères, ne l’empêchaient pas de veiller à la tranquillité et au bonheur de l’intérieur du royaume, avec autant de soin que s’il n’eût eu que cet objet. Il envoya des commissaires dans les provinces, pour remédier aux fraudes qui se commettaient dans les gabelles. Il défendit d’inquiéter les gentilshommes qui faisaient valoir les biens qu’ils avaient en roture. Il donna une déclaration par laquelle il permettait aux ecclésiastiques, gens nobles et autres, de trafiquer par terre et par mer, à condition que ceux qui commerceraient par mer ne pourraient faire venir leurs marchandises que sur des vaisseaux français. Il établit à Dijon une monnaie, dont Jean de Cambrai fut fait directeur. Perruchon, Feriot et Custel, en furent nommés gardes. Le roi ayant fait venir quantité d’ouvriers pour établir des manufactures d’étoffes d’or, d’argent et de soie, sous la direction de Guillaume Briçonnet, ordonna qu’ils seraient exempts de tous droits, taxes et impôts, eux, leurs femmes, veuves et enfants. Il accorda l’année suivante des lettres de naturalité à tous les suisses qui viendraient demeurer en France.

Le duc d’Autriche avait sollicité une assemblée de plusieurs princes de l’empire, espérant qu’ils lui seraient favorables dans la décision des différends qu’il avait avec le roi ; mais ce prince ne voulut pas reconnaître des étrangers pour arbitres entre lui et son vassal, dans une affaire où il était question de fiefs de la couronne. Il trouva un moyen plus sûr d’embarrasser Maximilien, et même d’allumer la guerre en Allemagne s’il le jugeait à propos.

Ladislas roi de Bohême, petit-fils par sa mère de l’empereur Albert d’Autriche, et arrière-petit-fils de l’empereur Sigismond, avait des droits sur le duché de Luxembourg. Pour se mettre en état de les faire valoir, il rechercha l’amitié de Louis XI. Ces deux princes renouvelèrent les anciennes alliances, et firent un traité particulier, par lequel Ladislas devait entrer avec toutes ses forces dans le Luxembourg, le roi s’obligeait d’y faire marcher en même temps mille lances avec un train d’artillerie. Si le duché n’était pas conquis dans un mois, le roi devait payer les troupes de Bohême pendant le reste de la guerre, et ne faire ni paix ni trêve avec Maximilien, sans que Ladislas y fût compris. Les ambassadeurs promirent au nom de leur maître d’aider le roi envers et contre tous, nommément contre le duc et la duchesse d’Autriche. Tandis que le roi cherchait à se faire des alliés, il perdit un de ses plus fidèles sujets par la mort de Charles de Chaumont D’Amboise comte de Brienne, gouverneur de Champagne et de Bourgogne. Sa naissance et ses grands biens le rendaient moins recommandable que sa vertu. Personne n’était plus propre que lui à gouverner un peuple nouvellement conquis. Ferme, humain, prudent, désintéressé, il donnait l’exemple de la fidélité, et savait châtier ceux qui voulaient s’en écarter. La mauvaise santé du roi ne lui permettant pas de se mettre à la tête d’une armée, et de passer en personne pour chasser les turcs d’Italie, comme il l’avait déclaré, il fit offrir au pape pour cette entreprise trois cents mille écus d’or, dont on lèverait deux cents mille sur le clergé, et le reste sur le peuple.

Il arriva dans ce temps-là à Rome une contestation assez embarrassante. Charles comte de Provence envoya demander l’investiture du royaume de Naples. Charles de Luxembourg cousin de Charles, et chef de cette ambassade, prétendait être reçu comme ambassadeur de tête couronnée. Les ambassadeurs de France appuyaient sa prétention. Le pape et les cardinaux n’osaient prendre parti, dans la crainte d’offenser Ferdinand, et d’allumer une nouvelle guerre en Italie. La contestation dura longtemps. Enfin Luxembourg accompagné des français fit son entrée, et prit son audience avec les honneurs qu’il prétendait, ou du moins le pape ne s’expliqua pas ouvertement ; et il n’y eut point d’opposition formelle.

Sixte ayant publié une bulle par laquelle il exhortait tous les princes chrétiens à suspendre leurs guerres pendant trois ans, pour se réunir contre le turc leur ennemi commun ; cette bulle fut présentée au roi par l’évêque de Sessa, qui insista beaucoup sur le danger où se trouvait la chrétienté. Le roi après avoir fait examiner la bulle par tous ceux qui étaient présents, tant prélats que séculiers, dit au nonce, qu’il ne pouvait donner trop d’éloges au zèle que le saint père témoignait pour la religion ; que pour lui il y emploierait toutes ses forces ; mais qu’il voulait être sûr que ses ennemis en useraient de même, et qu’il n’était pas juste qu’il désarmât avant de savoir leurs intentions. Le légat répondit, que le pape contraindrait par des censures ecclésiastiques tous les ennemis du roi à faire la paix, ou une trêve avec lui. Le même jour le sire de Beaujeu, le chancelier et les principaux de ceux qui s’étaient trouvés à l’audience, allèrent de la part du roi trouver le légat, et lui dirent que ce prince était menacé de deux guerres ; savoir de la part des anglais, et du roi de Castille, sans compter celle qu’il avait actuellement à soutenir contre le duc d’Autriche ; que le feu duc Charles, Maximilien et Marie De Bourgogne avaient toujours méprisé les censures ecclésiastiques ; que le roi ne voulant pas s’exposer à être surpris par ses ennemis, il était nécessaire que le légat fît part de ses intentions à tous les nonces qui étaient auprès de ces princes pour savoir leur dernière résolution.

Le légat loua et remercia le roi de ses bons sentiments, et promit d’en rendre compte au pape, afin que sa sainteté donnât elle-même ordre à ses nonces de conférer avec les autres princes, et fît savoir au roi leurs dispositions. Quelque dangereux que fussent pour la France les desseins de ses ennemis, ils le seraient encore devenus davantage par la mort de Louis XI. Maximilien voyant la trêve prête à expirer, faisait solliciter Édouard d’entreprendre la conquête de la France ; et peut-être eût-il réussi dans son projet si le roi d’Angleterre eût moins aimé le repos, ou que Maximilien eût appuyé ses sollicitations de quelques sommes d’argent. Édouard ne refusait pas absolument les propositions de Maximilien ; mais il lui faisait entendre que le roi ne pouvant pas vivre longtemps, sa mort les mettrait bientôt en état de tout entreprendre. Maximilien trouva le duc de Bretagne plus disposé qu’Édouard à faire une ligue contre le roi : il l’avait lui-même proposée ; mais il n’osait s’y engager seul ; c’est pourquoi il envoya Parthenay et La Villeon à Londres pour agir de concert avec les ambassadeurs de Maximilien, et presser Édouard de se déclarer contre la France.

Édouard soit par politique, soit par son indécision naturelle, tint longtemps en suspens les ambassadeurs du duc d’Autriche. Il leur donna enfin de si grandes espérances, qu’ils écrivirent à leur maître que le roi d’Angleterre leur avait promis de faire une descente en France, si les affaires d’Écosse le lui permettaient ; et qu’il avait même envoyé déclarer au roi de France, que s’il ne faisait raison avant pâques au duc et à la duchesse d’Autriche, il irait porter le fer et le feu dans ses états. Les ambassadeurs exagéraient sans doute les promesses d’Édouard ; ou celui-ci les trompait : car il n’avait aucune envie de faire la guerre. C’était en vain que Maximilien représentait que la trêve lui était aussi onéreuse que la guerre, puisqu’il était obligé d’entretenir les mêmes troupes, qu’il était dépouillé d’une partie de ses états, et dans l’impuissance de faire subsister ceux qui s’attachaient à lui. Tout ce qui annonçait l’indigence de Maximilien, n’était pas propre à lui gagner Édouard, qui n’aimant plus que le repos, les plaisirs et l’argent, était bien éloigné de se liguer avec un prince indigent, et de renoncer à une pension considérable qu’il tirait de France, pour s’engager dans une guerre dangereuse contre un prince redoutable par ses forces et par ses intrigues. Il y a grande apparence que Hastings favori d’Édouard et pensionnaire de Louis XI ne contribuait pas peu à rendre inutiles toutes les sollicitations de Maximilien et du duc de Bretagne. Aussi voit-on par les comptes de la dépense du roi, que Hastings reçut vers ce temps-là un présent de mille marcs d’argent outre sa pension ordinaire. Le duc d’Autriche ne pouvant armer Édouard contre le roi, engagea l’empereur Frédéric son père à proposer un accommodement à ce prince.

Dans le même temps que les ambassadeurs de Frédéric venaient en France travailler à la paix, il en arriva d’autres de la part de Mathias Corvin roi de Hongrie, pour proposer au roi une ligue contre le turc. Louis envoya Armand de Cambrai jusqu’à Metz au-devant des ambassadeurs, sous prétexte de leur faire plus d’honneur, et pour pénétrer le secret de leurs instructions avant leur arrivée. Cambrai était très propre à cette commission. Il avait fait plusieurs métiers, comme ceux qui ne cherchent que la fortune, et à qui toutes les voies pour y parvenir sont indifférentes, il passait pour le plus habile faussaire de son temps. C’était lui qui avait fabriqué sous le nom de Calixte III les bulles qui permettaient au comte d’Armagnac d’épouser sa sœur. Ses talents trop connus à Rome, lui étant devenus inutiles dans cette cour, il résolut de venir les exercer en France. Comme le roi, suivant ses différentes vues, employait toutes sortes de gens, il reçut assez bien Cambrai, et le chargea de conférer avec les ministres de l’empereur et du roi de Hongrie.

Mathias Corvin avait passé de la prison sur le trône : instruit par l’adversité, il n’en fut que plus digne de la couronne ; en apprenant à souffrir il apprit à soulager les malheureux ; protecteur des lettres qui immortalisent les héros, il anima les écrivains par ses bienfaits, et les occupa par ses actions. Sa vie fut une suite de victoires. Il s’était maintenu contre toutes les forces réunies de la Pologne et de la Bohême ; il avait triomphé de l’empereur Frédéric III et les avantages qu’il avait remportés sur Mahomet II la terreur des chrétiens, lui avaient inspiré le projet de renverser l’empire ottoman. Voulant partager cette gloire avec Louis XI il lui proposa d’unir leurs forces. Louis affaibli par les maladies, toujours défiant sur le sort des armes, et cherchant à fixer la paix dans son royaume, refusa de s’engager dans des guerres étrangères. Les ambassadeurs de Frédéric se flattaient d’être plus heureux dans leur négociation, et que le nom de l’empereur imposerait au roi ; mais ils ne furent pas longtemps à connaître que si ce prince désirait la paix, il voulait être maître des conditions : ils s’en retournèrent sans rien conclure.

Maximilien voyant qu’il ne pouvait absolument déterminer Édouard à la guerre, et que les tentatives de l’empereur avaient été inutiles auprès du roi, fut contraint de demander lui-même la prolongation de la trêve : elle n’empêcha pas qu’il n’y eût quelques actes d’hostilité, soit manque de bonne foi, soit par la licence qu’une longue guerre et des troupes mal payées entraînent ordinairement. Avant que la trêve fût signée, Louis avait déjà donné ses ordres pour se mettre en campagne. Il avait fait avancer un corps de six mille suisses à la place des francs archers qu’il avait cassés : chaque paroisse devait payer quatre livres dix sols par mois au lieu de fournir un franc-archer. Les gentilshommes pensionnaires étaient tous mandés ; ceux qui ne voulaient pas marcher à l’arrière-ban, en étaient exempts pour une certaine somme. Aussitôt que la trêve fut prolongée, le roi remit aux gentilshommes ce qu’ils devaient payer pour s’exempter de l’arrière-ban, et à tous ses sujets l’impôt établi pour l’entretien de l’artillerie.

Tout le fruit que Maximilien retira de ses intrigues, fut de faire avec le duc de Bretagne une ligue défensive contre le roi. Le duc s’engageait de fournir à Maximilien six mille archers, et d’en défrayer deux mille pendant quatre mois ; et au cas que le roi vînt à mourir, de poursuivre sur ses successeurs la restitution de tout ce qui aurait été pris sur le duc et la duchesse d’Autriche. On voit par ce traité combien les jours du roi devaient être précieux à la France.

Le duc de Bretagne fit avec Édouard un autre traité qui était d’une bien plus dangereuse conséquence pour le royaume. Ils passèrent un contrat de mariage entre le prince de Galles et Anne fille aînée et héritière du duc de Bretagne. Si Anne mourait avant d’être mariée, le prince de Galles devait épouser Isabelle la cadette, ou toute autre fille que le duc aurait alors ; comme Anne ou Isabelle épouserait le second fils d’Édouard, si le prince de Galles venait à mourir avant la consommation du mariage. La Bretagne ne pourrait être réunie à l’Angleterre ; mais si le prince de Galles avait plusieurs enfants, l’aîné serait roi d’Angleterre ; le second serait duc de Bretagne, en porterait les armes et le nom, et y demeurerait toujours. Le duc renonçait à toute autre alliance, et s’engageait à n’en faire aucune que du consentement d’Édouard.

Sur ces entrefaites le roi ayant appris que René duc de Lorraine voulait entrer en Provence par le moyen des vénitiens, donna ordre de faire une recherche exacte de tous ceux qui pourraient négocier en Provence, et de ne laisser passer ni lorrains ni allemands, ni vénitiens crainte de surprise. L’affaire qui occupait alors plus particulièrement le roi était d’établir les droits qu’il prétendait avoir sur le duché de Bar et sur la Lorraine. Il y avait eu de grandes conférences à Bar-Le-Duc entre les commissaires du roi et ceux d’Yolande, et de René de Lorraine, sans qu’ils eussent pu s’accorder. Louis ne voulait pas que l’empereur prît connaissance de ce démêlé ; et proposait de demander des arbitres au pape ou à tout autre prince dont les parties conviendraient. Le roi ne négligeait jamais les formalités de la justice, moins pour s’y asservir que pour donner plus d’authenticité à ses prétentions. Il fit examiner par les plus habiles jurisconsultes de Paris et de Metz le transport que la reine Marguerite lui avait fait de tous ses droits sur la Lorraine, afin de lui donner la meilleure forme que l’on pourrait, si l’on trouvait quelque chose de défectueux dans ce qu’elle avait fait. Il s’agissait encore de savoir, si la demande devait être faite au nom du roi ou de la reine Marguerite.

On conclut que le roi devait intenter l’action en son nom, de peur que Marguerite venant à mourir, il ne fallût recommencer la procédure. Louis proposa ensuite à son conseil de délibérer s’il n’était pas à propos qu’il changeât sa signature : il prétendait que le duc d’Autriche la contrefaisait. L’avis du conseil fut que le roi ne devait pas la changer, de peur d’alarmer ceux qui avaient des lettres, des traités, des dons ou des brevets, et qui craindraient qu’à l’avenir on ne révoquât ces titres en doute ; d’ailleurs la nouvelle signature pouvait être contrefaite comme la première, s’il était vrai que celle-ci l’eût été.

On décida en même-temps que le roi ne signerait rien en finance ni autrement, qu’il ne le fît contresigner par un secrétaire, sans quoi on n’y aurait nul égard ; qu’on pourrait y ajouter un cachet fait exprès, et que les secrétaires qui contresigneraient auraient des gages, afin qu’ils ne prissent rien pour les expéditions. Il y avait alors une dispute également sérieuse et frivole qui était née dans les écoles, et faisait beaucoup de bruit dans le monde. C’était celle des nominaux et des réalistes. Ils étaient d’autant plus animés les uns contre les autres, qu’ils s’entendaient peu. Chacun croyait ou voulait faire croire que la religion était intéressée dans la dispute, et offensée par ses adversaires. L’évêque d’Avranches, confesseur du roi, était du parti des réalistes, et leur procurait une faveur dont ils abusaient contre les nominaux.

Ceux-ci d’un autre côté tiraient une espèce d’éclat de la persécution. Le roi, qui à la persuasion de son confesseur, s’était d’abord déclaré pour les réalistes, avait fait clouer et enchaîner dans les bibliothèques les livres des nominaux ; mais voyant qu’il n’avait pu rétablir la paix par-là, il les fit déchaîner cette année. Cette dispute s’est évanouie comme plusieurs autres, qui finissent par être méprisées quand elles ne se sont soutenues que par la passion et l’ignorance. Louis confirma cette année les privilèges et statuts de l’université de Caen qu’il avait fondée. Il transporta celle de Dole à Besançon, et accorda aux habitants de cette ville tous les privilèges de ceux de Paris, en considération de ce qu’ils s’étaient mis d’eux-mêmes sous sa protection.

Les états de Languedoc ayant accordé au roi la somme de cent quatre-vingt-huit mille livres à condition que l’imposition serait faite sur toutes personnes indifféremment, privilégiées ou non ; ce prince en exempta les clercs vivants cléricalement, et les nobles vivants noblement ; c’est-à-dire, ceux qui étaient dans le service, ou qui par leur âge ou par leur mauvaise santé ne pourraient plus servir. Il ne regardait pas comme nobles, ni même comme citoyens ceux qui étaient inutiles à la société.

Plus sa santé s’altérait, plus il voulait faire parler de lui ; et comme si les affaires n’eussent pas suffi pour l’occuper, il imaginait continuellement de nouveaux moyens d’attirer sur lui l’attention. Il partit de Tours au commencement de l’été, et parcourut la Beauce ; de-là il se rendit en Normandie pour y visiter un camp de dix mille hommes qui s’étendait depuis le pont de l’arche jusqu’au pont saint Pierre. Les soldats étaient retranchés, et faisaient une garde aussi exacte que s’ils eussent été en présence de l’ennemi. Le roi y fut sept jours, et voulait, par la dépense de ce camp, juger combien lui coûterait une armée pareille ou supérieure : il cherchait à faire croire qu’il avait de grands desseins, et qu’il était en état de les exécuter.

Louis étant revenu à Tours, alla avec la reine faire sa prière au tombeau de saint Martin, il continua cette dévotion pendant sept jours, et chaque jour il donnait trente et un écus d’or : c’était son offrande ordinaire, lorsqu’il visitait une église, ou qu’il entendait la messe avec la reine. Le jour de l’assomption son offrande était de trois fois autant d’écus d’or qu’il avait d’années. Le désir qu’il avait d’exercer son autorité fit qu’il déposa le procureur général Saint Romain, et donna sa place à Michel de Pons. Le crime de Saint Romain était de lui avoir résisté dans l’affaire de la pragmatique et dans celles où son devoir et le bien de l’état étaient intéressés. Le roi ordonna en même temps par le conseil de Doyac gouverneur d’Auvergne, que les grands jours se tiendraient dans cette province pour juger tous les procès de l’Auvergne, du Bourbonnais, du Nivernais, Forêt, Beaujolais, Lyonnais et de la Marche. Le dessein de Doyac était de se servir de ce prétexte pour venger les injures particulières qu’il prétendait avoir reçues.

Doyac était un de ces hommes sur qui la fortune éprouve la bizarrerie de ses caprices. Sorti de l’obscurité il se fit jour à force d’audace. Il entreprit de se signaler en attaquant les officiers et la personne même du duc de Bourbon. La naissance, la vertu et les services que ce prince avait rendus à l’état ne purent le garantir de la calomnie ; ou plutôt ce furent ces mêmes qualités respectables qui enhardirent la témérité de Doyac. Il avait remarqué la jalousie du roi contre tous les grands, et que les importants services excitaient quelquefois plus ses soupçons que sa reconnaissance. Malgré toutes les intrigues de Doyac, le duc de Bourbon fut absous des calomnies intentées contre lui ; mais son ennemi, trop vil même pour mériter ce nom, ne fut pas puni. Il devint un des favoris du roi ; on a vu que ce prince aimait à se servir d’hommes tirés du néant qu’il pouvait employer à son gré ou précipiter sans péril, de ces hommes qui sont les instruments du caprice et de l’injustice, sur qui tombe la haine publique et à laquelle on les sacrifie sans conséquence.

Doyac fut fait gouverneur d’Auvergne, et devint le tyran de ceux qui auraient dû être ses maîtres. Le mépris qu’on avait pour sa personne l’emportait souvent sur les égards dus à sa place ; son insolence lui attira des reproches qui auraient dû le faire rentrer en lui-même, si ceux qui s’oublient une fois étaient capables de retour sur eux. Ne pouvant se faire ni estimer ni respecter, il entreprit de se faire craindre, et conseilla pour cet effet la tenue des grands jours. Ils s’ouvrirent à Montferrand : les commissaires du roi furent le comte de Montpensier prince du sang, Mathieu De Nanterre, deux maîtres des requêtes, plusieurs conseillers, et Doyac. Après la discussion de plusieurs affaires, il fut rendu un arrêt pour réparation des injures dites contre Doyac : mais l’honneur est déjà flétri lorsqu’il a besoin d’être réparé ; Doyac n’en fut pas plus respecté, et fut beaucoup plus haï. Après la mort de Louis XI s’étant trouvé complice du crime pour lequel le Dain fut pendu, il eut les oreilles coupées, fut fouetté à Paris, puis à Montferrand, lieu de sa naissance et théâtre de son orgueil, afin que ceux qui avaient été victimes de son insolence, fussent témoins de son opprobre. Il fut banni du royaume. On ne lui fit peut-être grâce de la vie, que pour laisser en lui un monument vivant d’infamie. Il trouva dans la suite le moyen de rentrer dans ses biens, en considération de ce qu’il fit passer en Italie l’artillerie de Charles VIII.

L’affaire de René d’Alençon comte du Perche fit encore plus d’éclat que les grands jours d’Auvergne. Ce prince malheureux n’avait d’autre crime que d’être fils d’un père coupable. Il avait été élevé auprès du roi, et lui avait toujours été attaché ; il l’avait suivi dans la guerre du bien public, quoique son père favorisât sous main le parti contraire. Le duc d’Alençon ayant passé depuis en Bretagne, le comte du Perche ne prit aucune part à sa révolte, et remit Alençon au roi. Quoiqu’il n’eût jamais donné que des marques de fidélité, il fut compris dans les lettres d’abolition accordées à son père ; il s’en plaignit comme d’une chose injurieuse, sans prévoir qu’elle lui serait même un jour préjudiciable. Sous prétexte que les domestiques du comte étaient tombés dans quelques fautes, on lui ôta ses pensions, on lui retint une partie des terres qu’on devait lui rendre, et l’on affecta de le chagriner en toute occasion. Le comte s’en plaignit hautement, et accusa Jean De Daillon Sieur Du Lude de lui rendre de mauvais offices auprès du roi.

Du Lude est représenté par Commines, par Gaguin et par les autres historiens comme un homme dont le cœur n’était pas droit, et dont l’esprit était léger. Uniquement livré à la fortune, il avait souvent changé de parti, sans avoir jamais été attaché à aucun que par intérêt. Il ne rentra en grâce auprès du roi que parce qu’il n’y a jamais eu de prince qui pardonnât plus aisément, quoiqu’il ne punît pas toujours avec justice. On ignore quel motif Du Lude avait de desservir le comte du Perche, à moins qu’il n’espérât quelque confiscation ; quoi qu’il en soit, il se chargea de l’arrêter et le conduisit à Chinon. Le comte fut enfermé dans une cage de fer pendant trois mois, ne recevant à manger qu’à travers les barreaux. Le chancelier Doriole, Du Lude, Jean Des Poteaux président au parlement de Bourgogne, Baudot conseiller, et Falaiseau lieutenant du bailli de Touraine, furent commis pour lui faire son procès.

Le crime dont on accusait le comte du Perche était d’avoir voulu se retirer en Bretagne. Il en convint, et répondit que la crainte de perdre la vie ou la liberté lui avait inspiré ce dessein. Les commissaires étant plutôt ses parties que ses juges, cherchaient à le trouver criminel. On arrêta Jean bâtard d’Alençon, Jeanne d’Alençon, sœur naturelle du comte du Perche, mariée au Sieur De Saint-Quentin, Jean Sahur et Macé de La Bessiere officier du comte. On les interrogea tous pour trouver quelque charge contre lui. Jeanne d’Alençon déposa que la Bessiere lui avait dit que si le roi venait à mourir, tous les princes et seigneurs se partageraient, et que le comte du perche s’unirait aux ducs d’Orléans et de Bretagne. La Bessiere nia ce discours, et persista dans la négative, quoiqu’il fût appliqué à la question pour un crime aussi léger, que l’indice était faible. Sahur, loin de charger le comte, dit qu’il l’avait toujours entendu blâmer la rébellion du duc de Bretagne. Le bâtard d’Alençon se déclara seul coupable par sa déposition. Il avoua qu’il avait dit au comte du Perche que s’il tenait le roi seul dans une forêt il le poignarderait ; et que le comte l’avait fort blâmé de parler ainsi. Le comte répondit qu’il ne se souvenait point que le bâtard eût tenu ce discours. Quoique la déposition de celui-ci fût absolument à la décharge du comte, on cherchait à tirer contre lui des indices de tout ce qui se disait. Ce prince remarquant l’artifice et la passion des commissaires, réclama les droits de sa naissance et de la pairie. Après avoir essuyé une longue suite de persécutions, il fut enfin remis entre les mains du parlement. Le procès fut alors instruit avec tout l’ordre et les formalités nécessaires. Le parlement voulant punir le crime, ou sauver l’innocence, s’adressa au roi sur ce que le comte demandait que la cour fût garnie de pairs. Le roi déclara que par les lettres d’abolition le comte du Perche avait renoncé à tous les privilèges de la pairie, s’il tombait dans quelque crime. Ainsi en l’accusant injustement, on abusait encore d’une abolition dont il n’avait jamais eu besoin.

Le procès tira fort en longueur, et ne fut jugé que l’année suivante (22 mars 1482). Le parlement ne voulant ni offenser le roi, de peur qu’il ne nommât d’autres juges, ni condamner un innocent, prononça :

que le comte du Perche ayant été pris et constitué prisonnier à bonne et juste cause pour les fautes et désobéissances par lui commises envers le roi, lui requerera merci et pardon, et promettra et jurera solennellement de bien et loyaument dorsenavant servir et obéir au roi envers et contre tous ; qu’il ne pourchassera directement ni indirectement rien qui soit contraire au roi, ni à son royaume, sous peine d’être privé de tous honneurs, privilèges et prérogatives quelconques, et sous autres peines de droit, et de tout ce tenir et accomplir, baillera bonne sûreté et caution au roi, et tiendra prison jusqu’à plain accomplissement des choses dessusdites, et outre pour plus grande seureté mettra le roi de par lui gardes et capitaines ès places et châteaux dont ledit René d’Alençon jouissait au jour de son emprisonnement.

Sur la première nouvelle qu’on avait arrêté le comte du Perche, parce qu’il voulait se retirer en Bretagne, le duc ne douta pas que le roi ne l’attaquât bientôt. Il savait que ce prince était instruit du traité fait avec le duc d’Autriche, et du projet de mariage de la princesse Anne avec le prince de Galles. Dans cette circonstance il engagea Maximilien à signifier au roi par un héraut, qu’il ne pouvait porter la guerre en Bretagne, sans enfreindre la trêve. Il envoya en même temps Coëtquen son grand maître d’hôtel, et Blanchet son secrétaire, pour répondre au roi sur toutes ses demandes. Les ambassadeurs étaient chargés d’une lettre par laquelle le duc de Bretagne reconnaissait les droits du roi, lui demandait un délai de deux ans pour rendre l’hommage de Chantocé ; le priait de lui faire rendre de la vaisselle qui avait été saisie au pont de Cé, et de lui accorder le grenier à sel de Montfort, avec le passage franc pour son vin. Le discours de Coëtquen ne fut que la répétition de la lettre du duc. Blanchet prit la parole sur les matières contentieuses, et demanda au roi de nommer des commissaires pour régler les limites des deux états, et réprimer les entreprises des officiers de justice de part et d’autre.

Le roi envoya les ambassadeurs attendre sa réponse chez le cardinal d’Albi. Deux heures après Picard bailli de Rouen vint leur dire de la part du roi qu’on avait donné ordre de rendre au duc de Bretagne sa vaisselle, quoiqu’elle eût été justement confisquée, et que sa majesté étant résolue de faire justice de ses sujets, s’attendait que le duc ferait la même chose des siens. Le cardinal d’Albi se plaignit ensuite que le duc de Bretagne eût accusé le roi d’avoir traité avec le bâtard de Bretagne, pour que celui-ci lui livrât la ville et le château de Nantes. Les ambassadeurs nièrent formellement ce fait. Coëtquen ayant demandé à voir le roi, on lui répondit que les affaires qui l’occupaient dans ce moment ne le permettaient pas.

Le lendemain Eslanville maître d’hôtel du roi vint trouver les ambassadeurs, et leur dit que sa majesté accordait au duc le grenier à sel de Montfort, et le passage franc de son vin ; et qu’à l’égard de l’hommage de Chantocé, le roi enverrait un procureur pour le recevoir. Coëtquen insista encore pour qu’on lui permît de voir le roi ; et sur le refus qu’on lui fit, il partit aussitôt.

La santé du roi s’altérait sensiblement, et faisait craindre pour ses jours ; on prétendait qu’il était sujet à l’épilepsie. Depuis une attaque violente qu’il avait eue à Tours, pour laquelle Commines et Du Bouchage le vouèrent à saint Claude, il faisait chaque mois une offrande de cent vingt écus d’or à cette abbaye.

Ce prince toujours faible et languissant n’osait plus se faire voir en public ; ou lorsqu’il y était obligé, il affectait d’être magnifiquement vêtu, espérant cacher par-là son état. La crainte de la mort l’emportait cependant sur celle de paraître malade ; il ordonna des prières publiques pour sa santé, dans le temps que pour dissimuler sa maladie il faisait des efforts de travail qui l’affaiblissaient de plus en plus. Les dernières récoltes avaient été fort mauvaises par les pluies et les débordements. La petite rivière de Bièvre s’étant enflée subitement, avait détruit presque tout le faubourg saint Marcel, et fait périr deux ou trois mille personnes. Les ravages de la Loire n’avaient pas été moins terribles. Le roi affranchit de tous impôts pour plusieurs années ceux qui avaient été les plus maltraités dans leurs biens ; et craignant que la famine ne fût une suite de tant de malheurs, il défendit tout transport de blé et de vin hors du royaume, fit ouvrir tous les greniers, et garnir les marchés.

Louis vit enfin mourir le dernier prince de la seconde maison d’Anjou dans la personne de Charles comte de Provence. Des trois branches qu’avaient formées trois frères du roi Charles V il ne restait plus que le comte de Nevers fort âgé, et n’ayant que des filles. Charles comte de Provence était fils de Charles comte du Maine, frère de la feue reine mère du roi. On le nomma d’abord comte de Guise, ensuite duc de Calabre, et enfin comte de Provence. N’ayant point d’enfants, il voulut assurer le repos de cette province, en l’unissant à la couronne par son testament. Il institua Louis XI son héritier universel, et après lui les rois ses successeurs, suppliant sa majesté de traiter avec bonté ses sujets de Provence, et de leur conserver leurs lois et privilèges. Il fit plusieurs legs à Louis d’Anjou son frère naturel, et laissa la vicomté de Martigues à François de Luxembourg son cousin germain. Il fut enterré dans l’église métropolitaine d’Aix, à laquelle il laissa deux mille écus d’or.

Louis fut si promptement averti de la mort du comte de Provence, que huit jours après Palamède De Fourbin fut nommé pour prendre possession de ce comté, avec les pouvoirs les plus étendus, tels que Louis les donnait quand il désirait une prompte expédition. Le duc de Lorraine crut pouvoir profiter de ce moment pour soulever plusieurs mécontents dans la province ; la vigilance de Fourbin dissipa bientôt ce parti. François de Luxembourg était, dit-on, du complot ; mais voulant écarter tous les soupçons, il remit la vicomté de Martigues que Charles lui avait léguée ; le roi la donna aussitôt à Fourbin. Cette terre est retournée depuis à la maison de Luxembourg. Louis ne s’arrêtant guères qu’aux projets solides, et dont l’exécution était sûre, ne songea point à faire valoir les droits que Charles lui laissait sur les royaumes de Naples et de Sicile. Convaincu que les guerres éloignées sont toujours funestes à un état, et qu’un royaume ne doit s’accroître que de proche en proche ; il ne voulait prendre de part aux affaires d’Italie, qu’autant qu’elles intéressaient sa gloire et ses alliés.

Tous les états d’Italie étaient divisés et armés les uns contre les autres, lorsque la crainte du turc les obligea de songer à leur défense contre leur ennemi commun. La terreur qu’inspiraient les armes ottomanes, les victoires de Mahomet II et la prise d’Otrante mettaient toute l’Italie en danger, si la mort n’eût arrêté les desseins de ce conquérant. Alphonse fils du roi de Naples, entreprit alors de chasser les turcs d’Italie, et forma le siège d’Otrante. L’entreprise était hardie ; la place était défendue par cinq mille janissaires accoutumés à vaincre : le siège fut long et terrible ; l’attaque et la défense étaient également vives, les sorties fréquentes et meurtrières. Le bacha Achmet tenta toutes sortes de moyens pour secourir la place. Alphonse y perdit l’élite de son infanterie, mais il se rendit enfin maître de la place. Il n’y restait plus que deux mille janissaires qui se sauvèrent, n’osant se fier à la capitulation après les cruautés qu’ils avaient commises : l’Italie, la France, toute la chrétienté prit part à cet heureux succès. Alphonse, roi de Portugal, mourut cette année au château de Cintra. Après avoir été la terreur des maures en Afrique, il éprouva toutes les disgrâces de la guerre en Europe. Ses malheurs ayant succédé à la prospérité, lui en furent plus sensibles, et abrégèrent ses jours.

Louis XI acheva cette année l’arrangement des postes. Nous avons dit qu’il s’en était déjà servi à l’occasion d’une maladie du dauphin, et pour les affaires d’état ; il permit enfin aux particuliers de jouir d’un établissement si utile.