ÉTUDES DE MŒURS ET DE CRITIQUE SUR LES POÈTES LATINS DE LA DÉCADENCE

 

LES TRAGÉDIES DITES DE SÉNÈQUE OU LA TRAGÉDIE EN MANUSCRIT — PREMIÈRE PARTIE.

 

 

I. Quel est l’auteur de ces tragédies ? - Leur caractère moral et philosophique.

La première question a beaucoup divisé les commentateurs. L’un attribue ces tragédies à trois auteurs et peut-être à quatre. Ces trois auteurs seraient : 1° Sénèque, le philosophe ; 2° un certain Sénèque, descendant de celui-ci, lequel aurait vécu sous Trajan, ou postérieurement à ce prince ; 3° quelque auteur du siècle d’Auguste ; 4° un enfant : c’est cet enfant qui aurait fait Octavie. Celui qui s’est chargé de diviser ainsi la responsabilité littéraire des tragédies dites de Sénèque, avoue qu’il a flairé à je ne sais quelle odeur de style et de composition, que quatre poètes y avaient dû mettre la main. Un autre reconnaît cinq auteurs, les deux Sénèque, Marcus et Lucius, et trois inconnus. Une des raisons de ce commentateur pour regarder les Troyennes comme l’ouvrage de Lucius le philosophe ; c’est cette parole d’Agamemnon à Pyrrhus :

Juvenite vitium est, regere non posse impetum.

C’est un défaut de jeune homme de ne pouvoir gouverner sa passion. Or, qui ne voit là une évidente allusion à la tyrannie de Néron ? Assurément on peut l’y voir, mais, pour n’y pas voir autre chose, il faut quelque bonne volonté. Trop de critique mène souvent à trop peu de critique. Ces commentateurs, la plupart gens d’esprit et de haute autorité en matière d’érudition, en sont la preuve. La conscience même qu’ils mettent à leurs recherches les aveugle. Souvent la masse des ignorants, qui est la postérité, classe mieux, par son seul instinct, les réputations et les talents littéraires, qu’un très profond commentateur qui a lu les livres avec une loupe, et y a distingué des différences métriques que ces ignorants n’y verront et n’y voudront jamais voir.

Un troisième établit qu’Octavie est du même auteur et du même temps que les tragédies écrites sous Néron, parce qu’il y est question d’une comète, et qu’il y eut une comète au temps de Sénèque et dé Néron.

Sur lé caractère de ces tragédies, les opinions sont aussi variées que sur leurs auteurs : Pour celui-ci, la Thébaïde est une œuvre élevée, profonde, qui peut revendiquer de son plein droit les privilèges du cothurne ; rien de jeune, rien de fardé dans cette pièce ; les sentences y sont merveilleusement aiguisées, les traits pleins de vigueur ; c’est quelque pierre précieuse du siècle d’Auguste, d’autant plus que le choix du sujet prouve qu’il a dû être traité du temps des guerres civiles ; raison concluante assurément. Le même estime les Troyennes une pièce misérable, et dit : Je suis un enfant, si l’Octavie n’est pas l’ouvrage d’un enfant. Pour celui-là, les Troyennes sont une tragédie divine, et la première de toutes celles de Sénèque ; l’Octavie, quoique d’une allure un peu humble, est d’un meilleur style que la Thébaïde ; quant à celle-ci, il est impossible d’en faire cas, si peu qu’on ait bu à la fontaine du Permesse. Et de même des autres[1].

Obligé par devoir de me faire une opinion, non seulement sur le mérite, mais sur l’auteur ou les auteurs de ces tragédies, j’ai pris un autre chemin que les commentateurs. J’ai renoncé à ce travail ardu et sans utilité, qui consiste à chercher des différences et des ressemblances entre les poètes, dans les longues et les brèves de quelques vers isolés. Je ne me suis pas trouvé d’ailleurs le nez assez fin pour flairer, dans une latinité si uniformément vicieuse, les traces de trois, quatre et peut-être cinq inconnus. D’ailleurs, les commentateurs eux-mêmes m’ont tenu quitte de leur ingrate besogne, en m’en montrant l’inutilité, les uns aux dépens des autres. Car ce que l’un dit, l’autre y contredit ; tous par de petites raisons qui se valent, et entre lesquelles je n’ai aucun penchant à opter. S’il s’agissait d’une œuvre littéraire digne d’admiration, et qu’il pût y avoir quelque œuvre de ce genre sans nom d’auteur, la querelle en pourrait valoir la peine ; mais comme il s’agit tout au plus de dire à qui appartiennent de jolis vers, quelques descriptions spirituelles, des traits fins, de piquants jeux de mots, et tout un petit bagage agréable de réputation littéraire de deuxième ou troisième ordre ; comme, en outre, Sénèque ne gagnerait rien à ce qu’on lui attribuât cinq, ou quatre ou neuf de ces tragédies, et que les inconnus entre qui on les partage ne gagneraient que peu à ce qu’on leur fît à coups d’annotations une petite gloire posthume et conjecturale, je ne traiterai la question de paternité qu’en passant, et seulement pour ne point paraître l’éluder, me réservant pour l’appréciation critique de ces pièces, dans leur rapport intime avec l’époque littéraire dont je parle, laquelle est, à défaut de parents connus, la vraie mère d’adoption des tragédies dites de Sénèque.

L’opinion la plus probable est celle qui attribue ces tragédies à Sénèque le philosophe. On en peut donner des raisons assez plausibles, tirées soit des témoignages anciens, soit surtout des ressemblances frappantes qui se font remarquer entre le philosophe et le poète. J’en ai recherché et rassemblé quelques-unes, qu’on ne lira pas sans intérêt.

Les raisons tirées des témoignages méritent peut-être moins de confiance que celles tirées des ressemblances, parce que les témoignages sont eux-mêmes ou incertains ou contradictoires. En voici deux, entre autres, dont s’autorise l’opinion qui attribue les dix tragédies à un Sénèque autre que le philosophe.

Martial félicite Cordoue d’avoir donné le jour aux deux Sénèque et à Lucain. Par les deux Sénèque, dit-on, il entend le philosophe et le tragique[2].

Sidoine Apollinaire, dans une épître à Magnus Félix, parlant des grands hommes nés à Cordoue, distingue trois Sénèque, tous trois auteurs de différent renom, l’un qui cultive Platon, et fait en vain la leçon à son élève Néron ; l’autre qui ébranle l’orchestre d’Euripide, tantôt imitateur d’Eschyle barbouillé de lie, tantôt de Thespis chantant dit haut d’un chariot... ; le troisième (Lucain), qui a célébré la guerre de César et de Pompée[3]. Là encore, remarque-t-on, l’auteur des tragédies est distinct du philosophe.

Mais quelle est la valeur critique de ces deux témoignages ?

Que prouve d’abord le passage de Martial ? Qu’il y a eu en effet deus Sénèque, le premier, Marcus, personnage très savant, auteur d’un recueil de déclamations appelées controversiæ et suasoriæ, et le second, Lucius Annæus Sénèque, dit le philosophe, et fils du premier. Rien ne peut faire soupçonner que l’un n’ait fait que des tragédies, et l’autre que des ouvrages philosophiques.

On pourrait le conclure plutôt des vers de Sidoine Apollinaire, lequel distingue clairement, dans la célèbre famille de Cordoue, un Sénèque auteur des tragédies, et le fameux Sénèque, le philosophe stoïcien et le précepteur de Néron.

Mais Sidoine Apollinaire, un évêque du Ve siècle, un poète qui a chanté les Barbares, qui consolait Rome foulée aux pieds par les Francs, en décrivant avec une minutie complaisante leurs cheveux oints de beurre rance, Sidoine Apollinaire n’est pas une autorité bien concluante sur des faits littéraires du Ier siècle, principalement sur des faits de critique. La manière fort peu sérieuse dont il caractérise le grand poète Eschyle par une épithète qui conviendrait tout au plus à Thespis, prouverait même qu’il n’était pas un bon juge des ouvrages d’esprit. Je ne m’étonne pas que Sidoine ait imaginé un Sénèque le tragique qui n’est ni Marcus, ni Lucius, lui qui, sur un passage d’une préface de Stace, où celui-ci parle d’une pièce qu’il a composée pour l’anniversaire de la naissance de Lucain, à la prière d’Argentaria Polla, sa très chère épouse (carissimam uxorem), croit qu’il s’agit de l’épouse de Stace, et marie notre poète avec la veuve de Lucain[4].

Voici maintenant les témoignages qui ne semblent indiquer qu’un seul Sénèque, le philosophe, précepteur et ministre de Néron[5].

Le plus important est, sans contredit, celui de Quintilien. Pour Quintilien il n’y a qu’un Sénèque, Seneca, sans prénom, sans qualification littéraire. Sénèque est un auteur universel. Il n’est presque aucune matière d’études qu’il n’ait traitée[6], il n’est pas un genre d’éloquence où il ne se soit exercé ; il a fait des discours, des poésies, des lettres, des dialogues[7], des controverses, des déclamations[8]. Quintilien, citant un hémistiche de Médée, le donne comme un vers de Sénèque, non d’un des Sénèque. C’est toujours Sénèque sans prénom. Assurément, si l’on eût reconnu deux Sénèque au temps de Quintilien, l’un pour les ouvrages d’éloquence et de philosophie, l’autre pour les tragédies, Quintilien, empruntant une citation au tragique, n’eût pas manqué de dire lequel des Sénèque était le tragique. Supposez un critique d"aujourd’hui citant un vers de Rousseau, il dira Jean-Baptiste Rousseau, et non Rousseau tout court, d’autant plus que Jean-Jacques a fait des vers, lui aussi. Il ne faut pas appeler cela de la conscience, mot trop grave ; c’est tout simplement une espèce d’exactitude facile et commune, à laquelle aucun critique ne manque. .

Sénèque était alors dans toutes les bouches et dans toutes les mains. Quintilien, qui passait pour en faire peu de cas, et même pour l’avoir en horreur, quoiqu’il le louât, l’arrachait, en effet, fort souvent des mains de ses élèves, lesquels n’imitaient point les bonnes choses de Sénèque, mais ses défauts, comme il arrive.

On peut objecter que, dans la nomenclature donnée par Quintilien de tous les poètes contemporains de Lucain, avec une mention caractéristique de chacun, l’auteur des dix tragédies n’est point nommé. On y voit des auteurs dont il ne nous est rien resté : un Césius Bassus, poète sur ouï-dire ; un Saléius, tout aussi ignoré ; un Servilius Nonianus, et d’autres. Comment n’y trouve-t-on pas notre poète tragique ? Omission d’autant plus étrange, que Quintilien place dans cette nomenclature, et au premier rang, Pomponius Secundus pour ses tragédies[9], et qu’il rappelle en un autre endroit certaines disputes entre ce Pomponius et Sénèque, sur un passage d’Attius le tragique. Que faut-il en conclure, sinon que Quintilien n’estimait pas assez les tragédies de Sénèque, ouvrage de fantaisie très secondaire de cet écrivain, pour les ranger dans une catégorie où il n’admet chaque auteur que pour sa meilleure sorte de production, et qu’il ne s’est souvenu des tragédies de Sénèque que par occasion ? Nul doute que si ces tragédies eussent été le titre unique d’un membre de la famille des Sénèque, Quintilien n’eût admis ce membre dans sa revue des auteurs romains, et qu’il ne l’eût placé à la suite de Pomponius Secundus, cité par lui pour le même genre d’ouvrage. Mais comme ces pièces n’étaient qu’une des nombreuses productions de Sénèque l’universel, et assurément un de ses moindres titres, Quintilien s’est borné à les indiquer sous le nom de poésies, poemata, dans la catégorie de ses œuvres, et, ailleurs, à y faire une allusion sans importance. Je ne crois pas cette conjecture forcée.

Les ennemis de Sénèque, dit Tacite, lui reprochaient de s’arroger à lui seul la gloire de l’éloquence, et de faire plus fréquemment des vers, depuis que Néron s’était pris d’amour pour la poésie[10]. Si ces gens se trompaient sur le motif, il est douteux qu’ils se trompassent sur le fait ; car on ne dit pas de quelqu’un qu’il fait des vers, quand il n’en fait pas. C’est le dernier travers qu’un ennemi sérieux veuille prêter à un homme. Je n’ai pas à apprécier ici jusqu’à quel point il est vraisemblable que l’écrivain universel fût jaloux de tous ceux qui aspiraient à la gloire de l’éloquence, ni si ce ne fut point en effet par flatterie que le précepteur se mit à faire des poèmes, ou seulement par cette périlleuse morale de ministre, qui consistait à transiger avec les travers de Néron pour lui tenir tête dans ses crimes. Je dois éviter d’étendre mon sujet à toute la vie comme à tous les ouvrages de Sénèque, dans un article où je traite de poésies qui, après tout, peuvent n’être pas toutes de lui. Mais je note le fait rapporté par Tacite, moins pour le rattacher à une appréciation générale de Sénèque, que pour éclaircir la petite question d’origine littéraire que j’ai soulevée[11].

Pline le jeune, apprenant qu’on le blâme chez quelques amis de faire des vers et de les lire, se justifie en citant les hommes illustres dans l’éloquence,et dans les affaires, qui ont eu le même goût que lui, et parmi ceux-ci Annæus Sénèque, le Sénèque universel de Quintilien[12].

Il est vrai que Sénèque ne parle jamais de ses tragédies, du moins dans les écrits qui nous sont restés de lui. Assurément, ce silence pourrait faire croire qu’il n’en est pas l’auteur, car quel poète se tait sur ses vers ? Mais qui sait s’il a été aussi discret dans ceux de ses ouvrages, que nous avons perdus, et si du temps de Quintilien, on n’avait pas sur l’origine de ces tragédies, outre le témoignage public, les aveux particuliers de Sénèque ?

Je comprends toutefois que ces raisons historiques laissent encore, du doute ; les raisons morales me paraissent plus fortes, sinon assez fortes pour trancher la difficulté. Ce sont de sensibles ressemblances de pensée et de style entre le philosophe et le poète.

La philosophie et la morale des huit tragédies sont de la même école que celles des Traités et des Épîtres ; et si ce n’est pas le même homme, c’est indubitablement le même esprit qui a inspiré les aphorismes de l’un et les traits sentencieux de l’autre.

Commençons par la philosophie.

Le stoïcisme est presque exclusivement la philosophie des tragédies de Sénèque. Presque tous les personnages y sont stoïciens ou à peu près, armés de sentences, et conversant ou discutant par aphorismes. Quelques-uns y meurent. avec tout l’apparat du stoïcisme, en gens qui ont analysé les exquises jouissances du suicide. Il n’est pas jusqu’au petit Astyanax, ce frêle et charmant enfant de la plus délicieuse femme de l’antiquité, qui ne se donne dies airs de stoïcien, et ne sente l’école. Polyxène meurt à la Caton. Dans l’art grec, la jeune fille, c’est l’être débile et décent par excellence, l’être né pour les larmes, comme disaient les Grecs : elle a peur d’une épée : nue, parce qu’elle est femme ; à Rome, elle se jette dessus, parce qu’elle est stoïcienne. Dans Euripide, Polyxène conserve sa pudeur, même alors, qu’il ne lui sert plus d’en avoir : quand elle tombe frappée par Pyrrhus, elle regarde à tomber avec décence[13], dans Sénèque, elle se jette à bas comme une furieuse, afin de rendre la terre plus lourde aux os d’Achille...

Cecidit, ut Achilli gravem

Factura terram, prona, et irato impetu. (Les Troyennes, v. 1159.)

Arrive ce qui peut de sa pudeur, qu’importe ? Elle est morte avec calcul et appareil, en femme qui a approfondi la question du néant. Il est vrai qu’elle peut donner à rire d’un rire impur à ceux qui la voient tomber, car elle n’a peut-être pas été assez habile comédienne pour sauver toutes les convenances, au lieu que dans l’art grec, le sacrifice de la vierge pure n’eût pas fait rire, mais rougir les dieux et les hommes.

Astyanax, traîné par Ulysse au sommet de la tour d’où il doit être précipité, seul ne pleure pas dans toute cette foule qui pleure, et pendant qu’Ulysse écoute les paroles du devin, et convie les dieux cruels à cette horrible fête, l’enfant s’échappe de ses mains, et s’élance de son propre mouvement au milieu des royaumes de Priam.

. . . . Sponte desiluit sua

In media Priami regna. (Les Troyennes, v. 1103.)

Qui ne reconnaîtrait pas, non seulement le stoïcien de l’école de Sénèque, mais Sénèque lui-même, le Sénèque des lettres à Lucilius, dans ces subtiles analyses que fait Œdipe du plaisir qu’il y a, non pas à se tuer, c’est trop peu, mais à disposer de sa mort : Celui qui force un homme à mourir malgré lui, dit Œdipe, fait la même chose que celui qui en arrête un autre qui veut mourir ; je me trompe, le second fait pis que le premier. J’aime mieux être forcé que privé de mourir.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Qui commit mori

Nolentem, in æquo est, quique properantem impedit.

Nec tamen in æquo est : alterum gravius reor ;

Malo imperari quam eripi modem mihi. (Phœnissœ, v. 98.)

La même pensée est développée ailleurs, dans deux passages correspondants du poète et du philosophe. Dans le poète, l’Œdipe des Phéniciennes disserte longuement avec Antigone sur la liberté de mourir. On ne peut pas m’empêcher de mourir, dit-il. A quoi pourraient aboutir tous tes soins pour me sauver de moi-même ? La mort est partout. La Providence y a pourvu avec bonté. On peut enlever la vie à un homme, mais on ne peut pas lui enlever la mort : il y a mille moyens d’arriver à la mort.

Morte prohiberi haud queo.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Quid ista tandem cura proficit tua ?

Ubique mors est. Optime hoc cavit Deus,

Eripere vitam nemo non homini potest :

At nemo mortem : mille ad hanc aditus patent. (Phœnissœ, v. 146-153.)

C’est un mal, dit le philosophe Sénèque, que de vivre dans la nécessité : mais il n’y a aucune nécessité d’y vivre. Les moyens de se mettre en liberté s’offrent de toutes parts, nombreux, courts, faciles. Rendons grâces à Dieu de ce qu’il n’a pas voulu que personne pût être retenu malgré lui dans la vie. Et ailleurs, il prête ces paroles à la Providence : J’ai pourvu avant toutes choses à ce que nul ne vous retînt malgré vous dans la vie : la sortie en est libre.

Malum est in necessitate vivere ; sed in necessitate vivere necessitas nulla est. Patent undique ad libertatem vite multa, breves, faciles. Agamus Deo gracias, quod nemo in vita teneri potest. (Epist. XII.)

Ante omnia cavi, ne quis vos teneret invitos : patet exitus. (De Providentia, VI.)

Les analogies sont frappantes entre les choses et les mots ; on ne sait lequel copie l’autre, du poète ou du philosophe. Ne serait-ce pas le même écrivain qui se pille lui-même ?

Il y a dans Sénèque, sur la mort tant imposée que volontaire, cent traits qui ressemblent à ceux-là. Sa mort courageuse a seule donné à ses jeux de mots sur le suicidé une gravité qui fait qu’on n’en rit pas. Si Sénèque ne s’était pas ouvert les veines, il n’y aurait pas eu de plus triste comédien que lui.

Comme tous les stoïciens avancés, les personnages des tragédies de Sénèque sont fatalistes, non pas à la manière de la Grèce religieuse, qui croyait au dieu Destin ; le fatalisme stoïcien est tout philosophique ; il n’est point religieux. Voici deux passages sur le destin, qui sont inégalement beaux, mais qui dénoncent la même main. J’aime mieux le morceau de prose, parce qu’il paraît avoir été fait le premier ; les vers sont d’une inspiration réchauffée. Voici la prose :

Je ne suis forcé à rien, je ne souffre rien malgré le moi ; je ne suis point l’esclave de Dieu, mais je lui donne mon assentiment ; et cela d’autant plus volontiers que j’ai la conviction que tout est arrêté d’avance, et marche d’après des lois éternelles. Nous sommes menés par les destins, et la première heure de la naissance a fixé pour chacun ce qui lui reste à vivre. Toute cause dépend d’une autre cause ; les choses publiques et privées suivent un ordre déterminé longtemps à l’avance. C’est pourquoi il faut tout supporter avec courage, car toutes les choses de la vie ne sont point, comme nous le pensons, des incidents fortuits, mais des accidents nécessaires. Il a été décrété, dès l’origine, et ce que nous aurions de joies, et ce que nous aurions de peines ; et, bien que l’existence de chacun soit en apparence variée à l’infini, il n’y a qu’une fin pour toutes. Êtres périssables, nous avons reçu de la nature un don périssable.

Nihil cogor, nihil patior invitus ; nec servio Deo, sed assentior ; eo quidem magis, quod scie omnia certa et in æternum dicta lege decurrere. Fata nos ducunt, et quantum cuique restat, prima nascentium hora disposuit. Causa pendet ex causa ; privata ac publica longus ordo rerum trahit. Ideo fortiter omne ferendum est : quia non, ut putamus, incidunt cuncta, sed veniunt. Olim constitutum est, quid gaudeas, quid fleas : et quamvis magna videatur varietate singulorum vita distingui, somma in unum venit accepimus peritura perituri. (Sen., De Provid., cap. V.)

Ce thème brillant se retrouve dans l’Œdipe, développé et par conséquent affaibli ; c’est moins une copie qu’une paraphrase du morceau en prose. Le chœur vient d’entendre avec une patience exemplaire le long récit descriptif du Nuntius sur la catastrophe de la maison des Labdacides. Quand le narrateur officiel a fini, le chœur s’écrie :

Nous sommes menés par les destins : cédez donc aux destins. Toutes nos craintes inquiètes ne sauraient rien changer à l’arrêt des Parques. Tout ce que souffre, tout ce que fait la race humaine, a été arrêté en haut, et Lachésis ne suspend jamais la trame qu’ont filée ses mains inexorables. Tout suit une route tracée d’avance, et le premier jour de notre vie nous en a marqué le dernier. Il n’est pas au pouvoir de Dieu de rien déranger à l’enchaînement fatal des effets aux causes. Il n’y a pas de prière qui puisse changer le tour de mourir de chacun. Il en a pris mal à beaucoup d’hommes de l’avoir craint, et combien ont accompli leur destinée, par la peur même qu’ils avaient des destins !...

Fatis agimur, cedite fatis.

Non sollicitæ possunt curæ

Mutare rati stamina fusi.

Quidquid patimur, mortale genus,

Quidquid facimus, venit ex alto ;

Servatque suæ decreta colus

Lachesis, dura revoluta manu.

Omnia certo tramite vadunt

Primusque dies dedit extremum.

Non illa Deo vertisse licet

Quæ nexa suis currunt causis.

It cuique ratus, prece non ulla

Mobilis, ordo. Multis ipsum

Metuisse nocet ; multi ad fatum

Venere suum, dum fata timent. (Œdipe, v. 980.)

Il est impossible de ne pas être frappé de l’identité de pensées et de style qui caractérise ces deux morceaux. C’est bien, ici et là, la pure doctrine stoïcienne qui soumet tout, les dieux mêmes, dans le cas où elle admet encore des dieux, à un inévitable destin. C’est bien surtout, ici et là, la phrase courte et sentencieuse de Sénèque le philosophe. Lachésis et son fuseau ne sont là qu’un lieu commun de poésie, qui donne au morceau la couleur locale, et n’impliquent aucune foi, ni de la part du poète, ni même de la part du chœur, lequel est évidemment gagné tout entier aux doctrines du stoïcisme.

Au reste, le stoïcisme est mitigé dans le poète comme dans le philosophe. Les doctrines de Platon y tempèrent celles de Zénon ; il y a des retours vers Épicure, très significatifs, quoique rares. Sénèque se vantait d’être éclectique, il reconnaissait des guides, mais point de maîtres ; il disait que la vérité est la propriété de tout le monde, que les stoïciens ne sont pas les sujets d’un roi, que chacun travaille et cherche pour son compte[14] : en conséquence, il contredit Zénon et les autres, quoique avec politesse[15]. Tel il est dans ses ouvrages philosophiques, tel dans ses tragédies. Ici il accuse les dieux, là il s’humilie devant leur puissance ; tantôt il les traite de dieux légers, tantôt il se laisse aller à des transports de foi polythéiste ; le philosophe et le poète n’admettent fort souvent qu’un Dieu unique, Deus, par lequel ils remplacent la religion de la Grèce héroïque. Tantôt Sénèque croit à la vie future, tantôt, et plus souvent, au néant. Dans les tragédies, le néant et la vie future sont quelquefois proclamés tour à tour par le même chœur ; exemple :

Dans le premier acte des Troyennes, le chœur chante le bonheur de Priam après la mort :

L’heureux Priam, disons-nous toutes, en se retirant de ce monde, a emporté avec lui son royaume ; maintenant il erre sous les paisibles ombrages de l’Élysée, et cherche parmi les âmes pieuses l’ombre de son Hector.

Felix Priamus,

Dicimus omnes : secum excedens

Sua regna tulit : nunc Elysii

Nemoris tutis errat in umbris,

Interque pias felix animas

Hectora quærit. . . . . (v. 456.)

Le même chœur décrit ainsi le passage de la vie au néant : De même que l’épaisse fumée qui s’élève du foyer embrasé s’évanouit à peine montée dans les airs, de même s’évanouira l’esprit qui nous gouverne. Il n’y a rien après la mort : la mort elle-même n’est rien. »

Ut calidis fumus ab ignibus

Vanescit spatium per breve sordidus :

Sic hic, quo regimur, spiritus effluet :

Post mortem nihit est, ipsagne mors nihil. (v. 393.)

Dans les ouvrages philosophiques, même contradiction. C’est tantôt le néant et tantôt la vie future qui sont dogmes de foi, suivant les dispositions du philosophe. On lit ce curieux passage dans une lettre charmante sur la maison de campagne et les bains de Scipion l’Africain : Je me persuade que l’âme de ce grand homme est retournée au ciel d’où elle était venue ; non parce qu’il commanda de grandes armées (l’insensé Cambyse en fit autant, et sa fureur lui réussit), mais à cause de sa modération et de sa piété, qualités qui furent bien plus admirables quand il s’exila de sa patrie que quand il la défendit.

Animum quidem ejus in cœlum, ex quo erat, redisse persuadeo mihi, non quia magnos exercitus duxit (hos enim et Cambyses furiosus, ac furore feliciter usus, habuit), sed ob egregiam moderationem pietatemque, magis in illo admirabilem, quum reliquit patriam, quam quum defendit. (Epist. LXXXVI.)

Voici maintenant un ordre d’idées qui répondra aux métaphores du chœur des Troyennes sur la ressemblance de destinée entre l’âme et une épaisse fumée. Dans une lettre sur Aufidius Bassus, docte vieillard qui consacrait ses derniers jours à des spéculations sur les douceurs d’une mort prochaine, Sénèque loue et adopte avec une tendre admiration ces paroles de Bassus : S’il y a quelque inconvénient ou crainte dans cette affaire, c’est la faute du mourant et point de la mort ; il n’y a pas plus de désagrément dans la mort qu’après la mort.... Tant s’en faut que la mort soit un mal, qu’au contraire elle nous délivre de toute crainte de mal.

Si quid incommodi aut metus in hoc negotio est, morientis vitium esse, non mortis ; nec magis in ipsa quidquam esse molestiæ, quam post ipsam... Ergo, mors adeo extra omne malum est, ut sit extra omnem malorum metum. (Epist. XXX.)

La mort n’est rien, dit Sénèque le poète. La mort, dit Sénèque le philosophe, c’est n’être pas[16]. — Vous demandez, dit le poète, où vous serez après la mort ? où est tout ce qui n’est pas né[17]. — Il en sera de moi, après moi, dit le philosophe, ce qu’il en a été avant moi[18]. — N’est-ce pas le même homme qui parle ? regardez le style : n’est-il pas le même, sauf la mesure ? Encore cette différence est-elle très peu sensible, l’iambe se rapprochant beaucoup du libre mouvement de la prose Les incertitudes des stoïciens sur la question de l’âme ne se réfléchissent-elles pas tout aussi vivement dans le poète que dans le philosophe ? Le moins qu’on doive conclure, ce semble, de si profondes ressemblances, c’est que, si ce n’est pas le même philosophe qui a écrit les deux genres d’ouvrages, c’est assurément la même philosophie qui a inspiré ce qu’on y trouve d’opinions religieuses ; c’est cette philosophie incertaine, flottante, parce qu’elle n’a plus de bases, quelquefois tentée de croire à l’âme, plus souvent portée à la nier ; admettant ou rejetant les dieux ; voulant bien des Champs-Élysées, mais ne voulant point du Tartare[19] ; philosophie qui ne sait que faire ide notre mort, de même que la morale, sa contemporaine, ne savait que faire de notre vie, et se contentait de nous apprendre à en sortir.

Cette morale, vous la remarquerez dans le poète comme dans le philosophe ; seulement, l’un la traite ex professo, l’autre n’y fait que des allusions. C’est la manie de l’impossible dans la vertu, seule morale, après tout, qu’on pût opposer à la manie de l’impossible dans le vice, dont l’époque de Sénèque était possédée. A des maux extrêmes, la morale opposait des remèdes extrêmes, c’est-à-dire qui ne guérissent pas. La morale était moins un code de préceptes de conduite qu’une protestation, plus ingénieuse quelquefois que sensée. Il s’y mêlait je ne sais quelle recherche puérile, qui en faisait suspecter l’austérité en l’outrant, et lui ôtait d’avance tout crédit. Il y avait alors des inventeurs en fait de vertu, comme il y en avait en fait de vice ; et ceux-ci ne restaient jamais en arrière de ceux-là.

Entre la richesse excessive et la pauvreté, entre les délicatesses du luxe et le dénuement, cette morale n’admet point de milieu. Du temps d’Horace, la morale prêchait encore la médiocrité ; Sénèque prêche la misère[20]. Votre voiture est modeste, Sénèque ; bien : il y a de la modération et quelque peu de vertu, quoique raffinée, à vous faire voiturer si humblement de l’une de vos six villas à l’autre. Je veux bien croire que si vous allez en voiture, c’est que votre vieillesse vous défend d’aller à pied, que vous vous faites transporter et point porter mollement ; à merveille ; mais pourquoi vous vantez-vous de laisser mourir de faim vos mules qui ne sont pas stoïciennes ? Soyez pauvre, si c’est votre goût, et tant que ce sera votre goût : car la pauvreté est aisée à qui peut se donner le lendemain toutes les jouissances de la richesse ; mais que vos esclaves ni vos chevaux ne soient maigres ; car il n’y a plus ni vertu ni sens à étaler la livrée de la misère ; et non seulement vous ne désarmerez pas vos envieux, mais vous vous donnerez aux yeux des hommes de sens le double ridicule de vouloir paraître pauvre, et d’être effectivement très avare.

La morale de Sénèque défend au père de pleurer la mort de son enfant. Il faut trouver, dit-elle, une certaine volupté dans le chagrin ; il vaut mieux que nous quittions la douleur que ce soit la douleur qui nous quitte. — Oui ; mais alors de quel droit prétendez-vous que votre enfant vous pleure mort, ou seulement qu’il vous désire en vie, si surtout vous le traitez comme vos mules ?

Cette morale ne veut pas d’affections[21]. Pourquoi donc aimez-vous votre femme Pauline, ô Sénèque[22] ? Et dans quel cas êtes-vous plus conséquent avec votre morale, ou quand vous confessez que vous prenez soin de votre santé par amour pour Pauline, ou quand vous restez ministre et conseiller de Néron assassinant sa mère par une application outrée de vos principes sur le mépris des affections ?

Je ne veux pourtant point calomnier cette morale. Elle ne prêchait pas l’abolition de l’esclavage ; mais elle voulait qu’on reconnût dans l’esclave l’égal du maître, et qu’on l’appréciât, non par sa condition, mais par sa conduite[23]. Elle demandait non pas seulement qu’on épargnât le sang humain ; belle humanité, en effet, que de ne pas faire du mal à ceux à qui nous devons faire du bien ! non pas seulement que l’homme fût doux pour l’homme, mais qu’il tendit la main au naufragé, qu’il remit dans sa route le voyageur égaré, qu’il partageât son pain avec ceux qui ont faim[24]. Elle disait encore, avec la religion nouvelle : Le sage, traîné au supplice, souffrira, tremblera, pâlira, parce, qu’il a un corps sensible ; mais la partie de lui-même qui est douée de raison ne se plaindra pas[25]. Elle préparait ainsi les esprits au christianisme ; elle facilitait la transition à cette ère nouvelle qui allait compléter ses concessions honnêtes, mais timides, sur l’égalité des esclaves et des maîtres, convertir en devoirs, ses, exhortations à la douceur et à l’humanité, et montrer sur le chevalet, tremblant aussi et pâlissant, mais sans proférer une plainte, non pas son sage ingénieux et gourmé, pour qui la morale est tout à la fois une affaire d’érudition, de secte et de style, mais l’homme du peuple ignorant, le muletier peut-être qui a conduit Sénèque à sa villa, et qui n’aura ni science, ni orgueil, pour se soutenir dans les épreuves qu’il souffrira pour sa foi. Je le répète, une morale qui a pu servir de préparation au christianisme n’est pas une morale à mépriser ; mais sauf ces éclairs de haute raison très rares et mêlés de si épaisses ténèbres, n’est-elle pas presque : ton, jours ou un dogmatisme puéril, roulant sur des mots à double sens, ou, comme je l’ai définie d’abord, la manie de l’impossible dans la vertu ?

La seule conséquence d’une telle morale, c’est d’engendrer la manie de la mort volontaire. Aussi le courage de mourir, du temps de Sénèque, n’était-il déjà plus qu’un courage banal. A cette époque de langueur et de délices, de mollesses monstrueuses, d’appétits auxquels le monde pouvait. à peine suffire, de bains parfumés, d’amours faciles et désordonnés, il y avait, chaque jour, des hommes de tout, rang, de toute fortune, de tout âge, qui se délivraient de leurs maux par la mort[26] !... Comment, ne, se serait-on pas précipité dans le suicide, quand on n’avait d’autres consolations que la philosophie subtile de Sénèque, et ses théories sur les délices, de la pauvreté ?

Marcellinus[27] est atteint d’une maladie grave, mais curable ; il est jeune, il a des biens, des esclaves, des amis : n’importe, la fantaisie lui vient de mourir. Il assemble ses amis ; il les consulte, comme pour un mariage à faire, ou une place à accepter. Il s’entretient avec eux de son projet de mourir ; il met la chose aux voix ; quelques-uns lui conseillent de faire comme il voudra ; un stoïcien, ami de Sénèque, l’exhorte bravement à mourir : sa principale raison, c’est qu’il n’est pas besoin pour vouloir mourir d’être prudent, ni courageux, ni misérable ; il suffit qu’on s’ennuie. Personne ne contredit le stoïcien. Marcellinus remercie ses amis ; il distribue quelque argent à ses esclaves qui pleuraient, et qui ne voulaient point l’aider à mourir ; il les console avec bonté. Ces dispositions faites, il s’abstient pendant trois jours de toute nourriture, et on le porte, affaibli et languissant, dans un bain, d’eau chaude, où bientôt il s’éteint, après avoir murmuré quelques paroles sur le plaisir de se sentir mourir. Et ce plaisir était si peu une affectation, grâce à cette mode de suicide, que les stoïciens austères, lesquels faisaient les honneurs de toutes ces morts, crurent devoir y mettre quelque restriction, en établissant que la mort, quoique très agréable, n’était pourtant pas un si grand bonheur, qu’il fût permis de négliger ses devoirs pour elle.

Ce n’était pas là l’opinion de Mécène, lui qui disait : Faites-moi boiteux, manchot, bossu, édenté ; pourvu que je vive, c’est bien. Laissez-moi vivre sur une croix, si j’y peux vivre[28].

Mais je conçois bien qu’après un aussi lâche amour de la vie, il y ait eu une réaction d’amour de la mort, quand même des raisons plus solides n’en eussent pas fait une mesure de précaution et de régime, dans la Rome de Tibère et de Néron.

Plusieurs des héros des dix tragédies sont des Marcellinus, modifiés par les circonstances. Vous avez vu mourir Astyanax, grande espérance du stoïcisme, si les dieux l’avaient laissé vivre. Le courageux enfant a fait comme les stoïciens de Néron ; il a voulu avoir les honneurs de sa mort, et s’est échappé des mains de ses bourreaux, pour mourir spontanément, sponte sua. De même Polyxène ; elle a reçu deux morts, l’une de la main de Pyrrhus, l’autre de la sienne ; elle a été tuée d’abord, puis elle s’est tuée, afin de sauver, jusque sous le glaive du sacrificateur, la sainte liberté du suicide. Dans l’Hercule furieux, Mégare, femme d’Hercule absent et forcée par l’usurpateur Lycus de choisir entre sa main et la mort, répond en stoïcienne intrépide : Qui peut être contraint ne sait pas mourir.

Cogi qui potest nescit mori. (Hercules furens, v. 486.)

Tu mourras, insensée, lui dit Lycus. — J’irai au-devant de mon mari, répond Mégare (Hercule était aux enfers)... Et plus bas : Supprimez les dures tyrannies, ajoute Mégare, que sera la vertu ? Ainsi Sénèque le philosophe : Le malheur est l’occasion de la vertu[29]. — Mais, dit Lycus, penses-tu qu’il y ait de la vertu à être exposée aux bêtes et aux monstres ? - MÉGARE. C’est le propre de la vertu de surmonter ce que tout le monde craint. - LYCUS. La nuit du Tartare couvre celui qui profère de hautaines paroles. MÉGARE. La route de la terre au ciel n’est pas douce.

LYC. Moriere, demens.

MEG. Conjugi occurram meo.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Imperia dura Colle, quid virtus erit ?

LYC. Objici feris monstrisque virtutem putas ?

MEG. Virtutis est domare quœ cuncti pavent.

LYC. Tenebræ loquentem magna Tartareæ premunt.

MEG. Non est ad astra mollis e terris via.

(Hercules furens, v. 433-437.)

Il y a ici plus qu’un dialogue entre une stoïcienne et un tyran ; on dirait l’interrogatoire d’un chrétien devant le juge qui va l’envoyer au martyre.

Dans la même pièce, Amphitryon, le mari complaisant d’Alcmène, qui a voulu rester le père mortel d’Hercule, échange avec le même Lycus quelques sentences stoïciennes, celle-ci entre autres : Quiconque est malheureux est un homme, dit Lycus, contestant la divinité d’Hercule. — Quiconque est courageux, répond Amphitryon, n’est point malheureux.

LYC. Quemcumque miserum videris, hominem scias.

AMPH. Quemcumque fortem videris, miserum neges. (Hercules furens, v. 463.)

Ainsi avait dit le philosophe : Celui qui a la vertu ne peut pas être malheureux[30].

Dans l’Hercule au mont Œta, Déjanire hésite entre le genre de mort qu’elle se donnera. Doit-elle se percer avec une épée ? Doit-elle se laisser rouler du haut d’un rocher, afin de tracer un long sillon de sang et de débris ? Sera-ce assez d’une seule mort ? Non, il lui en faut deux. En conséquence, elle convoque toutes les nations à faire pleuvoir sur elle les pierres et le feu. Œdipe veut aussi mourir deux fois ; que ais-je ? dix fois, cent fois s’il se peut, toujours revivre pour toujours mourir. — Ces gens-là sont fous ! — oui ; mais ils sont fous de la folie de Marcellinus, de la folie de Sénèque qui loue le suicide de ce jeune homme ; de cette folie de l’époque qui faisait qu’on se tuait par ennui, par paresse de se faire guérir ; par distraction, à peu près comme on se battait en duel sous Richelieu. La mort était devenue chose si insignifiante, et de si facile accès, que les tyrans, pour punir ou se venger, imaginèrent des supplices afin de donner plus que la mort[31]. A cet égard, les philosophes et les chrétiens avaient le même courage des deux côtés on savait bien mourir ; mais les uns mouraient pour des paroles mortes, et les autres pour des paroles de vie ; ceux-ci pour eux-mêmes, et ceux-là pour l’humanité : différence dé but qui explique la différence de moralité entre les deux sacrifices.

Je ne prétends pas que toutes ces ressemblances évidentes entre la philosophie et la morale des tragédies et des écrits philosophiques, ne doivent lasser aucun doute sur leur communauté d’origine ; mais je puis croire que le lecteur est aussi convaincu que moi de leur parenté, au moins morale. Il y a d’autres preuves tirées des formes sentencieuses de style communes aux deux sortes d’écrits. J’en donnerai deux ou trois exemples parmi une foule d’autres.

Le poète et le philosophe sont également riches en sentences, la plupart graves, quelques-unes très vagues, plusieurs tournant à l’épigramme. Par ce mot sentences, j’entends plus spécialement ces sortes de demi-vérités qui n’appartiennent proprement ni à la philosophie ni à la morale, mais qui participent un peu de toutes les deux, et consistent, ou bien en aperçus vagues, qui sont sur la voie de quelque vérité de l’un ou de l’autre ordre, ou bien en petites vérités d’exception données d’un ton d’oracle pour des axiomes absolus et des dogmes de foi. Le style est toujours pour la moitié dans l’effet qu’elles produisent, quand il n’y est pas pour le tout. Voici quelques-unes de ces sentences, prises parmi les plus vraies.

La prospérité n’a point de mesure... — Qui se trouble de vaines craintes, mérite d’en avoir de vraies.... — L’ignorance est un mauvais remède pour guérir le mal. — Ceux qui vous louent par ci crainte vous haïront pas crainte. — Il est arrivé plus d’une fois à l’homme humble de recevoir des éloges sincères ; l’homme puissant n’en reçoit que de faux... — Les rois entendent avec haine ce qu’ils vous ont ordonné de dire.

Secunda non habent modum. (Œdip., v. 694.)

. . . . . Qui pavot vanos metus

Veros meretur. . . . . (Ibid., 700.)

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Iners malorum remedium ignorantia est. (Ibid., v. 545.)

. . . . . . . . . . Quos cogit metus

Laudare, eosdem reddit inimicos metus. (Thyeste, v.207.)

Laus vera et humili sæpe contingit viro,

Nonnisi potenti falsa. . . . . (v. 211.)

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Odere reges dicta, que dici jubent. (Œdip., v. 520.)

Quelquefois le philosophe répète le poète, ou le poète le philosophe. Dans Œdipe, le poète parlant des tyrans et de leurs craintes, dit : Celui qui gouverne tyranniquement ses États craint ceux qui le craignent : la peur retombe sur celui qui la cause.

Qui sceptra duro sævus imperio revit,

Timet timentes ; metus in auctorem redit. (v. 705.)

Celui qui est craint, dit le philosophe, craint à son tour. Personne ne peut faire peur et être en sûreté.... Et ailleurs : La crainte retombe toujours sur ceux qui la causent, et personne n’est redoutable impunément... Il faut que celui qui fait peur à beaucoup de monde, ait peur de beaucoup de monde.

Qui timetur, timet : nemo potuit terribilis esse secure. (Epistola CV.)

Quid, quod semper in auctorem redundat timor, nec quisquam metuitur ipso securus ? Necesse est multos timeat quem multi timent. (De Ira, II, 2.)

Dans Médée, le poète dit : Que celui qui n’a plus rien à espérer, ne désespère de rien.

Qui nil potest sperare, desperet nihil. (v. 463.)

Le philosophe répète et explique le poète : Vous cesserez de craindre, dit-il, quand vous aurez cessé d’espérer.

Desines timere, si sperare desieris. (Epistola VI.)

Je ne multiplierai pas ces citations. C’est assez de quelques exemples pour montrer que le tour d’esprit et la façon sont les mêmes dans le philosophe et dans le poète. De part et d’autre, c’est la même profusion de phrases courtes, laconiques, d’antithèses spirituelles, portant sur les mots encore plus que sur les choses ; de petites pensées brillantes, à moitié vraies, souvent déterminées par des ressemblances d’orthographe, parle choc d’un dérivé et d’un composé, par des analogies de radicaux et de terminaisons ; jeux de la mémoire bien plus que fruits de la réflexion. Dans les dix tragédies, il y a des dialogues entiers qui ne sont qu’un échange, entre deux interlocuteurs, de sentences philosophiques enfermées dans un vers, et qui, citées à part, hors de leur place, passeraient facilement pour de petits lambeaux détachés des écrits philosophiques : De, même on pourrait : faire le puéril travail de transporter des écrits philosophiques dans les dix tragédies des sentences qui non seulement y trouveraient leur place, mais, qui seraient de très bons ïambes.

Pour moi, qui ai étudié simultanément le philosophe et le poète, toutes ces analogies se présentaient à chaque instant. J’étais au milieu d’un feu roulant d’esprit, d’épigrammes, de phrases brèves et éblouissantes. J’assistais à une conversation entre des stoïciens, gens d’esprit, affublés de costumes tragiques et de noms de héros, un jour de Saturnales ; le poète me complétait le philosophe, ou le philosophe m’expliquait le poète. Les descriptions, qui sont nombreuses dans tous les deux, quoique plus nombreuses dans le poète et plus souvent psychologiques dans le philosophe, m’offraient encore la même manière, le détail subtil et exact, l’épithète physique, la concision dans la diffusion ; défauts du temps, je le sais, mais qui ont dans ces deux genres d’ouvrages un tel caractère de fraternité, si je puis dire, qu’ils permettent à peine le doute sur leur origine commune. En effet, les ressemblances que donnent à des auteurs contemporains, d’esprit et de sujets différents, les défauts d’une époque, ne sont jamais si frappantes que leurs différences ; rien ne ressemble moins à. Stace que Lucain, quoique tous deux soient marqués du même cachet de décadence littéraire ; la diversité de leurs esprits éclate bien plus que la presque identité de leur procédé poétique. Au contraire, entre les dix tragédies, et les ouvrages philosophiques de Sénèque, c’est tout au plus. si la triple différence des sujets, des sentiments auxquels s’adressent une tragédie et un écrit dé philosophie, de la manière dont on est intéressé par l’une et par l’autre, peut distraire de l’étonnante ressemblance qui s’y montré à chaque page dans les idées et dans le style.

Une conjecture m’a beaucoup souri, conjecture qui, après tout, en vaut bien une autre : ce serait de regarder les dix tragédies comme un ouvrage de famille, où tous les Sénèque auraient contribué ; un monument domestique, Senecanum opus ; car tous les membres de cette famille se sont occupés de verset de prose : tous étaient écrivains, mais quatre plus particulièrement.

1° Marcus Annæus Sénèque, époux d’Helvia, compilateur de mérite, qui avait recueilli les harangues grecques et latines de plus de cent auteurs du siècle d’Auguste, et ajouté à la fin de chacune une appréciation critique. Homme de goût, dit-on, mais apparemment d’un goût peu exclusif, puisqu’il, trouvait cent orateurs dans un siècle qui n’en a guère accrédité et reconnu que cinq ou six. Il écrivit des controverses, c’est-à-dire qu’il transcrivit de mémoire des déclamations qu’il avait entendu réciter. Sa mémoire était telle qu’il pouvait répéter jusqu’à deux mille mots dans le même ordre qu’il les avait entendus[32]. Il n’est pas invraisemblable que sur le temps qu’il a mis à apprendre et à transcrire l’esprit d’autrui, il ait pris quelques moments pour faire une tragédie. Aussi bien, en mettant un peu de subtilité, on pourrait trouver dans le recueil, une ou deux pièces un peu plus pâles et un peu plus simplement écrites, ce qui dénoterait tout à la fois un homme de plus de mémoire que d’imagination, et un écrivain plus près des traditions du siècle d’Auguste. Marcus Annæus est, en effet, contemporain de ce prince, et il vit les dernières années d’Auguste et de Tibère.

2° Notre Sénèque, fils de ce Marcus, dont tout le monde sait la biographie.

3° Lucius Annæus Méla, autre fils de Marcus, homme lettré aussi, dont Marcus faisait grand cas, plus de cas même que de Sénèque, lainé de Méla. Ce Méla aimait mieux l’argent que les honneurs ; il préféra la fonction d’intendant du palais ou de publicain au titre de consulaire : mauvais calcul sous Néron ; car si, en fuyant les honneurs, on échappait à sa jalousie politique, en recherchant l’argent, on irritait son avidité. Méla se fit mépriser pour son ardeur à recueillir la fortune de son fils Lucain ; mais Néron ne lui laissa pas le temps d’en jouir : il fallut bientôt que Méla mourût de la mort des Sénèque, c’est-à-dire qu’il se coupât les veines. Chose étrange ! Voila trois hommes de cette famille, dont la dernière action est une mort héroïque, l’avant-dernière, un crime ou une lâcheté. Sénèque le philosophe supplie Néron d’accepter le don de tous ses biens, comme la rançon de sa vie menacée ; Néron lui laisse ses biens et lui prend sa vie. Méla, frère de Sénèque, n’attend pas, pour faire acte d’héritier, que le corps de Lucain, son fils, soit refroidi ; il se jette sur ses biens comme sur ceux d’un proscrit, d’abord pour les biens, ensuite pour montrer à Néron qu’il regrette peu celui dont il hérite. Néron lui fait dire que ce n’est pas assez de ne pas regretter Lucain, mais qu’il faut le suivre ; et Méla se tue. Enfin, Lucain, fils de Méla et neveu de Sénèque, dénonce sa mère pour sauver sa vie : Néron profite à la fois de la lâcheté de Lucain pour le déshonorer, et de sa mort pour s’en débarrasser. Ces trois Sénèque finissent mal leur vie, mais ils en sortent bien. Leur mort est une expiation ; mais cela n’atténue pas la responsabilité de Néron, qui les a fait lâches et qui les assassine.

4° Le quatrième serait Lucain[33]. On partagerait les dix tragédies entre ces quatre personnages ; à l’exception d’Octavie pourtant, très médiocre ouvrage, qui n’est d’aucun des Sénèque, d’abord parce qu’il est sans esprit, et ensuite parce qu’il ne pourrait guère être que de Lucain, le sujet étant Octavie répudiée par Néron.

Maintenant, quelle serait la part probable de chacun ?

Je n’ose aller jusqu’à faire ce partage. J’en aurais même trop dit sur l’origine déjà des tragédies dites de Sénèque, si cette recherche n’avait été une occasion naturelle d’apprécier le caractère moral et philosophique de ces pièces.

Il me reste à examiner les tragédies dites de Sénèque sous le point de vue purement littéraire. Soit qu’on les considère comme l’ouvrage de Sénèque, soit qu’on les attribue à trois ou quatre auteurs différents, soit qu’on en fasse un recueil domestique de la famille des Sénèque, soit enfin qu’on, se résigne à les étudier comme l’œuvre anonyme, d’une époque, ces tragédies sont un curieux monument de décadence littéraire.

 

II. Quelques réflexions préliminaires sur la tragédie romaine. - Appréciation des tragédies dites de Sénèque, sous le point de vue purement littéraire. Déclamations en vers.

Il importe de remarquer que les tragédies dites de Sénèque n’ont point été faites pour la représentation. Si on les jugeait comme pièces de théâtre, écrites pour être jouées devant un peuple ; on pourrait, d’une part, ne pas toujours les comprendre, et, d’autre part, ne pas toujours leur rendre justice. Ainsi, on s’exagérerait l’inconvenance de certains développements très ridicules, en effet, pour la scène, mais très bons pour une lecture, publique ; mais, ce qui est bien pis, on risquerait de se tromper tout à fait sur les dispositions du people, en lui supposant un certain degré de patience ou de mauvais goût qu’il n’aurait pas eu en, réalité. Ce n’est pas qu’en ce qui regarde les tragédies dites de Sénèque, et l’époque où elles auraient pu être représentées, on dût beaucoup calomnier le peuple en l’accusant de tout le mauvais goût possible ; mais on pourrait le calomnier, en le supposant plus patient qu’il n’était ; et c’est sous ce rapport que toute hypothèse qui présenterait les tragédies dites de Sénèque comme des ouvrages scéniques serait une grave erreur historique. Pour nous surtout qui avons pris pour tâche d’expliquer les mœurs par les, livres et les livres par les mœurs, il y aurait un vice impardonnable de critique à ne pas préciser au juste à quelles mœurs particulières s’adresse tel ou tel livre, et, par exemple, à prêter à un prétendu public de théâtre des goûts qui n’ont appartenu qu’à un auditoire de lecture publique. Cette considération a échappé à certains critiques qui ont jugé les tragédies dites de Sénèque au point de vue du théâtre et de la représentation. scénique. Il en est résulté que Sénèque a été chargé de fautes qu’il n’avait, ni faites ni pu faire. On l’a accablé de certains contresens de théâtre qu’il n’avait pas même songé à éviter ; et sur les points où il, y avait à redire, on lui a fait la part plus belle qu’elle ne méritait. Je ne veux pas faire comme ces critiques, et je tâcherai de me tenir au point de vue de la lecture, qui est le seul vrai.

Les tragédies de Sénèque n’ont point été écrites pour la représentation. C’était depuis long temple sort de la tragédie romaine. Ici je hasarderai quelques réflexions sur cette tragédie, qui n’a guère existé que de nom.

 

Pourquoi Rome n’a pas eu de tragédie.

Quintilien nous parle de certains, chefs-d’œuvre qu’on lisait encore de son temps, et qui étaient, comparables à la tragédie grecque. Cette opinion de Quintilien peut bien n’être qu’une pointe d’orgueil national, assez semblable à celte qui voudrait faire à toute force de la Henriade une épopée, afin qu’il ne soit pas dit que la France est sans épopée. J’avoue que je crois peu aux chefs-d’œuvre qui ont disparu, et encore moins à de belles tragédies de cabinet. Dans ma conviction, et dans la conviction de tous les critiques, il n’y a pas eu, à proprement parler, de tragédie romaine. Mais pourquoi cela ?

On ne peut guère expliquer l’absence d’un art quelconque, dans un pays civilisé, que par l’absence de certaines conditions locales, soit religieuses, soit politiques, soit de mœurs, qui, dans un autre pays civilisé, ont enfanté et fait fleurir cet art. Quand on voit la tragédie naître dans Athènes, comme un fruit du sol, comme le thym de l’Hymette, et, au contraire, végéter dans Rome civilisée, s’y essayer timidement, s’y faire protéger et recommander par les hommes puissants, puis, après d’inutiles avances au public qui n’en voulait pas, retirer toutes ses prétentions à la publicité scénique, pour se réduire à celle des lectures, on ne peut rien dire d’utile et de décisif sur cette question qu’en comparant les conditions qui ont favorisé cet art à Athènes avec celles qui l’ont rendu impossible à Rome. Cette comparaison portera principalement sur les mœurs, et tout ce qui touche aux mœurs est de mon sujet.

Quelles ont été les conditions locales auxquelles Athènes a dû son théâtre tragique, son Eschyle, son Sophocle, son Euripide ?

Il y en a eu de trois sortes :

Il y a eu des conditions littéraires ;

Il y en a eu de politiques et de religieuses ;

Il y en a eu de sociales.

 

I. — Conditions littéraires.

La tragédie grecque a été précédée par l’épopée grecque. Elle trouva dans l’épopée ses sujets et ses premières règles. Troie tombée, et les oracles accomplis, les hommes d’Homère sont rentrés dans la maison, dans l’Hestia, après la dissolution de la grande confédération pélasgique. Ils ont rapporté leurs os dans leur patrie. Eux morts, leurs fils ont porté la peine de la gloire de leurs pères ; les dieux qui avaient juré que les haines ne survivraient pas à là chute de Troie, les ont accablés de tous les maux. Il y a eu d’épouvantables catastrophes de maisons royales : d’anciens oracles, qui promettaient à L’Asie vaincue de sanglantes représailles, ont été accomplis ; après l’épopée est venu le drame. Le drame a pris les hommes où les avait laissés Homère, c’est-à-dire déchus de leur majesté épique, et réduits aux proportions de la scène, mais toujours rois ou fils de rois, toujours enfants d’un glorieux lignage, car si les pères sont fils, les enfants sont petits-fils des dieux. La tragédie, c’est donc la continuation de l’épopée. Homère avait embrassé dans son œuvre toute la Grèce héroïque ; les tragiques se la partagent entre eux. Homère avait chanté la grande nation fédérée ; les tragiques chantent les royautés locales ; ce n’est plus un monde, ce sont des familles : mais il n’y a rien d’importé. Tout vient d’Homère ; la grande querelle de l’Iliade, qui se prolonge jusque dans la postérité des rois, est toujours l’unique fond des tragédies ; les tragiques n’ont eu à inventer ni les hommes ni les mœurs ; ils les ont reçus d’Homère. Eschyle, celui des trois tragiques grecs qui lui doit peut-être le moins, disait de ses pièces qu’elles n’étaient que des reliefs des festins d’Homère.

Voilà pour les sujets. Quant aux règles, les plus générales sont dans Homère. J’entends par règles, non -pas ces lois que les rhéteurs, venus après les poètes, ont exprimées et rassemblées en un code, mais l’art dans ce qu’il a de plus philosophique, de plus profond ; l’art qui développe les passions et met en action les caractères. J’entends encore l’ordre et la mesure, et ce goût qui consiste à choisir, dans la peinture des caractères, les traits les plus généralement vrais, et qui vont au plus grand nombre d’intelligences. Or, tous ces secrets sont déjà dans Homère. Priam et Hécube ont eu la langue de la plainte avant Œdipe et Jocaste. Andromaque est l’aînée d’Antigone, Toutes les passions développées dans la tragédie avaient été indiquées sommairement dans l’épopée. Homère avait passé par toutes les voies qui vont au cœur, et, à ne regarder dans son œuvre que l’arrangement et la mise en scène, on aurait pu découper de beaux drames dans son épopée.

Sous ces deux rapports, soit comme mine inépuisable de sujets dramatiques, soit comme tradition élémentaire d’art, l’épopée homérique épargnait aux auteurs des tragédies, d’une part, les plus pénibles difficultés de l’invention ; d’autre part, toutes les superfluités et tous les tâtonnements d’un art qui n’a point de passé. Et cela était un fait si connu en Grèce, si populaire, et dont l’amour-propre des poètes s’offensait si peu, qu’un roi d’Égypte, un des successeurs d’Alexandre, fut très applaudi pour avoir fait bâtir, en l’honneur d’Homère, un temple où ce grand poète était assis sur un trône d’or, entouré des statues des villes qui se disputaient sa naissance, avec une source sortant de sa bouche, où tous les poètes venaient puiser.

 

Autres conditions littéraires. - L’amour de l’art. - L’importance des poètes dans l’État.

Il faut ajouter à ces deux conditions l’amour de l’art, qui était immense, et l’importance du poète dans l’État.

Il nous est resté de curieux témoignages de cet amour de l’art, tel qu’on le sentait du temps des tragiques grecs. Eschyle, vaincu par Sophocle dans un concours poétique, au jugement de Cimon et des neuf généraux ses collègues, sortit d’Athènes, et alla cacher dans l’exil sa vieillesse désolée d’un échec littéraire. Athènes tout entière était partagée entre Sophocle et Euripide. On s’attaquait et on se répondait par des pièces de théâtre, et non par des systèmes. Euripide, vaincu comme Eschyle, par le même Sophocle, et plus tard par d’autres rivaux, s’exile aussi de sa patrie, et s’en va mourir à la cour d’Archélaüs, roi de Macédoine. Dévorantes rivalités, niais dont l’art profitait, et qui font autant d’honneur aux poètes qui en souffrirent, qu’au peuple qui mettait ainsi la gloire au concours.

Athènes donnait des gouvernements et des commandements militaires à ses poètes. Eschyle, soldat à Marathon, serait devenu général, si son caractère, impatient et jaloux, ne lui eût pas ôté la tenue et l’esprit de suite qu’exige le commandement. Sophocle, pontife et général, collègue de Périclès et de Thucydide, défendit sa patrie dans la guerre, l’administra pendant la paix, l’édifia comme chef de la religion, l’illustra comme poète. Homme heureux entre tous, qui eut la beauté, la santé, la richesse et le génie, et qui s’éteignit sans agonie, sans douleur, la veille du jour où la liberté d’Athènes allait périr par la main des étrangers. Euripide possédait l’éloquence, l’imagination qui peint, l’invention qui crée ; il était ambitieux, avide de pouvoirs et d’honneurs ; mais une extrême mobilité d’esprit le fit échouer dans sa prétention aux affaires. Il blessa plusieurs fois les Athéniens, peuple fin et susceptible, tantôt dans leurs croyances religieuses, tantôt dans leurs préférences littéraires. Le poète, repoussé des honneurs, s’en vengea par des allusions railleuses contre les orateurs, contre la démocratie, contre toutes les institutions de son pays ; on lui laissa la liberté des allusions, mais on le tint éloigné du pouvoir, et il fallut qu’il se résignât à n’être qu’un poète dans un pays dont Sophocle, son concurrent, avait été le premier magistrat.

Et non seulement le poète pouvait être le premier homme politique dans son pays ; mais le même homme qui briguait les suffrages de ses concitoyens pouvait avoir été vu sur un théâtre jouant un rôle dans quelque tragédie de Sophocle ou d’Euripide. Eschine commença par être acteur, et si Démosthènes- n’avait eu que ce reproche à lui faire, Eschine eût pu disputer à Démosthènes le gouvernement de la république. L’art était mêlé aux institutions, ou plutôt l’art était une des institutions ; nul n’y pouvait être le premier sans génie ; mais quiconque y était le premier pouvait devenir le chef de son pays. C’est que l’art n’était pas le rêve solitaire de tel poète, ni le système particulier de tel autre, mais l’ouvrage de tout le monde. L’aptitude à l’art n’excluait aucune autre aptitude, parce que c’était le même esprit qui gouvernait l’État et qui dirigeait l’art, et les mêmes juges qui donnaient leur suffrage à l’homme d’affaires et au poète. Admirable harmonie, dont l’époque de la décadence latine nous offrira une triste parodie : car dans la Rome impériale aussi, les poètes seront consuls ; mais c’est parce qu’il ne faut guère plus d’aptitude pour être consul par la grâce de César, que pour être poète par la grâce d’un auditoire d’amis.

 

II. — Conditions religieuses et politiques.

La tragédie grecque trouve une religion nationale, et cette religion, c’est encore la religion d’Homère. Les dieux qui assistaient au siége de Troie, les dieux jaloux et violents qui se mêlaient aux combattants, ces (lieux qui se faisaient voir à la terre, sont remontés dans l’Olympe, pour n’en plus redescendre. Désormais ils ne communiqueront plus avec les hommes que par la voix des oracles. C’est d’ailleurs le même Olympe et les mêmes dieux passionnés et jaloux ; et si la civilisation et la philosophie ont adouci leurs mœurs, si farouchesdans1lomère, elles n’ont osé toucher ni à leur caractère consacré ni à leurs attributs. Euripide, qui était incrédule, laisse percer dans une de ses tragédies quelques doutes ironiques sur la divinité de Jupiter ; le peuple athénien couvre ce passage de ses murmures, et force le poète, à la représentation suivante, de confesser hautement Jupiter. La religion est encore une institution nationale ; tous ceux qui y croient, y croient de la même façon ; il n’y a que des fidèles ou des incrédules, mais point de schismatiques. Cette remarque aura quelque importance par la comparaison avec l’état des croyances religieuses à Rome.

Les tragiques n’ont donc rien eu à imaginer ni en sujets, ni en art, ni en religion ; la Grèce a tout fourni, ses hommes héroïques, ses dieux, son épopée homérique ; elle va leur fournir encore toute son histoire politique. Les catastrophes des maisons royales, ce sont les histoires locales de la Grèce ; Œdipe, Thésée, Ménélas, ce sont des noms de rois qui ont régné sur la Grèce. Démosthènes rappelait aux Thébains, dans une chaude proclamation, qu’Athènes avait donné autrefois l’hospitalité au roi Œdipe. Sophocle trouvait dans le petit bourg de Colonne, où il était né, des traditions populaires sur la mort mystérieuse de ce roi, enlevé par les dieux dans un orage. L’histoire merveilleuse et l’histoire positive se confondaient ensemble, et personne n’eût osé les séparer ; les historiens étaient crédules pour être populaires. En Grèce donc la tragédie n’est que l’histoire religieuse et politique du pays et des hommes du pays.

 

III. — Conditions de mœurs.

J’entends par des conditions de mœurs celles qui regardent plus particulièrement les mœurs du théâtre, les habitudes que le peuple y portait, l’aptitude qu’il avait à juger les pièces, non seulement comme drames, mais comme ouvrages de poésie et de langue. Sous ce rapport, jamais peuple ne fut plus intelligent, plus fin, plus judicieux, que le peuple d’Athènes ; jamais peuple ne fit mieux les affaires de l’art, hélas 1 alors même qu’il faisait le plus mal les affaires de sa liberté et de son indépendance. Ce peuple avait été élevé par Homère ; les filles d’Athènes chantaient ses vers dans les fêtes des dieux. On ne chargeait pas un poète officiel de célébrer les victoires d’Athènes aux frais de l’État : c’était le privilège du poète qui avait eu la gloire de remporter le prix de la poésie. Sophocle, encore adolescent, lut publiquement des poésies en l’honneur de la bataille de Salamine.

Ce peuple-là devait périr par son amour pour l’esprit et pour l’éloquence ; il,sut quelquefois se défendre contre l’ambition d’un général heureux, mais jamais contre les grâces d’un bel organe, contre l’esprit, contre l’éclat oratoire. C’est pendant qu’il écoutait dans les concours poétiques les vers de deux rivaux, ou, sur la place publique, les harangues de deux adversaires politiques, et qu’il était tout âme et tout oreilles dans ces spectacles d’esprit et de beau langage, que les barbares de Sparte et de Macédoine firent main basse sur cette nation enivrée de poésie et d’éloquence. On lui laissa ses vers et ses concours : mais ni les vers ni les concours ne lui rendirent l’art de Sophocle et d’Homère ; car dans tout pays où l’art est enfant de la liberté, l’esclavage le tue, de même que, par un étrange contraste, l’art périt par la liberté dans les pays où il était né de l’inoccupation politique et des pensions des princes.

Le peuple d’Athènes est frivole ; — dans les affaires politiques, oui : quoique l’on sache que là même il eut de bien beaux moments d’application et de gravité ; mais dans l’art il n’est jamais frivole. Voyez s’il hésite entre Eschyle et Sophocle, entre Sophocle et Euripide. Et cependant Eschyle avait plus de spectacle et de pompe que Sophocle ; l’apparition des furies dans une de ses pièces faisait accoucher des femmes sur le théâtre : son drame impétueux, gigantesque, sombre, parlait bien plus à l’imagination qu’au goût ; et nous savons que, chez le peuple, l’imagination est la source de bien plus de jugements et de préférences que le goût. De son côté, Euripide, par ses railleries si divertissantes pour un peuple railleur, par ses allusions quelque peu impies, par sa mauvaise humeur, par ses épigrammes contre les hommes au pouvoir, par toute cette indépendance philosophique qu’on a. comparée ingénieusement à celle de Voltaire, caressait surtout celles des passions populaires qui font les rapides succès, mais aussi les succès passagers. Toutes ces avances rie firent pas broncher le peuple d’Athènes : quand il fallut applaudir Eschyle, il l’applaudit ; Euripide, il l’applaudit ; mais quand il fallut dire lequel de ces trois tragiques ferait le plus d’honneur dans l’avenir à la ville de Minerve, le peuple d’Athènes nomma Sophocle.

Le même peuple, ne voulant pas être distrait des beautés puissantes d’Eschyle par le dégoût de ses bizarreries, autorisa les poètes postérieurs à corriger ses pièces, et les admit, ainsi corrigées, à concourir avec celles des auteurs vivants ; ce qui faisait dire qu’Eschyle avait remporté plus de prix après sa mort que pendant sa vie. Cela nous choquerait, nous autres, et je le comprends, parce que chez nous L’art n’est pas la propriété de tout le monde ; chacun a le sien et méprise celui d’autrui : ‘mais à Athènes, le peuple disposait de l’art comme d’un bien lui appartenant en propre ; il y faisait des changements comme à ses institutions ; il l’amendait comme une loi nationale.

Le peuple athénien était passionné pour le théâtre, et principalement pour la tragédie. Il y voyait représenter ses glorieuses origines, sa religion, ses haines nationales, ses grands hommes, ses demi-dieux, Thésée surtout, le héros du peuple d’Athènes, le nom qu’il associait à tous ses souvenirs de gloire, qu’il mêlait à toutes ses fêtes, à tel point qu’il fallut que Polygnote, dans son tableau de Marathon, fit assister Thésée à cette bataille. Il y voyait entretenir religieusement ses antipathies contre Sparte, et Ménélas par exemple, le roi de Sparte, Ménélas, si grave, si prudent, si valeureux dans Homère, représenté dans toutes les tragédies athéniennes comme un homme lâche et cruel, et sans cesse injurié, au milieu d’allusions méprisantes aux coutumes lacédémoniennes. Le drame s’inspirait ainsi des gloires anciennes d’Athènes et de ses gloires récentes ; le peuple y assistait à son présent et à son passé. Il ne pouvait pas y avoir, pour la plus spirituelle nation du monde, un spectacle plus attachant qu’un drame né du sol, ayant toute la saveur d’un fruit indigène, et qui répondait à la fois à tous les besoins d’esprit de cette nation, à son orgueil, à sa jalouse indépendance, à son goût passionné pour tous les arts, à toutes ses qualités solides comme à tous ses défauts, à tous ses contrastes à la fois. Aussi n’est-ce point à Athènes, que le peuple demanda qu’on chassât la tragédie du théâtre, pour y faire combattre des lions et des ours.

Quant à la délicatesse de ce peuple sur sa langue, à l’exquise finesse de son oreille, rapportons-nous-en à cette marchande d’herbes qui reconnaît un étranger dans Théophraste à je ne sais quelle grâce attique qui lui manquait, encore qu’il habitât depuis vingt-cinq ans à Athènes. Ainsi, c’était peu d’être lié Grec, d’avoir été vingt-cinq ans Athénien, d’être lettré et savant, il fallait encore être enfant de la ville de Minerve, pour n’y pas blesser l’oreille d’une marchande d’herbes.

Cette délicatesse s’explique surtout par la composition de ce peuple : c’était du pur sang athénien, sans mélange d’alliances étrangères. Le peuple, décimé dans la guerre, se renouvelait par lui-même dans la paix. Athènes d’ailleurs ménageait le sang de ses enfants ; elle ne les commettait avec l’ennemi que dans les grandes occasions. Les guerres ordinaires se faisaient plus par les alliés que par les citoyens. De cette sorte, la race se conservait, et dans cette race toujours la même, les traditions de religion, d’histoire, d’origines nationales, se maintenaient intactes, et surtout la langue, laquelle n’admettait pas plus les idiomes étrangers que la nation n’admettait le mélange des races. Ton seulement tout le monde comprenait cette langue, mais tout le monde y excellait. Il n’y en avait pas de dépôts particuliers ici ou là, ni d’académie qui décidât du bon et du mauvais langage ; la langue s’enseignait sur la place publique, au théâtre, dans les fêtes religieuses : l’orateur, le poète, le pontife parlaient la même ; la même s’adressait aux passions de la place publique et aux plus nobles facultés de l’intelligence ; la même était entendue des dieux et des hommes. Par cette publicité dans le sein du même peuple, elle se conservait pure, claire, populaire : la langue était universelle et point individuelle ; l’idée des langues individuelles ne vient que dans les pays où la langue nationale va périr.

J’insiste à dessein sur cette composition du peuple athénien, parce que ce fait a exercé une influence presque souveraine sur le drame grec. Les autres ouvrages d’art peuvent, jusqu’à un certain point, se passer du suffrage et du contrôle du peuple, et il y a des exemples de littératures aristocratiques pour lesquelles le peuple n’a pas été consulté, et ne pouvait pas l’être ; mais dans les choses de théâtre, l’intervention du peuple est nécessaire et son suffrage souverain. J’en tire la conclusion que là où le peuple a du goût et des lumières, là où il est l’enfant du sol, sans altération ni mélange, et la première de ces conditions est la conséquence de la seconde, là seulement fleurira l’art dramatique. Là, au contraire, où manque un peuple qui se perpétue dans son intégrité, toute la puissance de la plus brande aristocratie qui ait été au monde, toute l’influence des plus grands noms de cette aristocratie ne viendront pas à bout d’enfanter le plus chétif drame. C’est ce qui s’est vu chez les Romains.

 

De l’absence à Rome des trois conditions précitées, et de ce qui en résulte.

A Rome, le peuple n’est pas romain. A l’époque où les lettres y prirent un grand développement et où la tête de la- nation avait assez de lumières pour que tous les ouvrages d’art y fussent cultivés avec succès, il n’y avait plus à proprement parler de peuple romain. Quelques familles nobles, les citoyens qui occupaient les grands emplois, l’ordre équestre, en partie du moins, c’était là tout ce qui restait de pur sang romain. Le peuple avait disparu dans les guerres ; et, comme a dit énergiquement un historien de notre temps, il avait laissé ses os sur tous les rivages. Des camps, des urnes, des voies éternelles, voilà tout ce qui devait rester de lui[34]. L’Italie envoyait ses enfants mourir dans les pays lointains, et recevait en compensation des millions d’esclaves. Rome, dépeuplée de Romarins, se recrutait d’affranchis, esclaves et fils d’esclaves, ramassés de tous les coins du monde. Dès le temps des Gracques, ce faux peuple remplissait déjà le Forum, et faisait les affaires des Italiens et des Romains. A. la place du vrai peuple, absent ou détruit, il gouvernait Rome, et par Rome, le monde. Pour la politique, ce n’était peut-être pas un grand mal. L’étranger naturalisé à Rome prenait bientôt l’esprit de sa patrie adoptive. Les affranchis, fils de captifs africains ou espagnols, comprenaient à merveille les intérêts de Rome ; avec le nom romain, ils prenaient l’orgueil et l’égoïsme romain. Ce peuple parvenu avait de grandes pensées ; ces faux fils de l’Italie, comme les appelait Scipion l’Émilien interrompu par leurs clameurs, étaient tout aussi jaloux de la grandeur de Rome, et tout aussi persuadés de son éternité que la race d’élite qui l’avait fondée.

Mais pour la tragédie rien ne pouvait être plus funeste que l’absence d’un peuple romain à Rome. Un vrai peuple eût conservé les traditions des origines nationales, de la religion, de la langue ; un faux peuple n’a point d’origines nationales, point de religion, point de langue : sa langue est un patois.

Or, de tous les ouvrages d’art, aucun n’a plus besoin de ces trois choses que la tragédie.

Pour le faux peuple de Rome, il n’y a pas d’origines nationales. Un Africain ne peut guère s’intéresser à Romulus et à Remus ; un Espagnol se soucie fort peu de Numa, un Gaulois de Tarquin et de Lucrèce. Ces Romains-là datent d’hier ; ils ont des ancêtres à Carthage, à Numance ou en Gaule : ils n’en ont point en Italie. A la vérité, ce qui reste de Romains à Rome n’en sait guère plus que les Romains parvenus sui les origines nationales. Il y a quelques souvenirs confus à ce sujet, presque tous gardés et altérés par les prêtres, et dont nul n’a le temps de s’occuper ; c’est là tout : l’affaire de Rome, c’est la guerre ; elle n’a pas le loisir de connaître son passé, tant elle est pressée de réaliser son avenir. Les nations ne font de l’érudition que dans la paix, et c’est par l’érudition qu’elles retrouvent leurs origines. Rome sera quelque jour érudite : c’est quand sa tâche militaire sera remplie ; elle retournera vers le passé, parce qu’elle n’aura plus d’avenir. La Rome des Scipions ne sait pas d’où elle est sortie.

Cependant, comme les lumières y sont venues de la Grèce sa conquête, les premiers qui en ont été éclairés ont voulu avoir des origines ; les grands noms surtout ont voulu avoir des ancêtres. On a donc commandé des origines et des ancêtres à des écrivains grecs, lesquels ont recueilli, sans choix et sans critique, les traditions des prêtres, et ont donné libéralement aux familles nobles tous les titres d’ancienneté qu’on leur a demandés. Le peuple est resté parfaitement étranger à tout cela ; l’œil fixé sur le Capitole, il a continué à regarder en avant, et n’a compris l’éternité promise à Rome que comme une chose qui ne devait pas finir, et non comme une chose qui avait commencé.

J’en dirai autant de la religion ; elle y est aussi peu fixée que les origines nationales ; et pour le peuple étranger, campé dans ses murs, il n’y a que des superstitions particulières et point de religion publique. Les amours de Mars et d’Ilia ne sont point dans la mythologie du Carthaginois. Le Germain connaît Teutatès, mais point Jupiter. Qu’est-ce que la nymphe Égérie et son commerce mystérieux avec Numa, pour le Gaulois amené à Rome du fond de ses forêts, où l’on cueille le gui sacré ? L’Espagnol ne comprend rien aux boucliers échancrés tombés du ciel. La religion de ces peuples se compose d’un souvenir confus des religions locales et d’un respect ignorant de la religion romaine. Là encore, l’état des croyances est à peu près le même dans l’aristocratie que dans le peuple. L’aristocratie, qui est gagnée à la Grène, en fait venir des dieux pour l’usage de Rome : l’Olympe grec est apporté à Rome dans les bagages du vainqueur. C’est la destinée de Rome, en religion, en lois, en littérature, de ne vivre que d’emprunts. Quand elle veut des lois, elle en envoie quérir par ses ambassadeurs ; quand elle veut des dieux, elle va piller ceux d’autrui ; quand elle veut une littérature, elle la fait venir de l’étranger. Elle n’a d’initiative et d’originalité que par l’épée.

Au-dessus des croyances bâtardes de ce peuple, mêlées comme son sang, et des croyances d’acquisition et de conquête de l’aristocratie, il y a une espèce de religion de police, entretenue par l’État, dont les dogmes ne sont pas écrits, qui s’entend avec les gouvernants pour exploiter, au profit de la politique, l’esprit de superstition commune qui est au fond de toutes les croyances particulières. Ses pontifes sont à la fois magistrats et chefs militaires, et elle n’intervient activement et avec une autorité révérée que dans les choses de la guerre, pour prédire des victoires et, en les prédisant, les commander. Tout cela est vide de poésie, et stérile pour le drame.

Reste la langue et ce qu’elle devient dans ce peuple qui en parle une demi-douzaine d’étrangères. Nous voilà loin du purisme de la marchande d’herbes d’Athènes. Le peuple romain n’entend pas le latin ou l’entend mal. L’aristocratie parle un latin pur, fleuri, plein d’harmonie, le latin de Térence. Le peuple parle un patois énergique, comme tous les patois, pittoresque, je le veux bien, mais qui a le tort de n’être qu’un patois. Il s’y trouve un peu de toutes les langues conquises. Ce patois ne fera pas une littérature ; cela n’est donné à aucun patois. Pourquoi Plaute est-il applaudi ? c’est qu’il mêle au latin de l’aristocratie le jargon bizarre de la place publique. Pourquoi Térence est-il sifflé ? c’est qu’il parle en bon latin. Térence a beau se présenter sous le patronage des noms les plus populaires de Rome, il a beau implorer dans ses prologues la faveur du peuple romain, et lui demander humblement la permission de l’amuser pendant quelques heures ; le peuple, ennuyé de toutes ces délicatesses de style, de toutes ces grâces de langage, qui font pâmer d’aise les premiers rangs des gradins, couvre de son immense clameur la voix des comédiens, et quitte la pièce au troisième acte pour aller voir danser des éléphants ou des funambules.

Cependant une espèce de comédie a été possible à Rome ; c’est celle de Plaute. Le ridicule et la bouffonnerie ont, en tout pays et devant toute espèce de peuple, la chance (le faire rire. Le rire n’exige pas de civilisation ; les larmes, surtout celles de choix, telles que la tragédie grecque en savait tirer des yeux du peuple athénien, veulent au contraire une civilisation avancée. Le même peuple qui applaudit des danses d’éléphants ou des combats de tigres, pourra bien trouver de l’amusement à des tours d’escroc, à des amours de filles de joie, à des cris de femme en couche, à des tours de gibecière,a des désappointements d’avares, à des gourmandises de valets, surtout si le poète qui lui fait cette espèce de comédie se résigne à lui parler dans la langue des carrefours. C’est pour cela que Plaute a du succès. Ses mœurs grecques travesties font rire le peuple ; et encore y a-t-il moins dans ce rire une vraie sympathie comique que la joie d’un sauvage qui se moque d’un peuple policé, et d’un vainqueur qui rit d’un vaincu. N’importe, Plaute trouve à débiter sa denrée gréco-romaine. Ses pièces se vendent un bon prix aux édiles. Mais Térence est abandonné, parce qu’il ne recherche pas le rire franc : Térence vise au succès des larmes, depuis qu’il a vu pleurer à ses lectures la femme et la fille de Scipion. Est puis Térence parle la langue des grandes maisons au peuple des carrefours. On se moque donc de ses patrons et de ses prologues insinuants, et on le quitte.

Si la comédie larmoyante et le langage exquis de Térence ne peuvent pas trouver grâce devant le peuple, que peut en attendre la noble et plaintive tragédie, qui prétend faire pleurer tout de bon., et ne parler que dans la langue des dieux !

Je ne me rends pas compte de ce que pouvait être un drame vraiment romain. Horace parle de tragédies dont les sujets étaient domestiques[35] ; il y eut des essais de tragédies romaines ; mais quels ont été ces essais ? Je ne puis me former une idée d’un drame s’inspirant de ces origines confuses, de ce passé si ténébreux et si peu riche, même après que de complaisants historiens grecs, à la solde des familles nobles, y eurent cousu quelques événements merveilleux, ni d’un ouvrage de haute poésie osant s’aventurer devant un public qui, au dire du même Horace, mettait en fuite le poète le plus inventif, et laissait la sa pièce pour demander les combats du pugilat[36]. La raison que donne Horace de l’insuccès de ces tragédies parait superficielle. C’est, dit-il, que nos auteurs n’ont pas le courage de limer leurs vers. Raison d’Art poétique, peut-être, critique de législateur du Parnasse, mais dont l’histoire ne peut se contenter. A quoi bort d’ailleurs les poètes auraient-ils limé leurs vers ? Est-ce qu’une tragédie dans le style que demandait Horace aurait en plus de faveur que la comédie de Térence ?

Assurément les poètes de la Rome d’Auguste n’étaient pas plus mal doués que Sophocle et Euripide. Avant la Rome d’Auguste il y avait eu des hommes de génie : ce ne furent donc pas les hommes qui manquèrent à l’art, mais le pays. Rome n’avait pas dans son passé les éléments d’un drame national. La Grèce avait des origines, des épopées, des mythes, des légendes, une histoire mystérieuse dans laquelle les dieux sont toujours mêlés avec les hommes ; Rome n’avait rien de tout cela. La Grèce savait d’où elle était sortie, Rome ne le savait pas. En fait de dieux, Rome n’en avait que d’importés ; eu fait de demi-dieux, elle présentait son Romulus fort suspect ; demi-dieu fait à huis clos. Rome n’avait pas, comme la Grèce, un Homère qui illuminait tout son passé, qui lui redisait sans cesse de la part de Jupiter ses divines généalogies, et pourquoi les dieux avaient aimé par-dessus tout cette terre favorisée, et la mer qui la baignait, et les îles de cette mer où s’étaient rencontrés tant de fois le char glissant des dieux et les frêles vaisseaux des mortels ; où il s’était dit tant de prières aux vents, aux astres, aux nuages ; où avaient passé et repassé, même avant le poète, tant de civilisations errantes, tant de peuples allant en quête d’une patrie, et transportant d’une rive à l’autre leurs lois, leurs langues, leurs religions.

Quand Rome fut la, maîtresse du monde par la force de son épée, et sur la foi de je ne sais quels oracles de fabrique, l’orgueil lui vint d’avoir un passé et de descendre des dieux. Virgile fit tout ce qu’il put pour satisfaire cette fantaisie ; mais toute son imagination, aidée de toute sa complaisance, ne trouva. rien de mieux pour Rome que de la faire venir d’une colonie troyenne, et pour Auguste, que de lui donner pour ancêtre un petit-fils de Vénus : au lieu que les moindres roitelets de la Grèce héroïque avaient tous pour père ou pour aïeul le grand Jupiter. Et remarquez que ces ingénieux mensonges, dont ni Virgile ni Auguste n’étaient dupes, ne s’adressaient point au peuple, mais aux esprits de choix : or, encore une fois, ceux-là pouvaient bien s’accorder pour faire une épopée postdatée, et pour se donner telle origine qu’il leur plaisait dans des poèmes qui échappaient au contrôle du peuple ; mais il leur était défendu de faire un art dramatique sans le concours du peuple, et par conséquent sans son contrôle. Le drame n’est l’œuvre littéraire la plus indigène et la plus originale d’un pays que parce qu’il ne peut pas se faire sans le peuple, et parce qu’il faut que le peuple le débatte en plein théâtre. Rome n’eut point de drame parce qu’au temps où sa civilisation pouvait le lui donner elle 11’eut point de vrai peuple. On peut faire sans le peuple toute une très belle littérature d’imitation, et c’est ce que fit la Rome aristocratique ; on ne fait pas de drame. En semant son vrai peuple sur tous les champs de bataille, elle perdit la gloire de la tragédie, une des plus belles de l’esprit humain ; mais elle eut en compensation la gloire de vaincre le monde : il y avait de quoi la dédommager.

En résumé, un draine national n’était pas possible à Rome : quant à la belle et touchante tragédie d’Athènes, que serait-elle venue faire au milieu de ce peuple d’usuriers et de soldats, avec toutes ces délicatesses d’art qui charmaient l’intelligente population d’Athènes ? Quel intérêt pouvaient prendre ces masses bruyantes et sans goût aux hommes de la légende homérique, aux chutes des vieilles monarchies, à ces incestes, à ces assassinats qui ont dépassé les proportions humaines, crimes communs aux dieux et aux hommes, que les juridictions de la terre ne peuvent atteindre ? Quelle pitié pouvaient-ils avoir de ces fils maudits, de ces royautés errantes et aveugles, de ces jeunes filles pendues aux bras des vieillards, ou penchées comme de belles statues sur des urnes funéraires, ou ensevelissant de leurs mains le corps d’un frère, et toujours, au milieu des plus douloureuses épreuves, conservant la grâce et la beauté, n’ayant jamais de ces larmes qui sillonnent les joues et ensanglantent les yeux, ni de ces douleurs grimaçantes dont l’invention remonte à Sénèque ? Et si la tragédie, ainsi transplantée de la Grèce sur le théâtre de Rome, avait su, comme l’épopée imitée d’Homère, et comme l’ode imitée de Pindare, reproduire dans la belle langue latine toutes les harmonies et toutes les grâces de la langue d’Athènes, quelles nausées cette musique de l’âme et des sens n’eût-elle pas données à ces spectateurs habituels du pugilat et des combats de bêtes, abrutis par la vue du sang ruisselant sous les coups de ceste, et dont l’oreille était bien plus flattée des hurlements des ours que du rythme des strophes ailées qui ravissaient le peuple d’Athènes et l’aristocratie de Rome ?

Que fera donc la tragédie d’Athènes chassée du théâtre par ces cohues sans police de spectateurs échelonnés par milliers sur des gradins, d’où ils pèsent sur la tête des chevaliers et des hommes de goût, lesquels n’ont pas le droit au théâtre d’avoir un avis différent de celui du peuple ? Elle se réfugiera dans les livres des beaux esprits, étrangers comme elle, et comme elle exclus de la scène par le profane vulgaire. Il n’y aura pas de tragédies jouées : il y aura des tragédies écrites.

Quintilien nous dit que le Thyeste de Varius était digne d’être placé à côté des chefs-d’œuvre de l’art grec. On faisait grand cas aussi de la Médée d’Ovide. Quoique je croie peu, encore une fois, aux génies perdus ou inédits, il n’est pas invraisemblable que ce Thyeste et cette Médée fussent d’heureuses imitations des pièces grecques. Dans un pays et dans un temps où l’on refaisait de l’Homère, du Pindare, de l’Anacréon, pourquoi n’aurait-on pas refait du Sophocle ? Les génies de ce temps savaient la langue et la logique des passions. La Didon peut même passer pour un progrès sur l’art grec, dans la connaissance du cœur d’une femme. Il y avait alors les éléments d’un art dramatique de renaissance ; et si Auguste, qui pouvait tout, avait pu instituer un théâtre et un public, peut-être, au lieu de deux pièces perdues, eussions-nous eu tout un recueil de belles imitations de l’art grec.

Mais Auguste fit pour le peuple de son temps ce que faisaient les édiles pour le peuple contemporain de Scipion. Ceux-ci, voyant que les essais de tragédie n’étaient point goûtés, cessaient d’acheter de cette marchandise sans débit, et laissaient le peuple aller à ses ours. Ainsi fit Auguste : il ne tenta même pas un public qu’il connaissait trop bien, et il le laissa libre de préférer les vraies tueries du cirque à ces coups de poignard dont on ne meurt pas. La tâche eût été impossible, surtout après le nouvel amalgame que venait de faire son oncle, le grand César, et au sein, du nouveau peuple importé par lui à Nome de toutes les parties du monde, avec ses nouvelles diversités de mœurs, de religion et de langue ; de telle sorte qu’il ne pouvait y avoir de spectacles agréés par la foule que ceux où les acteurs ne parlaient aucune langue, et étaient bêtes ou gladiateurs, selon l’occasion.

Ce peut donc être, si l’on veut, une grande perte que les tragédies de cabinet de Varius, d’Ovide, d’Asinius Pollion, voire même de Mécènes ; car, protecteurs ou protégés, tous ces beaux esprits faisaient du drame entre eux. Après tout, ils étaient enfants d’un grand siècle littéraire, passionné et discipliné ; ils ne connaissaient pas quatre ou cinq espèces de beau, ni surtout un laid qui n’est que le beau ; ils avaient donné une fois pour toutes leur assentiment au beau grec, et ils s’en tenaient là. Ils étaient les amis de cœur et d’intelligence de Virgile et d’Horace ; et certes ces nobles amitiés n’étaient pas de celles où l’on se flagorne pour des choses médiocres. Comme au temps de Boileau, on s’y aimait sincèrement comme hommes et quoique gens de lettres, mais on s’y observait et gouvernait sévèrement comme écrivains. Jamais la Grèce ne fut mieux comprise qu’à cette époque, ni plus adorée ; jamais on ne fit de plus chaudes ni de plus intelligentes copies de ses chefs-d’œuvre, et quand vous voyez tous les grands hommes du siècle d’Auguste se mettre de si bonne grâce aux pieds de cette reine sans couronne, à qui la conquête avait épargné :lés mauvais traitements de l’esclavage, ne vous semble-t-il pas entendre les vieillards de Troie dire d’Hélène qu’elle était assez belle pour mettre la discorde parmi les nations ?...

Il faut se résigner à des hypothèses sur la tragédie gréco-romaine telle qu’on pouvait la faire du temps d’Auguste, et arriver sans gradation à la tragédie de Sénèque. De la tragédie d’imitation, que nous ne connaissons pas, mais que nous supposons, et qui devait être faite avec un sentiment profond de l’art grec, nous tombons tout à coup dans la tragédie de recette, telle qu’on l’enseigne et qu’on la pratique du temps de Sénèque.

 

La tragédie de Sénèque, ou la tragédie de recette.

Dans cette espèce de tragédie, la recette est tout ; la tragédie n’est rien.

La recette consiste dans l’emploi de trois ingrédients prescrits dans les écoles :

1 ° La description ;

2° La déclamation ;

3° Les sentences philosophiques.

La tragédie est le cadre dans lequel on mêle et distribue ces trois éléments, soit pour en faire l’objet d’une lecture publique, soit pour s’exercer à l’art oratoire ; car les rhéteurs recommandent à ceux qui aspirent à la gloire de l’éloquence la culture de la poésie et particulièrement de la poésie dramatique, comme prêtant plus que toute autre à la passion, aux mouvements, à l’appareil oratoire, au trait, qui est : le beau de cette époque.

Chercher un art dramatique dans les tragédies dites de Sénèque, ce serait tout à la fois perdre son temps et se donner fort inutilement le facile avantage de critiquer le poète pour des fautes qu’il a voulu faire. Il y aurait dans ces tragédies un mélange monstrueux d’ineptie et de vrai talent, trop difficile à expliquer. Sénèque pouvait n’être pas propre au drame sérieux ; mais il est sûr qu’il n’en ignorait pas les règles, je dis les principales et les plus vulgaires. Si donc il les a violées ou négligées, c’est bien sciemment ; c’est que, visant aux morceaux brillants et point à un ensemble, il s’est peu embarrassé de l’arrangement dramatique de ces morceaux, et les a mis à la suite les uns des autres, sans autre fil que son caprice. Il est aisé de voir, en effet, que c’est bien volontairement qu’il n’y a nulle conduite dans ses pièces, nul lien entre les scènes, nulle préparation des événements ; que les entrées et les sorties n’y sont point motivées ; que l’intrigue s’y dénoue quelquefois au premier acte, quelquefois au second, ce qui n’empêche pas la pièce d’aller jusqu’au cinquième ; qu’il n’y a ni gradation ni intérêt, toutes choses capitales, dont on ne se dispense que, quand on le veut bien, ou quand on est dépourvu d’esprit et de sens, ce qui ne peut se dire de Fauteur de ces tragédies.

Mais ce que le poète n’a pas pu ne pas vouloir faire, c’est apparemment peindre des passions et leur prêter un langage conforme à la nature, faire converser entre eux des interlocuteurs animés d’intérêts ou d’affections contraires, décrire certains états de l’âme, exciter la terreur ou la pitié, sinon par un enchaînement de situations intéressantes, du moins par des traits de vérité dramatique ; faire parler des personnages qui aiment, qui haïssent, qui souffrent, qui meurent ; produire enfin successivement, d’une manière ou d’une autre ; toutes les émotions que doit produire un sujet tragique ; et c’est par ce dessein seulement que les tragédies de Sénèque justifient leur nom. Quant à y voir des œuvres de théâtre, je le répète, ce serait une illusion.

Cette négligence des premiers principes de l’art dramatique, qui serait si choquante si elle n’était pas volontaire, s’explique par deux raisons naturelles. La première, c’est que ces pièces n’étaient point destinées à la représentation : c’était du drame inédit, de la tragédie de cabinet, destinée tout au plus à la lecture, et pouvant se passer de presque toutes les conditions d’intérêt-, de conduite, d’émotion croissante, sans lesquelles une tragédie représentée ne se supporterait pas. La seconde raison, c’est que le poète ne voulait pas, pour la seule publicité des lectures, prendre la peine de faire tout à fait une tragédie. C’est cette paresse des temps de décadence qui consiste à faire beaucoup et à faire vite, la paresse des ardélions dont parle Phèdre, qui faisant beaucoup ne font rien (multa agendo, nihil agunt) ; la paresse que Quintilien reproche si finement à Sénèque, lequel avait le tort, dit -il, de ne rien omettre, d’aimer tout ce qui sortait de lui, de s’étendre pour ne pas perdre du temps à se serrer[37] ; paresse très occupée, mais très peu efficace, qui fait beaucoup de mouvements, mais ne change pas de place ; paresse qui ne ressemble nullement à celle de Racine, lequel mettait des années d’intervalle entre ses tragédies, et faisait Athalie après un majestueux repos de douze ans.

Au reste, quand on aura vu de quelle manière les écoles de déclamation entendaient toutes les affections qui jouent les rôles principaux dans ces tragédies, on comprendra très bien que la négligence et peut-être même le mépris de l’art aient été systématiques, à une époque où l’on présentait de si, fausses images du cœur humain. Il est rare, en effet, que là où la vérité éternelle a cessé d’être comprise, l’art ne soit pas négligé ou méprisé, et, que l’arrangement survive là où le fond a péri.

Il paraît cependant que les tragédies de Pomponius Secundus, contemporain de Sénèque, étaient des ouvrages distingués ; mais, dit Quintilien, nos vieillards les louent moins pour leurs effets tragiques que pour beaucoup d’érudition et de brillant[38]. Alors cela revient au même ; seulement, à la différence de Sénèque, où le fond est presque toujours faux, et l’arrangement nul, Pomponius Secundus donnait beaucoup à l’arrangement et peu au fond. L’un ne vaut guère mieux que l’autre. Dans les époques de décadence, nous trouvons souvent ces deux soins contradictoires chez les écrivains. Ceux-ci ne sont occupés que de la partie matérielle de l’art, de l’arrangement ; ceux-là ne visent qu’aux effets. Les uns et les autres sont à la même distance du beau et du bon.

Mais voyons comment les écoles de déclamation entendent le cœur humain.

Le cœur humain, tel qu’on l’apprend dans les écoles, ce n’est plus (qu’on me passe ce jeu de mots) que l’esprit humain dans sa plus grande corruption. Il n’y faut pas chercher de sentiments doux, de nuances, de délicatesses infinies, de modération, de pudeur ; secrets perdus depuis le siècle de Virgile. Dans cette littérature exagérée, frénétique, et, qui pis est, frénétique à froid, il n’y a pas un langage pour la pudeur, ni pour l’amour chaste, ni pour la piété filiale, ni pour la patience : ce sont vertus inconnues à l’époque de Sénèque. Les vertus qu’on y connaît et qu’on y aime sont celles qui posent devant le public, qui font des mines, qui ont des souffrances théâtrales : pour celles-là la langue est riche, énergique, sentencieuse ; elle fait à merveille les honneurs de ces vertus guindées ; elle se hérisse pour tous ces courages hautains et pleins de morgue ; elle tonne pour ces furieux emphatiques ; elle se fait fastueuse et solennelle pour ces mourants qui convient l’univers entier à leurs funérailles.

Dans les tragédies de Sénèque, l’amour, c’est l’amour sensuel, cynique, impudent ; c’est le désir qui ne peut pas parvenir à cacher son impureté sous le voile de quelques souffrances exagérées, qui n’excitent point la sympathie. Phèdre n’est pas amoureuse d’Hippolyte, elle en a envie ; elle aime cette couleur de santé qui embellit son visage, ces bras vigoureux, dont l’étreinte serait si molle, cette belle tête, dont la chevelure est serrée dans des bandelettes[39]. Grand merci qu’elle ne nous parle pas des épaules d’Hippolyte ! La même femme ordonne à ses esclaves de l’habiller en amazone : pourquoi ? pour rappeler à Hippolyte l’amazone sa mère[40]. La même femme envie les amours de Pasiphaé et d’un taureau ! Du moins, s’écrie-t-elle, Pasiphaé était aimée !...[41]

L’art grec avait donné à Sénèque une Phèdre chaste et malheureuse, à laquelle les dieux ont imposé un amour incestueux, mais qui oppose à cet amour toutes les répugnances du sentiment moral, et n’est vaincue, à la fin, que parce qu’elle est moins forte que les dieux. Dans la Phèdre d’Euripide, l’amour est un poison versé dans son cœur par une divinité ennemie. Dès qu’elle s’est sentie coupable, elle a essayé de secouer le joug ; mais, se voyant la plus faible, elle a pris la résolution de mourir, et d’emporter avec elle dans la tombe son fatal secret. A la fin, pressée par sa nourrice, qui lui demande la cause de ses souffrances, elle laisse entrevoir cet amour, mais avec quel mélange délicat de pudeur et de passion[42] ! Elle aussi parle de Pasiphaé, sa mère ; mais, au lieu d’envier ses plaisirs monstrueux ; elle en parle avec pitié ; elle avoue non pas qu’elle a du plaisir à aimer, mais qu’elle souffre de la même fatalité honteuse que Pasiphaé ; elle songe bien plus à ce qu’elle perd d’innocence et de vertu qu’au bonheur impur que lui donnerait un amour partagé.

Dans la pièce de Sénèque, Phèdre est combattue par sa nourrice ; mais elle n’en est que plus opiniâtre ; on ne la fait pas rougir en la blâmant : on l’ex-cite. Dans la pièce d’Euripide, la nourrice transige ; elle accorde qu’une faible femme ne peut pas tenir tète à Vénus ; mais Phèdre n’ose pas profiter de ce funeste secours : elle rougit de se voir excusée. La Phèdre grecque, justifiée et presque encouragée par sa nourrice, n’en persiste pas moins à mourir. La Phèdre latine fait semblant de vouloir mourir pour corrompre la sienne ; et celle-ci, en effet, y est si bien prise, qu’elle se fait l’entremetteuse de ces malhonnêtes amours. Lequel des deux poètes a le mieux connu le cœur humain ? Les deux Phèdres sont vraies, je le veux bien ; mais celle d’Euripide est une femme : celle de Sénèque n’est qu’une prostituée.

C’est ainsi que Sénèque a défiguré toutes les femmes du théâtre grec. Sophocle lui avait donné Déjanire, comme Euripide Phèdre. Déjanire, c’est la pauvre femme, aimante et jalouse, mais plus aimante encore que jalouse, qui, voyant arriver dans la maison de son mari une jeune captive, belle, gracieuse, fait de tristes retours sur elle-même, sur son âge, qui penche vers le déclin, sur cette fleur du regard qu’elle n’a plus, et qui embellit la jeune captive[43]. Vous la voyez patiente, résignée ; mais elle ne serait pas femme, si elle supportait sous le toit nuptial, dans le lit de son mari, une rivale plus jeune et plus belle. Elle ne s’emporte pas contre cette rivale préférée, elle ne la maudit pas. Une femme de cœur, dit-elle, ne doit point se mettre en colère ![44] La jalousie de Déjanire est pleine de dignité et de patience ; ce n’est point par elle que le scandale entrera dans la maison d’Hercule. Mais comment reprendra-t-elle à Iole le cœur de son époux ? Le centaure Nessus lui a donné en mourant une robe qui a la vertu, avait-il dit, de réveiller l’amour éteint : mais Nessus l’a trompée ; cette robe ne réveille pas l’amour éteint, elle brûle les os jusqu’à la moelle. Déjanire envoie la robe à Hercule, croyant lui envoyer un philtre amoureux. Bientôt elle apprend qu’Hercule meurt dans d’affreuses souffrances ; alors elle s’en va, ayant formé dans son cœur la résolution de ne pas survivre à Hercule, et elle se tue.

La manière dont elle quitte la scène est d’un grand effet tragique. Hillus, le fils d’Hercule, qui est aussi le sien, lui reproche les tortures de son père ; Déjanire commence par protester : Que dis-tu ? ô mon fils ! et de qui as-tu appris que j’ai pu commettre un tel crime ?[45] Hillus l’accable sans pitié de tous les détails du supplice d’Hercule. Alors elle ne répond plus rien ; mais à la fin du récit d’Hillus, elle sort, et le chœur lui dit : Pourquoi t’en vas-tu sans rien dire ? Ne sais-tu pas que celui qui se tait s’avoue coupable ?[46] Une vieille femme du palais vient répondre au chœur pour Déjanire qu’elle a franchi d’un pas ferme le dernier passage[47].

Que n’a pas fiait Sénèque pour bâter la douce et patiente Déjanire de Sophocle ? Comme sa Phèdre a tout le cynisme de l’amour physique, sa Déjanire en a toute la jalousie. La Déjanire de l’art grec ne .se trouve qu’une seule fois en présence d’Iole, sa rivale ; c’est avant qu’elle ait connu l’amour d’Hercule pour la jeune fille : alors rien de plus touchant que de voir quel souci elle prend de sa captive, comme elle la plaint tendrement d’avoir perdu sa liberté et sa patrie, et quelle délicatesse elle met à, la faire conduire dans un endroit, écarté du palais, afin de ne point ajouter à ses douleurs celle de voir la femme de celui par qui elle est captive[48]. Il n’y avait pas de risque que Sophocle nous donnât le spectacle indécent de la femme légitime se prenant de parole avec la concubine, parce qu’il y a des situations, même vraies, que l’art ne pourrait pas assez parer, pour les rendre touchantes et morales. Dans la pièce de Sénèque, Déjanire se trouve face à face avec sa rivale, et il faut bien alors que la femme légitime qui s’expose ainsi à rencontrer la concubine soit à la hauteur d’une situation qu’elle n’a pas eu la dignité d’éviter.

Sénèque s’est chargé lui-même de la comparer d’abord à unie tigresse pleine qui s’élance à l’aspect du chasseur ; et, en second lieu, à une bacchante qui porte le dieu dans son sein, et qui agite le thyrse. Déjanire hésite un moment, ne sachant quel chemin prendre ; puis elle erre en furieuse dans tout le palais, qui ne peut pas la contenir, puis elle s’arrête, puis elle court de nouveau. Quand elle s’est un peu calmée, elle roule dans sa tête mille projets de vengeance ; à la différence de la Déjanire grecque, elle pense d’abord à tuer Hercule avant de penser à réveiller son amour. Le désir d’être vengée lui est plus cher que celui d’être aimée encore. Elle demande à Jupiter un treizième ou quatorzième travail où Hercule puisse succomber ; l’idée de la robe ne lui vient qu’en dernier, et elle ne songe â se faire aimer encore qu’après qu’elle s’est rendue longuement lia plus haïssable des femmes.

Il est fort heureux que la robe de Nessus ôte la vie, au lieu de rendre l’amour, car je ne sais si l’art sans nom de Sénèque eût osé prendre la responsabilité de nous montrer Hercule s’éprenant de nouveau pour une femme qui a demandé sa mort de toutes les manières. Hercule est consumé par le tissu mortel, et Déjanire, non seulement n’est pas surprise, mais elle s’indigne qu’Hercule meure d’une mort qu’elle n’a point prévue, qu’elle n’a point aidée. J’ai dit ailleurs comment finit cette furieuse. Elle demande que toutes les nations se réunissent pour l’écraser. Sa mort fait autant de fracas que sa jalousie.

Il y a une figure de femme que l’art grec a tracée avec amour, c’est Antigone ! Antigone, c’est la piété filiale sous le gracieux visage d’une jeune fille. Caractère doux, ingénu, quoique profond ; qui parle peu, et n’a que des paroles de résignation et de patience ; faible et frêle jeune fille jusque dans ses actes de courage, dont le dévouement est simple, qui ne s’agite ni ne s’exalte jamais ; qui ne croit. pas être supérieure aux autres femmes en ne faisant que son devoir ; héroïne de tragédie, qui joue les grands rôles en croyant n’en jouer aucun ; elle ne fait que passer sur la scène, guidant un vieillard aveugle, et ne montrant qu’à demi sa figure pâle et douloureuse, sur laquelle est empreinte la fatalité qui pèse sur toute sa famille.

Antigone, dans l’art grec, n’est presque qu’un personnage négatif, peu mêlé à l’action. Son caractère, c’est sa piété filiale, immense, mais silencieuse ; et cependant quel type plus intéressant dans l’histoire de l’art ? Faites la part d’Antigone dans le vaste drame des malheurs d’Œdipe, et dans tout le drame grec ; si l’on compte les vers, que cette part est petite ! Et pourtant quel mystérieux parfum de pudeur et de vertu cette jeune fille répand sur tout le drame d’Œdipe, sur tout le drame grec ! Il ne lui arrive qu’une fois de sortir de sa réserve, et d’élever un peu la voix au milieu des hommes ; c’est lorsque accusée par Créon d’avoir violé sa défense en allant couvrir d’un peu de poussière le cadavre de Polynice, elle lui demande s’il y a quelque défense ou édit qui puisse prévaloir contre la loi éternelle qui veut qu’on ne laisse pas un frère sans sépulture. S’il faut qu’elle meure pour avoir rempli ce devoir, eh bien ! plus tôt on lui ôtera la vie, plus tôt on lui ôtera ses maux. La religion donne à ses paroles une sorte de fermeté virile : Si je te parais insensée, dit-elle à Créon, c’est que tu me juges en insensé ! C’est là la parole la plus haute d’Antigone ; après cela elle rentre dans les pleurs et dans la plainte ; elle dit adieu, dans un hymne suave et virginal, à labelle ville de Thèbes, aux fontaines de Dircé, à sa jeunesse, passée dans les larmes sans noces et sans enfants ; elle se plaint doucement d’être punie de sa piété par la prison et la mort ; puis Sophocle la retire de la scène, pour nous la montrer plus tard, dans la forêt consacrée aux Furies, auprès du bourg de Colone, ayant repris son attitude, silencieuse, et, ne parlant que par ses larmes, inépuisables comme sa douleur[49].

Qu’elle est touchante alors la pauvre fille qui ne sera ni épouse ni mère ! Tout son rôle, dans ce drame final, c’est d’indiquer à Œdipe aveugle, et qui va mourir, les lieux où l’a mené sa destinée errante ; elle lui dit quels sont les étrangers qui s’approchent, s’ils sont amis ou ennemis ; elle lui demande grâce pour sa sœur Ismène, pour son frère Polynice ; elle calme par quelques paroles l’amertume du vieillard et l’impatience du jeune homme ; — et quand le moment fatal est arrivé, quand Œdipe, guidé par une vue intérieure, a trouvé la place où il doit mourir, elle va puiser de l’eau pour purifier les vêtements de son père ; cela fait, obéissante elle se retire. Tout à coup la foudre éclate, le vieillard disparaît, enlevé par les dieux, et nous retrouvons Antigone, à genoux, la tête penchée sur sa poitrine, pleurant amèrement celui que les dieux ont retiré du milieu des hommes. Après ce devoir, il lui en reste un dernier, c’est celui de réconcilier ses deux frères ; sa dernière prière est donc qu’on la renvoie à Thèbes, pour qu’elle empêche le nouveau crime qui doit compléter l’expiation d’Œdipe.

Dans ces touchantes scènes entre Œdipe et Antigone, ce qu’il faut admirer, c’est le silence qu’elle garde toutes les fois que le vieillard revient sur ses malheurs. Antigone écoute, mais ne répond pas ; que voulez-vous que réponde la jeune fille chaste et pure ? Les malheurs d’Œdipe sont infâmes, Antigone est une des hontes d’Œdipe ; que peut-il être dit par cette fille qui ne fasse allusion aux souillures de sa famille ? Elle se tait donc ; elle n’ose même pas consoler son père, parce qu’il faudrait pour cela toucher à ces souillures ; mais elle fait mieux, elle le soutient, elle l’entoure, elle le protége : les dieux lui disent par la voix de son cœur que sa piété pour son père leur est agréable, et cela lui suffit ; elle n’ira pas effaroucher sa pudeur en pénétrant le mystère de ce lien qui attache si puissamment la jeune fille au vieillard, aveugle et mendiant.

Dans Sénèque, c’est tout autre chose : Antigone tient de longs discours à son père. C’est apparemment une fille d’expérience, car elle disserte très pertinemment sur la moralité des actions. Œdipe se croit criminel, Antigone lui démontre qu’il est innocent, malgré les dieux. Qu’a-t-elle donc fait de sa pudeur, cette jeune fille qui cherche l’innocence dans des incestes et dans des parricides, qui s’est expliqué à elle-même, et vient expliquer à Œdipe comment il peut être à la fois son père et son frère, et être innocent ? Quelle fange il lui a fallu remuer pour oser donner à son père des consolations si hardies ! Au reste, l’Antigone de Sénèque n’a pas approfondi cette seule question ; elle a étudié le pour et le contre du suicide ; elle a pesé les deux courages qu’il faut avoir, soit pour sortir de la vie, soit pour la garder, et elle donne la préférence au dernier ; elle apprend à Œdipe, le devineur d’énigmes, que celui qui désire la mort n’est pas de taille à la mépriser. Tantôt elle accorde, conformément à la doctrine académique, que le malheur n’est pas un motif suffisant pour s’ôter la vie ; tantôt elle établit, avec le stoïcisme, qu’il y a plus de courage à mépriser la mort qu’à la désirer. C’est d’ailleurs une fille forte, toute à l’action, prête à conduire son père dans les rochers et sur le bord des précipices. Œdipe veut-il se tenir dans la plaine ? elle se contentera de marcher à ses côtés. Veut-il grimper sur les monts escarpés ? elle l’y précédera. Lui plait-il d’aller sur un roc élevé d’où l’on domine la mer ? elle l’y conduira ; de franchir un gouffre, ou même de s’y jeter ? elle le franchira ou s’y jettera. Enfin, veut-il à toute force mourir ? elle mourra[50] !

Homère et Virgile avaient donné à Sénèque la plus tendre des épouses et des mères, Andromaque Sénèque en a fait ce qu’il a fait de Phèdre, de Déjanire, d’Antigone ; il a compris l’amour maternel comme il avait compris l’amour, la jalousie, l’héroïsme du devoir. Dans l’épopée d’Homère, dans le poème de Virgile, Andromaque est peut-être encore plus mère qu’épouse. Virgile n’a pas craint de nous la montrer mariée à Hélénus ; Racine la fait consentir à épouser Pyrrhus pour conserver la vie d’Astyanax. La mère l’emporte donc sur l’épouse, et c’est tout simple ; Hector est dans la tombe, le fils d’Hector est vivant, et n’a d’autre défense que sa mère. Entre la fidélité aux cendres d’un époux, et le dévouement à l’orphelin sans défense, quelle femme eût hésité ? Toute la tendresse de l’épouse n’a fait que fortifier l’amour de la mère ; Andromaque aime Hector dans Astyanax, et non pas Astyanax -à cause d’Hector.

Dans Sénèque, le caractère d’Andromaque est détruit, l’épouse l’emporte sur la mère ; Andromaque, forcée de choisir entre la démolition du tombeau d’Hector et la mort de son fils, hésite ; que dis-je ? elle penche pour la conservation du tombeau, aux dépens de la vie de son fils. Astyanax ne lui est cher qu’à cause d’Hector ; elle en prend à témoin les dieux[51]. Aussi quand Ulysse le lui arrache pour le mener à la mort, Andromaque, qui lui a fait ses derniers adieux, revient sur la scène, et s’y prend de querelle avec Hélène[52], elle dont on précipite le fils du haut d’une tour, elle moins généreuse qu’Hector, qui combattait pour la faute d’Hélène, mais ne l’insultait pas. On vient lui annoncer comment son fils est mort : voici tout ce qu’elle trouve à dire : Quel habitant de Colchos, quel Scythe vagabond a commis ce crime ? Quelle peuplade sans lois des bords de la mer Caspienne a pu l’oser ? Jamais le sang d’un enfant n’a arrosé les autels du féroce Busiris, jamais Diomède ne donna de si petits membres pour pâture à ses cavales...

Quis Colchus hoc, quis sedis incertæ Scytha

Commisit ? Aut quæ Caspium langens mare

Gens juris expers ausa ? Non Busiridis

Puerilis aras sanguis aspersit feri ;

Nec parva gregibus membra Diomedes suis

Epulanda posuit. . . . . (Troades, v. 1110.)

Il est vrai, que l’Astyanax de Sénèque n’à que médiocrement besoin de la protection maternelle ; lui qui ne veut pas se cacher dans le tombeau, d’Hector, non parce qu’il a peur d’un tombeau, mais parce qu’il méprise de honteuses cachettes ; lui que vous avez vu tout à l’heure s’échapper des mains d’Ulysse, et revendiquer sa liberté de mourir, en sautant d’un pied léger (le rythme imite le saut) au beau milieu du royaume de Priam[53] : Telle mère, tel fils.

C’est ainsi qu’on aime, c’est ainsi qu’on souffre, c’est ainsi qu’on se venge, c’est ainsi qu’une femme est dévouée et courageuse dans Sénèque. Je pourrais, prendre tous ses caractères de femmes l’un après l’autre, et montrer qu’il n’a aucune intelligence de ces natures délicates, que toutes leurs passions y sont exagérées, fausses, contradictoires ; qu’il leur donne des mœurs d’hommes, sans la force de les supporter ; qu’il met dans ces frôles poitrines des fureurs qui les feraient éclater si ces fureurs n’étaient pas beaucoup plus dans les mots que dans les choses.

Je ne critique pas les femmes des dix tragédies au point de vue nouveau et inconnu des anciens, de nos institutions sociales et religieuses : le drame grec, pas plus que le drame latin, ne nous a donné des caractères de femme complets. A Athènes comme, à Rome la femme n’est pas l’égale de l’homme : ses malheurs ont moins de dignité, ses douleurs causent moins de sympathie, ses larmes sont moins précieuses ; le drame brise ces pauvres créatures et ne les plaint pas. Toujours instruments, soit dans la main des dieux, soit dans la main des hommes, elles n’ont que la liberté des pleurs ; toujours entraînées dans la fortune des autres, elles suivent et ne conduisent jamais, si ce n’est pourtant quand l’homme aveugle et vieux a besoin d’elles pour appuyer son bras et diriger son pied. A Rome, la condition de la femme est encore plus triste qu’à Athènes. Là, la loi dit que le mari n’est pas tenu de pleurer sa femme ; qu’il ne lui doit aucune religion du deuil[54]. Là, l’histoire ne trouve pas un mot de sympathie pour la femme. Lucrèce se poignarde ; qui songe à plaindre Lucrèce ? La liberté a coûté la vie à cette femme ; c’est meilleur marché que si un homme eût péri. Virginius égorge sa fille avec le couteau d’un boucher : voyez si Tite-Live donne quelques regrets à cette jeune fille si belle, à cette mort si misérable ! Non, il compte ce que ce sang a rapporté à Rome, et non ce que vaut une vie de jeune fille. La Didon m’eût étonné d’un Grec, elle m’étonne bien plus d’un Romain. Énée est peut-être le seul homme que l’antiquité ait osé rendre moins intéressant qu’une femme.

Il serait donc injuste, je le répète, de demander à Sénèque des caractères de femmes profonds, et toute cette richesse de sentiments que la liberté développe dans la femme émancipée des civilisations modernes ; mais comment Sénèque a-t-il ôté aux plus délicieuses femmes du drame grec leurs sentiments doux, simples, peu bruyants, leurs passions naïves, et surtout la pudeur, cette vertu si honorée des anciens qu’ils en avaient fait une divinité, la pudeur, qui est toute la beauté et presque toute la destinée de la femme, dans le monde grec comme dans le monde romain ? La femme y est inférieure à l’homme, il est vrai ; mais l’esclave y est inférieure a la femme. Eh bien ! n’y a-t-il pas même dans l’âme d’une esclave, de cet être doué d’intelligence et de cœur, dont le droit de la guerre a fait une chose, des trésors de pensées humbles, de vœux timides, de naïveté, de grâce, qu’une époque littéraire plus saine, qu’un poète moins gâté par son éducation, auraient pu trouver par la réflexion, et rendre dans un langage naturel ?

J’en dirai autant des hommes que des femmes ; les uns n’y sont pas mieux compris que les autres, ou plutôt les hommes sont du même monde que les femmes. Si Déjanire est si désordonnée dans sa jalousie, que sera la rage d’Hercule déchiré par cette robe empoisonnée ? Dans Sophocle, Hercule n’affecte pas l’insensibilité, il souffre, il se plaint, parce qu’il est homme ; mais, sentant qu’il meurt par un oracle des dieux, il s’exhorte à bien finir sa noble vie. Allons, mon âme, se dit-il, roidis-toi a comme le fer, réprime tout gémissement : que ce qui est la plus triste des choses te soit agréable !...[55] Chez Sénèque, Hercule mourra dans la pose d’un gladiateur, et avec des paroles de stoïcien. Si Médée est atroce jusqu’à embrasser ses enfants qu’elle va tuer, que va imaginer Atrée servant à Thyeste les membres de ses enfants, pour ne pas être en arrière de Médée ? C’est la même exagération pour les hommes que pour les femmes ; seulement il y a dans les fureurs des hommes un degré de plus, parce qu’en leur qualité d’hommes ils ont la poitrine plus forte, et peuvent y contenir plus d’exaltation que les femmes.

Dans les tragédies de Sénèque, vous ne voyez pas de caractères, mais des situations. Et ces situations sont prises parmi les plus violentes, les plus singulières ; un tel art devait sortir des écoles de déclamation. En effet, on n’enseignait pas dans ces écoles les caractères, étude trop forte et trop profonde, où d’ailleurs le meilleur maître est le génie ou l’expérience. On enseignait l’art de développer une situation extraordinaire, de la faire parler, de l’analyser. On chargeait de cette tâche des jeunes gens qui n’avaient jamais passé par cette situation, et qui n’y avaient vu passer personne. On ne leur disait pas de faire sortir cette situation d’un caractère, et par conséquent de ne la développer que dans l’esprit et dans la mesure de ce caractère ; de montrer d’abord un homme, et puis ce même homme placé dans une situation violente ; de ne point charger un personnage de plus de passion qu’il n’en peut porter : on ne disait mot de tout cela.

Mais on leur donnait un nom quelconque et une situation, quelquefois la situation toute seule, et on leur disait : Vous peindrez un sage résistant à un tyran ; une femme jalouse chargeant d’imprécations sa rivale ; — que sais-je ? Les dix tragédies de Sénèque sont un répertoire de ces situations ; tous les états violents par où l’homme peut passer y sont décrits arbitrairement, sans lien avec les caractères. Quel était le fruit de ces prescriptions ? C’est qu’on imaginait un monde faux, furibond, exalté jusqu’à la charge, gesticulant, hurlant ; ici roide et sentencieux, là se répandant en longues déclamations ; ailleurs subtil et minutieux à force de s’analyser ; un monde de gens qui s’ingénient, comme dit Œdipe[56], les uns pour s’exagérer leur amour, les autres pour s’exagérer leurs haines : ceux-ci pour s’effrayer d’eux-mêmes, ceux-là pour s’accabler de devoirs ; presque tous enfin pour mourir d’une autre mort que le reste des hommes.

Tel est le monde des tragédies dites de Sénèque. Pourquoi dans un tel art ne trouvez-vous aucun sentiment doux et simple ? C’est que pour peindre les sentiments doux., la patience, la résignation, l’amour chaste, le dévouement, il faut beaucoup de sens et de cœur, outre tout ce que révèle au poète le travail dans le plus difficile des arts. Pourquoi, au contraire, y trouvez-vous toutes les passions extraordinaires, la vertu effrénée, l’audace gigantesque, la douleur qui blasphème, l’orgueil furieux, la vengeance atroce, la jalousie désordonnée ? C’est que pour composer des situations hors de la vérité, il ne faut que de l’esprit, de l’audace, peu de sévérité pour soi-même, et cette facilité paresseuse que certaines époques prennent pour du génie.

Quand on sait de quoi se composent les tragédies dites de Sénèque, quelle en est la philosophie, la morale, les caractères, on ne s’intéresse que médiocrement à l’espèce d’art qui a pu présider à leur arrangement. J’ai défini cet art une recette : ce mot n’est que juste. J’ai dit que cette recette se composait, par parties à peu près égales, 1° de descriptions ; 2° de déclamations ; 3° de sentences philosophiques. C’est là tout.

Les descriptions sont tantôt de localités, tantôt de cérémonies religieuses, tantôt de combats ; ici des choses de ce monde, là des choses de l’enfer. Dans les descriptions, je comprends les récits, parce que ces récits décrivent longuement soit les souffrances des personnages du drame, soit leurs fureurs, soit leurs morts violentes ; les descriptions et les récits sont d’ailleurs innombrables dans ces dix tragédies : il n’y en a aucune qui n’en contienne quatre ou cinq.

Les déclamations sont tantôt des dialogues, tantôt des monologues. Dans les dialogues, deux personnages soutiennent deux thèses philosophiques contraires ; par exemple : Antigone prétend qu’il y a de la vertu à survivre à ses malheurs ; Œdipe, son interlocuteur, qu’il n’y a que de la sottise[57]. Dans Hippolyte, la nourrice prouve à Hippolyte avec beaucoup de dialectique qu’il faut jouir de sa jeunesse, et que le plus grand charme de la jeunesse étant l’amour, il faut aimer ; Hippolyte, usant de la même dialectique, répond par une longue peinture des délices de la vie de chasseur ; il prétend que du jour où les hommes ont quitté les forêts pour bâtir des villes, les crimes ont inondé la terre, et, quant à la prétendue nécessité d’aimer, que tous nos maux viennent des femmes[58]. Dans les monologues, c’est un personnage qui analyse sa situation, ou fait une prière aux divinités infernales, ou chante les douceurs de l’obscurité, ou développe un thème stoïcien. Le monologue comprend souvent la description. Dans plusieurs des dix tragédies, le premier acte n’est qu’un monologue, après quoi vient le chœur, qui eu fait un autre, lequel n’est souvent qu’une paraphrase du premier.

Les sentences sont le fonds commun des déclamations, dialogues ou monologues. Aux raisons tirées des faits particuliers, les personnages ajoutent des raisons générales qui se résument en un vers, quelquefois en un demi-vers. Ces raisons sont tantôt vraies, tantôt fausses, mais toujours froides, et toujours trop absolues pour la situation de celui qui les invoque. Ce sont ces raisons-là qu’on est convenu d’appeler sentences. Tous les héros et héroïnes des dix tragédies, enfants, vieillards, jeunes filles, femmes, dieux, déesses, magiciennes, prodiguent ces sentences. Tous parlent laconiquement et dans un style dogmatique, tournant leur propre opinion en une sentence absolue et universelle, comme s’ils vivaient sous une discipline philosophique ou religieuse, et que toute leur conduite fût réglée d’avance par les préceptes d’une règle commune. Tous sont d’une secte ou d’une école, la plupart de la secte stoïcienne, quelques-uns penchant vers l’Académie, comme Antigone, quand elle a la hardiesse de dire qu’il y a de la vertu à vivre avec ses maux. Vous rencontrez souvent des dialogues entiers qui ne se composent que de sentences ; les deux interlocuteurs lancent tour à tour un vers d’oracle, l’un pour, l’autre contre, comme deux philosophes de secte opposée qui se disputeraient par axiomes. Les nourrices et les messagers ne sont pas exclus de l’honneur de parler par sentences. Les nourrices surtout en ont toujours à la bouche : privilège de leur âge et de leur position.

Comment sont disposées toutes ces pièces de rapport ? L’une après l’autre, sans plus de façon. Après la description, vient la déclamation ; après la déclamation, la description ; quand l’un a fini de décrire, l’autre déclame ; puis vient un troisième qui décrit et déclame. Le peu qu’il y a d’action, et il faut bien qu’il y en ait, puisqu’il y a un fait qui commence et qui finit, pourrait tenir dans moins d’un acte, de sorte que, sur cinq, quatre sont parfaitement inutiles.

Un exemple montrera jusqu’où l’auteur pousse le goût de la description, et en même temps combien il lui serait difficile de remplir sa pièce sans ce commode auxiliaire. Dans Hercule furieux, pendant qu’Hercule, pour complaire à Eurystée, est descendu aux enfers avec Thésée, un aventurier Eubéen, Lycus, a tué Créon, son beau-père, gui était roi de Thèbes, et s’est emparé du royaume. C’est peu : ce Lycus veut contraindre Mégare, fille de Créon et femme d’Hercule, à le prendre pour époux, par ces raisons de conquérant et de roi parvenu que Voltaire a si bien exprimées dans Mérope. Mégare, en femme fidèle, tient tête à Lycus ; c’est, on l’a vu plus haut, une stoïcienne très ferme sur la doctrine de la mort volontaire. Sur ces entrefaites, revient Hercule, accompagné de Thésée. Pendant qu’il prend ses mesures pour se défaire de l’Eubéen Lycus, devinez ce que fait la famille du héros, femme, enfants, père adoptif ; car Amphitryon, qui est ce père, demeure avec sa bru et ses petits-enfants ? Ils font asseoir Thésée, et se mettant en cercle autour de lui, ils écoutent, comme des enfants à la veillée, deux cents vers descriptifs sur l’enfer et ses monstres ! -N’admirez-vous pas quelle force de caractère doit avoir cette famille pour écouter, bouche béante, deux cents vers descriptifs, pendant qu’Hercule combat Lycus, et lorsqu’il y a une heure à peine, elle le croyait mort et s’attendait à le suivre ? Après tout, cette famille est celle d’Hercule.

Tout cet arrangement, qui nous paraît si pitoyable, était très bien calculé pour l’espèce de publicité réservée à ces tragédies. L’auditoire des lectures publiques recherchait moins l’action, qui demande un théâtre et des acteurs, que les morceaux brillants, les traits, les effets de style, tout ce qui peut échauffer une lecture. L’auteur trouvait son compte à n’avoir pas à s’occuper de l’action, ce qui est le travail du génie ; travail où l’esprit tout seul, la mémoire, le talent même de style, sont de peu d’aide ; il n’en était d’ailleurs que plus souvent applaudi. Il devait donc tirer sans cesse soit à la description, parce qu’elle fournit abondamment aux effets de style ; soit à la déclamation, parce qu’elle appelle les effets de pensée, c’est-à-dire les sentences. Aussi, là où le poète ne trouve ni à déclamer ni à décrire, il clôt son acte ; et alors le chœur, qui n’est pas tenu de prendre une part directe à l’action, décrit ce qu’il veut, ou déclame sur ce qu’il vient de voir, afin que la pièce ait une raisonnable longueur.

C’est ainsi qu’on procédait du temps de Sénèque. Dans d’autres temps et dans d’autres décadences, le drame sera plus commode encore. Celui de Sénèque s’adressait aux oreilles ; celui-là s’adressera aux yeux ; l’un recherchait les effets de style et les sentences, l’autre recherchera les effets de théâtre et les bigarrures de costumes. Il y aura un peu de la faute des deux auditoires et des deux drames ; mais, à choisir, j’aimerais mieux d’ingénieuses subtilités métaphysiques que des effets de décoration.

Au reste, la double analyse qu’on va lire de l’Œdipe grec et de l’Œdipe latin, servira tout à la fois à justifier mes observations sévères sur les tragédies dites de Sénèque ; et à faire apprécier la supériorité de la tragédie grecque sur cette vaine copie, non pour en accabler l’imitateur, mais pour donner des raisons de plus d’admirer l’original.

 

 

 



[1] Dissertations en tête des tragédies de Sénèque, collection Lemaire.

[2] Duosque Senecas unieumque Lucanum

Facunda lequitur Corduba. (Lib. I, ép. 6.)

[3] Quorum unus colit hispidum Platonem,

Incassumque suum monet Neronem,

Orchestram quatit alter Euripidis

Pictum fæcibus Eschylum sequutus,

Aut plaustris solitum sonare Thespim...

Pugnam tertius iile Gallicanam

Dixit Cæsaris, etc., etc.

[4] Préface du livre II des Silves.

[5] Voir en tête du premier volume des Tragédies de Sénèque, collection Lemaire, les dissertations de Daniel Heinsius, d’Isaac Pontanus, de Charles Klotzsch, et de Jacobs.

[6] Institutiones oratoriæ, lib. X, cap. I.

[7] Institutiones oratoriæ, lib. X, cap. I.

[8] Institutiones oratoriæ, lib. IX, cap. II.

[9] Eorum quos viderim, longe princeps Pomponius Secundus, quem senes parum tragicum putabant, eruditione ac nitore præstare confitebautur. (Instit. orat., lib. X, cap. I.)

[10] Objiciebant etiam eloquentiæ laudem uni sibi adsciscere, et carmins crebrius factitare, postquam Neroni amor corum venisset. (Annales, lib. XIV, 52.)

[11] Si ce livre-ci était jugé digne de quelque intérêt, je pourrais faire sur les prosateurs de la même époque le même travail que j’ai fait sur les poètes ; et l’appréciation générale de Sénèque y aurait naturellement une grande place.

[12] Lettres, livre V, 3.

[13] Hécube, vers 568. Collection Didot.

. . . . . Hæc vero etiam moriens

Magnam curam habebat decenter ut caderet,

Occultans quæ occultari oculis virorum decet.

[14] Epistola XXXIII.

[15] Epistola LXXXIII, et passim.

[16] Epistola LIV : Mors est non esse.

[17] Troades, v. 401 :

Quæris quo juceas post obitum loco ?

Quo non rata jacent

[18] Epistola, LIV : Hoc erit post me quod ante me fuit.

[19] C’est ainsi que, dans les Troyennes, le même chœur qui a chanté Priam s’égarant sous les ombrages éternels de l’Elysée, traite plus loin le Ténare et Cerbère de contes à dormir debout. Acte II, vers 405.

[20] Epistola LXXXVII.

[21] Epistola CXVI.

[22] Quand Pauline voulut l’imiter et mourir : Il ne s’opposa pas, dit Tacite, à la gloire de sa femme ; son amour lui faisait craindre d’abandonner aux outrages une épouse qu’il chérissait uniquement. (Annales, XV, 63.)

[23] Epistola XLVII.

[24] Epistola XCXV.

[25] Epistola LXXI.

[26] Epistola XXIV.

[27] Epistola LXXVII.

[28] La Fontaine est de l’avis de Mécène :

Mécénas fut un galant homme :

Il a dit quelque part : Qu’on me rende impotent,

Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu’en somme

Je vive, c’est assez ; je suis plus que content. (Livre 1 ; fable 15.)

[29] Calamitas virtutis occasio est. SENECA, de Pronidentia, IV.

[30] Ita quidem miser esse, qui virtutem habet, non potest. Epistola XCII.

[31] Tibère forçait de vivre ceux qui voulaient mourir. Il regardait la mort comme une peine si légère ; qu’un condamné s’étant soustrait au supplice par une mort volontaire : il m’a échappé ! s’écria-t-il. Un jour qu’il visitait les prisons, un condamné le pria de hâter son supplice : Je ne sache pas, lui dit-il, que nous soyons réconciliés. (Suétone, Tibère, 61.)

[32] Nam et duo millia nominum recitata, quo ordine erant dicta, reddebum. (Préambule du livre I des Controverses.)

[33] Voyez la Vie de Lucain, volume II.

[34] M. Michelet, auteur d’une remarquable histoire de la république romaine. Voir tome II, p. 113.

[35] Épître aux Pisons, vers 287.

[36] Épître à Auguste, livre II, épître I, vers 287.

[37] Quintilien, Institutions oratoires, livre X, chapitre I.

[38] Quintilien, Institutions oratoires, livre X, chapitre I.

[39] Sénèque, Hippolyte, acte II, vers 616 et suivants.

[40] Sénèque, Hippolyte, acte II, vers 386 et suivants.

[41] Sénèque, Hippolyte, acte I, vers 115.

[42] Euripide, Hippolyte, vers 337 et suivants.

[43] Sophocle, les Trachiniennes, vers 549.

[44] Sophocle, les Trachiniennes, vers 552 et 553.

[45] Sophocle, les Trachiniennes, vers 746 et 747.

[46] Sophocle, les Trachiniennes, vers 876 et 877.

[47] Sophocle, les Trachiniennes, vers 815 et 816.

[48] Sophocle, les Trachiniennes, vers 329 et 334.

[49] Sophocle, Antigone et Œdipe à Colone.

[50] Sénèque, les Phéniciennes, acte I, vers 68 à 76.

[51] Sénèque, les Troyennes, acte III, vers 648.

[52] Sénèque, ibidem, acte IV, vers 892 et suivants.

[53] . . . . . . . . . . Sponte desiluit sua

In media Priami regna. (Troades, vers 1101.)

[54] Vir non luget uxorem, nullam debet uxori religionent luctus. (Digeste, livre III, tome II, ligne 9.)

[55] Sénèque, les Trachiniennes, vers 1280 et suivants.

[56] Utere ingenio, miser, se dit Œdipe cherchant un supplice digne de ses crimes.

[57] Sénèque, les Phéniciennes, acte I.

[58] Sénèque, Hippolyte, acte II.