Combat de Chevilly (30 septembre). Mort du général Guilhem. —
Etat des esprits dans Paris. — La question des subsistances. — Le rationnement.
— Les ballons et les pigeons voyageurs. — Les espions, les arrestations ;
fièvre de la population. — Premières résistances contre le gouvernement.
Accusations dirigées contre lui. — Résolutions du « Comité central
républicain » dans la salle de l'Alcazar. Les délégués du Comité à
l'Hôtel-de-Ville. — La question des élections municipales. — Les élections
indéfiniment ajournées. — Première manifestation sur la place de
l'Hôtel-de-Ville ; Gustave Flourens. — Réponse du gouvernement. — Nouvelles
des départements. — Insuffisance reconnue de la délégation de Tours. — Départ
de M. Gambetta, le 7 octobre. — Proclamation aux départements. —
Manifestation du 8 octobre. — Réprobation générale contre les agitateurs.
Discours de M. Jules Favre sur la place de l'Hôtel-de-Ville. — Combat de
Bagneux (13
octobre). —
Armement de Paris. — Activité du ministère des travaux publics. — Les canons,
les mitrailleuses. — Tableau des forces réunies sous Paris. — Mobilisation de
la garde nationale. — Combat de la Malmaison (21 octobre). — Nouvelles de province ; Orléans, Châteaudun. —
Félix Pyat, le Combat et Bazaine. — Démenti du gouvernement. Combat du
Bourget. — Reprise du Bourget. — Arrivée de M. Thiers à Paris. — Bruits
d'armistice. — Emotion extraordinaire provoquée par la nouvelle de la
capitulation de Metz.
De la
bataille de Châtillon à la fin du mois de septembre, aucun événement militaire
important ne se passa sous les murs de Paris. Çà et là des escarmouches entre
les avant-postes des deux armées, des coups de canon tirés par les forts sur
les convois ennemis, des reconnaissances partielles aux abords des villages
où l'assiégeant élevait des ouvrages de défense ; tels furent les incidents
préparatoires d'opérations plus sérieuses. La garde mobile s'exerçait au
métier des armes dans ces petits combats et l'on pouvait prévoir le moment où
ces troupes inexpérimentées iraient au feu sans défaillance. Le 30
septembre, au point du jour, Paris fut réveillé par une violente canonnade
qui grondait du côté du sud. Une action très-vive venait de s'engager en
avant du plateau de Villejuif, sur cet espace accidenté, compris entre le
cours de la Bièvre et de la Seine et où se trouvent Choisy-le-Roi, Thiais,
Chevilly et l'Hay. La route de Choisy-le-Roi à Versailles par où les Prussiens
conduisaient leurs convois de vivres et de troupes, passe auprès de ces
localités, que l'assiégeant s'était hâté de fortifier pour rester libre de
ses mouvements et garder ses communications avec le quartier général fixé,
comme on sait, à Versailles. Le général Trochu avait résolu de diriger une
attaque contre ces points fortifiés. Il prescrivit au général Vinoy de
s'avancer sur Choisy-le-Roi, Thiais, Chevilly, l'Hay, de détruire les
ouvrages construits par l'ennemi et de faire sauter, si c'était possible, le
pont de Choisy-le-Roi. Le 30 septembre, à l'aube, les forts de Charenton,
Ivry, Bicêtre et Montrouge ouvrent le feu pour préparer l'attaque de
l'infanterie, pendant que les troupes, divisées en trois colonnes après avoir
passé la nuit en avant du plateau de Villejuif, s'apprêtent à se porter en
avant. Aussitôt que le feu des forts a cessé, l'ordre de marche est donné. A
droite, le général Maudhuy se dirige sur l'IIay, pendant que le général
Guilhem, se précipitant avec impétuosité sur Chevilly, chasse l'ennemi de ses
positions et reste maître du village. Malheureusement l'attaque de l'aile
gauche sur Choisy-le-Roi n'est pas couronnée de succès. De ce côté, le
général Blaise, après quelques avantages, se heurte à une résistance
insurmontable, favorisée par des murs crénelés d'où l'ennemi fait beaucoup de
mal à ses soldats ; il est obligé de battre en retraite. Pendant ce temps,
vers la droite, les soldats du général Maudhuy, pén7trant avec vigueur Dans
l'Hay, s'emparent d'une batterie, qu'ils ne peuvent emmener, faute
d'attelages. Ils ne jouissent pas longtemps de leur victoire. Les Prussiens
reviennent contre le village avec des forces supérieures ; et ce retour
offensif Coûte la vie au brave général Guilhem qui tombe frappé
de dix balles. Chevilly se trouvant isolé par suite de la retraite des
troupes du général Maudhuy, les soldats, fort émus de la mort de leur
général, craignent d'être enveloppés. Le général Vinoy a vu le danger et,
redoutant une débandade, il fait sonner la retraite. Outre la perte du
général Guilhem, nous eûmes en tués, blessés ou disparus 1.988 hommes ; la
lutte avait été meurtrière dans le village de Chevilly, qui lui donna son
nom. L'effet
moral du combat de Chevilly fut très-grand à Paris. Les mobiles de la
Côte-d'Or et de la Vendée avaient reçu sans faiblir le baptême du feu ; les
troupes de ligne venaient de faire oublier par leur honorable conduite les
tristes souvenirs de la débandade de Châtillon. La chaude affaire qui venait
de se passer était le présage d'une action vigoureuse contre l'armée
assiégeante ; c'était, du moins, l'opinion générale. Cette bonne impression
n'était pas exemple, il est vrai, de quelque amertume ; on jugeait, non sans
humeur, le commandant en chef qui, faute d'attelages, avait privé les soldats
du général Blaise de la joie de ramener la batterie enlevée à l'ennemi. Une
telle conquête, après tant d'événements décourageants, eût réchauffé les
cœurs et augmenté la confiance des troupes dans leur propre valeur. Un
armistice de quelques heures ayant été conclu le lendemain pour l'enlèvement
des morts et des blessés, les Allemands apportèrent aux ambulances françaises
le cercueil du général Guilhem couvert de fleurs et de feuillage. Le service
funèbre fut célébré aux Invalides. Les
temps sérieux commençaient pour Paris. On n'avait jamais vu, dans le cours de
l'histoire, une ville de deux millions d'habitants privée tout à coup de communications
avec le reste du monde et réduite pour vivre à ses seules ressources. Quel
problème que celui des approvisionnements pour une cité si vaste ! Ce fut, au
début du siège, la préoccupation dominante. Pouvait-il en être autrement ? Était-il
possible de songer sans effroi aux calamités que la famine entraînerait, au
milieu d'une si grande population surexcitée ? Lorsque le Gouvernement
annonça, dans le Journal officiel, que la ville était approvisionnée pour
deux mois, cette nouvelle occasionna un grand soulagement, tout en
rencontrant dans beaucoup d'esprits une légère incrédulité. On ne se figurait
pas qu'on pût avoir assuré en quelques jours la subsistance de deux millions
d'hommes pour deux mois ; deux mois, du reste, cela paraissait un long espace
de temps. Dans la pensée générale, le siège de Paris ne durerait jamais
soixante jours ; avant l'expiration de ce délai, la province serait accourue
au secours de la capitale. Il était cependant indispensable de ménager les
vivres accumulés dans les murs de la ville assiégée : en conséquence, au
commencement d'octobre, la ration de la viande de boucherie fut fixée à 100
grammes par tête. Le temps approchait où cette viande, faisant défaut, serait
remplacée par la viande de cheval, d'âne, de mulet et autres animaux dont
l'homme, en temps normal, respecte l'existence. En présence de cette
éventualité, la bonne humeur parisienne ne se démentit pas un instant. Les
hommes qui ne savent pas se soumettre à un régime de siège avaient eu la
précaution de sortir de Paris avant l'investissement, les uns pour se cacher
en province, les autres pour contempler la lutte du sein des pays étrangers. Si la
population parisienne se résigna en souriant à la viande de cheval, elle se
soumit avec plus de peine à l'absence de toutes nouvelles du dehors, car si
l'on était prêt à agir pour la délivrance, au moins fallait-il agir de
concert avec la province et savoir ce qui se passait dans le reste de la
France. Ceci, un jour, paraîtra de la légende : cette immense ville ne
communiquait plus avec la France et le monde que par des ballons qui
emportaient ses correspondances et ses journaux, et elle ne recevait elle-même
de nouvelles du dehors que par des pigeons voyageurs qui, emportés dans les
ballons, revenaient à leur colombier, poussés par leur merveilleux instinct,
rapportant attachées à une aile les dépêches de la province. La ville de
l'esprit et de l'intelligence était, en plein dix-neuvième siècle, suspendue
au vol d'un oiseau, ne connaissant que par ce messager des temps primitifs
les événements dont la France était le théâtre. Qu'un accident, qu'un épais
brouillard vînt arrêter dans sa course le pigeon voyageur ; c'était, pour
deux millions d'êtres humains, la solitude morale ajoutée à l'autre, et pour
le commandement militaire, le tâtonnement et l'incertitude. Un câble
télégraphique reliant Paris à Rouen avait été jeté dans le lit de la Seine,
au commencement du siège ; les Prussiens, en fouillant le fleuve, avaient
coupé le fil. D'autres expériences avaient été tentées sans succès ; Paris en
était resté aux pigeons et aux ballons. Cette histoire semble appartenir à
une antiquité reculée ; elle a été la nôtre, au milieu du siècle le plus
éclairé qui ait jamais été. Dans
toute ville assiégée, la population arrachée à ses habitudes de travail, vit,
pour ainsi dire, sur les places publiques ; des nouvelles contradictoires
circulent dans les groupes ; les esprits vont sans cesse d'un extrême à
l'autre, tantôt confiants, pleins d'espérance, tantôt abattus, en proie au
découragement. De ce choc perpétuel de sentiments contraires découle en peu
de temps une lassitude singulière, un état nerveux spécial qui fait qu'on
croit aux récits les plus étranges. Ce n'est pas assez des dangers réels, on
se forge des dangers imaginaires ; on voit des ennemis partout. La population
parisienne, toute sceptique et vaillante qu'elle soit, ne sut pas échapper à
cette crise nerveuse. Il est hors de doute que l'ennemi entretenait des
espions dans la ville et qu'il était tenu par eux au courant de tout ce qui
s'y passait. On en vint à suspecter tout étranger et à se livrer à une
véritable débauche d'arrestations. Sous les prétextes les plus futiles, des
gardes nationaux pénétraient dans les maisons particulières ; le mouvement
d'une lampe à un étage élevé était interprété comme un signal par une foule
surexcitée : il s'en suivait des scènes tumultueuses. Des gens inoffensifs
étaient conduits au poste, où on ne tardait pas, d'ailleurs, à les mettre en
liberté. Le gouverneur de Paris fut obligé de modérer, par une circulaire, le
zèle des gardes nationaux. Quant aux véritables espions, ils continuaient
paisiblement leur métier, pendant qu'on s'imaginait les avoir arrêtés. Ils
n'avaient pas besoin de correspondre avec l'assiégeant au moyen de signaux nocturnes,
que celui-ci n'aurait pas aperçus, du reste, à la distance où il était de la
ville. Les véritables espions étaient des maraudeurs, des femmes, des enfants
même qui, chaque jour, franchissaient les avant-postes et portaient à
l'ennemi les journaux de Paris. Le général Trochu crut mettre un terme à ces
relations criminelles en soumettant à la formalité d'un laissez-passer toutes
les personnes qui franchissaient les lignes avancées. En fait, on peut croire
que ces correspondances coupables ne furent jamais interrompues ; les
misérables que l'ennemi payait pour faire ce métier y mirent seulement un peu
plus de prudence. Des
difficultés d'un autre ordre occupaient l'attention du gouvernement. On n'a
pas oublié qu'au 4 septembre les membres du gouvernement institué à
l'Hôtel-de-Ville avaient laissé à l'écart les représentants du parti
républicain avancé. De ces hommes, les uns, portant des noms éclatants,
jouissaient de l'estime universelle, et il est certain que leur admission au
sein du gouvernement n'eût provoqué ni réclamation, ni défiance ; les autres,
au contraire, haineux et agressifs, dissimulaient mal le dépit qu'ils avaient
éprouvé d'être tenus à l'écart, et, sans se rendre compte des difficultés de
la première heure, dès les premiers jours du siège, ils avaient hautement
accusé le gouvernement de faiblesse et d'incapacité. Ils demandaient les
élections municipales qui, seules, dans leur pensée, devaient imprimer un
caractère énergique à la résistance et sauver Paris et la France. On voit dès
le 20 septembre, un comité qui s'intitule « comité central républicain des
vingt arrondissements de Paris » se réunir dans la salle de l'Alcazar, et,
sur la proposition d'un de ses membres, formuler les résolutions suivantes : I. La République ne peut traiter
avec l'ennemi qui occupe le territoire. II. Paris est résolu à
s'ensevelir sous ses ruines plutôt que de se rendre. III. La levée en masse sera
immédiatement décrétée dans Paris et dans les départements, ainsi que la
réquisition générale de tout ce qui peut être utilisé pour la défense du pays
et la subsistance de ses défenseurs. IV. La remise immédiate entre
les mains de la commune de Paris de la police municipale. En conséquence,
suppression de la Préfecture de police. V. L'élection rapide des membres
de la commune. Cette commune se composera d'un membre a raison de dix mille
habitants. Il est arrêté que les
résolutions ci-dessus seront portées par voie d'affichage à la connaissance
de la population de Paris et seront en même temps notifiées au gouvernement
provisoire par une commission composée de vingt délégués choisis dans les
arrondissements de Paris. Il est encore arrêté par
l'assemblée que chaque citoyen devra veiller en armes au maintien des
affiches. De qui
les membres du comité central républicain avaient-ils reçu le pouvoir qu'ils
s'arrogeaient ? En vertu de quelle élection ? On l'ignore. Toujours est-il
que les résolutions adoptées dans la réunion du 20 septembre furent apportées
à l'Hôtel-de-Ville par des délégués choisis à cet effet. Là on leur donna l'assurance
que les élections de la commune de Paris auraient lieu, selon toute
apparence, le dimanche 28 septembre. On sait qu'à la suite de l'entrevue de
Ferrières, le gouvernement, modifiant son projet primitif, ajourna
indéfiniment l'élection d'une Assemblée nationale, et, du même coup, les
élections municipales de Paris. La querelle s'envenimait. Les feuilles
radicales, très-irritées répondirent aussitôt qu'il fallait passer outre sur
le décret du gouvernement et procéder aux élections municipales les 2 et 3
octobre. Les clubs, animés par les délégués du comité central, applaudirent à
cette résolution. On se ravisa pourtant au dernier moment et l'on décida
qu'il y avait lieu d'accorder un nouveau crédit au gouvernement. L'orage, un
instant, apaisé, ne tarda pas à gronder encore. Il y
avait alors dans le quartier de Bolleville une sorte de roi, commandant six
bataillons de la garde nationale, tête chaude et cœur généreux, brave jusqu'à
la témérité, imprudent jusqu'à la folie, très-populaire, parce qu'il était
honnête et qu'il avait beaucoup lutté contre l'Empire : c'était Gustave
Flourens. Toujours prêt au sacrifice de sa vie, il courait volontiers vers le
danger tête baissée. Flourens ne comprenait pas que le général Trochu n'eût
pas déjà lancé contre l'ennemi toutes les troupes réunies dans Paris, et il
était de ceux qui pensaient que les élections municipales, faisant passer le
pouvoir en d'autres mains, arracheraient Paris à l'étreinte des Prussiens.
Les orateurs de clubs propageaient cette chimère, et, de concert avec la
presse hostile au gouvernement, exaltaient le cerveau de Flourens, qui
n'avait pas besoin de ce surcroît d'excitation, depuis que six mille hommes
résolus obéissaient à ses ordres. Flourens se trouvait être, au commencement
d'octobre, l'homme d'action des partisans de la commune. Il le fit voir. Le 5
octobre, dans l'après-midi, il descend avec ses six bataillons, musique en
tête, sur la place de l'Hôtel-de-Ville, et se présente, accompagné des
officiers de son état-major, devant les membres du gouvernement. Il vient,
dit-il, au nom de ses amis, porter plusieurs réclamations ; il demande que
les élections municipales aient lieu dans le plus bref délai, que la garde
nationale soit armée avec les chassepots restant dans les magasins de l'Etat,
que des sorties sérieuses soient faites par la garnison de Paris contre
l'armée assiégeante. Sinon, il donnera sa démission, et la défense de Paris
se passera de ses services. Tel fut, en résumé, son discours. M.
Gambetta, ministre de l'intérieur, répond à Flourens que les élections
municipales, primitivement fixées au 28 septembre, sont et demeurent
ajournées ; il serait urgent de réviser les listes électorales ; or, on ne
vient pas même se faire inscrire : d'ailleurs, ajoute-t-il, ces questions
regardent le gouvernement seul et se résolvent sous la responsabilité
personnelle de ses membres. M.
Dorian, répond à son tour, comme ministre des travaux publics, que les dix
mille chassepots en magasin sont destinés à remplacer ceux qui se brisent
entre les mains de la garde mobile : il faudrait avoir de l'acier pour en
fabriquer de nouveaux, mais l'acier manque à Paris. À défaut de chassepots,
il s'engage à fournir, en quinze jours, dix mille fusils à tabatière et
soixante mitrailleuses, mais il ne peut pas faire davantage. Quant aux
grandes sorties demandées par Flourens, le général Trochu estime qu'avant de
les tenter il importe de compléter l'armement et d'équilibrer les chances de
la lutte. Agir autrement, ce serait vouer des milliers de citoyens à une mort
certaine et inutile. Peu
satisfait de ces réponses, Flourens remonte à Belleville à la tête de ses
Bataillons, très-exalté et résolu à recommencer tôt ou tard une lutte engagée
sous le regard' de l'ennemi. Ces
sommations imprudentes et prématurées jetèrent dans Paris une émotion
très-vive, et leur conséquence fut d'éveiller des doutes sur l'opportunité
des élections municipales. Quand la partie sensée de la population comprit
que les partisans de la commune se proposaient de prendre la place du
gouvernement et de substituer à un pouvoir connu un pouvoir inconnu, elle
s'attacha davantage à ce qui existait. Les hommes qui siégeaient à l'Hôtel-de-Ville
lui paraissaient offrir des garanties plus sérieuses que les représentants de
ce comité central, dont l'existence venait de se révéler. De son côté, lé
gouvernement, se sentant appuyé contre ses adversaires par l'immense majorité
de Paris, écarta tout à fait les élections municipales. On eût dit qu'il les
redoutait ; or il n'est pas douteux qu'elles lui eussent été favorables, et
il n'y a aucune témérité à penser que les hommes élus à cause de leur valeur
personnelle ou de l'éclat de leur nom auraient apporté un concours puissant
au gouvernement. Une autre conséquence des élections eût été d'imposer
silence aux récriminations des quartiers exaltés en leur ôtant le prétexte
légitime au nom duquel ils s'agitaient. Le gouvernement manqua, en cette occurrence,
ou d'habileté ou de décision. Quant à ses adversaires, irrités' par ce
premier échec qui les rendait suspects, ils redoublèrent d'efforts dans la
presse et dans les clubs, se promettant bien de rentrer en scène à la
première faute. Les fautes, hélas ! ne devaient pas manquer dans une
situation si critique. Un
rayon d'espoir vint luire tout à coup dans ce ciel chargé d'orages. Une
dépêche apportée de province par un pigeon voyageur brisait enfin le long
silence dont Paris souffrait depuis deux semaines. La délégation de Tours
annonçait que les départements organisaient la résistance et que tous les
hommes valides accouraient sous les drapeaux pour faire à l'étranger une
guerre à outrance. Ces
bonnes nouvelles ne dissipèrent pas les craintes du gouvernement à l'endroit
de la délégation de Tours, que toute la presse parisienne accusait de
faiblesse. Un mois s'était écoulé depuis le départ de MM. Glais-Bizoin et
Crémieux : qu'avaient-ils fait ? où étaient les armées qu'ils avaient levées
? D'après un bruit très-répandu, les membres de la délégation étaient
entourés d'anciennes créatures de l'Empire qui paralysaient leurs efforts et
leur représentaient sans cesse la nécessité de faire procéder aux élections.
Le décret rendu à Paris le 24 septembre' et ajournant jusqu'à nouvel ordre la
nomination d'une Assemblée était-il parvenu à Tours ? Serait-il exécuté ? Le
gouvernement de Paris avait des raisons pour en clouter. D'autre part, le
général Trochu s'était arrêté à un plan qui consistait à opérer une trouée à
l'ouest de Paris et à se diriger vers Rouen, en suivant le cours de la Seine.
Ce mouvement ne pouvait réussir que si l'armée parisienne agissait de concert
avec les armées de province. Gomment prévenir la délégation de Tours de ce
dessein, auquel était attaché le salut de la patrie ? Le gouvernement résolut
d'envoyer un de ses membres à Tours, et il choisit pour cette importante
mission M. Gambetta, ministre de l'intérieur, dont le patriotisme, la
jeunesse, l'éloquence enflammeraient le pays. M. Gambetta ne recula pas
devant le périlleux voyage que lui proposaient ses collègues : n'écoutant que
son amour pour la France, il monta en ballon dans la matinée du 7 octobre, en
présence d'une foule immense, qui le poursuivit longtemps de ses acclamations
; le soir du même jour, après avoir entendu siffler les balles allemandes, il
atterrissait dans la forêt d'Epineuse, non loin de Montdidier (Somme) ; le lendemain, il arrivait à
Tours, pendant que la France, informée de cet événement par le télégraphe,
sentait un sang nouveau circuler dans ses veines et ressaisissait les grands
espoirs. M.
Gambetta publiait en arrivant la proclamation suivante : Tours,
9 octobre 1870. Citoyens
des départements, Par
ordre du gouvernement de la République, j'ai quitté Paris pour venir vous
apporter, avec les espérances du peuple renfermé dans ses murs, les
instructions et les ordres de ceux qui ont accepté la mission de délivrer la
France de l'étranger. Paris,
depuis dix-sept jours étroitement investi, a donné
au monde un spectacle unique, le spectacle de plus de deux millions d'hommes
qui, oubliant leurs préférences, leurs dissidences antérieures, pour se
serrer autour du drapeau de la République, ont déjà déjoué les calculs des envahisseurs,
qui comptaient sur la discorde civile pour lui ouvrir les portes de la
capitale. La
révolution avait trouvé Paris sans canons et sans armes. A l'heure qu'il est,
on a armé quatre cent mille hommes de garde nationale, appelé cent mille
mobiles, groupé soixante mille hommes de troupes régulières. Les ateliers
fondent des canons, les femmes fabriquent un million de cartouches par jour ;
la garde nationale est pourvue de deux mitrailleuses par bataillon ; on lui
fait des canons de campagne pour qu'elle puisse opérer bientôt des sorties
contre les assiégeants ; les forts occupés par la marine ressemblent à autant
de vaisseaux de haut bord immobiles, garnis d'une artillerie merveilleuse et
servie par les premiers pointeurs du monde. Jusqu'à présent, sous le feu de
ces forts, l'ennemi a été impuissant à établir le moindre ouvrage. L'enceinte
elle-même, qui n'avait que 300 canons, le 4 septembre, en compte aujourd'hui
3.800 ; à la même date, il y avait 30 coups de canon à tirer par pièce ;
aujourd'hui il y en a 400, et l'on continue à fondre des projectiles avec une
fureur qui tient du vertige. Tout le monde a son poste marqué dans la cité et
sa plate de combat. L'enceinte est perpétuellement couverte par la garde
nationale, qui, de l'aube à la nuit, se livre à tous les exercices de la
guerre avec l'application du patriotisme, et on sent tous les jours grandir
la solidité et l'expérience de ces soldats improvisés. Derrière
cette enceinte ainsi gardée, s'élève une troisième enceinte, construite sous
la direction du comité des barricades ; derrière ces pavés savamment
disposés, l'enfant de Paris a retrouvé, pour la défense des institutions
républicaines, le génie même du combat des rues. Toutes
ces choses, partout ailleurs impossibles, se sont exécutées au milieu du
calme, de l'ordre, et grâce au concours enthousiaste qui a été donné aux
hommes qui représentent la République. Ce n'est point une illusion ; ce n'est
pas non plus une vaine formule : Paris est inexpugnable ; il ne peut plus
être pris, ni surpris. Restaient
aux Prussiens deux autres moyens d'entrer dans la capitale, la sédition et la
faim. La sédition, elle ne viendra pas, car les suppôts et les complices du
gouvernement déchu, ou bien ils ont fui, ou bien ils se cachent. Quant aux
serviteurs de la République, les ardents comme les tièdes, ils trouvent dans
le gouvernement de l'Hôtel de Ville d'incorruptibles otages de la cause
républicaine et de l'honneur national. La
famine ! Prêt
aux dernières privations, le peuple de Paris se rationne volontairement tous
les jours ; et il a devant lui, grâce aux accumulations de vivres, de quoi
défier l'ennemi pendant de longs mois encore. Il supportera avec une mâle
constance la gêne et la disette, pour donner à ses frères des départements le
temps d'accourir et de le ravitailler. Telle
est, sans déguisement ni détour, la situation de la capitale de la France. Citoyens
des départements, Cette
situation vous impose de grands devoirs. Le
premier de tous, c'est de ne vous laisser divertir par aucune préoccupation
qui ne soit pas la guerre, le combat à outrance ; le second, c'est, jusqu'à
la paix, d'accepter fraternellement le commandement du pouvoir républicain
sorti de la nécessité et du droit. Ce pouvoir, d'ailleurs, ne saurait sans
déchoir s'exercer au profit d'aucune ambition. II n'a qu'une passion et qu'un
titre : arracher la France à l'abîme où la monarchie l'a plongée. Cela fait,
la République sera fondée et à l'abri des conspirateurs et des
réactionnaires. Donc,
toutes autres affaires cessantes, j'ai mandat, sans tenir compte des
difficultés ni des résistances, de remédier, avec le concours de toutes les
libres énergies, aux vices de notre situation, et, quoique le temps manque, de
suppléer à force d'activité à l'insuffisance des délais. Les hommes ne
manquent pas. Ce qui a fait défaut, c'est la résolution, la décision et la
suite dans l'exécution des projets. Ce
qui a fait défaut après la honteuse capitulation de Sedan, ce sont les armes.
Tous nos approvisionnements de cette nature avaient été dirigés sur Sedan,
Metz et Strasbourg ; et l'on dirait que, par une dernière et criminelle
combinaison, l'auteur de tous nos désastres a voulu, en tombant, nous enlever
tous les moyens de réparer nos ruines. Maintenant, grâce à l'intervention
d'hommes spéciaux, des marchés ont été conclus, qui ont pour but et pour
effet d'accaparer tous les fusils disponibles à l'étranger. La difficulté
était grande de se procurer la réalisation de ces marchés : elle est
aujourd'hui surmontée. Quant
à l'équipement et à l'habillement, on va multiplier les ateliers et requérir
les matières premières, si besoin est ; ni les bras ni le zèle des
travailleurs ne manquent ; l'argent ne manquera pas non plus. Il
faut enfin mettre en œuvre toutes nos ressources qui sont immenses, secouer
la torpeur de nos campagnes, réagir contre de folles paniques, multiplier la
guerre de partisans, et, à un ennemi si fécond en embûches et en surprises,
opposer des pièges, harceler ses flancs, surprendre ses derrières, et enfin
inaugurer la guerre nationale. La
République fait appel au courage de tous ; son gouvernement se fera un devoir
d'utiliser tous les courages et d'employer toutes les capacités. C'est sa
mission à elle d'armer les jeunes chefs, nous en ferons ! Le ciel lui-même
cessera d'être clément pour nos adversaires, les pluies d'automne viendront,
et retenus par la capitale, les Prussiens, si éloignés de chez eux,
inquiétés, troublés, pourchassés par nos populations réveillées, seront
décimés pièce à pièce par nos armes, par la faim, par la nature. Non,
il n'est pas possible que le génie de la France se soit voilé pour toujours,
que la grande nation se laisse prendre sa place dans le monde par une
invasion de cinq cent mille hommes. Levons-nous
donc en masse, et mourons plutôt que de subir la honte du démembrement. A
travers tous nos désastres, et sous les coups de la mauvaise fortune, il nous
reste encore le sentiment de l'unité française, l'indivisibilité de la
République. Paris cerné affirme plus glorieusement encore son immortelle
devise, qui dictera aussi celle de toute la France. Vive
la nation ! Vive la République une et indivisible ! Le membre du Gouvernement de la
défense nationale, ministre de l'intérieur, Léon GAMBETTA. Pendant
que les départements se réveillaient à la voix de M. Gambetta, les partisans
des élections municipales continuaient, dans Paris, leurs manifestations dans
l'espoir d'obliger le gouvernement à accéder à leurs désirs. Le comité
central des vingt arrondissements, les clubs et la presse radicale
soufflaient le feu sans trêve ni repos et se répandaient en accusations sur
toutes choses. Tous leurs reproches n'étaient pas injustes, mais la violence
de leur langage consolidait le gouvernement, au lieu de l'ébranler, et le
dépit qu'ils en éprouvaient augmentait encore leur impatience. De nouveaux
rassemblements se formèrent, le 8 octobre, sur la place de l'Hôtel-de-Ville.
Des cris nombreux de « Vive la commune ! » se firent entendre dans les
groupes. Ils se perdirent au milieu d'une foule qui, indifférente en
apparence, n'en condamnait pas moins avec sévérité des hommes qui semaient la
discorde dans une ville assiégée. Des bataillons de la garde nationale étant
accourus pour défendre le gouvernement, les manifestants, voyant leur
impuissance, prirent le parti de se retirer. Sur ces entrefaites, le général
Trochu arrivait à cheval et recevait une ovation. Les membres du gouvernement
descendaient de l'Hôtel-de-Ville et passaient la garde nationale en revue,
recueillant sur leur passage les cris de : « Vive le gouvernement ! Vive la
République ! Pas de commune ! » «
Messieurs, dit M. Jules Favre aux officiers rassemblés, cette journée est
bonne pour la défense, car elle affirme une fois de plus et d'une manière
éclatante notre ferme résolution de rester unis pour sauver la patrie. Cette
union intrépide, dévouée dans une seule et même pensée, elle est la raison
d'être du gouvernement que vous avez fondé le 4 septembre. «
Aujourd'hui vous consacrez de nouveau sa légitimité. Vous entendez le
maintenir pour qu'avec vous il délivre le sol national de la souillure de
l'étranger ; de son côté, il s'engage envers vous à poursuivre ce noble but
jusqu'à la mort, et, pour l'atteindre, il est décidé à agir avec fermeté
contre ceux qui tenteraient de l'en détourner. « Par
un redoutable hasard de la fortune, Paris a l'honneur de concentrer sur lui
les efforts des agresseurs de la France. Il est son boulevard. Il la sauvera
par votre abnégation, par votre courage, par vos vertus civiques, et si
quelques téméraires essayent de jeter dans son sein des germes de division,
votre bon sens les étouffera sans peine. « Tous,
nous eussions été heureux de donner aux pouvoirs municipaux le fondement
régulier d'une libre élection. Mais tous aussi, nous avons compris que,
lorsque les Prussiens menacent la cité, ses habitants ne peuvent être qu'aux
remparts et même au dehors, où ils brûlent d'aller chercher l'ennemi. « Quand
ils l'auront vaincu, ils reviendront aux urnes électorales, et, au moment où
je vous parle, entendez-vous l'appel suprême qui m'interrompt ? C'est la voix
du canon qui tonne et qui nous dit à tous où est le devoir. «
Messieurs, un mot encore : « Aux
remercîments du gouvernement, qui est votre œuvre, votre cœur, votre âme, qui
n'est quelque chose que par vous et pour vous, laissez-moi mêler un avis
fraternel : que cette journée ne fasse naître en nous aucune pensée de
colère, ou même d'animosité. Dans cette grande et généreuse population, nous
n'avons pas d'ennemis. Je ne crois pas même que nous puissions appeler
adversaires ceux qui me valent l'honneur d'être maintenant au milieu de vous.
Ils ont été entraînés ; ramenons-les par notre patriotisme. La leçon ne sera
pas perdue pour eux ; ils verront par votre exemple combien il est beau
d'être unis pour servir la patrie ; et désormais c'est avec nous qu'ils
voleront à sa défense. » M.
Jules Favre était optimiste : le gouvernement avait des ennemis, peu
nombreux, il est vrai, auxquels il pardonnait, mais qui ne lui pardonnaient
pas. Flourens en s'éloignant, le 5 octobre, de l'Hôtel-de-Ville avait dit que
la lutte recommencerait un jour ; les auteurs de la manifestation du 8
octobre emportèrent le même sentiment, aigri par deux échecs. Quant au
gouvernement, il reçut de ce double conflit une popularité plus grande, et,
comme conséquence, une responsabilité plus lourde. Pour désarmer ses
adversaires et les mettre dans l'impuissance de nuire, ce n'était pas assez
de ne pas leur céder la place, comme ceux-ci le souhaitaient sous prétexte
d'instituer la commune ; il fallait leur fermer la bouche par un redoublement
d'activité, par de fréquentes sorties contre l'armée assiégeante. Le général
Trochu, dont le prestige n'avait point encore baissé, disait avoir son plan,
et on le croyait sur parole ; l'immense majorité de Paris estimait donc qu'il
n'était ni juste, ni prudent de presser l'exécution d'un projet qui ne
pouvait être couronné de succès que si on l'exécutait en temps opportun ; on
fabriquait des canons et des projectiles, on organisait la garde nationale ;
chaque jour amenait un progrès nouveau. Pourquoi, disait-on, venir troubler
le gouvernement au milieu de son œuvre ? Pourquoi lui susciter des
difficultés ? Ainsi raisonnait dans son bon sens la population parisienne ;
aussi jugeait-elle avec une extrême sévérité les auteurs des manifestations
qui, en semant des ferments de discorde, apportaient une diversion funeste à
l'œuvre de la défense. Pendant
que ces événements se passaient dans l'intérieur de Paris, les avant-postes
continuaient à se tenir en éveil par de continuelles escarmouches : c'étaient
de petits combats qui n'avaient d'autre avantage que d'accoutumer au feu nos
troupes inexpérimentées, et surtout nos mobiles. L'impatience publique ne
s'accommodait pas de ces rencontres insignifiantes, relatées dans des
rapports quotidiens très-monotones. On attendait tous les jours un engagement
plus sérieux contre les lignes d'investissement. De son côté, le gouverneur
de Paris déclarait qu'il saurait résister à l'impatience publique et qu'il
agirait à son heure. Toutefois, le 13 octobre une tentative assez sérieuse
fut dirigée sur la ligne de Choisy-le-Roi à Versailles, sur les lieux mêmes
où les troupes du 13e corps s'étaient déjà deux fois battues, d'abord à
Châtillon puis à Chevilly. L'armée assiégeante s'était empressée de fortifier
le fort de Châtillon, position excellente pour assurer la liberté de ses
mouvements entre Choisy-le-Roi et Versailles et pour menacer les forts du
Sud. Le gouverneur de Paris se décida à faire attaquer la redoute. A cet
effet, le 13e corps fut divisé en trois colonnes : la première formant
l'extrême droite, reçut l'ordre de se porter contre Clamart ; la seconde, au
centre, sous le commandement du général Susbielle, devait marcher sur le
village de Châtillon et s'avancer ensuite contre la redoute ; la troisième,
comptant dans ses rangs les mobiles de l'Aube et de la Côte-d'Or, avait ordre
d'attaquer Bagneux, village occupé par l'ennemi et couvert de barricades. Au
signal donné par le fort de Vanves, les mobiles de l'Aube et de la Côte-d'Or
se précipitent sur Bagneux, défendu par le 5e bataillon de chasseurs à pied,
du 2e corps Bavarois. Les Bavarois surpris sont chassés de barricade en
barricade et forcés d'évacuer le village ; ils laissent entre les mains des
mobiles des armes et des prisonniers. Le commandant des mobiles de l'Aube, M.
de Dampierre, avait perdu la vie dans ce brillant fait d'armes. Moins heureux
au centre, la colonne commandée par le général Susbielle, après avoir
traversé Châtillon, ne peut aborder la redoute. L'ennemi, abrité derrière des
murs crénelés, lui faisait beaucoup de mal et retardait sa marche, ce qui
donnait aux renforts le temps d'accourir. Déjà en effet, on voyait arriver de
l'artillerie par la Croix-de-Berny. Vers six heures, des batteries démasquées
à Sceaux et à Bourg-la-Reine lançaient des obus sur Bagneux, où les mobiles
n'avaient pas songé à se fortifier, dans l'ignorance où l'on était si l'on
voulait garder le village pour reprendre le lendemain l'attaque de la
redoute. Quelle était à cet égard l'intention du général Trochu ? Le général
Vinoy, commandant en chef du 13e corps, déclare ne l'avoir jamais su. Après
avoir pris Bagneux, il avait adressé au gouverneur de Paris la dépêche
suivante : « Nous
sommes maîtres de Bagneux, je prends des mesures pour nous y maintenir :
voulez-vous le conserver ? » Le
général Trochu répondit d'une façon évasive, ne disant à Vinoy ni de
conserver ni d'abandonner le village. Le commandant du 13e corps en conclut
qu'il devait se retirer sous le canon des forts. Vers
trois heures, on sonne la retraite. Aussitôt des colonnes d'infanterie
prussienne se précipitent sur Bagneux, et, dans leur élan, menacent de nous
poursuivre hors du village ; nos troupes, faisant volte-face à propos,
ouvrent sur les Bavarois un feu nourri qui, joint à la canonnade des forts,
les oblige à rétrograder. Ainsi finit le combat de Bagneux. La journée avait
été honorable pour nous ; les troupes s'étaient bien battues ; mais quel
avait été le but du général Trochu ? Était-ce la reprise de la redoute de
Châtillon ? Dans ce cas, pourquoi n'avoir pas ordonné à la colonne du centre
de se fortifier dans Bagneux, afin de trouver dans ce village un solide point
d'appui pour une nouvelle attaque ? Ou bien, le gouverneur de Paris avait-il livré
le combat de Bagneux pour calmer les impatiences ? Ce résultat négatif
n'était pas fait pour imposer silence à ses adversaires. Ces attaques molles,
décousues, commençant toujours par un succès et se terminant, avant la fin du
jour, par une retraite, ne relevaient pas le moral de l'armée. La confiance
baissait, on commençait à se demander sérieusement si le général Trochu avait
un plan. Sur ces
entrefaites, le gouverneur de Paris prit le parti de former des compagnies de
volontaires de la garde nationale, vivement réclamées par l'opinion publique.
La garde nationale parisienne comptait, vers le milieu d'octobre, 288
bataillons, formant un effectif total de 280.000 hommes de toute condition et
de tout âge, depuis le jeune homme de vingt-cinq ans jusqu'au bourgeois
patriote qui, sans compter ses années, avait pris un fusil et veillait aux
remparts. Le bon sens disait assez que le commandement militaire ne pouvait
pas tirer le même parti de ces éléments divers ; que les hommes âgés, formant
la garde nationale sédentaire, devaient garder l'intérieur de la ville et les
remparts, pendant que la partie active et jeune, versée dans des compagnies
de marche, serait appelée à soutenir les troupes régulières dans les
opérations extérieures. Mais il y avait de très-grandes divergences d'opinion
à cet égard entre les états-majors et la population civile. Les militaires ne
croyaient pas à ces soldats improvisés n'ayant ni l'habitude des fatigues de
la guerre ni l'instruction pratique sans laquelle une agglomération d'hommes
armés ne saurait être considérée comme une armée capable d'être conduite à
l'ennemi. Les civils pensaient, au contraire, que l'autorité militaire
pouvait choisir dans la garde nationale les éléments d'une armée sérieuse ;
n'avait-on pas sous les yeux l'exemple de la garde mobile, qui avait marché
bravement au feu à Chevilly et à Bagneux ? Le général Trochu était de l'avis
des états-majors ; mais il y aurait eu quelque danger à résister au sentiment
public sur cette question, toute de patriotisme ; le gouverneur résolut donc
de créer des compagnies de volontaires. Il écrivit une lettre au maire de
Paris sur le mode de l'enrôlement et les règles de l'organisation nouvelle :
un registre serait ouvert dans chaque mairie pour recevoir les noms des volontaires
; chaque compagnie se composerait de 150 hommes, et, si les inscriptions
spontanées donnaient un chiffre supérieur à 150, il serait fait un choix dans
l'excédent des hommes âgés de moins de trente-cinq ans, célibataires,
justifiant d'une certaine connaissance du maniement des armes et jouissant
d'une santé robuste. Cette lettre se terminait par les considérations
suivantes : « Au mois
de juillet dernier, l'armée française, dans tout l'éclat de sa force,
traversait Paris au cri de : « A Berlin ! à Berlin ! » J'étais loin de
partager celle confiance, et, seul peut-être entre tous les officiers
généraux, j'osai déclarer au maréchal ministre de la guerre que j'apercevais
dans cette bruyante entrée en campagne, aussi bien que dans les moyens mis en
œuvre, les éléments d'un grand désastre. Le testament que j'ai déposé à cette
époque entre les mains de Me Ducloux, notaire à Paris, témoignera à un jour donné des douloureux pressentiments, trop motivés, dont
mon être était rempli. «
Aujourd'hui, devant la fièvre qui s'est très-légitimement emparée des
esprits, je rencontre des difficultés qui offrent la plus frappante analogie
avec celles qui se sont produites dans le passé. « Je
déclare ici que, pénétré de la foi la plus entière dans le retour de la
fortune, qui sera dû à la grande œuvre de résistance que résume le siège de
Paris, je ne céderai pas à la pression de l'impatience publique. M'inspirant
des devoirs qui nous sont communs à tous et des responsabilités que personne
ne partage avec moi, je suivrai jusqu'au bout le plan que je me suis tracé,
sans le révéler, et je ne demande à la population de Paris, en échange de mes
efforts, que la continuation de la confiance dont elle m'a jusqu'à ce jour
honoré. » L'appel
aux volontaires de la garde nationale fut considéré comme une de ces
demi-mesures molles et indécises qu'on reprochait au gouvernement ; il resta
lettre morte. Le général Trochu demandait à Paris de lui garder sa confiance,
mais il ne montrait pas la ferme volonté d'agir, et ce qu'on attendait de
lui, à tort ou à raison, c'était une action énergique. Le siège durait depuis
un mois, et aucune tentative vraiment digne de ce nom n'avait été faite
contre les lignes ennemies : voilà ce qui frappait tous les esprits. On ne se
demandait pas si le gouvernement, qu'on pressait d'agir, avait les moyens de
le faire sans courir au-devant d'un échec ; l'impatience publique ne
s'accommodait pas des lenteurs, elle oubliait que le gouvernement avait
trouvé une place immense dépourvue de soldats et d'artillerie et que les canons
ne s'improvisent pas en quelques jours. Pendant ce temps, les clubs et
certains journaux tonnaient : ils disaient que le général Trochu devait se
jeter avec de grandes masses d'hommes sur un point de la ligne
d'investissement et opérer, coûte que coûte, une trouée. Autant la confiance
dans le succès était aveugle, d'une part, autant, de l'autre, la foi dans la
défense était faible et chancelante. Ici, éclatait l'impatience qui pouvait
conduire à un grand désastre, ou au moins à un carnage inutile ; là
dominaient la mollesse, le culte des traditions militaires et le respect de
la routine. Cette tendance du général Trochu et des comités à conserver leurs
préjugés de métier s'était accusée surtout dans la ténacité de leurs
défiances vis-à-vis de l'artillerie nouvelle, dont le ministre des travaux
publics avait entrepris la fabrication. L'histoire des résistances
rencontrées par M. Dorian serait instructive ; il est plus simple de dire en
peu de mots ce qu'il fit pour la défense. Quand les Prussiens s'étaient
approchés de Paris, l'enceinte était dépourvue de tout : de pièces
d'artillerie, d'affûts, de projectiles. Les quelques pièces dont on disposait
n'avaient que dix coups à tirer. On s'émut du danger ; on créa des
commissions spéciales ; ces commissions, composées de professeurs,
d'ingénieurs de chemins de fer et d'ingénieurs civils, se divisèrent le
travail ; les unes étudièrent l'analyse chimique des métaux qui entraient
dans la composition des pièces, les autres s'occupèrent de la construction
des affûts. Deux genres de difficultés ralentirent leurs efforts au début :
les unes venaient des choses, les autres venaient des hommes ; le comité
d'artillerie, très-défiant à l'endroit des nouveaux canons, ne communiquait
qu'avec regret les documents scientifiques dont on avait besoin pour se
guider dans les études préparatoires ; en outre, les propriétaires des
grandes usines de Paris hésitaient à se lancer dans la fabrication des engins
nouveaux et refusaient surtout d'engager leur responsabilité. L'institution
d'un comité mixte d'ingénieurs et d'officiers d'artillerie fit taire les
défiances des hommes spéciaux, en ménageant leur amour-propre ; quant aux
grands industriels, au bout de peu de temps, ils s'étaient mis à l'œuvre et
le gouvernement n'eut qu'à se louer de leur activité. Les canons fabriqués
furent des canons de 7 se chargeant par la culasse, d'après le modèle de M.
Reffye. Le comité d'artillerie avait commencé par condamner cette pièce ; l'opinion
publique, toujours en éveil, répondit que les Prussiens se servaient de
canons se chargeant par la culasse et que la supériorité de leur artillerie
sur la nôtre n'était que trop évidente ; le bon sens l'emporta sur la
routine, et la défense n'eut qu'à se féliciter de cette victoire. Quant
aux difficultés provenant des choses, elles furent également surmontées :
Paris possédait le bronze et la fonte en abondance ; la fabrication des pièces
de 7 fut très-rapide. Des souscriptions particulières étaient venues en aide
au gouvernement ; le journal le Siècle offrit une batterie complète.
Les hommes spéciaux avaient déclaré que la construction d'un affût n'exigeait
pas moins de trois mois : M. Dorian lit construire un affût en quelques
jours. Les plâtras de Paris fournirent une provision inépuisable de salpêtre
pour la fabrication de la poudre. Une commission spéciale, dite commission
d'armement, était chargée spécialement de la transformation des fusils à
percussion en fusils à tabatière. Une difficulté se présenta : la chambre de
culasse des fusils à tabatière est en acier, et l'on n'avait pas d'acier ; la
commission remplaça ce métal par une combinaison de bronze et d'étain.
Pendant ce temps, les grandes usines avaient entrepris la fabrication des
mitrailleuses ; l'industrie privée, après beaucoup de tâtonnements, réussit à
fabriquer des fusils chassepot, mais ces armes, qui demandent beaucoup de
temps et de soins, ne purent être livrées qu'après le siège. Quoi
qu'il en soit, grâce à l'activité du ministre des travaux publics et aux
ressources fécondes de l'industrie parisienne, si riche et si ingénieuse, le
gouvernement pouvait publier, le 17 octobre, un tableau rassurant de
l'armement de Paris. Cet exposé s'ouvrait par ces mots : « Au
moment où le siège de Paris semble définitivement passer de la période
purement défensive à la période offensive, le gouvernement croit devoir
répondre au vœu public en résumant l'immense effort qui a été fait en quelques
semaines pour rendre imprenable une place jugée hors d'état de se défendre. » Suit l’énumération
des commandes faites à l'industrie par le ministre des travaux publics et le
détail des travaux effectués en avant des forts et sur les remparts. Les commandes
du ministre des travaux publics comprenaient 102 mitrailleuses de divers
modèles, livrables du 13 au 27 octobre ; 115 mitrailleuses du système Gatling
et Christophe, à livrer à partir du 27 octobre ; 312.600 cartouches pour
mitrailleuses, livrées ; 50 mortiers et leurs accessoires, avec 50 affûts,
livrés ; 400 affûts de siège, dont la livraison est commencée ; 500.000 obus
de différents calibres, commandés aux différentes fonderies de Paris ; 5.000
bombes ; plusieurs grosses pièces de marine à longue portée ; enfin 300
canons de 7 centimètres, rayés, se chargeant par la culasse et portant à
8.000 mètres. Les
travaux effectués pour la défense de Paris sont, en avant des forts, les
redoutes du Moulin-Saquet et des Hautes-Bruyères ; dans les forts, l'établissement
d'abris, plates-formes, magasins, casemates et embrasures ; la fermeture des
79 portes de la ville ; le barrage de quatre canaux ; la construction
d'estacades dans la Seine ; la zone militaire déblayée ; les bois de Boulogne
et de Vincennes en partie abattus ; 61.000 mètres de palissades ; trois
batteries nouvelles à Saint-Ouen, à Montmartre et aux Buttes-Chaumont ; sur
les remparts, constructions des abris ; soixante-dix poudrières ; deux
millions de sacs à terre pour les parapets ; le Point-du-Jour fortifié ; des
mines, torpilles, fougasses, barricades et tranchées aux abords. Il y
avait alors en batterie, sur les remparts ou dans les forts, 2.140 bouches à
feu, dont l'approvisionnement avait été porté, de 10 coups par pièce, à 400
et 500 coups. Tel
était au 17 octobre le résumé, donné par le gouvernement, des travaux
entrepris pour la défense de Paris. Le personnel de l'artillerie était, à
cette époque, de 13.000 hommes, recrutés principalement parmi les marins. C'est
peut-être ici le moment de compléter le tableau des forces réunies sous
Paris. Les troupes de ligne, dont l'effectif total ne dépassait pas 60.000 hommes,
forment deux corps d'armée, le 13e sous les ordres du général de division
Vinoy, le 14e sous les ordres du général de division Renault. Auprès de ces
troupes régulières se placent 120.000 hommes de garde mobile, amenés de
vingt-cinq départements et divisés en quatre-vingt-dix bataillons. Quant à la
garde nationale parisienne, elle compte, comme il a été dit, 288 bataillons
armés de fusils de différents modèles, fusils à percussion rayés et fusils à
tabatière. Les corps francs et les francs-tireurs répandus autour de Paris ne
comptent guère plus de 10.000 hommes. En tout, près de 600.000 hommes, de
valeur très-inégale, sans doute, et qu'on aurait tort de compter comme des
soldats utiles. Mais de cette masse d'hommes armés, le général Trochu
pouvait, sans contredit, tirer deux cent mille soldats qui, bien disciplinés,
soumis aux règlements militaires, appuyés par une puissante artillerie, et guidés
par des chefs résolus, seraient conduits à l'ennemi avec espoir de succès. Que
faisait la province pendant que ces préparatifs exaltaient le patriotisme de
Paris ? Le gouvernement était sans nouvelles et les vagues rumeurs qui
perçaient les lignes ennemies, apportées par des feuilles étrangères hostiles
à la France, n'étaient rien moins que rassurantes. Le gouvernement gardait le
silence, tenant à bon droit pour suspectes des nouvelles que l'ennemi avait
intérêt à laisser parvenir dans la ville assiégée ; mais ses adversaires ne
se croyaient pas tenus à la même réserve et s'empressaient de les divulguer, soit
pour l'obliger à sortir de son mutisme, soit pour lui créer des embarras.
C'est ainsi qu'on apprit le départ de Metz du général Bourbaki, chargé,
disait-on, d'une mission auprès de l'impératrice. Quelle était cette mission
? Se rattachait-elle à des intrigues bonapartistes ? C'est par le même moyen
qu'on sut que des troubles avaient éclaté à Lyon et à Marseille, que l'amiral
Fourichon s'était démis de ses fonctions à la délégation de Tours, que
l'armée de la Loire avait été battue à Arthenay et, enfin, qu'un gouvernement
s'était formé dans les provinces de l'Ouest, en dehors de la délégation de
Tours. Ces nouvelles alarmantes n'étaient pas seulement publiées dans un
journal, elles étaient affichées sur les murs de la ville, et, si cette
manœuvre en rendait l'origine suspecte, l'émotion produite n'était pas moins
fort vive. Le gouvernement jeta l'auteur de la manœuvre en prison. Une
dépêche de M. Gambetta rétablit la vérité. M. Gambetta annonçait que M.
Thiers, de retour de son grand voyagé, était attendu à Tours ; que le général
Bourbaki offrait ses services au gouvernement de la République ; que Lyon
était calme ; que le général Cambriels se maintenait fermement de Belfort à
Besançon. « Nous avons la conviction, disait-il, en terminant, que la
prolongation inattendue de votre résistance et les préparatifs de jour en
jour plus considérables des départements déconcertent les envahisseurs et commencent
à les exaspérer. » Ces
assurances ramenèrent la sérénité dans les esprits et l'on se prit de plus
belle à dire au général Trochu : Puisque la province se lève, il faut que
Paris agisse aussi de son côté ; agissez donc ! Le général
Trochu ordonna une sortie pour le 21 octobre contre le parc de la Malmaison
et les bailleurs boisées qui, dominant le parc et le château, s'étendent,
d'une part, jusqu'à Saint-Germain, et de l'autre, jusqu'à Versailles. Tout
l'effort de l'attaque devait se porter sur la Malmaison et la Jonchère,
hameau situé au-dessus du parc et clef de la position occupée par l'ennemi, qui
avait garni la côte d'ouvrages en terre et de canons. La direction des
opérations fut confiée au général Ducrot. Les troupes d'attaque étaient
formées en trois groupes. Le premier, sous les ordres du général Berthaut,
comptait 3.400 hommes d'infanterie, un escadron de cavalerie, 20 bouches a feu. Il devait opérer entre le chemin de fer de
Saint-Germain et la partie supérieure du village de Rueil. Le second,
commandé par le général Noël, ayant 1.350 hommes d'infanterie et 10 bouches à
feu, avait l'ordre d'attaquer le parc de la Malmaison par le sud et de
descendre par le ravin qui relie l'étang de Saint-Cucufa à Bougival. Le
troisième, aux ordres du colonel Cholleton, fort de 1.600 hommes
d'infanterie, d'un escadron de cavalerie et de 18 bouches à feu, devait se
porter au centre en avant de Rueil et relier la colonne de droite à la
colonne de gauche. Quand
les troupes eurent occupé leurs positions respectives, l'artillerie commença
par couvrir de projectiles le parc de Buzenval, la Malmaison, la Jonchère et
Bougival ; puis, le feu ayant brusquement cessé, les colonnes s'élancèrent
avec impétuosité contre les points qui leur étaient désignés. Au sud de la Malmaison,
les soldats du général Noël s'engagent dans le ravin qui descend à l'étang de
Saint-Cucufa et gravissent les pentes de la Jonchère. Un feu très-nourri de
mousqueterie, partant de l'épaisseur du bois, arrête leur course. Le
mouvement dessiné, qui consistait à contourner la Malmaison pour prendre les
Prussiens entre deux feux, se trouve suspendu. L'ennemi, prévenu par la canonnade
qui a précédé l'attaque, a amené des renforts d'artillerie et relevé ses
tirailleurs. De grosses masses accourent de Bougival pour couper notre droite
entre Rueil et la Seine. Cependant quatre compagnies de zouaves, engagées
dans le parc de la Malmaison et dans une situation très-critique, étaient
délivrées par le bataillon des mobiles de Seine-et-Marne. Moins heureuses,
deux batteries, pour s'être trop avancées pour soutenir l'action de
l'infanterie, étaient prises par l'ennemi après une fusillade meurtrière qui
avait couché à terre hommes et chevaux. A l'extrême gauche, les
francs-tireurs de la colonne Cholleton s'étaient jetés dans le bois de
Buzenval, d'où ils avaient chassé les tirailleurs prussiens. Le jour
baissait, le général Ducrot fit sonner la retraite et les troupes rentrèrent
dans leurs cantonnements de Courbevoie et du Mont-Valérien. Ce
combat, qui avait commencé par jeter un grand effroi au quartier général de
Versailles eut le même résultat négatif que les précédents. Nos troupes avaient
enlevé des positions, elles les abandonnèrent. Pour la première fois
peut-être, depuis l'ouverture de la guerre, notre artillerie avait eu le
dessus sur l'artillerie allemande. « Les troupes de l'ennemi, dit le général
Ducrot, ne nous ont opposé qu'une force d'artillerie inférieure à la nôtre. »
Notre supériorité ne servit de rien. Le général Ducrot avait reçu l'ordre
d'attaquer la Malmaison et la Jonchère ; on ne lui avait pas dit de garder
ces positions et de s'y fortifier. « En résumé, dit-il dans son rapport, le
but a été atteint, c'est-à-dire que nous avons enlevé les premières positions
de l'ennemi, que nous l'avons forcé à faire entrer en ligne des forces
considérables qui, exposées pendant presque toute l'action au feu formidable
de] notre artillerie, ont dû éprouver de grandes pertes. » Ce qui signifie
qu'on s'était battu uniquement pour tuer un certain nombre d'hommes à l'armée
assiégeante. Encore ce but ne fut-il pas atteint, car on a su depuis, par les
rapports allemands, que dans cette journée les Prussiens n'avaient perdu que
trois cents hommes. « Cette sortie, écrit le général Vinoy, eut pour résultat
de faire voir aux Prussiens la faiblesse qu'avait, de ce côté, leur ligne
d'investissement et elle les décida à entreprendre les travaux considérables
qui ont fait, sur ce point, l'une des positions fortifiées les plus
redoutables occupées par eux. Il est à regretter que des dispositions n'aient
pas été prises pour profiter immédiatement du commencement de succès obtenu
par le général Ducrot ; les conséquences d'une opération mieux combinée et
menée plus à fond eussent peut-être été considérables. » Les
nouvelles arrivées de Tours ne donnèrent pas aux esprits le temps de
s'appesantir sur la mollesse du commandement militaire, encore une fois accusée
par le combat de la Malmaison. M. Gambetta annonçait qu'Orléans était tombé
aux mains des Prussiens. Que s'était-il passé ? Cette ville avait-elle été
perdue à la suite d'un combat malheureux ? On racontera plus loin
l'évacuation précipitée d'Orléans, sur la foi de renseignements erronés qui
avaient répandu tout à coup une terreur panique. Malgré la porte d'Orléans,
les efforts de la délégation de Tours autorisaient de sérieuses espérances.
M. Gambetta écrivait le 16 octobre aux membres du gouvernement, à Paris : « Le
général Cambriels se maintient fermement, malgré l'occupation de Mulhouse, de
Belfort à Besançon ; cette dernière ville est tout à fait en état de défense
et occupée par de l'artillerie de marine, servie comme vous le savez. On a
donné, d'ailleurs, de nombreux commandements aux officiers de la flotte...
J'ai la conviction que la prolongation inattendue de votre résistance et les
préparatifs militaires de jour en jour plus considérables des départements
déconcertent les envahisseurs et commencent à exciter la sympathie de
l'Europe. Les bruits de médiation par la voie anglaise ou russe circulent
avec une intensité croissante. Il faut faire à la Prusse une guerre de lassitude
avec prudence et ténacité, et nous la forcerons à reconnaître qu'en prolongeant
elle-même la guerre, elle n'augmente pas ses bonnes chances ; au contraire,
elle compromet le fruit de ses victoires. » Un peu
plus tard, M. Gambetta, beaucoup plus explicite et précis, s'exprimait ainsi
: « J'ai
fourni à M. Thiers des renseignements positifs sur l'état et la position de
nos troupes : il a pu se convaincre que les hommes abondent et que les cadres
se reforment. Ce qui nous manque cruellement ce sont les généraux, et surtout
un véritable homme de guerre capable de remanier et d'employer toutes les
forces dont nous pouvons disposer. Il a pu se convaincre qu'il existait
réellement une armée de la Loire, de cent dix mille hommes bien armés, bien
équipés, sous le commandement d'un général ferme et vigilant, dont les
efforts ont jusqu'ici suffisamment couvert Nevers, Bourges, Vierzon, Blois et
Tours qui semblaient perdus après l'échec de La Motterouge à Orléans. Nous
avons, de Belfort à Besançon, le noyau d'une seconde armée, dite armée de
l'Est, qui a malheureusement après la prise de Strasbourg abandonné les
positions des Vosges avec une précipitation affligeante, mais qui est en
bonne voie de réorganisation depuis mon voyage à Besançon, et qu'on peut
porter à quatre-vingt mille hommes dans trois semaines. «
L'Ouest vendéen est assez solidement gardé par un corps de trente-cinq mille
hommes, dont la droite est appuyée à l'armée de la Loire. « La
région du Nord, couverte par de nombreuses places fortes, ne compte guère
plus de quarante mille hommes dispersés, dont le général Bourbaki a pris le
commandement. Enfin les dépôts sont presque partout encombrés par la
formation des quatrièmes bataillons de l'appel de la dernière classe. « Je ne
fais pas entrer dans cette énumération les corps francs, qui font tant de mal
aux Prussiens et qui sont si redoutés d'eux. Avec le commandement de
Garibaldi dans l'Est et de Kératry dans l'Ouest, ils constituent de sérieuses
ressources. « Mais
Paris tiendra-t-il longtemps encore ? « Je le
sais : si nous gagnons un mois, nous sommes en plein hiver et nous avons une
armée de plus. Les armes, dont l'acquisition a été si difficile et si lente,
commencent à arriver en grande quantité. Le désarmement des escadres nous
donne un sérieux contingent de marins et d'artilleurs. Tous les jours nous
augmentons notre matériel d'artillerie. Bien que critique, notre situation ne
peut que s'améliorer, si nous ne commettons pas d'imprudence. Donc il faut durer.
Nos ennemis ont contre eux le temps qui s'écoule ; ce qui explique leurs
nouvelles dispositions à l'armistice. » Quelques
jours après, une dépêche de M. Gambetta annonçait à Paris l'héroïque
résistance de Châteaudun. Un cri d'admiration s'échappa de toutes les
poitrines, un rayon d'espoir illumina tous les fronts. Châteaudun, ville
ouverte, défendue par des gardes nationaux et des francs-tireurs, avait
arrêté cinq mille Prussiens pendant toute une journée ; elle avait supporté
sans peur un bombardement acharné et l'ennemi n'avait pénétré dans ses murs
qu'à travers les flammes et les ruines. C'était un grand exemple, capable
d'enflammer les cœurs. Paris en tressaillit. La délégation de Tours avait
décrété que Châteaudun avait bien mérité de la patrie ; Paris donna son nom à
la rue du cardinal Fesch ; hommage insuffisant aux yeux de la population parisienne.
Elle disait que le plus éclatant hommage qu'on pût rendre à la noble cité,
c'était d'imiter son énergie. D'autres
émotions allaient s'emparer des esprits. Le 27 octobre, le journal le Combat,
dirigé par M. Félix Pyat, publiait en tête de ses colonnes les lignes
suivantes : LE PLAN BAZAINE. « Fait
vrai, sûr et certain, que le Gouvernement de la défense nationale retient par
devers lui comme un secret d'État, et que nous dénonçons à l'indignation de
la France comme une haute trahison : « Le
maréchal Bazaine a envoyé un colonel au camp du roi de Prusse pour traiter de
la reddition de Metz et de la paix, au nom de Sa Majesté l'empereur Napoléon
III. » Cette
nouvelle, éclatant comme un coup de tonnerre, bouleversa les esprits. On croyait
encore en Bazaine ; les dépêches venues de Tours représentaient le maréchal
livrant de glorieux combats à ennemi. Bazaine ne négociait donc pas avec lui,
encore moins négociait-il au nom du gouvernement déchu. Si cette nouvelle
avait un fondement sérieux, est-ce que la délégation de Tours et à sa suite
le gouvernement de Paris, ne l'auraient pas apprise ? Pouvait-on admettre
qu'il gardât le silence sur un événement de cette importance ? Telles étaient
les réflexions suggérées par les révélations du journal le Combat. Des
groupes s'étaient formés sur les boulevards et les places publiques. On se
rendit à l'Hôtel-de-Ville pour interroger les membres du gouvernement.
Ceux-ci répondent que la nouvelle est mensongère. Des rassemblements furieux
se forment alors dans la rue Tiquetonne, où sont les bureaux du Combat ; des
cris hostiles se font entendre : A bas Pyat ! Mort à Pyat ! Mais Félix
Pyat est absent. La foule se disperse, en proie à une vive irritation,
convaincue par la réponse de l'Hôtel-de-Ville que les allégations du journal
sont fausses et lancées dans le but de créer des entraves au gouvernement. Le
lendemain, le Journal officiel reproduisait les lignes du Combat et ajoutait
ces mots : «
L'auteur de ces tristes calomnies n'a pas osé faire connaître son nom. Il a
signé : le Combat. C'est à coup sûr le combat de la Prusse contre la France ;
car, à défaut d'une balle qui aille au cœur du pays, il dirige contre ceux
qui le défendent une double accusation, aussi infâme qu'elle est fausse. Il
affirme que le gouvernement trompe le public en lui cachant d'importantes
nouvelles, et que le glorieux soldat de Metz déshonore son épée par une
trahison. « Nous
donnons à ces deux inventions le démenti le plus net. Dénoncées à un conseil
de guerre, elles exposeraient leur fabricateur au châtiment le plus' sévère.
Nous croyons celui de l'opinion plus efficace. Elle flétrira, comme ils le
méritent, ces prétendus patriotes dont le métier est de semer les défiances
en face de l'ennemi et de ruiner, par leurs mensonges, l'autorité de ceux qui
le combattent. «
Depuis le 17 août, aucune dépêche directe du maréchal Bazaine n'a pu franchir
les lignes ; mais nous savons que, loin de songer à la félonie qu'on ne
rougit pas de lui imputer, le maréchal n'a pas cessé de harceler l'armée
assiégeante par de brillantes sorties. Le général Bourbaki a pu s'échapper,
et ses relations avec la délégation de Tours, son acceptation d'un
commandement important, démentent suffisamment les nouvelles fabriquées que
nous livrons à l'indignation de tous les honnêtes gens. » La
bonne foi du gouvernement n'était pas suspecte ; il n'avait pas reçu de nouvelles
de Metz. Un sous-officier prussien, fait prisonnier au Bourget, avait, il est
vrai, parié de la reddition de la place, M. Jules Favre l'avoue ; et il
ajoute qu'il s'était immédiatement rendu à Saint-Denis pour interroger le
colonel qui avait entendu le prisonnier. Mais le colonel répondit que la
déclaration de cet homme n'avait aucune consistance, et M. Jules Favre n'eut
pas même l'idée de l'interroger lui-même. Le rédacteur en chef du Combat,
plus défiant que M. Jules Favre et heureux sans doute de créer des embarras
au gouvernement, s'était empressé de publier cette nouvelle qui avait
transpiré jusqu'à lui ; mais comme il ne pouvait fournir la preuve de ce
qu'il avançait, il baissa la tête devant la note du Journal officiel, et il
attendit. Une
heureuse diversion vint changer le cours des préoccupations publiques. Le village
du Bourget, situé au nord de Paris, sur la route de Lille et à une petite
distance de Saint-Denis, était occupé par les Prussiens depuis le
commencement du siège. La possession du Bourget était avantageuse à l'ennemi
à un double point de vue : elle facilitait ses communications avec tout le
sud' et Versailles, par le chemin de fer qui du Bourget rejoint Sevran, au
nord de la forêt de Bondy ; elle lui donnait, en outre, un poste avancé dans
la plaine Saint-Denis et vers la Courneuve, que nos troupes occupaient. Aucun
incident digne d'être mentionné ne s'était passé de ce côté depuis
l'investissement. Le 28 octobre, à 3 heures du matin, le général de
Bellemare, commandant de Saint-Denis, ordonne aux francs-tireurs de la
Presse, au nombre de deux cent cinquante, de pousser une reconnaissance sur
le Bourget. Ces braves soldats, divisés en trois groupes, s'avancent avec une
extrême prudence à la faveur de la nuit, et ils surprennent le poste
prussien, établi dans une maison à l'entrée du village. Épouvantés par cette
attaque soudaine, les Prussiens se précipitent en désordre dans la grande rue
du Bourget et fuient vers l'église, située au centre du village. Là ils
essayent de résister : les francs-tireurs ouvrent sur eux un feu bien nourri,
et, avec un merveilleux entrain, les rejettent dans la campagne. Les
Prussiens, étourdis, par l'impétuosité de l'attaque, troublés par la nuit qui
les trompe sur le nombre de leurs adversaires, s'enfuient à toutes jambes
dans la direction de Dugny, laissant derrière eux des objets d'équipement,
des tentes et des armes. Quand le jour paraît, les francs-tireurs sont
maîtres du Bourget et transportés de joie par le succès inespéré de leur coup
de main. Le général de Bellemare, averti de ce qui se passe, envoie quelques
renforts en toute hâte. Ces renforts se composent d'une partie du 14e
bataillon et des 12e et 16e bataillons des mobiles de la Seine, auxquels est
adjoint le 133e de ligne, plus 3 pièces de 4 et 2 mitrailleuses. On se mit
aussitôt à fortifier le village, en prévision d'un retour offensif de
l'ennemi. Dans la
journée, en effet, on voit descendre de Gonesse et d'Ecouen de grandes masses
d'infanterie, qui se disposent en arrière de deux batteries placées au pont
Iblon et de deux autres batteries de campagne amenées sur la route de Dugny.
Une violente canonnade, qui ne dure pas moins de trois heures, est dirigée
sur le Bourget ; plusieurs maisons brûlent et s'écroulent ; mobiles et francs-tireurs,
serrés contre les murs des jardins, laissent passer l'ouragan sans broncher.
L'infanterie prussienne n'avance pas, la canonnade cesse. Nos soldats,
renforcés par onze compagnies du 28e de marche, recommencent leurs travaux de
fortification ; ils prévoient une attaque de nuit. Vers 8 heures, la
fusillade éclate, en effet ; les Allemands sont parvenus sans bruit jusqu'au
pied des murs derrière lesquels veillent les mobiles ; on les fusille à bout
portant et, pendant que les plus hardis mordent la poussière, les autres
rentrent précipitamment dans leurs quartiers. La
prise du Bourget avait causé dans Paris une joie de mesurée, mais
très-explicable. Ce n'est pas seulement parce que les mobiles parisiens y
avaient pris part. Il semblait que ce fût le commencement d'une meilleure
fortune. C'était la première fois qu'on gardait une position acquise ;
c'était la première fois qu'après un coup de main heureux, on n'avait pas
battu en retraite. La possession du Bourget n'était pas considérée cependant
comme une grande victoire, mais elle élargissait le cercle de
l'investissement, elle était saluée comme le présage d'événements plus
heureux par un peuple qui n'avait pas été gâté jusqu'alors par le sort des
armes. N'était-il pas permis aussi de penser que l'armée serait encouragée
par ce succès partiel ? Pendant
que Paris se félicitait de la prise du Bourget, le général de Bellemare
attendait avec impatience les renforts d'artillerie qu'il avait fait demander
au général Trochu. L'amour-propre de l'ennemi était trop engagé pour qu'on
pût se flatter de rester paisiblement en possession du village. Une nouvelle
et plus furieuse attaque était imminente. Cependant le général Trochu
n'envoya pas de canons, et il ne donna pas aux troupes qui occupaient le
Bourget l'ordre de se retirer. Cette absence perpétuelle de décision devait
avoir, cette fois, des conséquences très-douloureuses. Le
Bourget resta défendu par trois mille hommes, deux pièces de 4 et une
mitrailleuse. Le 30 octobre, au jour levant, les Prussiens démasquent
plusieurs batteries amenées pendant la nuit et ouvrent sur le village un feu
d'une intensité inouïe. Pendant que les maisons volent en éclats et que les
barricades, imparfaitement construites, sont renversées, pendant que nos
malheureux soldats, couchés contre les murs, entendent siffler les obus sur
leurs têtes, l'infanterie prussienne se déploie hardiment, s'avance et menace
de couper la ligne de retraite sur Saint-Denis. Les enclos, les jardins, les
rues deviennent le théâtre d'une lutte sauvage à la baïonnette, et les obus
des forts de l'Est et d'Aubervilliers, éclatant dans cette affreuse mêlée,
tuent indistinctement les Français et les Prussiens. Des trois mille
défenseurs du Bourget, douze cents sont faits prisonniers ; les autres ont eu
le temps de battre en retraite par la route d'Aubervilliers. Un grand nombre
de morts et de blessés rougissent la terre de leur sang. Parmi eux est étendu
le commandant Baroche. Enveloppé d'ennemis qui le sommaient de se rendre, il
s'était précipité contre eux le pistolet au poing, méprisant et désespéré ;
il tomba percé de coups. Les renforts du général
Trochu arrivaient en vue du Bourget pendant l'affreux carnage et la débandade
sur la route d'Aubervilliers : il n'était plus temps, le Bourget était perdu. A cette
nouvelle, Paris ne put contenir sa douleur et sa colère. Il ne se demanda
point si l'occupation du Bourget avait ou n'avait pas une importante
stratégique. Il consultait son bon sens, qui répondait : Si le Bourget était
une position avantageuse, il fallait, après l'avoir occupé, le fortifier, y
envoyer des troupes et de l'artillerie ; si, au contraire, on ne voyait aucun
avantage à garder le Bourget, il fallait donner aux trois mille hommes qui
l'occupaient l'ordre de se retirer et ne pas les laisser exposés à un combat
inégal et à un carnage certain. Le gouverneur de Paris ne sut s'arrêter ni à
l'un ni à l'autre de ces partis. Il prétendit que ce village « ne faisait pas
partie de son système général de défense, que son occupation était d'une
importance très-secondaire et que les bruits qui attribuent de la gravité aux
incidents qui viennent d'être exposés sont sans fondement. » Pourtant, le 21
décembre, nous verrons le général Trochu essayer de reprendre le Bourget avec
des forces considérables ; mais alors l'ennemi aura pris ses précautions pour
éviter une nouvelle surprise. Ces explications embarrassées et peu sincères
ne firent qu'augmenter l'irritation populaire. La nouvelle de la capitulation
de Metz, si hautement démentie deux jours auparavant, la porta à son comble, La
certitude de ce triste événement venait d'être apportée à l'Hôtel-de-Ville
par M. Thiers, de retour de son voyage auprès des principales cours d'Europe
et rentré à Paris, avec un saufconduit prussien, pour soumettre au gouvernement
une proposition d'armistice. L'illustre ambassadeur croyait que l'ennemi
accepterait une suspension d'armes, pendant laquelle une Assemblée nationale
serait nommée ; l'Angleterre, la Russie, l'Autriche et l'Italie avaient
promis de peser de toute leur influence morale sur le quartier général
allemand pour qu'il fût mis un terme à cette lutte fratricide. La
continuation des hostilités ne nous offrait, d'ailleurs, au jugement de M.
Thiers, aucune chance favorable : il avait vu, en passant à Tours, l'armée de
la Loire ; il avait rencontré des soldats braves, pleins de bonne volonté et
de patriotisme, mais sans cadres solides, sans instruction ; il doutait du
succès de nos armes contre une armée aguerrie et enflammée d'espoir par ses
victoires. Il venait donc, après en avoir délibéré avec la délégation de
Tours, prendre les ordres du gouvernement de l'Hôtel-de-Ville pour arriver à
signer un armistice. En passant à Versailles, il avait appris, à n'en pouvoir
douter, la douloureuse issue du drame de Metz. Des officiers prussiens dignes
de foi lui avaient affirmé le fait. Quoiqu'un éclat fût probable, le
gouvernement ne pouvait dissimuler la vérité à la population parisienne, fort
excitée par la perte du Bourget. Il se décida courageusement à tout dire, et
la capitulation de Metz et les projets d'armistice qui se rattachaient à
l'arrivée de M. Thiers. Le Journal
officiel du 31 octobre publiait les lignes suivantes : « Le
gouvernement vient d'apprendre la douloureuse nouvelle de la reddition de
Metz. Le maréchal Bazaine et son armée ont dû se rendre après d'héroïques
efforts, que le manque de vivres et de munitions ne leur permettaient
plus de continuer. Ils sont prisonniers de guerre. « Cette
cruelle issue d'une lutte de près de trois mois causera dans toute la France
une profonde et pénible émotion ; mais elle n'abattra pas notre courage.
Pleins de reconnaissance pour les braves soldats, pour la généreuse
population qui ont combattu pied à pied pour la patrie, la ville de Paris voudra
être digne d'eux. Elle sera soutenue par leur exemple et par l'espoir de les
venger. » Dans
une seconde note qui fut, comme la précédente, affichée sur les murs, le
gouvernement annonçait l'arrivée de M. Thiers et l'espoir qu'il apportait de
la conclusion d'un armistice désiré par l'Angleterre, la Russie, l'Autriche
et l'Italie. Cet armistice aurait pour objet la convocation d'une Assemblée
nationale ; le gouvernement ne l'accepterait, d'ailleurs, que si l'ennemi
consentait le ravitaillement de Paris, proportionné à la durée de la trêve,
et si, en outre, l'élection était faite par le pays tout entier, y compris
l'Alsace et la Lorraine. Une agitation extraordinaire agita Paris à cette double nouvelle. Irrité par la perte du Bourget, le peuple concevait moins que jamais la suspension des hostilités ; il se prononçait pour la lutte à outrance. Sa confiance dans le gouvernement était ébranlée de deux côtés à la fois ; on ne s'attendait pas à apprendre la capitulation de Metz à si courte distance de l'éclatant démenti donné au journal le Combat et on inclinait à penser que la nouvelle était déjà connue alors qu'on l'avait démentie en termes si catégoriques. La supposition était inexacte, mais les adversaires du gouvernement triomphaient ; la fâcheuse affaire du Bourget fournissait un autre aliment aux récriminations. Enfin la proposition d'armistice montrait le gouvernement prêt à cesser la lutte, au moment même où les esprits, très-surexcités, inclinaient le plus vers la guerre. De tous ces sentiments confus, exploités par les hommes exaltés, allait sortir un conflit redoutable. Mais avant d'aborder le récit de la journée du 31 octobre, nous devons présenter le tableau des événements qui furent la cause principale de cette explosion populaire : nous voulons parler de la capitulation de Metz. |