HISTOIRE POPULAIRE & ANECDOTIQUE DE NAPOLÉON III

 

CHAPITRE III. — LES GUERRES, MOINS L'INVASION PRUSSIENNE.

 

 

DE 1854 à 1870, l'Empire, qui devait être la paix, soutint sept guerres.

1° Guerre de Crimée (1854-1856) — 2° guerre d'Italie (1859) — 3° Guerre de Chine (1860) — 4° guerre de Cochinchine (1861) — 5° guerre de Syrie (1860-1861) — 6° guerre de Mexique (1862-1867) et enfin — 7° la guerre contre l'Allemagne (1870-1871), l'une des plus cruelles, l'une des plus sanglantes dont l'Histoire fasse mention.

 

GUERRE DE CRIMÉE (1854-1856). — L'empire c'est la paix avait affirmé Napoléon III : aussi, tant il est vrai de dire que chaque parole de cet homme devait être un mensonge, à peine s'était il emparé de la France qu'il déclarait la guerre à la Russie.

L'honneur national était-il outragé ? — La patrie était-elle menacée ? — Nullement. Sous le vain prétexte d'une misérable querelle de sacristie, la fameuse question d'Orient, — toujours ouverte et qui, sans doute, ne se fermera jamais, — était remise en cause.

Qui de la France, ou de l'Angleterre, ou de la Russie mettrait la main sur l'homme malade, — ainsi était désignée la Turquie, — pour s'enrichir de ses dépouilles ?

Le 10 avril 1854 un traité d'alliance était signé entre la France et l'Angleterre ; le 11, le czar Nicolas lançait sa déclaration de guerre et faisait passer le Danube à une armée russe, sous les ordres du prince Gortschakoff.

Le commandement en chef des troupes françaises fut donné au maréchal Saint-Arnaud et celui des troupes anglaises à lord Raglan. Autant le premier de ces généraux était impopulaire et méprisable, autant le second méritait l'estime qui l'entourait : aussi répugna-t-il à ce vieux soldat sans tache, type de l'honneur et de la loyauté militaires, d'associer son commandement à celui du sinistre personnage qui s'appelait Saint-Arnaud. Il dut, certes ! faire appel à toute son énergie, à tout son dévouement pour l'Angleterre, dont il croyait servir les intérêts, en imposant à sa main loyale le contact de celle du maréchal Saint-Arnaud.

Nous ne pouvons raconter en détail toutes les phases de cette guerre : il nous suffira d'en rapporter les faits principaux.

L'armée française partie de Toulon, débarqua à Gallipoli, puis alla camper à Varna, en attendant l'adoption du plan définitif d'opération. Mais Saint-Arnaud brûlait de s'illustrer par une action d'éclat. Il imagina d'envoyer ses troupes dans les plaines de la Dobrutscha, à la poursuite de quelques Russes qui pouvaient s'y être réfugiés. La Dobrutscha est une contrée déserte, marécageuse, au sein de laquelle le Danube, par ses crues hivernales, entretient continuellement des fièvres pestilentielles. Parties de Varna, le 20 juillet 1884, les deux divisions que Saint-Arnaud offrait à la mort, — on peut le dire, — y rentraient le 10 août, après des marches longues, inutiles, meurtrières, ne ramenant que quatre mille cinq cents hommes sur dix mille.

Le 20 septembre 1854, bataille de l'Alma livrée par Saint-Arnaud et lord Raglan au général Mentschikoff, dont l'armée, forte de 50.000 hommes environ, occupait la rive gauche de la rivière de l'Alma. Après un combat acharné nous restions maîtres des positions et les Russes battaient en retraite, abandonnant sur la route de Sébastopol deux points stratégiques importants : Katcha et Belbeck.

Huit jours plus tard Saint-Arnaud mourait à bord du Berthollet qui le ramenait en France : il était âgé de 56 ans. Une maladie, devenue mortelle à la suite de remèdes tentés contre elle par un toxicologue célèbre, mit fin à la terrible vie qu'il avait faite et que déchirait, sans doute aussi, le remords aux rongements duquel ne put se soustraire l'un des criminels les plus endurcis du Coup d'Etat. — Cette mort, par je ne sais quel reste de pudeur, fut mise sur le compte du choléra.

Son complice, le général Canrobert, son utile auxiliaire dans les massacres de Décembre, prit le commandement de l'armée.

Le 26 septembre, bataille de Balaclava, remportée par les Français et les Turcs ; le 5 novembre nouvelle défaite des Russes à Inkermann : les ennemis laissaient sur le champ de bataille plus de 15.000 hommes tués, blessés ou prisonniers.

Le 16 août 1856 le général Gortschakoff tente de surprendre le camp français en passant la Tchernaïa, au pont du Traktir : — il est repoussé. Un corps d'armée piémontais, que Victor Emmanuel avait envoyé en Crimée, sous les ordres du général de la Marmora, contribua vaillamment à la défaite des Russes.

Le 8 septembre, prise de Sébastopol dont le siège, — plus spécialement célèbre par l'enlèvement des redoutes du Mamelon-Vert, du Carénage et des Carrières, — durait depuis onze mois. Le général russe Totleben défendait avec énergie la ville assiégée. Pelissier remplaçait alors Canrobert et le général Simpson avait pris le commandement de l'armée anglaise, lord Raglan étant mort du choléra. La première, la division de Mac-Mahon entrait dans la place et plantait sur Malakoff le drapeau français.

Malakoff pris, les armées alliées n'étaient cependant maîtresses que d'une partie de la place ; mais les Russes comprenant que toute résistance était désormais impossible durent évacuer Sébastopol.

La ville était minée. Il fallait pourtant occuper les positions toutes entières et les chefs craignaient que ces soldats qui avaient si bravement combattu, ne voulussent pas courir le risque de sauter. Alors un fait glorieux se passa. L'Etat-Major s'installa au milieu de Sébastopol et déclara qu'il ne bougerait pas de là quoiqu'il arrivât : aussitôt toute hésitation cessa.

Par bonheur la mèche principale fut découverte et les Russes, en s'éloignant, ne purent faire sauter que des petites mines qui détruisirent leurs ouvrages sans écraser les vainqueurs.

On évalue à 7.500 le nombre de morts et de blessés que la prise de Malakoff coûta à l'armée française. Cinq généraux furent tués et le général Bosquet, qui avait pris une part éclatante à toute la campagne, fut grièvement blessé.

Le 26 avril 1856, signature du traité de Paris qui terminait les hostilités.

En substance, ce traité neutralisait la navigation de la mer Noire et du Danube, enlevait à la Russie le monopole qu'elle prétendait exercer sur l'une et sa prédominance sur l'autre, délivrait de son influence les principautés danubiennes, faisait cesser le protectorat qu'elle voulait s'attribuer sur les catholiques grecs sujets du sultan, admettait la Turquie dans le concert européen et soumettait à l'arbitrage d'un Congrès des puissances signataires tout débat de l'une de ces puissances avec la Turquie.

Une circonstance particulière à noter c'est que la Prusse, alors puissance de deuxième ordre et qui n'avait pris aucune part à la guerre, ne devait pas, à l'origine, figurer au Congrès de Paris dans lequel se débattirent les conditions de la paix. Cependant, sur la proposition du gouvernement français, un plénipotentiaire prussien y fut admis.

C'était donner à la Prusse une importance toute particulière : dès ce jour elle prenait rang, grâce à la France.

Cette guerre avait anéanti sept cent cinquante mille hommes et dévoré un milliard sept cents millions.

 

GUERRE D'ITALIE (1859). — Trois années après, le 7 février 1859, Napoléon, en ouvrant la session législative, annonçait que l'état de l'Italie inquiétait l'Europe, mais que lui, l'Empereur, restait inébranlable dans les voies du droit, de la justice et que sa politique ne serait jamais provocatrice !

Rien, je l'espère, ne troublera la paix, — ajoutait-il, — reprenez avec calme le cours de vos travaux.

 

Ces paroles, hâtons-nous de le dire, n'inspirèrent aucune confiance et cette suspicion était plus que légitime.

En effet, le 22 avril, le Moniteur déclarait que, en présence de l'attitude de l'Autriche, Napoléon avait ordonné la concentration de plusieurs divisions sur la frontière du Piémont, le 29 du même mois un emprunt de 500 millions pour la levée de 140.000 hommes et l'ouverture d'un crédit de 90.000 millions pour les dépenses urgentes étaient votés par le Corps Législatif Le 3 mai l'Empereur annonçait aux Français la déclaration de guerre à l'Autriche, qui avait amené les choses à cette extrémité, qu'il fallait qu'elle dominât jusqu'aux Alpes ou que l'Italie fût libre jusqu'à l'Adriatique.

Napoléon terminait ainsi sa déclaration :

Le but de la guerre est donc de rendre l'Italie à elle-même et non de la faire changer de maître. Nous allons en Italie pour la soustraire à cette pression étrangère qui s'appesantit sur toute la Péninsule et contribue à y fonder l'ordre sur les intérêts légitimes satisfaits.

 

Cet amour subit de Napoléon pour la liberté n'en imposait à personne et son départ de Paris, lorsque le 12 mai 1859 il quittait la capitale pour aller prendre le commandement des troupes, n'excita aucun enthousiasme, — bien que la police impériale eût tenté d'organiser des manifestations sympathiques, — et seuls un certain nombre de balayeurs embrigadés crièrent : Vive l'Empereur ! quand il passa dans la rue Saint-Antoine.

Le 20 mai, la division Forey et les armées Piémontaises livrent aux Autrichiens commandés par Bumyarter, et qui sont vaincus, la bataille de Montebello.

Le 30 mai, les Autrichiens sont encore battus à Palestro.

Le 4 juin, bataille de Magenta. — Les Autrichiens, sous les ordres supérieurs du général Giullay, avaient déployé des forces considérables : ils comprenaient que, s'ils perdaient la bataille, Milan leur échappait. L'incapacité de Napoléon III et les lenteurs de Canrobert compromirent un instant nos troupes.

Mais grâce à leur bravoure, grâce à cette célèbre furia francese si redoutée des Italiens depuis les guerres de Charles VIII, Louis XII et François Ier, nous reprîmes l'avantage et les ennemis nous laissèrent maîtres des positions.

Une légende veut que l'arrivée subite du général Mac-Mahon ait décidé de la victoire : rien de plus faux et le rôle plus humble de ce général dans cette journée de Magenta a été remis sous son véritable jour.

Quoi qu'il en soit, Mac-Mahon, créé duc de Magenta, entrait le lendemain, triomphalement dans Milan.

En se repliant les Autrichiens s'étaient réfugiés et fortifiés dans le village de Melégnano — d'où ils pouvaient faire un retour offensif sur Milan. — Le maréchal Baraguay-d'Hilliers reçut l'ordre de les déloger de cette position. — Le 8 juin il gagnait la bataille de Melégnano.

Le général Guillay dont l'incapacité avait été notoire cède le commandement des troupes autrichiennes à l'Empereur François-Joseph. Ce monarque se fait battre à Solférino, 24 juin.

Pendant les opérations des troupes régulières, Garibaldi à la tête du corps de volontaires, appelés Chasseurs des Alpes, avaient délogé les Autrichiens de plusieurs positions dans les montagnes environnant le lac Majeur, le lac de Corne, et le lac de Garde. — Son entrée dans Côme et dans Brescia fut saluée par les hourrahs enthousiastes de toute une population pour l'indépendance de laquelle il combattait si chaleureusement.

Le 11 juillet 1859 Napoléon III et François-Joseph signaient dans une petite maison du village de Villafranca les préliminaires d'un traité de paix.

La cession de la Lombardie, moins les forteresses de Mantoue et de Peschiera, au roi de Sardaigne ; la création d'une confédération italienne sous la présidence honoraire du pape ; une amnistie générale ; la rentrée des ducs de Toscane et de Modène dans leurs duchés ; la Vénétie restant sous la domination de l'Autriche, telles furent les principales conditions passées dans les préliminaires de Villafranca.

Le désappointement et l'irritation furent immenses en Italie. Les officiers et les soldats de l'armée sarde restèrent atterrés. C'est alors que Garibaldi, d'une voix ferme, dit à ses volontaires : Ne nous séparons pas !

Aucun témoin n'assistait à cette entrevue de Villafranca : que s'y passa-t-il ? Nul ne le sut alors, mais aujourd'hui la lumière est complètement faite sur cette paix mystérieuse et subite.

Pour quiconque ignorait le dessous des cartes la campagne d'Italie avait été glorieuse. Les journaux officiels n'avaient rien négligé pour chauffer et surchauffer l'enthousiasme populaire : ne fallait-il pas que les courtisans et les salariés préparassent à l'Empereur une rentrée triomphale à la tête de son armée victorieuse, entouré de sa garde couverte des lauriers de Magenta et de Solférino ?

Hélas ! on ignorait encore que Napoléon III avait dû, sur un signe de la Prusse, au lendemain même de la victoire, faire banqueroute à l'Italie et conclure la paix avec François-Joseph, sous peine de voir arriver au secours de l'Autriche tous les États confédérés de l'Allemagne disposant d'une armée de 400.000 hommes. Hélas ! il fallait que le souverain renonçât à cette suprématie française sur l'Italie dont le rêve lui était si doux et depuis si longtemps poursuivi.

Dans les papiers trouvés aux Tuileries après le 4 septembre, figure en effet une lettre curieuse écrite de la main même de l'Empereur et remontant au 26 mai 1838. — La France est perdue pour nous, y lit-on, mais l'Italie nous reste... tâchons, dès que l'occasion se présentera, de montrer au monde que tous les Bonaparte ne sont pas morts !

Devenu Empereur des Français, Napoléon III ambitionnait donc le titre de libérateur de l'Italie, ayant absolument promis de la délivrer des Alpes à l'Adriatique, et voilà qu'à peine en marche, berné par la Prusse, intimidé par l'Allemagne entière sur un ordre venu de Berlin, malgré les malédictions de Cavour, malgré les imprécations de l'Italie, il avait été obligé de conclure la paix, au grand étonnement de l'Europe.

L'Italie cria à la trahison !

A Turin la vie de Napoléon fut menacée et, pour le soustraire à la vengeance de son peuple, Victor Emmanuel dut conduire lui-même hors de la ville le libérateur de l'Italie.

Voilà certes, ce qu'on ne soupçonnait pas encore en France ! Mais qu'importe ? — Grande bataille ! grande victoire ! avait télégraphié l'Empereur à l'Impératrice, et suivant le vœu exprimé, il avait ainsi montré à l'Europe, que tous les Bonaparte n'étaient pas morts !

 

GUERRE DE CHINE (1860). — Cette même année 1859 l'attention de nos gouvernants fut attirée sur l'extrême Orient. Un traité conclu avec la Chine en 1858 en confirmant les précédents traités commerciaux, sur lesquels il serait trop long de s'appesantir, y avait ajouté pour les puissances signataires — Angleterre et France — le droit d'avoir un ambassadeur permanent à Pékin. Or, en juin 1859, l'escadre anglaise se présentant à l'embouchure du Pei-Ho pour conduire les ambassadeurs à Pékin trouva le passage barré, tenta de le forcer et ne put y parvenir.

La France n'avait eu qu'une petite embarcation et une soixantaine d'hommes engagés dans le conflit.

Néanmoins Napoléon s'associait à la revanche que l'Angleterre voulut tirer de cet échec subi par ses armes, bien qu'il eût été plus conforme au droit des gens de mettre d'abord la Chine en demeure de faire des excuses ou des réparations, et renforçait de dix mille hommes, commandés par Cousin-Montauban, l'armée expéditionnaire anglaise forte de 23.000 soldats.

Les alliés ne rencontrèrent que des ennemis peu disposés à défendre le terrain, n'ayant — que des armes primitives dont il se servaient fort mal, des canons qui ne pouvaient lancer des boulets au-dessus de la cime des arbres et ne sachant pas combattre. Ils marchèrent donc de victoire en victoire et, le 5 octobre, il arrivaient en vue de Pékin.

Le lendemain ils mettaient au pillage la résidence de l'Empereur de Chine, le fameux Palais d'Été, où les splendeurs les plus merveilleuses étaient entassées, où se rencontraient à chaque pas les trésors artistiques, les richesses incalculables et les trésors accumulés de l'une des plus anciennes civilisations du monde. Bientôt de tous ces chefs-d'œuvre, il ne resta plus que des ruines et des cendres que balaya le vent.

Ce pillage fut un des actes de Vandalisme les plus odieux qui se puisse imaginer.

— Le général Cousin-Montauban avait laissé puiser à mains pleines dans tous ces trésors. L'Empereur jugea qu'un pareil acte de brigandage devait être récompensé ; aussi le général reçut-il de Napoléon III le titre de comte de Palikao et un fauteuil au Sénat.

Une loi votée en 1858, par les Chambres complaisantes, avait octroyé à l'Empereur le droit de conférer les titres nobiliaires selon son bon plaisir ; on voit ainsi ce que valait la noblesse créée par l'Empire.

Le 13 octobre, en vertu d'une capitulation, l'armée Anglo-française entrait dans Pékin et, le 25, un traité était signé qui renouvelant les précédentes conventions allouait une forte indemnité pécuniaire aux puissances alliées, à répartir entre les familles de ceux qui avaient été tués ou massacrés. Le 1er novembre 1860, les troupes quittaient Pékin.

De retour à Paris, Cousin-Montauban fit hommage à l'Impératrice d'une précieuse collection d'objets d'art provenant du Palais d'Eté. Pour récompenser cette gracieuse (?) attention, l'Empereur fit présenter à la Chambre en faveur du général, un projet de dotation qui, fort heureusement, fut rejeté. Les Tuileries se montrèrent particulièrement sensibles à cet échec.

Etait-ce le premier symptôme de la décadence Impériale ?

 

GUERRE DE COCHINCHINE (1861). — GUERRE DE SYRIE (1860). — Nous ne sortions d'ailleurs de la Chine que pour entrer en Cochinchine : Mais il est juste d'ajouter que cette guerre (1861) nous valut trois provinces, aujourd'hui d'un excellent rapport pour la France.

A la même époque des luttes sanglantes ayant éclaté entre les Druses et les Maronites, dans le Liban, la France qui s'attribuait un protectorat sur les chrétiens de ces contrées à demi-sauvages intervint dans la querelle : d'où la guerre de Syrie (1860-1861).

Malgré les embarras croissants qui nous dissuadaient d'une nouvelle expédition lointaine, les troupes françaises, sous la conduite du général d'Hautpoul-Beaufort, débarquèrent à Beyrouth le 16 août 1860.

Des massacres avaient eu lieu à Damas : sous la pression des Français les autorités turques envoyèrent à la mort près de deux cents personnes habitant cette ville et accusées d'avoir supplicié les chrétiens. Bien mieux, elles mirent en accusation les membres du grand conseil de Damas accusés de connivence avec les meurtriers.

Un des premiers, le gouverneur de Damas fut livré au supplice.

Une marche exécutée par nos troupes à travers le pays n'aboutit qu'à la capture de quelques prisonniers et à quelques exécutions ; mais alors commença une longue occupation du Liban inutile pour nos intérêts, dangereuse surtout pour les chrétiens que nous prétendions protéger et qui ne prit fin qu'a la suite des énergiques réclamations de la Turquie appuyée par l'Angleterre.

Une organisation nouvelle du Liban fut décidée dans une conférence européenne (1861). Elle eut le mérite de terminer la guerre si du moins elle ne changea pas grand chose à la situation respective des partis dans cette région.

 

EXPÉDITION DU MEXIQUE (1862-1867.) — Nous arrivons, en ce moment, à l'expédition du Mexique, fertile en événements tragiques, sanglante, toute pleine de honte et que, pour cela sans doute, les bonapartistes ont appelée la plus belle pensée du règne.

Tout fut mis en jeu à l'occasion de cette guerre : — passions religieuses, mensonges diplomatiques, tripotages véreux d'argent entre M. de Morny et le banquier suisse Jecker qui, voulant se faire rembourser des bons émis par lui pour le compte du gouvernement mexicain n'ayant jamais eu l'existence légale, offrait le partage du remboursement à celui ou à ceux qui s'emploieraient pour le lui faire obtenir ; projet chimérique de Napoléon imaginant de fonder en Amérique un grand empire de race latine capable de balancer la puissance de la grande République des Etats-Unis et rêvant d'asseoir sur ce trône futur l'archiduc Maximilien d'Autriche, ex-vice roi de Lombardie et alors en quasi-disgrâce dans son château de Miramar sur les bords de l'Adriatique.

L'expédition une fois décidée, il fut convenu que l'Espagne enverrait 6.000 hommes, la France 3.000 et l'Angleterre 1.000 seulement.

Le but avéré de la guerre était d'aboutir au paiement de quelques indemnités dues aux nationaux pour dommage causé par le fait du gouvernement mexicain.

L'amiral Julien de la Gravière, commandait les troupes françaises ; Prim, les troupes espagnoles ; le commodore Dunlep, les troupes anglaises.

Le 7 janvier 1862 les troupes alliées débarquèrent à Vera-Cruz.

Aussitôt les commissaires des trois puissances déclarèrent à la nation mexicaine que derrière leurs justes réclamations pour les indemnités dues elles ne cachaient aucun plan d'intervention ou de restauration dans l'administration du pays.

Seule, l'Angleterre était sincère.

L'Espagne, en effet, avait conçu le chimérique espoir de reconquérir une colonie perdue et le gouvernement français, quelques jours après la proclamation de ce manifeste, exigeait du Mexique l'exécution pleine, loyale et immédiate du contrat passé en 1859 entre le gouvernement mexicain et la maison Jecker.

Il y avait, dans cette affaire, soixante-quinze millions à gagner et M. de Morny avait 30 pour cent sur les bénéfices.

Cet ultimatum indigna l'Angleterre et l'Espagne qui se refusèrent d'appuyer une aussi scandaleuse réclamation. Quant à l'indemnité exigée par les trois puissances européennes au nom de leurs nationaux, elle fut reconnue légitime par Juarez, président de la République mexicaine ; il promit donc de payer. Tout paraissait ainsi terminé et même, le 19 février, les préliminaires de paix avaient été signés à Soledad. Ces préliminaires furent ratifiés par l'Angleterre et l'Espagne, mais Napoléon refusa sa sanction. Que lui importaient nos nationaux ! Ne lui fallait il pas, avant tout, arracher au Mexique la grosse somme que deux escrocs auraient à se partager et lui imposer comme Empereur et archiduc Maximilien qui serait plus maniable que Juarez !

L'Espagne et l'Angleterre eurent assez de pudeur pour se retirer de cette lutte dans laquelle la France fut maintenue par le despotisme et la malhonnêteté d'un seul homme.

Notre première opération militaire ne fut pas heureuse.

Le 28 avril 1862 le général Lorencez, résolu de marcher sur Mexico, forçait les défilés du Combrès et arrivait devant Puébla, ville de 60.000 habitants, défendue par deux forts et barricadée à l'intérieur.

Le 5 mai, il faisait donner l'assaut à l'un de ces forts, celui de la Guadeloupe : nous fûmes repoussés avec perte de 200 morts et 300 blessés. Quelques jours après, Lorencez obligé de se replier revenait avec son armée à Oribaza où il fallut, chaque jour, se tenir sur la défensive, en conservant difficilement les communications avec la Vera-Cruz.

Au mois de juillet de la même année, le général Forey, amenant de nouveaux renforts, prenait le commandement de l'expédition, remettait devant Puébla un siège qui durait deux mois et pendant lequel il battait à San-Lorenzo une forte armée mexicaine envoyée au secours de la ville.

Le 10 juin, l'armée française entrait dans Mexico.

Un triumvirat, composé du général Salac, de l'archevêque de Mexico et du général Almonte est tout aussitôt nommé. Ce triumvirat convoque alors une assemblée de 250 membres chargée de déterminer la forme du gouvernement Mexicain, et ainsi que cela était combiné et prévu, cette assemblée vote l'établissement d'un empire au Mexique et décerne la couronne à Maximilien d'Autriche le 10 octobre 1863.

Le commandement en chef de l'expédition est donné au général Bazaine ; — Forey revient en France avec le titre de maréchal.

Le 29 février 1864, Maximilien était Empereur.

Mexico fut mis en état de siège. — Tous les individus faisant partie de bandes ou de rassemblements, disait le nouvel empereur dans un décret, seront jugés militairement par les cours martiales, que ces individus se couvrent, ou non, d'un prétexte politique quelconque. S'ils sont déclarés coupables, ils seront condamnés à mort et exécutés dans les vingt-quatre heures.

A ce décret, Bazaine, qui dans Mexico régnait lui aussi en despote, répondit par cette circulaire qu'il adressait à tous les chefs militaires.

Tous ces bandits de républicains, sont hors la loi, faites alors savoir à vos troupes que je n'admets pas qu'on fasse des prisonniers. Tout individu, quel qu'il soit, sera mis à mort.

Cet ordre d'un Empereur que le général Forey avait appelé libéral ; cette circulaire d'un maréchal qui devait, plus tard, être le traître le plus lâche, le plus criminel dont l'histoire fasse mention, ensanglantèrent le Mexique et rallumèrent la guerre civile.

Par suite de la mise en vigueur de ces décrets, deux généraux mexicains, deux patriotes, Artéaga et Salazar furent passés par les armes le 30 octobre 1865.

Voici un extrait de la lettre touchante, qu'à la veille de son exécution, Salazar écrivit à sa mère.

Alomapan, 20 octobre 1865.

Mère adorée,

Il est sept heures du soir ; le général Artéaga, le colonel Villa-Gonier, trois autres chefs et moi nous venons d'être condamnés. Ma conscience est tranquille. Je vais descendre dans la tombe à l'âge de 33 ans, sans tache dans ma carrière militaire, sans souillure sur mon nom.

Ne pleurez pas, mais prenez courage, car le seul crime de votre fils est d'avoir défendu une cause sainte, l'indépendance de son pays.

C'est pour cela que je vais être fusillé !

Je n'ai pas d'argent, car je n'ai rien mis de côté, je vous laisse sans fortune, mais Dieu vous aidera, vous et mes enfants qui seront fiers de porter mon nom.

Conduisez mes enfants et mes frères dans la voie de l'honneur, car l'échafaud ne peut flétrir le nom d'un patriote.

 

Cette politique de sang émut l'Europe et plus encore l'Amérique ; cette nation fit même entendre au gouvernement français qu'il eût à retirer le plus promptement possible, ses troupes du Mexique.

Napoléon ne demandait pas autre chose.

Il avait sur le cœur la non exécution intégrale du traité Jecker, Morny et Cie et se désintéressait des affaires mexicaines, jusqu'à abandonner Maximilien et sa femme, l'impératrice Charlotte, qui firent chacun, un voyage en France pour implorer le secours suprême de cet homme qui les avait lancés dans cette sinistre aventure.

C'est le 8 juin 1866 que cette princesse infortunée tenta auprès de Napoléon III une dernière démarche pour le décider à remplir les engagements qu'il avait pris envers son mari. Après de longues et rebutantes démarches, elle obtint une entrevue et put ainsi remettre un mémoire rédigé par son mari. Napoléon promit une réponse pour le 24 juin.

Lorsque Charlotte revint à Saint-Cloud, le 24, le mémoire de Maximilien était sur la table de l'empereur, il le prit et le lui remit sans rien ajouter : elle demanda quelle résolution il comptait prendre à l'égard du Mexique. Elle était en présence d'un interlocuteur qu'il n'était pas toujours facile de faire parler, mais, en ce moment, ce silence équivalait à une réponse.

Recourant aux larmes, aux prières et n'obtenant rien, elle somma Napoléon III de tenir ses engagements d'honneur envers son mari. L'Empereur, en effet, pour décider Maximilien à accepter la couronne, lui avait écrit en 1864 deux lettres qui contenaient la promesse de ne pas l'abandonner jusqu'à l'achèvement de son œuvre, et Charlotte qui en avait les copies obligea, en quelque sorte, Napoléon III à les lire.

Celui-ci les parcourut d'un œil distrait et les rendant :

J'ai fait pour votre mari, dit-il, tout ce que je pouvais faire, je n'irai pas plus loin.

La jeune femme, se levant, pâle d'indignation, lui lança ces mots en partant.

J'ai ce que je mérite ! la petite fille de Louis-Philippe n'aurait pas dû confier son avenir à un Bonaparte.

Une heure après, la folie se déclarait.

De son côté Maximilien, extravagant aussi, donnant tête baissée dans la faction ultra-cléricale et merveilleusement secondé par Bazaine, ne commettait pas un seul acte qui ne fût une violence réactionnaire.

Enfermé dans Queratero qu'assiégeait le général Escobedo, à la tête d'une armée républicaine, il dut après trois sorties infructueuses se rendre prisonnier sans condition avec ses compagnons d'armes Miramon, Méjia, Cartillo et Marquez.

Traduit devant un conseil de guerre, il était condamné à mort le 14 juin 1867, ainsi que Miramon et Méjia.

Les derniers moments de cet Empereur d'un jour sont une des pages les plus sinistres de cette époque si féconde en sanglants souvenirs.

Le jour de l'exécution il monta dans la première voiture ; les généraux Miramon et Méjia le suivaient chacun dans une voiture séparée, accompagnés d'une escorte de quatre mille hommes. Ils furent conduits à travers Queratero jusqu'au Cerro de las Camuanas.

Ils se tinrent debout, pendant le trajet, la tête haute et le sourire aux lèvres : ils étaient vêtus avec soin, comme s'ils se rendaient à une fête. Le peuple, qui encombrait les rues, qui se suspendait aux fenêtres et se penchait sur les toits, les regardait passer avec une admiration muette et bien des femmes se détournèrent pour cacher leurs larmes, car il eût été difficile de voir plus bel homme que Maximilien.

Au dernier détour de la route le général Méjia pâlit et se cramponna au rebord de la voiture. Il venait d'apercevoir sa femme, les cheveux en désordre, gesticulant, son enfant nouveau-né au sein ; elle errait comme une folle, à travers la foule, et suivait d'un œil hagard les cahots de l'horrible charrette qui emportait tout ce qu'elle aimait.

Méjia cacha sa tête dans ses mains en étouffant un sanglot.

Le cortège arriva au pied du Cerro-de-las-Campanas ; on avait choisi pour place d'exécution l'endroit même où Maximilien s'était constitué prisonnier.

L'Empereur sauta légèrement à terre, épousseta ses habits et, s'approchant du carré d'exécution, il distribua à chaque soldat une once d'or.

Visez bien, mes amis, leur dit-il, ménagez ma figure, tirez au cœur !

Un des soldats pleurait.

Maximilien alla à lui et, lui offrant son étui à cigares en filigrane d'argent enrichi de pierres précieuses :

— Garde cela, mon ami, en souvenir de celui qui te le donne ; cet étui a appartenu à un prince qui a été plus heureux que moi qui t'en fais cadeau.

Un roulement de tambours annonça que le moment fatal approchait.

Maximilien fit quelques pas, monta sur une pierre et, d'une voix sonore, adressa ces mots aux soldats et à la foule :

— Mexicains, les hommes de ma condition et de ma race, et animés de mes sentiments, sont parfois destinés à être les martyrs des peuples. Ce n'est pas une pensée illégitime qui m'a conduit au milieu de vous. Puisse mon sang être le dernier que vous verserez et puisse le Mexique, ma malheureuse patrie d'adoption, être heureux. — Vive le Mexique !

Dès qu'il eut repris sa place, un sergent vint ordonner à Miramon et à Méjia de se tourner : condamnés comme traîtres, ils devaient être fusillés de dos.

Au revoir, mes bons amis, leur dit encore Maximilien. Et séparant de ses deux mains sa barbe fauve pour la rejeter sur ses épaules, il indiqua du doigt sa poitrine et dit d'une voix ferme : Là !

Puis il attendit avec l'impassibilité d'une statue.

Au commandement de : — Portez armes ! une rumeur de protestation et de menace s'éleva dans la partie de la foule composée d'Indiens que leurs superstitions et leurs croyances avaient rattachés à l'Empereur. D'après leurs traditions, en effet, un homme blanc doit venir, un jour, pour les affranchir et les sauver.

Les officiers se retournèrent en brandissant leur sabre et l'on entendit le commandement de : Joue ! feu !

— Vive le Mexique ! cria Miramon.

— Charlotte ! Charlotte ! s'écria Maximilien. La détonation couvrit leurs voix.

Quand la fumée fut dissipée, trois corps étaient étendus sur le sol, celui de l'Empereur remuait encore. Un soldat lui donna le coup de grâce.

On mit les cadavres dans les cercueils qui avaient été déposés à quelques pas de la place d'exécution et ils furent emportés, au milieu de la même escorte, jusqu'au couvent des capucins.

Ainsi se termine le dernier chant de cette épopée sanglante qui coûtait à la France 364 millions en crédit extraordinaire, plus d'un milliard sur les budgets ordinaires de la guerre, un matériel considérable de marine et de guerre et le dixième de notre armée emportée autant par les balles et les boulets que par la fièvre jaune ou d'autres maladies pestilentielles de ce climat malsain.

Mais de ce jour, en France, combien nous avions raison de protester contre cette aventure sanglante aussi justement impopulaire au Mexique que parmi nous. Et à ce propos, citons sans commentaires plusieurs extraits curieux, significatifs, de quelques lettres inédites qu'un de nos amis a bien voulu nous communiquer. Elles sont d'autant plus impartiales, et par suite ont d'autant plus de poids, qu'elles étaient adressées à sa famille par un soldat mort en brave sur le champ de bataille de Sedan, et qui ne fut jamais systématiquement hostile à l'Empire.

De la Puebla, 21 décembre 1863.

... La chose à laquelle le Mexicain s'habitue le moins, c'est d'avoir Maximilien pour empereur. Les libéraux voudraient, sinon Juarès, du moins un de leurs concitoyens ! Beaucoup, d'ailleurs, malgré la certitude des dernières nouvelles, ne croient pas encore à l'acceptation de Maximilien...

 

De la Puebla, 10 mai 1864.

... Je ne sais réellement pas comment Maximilien s'en tirera, s'il vient. Il aura du fil à retordre et devra s'estimer heureux, s'il ne finit pas aussi tragiquement que les Hurbide, les Marcios, les Hidalgo et tant d'autres victimes...

 

De la Puebla, 28 juin 1864.

... Il est impossible de juger le peuple mexicain, si comme, nous on ne l'étudie pas sur place. Il est impossible d'arriver à fonder ici un ordre de choses stable. Du jour où l'armée française quittera Vera-Cruz, l'empire mexicain retombera dans le néant ; le parti libéral qui est composé d'éléments ardents et intelligents retournera de nouveau ce malheureux pays et son souverain actuel devra s'estimer heureux si, par la fuite ou au moins l'abdication, il se soustrait au sort de la plupart de ses prédécesseurs..

Maximilien est à Mexico, On grogne toujours contre son inactivité.

Il y a une quinzaine de jours, un complot d'enlèvement de l'impératrice a été découvert. Il s'agissait de l'enlever alors que le soir elle va de Mexico à son château de Chapultepec, escortée simplement de quatre cavaliers. La mèche a été éventée...

 

Mexico, 21 juin 1865.

... Il est acquis que si nous quittions le Mexique l'Empereur ne s'y maintiendrait pas vingt-quatre heures.

L'œuvre de régénération du Mexique a complètement avorté ; elle a un semblant d'existence, grâce à nos bayonnettes, mais en réalité il n'y a rien, absolument rien de fait.

L'Empereur n'a aucune sympathie, il n'y a que nous qui levions notre casquette lorsqu'il passe. Il n'a pas de soldats, pas même un bataillon constitué.

En attendant, le papa Bazaine se marie dimanche 25, avec la señorita de la Pêna, âgée de 17 ans c'est-à-dire née en l'an où son seigneur et maître dépassait la quarantaine...

 

Mexico, 8 septembre 1865.

... Nous sommes ici sur un qui-vive perpétuel... Le Mexique cuit, bout et de cette fermentation, sortira une nouvelle révolution. Les complots, les conspirations abondent... Les appuis sur lesquels s'était établi cet empire naissant, ne sont que bois pourri ; je dirai plus, c'est là qu'il faut chercher les traîtres : en résumé, je crois que nous allons tous crever ici : l'eau, le feu, les Mexicains conspirent contre notre existence... Les époux Maximilien continuent à couler des jours filés de venette...

 

San-Luis-Potosi, 10 mars 1866.

Vous êtes étrangement abusés en ce qui concerne les affaires du Mexique. Nous sommes ici sur un volcan. Toute la partie comprise entre Monterey, Matamoros, Sans-Luis, Tampico, Cindad-Victoria, est infestée de bandes qui sont de vraies armées. Nous apprenons ce matin que notre 2e bataillon vient d'être complètement détruit, massacré, chef de bataillon, adjudant-major, capitaines, lieutenants, etc. Tous sont tués ou disparus. Une compagnie, partie ce matin, vient de demander du secours ; elle est cernée par 400 cavaliers ; une autre compagnie part à son secours. Entre Monterey et San-Luis, plus de courriers réguliers, 18 ont été successivement enlevés.

Ici nous sommes sur un qui vive continuel.

... La France ne cherche plus qu'une chose, rentrer autant que possible dans ses déboursés, et pour cela nous maintiendra au Mexique tant qu'elle pourra. Maximilien venu ici de bonne foi, est complètement désillusionné ; il se maintiendra sur ce trône mal assujetti, jusqu'au moment où la France quittant le Mexique, il sera forcé de nous suivre.

 

A la Solédad, 26 février 1867.

Demain 27 à quatre heures du matin, nous embarquons à destination d'Afrique. Impossible de vous dire la joie de tous. Nous sommes les uns et les autres rassasiés de cette campagne de fatigues et de privations. L'armée libérale occupe une heure après notre départ chaque point que nous évacuons ; elle a promis de sévères représailles ; de là l'inquiétude bien fondée de tous ceux qui ont pris parti pour notre drapeau. Voilà donc notre expédition terminée ; nous emportons tous un mauvais souvenir de ce pays abâtardi que nous laissons, du reste, dans un état d'anarchie pire que celui de l'époque de notre arrivée. Nous avons fort mal réussi ; nous pouvons avoir fait de bonne guerre ; mais à coup sûr de très mauvaise politique...

 

Qui nous valut cette guerre ?

L'impératrice ! comme plus tard elle déchaînait sur la France la terrible invasion prussienne.

Voici la curieuse anecdote qu'à ce propos raconte un historien dont on ne saurait nier les affections bonapartistes.

Il y avait, comme on sait, un chef de la police particulière de l'Empereur. Chaque personnage avait sa police particulière en ce beau temps-là. Le policier en chef des Tuileries — du côté de l'Empereur — était un nommé Hyrvoix.

C'était à la fin de la guerre du Mexique. Une grande rumeur inquiétait Paris. L'Empereur ne manquait jamais d'adresser le matin cette question à M. Hyrvoix.

— Que dit on ?

Après un silence, M. Hyrvoix répondit :

— On ne dit rien.

— Vous ne me dites pas la vérité, reprit l'Empereur.

— Eh bien ! sire, on dit...

— Parlez ?

— Je dois toute la vérité, à Sa Majesté. Paris est indigné de cette guerre malheureuse. On en parle partout en disant que c'est la faute.....

— La faute de qui ?

—Sire, sous Louis XVI, on disait : C'est la faute de l'Autrichienne.

— Eh bien ?

— Eh bien ! sous Napoléon III, on dit que c'est la faute de l'Espagnole.

Sur ce mot, une porte s'ouvrit. L'Impératrice arriva devant M. Hyrvoix comme une apparition, dans le blanc déshabillé du matin. Une belle colère empourprait ses joues, ses cheveux épars frémissaient sur ses épaules. Elle ne parla pas, elle siffla :

— Monsieur Hyrvoix, vous allez répéter ce que vous venez de dire !

— Oui, Madame. Votre majesté me pardonnera, puisque je suis ici pour dire la vérité. J'ai dit à l'Empereur, que dans Paris on dit l'Espagnole comme on disait de Marie-Antoinette l'Autrichienne.

— L'Espagnole ! dit l'Impératrice avec une fierté menaçante : sachez que je suis devenue Française !

 

Non ! elle n'est jamais devenue Française cette femme qui, après avoir voulu la guerre du Mexique, voulut encore la guerre de 1870. C'était notre ennemie la plus acharnée, puisqu'elle a fait couler notre sang dans les batailles les plus désastreuses — pour son plaisir ! Française, elle ! Non, elle n'a jamais été pour nous qu'une étrangère, — une étrangère détestée !