LES CONSEILLERS DU GRAND ROI

LOUVOIS

 

CHAPITRE V. — LOUVOIS MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

 

 

Ce fut petit à petit et par degrés que Louvois s’insinua dans, la confiance de Louis XIV au point d’avoir une influence prépondérante dans la direction de la politique extérieure. Tout d’abord, il semble se confiner dans la direction des choses militaires. La guerre de dévolution est inspirée par un esprit de chicane et toute bardée de précautions de procureur, où se devine la main de Letellier, mais non celle de son fils. Il n’en est plus de même pour la guerre de Hollande. Sans doute c’est la diplomatie de Hugues de Lionne qui a su isoler si complètement les Hollandais ; mais quand la mort vient le surprendre, le 1 er septembre 1071, c’est Louvois qui est chargé de l’intérim des affaires étrangères, en attendant l’arrivée de Pomponne, notre ambassadeur de Suède, l’héritier de la charge du défunt. Louvois prit goût à ses fonctions nouvelles. Cependant il remit entre les mains du nouveau titulaire la direction des affaires étrangères, mais il sut y garder une part excessive et une influence d’ailleurs néfaste.

Il n’avait pas la notion de l'impossible. Lorsque, dans le premier moment d’épouvante, les Hollandais vinrent humblement demander la paix, offrant en retour les villes du Rhin, cédant une zone de territoire qui faisait des Pays-Bas espagnols une enclave de la France, Louvois estima ces conditions insuffisantes, et son opinion devint celle du roi. Il exigeait Nimègue, Bommel, Grave, possessions dont personne n’entrevoyait l’utilité pour le roi de France, mais qui étaient une menace dirigée contre l’Allemagne. Ce fut une faute très grave. L’excès du malheur rendit l’énergie aux Hollandais. Les Français durent reculer devant l’inondation. Les sympathies que la politique sage et prudente de Richelieu et de Mazarin avait su grouper autour de la France s’évanouirent à tout jamais, et une première coalition se forma contre elle. Louvois avait tout préparé, de telle sorte que la coalition fut durement battue. Le traité de Nimègue porta au comble la gloire de Louis XIV et, par suite, de celui qui avait été son principal conseiller. On ne vit pas tout d’abord que, si la France acquérait une province et une admirable frontière, la Hollande sortait intacte de cette lutte où elle devait disparaître, et demeurait ainsi le véritable vainqueur. L’enthousiasme ne connut plus de bornes ; Louis XIV fut proclamé le grand, et il apprécia davantage celui à qui il devait cet encens. Ainsi, ce qui semblait devoir ébranler la fortune de Louvois la porta, au contraire, à son apogée.

Il en profita pour essayer de se faire attribuer d’une façon effective le département des affaires étrangères qu’il convoitait. Une sourde coalition se forma entre Colbert et Louvois contre Pomponne. Elle eut les résultats espérés. Le roi prit en dégoût son ministre des affaires étrangères. J’ai souffert, écrit-il, plusieurs années de sa faiblesse, de son opiniâtreté, de son inapplication. Il m’en a coûté des choses considérables ; je n’ai pas profité de tous les avantages que je pouvais avoir, et tout cela par complaisance et par bonté[1]. Jugement injuste, mais qui motiva une éclatante disgrâce. Cette fois pourtant, Louvois se trouva avoir travaillé pour autrui. Ce fut Colbert de Croissy, frère du ministre des finances, qui remplaça Pomponne disgracié. On bat les buissons, dit malignement madame de Sévigné[2], et les autres prennent les oiseaux ; de sorte que l’affliction n’a pas été médiocre.

Une fois remis du premier moment de mauvaise humeur, Louvois prit sa revanche en supplantant son heureux rival, en dirigeant par-dessus sa tête la politique extérieure par l’invention des chambres de réunion. L’archéologie introduite en matière de politique internationale, ce fut le triomphe de Louvois.

 

 

 



[1] Mémoires de Louis XIV, t. II, p. 521.

[2] Lettre du 22 novembre 1679.