LES CONSEILLERS DU GRAND ROI

COLBERT

 

CHAPITRE II. — COLBERT CONTRÔLEUR GÉNÉRAL : RÉFORME DES FINANCES.

 

 

Lorsque Colbert prit la direction des finances, elles étaient dans un état lamentable. En 1661, dit M. Pierre Clément[1], la France payait 90 millions d’impôts, sur lesquels il en restait Près de 35 à l’État, prélèvement fait des frais de perception et des rentes à servir. En outre, deux années de revenu étaient consommées à l’avance. On marchait à grands pas vers la banqueroute.

Il y avait à cela des causes diverses. D’abord les malversations des financiers ou traitants, dont Fouquet avait donné le plus scandaleux exemple. Sire, disaient les trésoriers, il n’y a plus d’argent dans les coffres de Votre Majesté ; mais adressez-vous à M. le surintendant, et il vous en prêtera[2].

Le plus, dans des besoins pressants, la royauté avait eu recours aux affaires extraordinaires, c’est-à-dire à la création de charges multiples et inutiles, achetées par les titulaires à beaux deniers comptants, mais qui augmentaient ensuite par les traitements à payer les charges déjà trop lourdes du trésor. C’était un emprunt déguisé, dont l’intérêt était représenté par les émoluments de la charge.

On avait usé de l’emprunt sous sa forme brutale ; mais la royauté avait encore si peu de crédit que les magistrats de l’Hôtel-de-Ville s’étaient portés caution pour elle. Les créanciers avaient pour garantie les propriétés de la ville de Paris. C’était là ce qu’on appelait les rentes sur l’Hôtel-de-Ville ; et, malgré tout, leur émission avait été difficile ; elles n'avaient produit au trésor qu’une somme bien inférieure à la valeur nominale dont il servait l’intérêt.

Enfin, malgré les misères que la guerre de la Fronde avait accumulées sur la France, l’impôt aurait pu produire davantage. Il était mal réparti et n’atteignait pas toutes les sources de revenu.

Il y avait donc une double tâche à accomplir. Il y avait des abus à corriger, des réformes à introduire. C’est précisément ce que fit Colbert. Il commença, comme le duc de Sully, par arrêter les abus et les pillages, qui étaient énormes. La recette fut simplifiée autant qu’il était possible ; et, par une économie qui tient du prodige, il augmenta le trésor du roi en diminuant les tailles[3].

Voilà un résumé clair et précis, tel que les sait faire Voltaire. Voyons d’abord ce qui concerne les abus et pillages.

Dès 1661 Colbert institua une chambre de justice chargée de rechercher les malversations financières commises depuis 1635. C’était remonter jusqu’à l’administration de Richelieu. Parmi les financiers enrichis, il y en eut bien peu qui ne se sentirent pas menacés. Ils espérèrent fléchir le ministre par l’offre de vingt millions versés au trésor ; il demeura inflexible. Ils essayèrent alors de faire passer entre les mains de tiers leurs biens meubles et immeubles : une ordonnance parut, interdisant et annulant à l’avance tout contrat passé avec un financier depuis la création de la chambre de justice. Les plus avisés cherchèrent leur salut dans la fuite, comme Gourville, ami ‘intime de Fouquet. Les autres, et ce fut le plus grand nombre, furent arrêtés et jetés en prison. Leur procès fut instruit avec rigueur ; quelques-uns furent frappés dans leur personne ; c’est ainsi qu’un certain Dumont fut pendu devant la Bastille ; à Orléans, Pierre Sergent et Jean Chailly furent exécutés ; il est vrai qu’ils avaient assassiné une vieille femme pour la punir de les avoir dénoncés.

Colbert répugnait aux moyens violents, et préférait laisser les coupables se racheter. Nous possédons quelques chiffres do ces restitutions pour les années 1662 et 1663. Nous voyons un la Bazinière taxé 962.000 livres, un sieur Boilesve 1.473.000 ; un certain Coquille paie 2 millions, Gruin en paie 2 et demi, Jacquin 3.747.000 livres, Monnerot 5.803.000[4]. C’est ainsi qu’en un an Colbert encaisse 110 millions, sans compter vingt-cinq millions d’amende, soit 135 millions, tandis que le chiffre total de l’impôt n’était que de 90millions.

Il faut, à propos de ces chiffres, se garder d’une erreur facile. On est tenté de se dire, quand on pense à nos budgets actuels, que ce sont là de maigres sommes obtenues pour un si grand effort.

Il faut songer que, sous l’administration de Colbert, le prix du marc d’argent était de 28 livres : c’est-à-dire qu’on taillait 28 livres tournois avec la quantité d’argent qui produirait 54 francs aujourd’hui[5]. Il faut donc doubler la somme pour avoir la valeur intrinsèque de nos jours. On sait de plus que, depuis trente ans seulement, les denrées, par suite de l’abondance du métal sur le marché, ont presque doublé de prix. Il faudrait donc encore doubler cette valeur intrinsèque pour avoir la valeur relative, c’est-à-dire réelle de nos jours. Pour ne point être exagéré, multiplions seulement par trois la somme du temps de Louis XIV. Les 135 millions de Colbert en feraient 405 de nos jours, et le budget de la France de 1661 serait 270 millions.

C’est encore un maigre budget comparé au nôtre qui dépasse 3 milliards ! Mais il faut tenir compte du peu de scrupule qu’apportait le gouvernement dans le paiement des rentes. Les magistrats, le clergé n’étaient point payés par l’État ; le service des ponts et chaussées était remplacé par la corvée ; les universités vivaient de leurs biens propres et ne coûtaient rien à l’État ; les frais de perception de l'impôt étaient au compte des compagnies fermières.

Colbert avait donc de l’argent devant lui, chose inouïe depuis bien des années ! Il sut l’employer à propos. Nous le voyons réduire dans d’énormes proportions le nombre des officiers do finance en remboursant les charges au taux du prix d’achat à la royauté. Sans doute les titulaires avaient acheté ces charges pour une somme bien supérieure au prix d’émission, puisqu’ils offrirent 60 millions pour arrêter l’édit : Colbert ne vit que l’intérêt du trésor débarrassé chaque année d’une grosse charge inutile ; il refusa.

Une autre excellente opération fut le rachat des fameuses rentes sur l’Hôtel-de-Ville. Colbert commença par en arrêter le paiement. C’était atteindre la bourgeoisie de Paris et une partie de la cour. Un chevalier de Cailly écrivit l’épigramme suivante :

De nos rentes, pour nos péchés,

Si les quartiers sont retranchés,

Pourquoi s’en émouvoir la bile ?

Nous n'aurons qu’à changer de lieu :

Nous allions à l’Hôtel-de-Ville,

Et nous irons à l’Hôtel-Dieu.

Boileau louait fort cette boutade, s’il faut en croire le président Brossette. Peut-être l’a-t-elle inspiré quand il écrivit en 1665 ces vers si connus du Repas ridicule :

Quel sujet inconnu vous trouble et vous altère ?

D’où vous vient aujourd’hui cet air sombre et sévère,

Et ce visage enfin, plus pâle qu’un rentier

A l’aspect d’un arrêt qui retranche un quartier ?

Colbert régularisa la situation. Il racheta toutes ces rentes, mais au prix d’émission. Or, à l’époque où elles avaient été lancées, ces rentes n’avaient guère procuré au trésor que la moitié de leur capital nominal. Depuis, elles avaient monté et se négociaient presque au pair. Il est vrai que la différence entre le prix d’émission et le cours nouveau constituait le bénéfice du vendeur. Colbert ne s’arrêta point en songeant aux ruines qu’il allait causer. Nous sommes sur le point d’en voir une bien cruelle, écrit Madame de Sévigné, qui est le rachat de nos rentes sur un pied qui nous renvoie droit à l’hôpital. L’émotion est grande, et la dureté l’est encore plus[6]. La dureté se compliquait ici d’une sorte de banqueroute, car l’État se trouvait moralement engagé à soutenir ces rentes : Colbert ne vit que l’intérêt du trésor déchargé désormais de huit millions de dépense annuelle.

Comme il lui restait encore de l’argent, il racheta les parties aliénées du domaine, ce qui assurait au trésor une nouvelle recette. Il rendit un grand service aux communes en les forçant à racheter au prix de vente les biens communaux aliénés. Vainement les villes protestèrent au nom des franchises municipales, Colbert demeura inflexible ; et on découvrit bientôt que le plus souvent les magistrats municipaux eux-mêmes s’étaient rendus acquéreurs à vil prix des biens dont ils avaient voté l’aliénation.

Tout cela sans doute ne se fit point sans résistance et sans murmures. Ces mesures, parfois illégales, souvent cruelles, ressemblaient trop à des expédients révolutionnaires ; mais le bon sens public y applaudit. Moins de dépenses d’un côté, nouveaux revenus de l’autre sans qu’il en coûtât rien au contribuable, c’était bien ce prodige dont parle Voltaire.

Les abus ayant disparu, il s’agissait maintenant d’en prévenir le retour. Colbert se promit bien de n’avoir jamais recours à la gent financière. Un édit parut, interdisant, sous peine de la vie, de prêter de l’argent au roi. Il dut en rabattre plus tard, à l’époque des grandes guerres. Il confia son embarras à Gourville, devenu son ami. Ce dernier lui déclara : qu’il n’y avait qu’à oublier que l’arrêt eût été donné, et emprunter comme on aurait pu faire auparavant[7]. On trouva aisément des prêteurs, mais la France retomba sous les griffes des partisans.

Elles étaient pourtant fortement émoussées. D’abord la remise aux receveurs généraux et particuliers fut singulièrement abaissée. Elle avait été jusqu’à six sous pour livre ; elle fut abaissée à 9 deniers pour livre. Le contrôleur général avait en outre imaginé tout un système de comptabilité qui rendait désormais les fraudes bien difficiles. Un Registre-journal renfermait, par ordre de dates, les dépenses et les fonds sur lesquels elles étaient assignées. Un Registre des fonds contenait l’indication des recettes par ordre de matières, en répétant, pour le contrôle et la concordance, l’indication des dépenses assignées sur chaque article. Tous les ans, au mois d’octobre, on calculait les dépenses et la recette probable de l’année à venir ; on voit que Colbert est le véritable créateur du budget. Au mois de janvier ou février, on dressait ce qu’on appelait l’état au vrai : c’est-à-dire qu’on réglait les comptes définitifs de l’année révolue.

De plus, Colbert présentait au roi, tous les premiers jours de l’an, un agenda où ses revenus étaient marqués en détail ; et à chaque fois que le roi signait des ordonnances, il lui faisait souvenir de les marquer sur son agenda, afin qu’il pût voir quand il lui plairait combien il lui restait de fonds ; au lieu que, les temps passés, il ne pouvait jamais savoir ce qu’il avait[8].

Comme il ne fallait pas que le trésor fût exposé à se trouver vide à de certains moments, tandis qu’il serait encombré à d’autres, les fermiers et receveurs s’engageaient à un versement mensuel fixe. Si au jour fixé la recette n’était pas rentrée, le retardataire était frappé d’un commandement, et la poursuite venait bientôt après. Les comptes étaient vérifiés tous les mois par Colbert, tous les six mois par le roi.

Cette guerre ouverte aux financiers, cette surveillance incessante, cette chasse continuelle aux abus devaient soulever contre Colbert bien des haines et bien des colères. On lui tendit des pièges, il en sortit à son honneur.

Une fois entre autres, avec ses goûts de faste et de luxe, Louis XIV songeait à offrir un grand carrousel à sa mère et à la reine sa femme. Il était retenu par la crainte de la dépense qu’entraînerait une pareille fête, et un peu aussi par celle de l’opposition qu’il prévoyait chez le contrôleur général. Les courtisans s’empressèrent d’augmenter la mauvaise humeur du monarque en critiquant l’humeur parcimonieuse d’un ministre qui s’opposait à la juste magnificence de son maître. De guerre lasse, Louis XIV se décide à parler à Colbert de cette fête comme d’un projet agréable, mais qu’il abandonnerait s’il devait entraîner de trop fortes dépenses. Au lieu des remontrances auxquelles il s’attendait, il fut tout surpris de voir Colbert entrer dans ses vues et fixer la dépense probable à 1.500.000 livres. Ce fut au tour du roi de vouloir retenir son ministre en veine de prodigalité : Vous avez annoncé cette fête, répondit Colbert : il ne vous est plus permis de la contremander, car ce serait faire l’aveu du mauvais état de nos affaires. Il faut au contraire aller au-delà de votre magnificence naturelle. La fête eut lieu en effet, et dépassa en éclat tout ce qu’on avait vu jusqu’alors. La place où elle se donna devant le palais des Tuileries a gardé depuis lors le nom de place du Carrousel. Grâce à l’ordre et aux bonnes mesures de Colbert, les frais ne dépassèrent pas 1,200.000 livres ; mais il était venu à cette occasion une telle affluence à Paris, principalement de gens de distinction, que le produit des fermes (octrois) donna une plus-value de deux millions. Ceci se passait en 1662, et, loin d’affaiblir le crédit de Colbert, cette aventure ne fit qu’augmenter encore la confiance dont il jouissait auprès du roi.

Cette confiance lui permit de chercher à mieux répartir les charges de l’impôt. Il porta tous ses efforts sur la taille. C’est là surtout qu’il convient de lui appliquer ce mot de Voltaire : Il est vrai que le ministre Colbert ne fit pas tout ce qu’il pouvait faire, encore moins ce qu’il voulait[9].

La taille constituait la partie essentielle des revenus du roi. Elle avait été établie d’une façon permanente par Charles VII et pesait sur les terres que le roi, dès le début, avait partagées en deux grandes classes : les terres roturières ou payantes, et les terres privilégiées ou non payantes.

Du moment où l’on admet cette division, il faut admettre aussi que quiconque acquerra par la suite une de ces terres privilégiées ne paiera point d’impôt pour elle. Ce système, connu sous le nom de taille réelle, n’était pratiqué qu’en quelques provinces, tardivement réunies à la couronne et qu’on appelait pays d'états, à cause des assemblées provinciales qu’elles avaient conservées. Partout ailleurs, c’est-à-dire dans les pays d'élection, si un roturier acquérait une terre privilégiée, elle perdait son privilège ; si un noble ou une communauté acquérait une terre roturière, elle devenait privilégiée. C’était la taille personnelle, taille inique, car de cette façon il n’y avait de terres privilégiées que celles de la noblesse et du clergé.

Colbert aurait voulu établir la taille réelle par tout le royaume ; et il avait commencé le cadastre par la généralité de Montauban. Les privilégiés firent une résistance désespérée. Cela me semble injuste, mais aussi impossible, déclare Guy-Patin, quoique cela se passe en Turquie ; mais, par la grâce de Dieu, la France ne sera jamais turque[10]. — Elle l’est devenue sur ce point cependant, malgré une assurance aussi superbe ; mais ce n’est pas Colbert qui obtint ce résultat, car il dut s’arrêter à son ébauche d’entreprise. Du moins, là encore il poursuivit tous les abus. Nombre de gens trouvaient commode de s’affranchir de l’impôt en se parant d'un titre de noblesse. En 1662, Molière disait par la bouche de Chrysalde :

Je sais un paysan qu’on appelait Gros-Pierre,

Qui, n’ayant pour tout bien qu'un seul quartier de terre,

Y fit tout à l’entour faire un fossé bourbeux

Et de M. de l’Isle en prit le nom pompeux[11].

Colbert poursuivit impitoyablement tous ces faux nobles et les fit rentrer dans le rang. Rien qu’en Provence, 1.257 usurpations furent signalées. Comme c’étaient ordinairement les plus riches de la contrée, en reprenant leur part d’impôt à payer, ils soulageaient d’autant les autres.

La répartition de cet impôt donnait lieu à d’étranges injustices. Chaque année, le roi fixait en son Conseil le chiffre à payer par chaque province financière ou généralité. L’intendant, magistrat suprême de la généralité, déterminait la quotité à payer par chaque élection, ce qui correspondait à un arrondissement de nos jours. Dans chaque élection, des officiers appelés élus répartissaient entre chaque paroisse ; puis les collecteurs répartissaient entre les habitants de la paroisse, chacun payant en proportion de ses ressources présumées. Aussi s’efforçait-on de paraître pauvre. Il n’était pas rare de voir les collecteurs charger outre mesure un voisin avec lequel ils étaient en mésintelligence, tandis qu’ils ménageaient leurs amis ou leurs parents. Un présent fait à propos à madame l’élue procurait un adoucissement de taille. Les grands usaient de leur influence auprès des intendants pour faire exempter leurs fermiers ou simplement leurs protégés. En fin de compte, tout le poids retombait sur les épaules des plus pauvres.

Colbert sait tout cela et il s’empresse d’y mettre bon ordre. Comme c’est la matière sur laquelle il peut se commettre le plus d’abus, écrit-il au roi, c’est aussi celle à laquelle on adonné et l’on donne toujours le plus d’application[12]. En 1670, il recommande expressément aux intendants de tenir soigneusement la main à ce que les impositions soient faites avec justice et égalité. Considérez ce travail comme le plus important de tous ceux qui sont confiés à vos soins. Dès 1663 il avait déjà ordonné de faire la répartition, sans avoir égard aux recommandations de qui que ce soit[13]. Aussi les lamentations s’élèvent de tous côtés. On s’indigne contre ces projets d’une réformation qui consiste seulement à augmenter de beaucoup les impôts en les répandant sur tous ceux qui s'en mettaient à couvert par leur crédit et par relui de leurs amis. Le gentilhomme n’a plus de crédit pour obtenir la diminution de la taille à sa paroisse ; ses fermiers paient comme les autres et plus... Tout paie ! voilà un grand air de justice ; mais qu’est-ce que cette belle justice a produit ? Elle a ruiné tout le monde[14].

On eût aimé voir Colbert pratiquer lui-même cette rigide impartialité qu’il prescrit aux autres. Malheureusement il n’est pas inaccessible à de hautes influences. C’est lui qui écrit à un intendant : M. le comte de Saint-Aignan m’a fait entendre que les habitants de Loches étaient fort misérables, et qu’il serait juste de les soulager tant de la taille que de l’impôt du sel. Comme il est de mes amis particuliers, je vous serai obligé si vous m’aidez à faire valoir ses recommandations[15]. L’intendant ne devait-il pas voir un ordre dans ce simple désir exprimé par le tout-puissant ministre ? A un autre Colbert écrit encore : Mademoiselle m’a prié de vous recommander les habitants de la ville d’Eu, dans l’imposition prochaine de la taille. Il est vrai que, pris de remords, il se hâte d’ajouter : L’équité et la justice doivent toutefois prévaloir sur toute autre considération[16], reprenant ainsi d’une main ce qu’il a abandonné de l’autre.

Ne pouvant supprimer tout à fait la taille, Colbert la réduisit dans de notables proportions. Il la trouva à 53 millions de livres ; l’année de sa mort, il l’avait abaissée à 32 millions, et il se proposait de la ramener à 25. Un autre impôt à bon droit impopulaire était celui qui pesait sur le sel : on l’appelait gabelle. Dès 1668 Colbert lui donne son règlement. Il diminue de trente sous par minot le prix du sel pris dans les greniers du roi.

Comment Colbert faisait-il donc pour compenser ces dégrèvements d’impôts pesant exclusivement sur le pauvre ? Il avait recours aux impôts indirects comme relativement plus équitables, parce qu’ils pesaient indistinctement sur la masse de la nation. Il fit porter la principale augmentation sur les aides. On nommait ainsi un impôt sur le vin, l’eau-de-vie, le cidre, le poiré, la bière et toutes les liqueurs dans la composition desquelles entrait une de celles-là. On l’avait établi en 1360 pour la rançon du roi Jean ; et, de temporaire qu’il devait être, il était bientôt devenu définitif. Il fournissait cinq millions seulement à la mort de Mazarin ; il s’élevait à 21 millions en 1684. Malheureusement les abus de la perception frappèrent l’industrie des boissons, en causant un grave préjudice aux particuliers et à l’État.

En résumé, à la mort de Colbert, le trésor royal recevait annuellement 57 millions de plus qu’en 1661 ; et cependant le peuple était soulagé. C’est que d’une part les charges diminuaient, tandis que le revenu de l’État augmentait par suite d’une perception régulière et par l’accroissement delà richesse publique. La répartition était devenue plus équitable. Que n’aurait pas fait Colbert sans les goûts fastueux et guerriers de Louis XIV !

 

 

 



[1] P. Clément, t. I, p. 97.

[2] Choisy, Mémoires.

[3] Voltaire, Siècle de Louis XIV.

[4] Pierre Clément, pièce citée à la page 106, chap. II.

[5] Voir un article de Cochut, Revue des Deux-Mondes, 1er août 1816.

[6] Lettre de Madame de Sévigné à Pomponne, 1er décembre 1664.

[7] Gourville, Mémoires, p. 590. Collection Michaud et Poujoulat.

[8] Abbé de Choisy, Mémoires, p. 117.

[9] Voltaire, Siècle de Louis XIV, chap. 30.

[10] Guy Patin (may 1661).

[11] L'Ecole des femmes. Acte I, scène 1.

[12] Mémoire au roi, de 1680.

[13] Depping, Correspondance administrative, t. III, p. 33.

[14] Soupirs de la France esclave qui aspire à sa liberté, XIe Mémoire.

[15] Depping, Correspondance administrative, t. III, p. 50.

[16] Depping, Correspondance administrative, t. IX, p. 341.