LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME III — LE TRAVAIL DANS L’ANTIQUITÉ

L’ARCHITECTURE. — IV. - L’ARCHITECTURE ROMAINE

 

 

NOTIONS HISTORIQUES. - LA CONSTRUCTION. - LES ORDRES. - LA DÉCORATION. - LE PAVAGE ROMAIN. - LES ÉDIFICES. - LES ARCHITECTES.

 

NOTIONS HISTORIQUES. — L’Italie est couverte de monuments pélasgiques dont la construction ne diffère pas essentiellement de ceux que l’on rencontre en Grèce et qui datent de la même période. Mais les Étrusques, malgré les grands rapports qu’ils présentent aussi avec les Grecs, s’en séparent néanmoins par quelques points essentiels et notamment par l’emploi de la voûte dont ils ont fait usage des la plus haute antiquité. Le style romain s’est formé par le mélange du goût étrusque et du goût grec.

La conquête de la Grèce par les Romains marque une transformation complète dans l’art comme dans la situation des artistes. Les grands, pour gagner le peuple par l’éclat et la magnificence des fêtes, attirent à Rome un grand nombre d’artistes grecs, en même temps qu’ils apportent dans la ville éternelle des chefs-d’œuvre de toute sorte volés dans les sanctuaires de la Grèce. A l’origine, les généraux romains mettaient une sorte de modération dans leurs rapines. Marcellus à Syracuse, Fabius Maximus à Tarente, se proposaient simplement de donner à leur triomphe plus d’éclat et de décorer les édifices de leur pays avec les chefs-d’œuvre qu’ils rapportaient en manière de trophées. Mais la prise de Corinthe, les victoires sur Mithridate et sur Cléopâtre, amenèrent à Rome une affluence de statues et de tableaux tellement considérable qu’on ne pourrait y croire, si l’on n’avait pour cela des témoignages si positifs et si multipliés.

Tite-Live signale l’émigration des artistes grecs par troupes : Les architectes, les peintres, les statuaires, que l’appât de la fortune attirait à Rome en très grand nombre, trouvaient toujours à s’occuper dans les grands travaux publics, tels que théâtres, temples, basiliques, portiques, sans compter les ouvrages qui leur étaient demandés par des particuliers. Plusieurs d’entre eux firent des fortunes princières ; on cite entre autres un peintre grec d’Alexandrie, chez lequel Ptolémée Philométor reçut à Rome une hospitalité vraiment royale.

Paul-Émile, dans son triomphe sur Persée, amène à Rome 250 chariots remplis d’objets d’art. Sylla se fait livrer les trésors des temples d’Olympie, de Delphes et d’Épidaure ; les gouverneurs de province, Verrès, par exemple, se mettent à piller pour leur compte, et de toute part la marche des légions romaines est signalée par un brigandage organisé. Le goût des arts se propage de plus en plus parmi les Romains, et s’allie toujours au luxe le plus fastueux. Lei érudits en matière d’art et les connaisseurs viennent élire domicile à Rome, en même temps que les artistes grecs abandonnent leur patrie dévastée pour mettre leurs talents au service des maîtres du monde.

Les artistes et les artisans grecs employés à la décoration des édifices étaient considérés à. Rome comme des fournisseurs d’objets de luxe, qu’on paye généreusement, et nullement comme des hommes dont le talent honore la nation qui les fait travailler. Comme les Romains confondaient absolument l’art avec le luxe, le vieux parti républicain s’élevait contre ces innovations qu’il regardait comme le signal d’une décadence dans les mœurs. En Grèce, le goût de l’art s’était toujours allié à l’amour de la liberté ; mais à Rome on s’en servait pour faire oublier au peuple les affaires politiques. Des entreprises architectoniques pleines de grandeur et de magnificence étaient servies au peuple romain au même titre que ses spectacles. Les architectes, qui étaient regardés par les empereurs comme des hommes utiles, furent toujours beaucoup plus considérés par eux que les peintres et les sculpteurs.

Sous la république, pourtant, quelques familles patriciennes avaient pratiqué ces arts, et un Fabius reçut le nom de Pictor parce qu’il avait fait des peintures dans le temple du Salut. Mais l’asservissement de la Grèce fit affluer vers Rome une multitude d’artistes bien plus habiles que tous ceux qu’on avait vus jusque-là ; comme ils étaient dans une situation bien inférieure aux citoyens, que plusieurs même avaient été réduits en esclavage par suite de la guerre, l’art ne tarda pas à être déconsidéré comme ceux qui le pratiquaient. On achetait un philosophe, un grammairien, un pédagogue, on eut de même un peintre, un sculpteur, un architecte. Les Romains croyaient posséder l’art et la science quand ils avaient un homme à eux. Les noms écrits sur les inscriptions tumulaires nous montrent des esclaves et des affranchis qui exerçaient les beaux-arts. Mais, parmi ces noms, aucun n’est illustre ; car l’art vit d’inspirations que le maître ne donne pas, et qui sont rebelles à des mains serviles.

Ce fut vers la fin de la république que le luxe commença à s’introduire dans les maisons particulières. Crassus, le premier, fit venir des marbres étrangers pour orner sa propre demeure, qui était située sur le mont Palatin. Il plaça dans l’atrium de sa maison six colonnes de marbre du mont Hymette, ce qui lui attira un quolibet de Marcus Brutus. Lepidus passa pour un homme magnifique parce qu’il avait fait venir des marbres de Numidie. Mais bientôt la mode des marbres étrangers devint générale. Quatre ans après le consulat de Lepidus, dit Pline, Lucius Lucullus fut consul, duquel le marbre noir prit le nom de Luculléen, ainsi qu’on voit encore aujourd’hui, parce qu’il prenait fort grand plaisir à ce marbre, et qu’il en fit venir à force à Rome, ayant fantaisie sur ce marbre noir, au lieu que les autres estimaient les marbres blancs et ceux qui étaient diaprés et marquetés de diverses couleurs. Au commencement de l’empire on vit s’élever en très grand nombre des maisons particulières qui affichaient un luxe inouï jusqu’alors. Il y en avait dont l’impluvium était orné de colonnes qui avaient coûté jusqu’à 40.000 sesterces chacune (8.183 fr.).

Les philosophes ne manquaient pas de déclamer contre le luxe croissant des particuliers, et les républicains disaient qu’autrefois le chaume abritait les hommes libres et que maintenant les palais de marbre étaient remplis d’esclaves. Ces récriminations, qui n’étaient que le prélude de celles que le christianisme allait élever dans le même sens et avec beaucoup plus d’énergie, étaient en principe contraires à la liberté individuelle et au droit que tout individu a de vivre selon sa fantaisie, mais elles étaient parfaitement conformes à la vieille morale républicaine.

En Grèce, jusqu’à la domination macédonienne, et à Rome, jusqu’à la fin de la république, l’individu devait s’effacer devant la cité, et nul n’aurait osé avoir une demeure qui l’emportât sur les édifices publics. Le sentiment monarchique amena un changement dans les mœurs. Ce fut la cité qui fut à l’individu et non l’individu à la cité. Dès lors chaque citoyen opulent voulut avoir une demeure qui répondit à son rang et afficha la supériorité qu’il prétendait avoir sur ses concitoyens. Il en résulta que l’architecture privée prit une très grande extension, et ce n’est en réalité que dans la période monarchique qu’on peut en suivre tous les développements.

Rome avait, dès la fin de la république, tous les genres d’édifices que l’empire devait développer. L’empire n’a fait que consacrer la tendance vers la magnificence. Pompée fit construire un théâtre en pierres qui pouvait contenir quarante mille spectateurs. Scaurus avait élevé déjà un théâtre provisoire dont la magnificence était vraiment inouïe : trois mille statues de bronze, et une multitude de tableaux complétaient sa décoration, enrichie déjà d’un nombre immense de colonnes. Le premier amphithéâtre en pierres fut élevé par Statilius sous Auguste.

La grande place qu’Auguste occupe dans l’histoire vient moins de ses qualités personnelles que des goûts et des idées de son temps qu’il possédait à un haut degré et dont il s’est fait en quelque sorte la manifestation vivante. Il avait le goût des grandes constructions et le nombre des édifices qu’il a élevés dans Rome est vraiment immense, d’autant plus que tous les grands personnages du temps, stimulés par l’exemple de l’empereur, en élevèrent de leur côté. C’est à cette époque qu’on rapporte le temple de Jupiter tonnant, dont trois colonnes subsistent encore avec leur entablement, le temple de Mars vengeur, qui est figuré sur quelques monnaies, un grand temple dans le forum d’Auguste, dont il reste des débris, le théâtre de Marcellus, le portique d’Octavie, etc.

Le Panthéon d’Agrippa, édifice rond, que précède un portique formé de seize colonnes de granit, marque une innovation dans l’architecture par l’importance de sa coupole et la magnificence de sa décoration. Les murs étaient plaqués en marbre, les caissons ornés de rosettes dorées.

La province participa au mouvement imprimé par la capitale : partout s’élevèrent des arcs de triomphe, des temples dédiés à Auguste, etc.

L’incendie de Rome par Néron fit surgir une ville nouvelle. Les architectes Celer et Severus élevèrent la Maison-Dorée dont la magnificence est devenue proverbiale. Ce palais était entouré de portiques d’un développement immense et renfermait des parcs dans son enceinte. On reconstruisit sur un plan régulier les quartiers qui avaient été consumés par le feu. Les maisons eurent moins de hauteur, les rues plus de largeur et la pierre fut partout substituée au bois dans les constructions nouvelles. A partir du règne de Néron, les monuments prennent des proportions gigantesques et commencent à se surcharger d’ornements. Rien que la plupart des constructions élevées sous ce règne aient eu pour but le plaisir de l’empereur, on lui doit die grands travaux d’utilité publique. La fondation du port d’Antium, la réparation des aqueducs, la grande boucherie, rotonde comprise dans un triple portique, qui est figurée sur une médaille, des thermes et d’autres édifices attestent l’activité de l’architecture.

Les règnes d’Othon, de Galba et de Vitellius furent trop courts pour avoir laissé des constructions importantes, mais Vespasien releva les fortifications de plusieurs villes, rétablit des routes, répara une foule de monuments publics, restaura le Capitole et réédifia pour la troisième fois le temple de Jupiter.

Vespasien consacra le produit des dépouilles de la Judée à élever le temple de la Paix, mais le monument le plus important de son règne est le Colisée, qui est un des ouvrages les plus gigantesques de l’antiquité.

Le règne de Titus, signalé par d’effroyables désastres, la destruction de Pompéi et d’Herculanum, et dans Rome un incendie qui consuma une multitude d’édifices, fut consacré presque entièrement à la réparation de ces malheurs. La conquête de la Judée fut inscrite en bas-reliefs sur un arc de triomphe et le Colisée fut terminé et inauguré par des jeux splendides. Les Thermes de Titus, dont la décoration a servi de modèle aux artistes de la Renaissance, sont un des monuments les plus importants de ce prince, qui mourut sans avoir pu achever la réédification qu’il avait commencée pour réparer les dommages causés dans Rome par l’incendie.

Domitien reconstruisit à nouveau le temple de Jupiter Capitolin, fit creuser une naumachie près du Tibre et entreprit de grands travaux d’utilité publique qui furent achevés par Nerva, dont le nom est surtout attaché à l’aménagement des eaux de Rome et à la réparation des aqueducs.

Trajan a laissé un grand nom dans l’histoire de l’architecture comme dans l’histoire politique. Des villes entières, aujourd’hui détruites, furent fondées par son ordre : Trajanopolis qui porta son nom, Marcianopolis du nom de sa sœur, Plotinapolis du nom de sa femme. L’Asie Mineure fut dotée de monuments importants : l’aqueduc de Nicomédie fut terminé, Pruse eut des thermes, Nicée un théâtre, Sinope un forum, Éphèse un gymnase. L’Italie fut encore mieux partagée. Le port d’Ostie fut complété par un vaste bassin octogone, on en creusa un à Civita-Vecchia, un autre à Ancône. Les habitants d’Ancône reconnaissants élevèrent un arc de triomphe à l’empereur. L’architecte Apollodore jeta sur le Danube un pont immense qui était défendu par deux forteresses. Il figure sur la colonne Trajane, où sont représentées les victoires remportées sur les Daces. Le forum de Trajan, à Rome, était une grande place entourée de portiques. Une basilique et une bibliothèque ornaient le forum, qui était flanqué de deux places semi-circulaires et au milieu desquelles s’élevait la colonne Trajane. Quelques auteurs attribuent à cette époque l’arc de triomphe qui porte aujourd’hui le nom de Constantin, mais l’opinion la plus accréditée est que ce monument a été réellement construit du temps de Constantin, mais avec les matériaux et notamment les bas-reliefs provenant de l’ancien. arc de Trajan.

Hadrien fut un grand protecteur des arts et prétendait lui-même au titre d’architecte. On l’accuse même d’avoir fait tuer par jalousie Apollodore, le grand. architecte qui avait été l’ami de Trajan. Hadrien a fait faire de grands travaux à Athènes : c’est à lui qu’on doit l’achèvement du temple de Jupiter Olympien qui avait été commencé par Pisistrate. Toutes les villes de la Grèce tinrent à l’orner de statues élevées en l’honneur de l’empereur. Athènes possède encore les restes d’un arc de triomphe dû également à Hadrien, et Pausanias signale comme étant de son règne des temples consacrés à Junon et Jupiter Panhellénien, un superbe gymnase décoré de cent colonnes de marbre et un magnifique portique orné de peintures et de statues. Beaucoup de villes de la Grèce eurent à se louer de la magnificence d’Hadrien. Mégare lui doit un temple d’Apollon, Corinthe ses aqueducs, Mantinée un temple de Neptune. En Égypte, Hadrien fonda la ville d’Antinoé, dédiée à son favori Antinoüs. Il restaura Nicomédie qu’un tremblement de terre avait dévastée, fonda à Nîmes une basilique aujourd’hui détruite. Rome vit s’élever plusieurs temples dont l’un en l’honneur de Trajan ; Capoue reçut son gigantesque amphithéâtre, et la Grande-Bretagne fut pourvue d’une muraille formidable destinée à la défendre. Mais le monument le plus célèbre auquel Hadrien ait laissé son nom est le grand mausolée qu’il éleva au bord du Tibre.

Antonin et Marc-Aurèle furent des philosophes plutôt que des artistes. C’est pourtant à cette époque qu’un grand nombre d’écrivains attribuent une partie des monuments de la période gallo-romaine a Nîmes, Orange, Saint-Chamas, Cavaillon, etc. Le temple du Soleil à Baalbek paraît être du même temps. Sous les successeurs des Antonins, l’architecture marche à sa décadence, et quand on arrive à Septime Sévère, la transformation est complète.

Une partie des grands monuments élevés par les Romains sont dus à la munificence des particuliers. Il y avait, parmi les citoyens opulents, un désir immense de contribuer à la splendeur et à la gloire de leur patrie. Pline cite entre autres un aqueduc et un canal à Nicomédie, un gymnase et un théâtre à Nicée, un aqueduc immense à Sinope : tous ces monuments ont été élevés par des particuliers, et le peuple en jouissait sans y avoir contribué.

il y avait des fortunes privées prodigieuses, et on gagnait l’estime et la popularité en élevant à ses frais un édifice qui faisait l’orgueil de la ville. Le nom d’Hérode Atticus est le plus célèbre en ce genre. Son père avait trouvé un trésor immense dans une vieille maison, et il voulut, suivant la loi romaine, en donner une partie à l’empereur ; mais celui-ci refusa, et comme le trésor était si considérable qu’Atticus déclarait qu’il ne savait comment en user, l’empereur répondit : Eh bien ! abuses-en ! Des constructions gigantesques s’élevèrent alors en Attique, en Épire, en Eubée, dans le Péloponnèse et dans bien d’autres endroits. Plusieurs villes de Grèce et d’Asie honorèrent par des inscriptions celui qu’elles appelaient leur patron et leur bienfaiteur.

De leur côté les municipalités rivalisaient de zèle pour rendre célèbre leur cité par la beauté de ses monuments, et ne voulaient pas rester en arrière des particuliers. On peut juger de l’opulence des villes romaines par les débris qui en restent. Onze villes d’Asie se disputèrent l’honneur d’élever un temple à l’empereur et le sénat fut chargé de choisir entre elles. Laodicée, qui fut rejetée une des premières comme étant trop pauvre, étale aujourd’hui l’immensité de ses ruines, et on se demande avec stupeur ce que devaient être Pergame, Smyrne, Éphèse, Antioche, Alexandrie. D’immenses et magnifiques routes, partant du milieu de Rome, allaient dans toutes les directions, et tous les pays que baigne la Méditerranée étaient sillonnés de chemins tellement solides que plus de dix-huit siècles n’ont pas suffi pour en effacer la trace.

Parmi les architectes romains dont le nom est resté, Caïus Mutius s’est rendu célèbre en élevant le temple de l’Honneur et de la Vertu. Le temple de. Mars et le portique du temple de Jupiter Stator sont l’œuvre d’un architecte grec, Hermodore de Salamine. Mais l’architecte qui a pour nous la plus grande importance est certainement Vitruve Pollion, qui vivait sous Auguste, auquel il dédia son célèbre traité d’architecture, qui, malgré quelques obscurités dans la forme, nous donne des renseignements d’autant plus précieux que c’est le seul ouvrage de ce genre qui soit resté parmi tous ceux que les anciens ont écrits sur ce sujet. Vitruve avait élevé à Fano une basilique qui n’existe plus.

Nous avons parlé plus haut de Celer et de Sévère, ainsi que d’Apollodore de Damas. A cette liste trop courte nous pourrions ajouter un assez grand nombre d’architectes dont les noms se trouvent sur des inscriptions tumulaires, mais dont on ne confiait pas les ouvrages. Les auteurs de tant de superbes édifices élevés sous l’empire romain sont pour la plupart inconnus, et leur œuvre seule peut aujourd’hui attester leur génie.

La paix profonde dont le monde avait joui sous les Antonins fut cause que l’activité publique se porta surtout vers les grandes entreprises architectoniques. Mais en même temps l’esprit de la civilisation antique s’était affaibli par l’influence pénétrante d’opinions étrangères. Les anciennes croyances religieuses, ébranlées déjà par les sectes philosophiques, se transformaient sous l’influence de superstitions nouvelles de toute nature venues généralement de l’Orient. Le culte d’Isis et surtout celui de Mythra, mélange des religions assyriennes et persanes, remplaçaient partout les anciennes divinités de l’Olympe grec. La religion syrienne devint presque générale sous Septime Sévère, et la présence d’une famille sacerdotale syrienne sur le trône des Romains eut pour effet de développer le caractère et l’esprit asiatique sur toute l’étendue de l’empire.

En même temps le vieux patriotisme tendait à s’effacer, et tandis que l’art religieux ne s’adressait plus aux dieux de la beauté qu’avait adorés la Grèce, l’enthousiasme pour les anciennes traditions diminuait, les amulettes remplaçaient les statues, les élans mystiques se substituaient aux élans patriotiques, et l’architecture, expression vivante de la société, abandonnait son ancien idéal pour s’enfoncer vers l’inconnu.

C’est l’époque de la grande importance des villes romaines de l’Asie. Les édifices qui les décorent montrent une influence orientale qui ne tardera pas à s’étendre sur tout l’empire. C’est là que s’est opérée la transformation de l’architecture romaine, déjà très sensible au IIIe siècle de notre ère. Antioche s’enrichit d’édifices de tout genre, fréquemment détruits par les tremblements de terre, mais toujours reconstruits avec une magnificence nouvelle. Les basiliques, les thermes, les aqueducs, les gymnases s’élèvent successivement, et chaque empereur embellit cette cité, qui semble la capitale de l’Orient, comme l’avait été Alexandrie sous les rois Macédoniens.

Le christianisme introduisit dans l’architecture religieuse des besoins nouveaux qui firent promptement abandonner les vieilles traditions dans les monuments qui relèvent directement de l’art, en même temps que le changement introduit dans les mœurs amena une modification dans les ouvrages d’utilité matérielle. Ce changement se rattache à une modification apportée dans le système militaire.

Tant que les centurions romains, dressés aux vieilles habitudes de la discipline, purent diriger des hommes de nations diverses, les travaux publics furent exécutés d’après les anciennes traditions et il n’y eut pas de modifications importantes dans la construction et l’entretien des routes et des autres grands travaux exécutés par l’armée ; mais quand les armées cessèrent de représenter la vieille organisation romaine, quand les légions furent remplacées par les troupes de barbares à la solde des empereurs, il n’y eut plus moyen de les utiliser pour le travail. Il n’y eut pas substitution d’un système nouveau, il y eut des armées, vivant sur le public, et la plupart du temps de rapines, mais ne prenant plus aucune part aux travaux publics.

 

LA CONSTRUCTION. — Les Romains, dans leurs constructions, commencèrent par imiter les Étrusques. L’opus incertum ou antiquum est un genre de maçonnerie qui rappelle les constructions cyclopéennes de la seconde époque en ce sens que les pierres sont irrégulières ; mais, au lieu d’être jointes à sec, elles sont liées avec du ciment, qui joue même un rôle important et auquel on donne une saillie visible. Quelquefois les angles des murs sont formés de pierres quadrangulaires ou de briques.

L’opus reticulatum qui, du temps de Vitruve, était très usité, se compose de pierres taillées carrément comme un damier, mais qui sont posées sur l’angle de manière que les joints forment des diagonales croisées. Les architectes romains, lorsqu’ils employaient cet appareil, avaient soin de le couper, de distance en distance, par des assises horizontales et de dresser aux angles des montants latéraux.

L’opus spicatum présente des briques posées dans la hauteur, mais alternativement inclinées à droite et à gauche. Cet appareil s’employait aussi pour le pavage des maisons.

L’architecture en plate-bande nécessite l’emploi de matériaux de très grandes dimensions qui ne se trouvent pas partout. L’inconvénient de ce système, et ce qui l’a empêché d’être d’une application universelle, c’est que l’écartement des points d’appui est subordonné à la grandeur des pierres. Pour former un arc qui permît de donner aux supports un écartement beaucoup plus grand, on tailla les pierres en forme de coin et on les plaça de telle sorte que les joints fussent le prolongement d’un rayon partant du centre. Mais, comme dans cette construction la pression d’un des cités sur l’autre produit cette action lente qu’on nomme la poussée, on reconnut que s’il se trouvait un joint au milieu de l’arc, la poussée serait beaucoup plus grande et risquerait d’entraîner la rupture de l’arc. Alors on plaça au milieu une pierre centrale qu’on nomme la clef et qui en assure la solidité : c’est ainsi que les claveaux se trouvent former un nombre impair. Pour ajouter la solidité apparente à la solidité réelle, le constructeur romain donne à la clef une saillie plus grande qu’aux autres claveaux et la décore souvent de sculptures.

On attribue généralement aux Étrusques l’honneur d’avoir inventé le système de voûte qui a prévalu dans l’architecture romaine. La voûte n’est qu’un prolongement de l’arc : elle peut s’allonger pour former une galerie ou se contourner en formant une coupole. Quand l’arc repose sur les pieds-droits, c’est une arcade. Ainsi, tandis que la ligne droite, horizontale ou’ verticale, est dominante dans l’architecture grecque, la ligne courbe devint un trait décisif dans les édifices romains.

Le mélange de parc et de la plate-bande fut le résultat naturel de la fusion de l’art grec et de l’art romain. Il est difficile de condamner d’une manière absolue un style qui a produit le Colisée, le théâtre de Marcellus et bien d’autres monuments que nous admirons, et qui a d’ailleurs le mérite de présenter une alternance souvent agréable entre les lignes droites et les lignes courbes. Cependant il faut reconnaître que ce mélange n’est pas conforme à la logique de l’architecture primitive. La colonne qui, en principe, est un support, devient une décoration lorsqu’elle est adossée au pied-droit. Les Romains, qui étaient excellents constructeurs, avaient une vive admiration pour l’art grec, et en se l’appropriant, ils le dénaturèrent, ils lui prirent ses formes, mais en leur ôtant la signification qu’elles avaient en Grèce. C’est ainsi que dans l’intérieur même des édifices, ils placèrent des corniches, simulant un toit saillant et destiné à recevoir les eaux du ciel.

Le mur joue dans les constructions romaines un rôle très important et se plie à toutes les formes que lui demande l’architecte. Un mur circulaire peut être très solide sans avoir besoin d’être très épais. On a même comparé les murs à une feuille de papier qui, étendue en ligne droite, ne saurait se tenir debout, tandis que si on la roule pour en former un cylindre creux, elle se soutiendra facilement d’elle-même. Mais l’épaisseur et la solidité d’un mur se calcule d’après la charge qu’il doit porter, et les Romains, en élevant une coupole sur une enceinte circulaire, nous ont laissé d’admirables modèles dont le Panthéon d’Agrippa est un exemple.

Les bossages, dont les Romains ont fait grand usage, sont assez rares chez les Grecs. Pourtant dans le piédestal du monument choragique de Lysicrate, la rudesse de la base est accusée par des refends assez prononcés. Les Romains ont surtout employé le bossage dans les édifices de défense et d’utilité publique, tels que des portes de ville ou de murailles ; mais quelquefois aussi dans des monuments d’un autre ordre comme le mur circulaire du temple de Vesta.

Dans la maçonnerie romaine les briques jouent un très grand rôle. Il y a des murs dont l’épaisseur est solidifiée par des arcs en briques, et l’archivolte d’un grand nombre d’arcades est faite avec des briques carrées ou ayant la forme d’un coin. Les briques étaient aussi fort usitées en Grèce, quoiqu’il soit resté fort peu de constructions en briques qui puissent être attribuées aux Grecs avec certitude.

 

LES ORDRES ROMAINS. — L’ordre toscan, décrit par Vitruve, ne saurait être considéré comme constituant un système architectonique spécial. D’après Vitruve, la colonne toscane devait avoir sept diamètres dans sa hauteur, qui était égale au tiers de la largeur totale de l’édifice. Il y avait une base composée souvent d’une plinthe, d’un tore et d’un filet, et le chapiteau comprenait un tailloir, un ove et un gorgerin avec astragale et filet. Les préceptes de Vitruve ne peuvent être vérifiés pour l’ordre toscan, puisqu’il n’existe aucun temple étrusque. Mais plusieurs monuments funéraires nous montrent les rapports et les différentes qui existent entre le toscan et le dorique grec qui en a été le principe.

L’entablement des temples étrusques était généralement construit en bois et c’est ce qui explique pourquoi ; ces monuments ne se sont pas conservés. Leur plan avait à peu près la même ordonnance que ceux des temples grecs. Pourtant leur forme rectangulaire était moins longue et se rapprochait davantage du carré. Leur façade présentait habituellement six colonnes, et le fronton était orné de figures en terre cuite ou en bronze. D’après le récit de Plutarque, Tarquin fit faire par des artistes étrusques un char en terre cuite pour couronner le fronton du temple de Jupiter Capitolin.

Les mutules étrusques étaient sur un plan horizontal et non sur un plan incliné comme les mutules grecques. La base placée sous les colonnes, la direction horizontale des mutules, l’absence des cannelures dans les fûts, la présence d’un astragale et d’un filet sur le gorgerin du chapiteau et la forte saillie de la corniche, sont les caractères qui distinguent les monuments d’ordre dorique élevés par les Romains, qui ont toujours leur origine dans les temples étrusques.

Au reste, les Romains ont peu usé de l’ordre dorique, dont le caractère rude et simple ne convenait pas à leur goût pour l’ornementation riche et somptueuse. L’ordre inférieur du théâtre de Marcellus, à Rome, est considéré comme le plus beau type du style dorique chez les Romains.

L’ionique des Romains diffère de l’ionique des Grecs par certains caractères distinctifs. Ainsi Vitruve demande pour l’entablement des denticules sous le larmier et nous n’en trouvons pas dans les édifices du temps de Périclès, qu’il faut toujours prendre pour type de l’art grec dans sa plus grande pureté.

Les denticules sont de petits blocs carrés, taillés en manière de dents, dont la forme rectangulaire semblait sans doute aux Athéniens un peu rude, pour un style qui cherche avant tout la grâce. Toutefois les Romains ont encore ici pu s’appuyer sur une tradition grecque du temps d’Alexandre, car les temples des villes grecques de l’Asie, et notamment celui de Minerve Poliade à Priène, nous offrent des denticules qui sont, il est vrai, de très petites proportions. Enfin le Pandrosion d’Athènes présente des denticules, mais qui ne sauraient représenter l’extrémité saillante des chevrons selon l’explication que Vitruve donne des denticules, puisque ce petit édifice n’a pas de toit.

L’étage supérieur du théâtre de Marcellus, à Rome, est considéré comme le type le plus parfait de l’ordre ionique chez les Romains. Ici la colonne n’a pas de cannelures, la frise de l’entablement est demeurée lisse, et le chapiteau est plus maigre que chez les Grecs. Mais il y a dans l’ionique romain comme dans l’ionique grec de grandes variétés. Au temple de la Fortune virile, les cannelures qui montent jusqu’au haut du fût sont bien loin de produire un aussi bel effet que le gorgerin qu’on voit dans le temple de Minerve Poliade à Athènes.

L’ordre corinthien (fig. 574), que les architectes de la période macédonienne avaient employé déjà de préférence aux autres, marque aussi le triomphe de l’architecture romaine à sa grande époque. Mais si les Romains ont fait un usage presque continuel de l’ordre corinthien, ils ont su en graduer le caractère par le nombre des moulures et la différence des profils (fig. 575).

Généralement, dans les monuments romains, les colonnes de granit ou de porphyre ont été laissées lisses, tandis que les colonnes de marbre reçoivent vingt-quatre cannelures. Dans les temples de Vesta, d’Antonin et Faustine, on trouve la base attique, tandis que les colonnes du Panthéon d’Agrippa et du temple dû Jupiter tonnant présentent la base ionique. Le corps du chapiteau est le plus souvent orné de trois rangs de feuilles formant panache, et des volutes qui partent du second rang supportent les angles du tailloir, au milieu duquel se trouve souvent une petite rose (fig. 576).

La décoration de l’entablement présente la plus grande variété. On voit, dit M. Batissier, sur certaines frises dès génies soutenant des guirlandes, comme au temple de Jupiter sur le Quirinal et au petit temple de Baalbek ; ou bien encore les lions, des griffons, des bœufs, des hippogriphes, des candélabres : au temple de Jupiter tonnant, la frise présente des vases et des instruments sacrés. On trouve des corniches corinthiennes qui n’ont point de larmier, comme au temple de la Paix, au Colisée et à l’arc des Lions, à Vérone. Il en est où l’on a mis deux quarts de rond taillés d’oves, l’un sous le denticule l’autre au-dessus, ainsi qu’on en a un exemple au temple de la Paix. I1 y en a où l’ove est sous le denticule, le grand talon étant au-dessus comme aux trois colonnes du Vatican. Quelques-uns, comme au Panthéon, au temple de Faustine et à celui de la Sibylle, n’ont point de denticules taillés ; cela est suivant le précepte de Vitruve. On voit des corniches corinthiennes sans modillons : telles sont celles des temples de la Sibylle, de Faustine et du portique de Septimius. Le frontispice de Néron présente des modillons carrés à plusieurs faces. Les espaces carrés entre les modillons sont ornés de rosaces très saillantes et assez diverses. Le larmier, quand il existe, est tout lisse ou rehaussé de canaux et même de méandres. Il est rare que les moulures de la corniche soient simplement profilées ; elles sont presque toujours taillées d’oves, de feuillages ou de raies-de-cœur.

On a donné le nom d’ordre composite à une variété de l’ordre corinthien ; mais depuis longtemps on a cessé de considérer le composite comme un ordre spécial. L’arc de Titus peut servir de type pour le composite. Les feuilles du chapiteau sont d’acanthe, et les volutes angulaires, qui rentrent dans le vase du chapiteau, sont ornées sur les côtés d’un rinceau parti du fleuron qui est au milieu du tailloir.

On retrouve dans d’antres monuments des chapiteaux dont la décoration est un mélange de corinthien et d’ionique ; comme il y en a où l’on voit, parmi les feuillages, des trophées, des aigles (fig. 577), des masques d’hommes, des poissons, des têtes de bœufs, etc. Mais un changement dans la décoration ornementale du chapiteau ne saurait constituer un ordre spécial.

On remarquera seulement que toutes ces fantaisies, qui se sont introduites peu à peu dans le chapiteau corinthien, s’éloignent de plus en plus du type primitif, pour se rapprocher insensiblement des modèles dont se sont inspirés les architectes pendant la première partie du moyen âge.

Comme l’apparence des monuments romains est empruntée à l’art grec, on en conclut habituellement que les Romains n’ont rien inventé et qu’ils n’ont fait qu’imiter les Grecs. C’est une double erreur : l’art grec n’existe qu’à la condition d’être logique, c’est-à-dire d’unir dans une même pensée l’apparence et la réalité, tandis que l’art romain garde son génie propre dans la construction et n’emprunte sa parure aux Grecs qu’en la transformant selon ses besoins. L’art grec subsiste dans les monuments religieux des Romains ; mais, dans les monuments civils, c’est-à-dire dans ceux qui constituent en propre l’architecture romaine, il s’efface absolument puisque son principe disparaît.

L’arcade romaine est essentiellement liée au pied-droit, qu’il soit accompagné ou non d’une colonne à titre d’ornement.

On commettrait une grande injustice en jugeant l’architecture romaine d’après les temples, puisque dans les monuments religieux, ils se sont tenus à peu de chose près au maintien d’une tradition dont il faut chercher l’origine en Grèce. Mais les édifices romains destinés à des usages civils resteront toujours comme d’admirables modèles, qui n’ont pas leur équivalent ailleurs, Si on peut blâmer, en principe, la superposition des ordres dans les monuments à plusieurs étages, on ne peut nier du moins que cette superposition n’ait été faite avec une grande logique et un goût souvent exquis. En plaçant en bas les pesantes constructions doriques, et en haut les motifs plus .légers de l’ordre corinthien, les Romains ont trouvé le meilleur usage qu’on pût faire des colonnes grecques employées comme décoration.

 

LA DÉCORATION. — La peinture décorative doit être envisagée surtout sous le rapport des convenances, c’est-à-dire du lien qui la rattache à l’édifice qu’elle décore, et nous sommes forcés de convenir que nos idées à ce sujet sont complètement différentes de celles des Grecs. Nos peintres, lorsqu’on les appelle pour prêter leur concours à la décoration d’un monument, ne manquent jamais de se récrier contre l’architecte qui n’a pas distribué la lumière à leur gré, ou qui leur a donné des surfaces trop restreintes ou des panneaux trop élevés, de sorte qu’à les entendre on est tenté de se demander si c’est la peinture qui a mission de faire valoir l’édifice, ou bien si c’est l’édifice qui a mission de faire valoir la peinture. Cet antagonisme n’avait jamais lieu en Grèce, parce que la peinture n’était pas considérée comme un art purement imitatif, mais bien plutôt comme un art décoratif, relevant de l’architecture, et se servant de l’imitation comme un moyen et non comme un but.

Les anciens ne faisaient pas de plafonds à sujet. Le peintre n’était donc pas dans la nécessité de placer au-dessus de la tête des spectateurs un sujet conçu comme un tableau ordinaire, ce qui implique l’absurde, ou de faire plafonner sa composition en montrant ses figures en raccourci et vues par la plante des pieds, ce qui est rarement heureux. Primitivement les caissons des plafonds recevaient une décoration purement ornementale, des étoiles, par exemple. Plus tard Pausias de Sicyone imagina d’y peindre des oiseaux, des fleurs ou des petites figures isolées, qu’il était facile de voir au premier coup d’œil, et qui n’avaient aucune prétention à produire l’illusion d’un sujet.

Un autre point important à constater dans le système décoratif des anciens, c’est la division en compartiments.

Les plafonds étaient décorés d’après le système ornemental que nous appelons arabesques. C’étaient des rinceaux de feuillages, des méandres distribués le long des poutres. Les caissons offraient des étoiles, des rosaces, et plus tard des masques, des têtes ou des figures isolées. La décoration des caissons par des peintures ou des sculptures peintes se retrouve dans toute l’antiquité, depuis les monuments d’Athènes jusqu’à ceux de Baalbek et de Palmyre.

Il nous reste malheureusement bien peu de plafonds antiques, par la raison que les maisons sont toutes effondrées ; mais nous pouvons nous en faire une idée approximative, au moins quant à la disposition, par une décoration analogue qui se retrouve sur quelques murailles verticales. La figure 578, par exemple, nous offre dans chaque compartiment soit un petit enfant tenant un emblème, soit un oiseau ou une fleur. Dans la figure 579, un enfant ailé alterne avec une femme à demi nue, et toujours des fleurs s’échappent des an-les, au centre desquels parait une rosace qui se relie à la suivante par une tige feuillue. Il est bon de noter aussi que ces petites figures sont toujours placées diagonalement, de manière à rompre les lignes du carré qu’elles sont chargées de décorer.

Les anciens ont trouvé dans leurs arabesques un thème inépuisable de fantaisies délicieuses. Le règne végétal s’y mêle à des représentations d’animaux réels ou fantastiques. Les couleurs, toujours très vives, ne sont jamais disparates, et la forme, toujours élégante ; cherche les combinaisons décoratives les plus agréables pour l’œil. Ici (fig. 580), ce sont des bœufs ou des chevaux qui courent parmi les enroulements de feuillages, et alternent avec des fleurs d’une dimension impossible. Plus loin (fig. 581), ce sont des chevaux ailés dont la croupe se termine en tiges de plantes ou en larges feuilles, et qui surgissent de chaque côté d’une petite Psyché aux ailes de papillon.

Le mélange des oiseaux avec les guirlandes de feuillages et les rinceaux est très fréquent sur les peintures décoratives de Pompéi. La figure 582 en offre un modèle d’une rare élégance. Sur la figure 583, les oiseaux ne sont plus posés sur une guirlande, mais sur de frêles tiges de plantes qui s’enroulent en laissant échapper des feuilles et viennent ensuite se rejoindre au centre.

Voici, figure 584, une décoration ornementale d’une conception assez bizarre, mais d’une grâce exquise par la disposition des lignes. Sur une feuille de nénuphar, ou de plante aquatique, un rat, la queue en l’air, guette un papillon placé sur une autre feuille et, en face d’eux, un serpent à gros ventre se dresse sur sa queue et semble regarder ce qui va se passer. Tout cela est supporté par des rinceaux qui s’enroulent en laissant échapper des fleurs ou des feuillages.

Les chèvres et les cerfs bondissent à travers les enroulements du feuillage (fig. 585, 586) ou bien sous les festons de vignes chargées de raisin : les paons, les oiseaux aquatiques jouent parmi les pampres. Les centaures, les sphinx, les griffons, les tritons et les sirènes, se mêlent aux enroulements du feuillage et se combinent avec les masques tragiques ou comiques, les enfants montés sur des dauphins. Les lions (fig. 587, 588), les cerfs, les hippocampes et les ichthyocentaures courent à travers les rinceaux qui les enlacent ; et mille fleurs étranges, roses imaginaires, convolvulus fantastiques, s’échappent de tiges bizarrement contournées (fig. 589, 590, 591, 592). Des colonnes de verdure grimpent le long des murailles, les insectes et les petits oiseaux se posent sur les branches légères qui s’en échappent discrètement, des poissons, accrochés par des rubans, pendent aux détails de l’ornement, des amours et des danseuses d’un dessin charmant s’encadrent dans de gracieux losanges.

La peinture d’architecture et d’ornement tient une place plus importante encore que les paysages ou les sujets mythologiques. Mais ce mot d’architecture ne doit pas tromper le lecteur ; il ne s’agit nullement ici de représentations de monuments réels. Ce sont des colonnades fantastiques, des palais d’une construction impossible, et qui ne peuvent exister qu’en rêve ; des fleurs, des arabesques, des guirlandes, mêlées à de minces colonnettes d’or toutes enrubannées, des plantes grimpantes avec des oiseaux et des papillons qui volent autour, des danseuses et au milieu de tout cela un peuple de griffons pour décorer les angles, de sphinx pour former les supports, de petits amours pour courir dans les frises, des lions et des cerfs courant à travers les rinceaux, des figures assises sur le calice des fleurs, tout un monde imaginaire inventé pour le plaisir des yeux, où rien n’est logique, où rien n’est possible, mais où tout est absurde et charmant. L’ornement pompéien, condamné par le classique Vitruve, attaqué comme un non sens par une foule de critiques, sera toujours étudié par les décorateurs amis de la fantaisie et reste comme un des types du génie antique, bien moins raide et guindé que ne le prétendent les puristes.

Ces gracieuses conceptions, qui se reliaient souvent à des colonnettes fantastiques (fig. 593), appartiennent surtout à l’époque d’Auguste, mais, à cette époque même, ce genre de décoration avait trouvé des détracteurs qui voyaient là une décadence de l’art. Vitruve, nous l’avons dit, ne cache pas son opinion à ce sujet.

La peinture, dit Vitruve, est la représentation des choses qui sont ou qui peuvent être, comme d’un homme, d’un édifice, d’un navire ou de tout autre objet que ce soit dont on imite la forme et la figure. Les premières choses que les anciens aient représentées sur les enduits sont les différentes bigarrures du marbre ; ensuite ils ont fait des compartiments de cercles et de triangles jaunes et rouges. Ils essayèrent après cela de représenter la vue de leurs édifices par l’imitation des colonnes et de leurs amortissements élevés ; et lorsqu’ils ont voulu peindre en des lieux spacieux, ils y ont dessiné des perspectives comme sont celles des théâtres, pour les tragédies, pour les comédies et pour les pastorales ; dans les longues galeries ils peignaient des paysages représentant différents sites : les uns représentaient des ports, des promontoires, des rivages, des fleuves, des fontaines, des ruisseaux ; les autres des temples, des bocages, des troupeaux, des bergers ; et en quelques endroits ils ont fait des sujets. Ce genre de peinture représente les dieux tels qu’ils sont décrits dans les fables, ou certains événements, comme les guerres de Troie et les voyages d’Ulysse dans les diverses parties du monde, de manière à ce que le paysage entre toujours dans leurs dessins ; mais dans toutes leurs compositions ils ont constamment imité la nature et rendaient les objets tels qu’ils étaient naturellement.

On peut, à la rigueur, comprendre le dédain d’un architecte pour des représentations de constructions qu’il juge irréalisables. Mais si l’on veut bien admettre un moment le point de vue du décorateur dont l’imagination s’exerce sans contrôle comme sans danger pour la solidité d’un édifice imaginaire, on est obligé de convenir qu’il y a souvent dans cette architecture toute de caprice les plus ravissants motifs d’ensemble. Des personnages ne se rattachant à aucun sujet déterminé sont souvent mêlés à ces architectures peintes. La figure 594 montre une femme qui tient une sorte de cassolette, encadrée dans un gracieux portique que décore dans sa partie supérieure un personnage ailé conduisant deux chevaux.

Dans la figure 595 le fond de la partie qui est au premier plan est fouge et le grand pilastre est blanc, ainsi que la bande qui traverse en largeur la partie supérieure. La corniche intérieure et la frise sont rouges ; l’hippogriffe posé sur la corniche est vert. Tout le reste est jaune. La jeune femme qui lit au premier plan porte une tunique verte et un manteau d’un rouge pâle.

L’architecture entre dans la décoration peinte à un titre purement ornemental. Ce ne sont pas des édifices existant ou même pouvant exister qui figurent le plus souvent sur les murs de Pompéi, ce sont des rêves bizarres, mais charmants, où toutes les lois de la construction sont méconnues, aussi bien que celles de la perspective, où la vraisemblance est violée comme à plaisir. Des colonnades fantastiques se parent de mille couleurs arbitraires, au milieu de palais incohérents, des portiques dont les minces colonnettes se croisent de cent façons diverses, des galeries aériennes, des statues, des cavaliers, des tritons ou des sphinx, jouant sur les entablements, forment partout les assemblages les plus piquants et les plus imprévus (fig. 596).

Les peintures d’une maison antique, découvertes dans la villa Negroni, à Rome, étaient, suivant Raphaël Mengs, les mieux entendues qu’il ait jamais vues. Il y a dans cette décoration un gracieux mélange d’architecture peinte, d’arabesques, de figures isolées et de sujets. Deux pilastres d’ordre composite occupent le milieu de la muraille qui est divisée dans sa largeur en trois compartiments (fig. 597) Celui du milieu représente Vénus et Adonis : ce sujet occupe tout le panneau, tandis que les deux autres sont décorés seulement par une figure isolée. Des animaux fantastiques peints dans le bas, une petite scène maritime dans le haut, sous le cintre, complètent cette décoration dont l’ensemble architectonique est des plus gracieux. Le sujet central avait fait donner à cette pièce le nom de salle d’Adonis.

C’est Vénus et Mars qui forment le sujet principal de la décoration représentée figure 598, et on retrouve encore Vénus dans la figure 599, mais cette fois assise sur un rocher et accompagnée d’une nymphe. Dans ces deux décorations, qui sont également tirées de la villa Negroni, on remarquera que le sujet qui occupe le milieu ne forme qu’un accident, important il est vrai, d’un ensemble qui est surtout ornemental. Le compartiment qui l’encadrait était rouge vif dans l’une des deux peintures et jaune dans l’autre. Les colonnettes, les candélabres formant piédestal, les pampres et les ornements divers sont en général d’une grande vivacité de ton, mais l’ensemble offre cette sobriété de décors qui est toujours le trait distinctif du goût des Grecs et des Romains.

Les auteurs sont en cela d’accord avec les rares fragments qui nous sont restés de la peinture murale des anciens. Lucien décrit ainsi la décoration d’un appartement : On doit encore admirer la beauté des plafonds, qui ne présentent aucune superfluité dans les ornements, aucune surcharge qui choque le goût, mais un emploi convenable et mesuré de l’or sans qu’on puisse reprocher d’avoir plaint le métal. Ainsi la voûte de cet appartement, ce qu’on pourrait appeler la tête, présente, sans autre parure, un aspect aimable ; elle n’a d’or que comme le ciel embelli, pendant la nuit, à toiles qui brillent de distance en distance, et fleuri de feux qui ne luisent que par intervalles. Si, en effet, ces feux étincelaient de toutes parts, loin que le ciel nous parût beau, il serait terrible. Ici, au contraire, on voit que l’or n’est pas inutile, ni répandu parmi les autres ornements que pour le seul plaisir de la vue ; il brille d’un éclat agréable et colore de ses reflets l’appartement tout entier. Lorsque la lumière vient à frapper cet or, ils forment ensemble une clarté vive, qui répand au loin la sérénité de ses rayons. Quant aux autres ornements de l’appartement, aux peintures des murailles, à la richesse des couleurs, à la vivacité, à la perfection et à la vérité du dessin, on peut les comparer à une prairie émaillée de fleurs ; seulement, ces fleurs se fanent, se dessèchent, se changent et perdent leur fraîcheur, tandis qu’ici le printemps est perpétuel, la prairie toujours fraîche, les fleurs éternelles, car la vue seule les touche et cueille ce spectacle enchanteur.

Xénophon dit, en rapportant une opinion de Socrate : En un mot, la plus belle maison et la plus agréable est celle où l’on peut se retirer avec le plus d’agrément en toutes saisons, et renfermer avec le plus de sécurité tout ce que l’on possède. Quant aux peintures et aux variétés de couleurs, elles ôtent plus d’agrément qu’elles n’en procurent. Il faut conclure de là que des peintures existaient déjà chez les particuliers à Athènes au temps de Socrate, et que dans l’opinion du philosophe, une bonne distribution et la faculté de placer toutes choses convenablement était préférable à une profusion de peintures qui encombrent les murailles et occupent une place qu’on aurait eu avantage à utiliser autrement.

Constatons toutefois que ce n’est qu’à partir d’Alexandre que leur usage devint général. On sait qu’Agatharchus a décoré la maison d’Alcibiade, mais tout le monde n’est pas Alcibiade, et son exemple ne saurait faire loi dans la question. Les artistes grecs de la grande période se souciaient peu des particuliers ; ils préféraient garder leur talent pour la décoration des édifices, et se présenter ainsi aux suffrages du public. Les peintres pompéiens doivent être rattachés, pour les traditions de leur art, aux écoles de peintures qui florissaient sous les successeurs d’Alexandre. A cette époque, les mœurs étaient changées et Ies particuliers avaient gagné ce qu’avait perdu la vie publique.

Les Romains employaient beaucoup de stuc pour masquer certaines parties de la construction qui ne devaient pas être vues au dehors.

Un bas-relief gallo-romain découvert à Sens, où il était encastré dans les restes de l’ancienne muraille, montre des stucateurs et des peintres montés sur leurs échafaudages et travaillant à la décoration d’une salle (fig. 600).

 

LE PAVAGE. — En Grèce, le pavage des édifices se faisait en briques ou en marbre. Les dalles, généralement de couleurs variées, étaient souvent disposées pour former divers dessins. Les ornements le pavage se prêtent à toutes les idées, à tous les caprices : grecques, entrelacs, rinceaux, festons, enroulements se trouvent à profusion dans les pavages antiques. Il est difficile de savoir quel genre de décoration les Grecs ont adopté’ en premier lieu, mais d’après la tournure de leur esprit, ami des alternances et des ornements répétés, on peut admettre que le pavé devait répondre à la décoration du plafond, et que ses compartiments diversement colorés étaient disposés en vue d’un accord avec les caissons des soffites et de la voûte. Le goût pour les pavages de diverses couleurs a existé chez les Grecs comme chez les Romains et les formes habituelles du dallage antique se sont conservées traditionnellement pendant une grande partie du moyen âge.

La variété infinie de dessins qu’on peut obtenir rien qu’avec des lignes droites se voit dans la figure 601 qui se composé d’hexagones se coupant par l’intersection des angles de chacun d’eux dans la partie centrale de l’autre, dans la figure 602 formée de carrés et de rectangles de nuances diverses, dans la figure 603 qui forme des hexagones et des carrés alternés, dans la figure 604, où les hexagones se coupent de lignes qui les divisent d’une façon très compliquée en apparence, quoique très simple comme principe ornemental, etc. C’est ici qu’on peut voir les ressources immenses qu’offre au dessinateur l’agencement des lignes géométriques. Malgré le désordre apparent de cette figure, elle montre un dessin tout aussi régulier que celui de la figure 605 qui, au premier abord, a l’air de présenter beaucoup plus de symétrie. La figure 606, qui se compose de triangles et d’hexagones séparés par des rectangles, est encore une variante de celles qu’on a vues précédemment.

C’est une grecque, dont les bandes simulent une saillie, que nous présente la figure 607, dont le type se trouve à Pompéi avec de nombreuses variantes.

Dans la figure 608, nous voyons des carrés qui jouent avec des cercles de la façon la plus originale, mais avec la figure 609, nous trouvons une série de cercles qui, en s’emboîtant les uns dans les autres, produisent un hexagone. Ces cercles, en effet, ne sont pas complètement ronds ; les pans coupés qui les produisent sont composés de carrés et de triangles alternant de manière à produire une apparence circulaire.

La figure 610 est un labyrinthe entouré par des tours, dont quatre sont percées d’une porte centrale. Les lignes noires simulant les murs, il faut partir d’une de ces portes et revenir au point de départ en suivant l’espace libre indiqué par le blanc ; il y a là un souvenir mythologique du labyrinthe bâti par Dédale dans l’île de Crète et des palais qui l’entouraient.

L’ornement des figures 611 à 613, exclusivement composé de lignes courbes qui se détachent sur un fond clair et s’encadrent dans un rectangle noir, présente des combinaisons d’un goût charmant.

Nous arrivons à un ornement un peu plus compliqué, composé d’une tige qui s’enroule et aboutit à une feuille dont la pointe regarde le haut et le bas alternativement. Mais la figure 614, bien que composée presque exclusivement de lignes droites, forme un ensemble décoratif complet, par le balancement ingénieux des formes et par la variété des teintes.

Enfin, la figure 615 nous montre un ornement extrêmement gracieux, mais qui appartient à la mosaïque plutôt qu’au pavage proprement dit.

 

LES ÉDIFICES. — Les Romains ont laissé dans tous les pays qu’ils ont occupés des souvenirs grandioses de leur domination. Nous avons parlé déjà des grandes voies de communication qui reliaient les provinces entre elles, ainsi que du forum, qui occupait, en général, le point central de la cité. Si nous en croyons Vitruve, la construction d’une ville nouvelle devait être conforme à certains règlements, fondés sur une longue expérience. L’orientation des rues principales et l’emplacement des principaux édifices n’avait rien d’arbitraire. Après avoir fixé la division des rues, dit-il, il faudra choisir l’emplacement des édifices qui sont d’un usage commun à toute la ville, tels que les temples, le forum et autre lieu de réunion pour les citoyens ; car si la ville est sur le bord de la mer, il faudra que la place publique soit près du port, tandis que si la ville est éloignée de la mer, le forum devra être au centre. Les temples des dieux tutélaires, de même que ceux de Jupiter, de Junon et de :1linerve, seront placés dans l’endroit le plus élevé, afin que de là on découvre la plus grande parie des murailles de la ville ; les temples de Mercure, d’Isis et de Sérapis seront placés dans le marché, et ceux d’Apollon et de Bacchus, proche le théâtre ; lorsqu’il n’y aura point de lieu particulièrement destiné pour les exercices, ni d’amphithéâtre, le temple d’Hercule sera placé près le cirque ; celui de Mars dans un champ hors de la ville, de même que celui de Vénus qui doit être proche les portes. Les motifs de -cette disposition sont expliqués dans les livres des aruspices toscans, qui veulent que les temples de Vénus, de Vulcain et de Mars soient bâtis hors la ville, d’abord pour éviter aux jeunes gens et aux mères de famille les occasions de débauche qui se présenteraient si le temple de Vénus était dans la ville ; ensuite pour préserver les maisons du péril des incendies, en attirant hors la ville, par des sacrifices à Vulcain, tous les effets de la puissance de ce dieu (Vulcain est le feu personnifié). Enfin, ils pensent, en- plaçant le temple de Mars hors les murailles, empêcher les meurtres et les querelles parmi  les citoyens et les assurer contre les entreprises des ennemis. Le temple de Cérès doit encore être bâti hors la ville, en un lieu reculé, et ou l’on ne soit obligé d’aller que pour y sacrifier, parce que ce lieu doit être abordé avec beaucoup de respect et avec une grande sainteté de mœurs. Les temples des autres dieux doivent aussi être placés dans des -lieux commodes pour leurs sacrifices.

Les temples romains ne diffèrent pas essentiellement par leur forme de ceux dont nous avons parlé à propos des Grecs ; nous reviendrons sur leur disposition à propos des cérémonies qui s’y accomplissaient. Ce n’est pas dans les édifices religieux que l’architecture romaine a montré sa puissante originalité, c’est surtout dans ceux qui étaient consacrés à l’utilité publique ou aux amusements du peuple.

Il subsiste aujourd’hui bien peu de choses des temps primitifs de Rome. L’édifice le plus important dont il soit fait mention pendant cette période est le grand cloaque, dont la construction, faite par un architecte étrusque, est attribuée au règne de Tarquin l’Ancien. Ce canal excitait au plus haut point l’admiration des Romains. La voûte est formée de voussoirs ou pierres taillées en coins et dirigées vers le centre de la courbe, et c’est un des plus anciens, sinon le plus ancien exemple de constructions de ce genre. Il est remarquable que le monument qui marque le plus dans les débuts de l’histoire romaine soit un égout ; mais c’est conforme au génie administratif et pratique qui a toujours caractérisé les Romains. La prison Mamertine, bâtie par Ancus Martius, et le cirque Maxime, commencé par Tarquin le Superbe, se rattachent à la même période.

Quoique bien inférieure, sous ce rapport, à l’époque impériale, la période républicaine a élevé un grand nombre de monuments, mais il y en a fort peu qui soient parvenus jusqu’à nous. Parmi ceux qui ont laissé des vestiges, il faut citer les grandes voies romaines, dont le nombre s’est considérablement accru sous l’empire, mais dont le principe et le mode de construction appartiennent à la république. La voie Appienne, qui va de Rome à Capoue, fut la première grande route romaine. On dit que ce sont les Carthaginois qui ont les premiers pavé leurs routes, mais le système employé par les Romains se rattache à un mode de construction tout particulier. Le pont Sublicius, quelques-uns des aqueducs de la campagne de Rome, le tombeau des Scipions, celui de Cécilia Metella, sont tout ce qui reste aujourd’hui de la période républicaine.

Parmi les monuments de l’empire qui sont encore debout, en totalité ou en partie, dans l’ancienne Rome, il faut citer le Panthéon d’Agrippa, le Colisée, le Théâtre de Marcellus, les Thermes de Titus, de Caracalla, les arcs de Titus, de Septime-Sévère, de Constantin, les colonnes Trajane et Antonine, tous les débris épars dans le forum, le Temple de Vesta, les restes des basiliques, des aqueducs, des routes, les ruines du Palatin, etc., etc. Toutes ces ruines, qui témoignent de la grandeur romaine, ne peuvent pourtant nous donner qu’une idée bien incomplète des palais, des temples et des portiques dont la ville éternelle était autrefois couverte.

Les ruines du palais des Césars sont dans un état de délabrement qui ne permet pas de juger quel pouvait être l’aspect de l’édifice extérieurement, et les fouilles qu’on a exécutées sur, le mont Palatin sont plus intéressantes pour l’archéologie que pour l’art proprement dit. I1 faut renoncer à connaître, autrement que par des descriptions écrites, les magnificences que les empereurs avaient accumulées sur ce point. Pas une seule des habitations occupées par les riches patriciens de Rome n’a laissé de ruines apparentes, et il faut se tenir pour satisfait quand on peut en fixer l’emplacement avec certitude. Des portiques superbes embellissaient Rome et servaient de promenades publiques. Quatre colonnes du portique d’Octavie sont tout ce qui reste aujourd’hui de ces richesses perdues.

De magnifiques débris qui subsistent dans un grand nombre de villes d’Italie, en Gaule, en Espagne, en Grèce, en Afrique et en Asie témoignent encore aujourd’hui du style grandiose de l’architecture romaine. Un grand nombre d’entre eux ont été décrits et représentés dans la première partie de ce travail et nous aurons encore à y revenir quand nous parlerons des thermes, des cirques, des théâtres, des hippodromes, à propos des usages auxquels ces monuments étaient consacrés, ou des fêtes qu’on y donnait.

 

LES ARCHITECTES. — La profession d’architecte avait une grande importance à Rome. Cependant on sait bien peu de choses sur ce qui les concerne. Nous savons pourtant que les gouverneurs de province avaient à cœur de trouver des hommes assez habiles pour satisfaire la passion qu’out toujours montrée les Romains pour les monuments. Une lettre de Pline le Jeune nous montre qu’ils faisaient quelquefois intervenir directement l’empereur dans leurs projets.

Pline à l’empereur Trajan,

Le théâtre de Nicée, bâti en très grande partie, mais encore inachevé, a déjà conté plus de dix millions de sesterces (4.770.000 fr.). C’est du moins ce que l’on me dit, car je n’ai pas encore vérifié le compte. Je crains que cette dépense ne soit inutile. Le théâtre s’affaisse et s’entrouvre déjà, soit par la faute du terrain, qui est humide et mou, soit par celle de la pierre, qui est mince et sans consistance. Il y a lieu de délibérer si on l’achèvera, si on l’abandonnera, ou même s’il faut le détruire ; car les appuis et les constructions dont on l’étaie de temps eu temps me paraissent moins solides que dispendieux. Des particuliers ont promis un grand nombre d’accessoires, des basiliques autour du théâtre, des galeries qui en"couronnent les derniers gradins. Mais ces travaux sont ajournés, depuis qu’on a suspendu la construction du théâtre qu’il faut d’abord achever. Les mêmes habitants de Nicée ont commencé, avant mon arrivée, à rétablir un gymnase que le feu a détruit ; mais ils le rétablissent beaucoup plus considérable et plus vaste qu’il n’était. Cela leur coûte encore, et il est à craindre que ce ne soit sans utilité ; car il est irrégulier, et les parties en sont mal ordonnées. Outre cela, un architecte (à la vérité, c’est le rival de l’entrepreneur), assure que les murs, quoiqu’ils aient vingt-deux pieds de large, ne peuvent soutenir la charge qu’on leur destine, parce qu’ils ne sont point liés avec du ciment et flanqués de briques. Les habitants de Claudiopolis creusent aussi, plutôt qu’ils ne bâtissent, un bain immense dans un bas-fond dominé par une montagne. Ils y emploient l’argent que les sénateurs surnuméraires, que vous avez daigné agréger à leur sénat, ont déjà offert pour leur entrée, ou payeront dès que je leur en ferai la demande. Comme je crains que les deniers publics dans une de ces entreprises et que dans l’autre vos bienfaits ne soient mal placés, je me vois obligé de vous supplier d’envoyer ici un architecte pour déterminer le parti à prendre à l’égard du théâtre et des bains. Il examinera s’il est plus avantageux, après la dépense qui a été faite, d’achever ces ouvragés d’après le premier plan, ou bien de changer ce qui doit l’être, de déplacer ce qui doit être déplacé. Car il faut craindre, en voulant conserver ce que nous avons déjà dépensé, de perdre ce que nous dépenserons encore.

Voici maintenant la réponse de l’empereur :

Trajan à Pline,

C’est à vous, qui êtes sur les lieux, d’examiner et de régler ce qu’il convient de faire relativement au théâtre de Nicée. Il me suffira de savoir à quel parti vous vous êtes arrêté. Le théâtre achevé, n’oubliez pas de réclamer des particuliers les accessoires qu’ils ont promis d’y ajouter. Les Grecs aiment beaucoup les gymnases, et ce goût excessif pourrait bien leur avoir fait entreprendre indiscrètement celui-ci. Mais il faut, sur ce point, qu’ils se contentent du nécessaire. Quant aux habitants de Claudiopolis, vous leur ordonnerez ce que vous jugerez le plus à propos sur le bain dont ils ont, dites-vous, si mal choisi l’emplacement. Vous ne pouvez manquer d’architectes. Il n’est point de province où l’on ne trouve des gens entendus et habiles ; à moins que vous ne pensiez qu’il soit plus court de vous en envoyer d’ici, quand nous sommes obligés de les faire venir de Grèce.

Une autre lettre du même Pline, à un architecte qu’il emploie, n’est pas moins curieuse à connaître :

Pline à Mustius,

Je me vois obligé, par l’avis des aruspices, de reconstruire et d’agrandir un temple de Cérès qui se trouve dans mes terres. Quoique vieux et petit, il est très fréquenté à une époque fixe ; aux ides de septembre, le peuple s’y assemble de tous les pays d’alentour. On y traite beaucoup d’affaires ; on y fait et on y acquitte beaucoup de vœux. Mais, près de là, on ne trouve aucun abri contre le soleil ou contre la pluie. J’imagine donc qu’il y aura tout à la fois piété et munificence à élever un temple somptueux, et à joindre au temple un portique ; l’un pour la déesse, l’autre pour les hommes. Je vous prie donc de m’acheter quatre colonnes de marbre, de telle espèce qu’il vous plaira, et tout le marbre, qui peut être nécessaire pour paver le temple et en incruster les murs. Il faut aussi commander ou se procurer une statue de la déesse. Le temps a mutilé dans quelques parties la statue de bois que l’on y avait anciennement placée. Quant au portique, je crois ne devoir rien faire venir du pays où vous êtes. Je vous prie seulement de m’en tracer la forme. Il n’est pas possible de le construire autour du temple environné d’un côté par le fleuve, dont les rives sont fort escarpées, de l’autre par le grand chemin. Au delà du chemin est une vaste prairie, où il me semble qu’on pourrait fort bien élever le portique en face du temple, à moins que vous n’ayez à me proposer quelque chose de mieux, vous dont l’art sait si bien surmonter les obstacles que lui oppose la nature. Adieu.

On voit ici que Pline demande à son architecte de lui tracer la forme d’un portique. Mais comment un architecte montrait-il un projet d’édifice ? Il y a là un problème qui n’est pas encore résolu. Il est bien difficile de supposer que pour répondre à un programme déterminé, l’architecte ait donné une vue perspective de son édifice, car l’emploi de la perspective pittoresque est tout à fait contraire à tout ce que nous savons de la manière de dessiner des anciens. Mais il est permis de supposer qu’à côté du plan et du dessin géométral, l’architecte faisait une petite maquette en relief, tenant lieu de dessin perspectif, ce qui serait tout à fait conforme aux, habitudes antiques. Toutefois ce n’est là qu’une hypothèse à l’appui de laquelle on ne saurait invoquer aucun document positif.

La figure 616, tirée d’un bas-relief qui décorait un sarcophage antique, représente un architecte avec les instruments de sa profession. Les Romains n’avaient pas d’écoles publiques pour l’enseignement de l’architecture, et chacun était libre de prendre le titre d’architecte, de sorte qu’à côté d’hommes extrêmement instruits, il y en avait d’autres fort ignorants, surtout vers la fin de l’empire. En effet, parmi les causes qui ont amené la décadence des arts à la fin de l’empire romain, il faut mettre en première ligne la substitution des esclaves aux travailleurs libres. Cette substitution s’est faite surtout pour le travail des artisans qui, n’ayant plus l’espoir d’obtenir les avantages que procure le talent, s’acquittaient sans aucun amour de la besogne qui leur était imposée. On ne voit le nom d’aucun esclave parmi les artistes qui ont acquis de la célébrité, mais les architectes véritables avaient à subir une concurrence terrible des bâtisseurs de maisons, affranchis pour la plupart et n’ayant fait aucune des études qui constituent l’architecte. Mais précisément parce qu’ils ne soupçonnaient pas les questions de goût, et qu’ils étaient ignorants dans la science de la construction, ils proposaient des devis très bon marché qui séduisaient les particuliers, quoique bien souvent la ruine ait été, pour le propriétaire, la suite inévitable de ces ridicules marchés.

Dans toutes les grandes familles, il y avait les affranchis faisant travailler les ouvriers sous leurs ordres, et qui, toujours prêts à satisfaire des caprices qui leur rapportaient, se souciaient fort peu de la tradition et des lois impérieuses de l’art. Comme ils ne manquaient pas de prendre le titre d’architectes, qu’ils déshonoraient, cette noble profession tomba dans un tel discrédit, qu’on disait d’un jeune homme qui n’était bon à rien : On n’en peut faire qu’un crieur public ou un architecte.

Un grand nombre de maisons particulières étaient bâties d’une façon pitoyable, et si nous en croyons Strabon et Juvénal, on ne pouvait faire dix pas dans une rue sans trouver une maison étayée. Aussi il y avait continuellement des accidents, qui tenaient à ce que les entrepreneurs à forfait faisaient à leur profit des économies sur les matières employées. Il faut noter, dit Pline, que ce qui cause la ruine de tant de maisons vient de ce qu’ on épargne la chaux des murailles, qui par cette raison n’ont pas la graisse qu’elles devraient, et ne sont liées comme il leur appartient.

Les guerres civiles perpétuelles qui signalèrent la fin de l’empire jetaient une grande perturbation dans les fortunes privées. Les édifices publics eux-mêmes étaient souvent construits à la hâte, et quand le christianisme devint la religion de l’État, le zèle des chrétiens s’attacha à détruire beaucoup d’antiques monuments, principalement les temples, mais on n’apportait aucun discernement dans le choix de ceux qui étaient chargés d’en construire de nouveaux.

Parmi les architectes romains qui ont acquis de la célébrité, le plus connu est Vitruve (fig. 617). Aucun des monuments qu’il avait élevés n’est parvenu jusqu’à nous, et sa réputation dans les temps modernes est due à un Traité d’architecture, en dix livres, adressé à l’empereur Auguste. C’est le seul ouvrage de ce genre que l’antiquité nous ait laissé. Outre des renseignements techniques extrêmement précieux sur la manière de bâtir et sur la décoration, on y trouve quelques renseignements historiques d’un grand intérêt. Vitruve, après avoir énuméré tous les auteurs grecs qu’il a consultés pour écrire son livre, se plaint que les Romains aient si peu écrit sur l’architecture. Car, dit-il, Fussitius a été le premier qui en ait fait un excellent volume ; Terentius Varro a écrit aussi neuf livres sur les sciences, et il y en a’un qui traite de l’architecture. Publius Septimius en a écrit deux ; mais nous n’avons point d’autres écrivains sur cette matière, quoique de tout temps il y ait eu des citoyens romains grands architectes qui en auraient pu écrire fort pertinemment. Les architectes Antistates, Antimachides et Perinos avaient commencé à Athènes, les fondements du temple que Pisistrate faisait bâtir à Jupiter Olympien, et cet ouvrage demeura imparfait après sa mort à cause des troubles qui survinrent dans la république. Deux cents ans après, le roi Antiochus promit de faire la dépense nécessaire pour achever ce monument ; et ce fut Cossutius, citoyen romain, qui l’acheva. Il y acquit beaucoup d’honneur par le talent qu’il déploya dans le plan de la nef, dans la distribution des colonnes qui l’entourent et en forment un diptère. Aussi cet édifice était-il en grande réputation, et il y en avait peu qui pussent l’égaler en magnificence..... Cependant on ne trouve point que Cossutius ait rien écrit sur ce sujet et ce ne sont point ces écrits-là seulement qui nous manquent, mais nous n’en avons point non plus de C. Mutius, qui déploya tout son talent dans la construction des temples de l’Honneur et de la Vertu que Marius fit bâtir, et dans l’application qu’il fit des préceptes de l’art pour régler toutes les proportions des colonnes et de leurs architraves. Ce temple pourrait certainement être mis au nombre des ouvrages les plus magnifiques, s’il eût été bâti de marbre et si la richesse de la matière eût répondu à la grandeur du dessin et à la perfection du travail. Voyant donc que parmi nos ancêtres, qui ont produit d’aussi grands architectes que chez les Grecs, de même que parmi les architectes modernes, qui sont en assez grand nombre, très peu se sont occupés de transmettre les préceptes de leur art, j’ai cru devoir m’occuper de cet ouvrage, où j’ai entrepris de traiter chaque chose à. part dans chacun de ces livres. On voit que la grande préoccupation de Vitruve est de montrer que les architectes romains égalaient les architectes grecs.