LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME II — LA FAMILLE DANS L’ANTIQUITÉ

CONSTITUTION DE LA FAMILLE — XIV. - LES ENFANTS ROMAINS

 

 

LES PREMIERS SOINS. - LA SAGE-FEMME. - L’HOROSCOPE. - L’ÉDUCATION. - PRISE DE LA TOGE VIRILE.

 

LES PREMIERS SOINS. — Dès que l’enfant est venu au monde, on l’enveloppe de langes et on lui prodigue les soins qu’il réclame.

Une peinture des Thermes de Titus nous montre un enfant nouveau-né dont on fait la première toilette. Tandis que la mère est couchée sur le lit et que la nourrice tient l’enfant, un personnage apporte le bassin pour les ablutions (fig. 220). Dans la famille impériale, ce bassin devait être en écaille ; c’est pour cela qu’un pêcheur ayant apporté la carapace d’une tortue au père d’Albinus, celui-ci voulut qu’on y lavât son fils qui venait de naître et prédit la grandeur de l’enfant, qui fut en effet proclamé empereur, après la mort de Pertinax.

La naissance d’un enfant cause ordinairement une grande joie dans la famille : on accroche des couronnes de fleurs à la porte de la maison ; puis les visites se succèdent, et on ne manque pas de féliciter le père sur la ressemblance étonnante que son enfant présente avec lui. Au bout de quelques jours, la famille est conviée à la purification de l’enfant, solennité qui est toujours accompagnée de fêtes et de repas. La plus âgée des parentes fait au nom de la famille des vœux pour le nouveau-né. C’est, dit Perse, quelque grand’mère, quelque tante maternelle, femme craignant les dieux, qui tire l’enfant de son berceau ; et, d’abord avec le doigt du milieu, elle frotte de salive le front, les lèvres humides du nouveau-né pour le purifier ; puis, elle le frappe légèrement des deux mains, et déjà, dans ses vœux suppliants, elle envoie ce débile objet de ses espérances en possession des riches domaines de Licinius. Après la purification, on inscrit le nom de l’enfant sur le registre des actes publics.

Pendant toute l’existence d’un Romain, le jour anniversaire de sa naissance est l’occasion d’une fête qu’il offre à sa famille, et de cadeaux qu’il reçoit.

 

LA SAGE-FEMME. — C’est la sage-femme et non le médecin qui est appelée pour l’accouchement. Le médecin viendra ensuite donner ses soins à la malade, et prescrire le régime qu’il faudra suivre pour l’enfant. Mais il n’est pour rien dans l’opération. Aussi les sages-femmes formaient une classe nombreuse et fort employée. La sage-femme était habituellement prévenue, d’avance et se tenait prête, mais quelquefois on avait besoin de son concours à un moment imprévu. Un esclave alors courait chercher la sage-femme : où la trouvera-t-il, s’il n’y a pas d’enseigne qui fasse reconnaître la maison ?

A Rome, toutes les professions s’annonçaient par une enseigne, mais aucun auteur n’a parlé des enseignes de sages-femmes. Cependant nous trouvons dans les musées des sculptures qui représentent des petits nids d’enfants placés sur les branches d’un arbre. De nos jours, les enfants poussent sur des feuilles de choux. Il faudrait n’avoir jamais vu d’enseigne de sage-femme pour ignorer cela. Est-ce que les petits nids d’enfants qu’on voit au musée du Vatican n’auraient pas eu dans l’antiquité une signification analogue ? C’est la seule explication qui me paraisse plausible pour ces curieux monuments. Et voyez comme cet usage facilitait la réponse à certaines questions embarrassantes que les enfants font quelquefois. Rien de plus simple avec les nids d’enfants : on invoque Junon, la déesse des mariages, on va dans le bois sacré, dont les arbres ne sont jamais coupés, et portent des petits nids pleins d’enfants : c’est ainsi que le gamin, dont la curiosité s’est éveillée, trouve tout naturel que ses parents lui aient apporté un petit frère ou une petite sœur.

 

L’HOROSCOPE. — Quand un enfant vient au monde, les Parques (ou les Moires) président à sa destinée, et l’arrêt qu’elles ont rendu est inévitable ; les dieux eux-mêmes ne sauraient le modifier. Aujourd’hui, disent les dieux, nous sommes tous descendus de l’Olympe pour prendre part à ce combat et empêcher qu’Achille n’ait à souffrir de la part des Troyens. Cependant il doit subir le sort que les Parques lui ont filé à sa naissance lorsque sa mère le mit au monde. (Homère.) La croyance à une destinée fixée dès la naissance était commune aux Grecs et aux Romains.

Un bas-relief antique (fig. 223) nous montre les Parques assistant à la naissance d’un enfant. Le monument présente plusieurs scènes réunies à côté l’une de l’autre suivant la coutume antique. A gauche, on voit les époux qui se donnent la main ; à droite, la mère qui regarde le nouveau-né que sa nourrice est en train de laver, tandis qu’une servante tient les langes dont on va l’envelopper. Derrière sont les Parques qui tirent l’horoscope sur un globe placé devant elles. On n’en voit que deux, mais habituellement il y en a trois : Clotho qui file, Lachésis qui marque les événements de la vie, et Atropos qui s’apprête à couper au moment voulu le fil de la destinée.

La mère sait que les Parques sont présentes, lorsque son enfant vient au monde, mais elle ne connaît pas leur arrêt, et elle a recours à la magicienne, qui vient dire la bonne aventure du nouveau-né. La magicienne (fig. 224) a une grande importance dans le monde antique ; mais son importance double, au moment où il naît un enfant, car elle connaît les formules qui peuvent conjurer une destinée fâcheuse, et si elle n’a pas la puissance d’empêcher les arrêts de s’accomplir, elle possède des recettes pour tourner les difficultés prévues et tromper le destin tout en ayant l’air de s’y conformer.

 

L’ÉDUCATION. — Nous avons déjà parlé, à propos des Grecs, des premières années de l’enfance, qui devaient se passer à peu près de la même manière chez les Romains. Voici (fig. 225 et 226) deux petites poupées romaines qu’on pourrait comparer avec la poupée grecque représentée plus haut (fig. 143). Elles sont d’un travail beaucoup plus soigné, ce qui semblerait démontrer qu’elles ont appartenu à des enfants d’une classe plus aisée.

A Rome, comme en Grèce, la direction des garçons était confiée à un précepteur qui s’occupait de l’instruction des enfants en même temps que de leur éducation.

Il fallait d’abord faire faire à l’enfant ses premières études, et, dans l’antiquité comme de nos jours, cela n’était pas toujours une besogne aisée. Vous souvient-il, dans Perse, du maître qui éveille son élève et veut le faire lever ? Enfin le voilà avec son livre, avec le parchemin bicolore, dont le poil est tombé, avec les cahiers et le roseau noueux entre les mains. Nouvelles plaintes alors : tantôt c’est l’encre trop épaisse qui ne veut point quitter la plume ou qui, trop délayée, ne marque plus sur le papier ; tantôt c’est la plume qui laisse deux traces au lieu d’une...

Le précepteur était presque toujours un lettré, qui remplissait les mêmes fonctions que dans nos societés modernes. Mais il était plus directement attaché à la famille, qu’il ne quittait pas lorsque le jeune homme était devenu grand, parce qu’il était considéré comme un aide et un conseiller, moins élevé par le rang et la position que les membres de la famille, mais supérieur par son savoir et son expérience. Il arrivait quelquefois que le précepteur ne méritait pas la confiance que les parents avaient en lui, et qu’il devenait le corrupteur du jeune homme dont l’éducation lui avait été confiée. Les écrivains comiques ont souvent exploité cette situation. Tan tôt le maître se fait le complice de son élève ; tantôt il se vante de la manière dont il a su le diriger dans la vie. Parménon. — J’ai un mérite dont je fais mon principal titre de gloire : c’est que j’ai trouvé une occasion de mettre ce jeune adolescent au fait du caractère et des mœurs des courtisanes. Du moment qu’il les aura connues de bonne heure, il les détestera à tout jamais. Dehors, en public, elles paraissent tout ce qu’il y a de plus propre, de mieux tenu, de plus élégant. Lorsqu’elles soupent avec un amoureux, elles font la petite bouche. Mais il faut voir leur gloutonnerie, leur saleté, leur dénuement, lorsqu’à la maison elles ne conservent plus de décorum et ne pensent qu’à manger. Il faut les voir dévorant un pain noir qu’elles trempent dans du bouillon de la veille. Quels salutaires enseignements pour la jeunesse que toutes ces révélations ! (Térence, l’Eunuque.)

 

PRISE DE LA TOGE VIRILE. — La prise de la toge virile est l’acte le plus important de l’existence d’un jeune Romain. Tu n’as pas oublié, écrit Sénèque à Lucilius, quelle a été ton allégresse, lorsque tu as déposé la prétexte pour prendre la toge virile et que tu as été conduit au forum. C’est qu’en effet, quand un Romain a pris la toge virile, il a cessé d’être un enfant et il est devenu un citoyen. Cet acte solennel, qui est une déclaration de majorité, impliquait à Rome un changement de costume. Tant que l’enfant a appartenu à ses parents, tant qu’il n’a pas eu de vie propre et qu’il a été gouverné par sa mère, il a porté la robe prétexte bordée d’une bande de pourpre ; il a été couvert d’amulettes protectrices, et surtout il n’a pas oublié de suspendre à son cou la bulla.

La bulla (fig. 227-228) était une amulette en même temps qu’un bijou. Son nom lui vient de la ressemblance qu’elle avait avec une boule d’eau. Pour les Romains c’était la marque de l’adolescence. Dans les familles riches, la bulla se composait de deux plaques d’or attachées ensemble et formant un globe complet dans lequel était enfermée l’amulette. Pour les pauvres, la bulla était faite de buis au lieu d’or, mais c’était toujours un bijou sacré.

Le jour où le jeune homme devait prendre la toge virile, il enlevait la bulla qu’il avait toujours portée attachée au cou, et allait la mettre à celui des dieux lares. Ce jour-là, la famille entière était réunie, et, en présence des parents, on remettait la toge au jeune homme, qui se plaçait sous l’invocation des dieux (fig. 229).

Dans toutes les familles cette fête avait lieu le même jour, le 16 des calendes de mars, au moment des fêtes de Bacchus. Il est assez difficile d’expliquer la raison de cette date, et les auteurs anciens ne donnent pas à ce sujet d’explications bien satisfaisantes. C’est peut-être, dit Ovide, parce que Bacchus est toujours jeune et que son âge tient le milieu entre la maturité et l’enfance ; ou bien c’est parce qu’il est père, et que nos pères veulent nous confier, tendres gages de leur amour, à ses soins et à sa vigilance ; ou bien c’est parce que son nom est Liber, et que c’est sous ses auspices que doit se prendre la toge libre et la route d’une vie libre. Quoi qu’il en soit, le jeune homme doit offrir ce jour-là un gâteau de miel à Bacchus. Dès le matin de cette fête solennelle, une multitude de femmes couronnées de lierre, la plante consacrée au dieu, encombrent les rues et vendent des gâteaux de miel aux familles qui se rendent à son autel, en compagnie du jeune citoyen. Quand la cérémonie est terminée, il y a un festin en l’honneur de Bacchus, et les coupes n’y sont pas oubliées. Le lendemain, l’enfant devenu homme ira au forum se mêler aux affaires publiques, s’attachera à un jurisconsulte pour apprendre la législation, ou partira aux armées faire acte de citoyen.