LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME PREMIER — LES PEUPLES DE L’ANTIQUITÉ

LA GRÈCE — VII. - L’EMPIRE D’ORIENT

 

 

NOTIONS HISTORIQUES. - CONSTANTINOPLE. - LE PALAIS IMPÉRIAL. L’HIPPODROME. - L’ÉGLISE SAINTE-SOPHIE. - LES ANTIQUITÉS.

 

NOTIONS HISTORIQUES. — L’empire d’Orient a été constitué définitivement à la mort de Théodose, l’an 395 de nôtre ère. Un partage avait déjà été fait en 364, entre Valentinien Ier et Valens, et Dioclétien avait établi une séparation entre les provinces de l’Occident et celles de l’Orient. Néanmoins Arcadius, fils de Théodose, est regardé comme le premier des empereurs d’Orient. La première période de l’empire d’Orient est la seule qui se rattache à l’antiquité ; car, à partir du vue siècle, c’est l’esprit du moyen âge qui domine partout. Le Ve et le VIe siècle sont donc les seuls dont nous devions nous occuper ici.

Un très grand changement dans les mœurs s’opère à cette époque Le culte des anciens dieux a fait place partout au christianisme triomphant. Les empereurs, tous occupés de querelles théologiques, ne savent pas résister aux Barbares, et l’empire s’affaiblit sans cesse par des divisions intestines. Il semble que l’Orient, conquis autrefois par Alexandre, s’impose maintenant au vieux monde grec, tombé en décrépitude. Des intrigues de femmes et d’eunuques et des conspirations de palais remplissent toute cette longue histoire, qui rappelle de tout point celle des grandes monarchies d’Asie. Dans toute cette période, le peuple ne compte pour rien, et, s’il fait acte d’existence, c’est seulement lorsqu’il s’agit des jeux du cirque ou lorsqu’il prend part aux subtilités des disputes religieuses ; mais le sentiment de la patrie, qui était la passion dominante de l’antiquité, a complètement disparu.

La figure 468, qui montre l’empereur Théodose entre ses deux fils, Honorius et Arcadius, présente une physionomie qui tient plus du moyen âge que de l’antiquité. Mais, avec les grandes mosaïques de saint Vital de Ravenne, exécutées sous Justinien, on sent que le monde antique est absolument fini et que l’humanité cherche dans une direction nouvelle les principes qui doivent la guider.

Dans la figure 469 l’empereur Justinien, la tête au milieu du nimbe, apparaît entouré de son clergé et suivi de ses gardes : l’évêque tenant la croix, les prêtres portant les saintes reliques et les instruments du culte, marchent à ses côtés.

L’impératrice Théodora, cette comédienne, qui, après avoir été au théâtre, fut élevée à la souveraine puissance, figure au centre de la composition suivante (fig. 470) : elle est nimbée comme son époux, et, suivie de ses femmes, elle porte au temple ses offrandes. Son costume est d’une richesse inouïe. Une chose remarquable, c’est l’ovale très allongé de son visage, sur lequel percent deux grands yeux noirs avec les sourcils qui se rejoignent. Quelques auteurs ont cru voir clans cette curieuse physionomie une intention de l’artiste, qui aurait voulu rendre ainsi une expression lascive rappelant les longues prostitutions de l’impératrice ; mais l’art byzantin n’avait guère de ces finesses et s’inquiétait assez peu dé la mobilité des traits. Il faut remarquer, d’ailleurs, que les femmes représentées sur cette mosaïque se ressemblent toutes, ce qui dénote chez le peintre l’habitude d’exécuter de pratique des visages d’après un type déterminé.

Le diptyque d’Anastase nous montre les transformations du costume consulaire, au commencement du VIe siècle. Anastase était consul d’Orient pour l’année 517 : il est représenté assis sur sa chaise curule (fig. 471). De la main droite, il tient la mappa circensis, avec laquelle il donnait le signal des jeux, et, de la gauche, le scipio ou sceptre consulaire.

 

CONSTANTINOPLE. — La ville de Constantinople (fig. 472), élevée sur l’emplacement de l’ancienne Byzance, a été de tout temps la capitale de l’empire d’Orient. La fondation de Byzance remonte au VIIe siècle avant notre ère : un oracle d’Apollon avait déterminé l’emplacement de la ville, qui occupait le sommet d’un triangle formé par la jonction des eaux de la Propontide (mer de Marmara), du Bosphore de Thrace et de la rivière Lycus. C’était un sol privilégié où l’on trouvait tout en abondance ; néanmoins la richesse de Byzance venait surtout, des droits qu’elle prélevait sur les navires qui allaient chercher du blé dans le Pont-Euxin. Cette ville fut, dans l’antiquité, beaucoup plus commerçante que guerrière. Après avoir été soumise aux Perses et mêlée aux querelles d’Athènes et de Sparte, elle devint l’alliée des. Romains et finit par être annexée à l’empire.

Constantin voulut faire de Byzance sa capitale et changer son nom en celui de la Nouvelle Rome, mais le nom de Constantinople a prévalu. Le triangle au bout duquel était bâtie l’ancienne cité comprenait sept collines, que l’empereur voulait faire entrer dans la ville nouvelle. Constantin ; à pied et suivi d’un nombreux cortége, traça lui-même avec la pointe d’une lance l’enceinte de sa capitale, prétendant suivre un guide divin, invisible pour ses courtisans.

Si Constantin a transformé Byzance et fondé en quelque sorte la nouvelle capitale de l’Orient, les bâtiments qu’il y a élevés ont sans doute été faits à la hâte, car il n’en est rien resté, et la grande époque de Constantinople, au point de vue de l’architecture, est le règne de Justinien. Au reste, cette ville, qui  était encore si splendide au temps des croisades, offre aujourd’hui peu clé vestiges de son ancienne magnificence.

 

LE PALAIS IMPÉRIAL. — Le palais impérial, abandonné dès le XIIe siècle de notre ère par les empereurs byzantins, n’a laissé aucune trace, et son emplacement même est occupé aujourd’hui par un quartier turc. On croyait autrefois que le palais impérial occupait exactement l’emplacement des jardins du sérail, mais cette hypothèse est maintenant abandonnée. On admet généralement que, l’ancienne Byzance était située à la pointe de la Corne d’Or ; Constantin établit sa résidence au sud de la vieille cité, c’est-à-dire sur la côte qui regarde la mer de Marmara, formant aujourd’hui le quartier qui s’étend de Sainte-Sophie à l’hippodrome et au centre duquel se trouve la mosquée d’Achmeth.

Ce palais, dit M. Labarte, ne présentait pas un édifice régulier avec une façade pompeuse ouverte sur une place publique. Originairement élevé par Constantin, dont il portait le nom, il avait été reconstruit en partie par Justinien au VIe siècle. Depuis et durant cinq siècles, des constructions importantes y avaient été successivement ajoutées par plusieurs empereurs, en sorte que, au lieu de présenter un tout homogène, le palais impérial n’était autre chose qu’une accumulation d’édifices de différentes époques plus ou moins heureusement agencés.

Ce fut la conquête de Constantinople par les Latins qui causa la ruine du palais impérial et de l’hippodrome, qui y attenait. Comme il ne reste aucun vestige des bâtiments qui composaient ce palais, il est difficile d’en donner une description. On distinguait dans le palais trois groupes principaux : la Chalcé et la Daphné, deux bâtiments qui dataient de Constantin, servaient aux réceptions ; le Palais sacré, donnant sur les jardins, contenait les appartements privés de l’empereur. Les jardins contenaient en outre plusieurs chapelles et divers petits édifices, parmi lesquels il faut citer le Palais de porphyre, où les impératrices faisaient leurs couches, ce qui a fait donner le nom de Porphyrogénètes à plusieurs princes byzantins, nés en ce lieu. Il y avait aussi un donjon, dernier refuge des empereurs en cas de sédition, avec un port réservé au service particulier de la maison impériale. Enfin un phare correspondait avec un édifice semblable sur la côte d’Asie, et un système de sémaphores, s’étendant jusqu’aux extrémités de l’empire, transmettait, par le signal des feux qu’on y allumait, les ordres venus de Constantinople et y apportait les nouvelles relatives aux incursions continuelles des Barbares.

 

L’HIPPODROME. — L’hippodrome était antérieur non seulement au palais des empereurs, mais à la fondation même de Constantinople. Il a été bâti par Septime Sévère, près de l’ancienne Byzance. Comme le terrains abaissait en escarpement vers le sud, on établit le sol de cette partie sur des voûtes immenses reposant sur des piliers : ces souterrains sont désignés sous le nom de la Citerne froide. Tout cet immense édifice fut construit sur le plan du Circus Maximus de Rome : ses débris forment aujourd’hui le lieu que les Turcs appellent At-Méidan, place des chevaux. Constantin et ses successeurs embellirent beaucoup l’édifice, mais sans altérer en rien le plan primitif.

L’hippodrome se composait d’une vaste surface plane terminée à l’un de ses côtés par un hémicycle où s’élevaient des gradins qui se prolongeaient sur les deux faces latérales. Ces gradins, construits en, marbre, étaient séparés de l’arène par un fossé profond destiné à préserver les spectateurs des bêtes féroces, dans les représentations de chasses ou de combats. Les courses de chars étaient le spectacle qui passionnait le plus la multitude. La Spina, sorte de terrasse ou arête autour de laquelle tournaient les chars  et qui se terminait à ses deux extrémités par une triple borne, offrait sur son axe trois monuments qu’on y voit encore l’obélisque amené de la haute Égypte par Théodose le Grand, la pyramide de Constantin Porphyrogénète et la colonne Serpentine, qui portait le trépied de Delphes.

En haut des gradins régnait une terrasse toute couverte de statues et d’où l’on avait une vue magnifique sur ka ville et sur la mer. Mais ce que l’hippodrome offrait de plus remarquable comme disposition, c’était la tribune impériale d’où l’empereur venait présider aux jeux sans sortir de son palais. La figure 475 montre cette tribune, dans laquelle on voit l’empereur Théodose, accompagné de ses deux fils Arcadius et Honorius. Aucun escalier n’y communiquait de l’hippodrome : précaution de l’architecte qui voulait mettre l’empereur à l’abri des émeutes. Le palais, en effet, était une véritable citadelle. Outre la loge de l’empereur, il y en avait une autre, réservée à l’impératrice, et aux dames de la cour.

 

L’ÉGLISE SAINTE-SOPHIE. - Un forum où se trouvait la colonne militaire, point où convergeaient toutes les routes de l’empire, et décoré d’une statue colossale de Justinien, reliait le palais impérial à la fameuse église de Sainte-Sophie. Primitivement cette église avait été dédiée à la Sagesse divine ; mais, comme le mot Sophie veut dire sagesse, la légende byzantine fit de celle-ci une sainte martyrisée avec ses trois filles : sainte Foi, sainte Espérance et sainte Charité. Le premier édifice ayant été brûlé dans une émeute, Justinien, en le rebâtissant, voulut en faire le plus beau monument de la chrétienté. Il enjoignit aux gouverneurs de province, en Europe et en Asie, de rechercher partout les marbres qu’on pourrait retrouver dans les anciens édifices païens, et on en apporta de toutes parts à Constantinople. Le préteur d’Éphèse envoya des colonnes de marbre vert tacheté de noir, enlevées au fameux temple de Diane ; et de Syrie arrivèrent, sur des radeaux, des colonnes provenant du grand temple du Soleil à Balbek. Les temples de Délos, de Cyzique, d’Isis et Osiris en Égypte furent aussi mis à contribution. L’église (fig. 476), dit M. Texier, est bâtie sur un plan carré de 81 mètres de long sur 60 de large ; au centre de ce carré s’élève la coupole, dont le diamètre de 35 mètres, détermine, là largeur de la nef ; la coupole es supportée par quatre grands arcs qui forment quatre pendentifs ; sut les deux arcs perpendiculaires à l’axe de la nef s’appuient deux voltes hémisphériques, qui donnent au plan de la nef une forme ovoïde ; chacun de ces deux hémisphères est lui-même pénétré par deux hémisphères plus petits, qui sont soutenus par des colonnes. Cette superposition de coupoles, dont les points d’appui ne sont pas apparents, donne à toute la fabrique un aspect de légèreté inimaginable.

Le pavé de l’église était en marbre vert de Proconèse, les panneaux des murs étaient rehaussés de mosaïques ; l’or, l’argent, les pierres précieuses étincelaient de toutes parts, et des lampes innombrables illuminaient de leur flamme les métaux éblouissants. Quand on fit la dédicace de l’édifice, l’empereur, accompagné du patriarche Eutychius, s’avança vers le temple et s’écria en entrant : Gloire à Dieu, qui’ m’a jugé digne de terminer un tel ouvrage. Je t’ai vaincu, ô Salomon !

Aujourd’hui, cette antique église ; convertie en mosquée, est bien changée. Les minarets et les contreforts massifs élevés depuis la domination musulmane en ont sensiblement modifié l’aspect extérieur, et les grandes mosaïques chrétiennes qui décoraient les coupoles ont été recouvertes par un badigeon.

L’église Saint-Jean Stoudios, élevée en 436, ne formait pas la croix et n’était pas surmontée d’un dôme. Cette église, la plus ancienne, de Constantinople, rappelle par son plan la basilique de Saint-Laurent hors des murs, à Rome. Elle est aujourd’hui convertie en mosquée.

 

LES ANTIQUITÉS. — En dehors des églises byzantines, on trouve peu d’antiquités à Constantinople. Il faut citer pourtant la colonne Serpentine, ainsi nommée parce’ qu’elle est formée de trois serpents enroulés dont les têtes ont été brisées. Cette, colonne, d’après les archéologues, serait celle qui portait à Delphes le trépied d’Apollon. Elle est un fort mauvais état, mais elle a une grande importance historique, parce qu’on y trouve le nom des cités grecques qui se sont levées pour combattre les Perses.

Il faut aussi noter comme curiosité le monument qu’on désigne sous le nom de colonne Brûlée, apportée de Rome, dit-on, par Constantin. Elle était surmontée d’une statue d’Apollon, que l’empereur voulut faire considérer comme son image ; et, pour affirmer sa foi chrétienne, il aurait, selon la tradition, remplacé les rayons du dieu, par les clous de la passion. Il ne reste aujourd’hui qu’un fût de colonne, noirci par les incendies.

Enfin il ne faut pas quitter Constantinople sans avoir mentionné l’aqueduc de Valens, dont il reste encore une portion considérable, la citerne des mille et une colonnes, aujourd’hui à sec ; l’obélisque de Théodose, la colonne de Marcien et celle d’Arcadius, dont il ne reste plus que le piédestal, haut d’environ 6 mètres, et le commencement du fût de la colonne.