LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME PREMIER — LES PEUPLES DE L’ANTIQUITÉ

L’ASIE — III - LA PERSE

 

 

LA MONARCHIE DES PERSES. - EMBLÈMES ET INSIGNES. - LA MAISON ROYALE. - LES VILLES PRINCIPALES. - LES SÉPULTURES ROYALES.

 

LA MONARCHIE DES PERSES. — La monarchie des Perses, qui vient dans l’histoire après celle des Assyriens, a son origine dans la fusion de deux royaumes, la Médie, située au sud de la mer Caspienne, et la Perse proprement, dite, qui s’étendait au sud jusqu’au golfe Persique et à la mer. Érythrée. Le royaume de Médie, qui s’est formé des débris de l’empire assyrien, fut ensuite compris dans le vaste empire fondé par Cyrus. Mais ce pays parait avoir été civilisé avant la Perse, qui lui a emprunté la plupart de ses usages. Au reste, les Grecs confondent continuellement les Mèdes et les Perses, et c’est pour cela que les grandes guerres de Darius et de Xerxès sont désignées dans l’histoire sous le nom de guerres médiques, bien que les rois de Perse en aient été les instigateurs.

Ce fut Cyrus qui, vers l’an 559 avant Jésus-Christ, fonda la grande monarchie des Perses. Tout ce qui concerne la jeunesse de ce prince est empreint d’un caractère romanesque, et les historiens anciens en donnent des versions différentes ; mais les événements historiques de son règne qui sont connus avec certitude changèrent la face de l’Asie. les Babyloniens, ayant fait alliance avec Crésus, roi de Lydie, Cyrus battit Crésus et s’empara ensuite de Babylone, où il pénétra par le lit de l’Euphrate qu’il avait détourné. Devenu roi des mèdes par héritage, il fonda un vaste royaume qui s’étendait de l’Indus à la Méditerranée, et auquel son successeur Cambyse ajouta encore l’Égypte.

Ce ne fut toutefois que sous Darius, fils d’Hystaspe, que l’empire fut définitivement constitué, car la majeure partie du règne de ce prince fut occupée à combattre les révoltes qui éclataient de toutes parts. Ce qui est bien caractéristique dans ces insurrections asiatiques, c’est qu’elles n’ont jamais pour but un changement dans la forme du gouvernement ; elles sont toujours produites par la crédulité populaire, qui accepte comme prince légitime un homme qui s’est fait passer pour un autre.

Le fameux bas-relief du rocher de Bisotoum, que nous donnons ci-contre (fig. 148), aurait aux révoltes de ce règne.

Ce bas-relief représente neuf prisonniers qui ont les mains attachées derrière le dos et sont liés entre eux par une corde passée autour du cou : ces prisonniers sont les chefs des provinces révoltées. En face de ces captifs, le roi, la tête tournée de leur côté et levant la main droite en signe de commandement, foule aux pieds un personnage qui élève ses bras en suppliant : il est suivi de deux gardes tenant un arc et une lance. Dans la partie supérieure du bas-relief plane la figure symbolique d’Ormuzd.

Le roi qu’on voit ici est Darius, fils d’Hystaspe. Le prisonnier qu’il foule aux pieds et qui tend vers lui des bras suppliants est le faux Smerdis ; une inscription, gravée sur le rocher au-dessous du bas-relief, le désigne sous le nom de Gaumatès le Mage. Tous ces captifs sont qualifiés d’imposteurs, à l’exception toutefois du dernier, celui qui porte un bonnet pointu ; l’inscription qui l’accompagne porte simplement : Celui-ci est Saruk’ha, le Sace.

On remarquera aussi que la composition du bas-relief est emblématique plutôt qu’historique, car les chefs révoltés, qui sont ici représentés enchaînés tous ensemble, n’ont pas été pris simultanément, mais vaincus et tués l’un après l’autre. L’inscription gravée sur le rocher n’est pas, moins curieuse que le bas-relief lui-même. Ce n’est plus Assour, comme chez les rois d’Assyrie, niais Ormuzd, que le roi de Perse invoque, comme son protecteur : C’est un grand dieu qu’Ormuzd qui a créé ce monde, qui a créé le ciel, qui a créé les mortels, qui a fait Darius roi, seul roi de la multitude. Je suis Darius, roi grand, roi des rois, roi des contrées qui contiennent beaucoup de nations, roi de ce monde immense et son soutien, fils d’Hystaspe Achéménides. Darius nomme ensuite ses ancêtres, puis il énumère les vingt royaumes qui lui sont soumis, et il raconte comment il est monté sur le trône : Lorsque Cambyse eut tué Smerdis, le peuple ignora que Smerdis était mort... Il y avait alors un mage nominé Gaumatès... Il trompa le peuple par ces paroles : Je suis Smerdis, le fils de Cyrus, le frère de Cambyse. Alors le peuple entier devint rebelle et alla vers lui... Le peuple le craignait à cause de sa cruauté. Il aurait tué beaucoup de monde qui connaissait l’ancien Smerdis afin qu’on ne reconnût pas qu’il n’était pas Smerdis, le fils de Cyrus. Mais personne n’osait dire quoi que ce soit jusqu’à ce que je vinsse. Alors je priai Ormuzd ; Ormuzd m’apporta du secours... Je tuai, accompagné d’hommes fidèles, Gaumatès le mage et ses principaux complices. Par la volonté d’Ormuzd, je devins roi. L’empire qui avait été arraché à notre race, je l’ai restauré. Les autels que Gaumatès le mage avait renversés, je les ai relevés en sauveur du peuple ; j’ai rétabli les chants et les saintes cérémonies. Cette dernière phrase semble indiquer que l’insurrection du faux Smerdis avait eu un caractère religieux autant que politique, puisque Darius se pose en restaurateur de l’ancien culte.

La lutte contre la Grèce occupe toute l’histoire de la monarchie des Perses et se termine par la conquête d’Alexandre. L’influence grecque devient, à partir de ce moment, prépondérante en Orient et la Perse disparaît un moment de l’histoire.

 

EMBLÈMES ET INSIGNES. — Les rois de Perse conservèrent quelques-uns des insignes des rois d’Assyrie et en ajoutèrent de nouveaux. La figure 149 nous montre un bas-relief de Persépolis, dans lequel se trouvent réunis les emblèmes royaux des Achéménides. Le roi est debout : il tient d’une main sa longue canne, insigne du commandement et, de l’autre, le bouquet de fleurs sacrées. Il a pour costume une longue tunique, légèrement relevée sur le côté, de manière à former des plis courbes par derrière et par devant ; cette tunique est serrée à la taille par une ceinture dont un bout pend par devant. Les manches Sont longues et extrêmement évasées près du poignet ; leur extrémité retombe jusque sur les hanches. Les pieds sont entièrement recouverts par la tunique qui ; sans être traînante, descend jusqu’à ras du sol.

La coiffure royale est une tiare assez basse et évasée dans sa partie supérieure ; les cheveux et la barbe sont fort longs et disposés en boucles régulièrement frisées.

Au-dessus de la tête de ce personnage, dit M. Flandin, un grand parasol est tenu par un serviteur qui marche derrière. A côté de celui-ci, un second serviteur agite un chasse-mouche, au-dessous du parasol, et tient, dans sa main gauche, quelque chose qui pend en faisant de longs plis : c’est peut-être le bandeau royal. Les pages qui accompagnent le personnage principal sont, à très peu de chose près, vêtus comme lui. Leur robe est tout à fait semblable ; ce qui doit faire penser que, clans ces temps reculés, le vêtement étant très simple. la forme était à peu près la même pour tous. Les vêtements ne différaient que par la qualité, le prix des étoffes, et aussi par quelques petits détails de toilette. Ainsi les deux pages sont chaussés de petits cothurnes attachés sur le cou-de-pied, leurs cheveux sont longs et bouclés ; mais leur barbe, frisée comme leur chevelure, est courte et taillée près du menton. Il doit y avoir dans cette façon de barbe l’intention d’établir une distinction entre ces personnages. J’y vois une marque hiérarchique qui désigne les gens de service auxquels la barbe longue est interdite. Les Orientaux ont toujours attaché une très grande importance à cet ornement viril et les bas-reliefs de Persépolis ne sont pas les seuls où la personne du roi soit reconnaissable à la longueur de la barbe. Les deux pages ont la tête couverte d’une espèce de calotte basse et plate. Leurs oreilles sont accompagnées de larges anneaux. C’est encore là un objet digne d’attention qui doit avoir une signification propre à la position inférieure de ces personnages, car on ne voit jamais de pendants d’oreilles ni au roi, ni à aucun des individus qui paraissent être des gens de quelque importance.

La figure qu’on vient de voir (fig. 149) et celle qui va suivre (fig. 151), montrent que le chasse-mouche était un insigne royal pour les rois de Perse aussi bien que pour les rois d’Assyrie. La figure 150 donne les détails d’un chasse-mouche emprunté à un bas-relief de Persépolis. Notons en passant qu’en Perse, le chasse-mouche se tenait au-dessus de la tête du roi.

L’emblème ailé, que nous avons vu planer en Égypte au-dessus de la tète des Pharaons et que nous avons retrouvé modifié sur celle des rois d’Assyrie, se retrouve également en Perse. Le bas-relief du rocher de Bisotoum nous en a fourni déjà un remarquable exemple (fig. 148). Nous en donnons un autre ci-contre (fig. 151). On croit généralement que le personnage emblématique ici représenté est Ormuzd, le grand dieu de la Perse. D’autres veulent y voir simplement le ferouer du roi, son génie protecteur, Il est coiffé de la tiare persane ; ses longues ailes au plumage régulier sont disposées identiquement comme celles qui sont placées sur les côtés du disque solaire dans les monuments égyptiens. L’imitation égyptienne est beaucoup plus franche sur ce monument que sur aucun autre bas-relief assyrien, sans doute parce que les rapports étaient devenus plus fréquents entre les deux peuples par suite de la conquête de l’Égypte par Cambyse. Le bas du personnage emblématique se termine par des plumes d’oiseau disposées en éventail, avec un petit appendice qui forme un enroulement de chaque côté.

Dans les deux bandes sculptées qui sont au-dessus de la figure du roi assis, on retrouve le même emblème ailé, mais cette fois sans le personnage : le soleil, au lieu d’être exprimé par un disque comme dans les monuments égyptiens, est simplement traduit par un, cercle ou anneau auquel sont adaptées les ailes ; et il forme le centre d’une frise composée d’animaux marchant vers lui. Immédiatement au-dessous de ces deux frises, le roi est assis sur son trône, et un serviteur agite le chasse-mouche au-dessus de la tête royale. La base du monument est formée de deux colonnes engagées, entre lesquelles on voit, disposés en trois zones, des personnages qui lèvent les bras comme pour servir de support au trône. Ces personnages sont diversement vêtus et personnifient les peuples soumis au roi de Perse.

Il y avait, en effet, dans cet immense empire, une foule de peuples très divers que les bas-reliefs de Persépolis nous montrent apportant au grand roi le tribut qui lui est dût. Presque toujours ils sont caractérisés par les productions particulières du sol qu’ils habitent. Ainsi, la figure 152 nous montre les habitants de la Bactriane, vaste contrée à l’orient de la mer Caspienne, conduits par un officier mède ou perse qui tient un bâton en signe de commandement. Les Bactriens tiennent à la main divers présents et sont accompagnés d’un chameau à deux bosses, appelé chameau de Bactriane, parce qu’il est originaire de cette contrée.

Plus loin (fig. 153), nous voyons les Indiens qui amènent, entre autres présents ; un bœuf de leur pays, caractérisé par la bosse qu’il a sur le dos. L’empire des Perses, en effet, s’étendait depuis l’Indus jusqu’à la Méditerranée, et les bas-reliefs de Persépolis fournissent, sur le costume des peuples qui habitaient ces vastes contrées, de précieux documents auxquels nous aurons plus d’une fuis recours dans’ la suite de cet ouvrage.

 

LA MAISON ROYALE. — Quinte-Curce, en décrivant l’armée de Darius au moment où elle se prépare à combattre Alexandre, nous fait un récit détaillé des costumes qui étaient en usage à la cour des rois de Perse et du cérémonial qui les accompagnait

C’était, dit-il, une ancienne coutume des Perses de ne faire marcher leur armée qu’après le lever du soleil ; le signal était donné de la tente du roi, au-dessus de laquelle était arborée l’image resplendissante du soleil, enchâssée dans du cristal. Voici en quel ordre ils marchaient. Premièrement, on portait du feu sur des autels d’argent en grande cérémonie : les Perses avaient le feu en singulière vénération, l’appelant éternel et sacré. Les mages venaient après, chantant des hymnes à la façon du pays et suivis de trois cent soixante-cinq jeunes hommes vêtus de robes de pourpre, marquant le nombre des jours de l’année. Après eux, venait un char consacré à Jupiter, tiré par des chevaux blancs et suivi d’un coursier d’extraordinaire grandeur, qu’ils appelaient le cheval du soleil. Ceux qui conduisaient les chevaux étaient vêtus de blanc et avaient des poussines d’or à la main. Dix chariots roulaient ensuite, tout étoffés d’or et d’argent. Puis marchait en corps la cavalerie, composée de douze nations différentes d’armes et de mœurs ; et après elle ceux que les Perses appellent immortels, au nombre de dix mille, surpassant en magnificence tout le reste des barbares. Ils portaient des colliers d’or et des robes de drap d’or. frisé avec des casaques à manches, couvertes de pierreries.

A quelque distance de là suivaient ceux qu’ils nommaient les cousins du roi, jusqu’au nombre de quinze mille ; mais cette troupe ; trop mollement parée, tenait plus de la femme que du soldat, et se montrait plus curieuse en ses habits qu’en ses, armes. Les doryphores venaient après ; c’est ainsi qu’on appelait ceux qui avaient coutume de porter le manteau du roi. Ils marchaient devant son chariot, dans lequel le monarque paraissait haut et élevé comme sur un trône ; les deux côtés du chariot étaient enrichis de plusieurs images des dieux, faites d’or et d’argent ; et de dessus le joug, qui était tout semé de pierreries, s’élevaient deux statues de la hauteur d’une coudée, dont l’une représentait Ninus et l’autre Bélus ; et entre deux était un aigle d’or consacré déployant les ailes, comme pour prendre son vol.

Main tout cela n’était rien en comparaison de la magnificence qui éclatait en la personne du roi.

Le roi était vêtu d’une saie de pourpre mêlé de blanc, et par-dessus .il avait une longue robe toute couverte d’or, où l’on voyait deux éperviers aussi d’or, qui semblaient fondre l’un sur l’autre. Il portait une ceinture d’or comme les femmes, d’où pendait un cimeterre qui avait un fourreau tout couvert de pierres précieuses, si délicatement mises en œuvre qu’on eût dit qu’il n’était que d’une. Son ornement, du reste, était une tiare bleue, ceinte d’une bande de pourpre rayée de blanc, qui était la marque royale ou le diadème que les Perses appellent cidaris.

Dix mille piquiers suivaient le chariot royal, ayant des piques enrichies d’argent avec leurs pointes garnies d’or. A ses côtés marchaient environ deux cents des plus proches parents du roi, et trente mille hommes de pied faisaient l’arrière-garde de toutes ses troupes ; après suivaient les grands chevaux du roi, au nombre de quatre cents, que l’on menait en main. A cent ou cent vingt pas de là venaient sur un chariot, la mère de Darius, Sysigambis, et sa femme sur un autre. Toutes les femmes de la maison des reines suivaient à cheval. Quinze grands chariots paraissaient ensuite, où étaient les enfants du roi avec ceux qui avaient soin de leur éducation, et une troupe d’eunuques, qu’on estime beaucoup dans ce pays-là. Puis marchaient les concubines du roi, jusqu’au nombre de trois cent soixante-cinq, et toutes en équipage de reines. Elles étaient suivies de six cents mulets et de trois cents chameaux, qui portaient l’argent, escortés d’une garde d’archers. Après venaient les femmes des parents du roi et celles de ses familiers ; et, derrière elles, une grande troupe de goujats, de valets et d’autres gens de bagage, tous montés aussi sur des chariots. A la queue de tout étaient quelques compagnies armées à la légère, chacune conduite par ses officiers, ayant pour mission d’empêcher les soldats de s’écarter.

Évidemment, Quinte-Curce n’est pas un auteur qu’on doive toujours prendre à la lettre, mais la description qu’il donne ici est entièrement d’accord non seulement avec les auteurs, mais même avec les monuments. Les doryphores, ou gardes spéciaux du roi, sont représentés sur les murs de Persépolis (fig. 154 et 155). Ils sont vêtus d’une tunique longue avec de larges manches, portent une tiare côtelée d’une forme un peu évasée et sont armés d’une lance qu’ils tiennent à deux mains et d’un carquois placé sur l’épaule.

 

Les doryphores accompagnaient partout le monarque et étaient nourris des mets servis sur sa table. Leurs costumes étaient de pourpré et d’or ; ils avaient la position de grands dignitaires du royaume et possédaient le privilège de composer seuls l’escorte royale. Outre leur carquois, ils avaient pour arme une longue lance dont le manche était terminé par une petite boule d’or.

Cette troupe privilégiée était choisie parmi les dix mille Perses qu’on appelait immortels, et qui composaient l’élite de l’armée.

Les doryphores occupaient une salle d’honneur dans le palais. Le roi, dit Athénée, traversait leur salle à pied sur des tapis ras de Sardes qu’on y étendait et sur lesquels personne ne marchait que lui. Lorsqu’il voulait monter en voiture ou à cheval, il se rendait à la dernière salle, car jamais un roi de Perse n’a paru à pied hors de son palais. Ses concubines sortaient avec lui, même lorsqu’il allait à la chasse.

La plupart des usages que les auteurs anciens nous signalent comme appartenant à la cour des rois de Perse, ont existé antérieurement chez les rois d’Assyrie. Dans le passage de Quinte-Curce que nous avons cité plus haut, on a vu que quatre cents chevaux, tenus à la main, marchaient à la suite du roi. Un bas-relief assyrien (fig. 156) nous montre une scène analogue. Parmi les personnages qui conduisent ces animaux, les uns sont armés de lances, les autres portent la maquette d’une petite ville fortifiée, probablement l’emblème d’une ville soumise au monarque. Les chevaux de la cour sont donc représentés ici dans une marche guerrière.

La figure 157 montre simplement un palefrenier qui conduit les chevaux royaux et notre gravure présente tous les détails du harnacheraient. La Babylonie était, au temps des rois de Perse, le pays où se trouvaient les haras royaux, absolument comme sous les rois d’Assyrie. C’est ce que nous apprend Hérodote : Le roi, dit-il, y entretenait pour son usage, outre les chevaux de guerre, huit cents étalons et seize mille juments, car on admettait vingt juments pour un étalon. Il se faisait aussi élever une si grande quantité de chiens indiens que quatre grands villages dans la plaine devaient fournir leurs aliments, et étaient pour cela exemptés de tout autre tribut. Tels étaient les revenus de celui qui avait le gouvernement de Babylone.

 

LES VILLES PRINCIPALES. — Athénée rapporte que les rois de Perse passaient l’été à Ecbatane, et l’hiver à Suse.

Ecbatane était l’ancienne capitale de la Médie, et Hérodote en attribue la construction à Déjocès, qu’il désigne comme le premier roi des Mèdes. Lorsque Déjocès, dit-il, fut investi du pouvoir, il força les Mèdes à bâtir une ville, à s’y attacher, à abandonner les autres résidences. Il fut ponctuellement obéi : son peuple éleva les formidables remparts que l’on appelle maintenant Ecbatane, où, derrière une enceinte, se dresse une autre enceinte. Cette disposition des murailles était favorisée par la pente du terrain : une enceinte ne dépasse l’enceinte précédente que de-la hauteur des créneaux. Déjocès fit plus comme il y avait en tout sept enceintes, il eut soin de renfermer dans la dernière son palais et ses trésors. Le plus vaste de ces remparts a la même circonférence que celui d’Athènes. Les créneaux de la première muraille sont de pierres blanches ; ceux de la seconde, de pierres noires ; ceux de la suivante sont couleur de pourpre ; ceux de la quatrième, bleus ; ceux de la cinquième, rouge de sardoine. Ainsi à chaque cercle les créneaux sont peints de diverses couleurs. Mais aux deux derniers murs, ils sont plaqués les uns d’argent, les autres d’or. Déjocès donc bâtit ces murailles pour la sûreté de sa personne et pour renfermer son palais ; il ordonna ensuite au peuple de s’établir au pied des remparts.

Le savant Creuzer voit un caractère symbolique dans la disposition qu’Hérodote attribue à cette ville. Suivant lui, Ecbatane, avec son palais au centre, représente, par ses sept enceintes et ses créneaux de, couleurs différentes, les espaces des cieux qui, dans les idées des Mèdes, entourent le palais du soleil. Ce qui rend cette hypothèse assez probable, c’est que les Mèdes, venus après les Assyriens et les Chaldéens, leur ont emprunté leurs idées religieuses, aussi bien que leurs mœurs et leur architecture.

Il n’est rien reste de l’ancienne Suse : toutefois, on y a découvert les vestiges d’un palais, mais tellement dévasté qu’il était difficile d’en reconnaître les dispositions. On a seulement constaté l’existence d’une grande salle hypostyle, pièce essentielle dans tous les palais royaux de l’Orient. Les briques, dont on retrouve des amas, sont quelquefois coloriées, et tout porte à croire que l’architecture ressemblait à celle des édifices babyloniens.

Suse était la capitale politique de la Perse comme Ecbatane était celle de la Médie. Mais il y avait, en outre, des métropoles religieuses, parmi lesquelles il faut citer en premier lieu l’ancienne ville de Pasargade où résidèrent Cyrus et Cambyse. La ville de Pasargade ne garda pas ses antiques prérogatives et, à partir de Darius, Persépolis devint la ville sainte ; c’est là que fut établi le tombeau des rois, qui avaient aussi en ce lieu un palais dont il subsiste des ruines magnifiques.

Diodore de Sicile nous a laissé quelques détails sur l’enceinte de Persépolis : La citadelle était considérable ; elle était entourée d’une triple enceinte ; la première, construite à grands frais, avait seize coudées de haut et était garnie de créneaux ; la seconde enceinte, de même construction que la première, avait le double de hauteur ; enfin, la troisième, de forme carrée, avait soixante coudées de haut ; bâtie en granit, elle semblait par sa solidité défier le temps. Chacun des côtés avait des portes d’airain, et près de ces portes étaient des palissades de même métal, tant pour inspirer de la terreur que pour assurer la défense.

Les ruines de Persépolis, dont nous donnons le plan (fig. 158), comptent parmi les plus importantes que nous ait laissées l’antiquité. Pour éviter toute confusion, nous dirons tout d’abord que notre plan n’est pas orienté comme les cartes de géographie et que l’occident se trouve en bas. C’est, en effet, du côté de l’occident que s’ouvre en A le grand escalier par lequel on monte sur la plate-forme où sont disposées les ruines. Cet escalier monumental, à rampes opposées et parallèles, est d’une largeur de 7 mètres : les pierres avec lesquelles il est construit sont si grandes qu’on a pu tailler jusqu’à dix marches dans un seul bloc. Il est interrompu au milieu par un vaste palier la partie supérieure a quarante-huit marches et la partie inférieure cinquante-huit.

Quand on est arrivé sur la plate-forme, dont les terrasses sont circonscrites par une muraille à pic, on rencontre en B, directement en face de l’escalier qu’on vient de gravir, les restes d’un propylée précédant le palais qui est à droite en D. Quatre gros pieds-droits, placés symétriquement deux à deux, et quatre colonnes forment cette entrée. Les pieds-droits sont ornés chacun d’un taureau ailé, analogue à ceux de Ninive. Ce qui distingue le taureau persan du taureau assyrien, c’est que les plumes des ailes, au lieu d’être droites, se recourbent à leur extrémité.

Tout près du propylée, on voit en C une belle citerne taillée dans le roc vif et, en. D, un autre escalier, qui regarde le nord et mène au palais proprement dit marqué E. Ce superbe escalier (fig. 159), qu’une inscription nous apprend avoir été bâti par Xerxès, est décoré d’une longue série de bas-reliefs, où l’on voit entre autres les envoyés des pays conquis apportant au monarque leur tribut annuel. Des soixante-douze colonnes qui décoraient le palais de Xerxès, treize seulement sont encore debout : des autres il n’est resté que la base. Le fût de ces colonnes, qui va en diminuant légèrement de bas en haut, porte cinquante-deux cannelures et repose sur un piédestal en forme de lotus renversé. Les chapiteaux sont de plusieurs sortes : les uns ont la forme d’un cratère renversé ; surmonté d’un autre cratère plus petit qui porte un de cubique orné de volutes sur ses quatre faces ; les autres se composent de deux corps d’animaux se rejoignant par le milieu du dos, lequel présente un espace carré destiné à recevoir les poutres du plafond. La disposition du palais présente une vaste salle hypostyle, avec des galeries séparées autrefois de la salle par des tapis attachés et suspendus aux colonnes ; le haut de l’édifice, dont il n’est rien resté, devait être recouvert d’une toiture en bois de cèdre revêtu de lames métalliques.

Au delà de ce palais était un autre corps de bâtiment, s’élevant sur une terrasse un peu plus haute et marqué F sur le plan. Cette partie est très délabrée ; néanmoins on y a trouvé des bas-reliefs intéressants, notamment celui qui représente le roi de Perse sous un parasol. Dans le bâtiment marqué G, qui est aussi détérioré que le précédent, on a trouvé aussi de belles sculptures et un grand nombre de colonnes brisées. Toutes les constructions placées sur le côté sud du plateau sont en général en très mauvais état.

Si, maintenant, nous regardons le côté oriental, nous trouvons en M un édifice carré ; il renfermait une grande salle hypostyle qui ne contenait pas moins de cent colonnes : il en subsiste fort peu de chose. Tout le plateau de Persépolis est d’ailleurs couvert de débris dont il est souvent fort difficile de reconnaître la disposition (fig. 160).

Le palais de Persépolis a été brûlé par les Macédoniens. Diodore de Sicile nous a rapporté le détail de cet incendie.

Alexandre, dit-il, célébrant les victoires qu’il avait remportées, offrit à ses amis de splendides festins. Des courtisanes prirent part à ces banquets, les libations se prolongèrent, et la fureur de l’ivresse s’empara de l’esprit des convives. Une des courtisanes admises à ces banquets, Thaïs, née dans l’Attique, se mit alors à dire qu’un des plus beaux faits dont Alexandre pourrait s’illustrer en Asie, serait de venir avec elle et ses compagnes incendier le palais des rois, et faire disparaître ainsi en un clin d’œil, par des mains de femmes, ce fameux monument des Perses. Ces paroles s’adressant à des hommes jeunes, auxquels le vin avait déjà ôté l’usage de la raison, ne pouvaient manquer leur effet : l’un d’eux s’écria qu’il se mettrait à la tête, et qu’il fallait allumer des torches et venger les outrages que les temples des Grecs avaient jadis reçus de la part des Perses. Les autres convives y applaudirent, s’écriant qu’Alexandre seul était digne de faire un tel exploit. Le roi se laissa entraîner, et tous les convives, se précipitant hors de la salle du festin, promirent à Bacchus d’exécuter une danse triomphale en son honneur. Aussitôt on apporta une multitude de torches allumées, et le roi s’avança à la tête, de cette troupe de bacchantes conduite par Thaïs : la marche s’ouvrit au son des chants, des flûtes et des chalumeaux de ces courtisanes enivrées. Le roi et, après lui, Thaïs jetèrent les premières torches sur le palais ; les autres suivirent cet exemple, et bientôt tout l’emplacement de l’édifice ne fut qu’une immense flamme. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que l’insulte que Xerxès, roi des Perses, avait faite aux Athéniens en brûlant leur citadelle fut ainsi, au bout de tant d’années, vengé au milieu d’une fête, par une simple femme, citoyenne de la même ville d’Athènes.

 

LES SÉPULTURES ROYALES. — Le tombeau de Cyrus était dans l’ancienne cité de Pasargade : il s’élevait au milieu d’un jardin planté d’arbres touffus et arrosé d’eaux vives. Ce tombeau, dont Arrien a laissé une description, était un édifice carré posé sur’ une plate-forme. de pierre, contenant une petite salle où l’on ne pouvait entrer flue par une porte étroite et basse. L’urne d’or contenant les restes de Cyrus était conservée dans cette chambre, qui était décorée de tapis de pourpre ; elle reposait sur une table aux pieds d’or massif couverte de riches tissus babyloniens ; des armes, des bijoux et de superbes vêtements étaient déposés dans la salle. Quand Alexandre voulut visiter ce tombeau, il le trouva dépouillé de ses richesses ; on croit avoir retrouvé récemment cette antique sépulture : elle est conforme aux descriptions des auteurs anciens, mais la chambre sépulcrale est absolument vide.

Des scrupules religieux empêchaient les sectateurs de Zoroastre de souiller la terre ou le feu par le contact d’un cadavre, en sorte que le corps ne pouvait être ni brûlé ni enterré. Cependant, le corps d’un roi ne pouvait être livré en pâture aux bêtes comme cela avait lieu pour les personnes de basse extraction. Aussi, nous voyons que le cercueil d’or qui renfermait les restes de Cyrus était simplement posé sur un lit au milieu de la chambre sépulcrale. Mais l’ensemble du monument était une véritable construction élevée sur le sol. Il y en est tout autrement pour le tombeau de Darius et des rois Achéménides qui se voit à Persépolis. Celui-ci, était adhérent au palais, mais creusé dans le roc à une assez grande hauteur. C’est, dit Diodore de Sicile, un rocher taillé dont l’intérieur renferme plusieurs compartiments où étaient déposés les cercueils. Aucun passage fait de main d’homme n’y donnait accès les corps étaient introduits dans les tombeaux au moyen de machines artificiellement construites.

Un voyageur en Perse, M. Flandin, fait des tombes royales de Persépolis, la description suivante :

Deux tombes avaient été disposées sur la pente de la montagne qui forme l’enceinte du palais à l’est. Elles étaient creusées dans la roche vive ; aucune pièce rapportée ne figurait dams leur façade ornée, de lignes architecturales et de bas-reliefs : c’était le rocher même qui avait été taillé et avait fourni, sans déplacement aucun, tous les matériaux nécessaires à l’édification et à l’ornementation de ces monuments. Aucun escalier n’y conduisait, et il fallait pour atteindre ces tombes escalader les rochers.

Le rocher avait été habilement taillé et ménagé. La façade offre à la base un portique simulé par quatre colonnes engagées ; leurs chapiteaux sont formés de deux corps adossés de taureaux dont les fronts cornus supportent une corniche à denticules (fig. 161). Au-dessus de l’entablement, la façade se rétrécit et, dans un cadre compris entre deux parties saillantes du rocher, se trouve un grand bas-relief dont le sujet parait essentiellement religieux. A la partie supérieure est le mihr ; qui semble présider à un acte du culte du feu, accompli par un personnage dans lequel j’ai cru reconnaître le roi. Ce personnage est debout, monté sur trois degrés. il tient un arc de la main gauche et il étend la droite, en signe de serment ou d’adoration, vers un autel sur lequel est représentée la flamme sacrée (fig. 162). Cette scène semble avoir pour motif la consécration de la foi au culte du feu par le souverain dont la dépouille mortelle a été déposée dans ce caveau. Cette, première partie du bas-relief est placée sur une espèce de table, ornée d’une rangée d’oves et terminée aux deux bouts par le double corps de ce monstre bizarre qui réunit la nature du lion à celle de l’aigle. Quatorze figures sur deux rangs, de physionomies et de costumes différents, paraissent supporter cette espèce d’estrade ; d’autres figures sont placées sur le côté et semblent pleurer.