Une
idée centrale domine la politique alimentaire du Comité de Salut public
depuis la mise en vigueur du troisième maximum : ranimer le commerce que la
taxe et les procédés de violence avaient paralysé, rétablir la circulation
économique sans renoncer cependant à une réglementation que les circonstances
imposaient. Les
Hébertistes avaient considéré les commerçants et les producteurs en général
comme des accapareurs. Ils les avaient terrorisés. Le Comité s'efforce au
contraire de les rassurer et de leur rendre confiance. Le
lendemain de l'arrestation des Hébertistes, le 25 ventôse, la section de
Bonne-Nouvelle, la section d'Hébert, était venue à la barre de la Convention
déclamer avec violence contre les commerçants : « Vous avez détruit
l'aristocratie nobiliaire et sacerdotale, c'est contre l'aristocratie
mercantile et l'égoïsme que doit se tourner votre sollicitude. Les marchands
et les riches, voilà les principaux auteurs de la rareté des subsistances !
Nous sommes en Révolution : adoptez les mesures révolutionnaires que nous
vous proposons : décrétez que les marchands seront exclus de toutes les
fonctions publiques jusqu'à la paix et que tout citoyen qui ne sera pas
marchand ne puisse acheter que chez les détaillants. » Le
lendemain, Robespierre releva vivement à la tribune l'exagération d'une
pétition qu'il considéra comme inspirée par l'intrigue et la perfidie : «
Hébert disait, il y a quelque temps, que tout commerce était un despotisme ;
qu'où il y a un commerce, il ne peut y avoir en même temps de liberté, d'où
il résultait que le commerce était un crime et que par conséquent il était
impossible d'approvisionner Paris et les grandes communes... Si le marchand
est nécessairement un mauvais citoyen, il est évident que personne ne peut
plus vendre ; ainsi cet échange naturel qui fait vivre les membres de la
société est anéanti et par conséquent la société est dissoute. Voilà quel
était le but de nos ennemis ; en détruisant le commerce, ils voulaient
affamer le peuple et le ramener à la servitude par la faim. Les intrigants
voulaient qu'on ne pût ni vendre ni acheter et que la famine s'introduisit
par ce moyen dans la République. » L'incident est caractéristique et
tout à fait révélateur de la politique qu'entendait suivre le Comité et qu'il
s'efforça, en effet, d'appliquer. LE TABLEAU DU MAXIMUM. C'était
pour ranimer le commerce que le Comité avait confié à la Commission des
subsistances la mission de dresser le tableau général des prix de toutes les
denrées à leur lieu d'origine ou de fabrication. Le tableau, dans la pensée
de ses auteurs, devait mettre fin â l'arbitraire des autorités locales. La
taxe laisserait à chacun un juste bénéfice, car dans les prix officiels
seraient obligatoirement incorporées des indemnités spéciales pour les
transports et pour la rémunération du marchand en gros et du marchand
détaillant. En
trois mois et demi, fut menée à bien une vaste enquête conduite avec activité
par le bureau du maximum sous la haute impulsion de Goujon. On interrogea non
seulement les autorités administratives, mais les sociétés populaires et les
fabricants eux-mêmes. La plupart de ceux-ci fournirent les renseignements
demandés. La Commission suppléa au silence des autres à l'aide de factures ou
d'informations puisées aux lieux les plus voisins des centres de fabrication.
Ainsi put être dressé un véritable dictionnaire de toutes les productions de
la France, agricoles et industrielles. Ce tableau ou ce dictionnaire fut
divisé en 4 grandes classes les Aliments, — les Vêtements, — les Métaux et
Combustibles, — enfin l'Épicerie et les Drogueries. En regard de chaque produit,
différentes colonnes indiquaient les prix de 1790 au lieu de fabrication ou
d'origine, puis l'addition du tiers en sus. Les agents nationaux des
districts n'avaient plus qu'à compléter les tableaux en y faisant figurer le
prix du transport qui était fixé proportionnellement à la distance et au
poids, le bénéfice du marchand en gros, c'est-à-dire 5 % sur les chiffres
précédents, enfin le bénéfice du marchand détaillant, c'est-à-dire 10 % du
total. Le prix
du transport des grains avait été fixé uniformément à 5 sous le quintal par
lieue sur les grandes routes et à 6 sous sur les chemins de traverse. Barère
estima que ce taux était trop élevé pour les marchandises ordinaires et il
proposa de le réduire à 4 sous et 4 sous 6 deniers, ce qui finit par être
voté non sans peine. Les prix du transport des céréales furent diminués à 4
sous et demi et 5 sous. La
question s'était posée de savoir si le bénéfice du marchand en gros devait
être calculé sur le seul prix de 1790 augmenté d'un tiers ou sur ce prix
augmenté du prix du transport. Barère fit prévaloir cette dernière
interprétation plus favorable au commerce (séance du 30 ventôse). Barère,
qui présenta à la Convention, le 3 ventôse, les tableaux arrêtés par la
Commission des subsistances, exprimait l'espoir qu'ils feraient disparaître
tous les inconvénients qui avaient frappé de paralysie la loi du 29
septembre. Chaque district, en vertu de cette loi, avait fait son maximum
particulier. Les districts s'étaient isolés. Les détaillants ne pouvaient
plus ni acheter ni vendre. Dorénavant, il n'en serait plus de même. Le
maximum reposerait sur des bases uni- formes, la circulation serait rétablie.
Seuls souffriraient de la réforme les parasites, les intermédiaires qui
disparaîtraient, car il n'y avait pas de place pour eux dans la nouvelle loi.
« L'ouvrage que la Commission des subsistances et des approvisionnements
vient de vous présenter, proclamait Barère, va propager les lumières, mettre
à la portée de tous les citoyens ce qu'un petit nombre connaissait, il va
exciter l'industrie, rapprocher le fabricant du commerçant et de l'homme
industrieux. Le consommateur n'achètera plus des marchandises qui auront
passé par 5 ou 6 mains avares, c'est-à-dire par des éponges absorbantes... Le
secret du commerce va être connu, les opérations de l'industrie vont être
divulguées, les manifestations de toutes les matières mises au jour, tous les
bénéfices modérés, tous les intérêts balancés et tous les vices, tous les
abus, tous les crimes contre la vie du peuple et les besoins de la république
dénoncés et punis. Des naturalistes, des médecins ont fait avec de longs
travaux, des tables de mortalité pour l'espèce humaine ; vous avez fait dans
deux mois des tables de vie pour le peuple. Aucune nation ne possède un
semblable travail. » Nous
examinerons, tout à l'heure, dans quelle mesure l'optimisme de Barère fut
justifié par les faits. Pour l'instant, nous voulons nous borner à faire
connaître la politique gouvernementale. Il n'est pas douteux qu'elle ne
s'inspirât d'un esprit de bienveillance à l'égard des commerçants et qu'elle
ne s'efforçât de résoudre par les voies de la conciliation les difficultés
auxquelles les Hébertistes n'appliquaient comme unique remède que la
contrainte et la répression. LE RENVOI DE GOUJON ET LA RÉFORME DE LA COMMISSION DES
SUBSISTANCES. Dès que
les tableaux du maximum furent terminés, Goujon, qui avait été chargé de leur
exécution, fut relevé de ses fonctions de membre de la Commission des
Subsistances et remplacé par un haut employé de la Commission des
Subsistances militaires, Jouennault. Barère couvrit de fleurs Goujon, mais,
si on songe que celui-ci avait été le véritable auteur du maximum, on peut
être surpris que le Comité se soit privé de ses services juste au moment où
les tableaux qu'il avait dressés allaient entrer en application. Goujon fut
adjoint à la section d'agriculture et des arts, puis nommé ministre par
intérim des Affaires étrangères, avant d'entrer à la Convention comme
suppléant d'Hérault de Séchelles, guillotiné. On
devine la signification de la mutation dont il fut l'objet quand on constate
qu'elle s'accompagna d'une réforme profonde dans l'organisation de la
Commission des Subsistances. Cette Commission dut dédoublée, le 22 pluviôse,
en deux sections distinctes dont l'une s'intitula Section de l'agriculture et
des subsistances dans l'intérieur et l'autre Section du commerce, de
l'industrie et des relations extérieures. Un mois et demi plus tard, quand
les ministères supprimés furent remplacés par 12 Commissions exécutives,
chacune des deux sections créées le 22 pluviôse devint une Commission
spéciale. Il y eut dorénavant une Commission de l'Agriculture et des Arts,
chargée avant tout de stimuler la production agricole et manufacturière et
une Commission du Commerce et des Approvisionnements, chargée de présider au
ravitaillement. Le titre même de cette dernière Commission était déjà un
programme. Les actes suivirent. RÉFORME DE LA LOI SUR L'ACCAPAREMENT. La
réforme de la loi sur l'accaparement laissée en suspens depuis plusieurs mois
aboutissait enfin à un texte qui adoucissait les rigueurs contre les
commerçants. La peine de mort, peine unique prévue par la loi du 26 juillet,
n'était plus maintenue que pour ceux qui soustrairaient à la circulation les
denrées de première nécessité dans des vues contre- révolutionnaires ou qui
les feraient périr volontairement, afin d'en priver le peuple[1]. Toute une échelle de pénalités
variées était instituée, allant de l'amende et de la prison aux travaux
forcés et à la confiscation. Les marchands en gros seuls restaient astreints
à la déclaration et à l'affiche[2]. Les marchands détaillants en
étaient exemptés. Chose plus significative encore, la loi nouvelle supprimait
formellement les Commissaires aux accaparements qui avaient été auparavant la
terreur des commerçants et la cheville ouvrière de toute la taxation. Leurs
fonctions devraient être exercées désormais gratuitement par des officiers
municipaux qui seraient désignés chaque décadi. Il était à prévoir que ces
officiers municipaux ainsi désignés par roulement ne mettraient que peu de
zèle à faire appliquer les lois d'autant plus que la compétence spéciale leur
faisait défaut. Les commerçants durent se sentir à l'aise. SUPPRESSION DE L'ARMÉE RÉVOLUTIONNAIRE. En même
temps le gouvernement rassurait les cultivateurs en faisant supprimer cette
armée révolutionnaire que les Hébertistes avaient fait instituer pour faire
exécuter les réquisitions de grains en faveur de la capitale. Dans un rapport
savamment balancé où le blâme se mêlait constamment à l'éloge, Barère fit
voter cette suppression le 7 germinal. L'armée révolutionnaire, disait-il,
« protégea longtemps les arrivages de subsistances à Paris ; elle a un
instant nui à son approvisionnement par les mêmes motifs ; elle a apaisé
quelques troubles par sa fermeté, elle a excité le fanatisme par quelques
abus »... Mais Barère passait rapidement sur le rôle économique de
l'armée révolutionnaire pour insister surtout sur le danger politique qu'un
tel instrument aux mains d'un conspirateur comme Ronsin aurait pu faire
courir à la liberté. Ces deux mesures prises coup sur coup (7 et 9 germinal),
la suppression des Commissaires aux accaparements et la suppression de
l'armée révolutionnaire, signifiaient clairement que le gouvernement
entendait désormais appliquer la législation économique sans recourir à la
Terreur. LES AUTORISATIONS D'EXPORTATION. En
réalité, c'est à. une sorte de révision de cette législation elle-même que le
gouvernement procède. Barère avait dit, le 14 ventôse, qu'il fallait « guérir
le commerce et non le tuer ». Cette formule résume à merveille l'ensemble des
mesures qui se succèdent. Le 20
ventôse, le même Barère expose à la Convention les inconvénients qui
résultent de l'interdiction d'exporter à l'étranger toutes les denrées
qualifiées de première nécessité. « II est cependant de ces denrées ou
productions qui se trouvent dans une quantité si surabondante que l'an
opérera la ruine des propriétaires, si l'on n'en permet pas l'exportation...
H ne convient pas à une république puissante de s'isoler et de renoncer à
tous ses rapports commerciaux. La Convention nationale doit se regarder comme
chargée du bonheur du inonde et de l'alliance générale entre tous les peuples
: c'est par le commerce, c'est par les échanges des productions territoriales
et de celles des arts et de l'industrie que l'on peut se promettre de réunir
les nations. Appelons nos alliés et les neutres à partager nos productions
surabondantes. » Sur sa proposition, l'Assemblée décida que la Commission des
subsistances, avec l'approbation du Comité de Salut public, pourrait
désormais accorder des autorisations d'exportation. Le
décret ne resta pas lettre morte. Une série d'arrêtés du Comité de Salut
public réorganisa et ranima le commerce d'exportation qui était à peu près
complètement paralysé : arrêté du 23 ventôse ordonnant l'exportation du café,
de l'eau-de-vie, du sucre, du vin en dépôt chez les commerçants des villes
maritimes ; arrêté du même jour autorisant les commerçants de Bordeaux à
exporter aux États-Unis du vin, des eaux-de-vie, des marchandises de luxe
pour une valeur de 4 millions, à charge d'importer 100 000 boisseaux de blé provenant
du même pays ; arrêté du 3 germinal pour exporter dans le Levant les draps du
département de l'Aude par l'intermédiaire de l'agence des approvisionnements
de Marseille ; arrêté du même jour dressant la liste des denrées et marchandises
qui pourront être exportées sans autorisation particulière et de celles dont
l'exportation pourra être permise après approbation de la Commission des
subsistances ; arrêté du 7 germinal levant l'embargo sur les navires
étrangers retenus au port de Bordeaux ; arrêté du 11 germinal créant à
Bordeaux une agence chargée de ranimer et d'organiser l'exportation ; arrêté
du 23 germinal accordant de nouvelles facilités aux négociants exportateurs,
etc. Tous
ces arrêtés répétés n'auraient pas pu être pris, si l'Hébertisme n'avait été
abattu auparavant. Le Comité ne se serait pas risqué à provoquer une
insurrection des faubourgs. Maintenant il accomplit tranquillement sa
retraite économique. Il inaugure une nouvelle politique, comme Lénine le fera
en Russie après l'écrasement de la révolte des marins de Cronstadt. Sans
doute, le Comité de Salut public n'entendait pas revenir au régime de la
liberté illimitée. Il n'aurait pu le faire qu'en proposant la ruine de la
législation qu'il ne renonçait pas à appliquer. Ses arrêtés s'inspiraient du
moins de cette idée nouvelle que l'État ne pouvait tout faire par lui seul,
mais qu'il devait associer à son action la bonne volonté et l'expérience des
commerçants professionnels par une collaboration active et confiante. La
Commission du Commerce et des approvisionnements gardait la haute main sur
tout le commerce d'importation et d'exportation. Tout ce qui entrait en
France par terre ou par mer fut même mis à la disposition de cette Commission
par un arrêté du II prairial, en vertu duquel la Commission put s'emparer des
objets qui étaient à sa convenance, le surplus restant seul à la disposition
des commerçants. Il n'en
est pas moins vrai que le commerçant cessait d'être considéré comme un
ennemi. On s'efforçait de rechercher et d'organiser sa collaboration à
l'œuvre du ravitaillement et de la production. Les commissions et les agences
étaient composées pour une notable part de négociants et beaucoup de ceux-ci
recevaient des missions de confiance. Le gouvernement les associait
directement à son action[3]. SUPPRESSION DES ZONES DE RÉQUISITIONS. Rien
n'avait autant paralysé la circulation des denrées que l'abus des
réquisitions. Pour y mettre un terme, l'arrêté du 27 germinal réserva le
droit de réquisition à la Commission des subsistances et aux seuls
représentants aux armées. L'établissement
de zones de réquisitions constituait autant d'obstacles à la libre
circulation des marchandises. Le Comité de Salut public ne maintint ces zones
que pour les seuls grains et fourrages. Un arrêté du 6 prairial stipula
formellement que les zones n'étaient point applicables « aux étoffes,
marchandises, effets d'habillement, équipement, huiles, vins, eaux-de-vie et
toutes denrées autres que les grains et fourrages ». Les arrêtés des
représentants qui contenaient des dispositions contraires furent annulés. LES PRIMES. L'arrêté
du 27 germinal renfermait déjà un article 24 ainsi conçu : « Le Comité de
Salut public encouragera par des indemnités et des récompenses les fabriques,
l'exploitation des mines, les manufactures, le dessèchement des marais. Il
protégera l'industrie, la confiance entre ceux qui commercent ; il fera des
avances aux négociants patriotes qui offriront des approvisionnements au
maximum. Il donnera des ordres de garantie à ceux qui amèneront des
marchandises à Paris pour que les transports ne soient pas inquiétés ; il
protégera la circulation des rouliers dans l'intérieur et ne souffrira pas
qu'il soit porté atteinte à la bonne foi publique. » Cette
politique d'avances, d'indemnités et de primes qui avait pour but de tempérer
la rigueur de la législation et de stimuler les initiatives privées fut
réellement appliquée. Ainsi,
un arrêté du 27 germinal accorda aux mariniers de la Seine et de ses
affluents qui conduisaient du charbon à Paris, une prime de 15 à 20 francs
par chargement Un autre arrêté du 27 floréal accorda de même une prime de 10
sols par voie aux particuliers qui approvisionnaient Paris de charbon de
bois. LA PROTECTION DU COMMERCE. La
protection que le gouvernement avait promise aux commerçants ne fut pas
illusoire. Un nommé Lelièvre avait proposé, le 20 germinal, à l'Assemblée de
sa section (les Lombards)
de faire subir à tous les marchands un scrutin épuratoire et de ne permettre
d'ouvrir leurs boutiques qu'à ceux qui seraient épurés. Lelièvre fut mis en
arrestation le lendemain par ordre du Comité de Sûreté générale[4]. Les temps de l'Hébertisme
étaient bien passés. Il
suffit de lire les ordres qu'Hanriot donnait journellement à la garde
nationale parisienne pour se rendre compte que la consigne était maintenant
de rassurer tous ceux qui se livraient au négoce. Le 23 germinal, Hanriot
traite d'imposteurs ceux qui répandent la légende que les marchands ne sont
pas en sûreté à Paris. Le 29 germinal, il blâme vertement quelques citoyens
et citoyennes qui ont pillé la veille aux Halles plusieurs marchands de
fromage. « Sûrement, ce ne sont pas des Sans-Culottes qui ont commis ce
délit. Ce sont des traîtres et des ennemis de la chose publique » et il
commande pour faire le service d'ordre, aux Halles, 8 patrouilles de 50
hommes, etc.[5] La
nouvelle Commune, réorganisée après l'exécution d'Hébert et de Chaumette,
appuie de toutes ses forces la politique gouvernementale. Le 9 floréal, elle
prend un arrêté fortement motivé pour avertir les Parisiens qu'aucune loi,
qu'aucun règlement ne leur interdit de faire venir des denrées du dehors à
leur domicile. Elle proclame que ce sont les vexations qui ont causé la
disette factice et elle invite toutes les autorités et tous les citoyens â
protéger la libre circulation des marchandises. Il est
vrai que, le 3 messidor, la Commune dut réglementer de nouveau l'arrivage des
denrées à destination particulière. Celles qui arrivaient dans les halles et
marchés devaient être conduites aux adresses indiquées, mais « dans le cas de
fausses déclarations bien constatées, ces denrées seront confisquées et
vendues, le produit versé dans la caisse établie près la Commune et le délit
dénoncé à l'agent national ». Le même arrêté ordonna l'arrestation de toute
personne qui se permettrait « d'arrêter en route les marchands forains et de
les empêcher de se rendre sur les carreaux affectés aux marchandises qu'ils
apportent ». L'agent
national Payan, un ami de Robespierre, s'efforce de stimuler l'initiative des
commerçants pour assurer le ravitaillement de la capitale. « Vous aurez
éprouvé, citoyens, dit-il à la Commune, le 9 messidor, combien il avait été
dangereux à la liberté, ce système perfide dont le but était de détruire le
commerce en déclamant sans distinction contre tous les citoyens qui s'y
livrent. Les effets funestes à l'approvisionnement de Paris par les
dénonciations d'Hébert, dénonciations toujours vagues, toujours générales et
qui tendaient à faire fermer les boutiques et déserter les marchés, doivent servir
aux citoyens d'utiles leçons et leur rappeler que l'on doit respecter tous
les états, principalement ceux qui s'occupent plus immédiatement de la
subsistance du peuple... Les malveillants voulaient imprimer au commerce un
tel déshonneur que les bons citoyens rougiraient de s'y livrer, que le
commerce fût partout abandonné ou partout suivi par les seuls
contre-révolutionnaires. Ainsi aucun crédit ne fut plus accordé à des
marchands que l'on déshonorait chaque jour à Paris et de là résulta la
pénurie des denrées qui se fit sentir dans cette commune... N'attaquons
jamais les sections particulières de la société, mais frappons
indistinctement dans toutes les classes les mauvais citoyens. » C'était le
désaveu éclatant de la politique de classe des Hébertistes. Comme
Robespierre qui, vers la même date, s'efforçait de réconcilier tous les bons
Français dans le culte de la patrie et de l'Être suprême, Payan ne voulait
plus connaître que des bons et des mauvais citoyens. Le bon citoyen était
celui qui ravitaillait ses frères. Il ne faisait que suivre à la lettre les
instructions de la Commission des subsistances qui lui avait fait cette
recommandation, le 23 germinal « Que tout ce que la loi a laissé de liberté
au commerce et à l'industrie leur soit garanti[6]. » Plusieurs
épiciers de la capitale ayant demandé une autorisation pour se rendre en
Provence et dans les départements du Midi afin d'y acheter de l'huile, la
commission du commerce et des approvisionnements, par la plume de Jouennault,
leur répondit qu'ils n'avaient pas besoin d'aucune autorisation particulière,
car ils étaient sous la protection des lois. Il ajouta que la réquisition
générale qui avait été mise sur les huiles du Midi avait été levée et que sur
les huiles de colza du Nord il n'y avait que des réquisitions partielles. Il
ajouta que les détenteurs ne pouvaient pas refuser de vendre : « L'article 9
du décret du 12 germinal interprétatif de la loi du 26 juillet dernier sur
les accaparements prononce confiscation de toute la marchandise de l'espèce
qu'on aura refusé de vendre. Dans le cas où on opposerait le prétexte d'une
réquisition, il sera facile de vérifier si elle est légale... Les
observations que nous présentons ici ne s'appliquent pas aux huiles seules,
elles s'étendent à toute autre espèce de denrée ; la circulation intérieure
ne peut être arrêtée. » Cette lettre parut si importante à la municipalité de
Paris qu'elle la fit afficher sur les murs en y joignant ce commentaire : « Ils
seraient bien coupables les négociants et marchands qui ne sortiraient pas de
leur inertie et ne se livreraient pas avec beaucoup de zèle à leurs
opérations ordinaires. Il faut que le commerce, dégagé de toutes ses
entraves, reprenne enfin toute son activité et qu'il ramène incessamment
l'abondance dans cette vaste cité[7]. » ADOUCISSEMENT DE LA RÈPRESSION, Il
était difficile de protéger à la fois les vendeurs et les consommateurs sans
sacrifier les uns aux autres... C'était pourtant le problème que le Comité de
Salut public s'efforçait de résoudre. Il se flattait de faire exécuter les
réquisitions et les taxes, tout en contentant les commerçants dont la loi
réduisait les bénéfices. Depuis
que le mot d'ordre était de ranimer le commerce et d'encourager les
cultivateurs, il était fatal que la justice répressive fût émoussée. Et, en
effet, il semble bien que l'indulgence ait été recommandée aux magistrats. Le
8 floréal, Oudot, au nom du Comité de législation, fit casser par la
Convention un jugement du tribunal correctionnel de Pont-de-l'Arche qui avait
condamné à 1.000 livres d'amende et à la confiscation de leurs voitures,
chevaux et harnais, trois voituriers qui avaient conduit des cuirs et des
eaux-de-vie sans se munir d'un acquit à caution. L'acquit à caution, d'après
lui, n'était exigible que pour les grains et farines. « Ceux qui se
permettent de donner aux lois une extension qu'elles n'ont pas, sont bien
coupables ; ils tournent contre le peuple les mesures salutaires que vous
prenez pour le garantir de la pénurie factice que les malveillants veulent
occasionner ; ils entravent la circulation, ils jettent l’épouvante et le
découragement chez les négociants, ils propagent les embarras, les
inquiétudes et la désolation. » Le 29
messidor encore, le député Roux, au nom du Comité d'agriculture, faisait
casser le jugement par lequel le juge de paix de Canapville avait ordonné une
confiscation de farine, de voitures et de chevaux pour cette raison que le
voiturier n'avait pas un acquit à caution en règle. Le juge de paix n'avait
fait pourtant qu'appliquer à la rigueur et dans sa lettre la loi du 11
septembre sur le maximum des grains. Mais la Convention ne voulait pins de
rigueur. Déjà
Couthon avait fait remettre en liberté une dizaine de cultivateurs du
Puy-de-Dôme qui avaient été arrêtés pour résistance aux réquisitions (séance du 22
floréal à la Convention). ATTÉNUATION DU MAXIMUM. L'hébertisme
avait prétendu que la terreur était nécessaire à l'application de la
législation exceptionnelle imposée par les circonstances. Les
gouvernants répudient ce moyen brutal et grossier. Mais
par une nécessité inéluctable, ils sont amenés à modifier en fait la
législation. Déjà le système de primes et d'indemnités qu'ils avaient
institué en germinal était une violation indirecte du maximum. La façon dont
les tableaux du maximum furent dressés à Paris aboutissait à une nouvelle atténuation
de la loi. L'agent
national. provisoire près le département de Paris, Concedieu, chargé de leur
confection, expliqua qu'il avait calculé les prix du transport des
marchandises sur le poids brut (emballage compris) et il en donna cette
raison : « Il fallait exciter l'importation dans Paris dont la
population est considérable. » Autrement dit, il avouait que, par cet
artifice, il avait donné une prime indirecte aux commerçants. Ainsi les prix
du nouveau maximum étaient-ils plus élevés que ceux de l'ancien[8]. Il
serait bien extraordinaire que l'augmentation des prix qu'on constate dans le
nouveau maximum à Paris ait été particulière à la capitale. Il est probable
que les autres villes, pour faciliter leur approvisionnement, s'ingénièrent-elles
aussi à améliorer la législation en faveur du commerce. Je vois, dans la
correspondance du bureau du maximum[9], que l'agent national de
Dun-sur-Loire avait calculé le bénéfice du détaillant (10 %) non pas sur le seul prix de la
marchandise tel qu'il ressortait des bases du tableau général, mais en
ajoutant à ce prix le bénéfice du marchand en gros. Le bureau du maximum qui
vérifiait tous les tableaux des districts l'obligea à rectifier son erreur[10]. Je vois
que le représentant Crassous signale au Comité de Salut public, le 10
prairial, au cours de sa mission en Seine-et-Oise, que les tableaux du
maximum présentent sur les mêmes articles, clans des districts voisins, des
différences anormales qui proviennent de ce que certains districts ont évalué
trop haut les prix de 1790. L'exécution
des taxes, à une époque de disette, de guerre civile et de papier déprécié,
était naturellement une entreprise d'une difficulté énorme. Le même Crassous
signale que dans les campagnes, faute de police, il n'est pas possible de connaître
et de réprimer les contraventions (Lettre du 13 floréal). Mais le
maximum avait été surtout établi dans l'intérêt des villes. Ici la police
existait. La Commission des subsistances recommandait à l'agent national de
la Commune de Paris, le 23 germinal, d'envoyer dans les environs de Paris des
agents secrets pour découvrir les fraudes et les réprimer. Mais la police ne
pouvait avoir l'œil partout. Le 1er messidor, des membres de la Commune
dénoncèrent les nombreuses infractions dont la taxe était l'objet. L'agent
national Payan reconnut la vérité des faits et il ne vit pas d'autre remède
que d'inviter les citoyens à dénoncer eux-mêmes les fraudeurs aux
commissaires de police de leurs sections[11]. Remède logique, mais
illusoire. Logique, car c'était aux consommateurs lésés â faire respecter la
loi faite à leur profit. Illusoire, car les consommateurs avaient intérêt à
tolérer les fraudes qui leur profitaient, puisqu'elles étaient souvent le
seul moyen qu'ils avaient de s'approvisionner. L'agent
national de Poitiers, Fradin, disait très justement : « Il faudrait
autant de commissaires que de vendeurs et d'acheteurs pour réprimer les
fraudes » (9 pluviôse)[12]. Le
représentant Mallarmé s'indignait, le 8 germinal, que le maximum ne fût pas
exécuté à Thionville ; le représentant Michaud, le 28 germinal, qu'il fût mal
exécuté à Bourges. La municipalité de Besançon, plus rigoureuse que la
municipalité parisienne, ne voyait pas d'autre moyen de faire respecter les
taxes que d'interdire absolument toute vente à domicile (19 germinal an
II). Un peu plus
tard, elle supprimait les revendeurs au marché (3 messidor). Là où
les municipalités étaient jacobines, a bien vu M. Georges Lefebvre, un effort
considérable fut fait pour l'exécution des taxes[13]. Le rôle des sociétés
populaires fut particulièrement efficace. Ce sont elles qui dénoncent les
infractions et qui mettent en marche l'appareil de répression[14]. Ainsi le club de Bourbourg
nomme, le 2 messidor, 13 commissaires pour surveiller les accapareurs dans
les campagnes. Mais, dans cette région du Nord, où les clubs étaient nombreux
et énergiques, les autorités s'efforcèrent d'atténuer la rigueur du maximum
comme à Paris. Dans le district de Bergues, le maximum élaboré en germinal an
II édictait des prix ordinairement très supérieurs à ceux du premier... La
viande était portée de 11 sous à 14 sous, 15 sous 6 deniers et 17 sous, le
lard de 12 sous 6 deniers à 19 sous 3 deniers et 1 livre 3 deniers[15]. Certains
représentants, comme Bô, ne restaient pas inactifs devant les fraudes. Bô
faisait arrêter « deux scélérats, disait-il, qui avaient vendu 200
livres deux quintaux de blé » et il les traduisait au tribunal criminel (lettre du 2
prairial datée de Gaillac). Mais il
est significatif qu'il ne soit plus question pour ainsi dire du maximum dans
la correspondance des représentants avec le Comité de Salut public à partir
de l'exécution des Hébertistes. C'est que la tâche du ravitaillement et de la
production passait alors au premier plan des préoccupations. Les taxes
devenaient l'accessoire. Pour
stimuler la production, surtout celle des usines de guerre, le Comité de
Salut public était obligé d'enfreindre lui-même le maximum dans certains cas.
Le 2 floréal, il exclut du maximum les étoffes de luxe, afin de stimuler leur
fabrication en vue de l'exportation. Le 23 prairial, il autorisait la Commission
des armes à payer les canons fabriqués à Indret à 35 livres le quintal,
c'est-à-dire au-dessus de la taxe. Le 10 messidor, il décidait que la vente
de la quincaillerie à Saint-Étienne se ferait de gré à gré, sans égard au
maximum. Le même jour, il suspendait pour une durée de deux mois le maximum
en faveur des fabricants d'armes de Saint-Étienne. Les
infractions d'espèce ne tiraient pas autrement à conséquence, car elles se
bornaient à un marché sur lequel le Comité gardait la haute main, le marché
des fournitures de guerre. LE CONTRÔLE DE LA PRODUCTION ET DU COMMERCE. Par la
force des choses et en dépit de lui-même, le Comité avait été de plus en plus
entraîné à contrôler toute la production nationale. Il ne réquisitionnait pas
seulement les denrées alimentaires céréales, avoines, fourrages. Il était
devenu pratiquement le seul exportateur et le seul importateur. L'arrêté du
11 prairial avait mis, en effet, à la disposition de la Commission du
Commerce toutes les denrées, matières et marchandises importées par terre et
par mer. Quand les cargaisons appartenaient à des commerçants, la Commission réquisitionnait
ce qui était à sa convenance et ne laissait aux propriétaires que le surplus.
Quand les marchandises importées appartenaient à des étrangers, la Commission
avait sur elles un droit de préemption. Pratiquement le commerce libre ne
pouvait s'approvisionner à l'étranger qu'en traitant d'abord avec l'État
représenté à Paris par la Commission du commerce et dans les ports par des
agences particulières. De même, le commerce libre ne pouvait exporter la
plupart du temps que sous l'autorisation de la Commission. La
tâche principale de la Commission était de plus en plus une besogne de
répartition. Elle disposait déjà de toutes les céréales. Le Comité mit à sa
disposition, par l'arrêté du 22 germinal, la huitième partie des cochons
existant en France. Le 30 germinal, elle fut chargée du soin d'approvisionner
Paris, comme une place de guerre. L'administration municipale fut dessaisie.
Les bandes de cochons réquisitionnées par la Commission furent logées dans le
couvent de Longchamp et dans le château de Vincennes. La capitale était de
même approvisionnée par voie administrative en bois de chauffage, charbon,
savon, huile, sucre. Le système s'étendit peu à peu à toutes les grandes
villes dont les municipalités créèrent de véritables offices de
ravitaillement alimentés d'ordinaire par les cessions de la Concession
centrale. Quand
on est maitre des produits, on les vend au prix qu'on désire. Le maximum
était d'une application aisée pour toutes les denrées et marchandises
réquisitionnées, c'est- à-dire pour toutes celles qui étaient réellement de
première nécessité et qui servaient à satisfaire les besoins indispensables
des villes et des armées. La taxe ne pouvait plus être violée que dans les
ventes de gré à gré et clandestines et ces ventes n'intéressaient pas
d'ordinaire les produits de grande consommation. On
s'explique ainsi que le problème du maximum dans les préoccupations
gouvernementales ait cédé la place à d'autres problèmes plus essentiels tels
que la productions la réquisition et la répartition. LES RÉSISTANCES. Les
réquisitions les plus difficiles à effectuer étaient toujours les
réquisitions de céréales. Depuis que la loi avait mis à fa disposition de
l'État tout le stock disponible, depuis que la réserve familiale avait été
abolie, on pouvait prendre au cultivateur jusqu'au nécessaire. On l'obligeait
encore à d'interminables charrois. On lui avait déjà enlevé ses fils pour les
armées. On comprend qu'il ait manifesté sa mauvaise humeur et qu'il se soit
essayé à la résistance. Bô, en
mission dans le Lot, écrit au Comité, le 11 germinal, qu'une émeute a éclaté
à l'occasion des subsistances dans un canton du département et qu'il a été, à
cette occasion, l'objet d'une sorte de tentative d'assassinat. Le 14
germinal, le Comité de Salut public est obligé de destituer les
administrateurs du district de Tonnerre pour leur négligence à exécuter les
réquisitions. Il prescrit au représentant Maure de traduire les plus
coupables au tribunal révolutionnaire. Le 29
floréal, Romme dénonçait au Comité les autorités de la Vienne pour leur
mauvaise volonté. Le 1 et
prairial, le Comité de Salut public ordonnait plusieurs arrestations dans le
district de Montfort-le-Brutus qui avait résisté aux réquisitions de grains. Mais, à
ces quelques faits se borne à peu près tout ce que nous apprend la
correspondance du Comité et des représentants en mission sur les difficultés
opposées à l'exécution des lois. C'est fort peu de chose et on a l'impression
que dans l'ensemble la situation s'était grandement améliorée. Les
populations se soumettaient. Il arrivait même que leur soumission se montrât
empressée. Ainsi, Romme, dans sa lettre du 30 floréal, félicitait les
habitants du district de Périgueux qui avaient ravitaillé promptement les
districts voisins en se privant du nécessaire. Ainsi, les patriotes de Pau
envoyaient spontanément à Paris tous les jambons et salaisons qu'ils
possédaient (séance de la Convention du 18 prairial). Payan, qui commentait
ce beau geste après le maire Lescot-Fleuriot, en concluait triomphalement que
le fédéralisme des subsistances avait vécu. LES RÉSULTATS. Payan
voyait les choses en beau avec l'âme optimiste du fonctionnaire. Les
réquisitions et les taxes étaient subies plutôt que consenties. L'égoïsme gardait
ses droits. Mais, tant bien que mal, la loi s'appliquait, l'ordre régnait. Le
gouvernement révolutionnaire, qui n'avait jamais cru que la législation
exceptionnelle qu'on lui avait imposée fût une panacée, n'en demandait pas
davantage. Si la
soudure fut difficile, si dans certaines régions on souffrait parfois de la
disette, la chose était exceptionnelle et ne durait jamais que quelques
jours. En somme, il y avait moins de misère qu'à l'époque antérieure. Il
suffit, pour s'en convaincre, de consulter la correspondance des
représentants en mission entre le 1 er germinal et le 9 thermidor. Le
témoignage le plus pessimiste qu'elle renferme est une lettre du représentant
Ysabeau qui écrit au Comité, le 24 floréal, après une tournée dans le district
de Bourg (Gironde) : « Je n'ai vu partout
que des squelettes exténués par la faim, des hommes enflés par les herbes
bouillies dont ils font leur seule nourriture. Cependant la culture des
légumes farineux a été tellement stimulée depuis notre arrivée ici que les
campagnes y trouveront dans peu de grandes ressources. » Ce témoignage est
tout à fait isolé et il faut observer qu'Ysabeau, en le formulant,
sollicitait des secours du Comité et qu'il avait par conséquent intérêt à
noircir le tableau. Dans le
département voisin, le représentant Bô ne représentait pas les choses sous la
même couleur. Il écrivait, de Gaillac, le 2 prairial « La misère n'est pas si
réelle qu'on le dit ; elle n'est véritable que pour le manouvrier ; le riche
cultivateur ne manque de rien ; encore quelques jours et le peuple cessera de
souffrir et les campagnes iront bien. » 11 y eut des souffrances, c'est
certain, mais souffrances imputables à la guerre et au blocus, souffrances
qui auraient peut-être été plus graves encore sans la réglementation. Ce
n'était pas le campagnard du reste qui souffrait le plus. Bien au contraire I
Isoré caractérisait très bien la situation quand il écrivait, le 3 floréal
L'habitant de la campagne sent son aisance et il en profite. Avant la
Révolution, il apportait dans les villes ce que sa misère le contraignait de vendre
pour payer ses charges seigneuriales et ses impôts ; mais aujourd'hui, c'est
le contraire. L'habitant de la campagne vit en bon artisan et il ne porte
dans les marchés que son superflu. » Le
paysan maugréait contre les réquisitions qui lui enlevaient la disposition de
ses denrées, contre le maximum qui réduisait ses bénéfices, contre les
charrois qui lui prenaient son temps et ses attelages, mais en somme il
obéissait, car il supputait intérieurement le profit immense qu'il avait retiré
du changement de régime et il ne voulait pas le compromettre en favorisant la
victoire de l'ennemi et le retour de ses oppresseurs. Le
Comité de Salut public avait lieu d'être satisfait des résultats obtenus.
Maintenant que les factions étaient écrasées, que le péril extérieur
s'effaçait devant les victoires, s'il avait cru la législation nuisible, il
aurait pu prendre l'initiative d'y renoncer. Cette législation, il l'avait
subie. Maintenant il ne songe qu'à l'appliquer et à la perfectionner. Jusque-là
les recensements et les réquisitions s'étaient succédé un peu au hasard,
selon les besoins momentanés. Ils
avaient fait l'objet de mesures de détail plus ou moins ordonnées, gardant
l'apparence de mesures exceptionnelles. A la
veille de la récolte de 1794, le gouvernement décida de procéder d'une façon
plus franche et plus méthodique. En son nom, le député Eschassériaux, organe
des deux Comités de Salut public et d'agriculture, fit voter, le 8 messidor,
un décret qui ordonnait le recensement et la réquisition en bloc de tous les
grains de toute nature et de tous les fourrages de la récolte. Le décret
stipulait la déclaration obligatoire sur un registre déposé dans chaque
commune. Les déclarations, qui devaient contenir le produit total de la
récolte sans aucune déduction pour semences ou pour consommation familiale,
seraient lues publiquement avant la clôture du registre dans une assemblée
générale des citoyens de la commune. Les fraudes étaient punies par la
confiscation prononcée par le juge de paix du canton. Le décret fut voté à
l'unanimité. Merlin de Douai fit seulement observer que les dispositions
nouvelles cadraient mal avec la loi antérieure du 11 septembre 1793. La loi
ancienne n'avait pas prévu, en effet, de réquisition générale. Elle visait
avant tout à garnir les marchés. Elle ne supprimait pas le commerce libre des
céréales. Maintenant cette loi était bien dépassée, puisque la récolte était
en bloc mise à la disposition du gouvernement avant même qu'elle ne fût
moissonnée. Les observations de Merlin furent renvoyées purement et
simplement à l'examen du gouvernement. Le
décret du 8 messidor était un grand pas vers le communisme des subsistances. Que serait-il advenu de cette législation, si la catastrophe du 9 thermidor ne s'était pas produite ? Il est encore trop tôt pour le rechercher, mais nous pouvons affirmer dès maintenant que rien ne permet de croire que le gouvernement cherchait à ruiner la législation quand Robespierre est tombé. Le seul point noir qui le préoccupait alors était l'application du maximum des salaires. |
[1]
Rapport d'Oudot du 9 ventôse et discussion du 9 germinal.
[2]
Décret du 12 germinal.
[3]
Voir dans mon livre Autour de Danton, le chapitre consacré au banquier
Perregaux.
[4]
TUETEY, Répertoire,
t. XI, n° 1005.
[5]
TUETEY, Répertoire,
t. XI, n" 1110, 1153, etc.
[6]
Dauban, p. 341.
[7]
Affiche in-folio intitulée : Municipalité de Paris, Département de
Subsistances et du commerce, 6 prairial an IL Signée Louvet, Champeaux et
Dumez. Bibi. nat. Lb-40 3264.
[8]
Voir l'Instruction aux habitants de Paris sur l'exécution de la loi du
maximum par l'agent national provisoire près le département de Paris.
Bibliothèque nationale, Lb-41 3777 A., in-4°.
[9]
Archives nationales, F-12 183.
[10]
Lettre du bureau en date du 13 thermidor an II.
[11]
DAUBAN, p. 341.
[12]
F. PILOD, L'application
du maximum dans la Vienne, p. 25.
[13]
Bulletin d'histoire économique, 1913, p. 427 et suiv.
[14]
LEFEBVRE, La
société populaire de Bourbourg, dans la Revue du Nord, 1918.
[15]
Communication de M. G. LEFEBVRE
dans le Bulletin d'histoire économique de 1913, p. 425.