LA VIE CHÈRE ET LE MOUVEMENT SOCIAL SOUS LA TERREUR

DEUXIÈME PARTIE. — LES ENRAGÉS ET LA VIE CHÈRE

 

CHAPITRE PREMIER. — LES ENRAGÉS ET LA LUTTE POUR LE MAXIMUM

[Janvier-février 1793).

 

 

Roland et ses amis, les girondins, s’étaient flattés que la suppression de la réglementation et le retour à la liberté illimitée du commerce feraient disparaître la disette, les inquiétudes, les attroupements, et que le prix du blé, par la force des lois naturelles, ne tarderait pas à baisser. L’événement fut loin de justifier cet optimisme. Dans le rapport même où il tressait des couronnes à sa propre administration, le 9 janvier 1793, Roland était obligé de faire cette pénible constatation : « Il y a des marchés où le blé se vend jusqu’à 98 livres le setier de 240 livres poids de marc ; tandis que dans d’autres la même mesure ne se paye que 27 et 28 livres ; mais il faut espérer que la loi bienfaisante du 8 décembre fera bientôt disparaître cette inégalité désastreuse qui fait la ruine de plusieurs départements. »

Trois jours Auparavant le Montagnard Duroy avait constaté l’échec complet de sa politique économique. « Le prix des denrées n’a point diminué. Malheureusement au contraire, il ne fait qu’augmenter et le décret que vous avez rendu n’a pas produit l’effet que vous en attendiez. Le blé qui est extrêmement cher chez moi n’y valait que 30 livres, il vaut actuellement 30 livres... »

 

LA HAUSSE DES PRIX ET DES SALAIRES.

L’inégalité désastreuse et ruineuse, que signalait le ministre, ne s’atténua pas, au contraire ! Elle s’aggrava chaque jour un peu plus. La guerre s’étendait. Après la mort du roi, l’Espagne, l’Angleterre, la Hollande se joignaient à la coalition. La mer désormais était bloquée. Les ravitaillements se faisaient plus difficiles. La guerre absorbait des sommes plus considérables. Les émissions d’assignats se succèdent et chaque émission pèse d’un poids plus lourd sur le cours du papier-monnaie qui perd maintenant, en février 1793 50 % en moyenne, à l’intérieur. Toute nouvelle baisse de l’assignat entraîne une nouvelle hausse des denrées, une nouvelle crise des salaires. En vain interdit-on, le 3 septembre 1792, toute frappe nouvelle de médailles de confiance, en vain retire-ton de la circulation, le 8 novembre, tous les billets de confiance, ces mesures de détail ne diminuent pas sensiblement la quantité du papier-monnaie qui circule, car les nouvelles émissions d’assignats dépassent immensément la valeur des médailles et billets de confiance qu’on a fait rentrer. Aussi les prix des denrées continuent-ils de s’élever avec une régularité effrayante. Dans la Corrèze, la Haute-Vienne et la Creuse, le pain noir vaut de 7 ù 8 sols la livre, et le député Chambon, qui porte ce fait à la tribune, le 2o février, ajoute : « La classe indigente dans ces départements malheureux ne gagne que 9 ou 10 sols par jour », c’est-à-dire que son salaire lui permettait tout juste d’acheter une livre de pain !

Là était la racine du mal : cette disproportion entre les salaires et le prix des denrées. Si les salaires avaient suivi régulièrement la hausse des prix, il n’y aurait pas eu de crise. Tout se serait arrangé conformément aux dogmes du libéralisme économique. Mais les salariés de cette époque, à qui la loi Chapelier, votée par la Constituante, interdisait le droit d’association et le droit de grève, étaient incapables de faire, par leurs seules forces, une pression suffisante sur leurs employeurs pour les obliger à relever leurs salaires.

Si on veuf avoir une idée de la faiblesse de la classe ouvrière d’alors, de son impuissance à s’organiser et à résister par elle-même, il faut lire l’émouvante adresse que les administrateurs de la Haute-Marne envoient aux patrons de leur département, le 31 mai 1793 : « Nous vous devons la vérité tout entière ; une augmentation progressive sur toutes les denrées de première nécessité a triplé les besoins des ouvriers employés dans les différents genres de manufactures et leurs salaires sont restés au même taux, ou bien ils n’ont été élevés que dans une proportion insuffisante... Fabricants et manufacturiers..., écoutez le cri impérieux de toute la nature qui vous demande la subsistance pour vos ouvriers, pour leurs nombreuses familles... Convenez d’une augmentation de salaire qui puisse suffire aux besoins actuels de vos ouvriers ; proscrivez cet Usage barbare de payer la main-d’œuvre avec des marchandises qu’ils sont obligés de revendre, parce qu’il vaudrait autant leur arracher le morceau de pain qu’ils arrosent de leurs larmes[1]. »

Comme on le voit, par ce document d’une sincérité évidente, les ouvriers Sont obligés de mendier l’appui des pouvoirs publics pour exercer indirectement sur leurs employeurs la pression dont leur Faiblesse les rend incapables. C’est donc sur le terrain politique, en se servant du droit de pétition, en faisant agir leurs élus, qu’ils vont essayer de combler la différence entre les salaires qui restent stationnaires et les denrées qui triplent de prix. Depuis des siècles les pouvoirs anciens intervenaient, par leurs réglementations et par leurs taxes, en faveur des classes malheureuses ; pourquoi les pouvoirs nouveaux n’en feraient-ils pas autant ? Le peuple pouvait-il perdre à la Dévolution qu’il avait faite ? C’est sous cette forme pressante et simple que se posa le problème.

Quand Roland et les girondins disaient que le problème devait se résoudre tout seul, par le simple jeu des lois économiques, non seulement ils ne tenaient pas compte du Sentiment populaire, mais ils oubliaient que s’il y avait une crise économique, les pouvoirs publiés, les pouvoirs révolutionnaires en étaient largement responsables, puisque enfin la monnaie fiduciaire, la monnaie fluctuante, d’où venait tout lé mal, était une création de la Révolution. C’était logiquement à la Dévolution à panser les blessures que la Dévolution avait laites ! Puis Roland et les girondins oubliaient qu’on temps de guerre, les phénomènes économiques ne se déroulent pas comme en temps normal. Les frontières sont fermées, une bonne partie de la population est aux armées, cela trouble aussi les lois naturelles.

M. Jaurès a bien montré que la Révolution ne disposait ni de l’espace ni du temps qui lui auraient été nécessaires pour résoudre la crise par le laisser-aller, par la liberté : « Par la guerre à peu près universelle, dit-il, et surtout par l’énorme discrédit des assignats au dehors, il lui devenait de plus en plus impossible d’acheter sur le marché étranger et la France était économiquement sur le point d’être une nation assiégée. Dès lors, les matières et les denrées, limitées à ce que produisait le pays lui-même, pouvaient aisément être accaparées. Cela était d’autant plus facile qu’au moment où la matière achetable était circonscrite, les moyens d’achat, dont disposaient les classes riches, étaient multipliés et même surabondants. L’énorme quantité d’assignats émis en remboursement de la dette, des offices de tout ordre, s’ajoutant au numéraire de la veille, mettait aux mains de la bourgeoisie capitaliste une puissance d’achat immédiate, exigeante, avide »[2].

 

LE MOUVEMENT POPULAIRE CONTRE LA LIBERTÉ ÉCONOMIQUE.

C’est parce qu’il sentait le poids écrasant, dont pesait sur lui la masse des assignats aux mains de ses employeurs, que le prolétariat des villes et des champs n’accepta pas la loi du 8 décembre sur la liberté du commerce, mais engagea contre elle une lutte ardente et immédiate. Les Tourangeaux s'entêtent. Le 17 décembre, une semaine après la suppression de la réglementation, ils reparaissent à la Convention et réclament de nouveau un décret qui fixe le maximum de tous les comestibles dans toute la République. Le district de Chaumont, de son côté, refuse de tenir compte de la nouvelle loi. Il continue à adresser aux communes, pour garnir ses marchés, des réquisitions qu’il appelle maintenant des invitations. Mais, comme auparavant, il appuie ces invitations parle déploiement de la gendarmerie[3]. Les nouveaux administrateurs de la Haute-Marne approuvent maintenant la conduite du district. Ils s’efforcent même de la justifier en droit par un argument sophistique : « Aucune loi, disent-ils, ne défend aux corps administratifs de faire approvisionner les marchés[4]. » Sans doute, mais aucune loi ne l’autorise plus. Ils vont jusqu’à dire qu’il n’y a aucune différence entre l’accapareur qui achète pour spéculer et le propriétaire qui refuse de vendre son superflu, dans l’attente delà hausse. Ils autorisent expressément la continuation du système des réquisitions. On peut dire que, dans la Haute-Marne, la loi du 8 décembre resta lettre morte et que la réglementation du mois de septembre fonctionna après comme auparavant. Il serait étonnant que cet exemple ait été isolé !

A Paris, l’agitation recommence en janvier. Le 13 janvier, les 48 sections et la Commune viennent demander à la Convention le cours forcé de l’assignat et le rapport du décret du 17 mai 1791, par lequel la Constituante avait permis la vente ou l’échange des assignats contre la monnaie d’or ou d’argent. Ce décret, qui autorisait le commerce de l’argent, disaient les pétitionnaires, diminuait les ressources de l’ouvrier et le réduisait au désespoir : « Un écu peut-il valoir 6 livres comme numéraire et 9 livres comme effet commerçable ? » La monnaie était « le signe commun que le souverain a adopté pour représenter la valeur des marchandises. » Il ne devait donc pas y avoir deux monnaies concurrentes à des prix différents. II fallait détruire l’agiotage en décrétant que le trafic des monnaies était un trafic infâme. Pour saisir toute la portée du raisonnement, il n’y a qu’à se demander ce qu’il adviendrait aujourd’hui, si le billet de banque n’avait pas cours forcé, si sa valeur variait de jour en jour par rapport aux espèces monnayées. « Si vous ne rapportez pas votre décret, concluaient les pétitionnaires du 13 janvier, la République périra, mais vous seuls périrez déshonorés. » Cette menace fut accueillie par des murmures et la pétition enterrée par un renvoi aux comités des finances et du commerce. La solution que préconisaient les sections de Paris avait le mérite de s’attaquer à la cause profonde du renchérissement, mais l’heure n’était pas encore venue de l’imposer à une Assemblée acquise en grande majorité au libéralisme économique.

Chaque jour cependant mûrissait les nouvelles idées. La mort du roi, qui ébranla si profondément les consciences, fut pour les Sans-Culottes un signal d’espérances. « Après le 10 août, il y eut comme une haute vague de revendications sociales, avec le procès du roi ; en voici une seconde, plus haute et plus large[5]. » Par un choc en retour inévitable, la mort de Louis XVI frappa les girondins dont beaucoup n’avaient pu se résigner à la voter. Dès lors les montagnards eurent contre eux un argument terrible : ils avaient voulu sauver le tyran ! Roland quitta le ministère de l’intérieur le 23 janvier et il y fut remplacé par le prudent Carat, très soucieux de ne pas se compromettre et toujours prêt à se ranger du côté du plus fort. La résistance des classes capitalistes faiblissait juste au moment où les sans-culottes, rendus plus exigeants, redoublaient leurs efforts. Depuis le 21 janvier, l’accent de leurs pétitions se fait plus ferme et plus hardi, presque comminatoire. Les montagnards eux-mêmes sont mis en cause. Les sans-culottes n’ont pas oublié que ceux-ci ont reculé, au mois de novembre, devant la taxation et qu’ils ont mis quelque mollesse à défendre la réglementation elle-même. Ils ne sont pas loin de, leur imputer leur échec et ils ne cachent plus leur mécontentement. Ainsi, le 27 janvier, une députation de 38 communes du district de Vernon, dans l’Eure, dénonce en termes énergiques l’erreur de la loi du 8 décembre : « Vous avez abrogé la loi du 16 septembre et cette loi était la seule barrière que la raison humaine put opposer [au démon de l’agiotage] ; elle assurait les subsistances locales et, depuis son anéantissement, elles ont disparu de nos cantons... Le peuple désespéré nous demande le pain qu’il a arrose' de ses sueurs, que Pouvons-nous faire pour lui ? Vous nous avez ôté les moyens de le secourir... Les plaintes et les murmures annoncent le plus terrible orage. Législateurs, la disette de l’année 1789 fut une des principales causes de la Révolution ; craignez qu’un pareil fléau n’amène sa prompte destruction ». Les reproches, et les menaces ne touchèrent pas la Convention, qui lit un mauvais accueil aux pétitionnaires.

Paris, quelques jours plus tard, s’ébranlait de nouveau. Les boulangers avaient annoncé à leur clientèle un prochain renchérissement du pain qui était resté fixé, jusque-là à 3 sous la livre, bien meilleur marché que dans tout le reste de la France, et cela grâce aux sacrifices de 12.000 livres par jour que consentait la municipalité. Mais les fonds de réserve sur lesquels cette perte était supportée touchaient à leur épuisement. La municipalité aurait voulu relever le prix du pain, de manière à réduire l’étendue de ses sacrifices. Dans un Avis au peuple, qu’elle avait fait afficher[6], elle lui disait qu’il était impossible de continuer les sacrifices sans ruiner complètement les finances municipales, et, faisant sienne la doctrine de l’économie libérale, elle ajoutait : « Il n’est qu’un moyen pour ramener l’abondance daim Paris, c’est de payer la farine ce qu’elle vaut, ce que nos frères des départements la payent ! » Une. vive effervescence se manifesta aussitôt. Il y eut des rassemblement' menaçants autour des boutiques des boulangers.. Les sections protestèrent en masse à l’hôtel de ville. Le Conseil général de la Commune, distinct de la municipalité qui était l’organe exécutif, désavoua la proclamation de celle-ci et décida, le 4 février, que le prix du pain serait maintenu au taux ancien, au. moyen d’un impôt spécial de 4 millions, sur les riches, dont on demanderait l’avance à la Convention.

Cette décision était évidemment une victoire des sections. Elles ne. l'avaient même pas attendue pour agir sur la Convention, car, dès la veille, 3 février, elles s’étaient présentées à la barre de, l’Assemblée,, sous la conduite du maire, et elles avaient évoqué, une fois encore, comme le 13 janvier, tout le problème de l’assignat qui était au fond du problème des subsistances :

Citoyens, nous venons encore une fois réveiller votre attention sur le décret de l’Assemblée Constituante qui déclare l’argent monnayé marchandise. Cette mesure anti-civique, qui enfanta l’agiotage et la friponnerie, entrait parfaitement dans les calculs des ennemis de la chose publique. Ce décret est le principal moteur des machinations que les liberticides emploient pour renverser l’édifice sacré de nos droits... Le commerce des assignats avec l’argent, dont l’intérêt devient toujours plus fort, est destructeur des principes de la République et affaiblit par conséquent la confiance des citoyens ; aussi voyons-nous avec douleur que ce papier monnayé, quoique ayant une hypothèque certaine sur les biens nationaux, sera bientôt réduit à un état de nullité par le décroissement qu’il prend dans l’échange... C’est de ce décret immoral que naquirent les maux dont nous sommes à présent affligés et qui déchirent le sein de notre corps social ; ils pèsent sur la classe la moins aisée du peuple qui, pour subvenir à ses besoins, n’a que le signe qu’on cherche à lui discréditer et auquel la malveillance est parvenue à attirer une défaveur dont l’effet a porté le prix des subsistances à un si haut degré. L’orage gronde au loin, il est prêt à éclater sur nos têtes. Du courage, législateurs, du courage ! Nous sommes debout, parlez et les tyrans rentreront dans le néant... Abrogez cette loi, fruit de l’incapacité et de l’impéritie, rendez un décret répressif ; prononcez la peine de mort contre tous ceux qui, en échangeant leurs pièces d’or, d’argent, de cuivre, contre des assignats nationaux, donneraient une valeur inférieure à celle qui leur est donnée par la loi...

 

Cette insistance des pétitionnaires à revenir, à plusieurs reprises, sur la question capitale du cours forcé des assignats, prouve qu’ils étaient dirigés par une volonté et une intelligence qui les manœuvraient derrière la toile. Cette fois, en effet, le mouvement n’était plus, comme les mouvements antérieurs, quelque chose d’inorganique et d’anonyme. Il avait des chefs et un rudiment d’organisation.

A côté des sections avaient pris place à la barre de la Convention les délégués des fédérés des 83 départements, qui étaient venus à Paris, six mois auparavant, pour la Fédération du 14 juillet 1792 et qui avaient contribué, avec les faubourgs, à la prise des Tuileries, au 10 août. Beaucoup de ces fédérés étaient des Marseillais et la Gironde les avait fait rester à Paris et les avait logés dans une caserne, espérant s’appuyer sur eux contre la Commune et contre les montagnards. Mais, peu à peu, les fédérés s’étaient laissés endoctriner par la propagande des Cordeliers. Ils avaient quitté le parti de la Gironde au moment du procès du roi, et, à la fin de décembre, ils avaient formé un groupement politique, qui tenait ses séances dans la salle même des Jacobins, sous le nom de Défenseurs réunis des 84 départements ou de Défenseurs de la République une et indivisible. Quand recommence l’agitation pour le prix du pain et pour le cours forcé de l’assignat, ils prennent part à toutes les manifestations et pétitions.

Bien qu’ils reçoivent l’hospitalité des jacobins, ce ne sont pas les jacobins qui les inspirent et qui leur dictent leur programme de réformes sociales et financières. Ils sont ici les échos d’un parti nouveau qui apparaît pour la première fois sur l’horizon révolutionnaire, d’un parti qui va bientôt entrer en lutte avec les montagnards eux-mêmes, d’un parti que ses adversaires appellent déjà les Enragés.

 

JACQUES ROUX ET VARLET.

Deux hommes, très différents l’un de l’autre, mais animés de la même foi, également tenaces et hardis, sont les chefs du nouveau parti : un adolescent à peine sorti du collège, Jean Varlet et un prêtre d’une quarantaine d’années, Jacques Roux.

Varlet appartenait à une bonne famille. D’une enquête faite sur son compte, en brumaire an II, par le comité révolutionnaire de sa section, celle des Droits de l’Homme, il résulte qu’il possédait un revenu annuel de 5.800 livres, tant de son bien propre que de son emploi de commis à la Grande Poste[7]. Il avait fait ses humanités au collège d’Harcourt et ses professeurs lui avaient prédit qu’il serait « tout bon » ou « tout diable ». Orphelin de père de bonne heure, sa mère l’avait gâté. Il la perdit au début de la Révolution. Il fut bien diable, dit-il, mais ce ne fut qu’un instant. Caractère enthousiaste, affamé de popularité, il brûla de se distinguer dans le grand drame dont il n’était encore, que spectateur. Il assistait à toutes les séances importantes de. la Constituante, même quand cette Assemblée siégeait encore à Versailles. Il piocha avec entrain au Champ-de-mars à la veille de la Fédération, La nuit qui précéda la grande cérémonie, pour être plus sur d’avoir une place, il s’assit sur un banc et y resta jusqu’au jour. « J’ai reçu, dit-il, les huit orages et j’ai vu, les yeux baignés de larmes, l’Etre suprême éclairer de son soleil l’instant du serment ». De bonne heure, il compose des. brochures, Il chante dans les banquets civiques un pot-pourri national dont il est l’auteur. Après Varennes, il se fait orateur et tribun. Monté sur un banc de pierre au Palais-Royal, il harangue la foule, il l’entraîne au Champ-de-Mars signer une pétition contre le roi parjure. Il présente cette pétition à l’Assemblée où il s’entretient avec Robespierre, Pétion, Grégoire, Prieur, Bailly. Le voilà lancé. Sous la Législative, ü fait afficher sur les murs ce défi naïf qu’il porte à La Fayette : « Peuple souverain, La Fayette est, fut et sera toujours un scélérat, un traître à la Patrie. Je me porte son accusateur. Un citoyen qui n’a pas peur. Signé, VARLET[8] ». Il s’agite si bien qu’il finit par devenir quelqu’un au moins dans sa section. Le 6 août, il rédige et il présente, en son nom une pétition à la Législative pour demander la déchéance de. Louis XVI[9]. Après l’insurrection, il est nommé électeur. Il s’installe alors à deux pas de l’Assemblée, sur la terrasse des. Feuillants, et, du haut d’une tribune roulante, il se transforme en apôtre de la liberté. Assez vite sa prédication patriotique se fait antiparlementaire. Il se défie des conventionnels, même montagnards. U craint qu’ils ne forment une oligarchie de politiciens et qu’ils, ne dérivent à leur profit exclusif la souveraineté populaire. Il proteste contre le suffrage à deux degrés qui lui paraît une duperie. U voudrait imposer aux députés le mandat impératif. Il voudrait que les assemblées qui les ont élus pussent les révoquer : « Non ! Non ! Les palais des rois ne sont pas les demeures exclusives des despotes ; que votre haine se dirige contre les ambitieux qui songeraient à régner sur les débris du trône ou pourraient voir dans la seconde Révolution de nouvelles chances à courir, une carrière encore ouverte à leurs intrigues... Nous ne pouvons nous défendre de la méfiance, même sur ceux qui ont réuni nos suffrages[10] ». A ces députés, qu’il tient sous sa surveillance, à trace leurs devoirs en termes impérieux. Il leur commande, le 2 décembre 1792, d’extirper la mendicité, de faire disparaître graduellement « la trop grande inégalité des fortunes », « d’empêcher que par l’agiotage, le monopole, l’accaparement, les fortunes particulières se grossissent aux dépens de la fortune publique ». Il leur commande, encore de supprimer la vente de l’argent monnayé et de réprimer les accaparements. Dans une brochure un peu postérieure, intitulée Déclaration solennelle des droits de l’homme dans l'état social, il demandait que « les Riens amassés aux dépens de la fortune publique, par le vol, l’agiotage, le monopole, l'accaparement », fussent confisqués au profit de la nation., Bref, il ne paraît pas douteux que les pétitions présentées par les sections et les défenseurs de la République, en janvier et février 1793, ne soient sorties pour une part de la propagande de Varlet.

Jean Varlet n’était qu’un jeune enthousiaste, dont la force était faite de sa candeur même. L’abbé Jacques Roux est une physionomie plus compliquée, plus difficile à saisir.

Il était né, le 21 août 1752, à Saint-Cibard de Pransac, au diocèse d’Angoulême ; le second des douze enfants de Gratien Roux, lieutenant d’infanterie, puis juge assesseur au marquisat de Pransac et de demoiselle Marguerite Montsalard[11]. appartenait donc à une famille aisée. Après de bonnes études au séminaire d’Angoulême, il fut tonsuré à l’âge de 15 ans et pourvu aussitôt d’un canonicat à Pransac, en 1767. Cinq ans plus tard, à l’âge de 20 ans, il enseignait comme auxiliaire des lazaristes dans le séminaire où il avait fait ses études. Il occupait d’abord la chaire de physique, puis celle de philosophie.

Il fut mêlé alors à un incident fâcheux. Le 19 juillet 1779, un jeune élève du séminaire, âgé de 14 ans, fils d’un avocat de l’endroit et déjà pourvu d’un canonicat, malgré son jeune âge, l’abbé Mioulle, s’était amusé avec des camarades à lancer des pierres dans les vitres du séminaire pour se venger du supérieur qui les nourrissait mal. Le cuisinier du séminaire, André-Eloi Ancellet, posté avec un fusil pour monter la garde, tira sur les étudiants et tua le jeune Mioulle. Le supérieur, le procureur-syndic, le secrétaire, le cuisinier et Jacques Roux lui-même furent arrêtés à l’occasion de ce meurtre. Ils restèrent pendant quelques semaines dans les prisons de l’officialité, puis le roi leur accorda des lettres de rémission sous l’obligation de verser chacun une somme de dix livres pour faire prier Dieu pour le repos de l’âme de la victime.

Jacques Houx avait repris ses fonctions au séminaire. Quatre ans plus tard il fut obligé de les abandonner, pour raison de santé, dit-il, et de demander une place de vicaire et de desservant. Il n’aurait jamais quitté Angoulême, à l’en croire, si le nouvel évêque, M. d’Albignac de Castelnau, ne lui eut fait un passe-droit « en conférant à un non-gradué une cure a laquelle il avait droit de prétendre, en vertu de ses grades ». Quoiqu’il en soit, il quitta le diocèse d’Angoulême pour le diocèse de Saintes, vers 1785. Pendant un an, il fait les fonctions d’aumônier au château de Montlausier et, quand il les quitte, le curé de Sainte-Radegonde, sa paroisse[12], atteste, le 17 mai 1786, « qu’il a eu pendant ce temps des mœurs irréprochables et qu’il a édilité le public par la régularité de sa conduite ecclésiastique. » L’évêque de Saintes lui confia ensuite la cure importante de Gozes, bourg de 1.500 âmes, où il ne resta qu’un an, puis celle équivalente de Saint-Thomas de Conac, où la Révolution vint le surprendre. Il avait 37 ans.

Dans une polémique qu’il eut plus tard avec Marat, il se vanta de s’être déchaîné, depuis sa jeunesse, contre la tyrannie. « Je me suis révolté contre les usurpations des nobles, contre l’hypocrisie de l'ancien clergé... Je n’ai jamais fait ma cour aux grands et aux hommes en place... Je n’ai jamais flatté les passions et j’ai dit des vérités difficiles à digérer. » Gomme preuve de la « rigidité » de son caractère, il dit, qu’au temps où il professait au séminaire d’Angoulême, il- n’hésitait pas à refuser d’admettre dans sa classe de philosophie les enfants des personnes mêmes qui le recevaient chez elles avec égards, quand ces enfants n’avaient pas la capacité requise. Jusqu’à la révolution cependant, il ne paraît pas qu’il se soit mêlé au mouvement politique ou philosophique. Sa première intervention dans ce domaine fut le discours qu’il prononça « avec chaleur et dignité », dit-il modestement pour célébrer la prise de la Bastille, « le triomphe des braves parisiens sur les ennemis du bien public[13] », dans l’église de Saint-Thomas de Conac, en présence des autorités et des gardes nationales du canton. Il y faisait l’éloge de Louis XVI, « ce monarque de bonté, de justice et de paix », en même temps qu’il voyait dans les événements l’œuvre de la Providence.

Peu après ce discours, des troubles graves éclataient à Saint-Thomas de Conac, le 29 avril 1790. Les paysans de cinq à six paroisses voisines se portèrent en masse sur les châteaux de Boisroches et de Saint-Georges des Côteaux, les pillèrent, puis les brûlèrent, pour punir leur propriétaire, un magistrat du Parlement de Bordeaux, M. Dupaty de Belle- garde, d’avoir exigé le paiement des rentes féodales attachées à sa seigneurie. Le régisseur du seigneur, un sieur Martin, fut également pillé. Le lendemain des troubles, le commissaire du roy, Turpin, écrivait au ministre de l’Intérieur : « Si l’on doit ajouter foy aux récits de diverses personnes assez dignes de foy, le sieur Le Roux, vicaire de cette paroisse de Saint-Thomas, a une grande part dans cet événement. Il est généralement accusé d’avoir preschë la doctrine dangereuse que les terres appartenaient à tous également, qu'on ne devait plus se soumettre au payement d’aucuns droits seigneuriaux ; on assure encore que, non content d’avoir parle ce langage publiquement dans quelques-uns de ses prosnes, il s’est occupé sourdement par la séduction de faire soulever les peuples contre les hommes favorisés de la fortune ; si tels ont été ses desseins, on peut dire qu’il a complètement réussi. Je ne connais cet ecclésiastique en aucune manière, mais il est évident qu’il est en fort mauvais prédicament (sic) dans cette contrée[14]. » Heureusement pour lui, l’abbé Jacques Roux put invoquer un alibi. Il y avait quinze jours qu’il avait quitté Saint-Thomas de Conac quand les troubles éclatèrent. Il faisait alors une suppléance dans la paroisse d’Àmbleville, dont le curé venait de mourir. La justice, semble-t-il, ne l’inquiéta pas, mats il faut croire que son innocence ne parut pas évidente aux vicaires généraux de Saintes qui, non seulement prononcèrent sa révocation, mais encore le frappèrent d’interdit, juste au moment où ses nouveaux paroissiens d’Ambleville venaient le demander pour leur curé[15]. Il faut croire aussi que Jacques Roux ne se sentait pas si sûr de lui-même, car il ne semble pas avoir protesté contre la mesure si grave qui l’atteignait. Il avoue même qu’il fut dénoncé, Calomnié par trois curés aristocrates de ses confrères et que l’opinion publique lui devint si hostile qu’il dut quitter la Saintonge[16].

Où se rend-il et que devint-il ensuite ? Si on en croyait un pamphlet apologétique, qu’il a sûrement composé, mais qu’il n’a pas signé par prudence[17], il se serait réfugié dans le département de l’Aude. « L’étoile de la Providence le conduisit à Carcassonne ». Les électeurs languedociens, éblouis par ses discours, « où brillaient le talent le plus vrai et l’âme la plus pure », l’auraient nommé, le 25 juillet [1790], à la cure de Massigni, dans le district de Carcassonne. Il s’y serait distingué par sa propagande patriotique et les aristocrates, inquiets de ses succès, auraient essayé de le séduire : « Douze personnes d’un rang distingué » seraient allées a son presbytère lui offrir une somme de 48.000 livres, à condition qu’il prêcherait désormais contre les décrets de l’Assemblée nationale, qu’il empêcherait de tout son pouvoir la perception des impôts et la vente des biens du clergé, et qu’il engagerait ses paroissiens à s’armer en faveur de la noblesse. Jacques Roux aurait accepté la somme et aurait promis aux aristocrates de prêcher, selon leurs désirs, le 25 novembre suivant, jour de la sainte Catherine, fête patronale de la paroisse. Le jour venu, les robins, financiers, ci-devant gros bénéficiers accourent dans son église, mais, au lieu de remplir leur espérance, Jacques Roux « terrasse, extermine le despotisme dans un discours plein de chaleur et de traits d’enthousiasme pour la patrie et pour la liberté ». Il termine en racontant la tentative de séduction dont il avait été l’objet et « il distribue, dans le saint temple à 800 pauvres qu’il avait invités, les 48.000 livres que des gens sans foi, sans âme, avaient eu l’audace de lui présenter pour l’engager à trahir la nation et son Dieu ! » Les aristocrates, penauds et joués, s’enfuient sous les huées et les coups du populaire, les uns dans les forêts, les autres dans des bateaux qui chavirent. Trente-sept sont noyés, deux meurent de rage. Mais la nuit suivante, ils se vengent de leur déconvenue. Ils pénètrent dans le presbytère, ils se jettent sur Jacques Roux, « lui arrachent les yeux, la langue, ils lui coupent les deux mains, ils lui plongent cinq coups de poignard dans le sein ». « Nous devons à la mémoire du sieur Jacques Roux, curé de Massigni, dit le pamphlet miraculaire, de rendre un discours qui lui a mérité la gloire d’être appelé de son vivant l’apôtre de la Révolution et d’être honoré après sa mort comme un martyr de la liberté ». Heureusement le martyr ressuscita, car nous n’aurions plus â continuer son histoire.

J’ai cherché à savoir ce qu’il y avait d’exact dans ce récit héroï-comique des exploits de Jacques Roux dans le Midi. J’ai eu beau consulter de nombreux dictionnaires, me pencher sur les atlas, je n’ai jamais réussi à découvrir le lieu de Massigni dans l’Aude. Je me suis reporté à toutes les sources imprimées ou manuscrites qui pouvaient me fournir des renseignements sur la Révolution dans le Carcassonnais. J’* 1 consulté notamment aux archives nationales les dossiers sur les troubles de l’Aude au début de la Révolution. II m’a été impossible de rencontrer la moindre mention de Jacques Roux et de Massigni, ni rien qui ressemblât au drame qui est raconté dans la brochure qu’il a inspirée ou rédigée et qui était en vente chez son amie, la veuve Petit. J’ai écrit enfin à M. Joseph Poux, le savant archiviste de l’Aude et j’en ai reçu la réponse suivante, le 31 octobre 1913 :

Je puis vous donner l'assurance formelle que les archives de l’Aude ne renferment aucun renseignement sur le personnage qui vous intéresse, l’abbé Roux (Jacques). Indépendamment de ma propre expérience du dépôt, je puis invoquer l'autorité de M. le chanoine Andrieu qui a dépouillé, pièce à pièce, tous les dossiers de la série L, relatifs aux affaires ecclésiastiques et criminelles. Jamais le futur chef du parti des Enragés n’est passé sous nos yeux. Massigni, au surplus, ne me dit rien qui vaille. Il n’est assurément pas au vocable topographique de nos pays.

 

Que conclure ? Qu’il y a bien des chances pour que Jacques Roux ne soit jamais allé dans le Midi et qu’il a forgé de toutes pièces une histoire qu’il supposait de nature à le rendre intéressant aux yeux des sans-culottes. La chose est d’autant plus probable que Marat l’avait déjà accusé, dans son numéro du 4 juillet 1793, d’avoir, par désir de faire du bruit, « usurpé le nom du curé d’Issy assassiné, et publié à son profit l’histoire de l’attentat commis sur la personne de ce bon curé, afin d’inspirer plus d’intérêt et de gagner plus d’argent. » J’ignore quel fut ce curé d’Issy dont Jacques Roux, au dire de Marat, a volé le nom et le martyre, mais il est un fait certain, Jacques Roux a répondu à toutes les autres accusations de Marat, il n’a rien dit de celle-là il ne s’est nulle part expliqué, sous sa signature, sur l’assassinat dont il aurait été victime dans l’Aude[18]. Son silence sur ce point est un aveu suffisant. Nous savons maintenant à quoi nous en tenir sur « la sévérité des principes », sur « la rigidité du caractère » du prêtre qui aime à se donner pour un apôtre convaincu et désintéressé. Tout différent de Varlet qui, lui, ne cache pas son jeu, c’est un ambitieux rusé et équivoque, qui cherche dans la prédication révolutionnaire toute autre chose que des satisfactions de conscience.

Nous le retrouvons à Paris, au début de 1791. Il nous apprend lui-même qu’il se cacha d’abord sous un nom supposé. Il se faisait appeler Renaudi[19]. il reparaît brusquement sous son vrai nom, au moment du serment des prêtres, dans l’église Saint-Sulpice, le 16 janvier 1791. Il n’était pas tenu au serment, puisqu’il était sans fonctions et que l’interdit pesait toujours sur lui[20]. Mais le clergé de Saint-Sulpice avait presque tout entier refusé le serment. L’occasion était bonne pour faire preuve de zèle civique. La municipalité accepta le serment de Jacques Roux, qui prononça devant elle et devant les fidèles un petit discours, où il fit un retour sur lui-même : « Interdit des fonctions sacrées du ministère, dit-il, par les vicaires généraux de Saintes, pour m’être déclaré l’apôtre de la Révolution ; forcé de quitter mon diocèse et mes foyers pour échapper à la fureur des méchans qui avaient mis ma tête à prix, la joie que je ressens de prêter le serment..., cette consolation inappréciable me fait oublier que depuis seize ans je n’ai vécu que de mes infortunes et de mes larmes... J’ajouterai que je suis prêt a verser jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour le soutien d’une Révolution qui a changé déjà sur la surface du globe, le sort de l’espèce humaine, en rendant les hommes égaux entre eux comme ils le sont de toute éternité devant Dieu ». Jacques Roux eut la joie de lire ses paroles publiées avec éloges dans le grand journal Les Révolutions de Paris[21].

Ayant prêté serment, le prêtre interdit se trouva ipso facto lavé de toute souillure. Il prit place dans le clergé constitutionnel et fut pourvu d’un poste de vicaire à Saint-Nicolas-des-Champs et d’un appartement dans les dépendances de l’église[22]. Il habitait ce coin du vieux Paris, aux ruelles étroites et sombres, qui s’étend de l’hôtel de ville au boulevard de Strasbourg. La rue Aumaire, sur laquelle donnaient les deux croisées de son appartement, existe encore en grande partie.

Les documents d’archives nous montrent Jacques Houx intimement lié dès lors avec Elizabeth-Marguerite Hubert, veuve Petit, ouvrière en linge, qui le soigne pendant ses maladies, et pour laquelle il fait des collectes, quand elle doit payer ses termes et ses impositions[23]. Un peu plus tard, il adopta un enfant de quatorze ans, Auguste-Pierre-Médard Masselin, orphelin de père et de mère, qui vit avec lui. Chose digne de remarque, le prêtre révolutionnaire possédait une belle harpe. Il apaisait par la musique ses nerfs surexcités. « Mon sang est vif, avoue-t-il, pétillant, mon imagination ardente, je connais à fond la fourberie des hommes, j’ai toujours été opprimé, calomnié, persécuté, je vois continuellement la patrie sur les bords du précipice, je ne la vois entourée que de traîtres, que d’hypocrites, que de fripons[24] ». Avec un tel tempérament, rien d’étonnant qu’il se soit lancé à fond dans le mouvement politique. Il fréquenta assidûment le club des Cordeliers. C’est là qu’il a fait connaissance de la veuve Petit. Il se lie avec Marat. Il lui rend des services. Il fait ses commissions. Il le logo chez lui, en mars 1792, quand l’Ami du peuple persécuté est obligé de se cacher sous le nom d’emprunt de M. Legros. Il rêve de devenir, dans la section des Gravilliers, un autre Marat. Pour y parvenir en même temps qu’il se prodigue en aumônes pour les nécessiteux[25], il répand des flots d’éloquence patriotique du haut de la chaire. Il fait annoncer aux Jacobins, le 17 mai 1792, que, le dimanche suivant, il prononcera un discours sur les moyens de sauver la France et la liberté. Et, ce discours, il le répète à Notre-Dame, à Saint-Eustache, à Sainte-Marguerite, à Saint-Antoine, à Saint-Nicolas-des-Champs, à Saint-Sulpice, en attendant de le faire imprimer et de le vendre au profit des pauvres[26].

Cette pièce contient déjà l’esquisse des idées et des revendications sociales qu’il développera et précisera plus tard et qui lui vaudront de devenir le chef incontesté du groupe des Enragés. Il se déchaînait au début contre les modérés, contre le fanatisme religieux, « injuste dans sa morale, barbare dans ses effets », puis il mettait en garde contre les mandataires et les fonctionnaires infidèles, il retraçait les fautes et les crimes de Louis XVI, il réclamait la réunion d’une Convention et il proposait enfin contre les ennemis du dedans les mesures les plus rigoureuses, les plus terroristes : « Désarmez les citoyens tièdes et suspects, mettez à prix la tête des émigrés conspirateurs et des tyrans couronnés qui sont armés contre notre liberté. Prenez en otages les femmes, les enfants des traîtres à la patrie, qu’ils répondent des événements de la guerre, que la race noblière et sacerdotale ont provoqués au dedans, au dehors ; qu’enchaînés, ils soient exposés les premiers au feu de l’ennemi ou plutôt au fer des assassins qu’ils ont recrutés, que les maisons de ces lâches habitants, qui ont livré nos places fortes[27], soient rasées et démolies... Rappelez-vous surtout que l’Angleterre ne se sauva qu’en rougissant les échafauds du sang des rois traîtres et parjures... » Si on songe que ces lignes ont été écrites un an avant la Terreur, on ne s’étonnera pas que Jacques Houx ait été considéré du coup comme un Enragé. Il dépassait certainement Marat en fureur et en délire.

Il le dépassait surtout par son programme social. Toute une partie de son discours est consacrée au problème des subsistances.

Demandez que la peine de mort soit prononcée contre les accapareurs de comestibles, contre ceux qui, par le commerce de l’argent, par la fabrication des pièces de monnaie au-dessous de leur valeur naturelle, discréditent nos assignats, portent les denrées à un prix excessif et nous font arriver, à grands pas, au port de la Contre-Révolution. Pour cet effet, hâtez-vous d’établir dans tout l’empire un seul poids et une seule mesure. Demandez des règlements sévères pour la police des grains, demandez que l’exportation des denrées de première nécessité soit prohibée hors du royaume ; obligez les gros propriétaires à ne vendre leur récolte que dans les marchés qui leur seront indiqués dans leurs districts respectifs, établissez dans toutes les villes et dans les bourgs considérables des magasins publics où le prix des marchandises sera au concours...

 

Toutes ces réclamations, nous les avons retrouvées, mot pour mot, dans les nombreuses pétitions qui furent présentées a la Convention, surtout après la mort du roi. Elles mirent six mois pour faire la conquête de Paris. Patiemment, avec sa ténacité de prêtre, Jacques Roux avait étendu son influence sur sa section des Gravilliers et sur les sections voisines, celles du Temple et de l’Observatoire. Il s’adressait aux femmes de préférence, les sachant par expérience plus faciles à gagner, plus sensibles aussi que les hommes à la crise des subsistances. « La victoire est indubitable, écrivait-il à un ami, au fils de la veuve Petit, dès que les femmes se mêleront parmi les sans-culottes[28]. » Ayant les femmes, il eut les maris. Il se forma autour de lui un noyau d’amitiés robustes parmi les artisans des Gravilliers qui souffraient peut-être plus encore que les simples manouvriers de l’affreuse crise économique, parce qu’ils ne pouvaient plus se procurer les matières premières qu’à des prix exorbitants et que leurs modestes boutiques étaient délaissées par une clientèle appauvrie. Parmi tes artisans qui lui restèrent fidèles jusqu’au bout, même à l’heure des persécutions, il y avait des limonadiers, Jacques Bosquet, Bouillant ; un cordonnier, Jacques Bourbon ; des menuisiers, Nicolas Natté et Jean-Louis Graillot ; un garçon cordonnier, Jean-François Sauge, et un chirurgien, Nicolas-Marin Michault, le seul homme de profession libérale qui figure sur la liste[29].

Au 10 août, quand le roi fut a bas et qu’une Convention fut convoquée, Jacques Roux crut que son heure était arrivée, qu’il allait enfin jouer le grand rôle qu’i ! rêvait dans son esprit inquiet[30]. Dès qu’il apprit la formation du tribunal extraordinaire du 17 août, sorte de cour martiale populaire qui devait juger les royalistes compromis dans la défense des Tuileries, il se mit sur les rangs. La section des Gravilliers le nomma au nombre des jurés qui devaient la représenter à ce tribunal. Mais si Jacques Roux avait des amis, il comptait aussi des adversaires, notamment Grouvelle, l’anticlérical rédacteur de la Feuille villageoise, qui représenta aux Gravilliers qu’il y avait incompatibilité radicale entre les fonctions de juré et te caractère de prêtre. La section revint sur son vote et Jacques Roux se retrouva Gros jean comme devant. Il exhala du moins sa déception dans une belle lettre flatteuse et doucereuse qu’il adressa au ministre de la justice Danton en le priant d’intervenir en sa faveur[31]. Mais il eut beau protester sans modestie qu’il y avait peu d’hommes qui eussent donné autant de preuves de civisme que lui, invoquer le témoignage des amis du ministre qui pouvaient lui dire « comment il s’était montré dans ces derniers temps où il n’y avait qu’un pas de la mort à l’esclavage..., qu’il avait bravé les fers du despotisme et les poignards pour-éclairer et rendre heureuse l’humanité... », il ne paraît pas que Danton se soit ému.

Quelques jours plus tard, d’ailleurs, le prêtre révolutionnaire obtenait une petite compensation. L’assemblée primaire de la section des Gravilliers, réunie pour choisir les électeurs qui désigneraient les députés à la Convention, le nommait son président, le 28 août 1792. Il était choisi ensuite comme électeur, le quatrième de la liste. Dès lors s’ouvrait devant lui la perspective d’un siège à la Convention ou tout au moins à l’assemblée départementale[32]. Malheureusement, Jacques Roux ne sut pas contenir sa hâte fébrile d’être quelque chose. Il lit distribuer des bulletins à son nom[33] ; il permit à un de ses amis, un certain Coru, de la section de l’Arsenal, d’écrire, le 10 septembre 1792, une lettre pour recommander sa candidature ; il lit écrire, le 19 septembre, une lettre encore plus pressante à de braves sans-culottes du faubourg Antoine[34]. C’était une insigne maladresse, dans ce temps heureux où les électeurs n’étaient pas encore blasés sur les mystères de la vie publique et où ils considéraient leurs fonctions comme un sacerdoce. Jacques Roux leur lit l’effet d’un intrigant. Sa candidature a la Convention échoua piteusement. Il obtint en tout et pour tout une voix dans trois scrutins. Dans sa candidature à l’assemblée départementale, en décembre, il ne fut pas plus heureux. Il recueillit jusqu’à 7 voix au scrutin où il fut le plus favorisé. Il dut se contenter de représenter les Gravilliers au conseil général de la Commune. On peut penser combien la déception fut vive à son cœur effréné d’ambition et on s’explique la campagne antiparlementaire qu’il commence en décembre 1792 et qu’il poursuit parallèlement avec celle de Varlet.

 

LE PROGRAMME DES ENRAGÉS.

Le 1er décembre, devant la section de l'Observatoire, il prononça sur le jugement du ci-devant roi, sur la poursuite des agioteurs, des accapareurs et des traîtres, un violent discours qui obtint un tel succès que la section de l’Observatoire délibéra d’en donner lecture deux fois par semaine pendant un mois[35]. C’est ce discours qui marqua vraiment le début de la lutte des Enragés pour le maximum.

La Convention venait de repousser la taxation réclamée par les pétitionnaires de Seine-et-Oise, de Paris, d’Indre-et-Loire. Elle avait ordonné la répression du soulèvement de la Beauce. La Montagne elle-même n’avait mis à défendre la réglementation qu’une conviction assez molle. Roland et les Girondins avaient triomphé sans grand peine. Jacques Roux se lit dans son discours l’écho des colères populaires contre les députés : « Le despotisme qui se propage sous le gouvernement de plusieurs, le despotisme sénatorial est aussi terrible que le sceptre des rois, puisqu’il tend à enchaîner le peuple, sans qu’il s’en doute, puisqu’il se trouve avili et subjugué par les lois qu’il est censé dicter lui-même. Mais, citoyens, vous n'aurez pas secoué le joug de la race des Bourbons, vous ne vous serez pas soustraits à l’humiliante domination des rois pour plier sous le joug des agens prévaricateurs. Après avoir franchi irrévocablement l’intervalle immense de l’esclave à l’homme, vous ne souffrirez pas que vos mandataires portent la moindre atteinte à la légitimité de vos droits ; qu’ils s’écartent de l’opinion publique, qui seule dicte des lois et qui est toujours droite et toute puissante. »

Sans doute Jacques Roux, dans la suite, semblait s’en prendre surtout aux Girondins, qui voulaient sauver le tyran, mais ses menaces et ses anathèmes portaient sur l’ensemble même de la représentation. Il excitait de son mieux les défiances et faisait appel à l’opinion pour corriger et redresser les législateurs.

Il ne lui suffisait pas de réclamer la mort du roi, il sommait l’Assemblée de réprimer l’accaparement et de faire baisser le prix de la vie. « Il y a de la lâcheté à tolérer ceux qui s’approprient les produits de la terre et de l’industrie, qui entassent dans les greniers de l’avarice les denrées de première nécessité et qui soumettent à des calculs usuraires les larmes et l’appauvrissement du peuple... »

C’est ce discours, à mon sens, qui rendit Jacques Roux populaire dans Paris. Il n’était guère connu jusque-là que dans sa section. Il devint désormais un personnage, un chef. Remarquons que c’est peu après, dans ce même mois de décembre, que les fédérés se groupaient dans la société des Défenseurs des 83 départements.

Jacques Roux eut la joie cruelle de conduire Louis XVI à l’échafaud. Le roi voulut lui remettre son testament. Il refusa de l’accepter par ce mot atroce : « Je ne suis chargé que de vous conduire à l’échafaud ». Le journal populaire, Les Révolutions de Paris, qui rapporte le mot, estime que le prêtre avait parlé plutôt « en bourreau-aide des hautes œuvres qu’en magistral du peuple souverain ».

M. Jaurès l’a représenté, descendant de cette estrade où avait coulé le sang du roi, avec un prestige sanglant. « Il colportait de maison en maison, dans le sombre quartier de la rue Saint-Denis à la rue du Temple, les détails tragiques et il semblait, avec un art tout sacerdotal, irriter les plaies de misère par un âpre espoir de représailles. Un peu plus tard, en juin, une citoyenne, parlant de Jacques Roux aux Jacobins, marqua bien les effets de cruauté profonde et presque sensuelle dont le prêtre pénétrait les âmes : « Dans la section des Gravilliers, il nous parlait de la tête de Louis Capet, il nous représentait cette tête roulant sur l’échafaud et cette idée nous réjouissait. Depuis que la tête de Capet est tombée, Roux a toujours le mot d’accapareur à la bouche. »

« Ainsi, il allait, continue Jaurès, dans les rues où se pressait le peuple, dans les modestes boutiques où l’artisan attendait le client, il s’entretenait avec tous, avec les femmes comme avec les hommes, sachant, par son expérience d’église, que la femme pouvait jouer un rôle décisif. Et on voit bien par quelle transition il passait du roi aux accapareurs : A quoi vous servira-t-il d’avoir coupé la tête au tyran et renversé la tyrannie, si vous êtes tous les jours dévorés lentement par les agioteurs, par les monopoleurs ? Ils accumulent dans leurs vastes magasins les denrées et les matières premières, qu’ils revendent ensuite à des prix usuraires au Peuple qui a faim, aux artisans qui ont besoin, pour leur industrie, de laine, de cuir, de savon, de fer. Contre eux aussi à faut se soulever. Et qu’importe qu’ils se disent patriotes ? Qu’importe qu’ils se soient prononcés pour la Révolution et qu’ils aient acquis des biens nationaux, si, dans les vastes immeubles des couvents d’hier, ils entassent la marchandise accaparée ?[36] »

C’est bien ainsi, en effet, que devait agir sourdement la propagande du prêtre enragé, à ce début de février 1793, quand la menace du renchérissement du pain lui fournit l’occasion de lancer sur la Convention le flot des sections. Mais il était trop prudent pour démasquer tout de suite son jeu. Il s’efforça, au contraire, d’entraîner à sa suite les jacobins, comme ii avait déjà réussi à entraîner les cordeliers, les fédérés et la Commune. Le 10 février, une députation des 48 sections se présenta aux Jacobins et leur donna lecture d’une pétition qui serait ensuite portée à la Convention. Le procès-verbal du club se borna à relater le fait très sommairement, sans donner le moindre détail, de sorte qu’il n’est pas possible de savoir si le club a approuvé ou non la pétition des Enragés.

Le lendemain, Il février, la Convention, comprenant sans doute la nécessité de donner des gages au peuple, votait une nouvelle amnistie générale en faveur des personnes arrêtées ou condamnées pour les désordres des mois de novembre et de décembre. Déjà elle avait autorisé la ville de Paris à lever sur les riches l’impôt forcé de 4 millions, destiné à maintenu' le prix du pain à l’ancien taux de 3 sous la livre. Elle ne s’attendait guère sans doute à la violente mise en demeure qui allait lui être apportée, le 12 février, par une pétition menaçante où se retrouvent non seulement les idées, mais le style même de Jacques Roux. Cette fois, l’Assemblée tout entière regimba. Elle luttera trois mois contre le maximum. Elle sera finalement obligée de le subir.

 

 

 



[1] Ch. LORAIN, Les subsistances dans le district de Chaumont, t. I, p. 358.

[2] La Convention, p. 1048.

[3] Voir les arrêtés du district, des 29, 31 décembre 1792, 7 janvier 1793, dans Lorain, I. p. 262.

[4] Voir leur arrêté du 31 janvier 1793, Lorain, I, p. 233,

[5] JAURÈS, La Convention, p. 1045.

[6] On en trouvera le texte dans JAURÈS, Lo Convention, p. 1242-1243.

[7] Archives nationales, F⁷ 4775⁴⁰. Voir aussi Jean Varlet à ses chers concitoyens des Tribunes et des Jacobins, brochure parue après Varennes. Dib, nat. Ln¹¹ 20067.

[8] A. TUETEY, Répertoire, t, V. n° 3578.

[9] A. TUETEY, Répertoire, t, V. n° 17.

[10] Projet d’un mandat spécial et impératif aux mandataires du peuple, par Jean Varlet, aux annexes de la séance du 9 décembre 1792, dans les Archives parlementaires.

[11] Louis AUDIAT, Deux victimes des Septembriseurs, 1897, p. 129 ; — Dr Cl. GIGON, Les victimes de la Terreur du département de la Charente, 2e édition, 1806, chapitre XVI ; — Réponse de Jacques Houx à Marat (dans les Annales révolutionnaires, 1910, t. VIII, pp. 539 sq.) ; — Publiciste de la République française, par l'ombre de Marat, en date du 22 août 1793. La notice consacrée à J. ROUX par M. Braesch, dans sa Commune du 10 août, pp. 739-740, fourmille d’erreurs de faits et de jugements.

[12] Arrondissement de Saintes (Charente-Inférieure), ainsi que les localités suivantes.

[13] Le triomphe des braves parisiens sur les ennemis du bien public, par M. Jacques Roux, prêtre du diocèse d’Angoulême, apôtre et martyr de la Révolution. Bib. nat. Lb³⁹ 8038.

[14] Archives nationales, F⁷ 3664 (dossier des troubles).

[15] Le triomphe des braves parisiens, préface.

[16] L'Apôtre martyr de la Révolution ou discours d'un curé patriote qui vient d’être assassiné par 18 aristocrates. Bib. nat. Lb³⁹ 5568.

[17] L'Apôtre martyr. Ce pamphlet, qui contient une réédition du discours sur le triomphe des braves parisiens, était en vente chez la veuve Petit, qui était l’amie de Jacques Houx.

[18] Interrogatoire de J. Roux au département de police de la Commune de Paris, le 23 août 1793. Arch. nat. W 20.

[19] Interrogatoire de J. Roux au département de police de la Commune de Paris, le 23 août 1793. Arch. nat. W 20. Il ne dit mot de son séjour dans l'Aude, mais convient qu'il se faisait appeler Renaudi.

[20] Il a lui-même avoué, dans le n° du 22 août 1793 de son Publiciste, qu'il prêta serment sans y être tenu.

[21] N° 80. p. 58.

[22] Archives nationales, W. 20.

[23] Voir l’interrogatoire de cette dame au dossier cité. Elle habitait, d'après la brochure L’Apôtre Martyr, qui était en vente chez elle, rue des Fossés-Monsieur-le-Prince au faubourg Saint-Germain n° 74, au 4e, maison du teinturier. La veuve Petit était sans doute la mère du commissaire-adjoint pour la fabrication des piques, à qui J. Roux écrivit, le jour de son arrestation, le 23 août 1793, une lettre qui est au dossier et qui était adressée à Langres. — Sur Masselin et la Veuve Petit, consulter aussi le registre du comité révolutionnaire de la section des Gravilliers. Arch. nat., F⁷ 2486.

[24] Réponse à Marat. Annales révolutionnaires, 1910, t. VIII, p. 532.

[25] Il féru une collecte à l'assemblée électorale, en septembre 1792, en faveur de la sœur de Beaurepaire, l’héroïque et malheureux commandant de Verdun. Plus tard, ses ennemis essuieront de le chicaner à ce propos.

[26] Discours sur les moyens de sauver la France et la liberté, etc. Bib. nat. Lb³⁹ 10782.

[27] Ce passage, évidemment postérieur à la prise de Longwy et de Verdun, a dû être intercalé après coup dans le discours primitif prononcé en mai 1792.

[28] Lettre du 23 août 1793. Arch. nat., W. 26.

[29] Tous furent arrêtés en frimaire an II, Voir la délibération du Comité révolutionnaire des Gravilliers, en date du 7 frimaire. Arch. nat., F⁷ 4775

[30] Comme preuve de l’ambition sans scrupules de Jacques Roux, Marat rapporte qu’il lui avait dit à lui-même qu’il ne croyait pas à la religion, que c’était un tissu d’impostures, mais qu’il en faisait métier. « Ce propos, dit Marat, me fit horreur. » — « Je me contentai de lui observer que la position la plus cruelle pour un homme d’honneur étoit celle de se voir réduit à une pareille extrémité Le même jour, il m’annonça qu’il étoit patriote de circonstance, qu’il ne se donneroit point de relâche qu’il n’eut fait du bruit et qu’il espéroit bien que cela lui vaudrait l’épiscopat comme à l’abbé Fauchet. » Marat transcrit encore une note sur le rôle de J. Roux à Angoulême et sur ses mauvaises mœurs. La note avait été remise à Collot d'Herbois par un citoyen Tessier, son ancien camarade à Genève, qui était demeuré à Angoulême. (Publiciste du 4 juillet 1793).

[31] La lettre a été publiée par Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, t. III, pp. 420-422. Elle porte cette indication d’adresse à la fin : « Chez Mme veuve Chechin, rue Grenetat, 4, maison Parent », Jacques Roux avait décidément une inclination pour les veuves.

[32] Etienne Charavay, Assemblée électorale de Paris.

[33] Dénonciation du citoyen Mercier, électeur de 1792 et membre du Conseil de la Commune. Il accuse J. Roux d’avoir fait distribuer des bulletins à son nom lors du renouvellement de la municipalité et rie s'être présenté lui-même pour être nommé au département.

[34] TUETEY, Répertoire, t. V. n° 1153 et 1151.

[35] Discours sur le jugement de Louis le dernier, sur la poursuite des agioteurs, des accapareurs et des traîtres... par Jacques Roux. Une brochure in-8° de 16 pages. Bib. nat., Lb³⁹ 2014.

[36] JAURÈS, La Convention, pp. 1027-1028.