Brissot et ses amis, en déchaînant la guerre, avaient réussi à s’emparer du pouvoir. Ils ne pouvaient le garder qu’à une condition : la victoire prompte et décisive sur l’ennemi. Dumouriez ordonna l’offensive aux trois armées déjà concentrées sur la frontière. Les Autrichiens n’avaient à opposer à nos 100.000 hommes que 35.000 soldats en Belgique et 6.000 dans le Brisgau. Les Prussiens commençaient seulement leurs préparatifs. Une attaque brusquée nous vaudrait l’occupation de toute la Belgique qui se soulèverait à la vue des trois couleurs. Mais nos généraux, La Fayette, Rochambeau et Luckner, qui avaient applaudi aux fanfaronnades de Narbonne, étaient devenus tout à coup très circonspects. Ils se plaignaient que leurs armées n’étaient pas pourvues de tous leurs équipages. Rochambeau surtout n’avait pas confiance dans les bataillons de volontaires qu’il jugeait indisciplinés. Il mit beaucoup de mauvaise volonté à exécuter l’offensive qui lui était prescrite. La colonne de gauche, partie de Dunkerque, arriva devant Furnes où il n’y avait personne. Elle n’osa entrer et s’en retourna. La colonne du centre, partie de Lille pour prendre Tournai, se replia précipitamment sans avoir combattu, à la vue de quelques uhlans. Deux régiments de cavalerie qui la précédaient se débandèrent en criant à la trahison. Ils refluaient jusqu’à Lille et mettaient à mort leur général Théobald Dillon ainsi que quatre individus soupçonnés d’espionnage. Seul le 2e bataillon des volontaires parisiens fit bonne contenance. Il protégea la retraite et ramena un canon pris à l’ennemi. La colonne principale enfin, commandée par Biron, s’empara du Quiévrain devant Mons, le 28 avril, mais battit en retraite le lendemain en grand désordre sous le prétexte que les Belges n’accouraient pas à son appel. La Fayette, qui de Givet devait donner la main à Biron vers Bruxelles, suspendit sa marche à l’annonce de sa retraite. Seul Custine, avec une colonne formée à Belfort, atteignit l’objectif fixé. Il s’empara de Porrentruy et des gorges du Jura qui commandaient l’accès de la Franche-Comté. Robespierre, qui, le jour même de la déclaration de guerre, avait sommé les Girondins de nommer des généraux patriotes et de renvoyer La Fayette, s’écria que les revers justifiaient ses prévisions : Non ! je ne me fie point aux généraux et, faisant quelques exceptions honorables, je dis que presque tous regrettent l’ancien ordre de choses, les faveurs dont dispose la Cour, je ne me repose que sur le peuple, sur le peuple seul. (1er mai, aux Jacobins.) Marat et les Cordeliers crièrent à la trahison. Et, de fait, Marie-Antoinette avait communiqué à l’ennemi le plan de campagne. Les généraux rejetèrent hautement toutes les responsabilités sur l’indiscipline des troupes. Rochambeau donna brusquement sa démission. De nombreux officiers désertèrent. Trois régiments de cavalerie, les hussards de Saxe et de Bercheny, le 12 mai, le Royal Allemand, le 6 mai, passèrent à l’ennemi. Le ministre de la Guerre de Grave, donnant raison aux généraux, ne voulut plus entendre parler d’offensive. N’ayant pu convaincre ses collègues, il donna sa démission, le 8 mai, et fut remplacé par Servan, plus docile aux directions de Dumouriez. En vain, les brissotins s’efforcèrent de rassurer et d’apaiser les généraux. Ils prononcèrent dans la presse et dans l’Assemblée une vigoureuse attaque contre Robespierre et ses partisans, qu’ils représentèrent comme des anarchistes. Le 3 mai, Lasource et Guadet s’unirent à Beugnot et à Viennot-Vaublanc pour faire décréter Marat d’accusation devant la Haute Cour. Par compensation l’abbé Royou, rédacteur de L’Ami du roi, eut le même sort que Marat. Une loi renforça la discipline militaire, et les assassins de T. Dillon furent recherchés et sévèrement punis. Mais La Fayette, qui, dès le premier jour, avait émis la prétention de traiter avec les ministres sur le pied d’égalité, repoussa toutes les avances des brissotins. Le remplacement de De Grave par Servan, sur lequel il n’avait pas été consulté, l’avait aigri contre Dumouriez. Il se rapprocha définitivement des Lameth pour tenir tête aux menaces des démocrates. Il prit Charles et Alexandre Lameth dans son armée, leur confia des commandements, il eut une entrevue, vers le 12 mai, à Givet, avec Adrien Duport et Beaumetz et il se décida ensuite à une démarche qui, de la part d’un chef d’armée devant l’ennemi, était une trahison. Il envoya à Bruxelles auprès de l’ambassadeur autrichien, Mercy-Argenteau, un émissaire, l’ex-jésuite Lambinet, pour lui déclarer que, d’accord avec les autres généraux, il était prêt à marcher sur Paris avec ses troupes pour disperser les Jacobins, rappeler les princes et les émigrés, supprimer la garde nationale, établir une seconde chambre. Il sollicitait auparavant une suspension d’armes et une déclaration de neutralité de la part de l’empereur. Mercy-Argenteau, qui partageait les préventions de la reine contre le général, crut que ses propositions cachaient un piège. Il le renvoya s’adresser à la Cour de Vienne. Les trois généraux décidèrent alors dans une conférence tenue à Valenciennes le 18 mai, d’arrêter en fait les hostilités. Ils firent tenir aux ministres un mémoire pour leur représenter que toute offensive était impossible. Les aides de camp de La Fayette, La Colombe et Berthier, déclaraient à Roland que les soldats étaient des lâches. Roland indigné dénonçait leurs propos alarmistes à La Fayette lui-même, qui couvrit ses aides de camp et répondit à Roland sur le ton le plus méprisant. Le général écrivait alors à Jaucourt qu’il aspirait à la dictature et qu’il s’en croyait digne. Ce fut la rupture entre La Fayette et les brissotins. Roland n’osa ou ne put obtenir de ses collègues et du roi la révocation de La Fayette. Mais, dès lors, les Girondins se dirent que la Cour était derrière les généraux et qu’il fallait par conséquent intimider le château. Ils se mirent à dénoncer le Comité autrichien qui, sous la direction de la reine, préparait la victoire de l’ennemi. Ils firent voter, le 27 mai, un nouveau décret contre les prêtres perturbateurs pour remplacer celui que Louis XVI avait frappé de son veto en décembre. Deux jours plus tard, l’Assemblée prononça la dissolution de la garde du roi, formée d’aristocrates qui se réjouissaient de nos revers. Son chef le duc de Cossé-Brissac fut déféré à la Haute Cour. Le 4 juin enfin Servan proposait de constituer sous Paris un camp de 20.000 fédérés pour couvrir la capitale en cas d’avance de l’ennemi et, ce qu’il ne disait pas, pour résister éventuellement au coup d’État des généraux. Son projet fut voté le 8 juin. Par ces vigoureuses attaques, les Girondins espéraient forcer la Cour à capituler et les généraux à obéir. Servan renouvela l’ordre formel à Luckner et à La Fayette d’avancer hardiment dans les Pays-Bas. Louis XVI s’était soumis au mois de mars parce que les généraux s’étaient prononcés pour Narbonne. Mais, cette fois, les généraux étaient contre le ministre et cherchaient à rentrer dans ses bonnes grâces. Il venait de réorganiser, avec le concours de l’ancien ministre Bertrand de Moleville, son agence d’espionnage et de corruption. Bertrand avait fondé avec le juge de paix Buob le Club national fréquenté par 700 ouvriers payés sur la liste civile à raison de deux à cinq livres par jour et recrutés principalement dans la grande fabrique métallurgique Périer. Il avait osé commencer des poursuites contre le journaliste Carra, qui l’avait accusé de faire partie du comité autrichien, et il avait trouvé un juge de paix plein de zèle royaliste pour suivre sa plainte et décerner des mandats d’amener contre les députés Basire, Chabot et Merlin de Thionville, informateurs de Carra. Il est vrai que l’Assemblée avait désavoué le juge de paix Larivière et l’avait même traduit devant la Haute Cour pour l’attentat qu’il n’avait pas hésité à commettre contre l’inviolabilité parlementaire. Mais la Cour pouvait compter comme un succès la fête en l’honneur du martyr de la loi Simoneau, que les Feuillants avaient organisée en réplique à la fête des Suisses de Châteauvieux. C’est même le succès de cette fête qui porta Adrien Duport à conseiller à Louis XVI de frapper de son veto les derniers décrets votés par l’Assemblée. Le roi s’y décida, mais, pour user de son veto, il lui fallait le contre-seing ministériel. Tous les ministres refusèrent de contresigner la lettre qu’il avait préparée pour notifier son veto au décret sur le licenciement de sa garde. Il dut sanctionner ce décret la rage au cœur. Si les ministres étaient restés fermement unis, peut-être Louis XVI eût-il sanctionné également les autres décrets. Mais Dumouriez, qui avait été ministre de la Guerre de Servan, se plaignit que celui-ci eût proposé à l’Assemblée le camp de 20.000 hommes sans avoir pris la peine de le consulter. Il y eut entre les deux ministres une scène violente en plein conseil. Ils se menacèrent et faillirent tirer l’épée sous les yeux du roi. Ces divisions permirent à Louis XVI d’éluder la sanction. Roland lui remontra, le 10 juin, dans une longue mise en demeure à peine polie que son veto provoquerait une explosion terrible, parce qu’il laisserait croire aux Français que le roi était de cœur avec les émigrés et avec l’ennemi. Louis XVI tint bon. Adrien Duport lui avait dit que le camp sous Paris serait un instrument aux mains des Jacobins qui avaient le dessein de s’emparer de sa personne en cas de revers et de l’emmener comme otage dans les départements du Midi. Les gardes nationaux fayettistes pétitionnèrent contre le camp, qu’ils considéraient comme une injure faite à leur patriotisme. Après deux jours de réflexion, le roi fit venir Dumouriez, dont il se croyait sûr, car il l’avait nommé sur la recommandation de Laporte. Il le pria de rester en fonctions avec Lacoste et Duranthon et de le débarrasser de Roland, Servan et Clavière. Dumouriez accepta. Il conseilla à Louis XVI de remplacer Roland par un ingénieur qu’il avait connu à Cherbourg, Mourgues, et il prit pour lui-même le portefeuille de la guerre. Le renvoi de Roland, Clavière et Servan était la contrepartie de la mise en accusation de Delessart. Une bataille décisive s’engageait. Les Girondins firent décréter par l’Assemblée que les trois ministres révoqués emportaient les regrets de la nation, et quand Dumouriez se présenta à la même séance, le 13 juin, pour lire un long rapport pessimiste sur la situation militaire, il fut couvert de huées. Séance tenante, l’Assemblée nomma une commission de douze membres pour faire une enquête sur la gestion des ministres successifs de la guerre et pour vérifier particulièrement les affirmations de Dumouriez. Celui-ci put craindre que l’enquête ne fût le prélude de sa propre mise en accusation devant la Haute Cour. Il se hâta de faire pression sur le roi pour obtenir qu’il donnât sa sanction aux deux décrets restés en suspens. Il lui écrivit qu’en cas de refus il courrait le risque d’être assassiné. Mais Louis XVI, qui ne s’était pas laissé intimider par Roland, ne voulut pas capituler devant Dumouriez qui employait les mêmes procédés. Il lui déclara, le 15 juin au matin, qu’il refusait sa sanction. Dumouriez offrit sa démission. Il le prit au mot et l’envoya commander une division à l’armée du Nord. Duport et les Lameth, désignèrent au roi les nouveaux ministres qui furent pris dans leur clientèle et dans celle de La Fayette : Lajard à la Guerre, Chambonas aux Affaires étrangères, Terrier de Monciel à l’Intérieur, Beaulieu aux Finances. Lacoste resta à la Marine et Duranthon à la Justice. Le renvoi de Dumouriez succédant au renvoi de Roland, le refus de sanction accompagné de la formation d’un ministère purement feuillant, cela signifiait que la Cour, appuyée sur les généraux, allait s’efforcer de réaliser le programme de Duport et de La Fayette, c’est-à-dire briser les Jacobins, disperser au besoin l’Assemblée, réviser la Constitution, rappeler les émigrés et terminer la guerre par une transaction avec l’ennemi. Le bruit courut, dès le 16 juin, que le nouveau ministère allait suspendre les hostilités et, quelques jours plus tard, on précisa que le roi profiterait de la Fédération du 14 juillet pour réclamer une amnistie pleine et entière en faveur des émigrés. Duport, dans son journal L’Indicateur, subventionné par la liste civile, conseilla au roi de dissoudre l’Assemblée et de s’emparer de la dictature. La Fayette, dès le 16 juin, de son camp de Maubeuge, envoyait au roi et à l’Assemblée une diatribe violente contre les clubs, contre les ministres renvoyés et contre Dumouriez. Il ne craignait pas d’invoquer les sentiments de ses soldats à l’appui de ses sommations. Sa lettre fut lue à l’Assemblée le 18 juin. Vergniaud déclara qu’elle était inconstitutionnelle, Guadet compara le général à Cromwell. Mais les Girondins, qui avaient fait traduire Delessart à Orléans pour un crime beaucoup moins grave, n’osèrent pas engager contre le général factieux qui avait été leur complice la procédure de mise en accusation. Leur riposte fut la manifestation populaire du 20 juin, jour anniversaire du serment du Jeu de paume et de la fuite à Varennes. Les faubourgs, conduits par Santerre et par Alexandre, se rendirent à l’Assemblée d’abord, au château ensuite, pour protester contre le renvoi des ministres patriotes, contre l’inaction de l’armée et contre le refus de sanction des décrets. Le maire de Paris, Petion, et le procureur syndic de la Commune, Manuel, ne firent rien pour gêner la manifestation. Ils ne parurent aux Tuileries que très tard, quand le roi avait déjà subi pendant deux heures, avec un courage tranquille, l’assaut des manifestants. Serré dans l’embrasure d’une fenêtre, il coiffa le bonnet rouge et but à la santé de la nation, mais refusa catégoriquement de donner sa sanction et de rappeler les ministres qui n’avaient plus sa confiance. Les Montagnards, sur le conseil de Robespierre, s’étaient abstenus. Ils n’avaient pas confiance dans les Girondins et ils ne voulaient participer qu’à une action décisive et non à une simple démonstration. L’échec de la manifestation girondine tournait au profit du royalisme. Le département de Paris, entièrement feuillant, suspendit Petion et Manuel. De toutes les provinces affluèrent aux Tuileries et à l’Assemblée des pétitions menaçantes contre les Jacobins et des adresses de dévouement au roi. L’une d’elles, déposée chez un notaire de Paris, Guillaume, se couvrit de 20.000 signatures. De nombreuses assemblées départementales blâmèrent le 20 juin. Le chef royaliste Du Saillant assiégea avec 2.000 royalistes le château de Jalès, dans l’Ardèche, et prit le titre de lieutenant général de l’armée des princes. Une autre insurrection royaliste éclata dans le Finistère, vers la même date, au début de juillet. La Fayette, quittant son armée devant l’ennemi, parut à la barre de l’Assemblée, le 28 juin, pour la sommer de dissoudre sans délai les clubs des Jacobins et de punir exemplairement les auteurs des violences commises le 20 juin aux Tuileries. La réaction royaliste était si forte que La Fayette fut couvert d’applaudissements. Une motion de blâme à son endroit proposée par Guadet fut rejetée par 339 voix contre 234, et la pétition du général fut simplement renvoyée à la Commission des douze qui jouait déjà le rôle que remplira plus tard le Comité de salut public. La Fayette n’entendait pas cette fois s’en tenir à la menace. Il comptait entraîner la garde nationale parisienne, dont une division commandée par son ami Acloque devait être passée en revue le lendemain par le roi. Mais Petion, averti par la reine qui craignait plus encore La Fayette que les Jacobins, décommanda la revue. En vain La Fayette sonna le ralliement de ses partisans. Il leur donna rendez-vous le soir aux Champs-Elysées. Une centaine seulement s’y trouvèrent. Il dut retourner à son armée sans avoir rien tenté. Il échouait parce que ses ambitions se heurtaient au sentiment national. L’inaction dans laquelle il avait tenu les armées depuis plus de deux mois semblait inexplicable. Elle avait donné le temps aux Prussiens d’achever leurs préparatifs et de se concentrer tranquillement sur le Rhin. Luckner, après un simulacre d’offensive en Belgique, abandonnait sans nécessité Courtrai et reculait sous les murs de Lille. La lutte allait être portée sur le territoire français. Le 6 juillet, Louis XVI informa l’Assemblée de l’approche des troupes prussiennes. Devant l’imminence du péril, les Jacobins oublièrent leurs divisions pour ne plus songer qu’au salut de la Révolution et de la patrie. Brissot et Robespierre firent tous deux appel à l’union, le 28 juin devant le club, et tous deux réclamèrent le prompt châtiment de La Fayette. A l’Assemblée, les Girondins brandirent contre les ministres feuillants la menace du décret d’accusation, ils prirent l’initiative de nouvelles mesures de défense nationale et ils battirent le rappel des forces populaires. Le 1er juillet, ils faisaient décréter la publicité des séances de tous les corps administratifs, ce qui était les mettre sous la surveillance populaire. Le 2 juillet, ils tournaient le veto, que le roi avait opposé au décret du camp de 20.000 hommes, en faisant voter un nouveau décret qui autorisait les gardes nationaux des départements à se rendre à Paris pour la Fédération du 14 juillet et accordait à ces fédérés des frais de route et des billets de logement. Le 3 juillet, Vergniaud, élevant le débat, fit planer une terrible menace contre le roi lui-même : C’est au nom du roi que les princes français ont tenté de soulever contre la nation toutes les Cours de l’Europe, c’est pour venger la dignité du roi que s’est conclu le traité de Pillnitz et formée l’alliance monstrueuse entre les Cours de Vienne et de Berlin ; c’est pour défendre le roi qu’on a vu accourir en Allemagne sous les drapeaux de la rébellion les anciennes compagnies des gardes du corps ; c’est pour venir au secours du roi que les émigrés sollicitent et obtiennent de l’emploi dans les armées autrichiennes et s’apprêtent à déchirer le sein de leur patrie... c’est au nom du roi que la liberté est attaquée... or, je lis dans la Constitution, chapitre II, section I, article 6 : Si le roi se met à la tête d’une armée et en dirige les forces contre la nation, ou s’il ne s’oppose pas, par un acte formel, à une telle entreprise qui s’exécuterait en son nom, il sera censé avoir abdiqué la royauté. Et Vergniaud, rappelant le veto royal, cause des désordres des provinces, et l’inaction voulue des généraux qui préparait l’invasion, demandait à l’Assemblée, sous une forme dubitative il est vrai, si Louis XVI ne tombait pas sous le coup de l’article constitutionnel. Il jetait ainsi l’idée de la déchéance aux quatre vents de l’opinion. Son discours, qui fit une énorme impression, fut envoyé par l’Assemblée à tous les départements. Le 11 juillet, l’Assemblée proclama la patrie en danger. Tous les corps administratifs et les municipalités durent siéger en permanence. Toutes les gardes nationales furent appelées sous les armes. De nouveaux bataillons de volontaires furent levés. En quelques jours, 15.000 Parisiens s’enrôlèrent. Des grandes villes, de Marseille, d’Angers, de Dijon, de Montpellier, etc., des adresses menaçantes réclamaient la déchéance. Le 13 juillet, l’Assemblée cassait la suspension de Petion et le rendait à ses fonctions. A la Fédération du lendemain, on n’entendit pas de cris de Vive le roi ! Les spectateurs portaient sur leur chapeau, écrits à la craie, les mots Vive Petion ! La grande crise s’annonçait. Pour la conjurer il aurait fallu que le parti feuillant formât un bloc compact et qu’il fût assuré de l’appui formel et sans réserves du château. Mais les Feuillants s’entendaient mal. Bertrand se défiait de Duport. Les ministres, pour prévenir la proclamation du danger de la patrie, avaient conseillé au roi de se rendre à leur tête devant l’Assemblée et de lui dénoncer le péril que les factieux faisaient courir à la France en conspirant ouvertement le renversement de la monarchie. Louis XVI refusa, sur les conseils de Duport qui ne voyait le salut que dans une intervention de La Fayette. Alors les ministres donnèrent tous ensemble leur démission, le 10 juillet, la veille même du jour où l’Assemblée proclama la patrie en danger. La Fayette, qui s’était entendu avec Luckner, proposa au roi de le faire sortir de Paris et de l’amener à Compiègne où il avait préparé des troupes pour le recevoir. Le départ, d’abord fixé au 12 juillet, fut reculé au 15. Mais Louis XVI finalement refusa l’offre de La Fayette. Il craignit de n’être plus qu’un otage entre les mains du général. Il se souvenait qu’au temps des guerres de Religion, les factions s’étaient disputées la personne royale. Il n’avait confiance que dans les baïonnettes étrangères, et Marie-Antoinette insistait auprès de Mercy pour que les souverains coalisés fissent paraître le plus tôt possible un manifeste capable d’en imposer aux Jacobins et même de les terrifier. Ce manifeste, au bas duquel le duc de Brunswick, généralissime des troupes alliées, mit sa signature, au lieu de sauver la Cour, devait causer sa ruine. Il menaçait de passer par les armes tous les gardes nationaux qui essaieraient de se défendre et de démolir et d’incendier Paris si Louis XVI et sa famille n’étaient pas remis immédiatement en liberté. Cependant la démission des ministres feuillants jeta de nouveau la division dans le parti patriote. Les Girondins s’imaginèrent que l’occasion était excellente pour s’imposer au roi désemparé et réoccuper le pouvoir. Ils entrèrent en négociations secrètes avec la Cour. Vergniaud, Guadet, Gensonné écrivirent au roi, par l’intermédiaire du peintre Boze et du valet de chambre Thierry, entre le 16 et le 18 juillet. Guadet vit le roi, la reine et le dauphin. Aussitôt les Girondins changèrent d’attitude à l’Assemblée. Ils se mirent à désavouer l’agitation républicaine et à menacer les factieux. La section parisienne de Mauconseil, ayant pris un arrêté par lequel elle déclarait qu’elle ne reconnaissait plus Louis XVI comme roi des Français, Vergniaud fit annuler cette délibération, le 4 août. Dès le 25 juillet, Brissot jetait l’anathème sur le parti républicain : S’il existe des hommes, disait-il, qui tendent à établir à présent la République sur les débris de la Constitution, le glaive de la loi doit frapper sur eux comme sur les amis actifs des deux Chambres et sur les contre-révolutionnaires de Coblentz. Et, le même jour, Lasource essayait de convaincre les Jacobins qu’il fallait éloigner les fédérés de Paris en les dirigeant sur le camp de Soissons ou sur les frontières. Il devenait évident que les Girondins ne voulaient point d’insurrection ni de déchéance. Mais le mouvement était lancé et rien ne pouvait plus l’arrêter. Les sections parisiennes siégeaient en permanence. Elles formaient entre elles un comité central. Plusieurs admettaient à délibérer dans leurs assemblées les citoyens passifs, elles les autorisaient à entrer dans la garde nationale et elles les armaient avec des piques. Aux Jacobins Robespierre et Anthoine, à l’Assemblée le trio cordelier prenaient la direction du mouvement populaire. Le rôle de Robespierre surtout fut considérable. Il harangua les fédérés aux Jacobins dès le 11 juillet, il les coléra : Citoyens, êtes-vous accourus pour une vaine cérémonie, le renouvellement de la Fédération du 14 juillet ? Il leur dépeignit la trahison des généraux, l’impunité de La Fayette : L’Assemblée nationale existe-t-elle encore ? Elle a été outragée, avilie et ne s’est point vengée ! Puisque l’Assemblée se dérobait, c’était aux fédérés à sauver l’État. Il leur conseilla de ne pas prêter serment au roi. La provocation était si flagrante que le ministre de la Justice dénonça son discours à l’accusateur public et demanda contre lui des poursuites. Robespierre, sans s’intimider, rédigea les pétitions de plus en plus menaçantes que les fédérés présentèrent coup sur coup à l’Assemblée. Celle du 17 juillet réclamait la déchéance. Sous son impulsion, les fédérés nommaient un directoire secret où figurait son ami Anthoine, et ce directoire se réunit parfois dans la maison du menuisier Duplay où il logeait, comme Anthoine. Quand il vit les Girondins pactiser de nouveau avec la Cour, Robespierre reprit contre eux le combat. Dès le 25 juillet, répondant à Lasource, il déclara aux Jacobins qu’aux grands maux il fallait les grands remèdes. La destitution du roi ne lui parut pas une mesure suffisante : La suspension, qui laisserait sur la tête du roi le titre et les droits de la puissance exécutive, ne serait évidemment qu’un jeu concerté entre la Cour et les intrigants de la Législative pour la lui rendre plus étendue au moment où il serait réintégré. La déchéance ou la destitution absolue serait moins suspecte, mais seule elle laisserait encore la porte ouverte aux inconvénients que nous avons développés. Robespierre craint donc que les intrigants de la Législative, autrement dit les brissotins, ne jouent avec Louis XVI une nouvelle édition de la comédie que les Feuillants avaient déjà jouée une première fois après Varennes. Il ne veut pas être dupe et il réclame la disparition immédiate de la Législative et son remplacement par une convention qui réformera la Constitution. Il condamne du même coup l’Assemblée et le roi. Il veut que la convention soit élue par tous les citoyens sans distinction d’actifs et de passifs. Autrement dit, il en appelle aux masses contre la bourgeoisie. Par là, il coupait court aux dernières manœuvres des Girondins pour remonter au pouvoir sous le nom du roi. Le plan qu’il proposait s’exécuta. Brissot s’efforça vainement de répliquer à Robespierre, le 26 juillet, dans un grand discours devant l’Assemblée. Il dénonça l’agitation des factieux qui réclamaient la déchéance. Il condamna le projet de convoquer les assemblées primaires pour nommer une nouvelle assemblée. Il insinua que cette convocation ferait le jeu des aristocrates. La lutte entre Robespierre et les Girondins s’envenima. Isnard dénonça Anthoine et Robespierre comme des conspirateurs et prit l’engagement, au club de la Réunion où se concertaient les députés de la gauche, de les faire traduire devant la Haute Cour. Petion s’efforçait d’empêcher l’insurrection. Le 7 août encore, il se rendit chez Robespierre pour lui demander de calmer le peuple. Pendant ce temps Danton se reposait à Arcis-sur-Aube d’où il ne revint que la veille du grand jour. Robespierre, qui était admirablement renseigné, dénonça, le 4 août, un complot formé par les aristocrates pour faire évader le roi. La Fayette fit, en effet, une nouvelle tentative en ce sens. Il avait envoyé, à la fin de juillet, à Bruxelles un agent, Masson de Saint-Amand, solliciter de l’Autriche une suspension d’armes et la médiation de l’Espagne en vue de négocier la paix. En même temps il faisait filer en secret de la cavalerie sur Compiègne pour protéger le départ du roi. Mais tous ses efforts furent inutiles. Louis XVI, une fois encore, refusa de partir. Les négociations secrètes des Girondins l’avaient rendu optimiste. Puis, il avait répandu de grosses sommes d’argent parmi les meneurs populaires. Duport avait été chargé de corrompre Petion, Santerre et Delacroix (d’Eure-et-Loir). Un million, dit Bertrand de Moleville, avait été mis à sa disposition. La Fayette déclare que Danton reçut 50.000 écus. Le ministre de l’Intérieur Terrier de Monciel distribua, à lui seul, 547.000 livres à la fin de juillet et 449.000 au début d’août. Westermann, un soudard alsacien qui faisait partie du directoire des fédérés, déclara, en avril 1793 devant une commission d’enquête de la Convention, qu’on lui avait offert trois millions et qu’il en donna avis à Danton. Fabre d’Eglantine, poète décavé, essaya de soutirer des sommes importantes au ministre de la Marine Dubouchage. Le couple royal était persuadé qu’il n’avait rien de sérieux à craindre d’hommes qui voulaient seulement gagner de l’argent. Il n’avait pas réfléchi que ces mêmes hommes sans scrupules étaient capables de prendre l’argent et de trahir ensuite. La garnison du château fut renforcée. Le commandant de la garde nationale Mandat de Grancey était un royaliste zélé. L’Assemblée ayant définitivement absous La Fayette, le 8 août, le directoire secret d’insurrection se partagea les rôles. Dans la nuit du 9 au 10 août, Carra et Chaumette se rendirent à la caserne des fédérés marseillais dans la section des Cordeliers pendant que Santerre soulevait le faubourg Saint-Antoine et Alexandre le faubourg Saint-Marceau. Le tocsin sonna. Les sections envoyèrent à l’Hôtel de Ville des commissaires qui s’installèrent en municipalité révolutionnaire à la place de la municipalité légale. Petion fut consigné bientôt dans son hôtel sous la garde d’un détachement. Mandat, appelé à l’Hôtel de Ville, fut convaincu d’avoir donné l’ordre d’attaquer les fédérés par derrière. La Commune révolutionnaire ordonna son arrestation et pendant qu’on le conduisait en prison, un coup de pistolet l’étendait raide mort sur la place de Grève. Mandat supprimé, la défense du château était désorganisée. Louis XVI manqua de résolution. Dès l’approche des manifestants, il se laissa convaincre par le procureur général du département Rœderer qu’il devait quitter le château avec sa famille pour se mettre à l’abri dans l’Assemblée qui siégeait tout près, dans la salle du Manège. Quand il eut quitté les Tuileries, la plupart des gardes nationaux des sections royalistes (Filles-Saint-Thomas et Petits-Pères) et la totalité des canonniers passèrent à l’insurrection. Seuls les Suisses et les gentilshommes firent une belle défense. Ils balayèrent de leur feu meurtrier les cours du château. Les insurgés durent amener des canons et donner l’assaut. Les Suisses forcés furent massacrés en grand nombre. On compta du côté du peuple cinq cents tués et blessés. L’Assemblée suivait avec inquiétude les péripéties de la lutte. Tant que l’issue en fut douteuse, elle traita Louis XVI en roi. Quand il s’était présenté pour demander un refuge, Vergniaud, qui présidait, lui déclara que l’Assemblée connaissait son devoir et qu’elle avait juré de maintenir les autorités constituées. Guadet proposa peu après de nommer un gouverneur au prince royal. Mais, quand l’insurrection fut décidément victorieuse, l’Assemblée prononça la suspension du roi et vota la convocation de cette convention qu’avait réclamée Robespierre, au grand courroux de Brissot. Le roi suspendu fut placé sous bonne garde. L’Assemblée aurait voulu lui réserver le palais du Luxembourg. La Commune insurrectionnelle exigea qu’il fût conduit au Temple, prison plus étroite et plus facile à garder. Le trône était renversé, mais avec le trône tombaient aussi ses derniers défenseurs, cette minorité de la noblesse qui avait déchaîné la Révolution et qui s’était flattée de la modérer et de la conduire et qui avait eu l’illusion un temps qu’elle gouvernait, avec La Fayette d’abord, avec les Lameth ensuite. La Fayette tenta de soulever son armée contre Paris. Il réussit d’abord à entraîner le département des Ardennes et quelques municipalités ; mais, abandonné par la majorité de ses troupes, il dut bientôt s’enfuir en Belgique, le 19 août, suivi d’Alexandre Lameth et de Latour Maubourg. Les Autrichiens lui firent mauvais accueil et l’enfermèrent au château d’Ollmutz. Son ami le baron de Dietrich, le célèbre maire de Strasbourg dans le salon duquel Rouget de Lisle avait déclamé le chant de marche de l’armée du Rhin devenu ensuite La Marseillaise, ne réussit pas davantage à soulever l’Alsace. Révoqué par l’Assemblée, il passa lui aussi la frontière. Mais ce n’était pas seulement le parti feuillant, c’est-à-dire la haute bourgeoisie et la noblesse libérale, qui était écrasé avec la royauté sous le canon du 10 août, le parti girondin lui-même, qui avait transigé avec la Cour in extremis et qui s’était efforcé d’empêcher l’insurrection, sortait amoindri d’une victoire qui n’était pas son œuvre et qui lui avait été imposée. Les artisans et les citoyens passifs, c’est-à-dire les prolétaires, enrôlés par Robespierre et les Montagnards, avaient pris largement leur revanche du massacre du Champ-de-Mars de l’année précédente. La chute du trône avait la valeur d’une Révolution nouvelle. La démocratie pointait à l’horizon.
FIN DU PREMIER VOLUME |