L'Église catholique
soumise au régime du droit commun. Les divisions dans le clergé réfractaire.
— Soumissionnaires et insoumis. — Culte privé et culte public. — Les
associations cultuelles organisées par les soumissionnaires et les
constitutionnels. — Conflits entre les ecclésiastiques et les fidèles. — Le
budget des associations cultuelles. — Les prêtres et les métiers profanes. —
Caisses de secours, casuel. — Dissensions et conflits au sein du clergé
catholique. — Constitutionnels et théophilanthropes.
Pendant
les sept, années qui ont précédé le Con - cordat, la République française n'a
fourni aux différents cultes aucune subvention, aucun appui d'aucune sorte.
Elle leur a simplement accordé l'usage gratuit des églises à partir du 11
prairial an III, mais en entourant cette concession de garanties multiples et
d'exigences rigoureuses. L'édifice restait un bien national, dont
l'administration était confiée à la commune, qui continuait à s'en servir
pour les assemblées électorales, les fêtes nationales et les cérémonies
décadaires. Les fidèles, qui en obtenaient l'usage, étaient tenus des
réparations, grosses et petites, malgré l'obligation où ils étaient de
partager la jouissance avec les autorités communales et avec les cultes
concurrents. La législation d'alors ne reconnaissait la hiérarchie d'aucune
Église. Elle ne voulait avoir devant elle que des citoyens, que des
particuliers qui s'intitulaient les uns fidèles, les autres ministres. Elle
ne cherchait pas à définir le ministre. Elle considérait comme tel quiconque
présidait les cérémonies, fût-il laïque, car elle ignorait les rites
sacramentels comme la hiérarchie religieuse. Très hostile aux corporations en
général, elle était particulièrement défiante à l'égard des corporations
religieuses. Elle leur interdisait de s'unir et de se fédérer. Pour empêcher
la reconstitution de la mainmorte, elle prohibait toute dotation, toute
fondation, toute contribution forcée dans un but cultuel. Aucun prêtre ne
pouvait officier publiquement sans avoir donné au préalable une garantie
civique à la société en souscrivant une déclaration ou un serment de
soumission aux lois. Encore, depuis les derniers mois de la Convention
thermidorienne, à partir de la loi du 20 fructidor an III, tous les prêtres
n'étaient-ils pas admis à faire cette déclaration, mais ceux-là seuls qui
avaient prêté, à l'époque du 10 août 1792, le serment d'être fidèles à la
liberté et à l'égalité et de mourir en les défendant. Ceux qui avaient
refusé de prêter ce serment ou ceux qui l'avaient rétracté s'étaient mis par
cela même hors la loi. Non seulement ils ne pouvaient exercer publiquement
leur culte, mais leur présence n'était pas tolérée sur le territoire de la
République. Légalement bannis et assimilés aux émigrés, ils s'exposaient à la
mort en rentrant en France. L'Église
catholique constitutionnelle, qui est maintenant privée de tout caractère
officiel, mais qui garde néanmoins son organisation démocratique, la nouvelle
Église théophilanthropique, qui se donne pour l'Église républicaine par
excellence, s'accommodèrent facilement d'une législation qui nous paraîtrait
aujourd'hui bien sévère, mais qui fut accueillie alors avec reconnaissance.
On était au lendemain de la Terreur ! Les ministres constitutionnels, les
lecteurs théophilanthropes prêtèrent donc avec empressement tous les serments
qu'on leur demanda et ils exercèrent publiquement leur culte dans les églises
rouvertes. Les
catholiques soumis à Rome, les réfractaires, comme on les appelait,
hésitèrent et se divisèrent. Une partie d'entre eux, par goût et par calcul
politique autant peut-être que par nécessité légale, recoururent au culte
privé et clandestin et refusèrent (le jurer les nouveaux serments, comme ils
avaient refusé de jurer le premier de la série, celui de la Constitution
civile du clergé. Un certain nombre de réfractaires consentirent néanmoins à
souscrire le serment de liberté et d'égalité et les serments postérieurs,
afin de pouvoir continuer à exercer le culte public. Pour la
première fois, depuis qu'elle était devenue l'Église triomphante avec
Constantin, l'Église romaine subissait l'épreuve du droit commun. Elle ne
pouvait plus compter pour substituer et pour garantir son organisation et sa
hiérarchie, sur ses biens immenses et sur la protection de l'État ; les biens
sont nationalisés, l'État est hostile. Désormais l'Église ne vit plus que par
ce qu'il lui reste de forces morales, elle n'existe que par les libres
sacrifices de tous ses membres, prêtres et fidèles. L'épreuve était
redoutable pour une Église fondée tout entière, dogmes et discipline, sur
l'autorité et sur l'obéissance. Cette épreuve, il était inévitable que le
catholicisme ne pût la supporter qu'au prix de pertes plus ou moins
douloureuses, de blessures plus ou moins graves. Je voudrais rechercher
quelle fut l'étendue de ces pertes, la profondeur de ces blessures et mesurer
ainsi, avec quelque approximation, la résistance que les différents cultes
mystiques ont alors opposée à cette force dissolvante qui s'appelle la
liberté, soit qu'ils se soient réfugiés dans le culte privé et clandestin,
soit, au contraire, qu'ils aient accepté les conditions mises par la loi à
l'exercice du culte public. Il y a
un siècle, l'autorité du pape sur l'Église en général et sur l'Église de
France en particulier ne ressemblait guère à ce qu'elle est aujourd'hui. Les
évêques n'étaient pas encore devenus de simples exécuteurs des ordres du
Saint-Siège. Gallicans pour la plupart, très attachés à leur indépendance,
très jaloux d'exercer dans leur plénitude tous les droits qu'ils tenaient des
canons, ils n'auraient pas accepté, même en cas de nécessité urgente — et
c'en était une que de mettre de l'unité et de l'uniformité dans leur lutte
contre la Révolution — d'abdiquer leurs pouvoirs aux mains du pape. Ils
n'avaient pas attendu la condamnation tardive venue de Rome pour organiser la
résistance à la Constitution civile du clergé, très souvent ils ne prirent
conseil que d'eux-mêmes. Ils répugnèrent toujours à recevoir un mot d'ordre,
d'où que vint ce mot d'ordre, du pape ou du roi. Après
la rupture des relations diplomatiques, le pape avait conservé en France un
représentant officieux, un internonce, l'abbé de Salamon, qui le renseignait
sur les événements, transmettait ses ordres, publiait ses brefs, rendait en
un mot les mêmes services que naguère Mgr Montagnini. Salamon se plaint dans
sa correspondance du peu de bonne volonté que mettaient les évêques à suivre
les instructions qu'il leur donnait. Les évêques se permettaient de retarder
la publication des brefs et d'apporter des retouches à leur traduction I Par
exemple, pour se donner le temps d'examiner en détail le bref du 10 mars 1791
qui condamnait l'œuvre religieuse de la Constituante, ils le gardèrent secret
pendant un mois avant de le faire imprimer. Le pape, qui les connaissait,
n'osa pas leur tracer une ligne de conduite uniforme. Il se borna la plupart
du temps à leur accorder les pouvoirs extraordinaires qui leur étaient
nécessaires en raison des circonstances[1] et il y joignit parfois des
indications, des conseils, rarement des ordres formels. Il ne voulait pas
s'exposer à des désobéissances qu'il savait probables. Bien
qu'ils fussent en très grande majorité d'ardents royalistes, les évêques
réfractaires n'étaient guère plus dociles aux volontés du Roi qu'à celles du
Saint-Père. Louis XVIII, voulant imprimer une direction commune au clergé
réfractaire, avait eu l'idée de constituer auprès de lui un comité de dix
évêques désignés par leurs collègues. L'élection du comité était déjà
commencée quand des protestations s'élevèrent qui firent renoncer au projet.
L'archevêque de Lyon, de Marbeuf, déclara que les évêques ne pouvaient céder
à quelques-uns d'entre eux une partie de leurs pouvoirs, sans abandonner ce
qui était l'essence même de l'épiscopat. Son sentiment fut partagé par la
majorité, pour d'autres raisons encore. Plusieurs craignirent que le comité
ne fût entre les mains du pape autant qu'entre celles du roi un moyen
d'asservissement. L'archevêque de Narbonne, Dillon, s'en expliquait nettement
dans une lettre datée de Londres le 1er mai 1796 : « ... Une des
prétentions de la Cour de Rome est que les évêques dispersés dans la
chrétienté n'ont de pouvoirs que par délégation du Saint-Père. Nous nous
élevons en France contre cette prétention et vous comprenez qu'un comité qui
pourrait à chaque instant s'appuyer de la sanction pontificale ne serait pas
à cet égard sans de graves inconvénients[2]... » Le comité ne fut pas
formé et les évêques conservèrent jalousement l'intégrité de leurs pouvoirs
dont ils usèrent naturellement de façon variable. Le combat qu'ils livrèrent
contre la Révolution fut par suite un combat en ordre dispersé. Laissés
à eux-mêmes, il était fatal que la division s'introduisit parmi eux à bref
délai sur la conduite à tenir. Alors que les plus ardents émigraient en grand
nombre dès les premiers temps de la Révolution et ne voyaient le salut de
l'Église que dans la Restauration complète de l'ancien régime, d'autres plus
prudents, plus modérés ou plus attachés à leurs devoirs religieux qu'à leurs
anciens privilèges et moins subjugués par leurs passions politiques,
restaient en France pour disputer les fidèles au clergé constitutionnel. Ces
évêques qui eurent le courage de ne pas déserter leur poste ne furent jamais
très nombreux[3], mais ils avaient à côté d'eux
un clergé actif et habile dont l'importance et l'influence allèrent sans
cesse en augmentant et ils gagnèrent peu à peu à leurs idées de soumission au
pouvoir civil une partie des évêques émigrés eux-mêmes. Au lendemain de la
chute de la royauté, quand la Législative avait mis comme condition à
l'exercice public du culte la prestation d'un serment infiniment plus civique
que celui de la Constitution civile du clergé, ils avaient accepté de jurer.
Le premier pas franchi, ils se soumirent de même à tous les autres serments,
promesses ou déclarations, qu'on leur demanda dans la suite. Au
début, leur conduite fit scandale et fut blâmée à l'égal d'une trahison ou
d'une lâcheté. On les qualifia de schismatiques et d'hérétiques, on les
assimila aux premiers jureurs. Les évêques les plus intransigeants
défendirent à leur clergé d'entrer en relations in divinis avec ces
soumissionnaires. Les « bons prêtres », ceux qui n'avaient pas
reconnu la République et qui opéraient en marge de la loi, recommencèrent
leurs baptêmes et leurs mariages qu'ils considéraient comme nuls. Leur
condamnation fut demandée à Rome, mais la condamnation ne vint pas. Les
seconds jureurs se défendirent. Ils invoquèrent pour leur justification de
bonnes raisons canoniques et de meilleures raisons d'opportunité. Le Christ,
disaient-ils, avait commandé à son Église d'obéir aux lois de l'État. « Rendez
à César ce qui est à César. » Reconnaître la République, c'était donc
chose permise, chose due. Leur soumission aux lois, ajoutaient-ils, n'était
pas une approbation de ces lois. Ils restaient au contraire irréductiblement
hostiles à toutes les lois civiles qui violaient les lois divines, par
exemple aux lois sur le mariage civil et sur le divorce. Leur soumission
n'était que passive et non active. Elle engageait leurs gestes extérieurs,
non leur conscience. Ils ne s'étaient prêtés à cette formalité que dans
l'intérêt supérieur de la religion, pour maintenir l'exercice public du culte
romain et disputer les fidèles aux schismatiques et aux incrédules. Que
serait-il arrivé s'ils avaient refusé le serinent, de liberté et d'égalité ?
Ils auraient dû s'expatrier à leur tour et « laisser les fidèles
entièrement privés des secours spirituels qu'ils ne pourraient plus se
procurer qu'en participant au schisme[4] ». Pouvaient-ils ainsi
laisser le champ libre aux constitutionnels, aux intrus ? Et puis, refuser le
serment, c'était « rendre la religion odieuse et la faire regarder comme
inconciliable avec le nouvel ordre de choses[5] ». C'était autoriser
d'avance de nouvelles persécutions. Aux intransigeants qui leur conseillaient
de recourir au culte privé, qui ne pouvait être en l'état de la législation
qu'un culte clandestin, ils répondaient que le culte privé, outre qu'il
serait difficile et dangereux à organiser, n'atteindrait pas le même but que
le culte public. Les oratoires secrets ne seraient accessibles qu'à une très
petite partie des fidèles, aux fidèles courageux et zélés, à ceux-là même qui
en auraient eu le moins besoin pour conserver la foi. Les autres, qui
formeraient la masse, abandonnés par leurs légitimes pasteurs, ou bien
passeraient au schisme, ou bien perdraient insensiblement les habitudes
cultuelles et la France se déchristianiserait de plus en plus. Les
prêtres insoumis traitaient cette argumentation de sophistique. Ou bien,
disaient-ils à leurs contradicteurs, votre soumission est sincère ou elle ne
l'est pas. Si elle est sincère, elle est une trahison envers l'Église et
envers la Monarchie. Comment pouvez-vous jurer de maintenir la liberté et
l'égalité, de respecter la souveraineté du peuple, -de haïr la royauté, tout
en restant catholiques romains et fidèles aux serments que vous avez prêtés
au roi légitime ? C'est manifestement impossible, car l'Église condamne la
liberté et l'égalité et sacre les rois ! Comment peut-on être sincèrement
soumis à des lois qui proclament la liberté de tous les cultes et la liberté
de l'impiété, qui suppriment les vœux monastiques, autorisent le divorce,
etc. ? Si les soumissionnaires, comme ils le disent, restent au fond du cœur
monarchistes et catholiques, ils font donc profession d'hypocrisie en approu
van t, ne fîi t-ce que du bout des lèvres, ce que leur conscience réprouve.
Ils veulent maintenir le culte public. Mais d'abord ce culte public est
impraticable aux conditions qui lui sont faites. Il faudra partager les
églises, non seulement avec les hérétiques, ce qui est canoniquement possible
à la rigueur, mais avec des impies, avec des déistes comme les théophilanthropes,
avec des athées comme les orateurs décadaires. Le culte maintenu à ce prix ne
sera plus qu'un culte souillé, qu'un culte sans prestige comme sans
efficacité, qu'une contrefaçon. Puis, en acceptant d'officier dans les
églises de la République, on fera croire aux populations que la véritable
religion peut s'accommoder de la République. On les habituera à regarder cet
odieux régime comme supportable, comme définitif. On séparera ainsi « la
cause de l'autel de celle du trône et les intérêts des chefs royalistes qui
luttent encore de ceux des ministres de Dieu[6] ». On affaiblira d'autant les chances
de la restauration. On fera tomber les armes aux mains des insurgés,
l'amertume au cœur des mécontents. Les
soumissionnaires protestaient contre ces arrière-pensées politiques, ils ne
confondaient pas, disaient-ils, la religion avec la monarchie. Ils ne
voulaient pas compromettre l'une par l'autre. L'abbé Emery, leur chef
reconnu, accusait ses contradicteurs d'aristocratie. « Vous
frémiriez, écrivait-il en 1796 à son ami de Villèle, si vous étiez témoin
jusqu'à quel point est funeste à la religion la prévention de quelques
personnes dominées par des vues de contre-révolution très mal entendues et
pour qui la religion, au lieu d'être une fin, n'est qu'un moyen'[7]. » Et l'évêque d'Alais,
Dausset, qui avait refusé d'émigrer, disait de même que les insoumis
voulaient faire périr la religion « pour des opinions purement politiques et
problématiques en politique[8] ». Tel
était en effet le fond du débat. Les insoumis, qui ne séparaient pas la cause
de la monarchie de celle de l'Église, voyaient dans la suppression du culte
public et l'organisation du culte privé un efficace instrument de la
restauration attendue. Par la suppression du culte public, ils espéraient
maintenir dans la masse du peuple resté croyant l'irritation nécessaire pour
renverser la République. Risquant le tout pour le tout, ils ne comptaient que
sur des coups de force. Dans leurs oratoires secrets, ils préparaient à la
contre-révolution des chefs[9]. Comme le disait le clairvoyant
Emery, le culte privé n'était pas pour eux une fin mais un moyen. Les
soumissionnaires, plus attachés à la religion qu'à la monarchie, mais
excellents royalistes tout de même, opposaient à cette tactique extrémiste
leur prudent opportunisme. Ils marchaient vers le même but, mais par des
voies opposées. Ils attendaient la Restauration non pas d'un soulèvement
problématique mais de la lente et sûre transformation de l'esprit public.
C'était la masse de la nation qu'ils voulaient ramener à eux, non pas en la
violentant, en la privant des sacrements, mais en l'attirant à ses offices
pour la catéchiser et la convertir. De toute nécessité il leur fallait, pour
réussir, le culte public. Entre
les deux tactiques, entre les deux partis, le pape ne sut pas ou ne voulut
pas choisir. Au début, comme la majorité de l'épiscopat semblait hostile aux
soumissionnaires, il eut l'air de désapprouver le serment de liberté et
d'égalité, mais il ne le condamna pas. Il se borna à avertir ceux qui
l'avaient prêté de réfléchir, de consulter leur conscience. Puis, quand il
vit, pendant les premiers temps du Directoire, le nombre des soumissionnaires
augmenter tous les jours, le culte public prospérer grâce à eux, les catholiques
pénétrer de toutes parts dans les administrations élues et obtenir la
majorité jusque dans les conseils législatifs, le pape se montra ouvertement
sympathique à leur tactique. Les victoires de Bonaparte en Italie, sa marche
triomphale vers Rome lui faisaient d'ailleurs mieux comprendre le prix de la
conciliation avec la République. Au moment de l'armistice de Bologne, le pape
conseilla formellement la soumission dans le bref Pastoralis sollicitado
qu'il présenta au Directoire comme gage de ses intentions pacificatrices. Le
Directoire, à la vérité, trouva le bref insuffisant et le pape ne le
promulgua pas officiellement, mais les soumissionnaires, qui en avaient eu
connaissance, s'empressèrent de le publier comme une éclatante justification
de leur conduite[10]. Après
le 18 fructidor et la réaction anticléricale qui suivit, le pape sembla
revenir du côté des intransigeants, mais il se garda toujours de prononcer
sur cette grave question du culte privé et du culte public, de la soumission
et de l'insoumission, un jugement formel, et il eut bien raison ! S'il
s'était hasardé à donner tort à l'un des deux partis, les querelles ne se
seraient probablement pas calmées et peut-être se seraient-elles envenimées.
Le prestige du Saint-Siège en aurait été inutilement amoindri. Quand on lit
la correspondance des évêques émigrés, il n'est pas permis d'avoir le moindre
doute sur ce qui serait arrivé. Voici, par exemple, ce qu'écrivait au
Cardinal Maury le prince-évêque d'Embrun, de Lausanne, le 31 août 1796, au
sujet du bref Pastoralis sollicitudo : « Si, par impossible, le
malheur qu'on prévoit (l'ordre de se soumettre) arrivait, je prierais Dieu de
changer ma conscience, car si elle restait telle qu'elle est, telle qu'elle a
toujours été et qu'elle sera probablement toujours, je donnerais cent fois ma
démission de mon siège plutôt que de concourir à une pareille infamie. La
presque unanimité des évêques se ferait pendre plutôt que d'admettre la
soumission, et si le Saint-Père décidait au contraire, ce qui n'arrivera
sûrement pas, il y aurait certainement un schisme parmi nous et tout serait
perdu[11]. » N'oublions pas que la
moitié des évêques réfractaires (37 sur 81) refuseront bientôt de
reconnaître le Concordat et de donner la démission qui leur fut alors
demandée pour le bien de l'Église. Le pape
fut donc habile en restant alors dans l'indécision, également éloigné des
soumissionnaires et des insoumis. Le culte public et le culte privé
s'organisèrent spontanément et simultanément et souvent côte à côte. Selon
les circonstances et les localités, les mêmes hommes qui avaient prêché
l'insoumission se soumettaient à leur tour et célébraient le culte public
pour retourner l'instant d'après au culte privé. A Paris, en l'an 1V et en
l'an V, le culte public et le culte privé fonctionnaient concurremment et
c'étaient parfois les mêmes prêtres réfractaires qui desservaient la chapelle
particulière et l'église ouverte à tous[12]. Il y eut sans doute des incidents
regrettables, des rivalités fâcheuses, des violences même entre les prêtres
soumis et insoumis ; il fut certain cependant que leur émulation tourna plus
d'une fois au bien de la religion. Le maintien du culte public empêcha les
catholiques tièdes de passer aux constitutionnels ou aux théophilanthropes,
c'est-à-dire à la République. Le culte privé satisfit le besoin d'émotion des
catholiques ardents et raviva leur haine du gouvernement. Mais en général,
cependant, c'est dans les régions où tout culte public fut supprimé que les
populations comptèrent le plus d'incrédules ou d'indifférents et où le
Directoire eut le moins de résistances à vaincre. Le Directoire, qui
s'efforça, après le 18 fructidor, de ruiner le culte public, faisait le même
calcul que les insoumis, mais inversement. Il se disait que le jour où toutes
les églises seraient fermées, les populations se déshabitueraient du
catholicisme et que la République serait affermie à jamais. Aux
yeux des insoumis, la religion catholique était morte en France, puisqu'elle
avait cessé d'y avoir une existence officielle. La France était pour eux un
pays idolâtre. Dès lors l'idée devait leur venir d'y organiser des missions.
Dès 1794, un vicaire général de M. de Marbeuf, archevêque de Lyon émigré,
l'abbé de Linsolas, qui avait étudié autrefois au séminaire des missions
étrangères, lança le projet et le mit à exécution dans son diocèse. Son
projet fut discuté article par article et adopté par ses collègues du conseil
archiépiscopal. On y joignit bientôt un règlement pour les laïques,
catéchistes et chefs de village, dont le concours était indispensable pour la
réussite. Le tout fut communiqué à M. de Marbeuf, qui l'approuva et en permit
l'application. Le diocèse fut divisé en plusieurs missions ou cercles
comprenant chacun cinquante ou soixante paroisses. Chaque cercle avait à sa tête
un chef énergique et habile qui répartissait les simples prêtres dans les
paroisses sur l'avis du conseil épiscopal. En règle générale, les prêtres
revenus de l'étranger étaient éloignés de leurs anciennes paroisses, de peur
qu'ils ne fussent reconnus. Afin de leur éviter toute imprudence, des
instructions précises leur traçaient leurs devoirs : « Vous
n'aurez ni bréviaire, ni papiers, ni rien qui puisse déceler un
ecclésiastique. Vous ne direz pas votre nom sans nécessité ; vous ne ferez
connaître ni le lieu d'où vous venez ni celui où vous allez. ... Vous
pourrez, si vous le jugez prudent, vous présenter comme un petit marchand
forain ou comme un ouvrier qui demande du travail. Vous tâcherez d'avoir dans
chaque paroisse l'indication d'une maison sûre. Vous ne cheminerez que la
nuit et par des sentiers détournés. Vous logerez de préférence chez des
personnes pauvres et, si les cas l'exigent, vous coucherez dans les granges,
même à l'insu des propriétaires, pour ne pas les compromettre. Vous ne
demeurerez auprès des malades que le temps nécessaire pour leur administrer
les sacrements. Pour célébrer la Sainte Messe, il faudra nécessairement avoir
un petit autel portatif, un calice, une patène et du pain azyme, mais vous
pourrez au besoin vous passer de servant, en répondant vous-même, ou en
permettant à une femme de répondre à sa place[13]... » Les
missionnaires enfin sont autorisés « à dire la messe dès trois heures du
matin, au besoin avec des calices de verre ou en tout métal, à se communier
eux-mêmes, en dehors du Saint-Sacrifice quand ils ne peuvent le célébrer, à
ne tenir registre de leurs baptêmes que là où il n'y a point de risque de les
voir passer aux mains de leurs ennemis... » On voit
immédiatement, par la simple lecture de ces instructions, que le culte privé
ne pouvait s'exercer que de la complicité ou mieux du dévouement des laïques.
Il n'était donc possible que dans les régions où les fidèles catholiques
étaient nombreux et dans les moments où les autorités se relâchaient de leur
surveillance. Dans le
Lyonnais, les catéchistes, choisis parmi les fidèles les plus intelligents eL
les plus zélés, suppléaient le prêtre dans l'instruction du troupeau, lui
amenaient les nouveaux convertis, lui désignaient les maisons sûres,
recueillaient les offrandes, transmettaient la correspondance. Les chefs de
villages dirigeaient les catéchistes et étaient comme autant de maires
occultes au service du roi et de l'Église. « Pour
que les fidèles ne fussent pas exposés à être trompés — il pouvait se faire,
en effet, que des aventuriers abusassent de la crédulité des fidèles —, les
chefs de village de chaque localité étaient chargés de reconnaître les
prêtres qui se présentaient pour exercer le Saint Ministère et même pour
célébrer dans les oratoires secrets. Chaque prêtre devait être porteur d'un
signe caractéristique facile à cacher, au moyen duquel il était de suite
reconnu par le chef du village et par le catéchiste qu'on avait mis au fait[14]... » Si,
pour une raison ou pour une autre, le prêtre venait à disparaître ; le culte
était continué par les soins des catéchistes, qui célébraient des messes sans
sacrifices, dites messes aveugles. Souvent ces messes aveugles étaient dites
dans l'église, dont les catéchistes obtenaient la jouissance, en souscrivant
la déclaration que les prêtres réfractaires n'avaient pu ou voulu souscrire,
par impossibilité légale ou morale. Grâce à
la protection plus ou moins ouverte des autorités locales et à la tolérance
qui était alors de règle chez les représentants du pouvoir central, les
missions du Lyonnais furent relativement prospères pendant les premières
années du Directoire. Aussi Linsolas et son conseil, qui avaient d'abord
vivement blâmé le culte public, s'enhardirent-ils à en faire l'essai.
Beaucoup d'églises des campagnes furent rouvertes et réconciliées, soit par
des prêtres bannis qui faisaient leur déclaration sous des noms supposés,
soit par des prêtres constitutionnels rétractés en règle avec la loi, soit
par des séminaristes nouvellement ordonnés. Quatre-vingt-quinze prêtres
déportés étaient revenus de l'étranger, nombre insuffisant pour desservir
tout le diocèse. Pour augmenter ses auxiliaires, Linsolas organisa un
séminaire qui remplacerait le séminaire de Saint-Irénée, qui avait été fermé
à la fin de 1792. Les jeunes diacres élevés dans ce séminaire furent adressés
à des prélats résidant sur la frontière pour recevoir l'ordination. Quinze
furent ainsi ordonnés prêtres, les uns à Fribourg, d'autres à Saint-Maurice
en Valais ; d'autres encore par l'évêque in partibus de Sarepte,
suffragant de Marbeuf, qui avait réussi à vivre caché à Lyon pendant quelques
mois. Linsolas
louait une maison à Lyon près de la montée des Chazeaux et y ouvrait une
école de théologie qui fonctionna sans encombre jusqu'au 18 fructidor. Après
le coup d'État, l'école dut être fermée, mais l'instruction des jeunes
séminaristes continua à leur être donnée dans des maisons particulières, au
moyen d'un ingénieux système de roulement. « Trente maisons s'ouvrirent pour
recevoir tour à tour les jeunes théologiens pendant la journée. Ceux-ci se
rendaient tous les matins au lieu convenu, y pratiquaient leurs exercices et
ne se retiraient que le soir. Les professeurs agissaient de même ; ils
attendaient la nuit afin d'aller s'installer dans la maison désignée pour le
lendemain, sauf à en chercher une autre, vingt-quatre heures après, et ainsi
de suite pendant l'espace d'un mois, après quoi ils recommençaient[15]... » Ainsi,
le culte privé, favorisé par un milieu spécial, non seulement put vivre à
Lyon mais son clergé parvint même à se recruter[16]. Au début du Consulat,
profitant de la tolérance des autorités, les réfractaires insoumis rentrent
en grand nombre et rouvrent les oratoires qu'ils avaient dû fermer après le
18 fructidor. Ils louent à Lyon l'église de la commanderie de Saint-Antoine,
qui avait été vendue comme bien national, et ils y célèbrent leur culte
presque publiquement sans être inquiétés par la police, bien qu'ils fussent
en défaut avec la loi. Ils s'enhardissent, le jeudi saint 1801, à réorganiser
d'une façon fort originale la traditionnelle procession des stations. « Tous
les temples étaient fermés, nous dit l'historiographe auquel j'emprunte ces
faits, à l'exception de ceux que le clergé constitutionnel occupait.
Néanmoins la population entière était sur pied pour la pieuse cérémonie des
stations. Seulement, au lieu de se diriger d'une église à l'autre, on allait
de maison en maison. Il suffisait de suivre la foule pour arriver à un
oratoire, de ce premier à un deuxième et ainsi de suite dans tous les
quartiers de la ville. On montait des marches nombreuses et l'on parvenait
ainsi à un reposoir construit le plus souvent à un quatrième étage,
quelquefois dans l'intérieur d'un grenier. Là, sur un autel modeste que les
mains de quelques ouvriers ou de pauvres dévideuses avaient orné avec tout le
soin que les circonstances permettaient, le Saint-Sacrement était entouré
d'adorateurs, et ces humbles oratoires se remplissaient de minute en minute
d'une multitude qui se renouvelait sans cesse[17]... » L'histoire
du culte privé à Lyon s'est répétée dans d'autres régions également
croyantes. Il y eut des missions organisées en Savoie, dans les diocèses de
Rouen, Séez, Metz, Saint-Claude, Bourges, etc. Des messes aveugles, dites par
des catéchistes volontaires ou par des catéchistes investis par les
missionnaires, furent célébrées un peu partout, particulièrement dans les
campagnes. Nous savons, par les enquêtes officielles[18], qu'à la veille du Concordat
les réfractaires insoumis avaient réussi à s'imposer dans les départements
arriérés de l'Ouest, du Massif central ou des Alpes (Finistère, Morbihan,
Sarthe, Calvados, Haute-Loire, Lozère, Aveyron — Mont-Blanc, Jura). Là, ils
fanatisaient les populations, damnaient les acheteurs de biens nationaux,
jetaient le désordre dans l'état civil des citoyens, poussaient les conscrits
à la désertion, mettaient les fonctions publiques en interdit, prêchaient
presque ouvertement la ruine de la République. Les dangers qu'ils couraient,
le mystère dont ils s'enveloppaient frappaient les imaginations des simples
qui se livraient à l'enthousiasme et au mysticisme[19]. Des prophétesses, des voyantes
surgissaient fréquemment et faisaient circuler de singuliers documents
appelés « Lettres de Jésus-Christ ». L'une de ces lettres avait été trouvée,
disait-on, dans l'église Saint-Michel en Languedoc. Un enfant de sept ans,
qui n'avait pas encore parlé, avait recouvré subitement l'usage de la parole
pour en faire le commentaire. Une autre, écrite du sang de Jésus-Christ,
avait été découverte sous une pierre blanche dans l'église de Cologne[20]. Toutes menaçaient de l'Enfer
les fidèles qui violeraient la loi de Dieu, en cessant de se reposer le
dimanche, en fréquentant les fêtes décadaires, etc. Cette agitation à la fois
politique et religieuse ne laissait pas parfois d'inquiéter le pouvoir,
encore qu'elle ne fût jamais bien profonde et qu'elle se trouvât localisée
dans certaines régions et qu'elle ne se soit développée qu'à la faveur de la
tolérance gouvernementale, qui avait laissé sommeiller la loi. Les
réfractaires insoumis ne peuvent vivre que par les dons des fidèles. Ils
acceptent les dons en nature comme les dons en argent. L'un d'eux, qui
opérait sur les plateaux du Jura, Gauthier de Montbenoît, se faisait donner
un fromage par fruitière et revendait ses fromages aux cabaretiers avec qui
on disait qu'il était de moitié[21]. Presque
tous faisaient payer leurs messes, leurs mariages, leurs sacrements. L'évêque
de Saint-Papoul faisait mettre son chapeau à la porte de l'église où il
donnait la confirmation. Chaque confirmé y déposait 20 à 30 sous[22]. Rares étaient les évêques qui,
à l'exemple de Coucy, évêque de La Rochelle, interdisaient à leurs prêtres de
recevoir un casuel et leur ordonnaient de se contenter pour leur subsistance
des seules offrandes volontaires[23]. Dans la Loire-Inférieure, la
Sambre-et-Meuse et sans doute ailleurs encore, la dîme se percevait comme au
bon vieux temps. « Des marguilliers, dit un rapport officiel, sont
nommés pour exiger cette contribution ainsi que cela se pratiquait avant la
Révolution. Quelques cultivateurs se sont récriés, mais ils ont été obligés
de céder à des considérations que la prudence prescrit[24]. » Remarquons
que, même dans les régions les plus fanatiques, comme c'est ici le cas,
l'argent des souscriptions ou le produit de la dîme n'est pas remis
directement aux prêtres. Il y a des marguilliers qui font la collecte et qui
tiennent les comptes. C'est que les populations, même les plus catholiques,
n'auraient pas renoncé volontiers à leurs droits traditionnels sur
l'administration du culte. Sans se défier précisément des prêtres, elles
tenaient cependant à savoir ce que devenaient leurs offrandes, à déterminer
leur emploi, à voir clair dans les comptes. Les prêtres eux-mêmes sentaient
qu'ils avaient intérêt à respecter les droits des fidèles, qui occupaient
alors dans l'Église une place beaucoup plus grande que de nos jours où ils
sont réduits à un rôle de plus en plus passif. Dans
bien des endroits, le culte privé fonctionnait d'après les mêmes règles
administratives que le culte public d'avant la Révolution. La police
découvrit ainsi à Blois, en prairial an VI, l'existence d'une paroisse
clandestine ayant ses listes d'adhérents, ses règlements, ses livres de
comptabilité très bien tenus, ses inventaires d'objets servant au culte, ses
prêtes attachés payés sur les fonds communs[25]. Parmi les habitués de cette
Église illicite figuraient le directeur de la poste aux lettres, la femme
d'un juge au tribunal et différents fonctionnaires. Il
paraît bien que si les réfractaires insoumis furent privés parfois du
superflu, ils ne manquèrent jamais du nécessaire. Ils purent vivre de leur
état de prêtres et ne furent pas obligés, sauf à l'étranger, de se livrer à
des métiers serviles indignes de la majesté du sacerdoce[26]. Il semble même qu'ils aient
joui d'une plus grande aisance que leurs confrères qui avaient reconnu la
République, car les royalistes, encore nombreux dans les classes riches, leur
réservaient leurs offrandes[27]. En
dépit du courage et de l'habileté de ses organisateurs, le culte privé ne fut
malgré tout qu'un expédient. Son existence fut précaire. Il ne groupa en
général autour de ses oratoires secrets que des fidèles peu nombreux et
n'exerça pas une action appréciable sur la masse de la nation. S'il gêna
parfois le gouvernement, s'il attisa dans certaines régions l'irritation
contre la République, il ne provoqua pas le soulèvement d'ensemble qu'avaient
escompté ses partisans. Le
culte public, au contraire, par cela seul qu'il était public, groupa la
majorité des fidèles. Si les Français, pendant cette période, n'ont pas perdu
tout à fait l'habitude des pratiques religieuses, c'est aux prêtres
constitutionnels et aux prêtres réfractaires soumissionnaires que le
catholicisme en est redevable. Les
églises n'étaient pas rendues aux ministres des cultes, mais aux citoyens qui
en faisaient la demande à la municipalité. Ces citoyens, ces laïques
formèrent presque partout, avec la tolérance de la loi et avec l'assentiment
explicite du clergé réfractaire aussi bien que du clergé constitutionnel, des
associations cultuelles, analogues aux anciennes fabriques, avec cette
différence qu'elles faisaient librement leurs règlements et que leurs
pouvoirs n'avaient d'autres limites que celles qu'elles se traçaient à
elles-mêmes. Ces associations se constituèrent de bonne heure. Dès le
lendemain de la Constitution civile, les réfractaires en organisaient pour
racheter ou louer les églises vendues comme biens nationaux[28]. Quand
les fabriques furent supprimées, à partir du 1er janvier 1793, les
constitutionnels s'efforcèrent de les remplacer par des fabriques libres qui
pourvoiraient à l'entretien du culte flue l'État ne prenait plus à sa charge
dès cette époque, bien qu'il continuât à payer un traitement aux prêtres
constitutionnels. C'est ainsi que, le 2 février 1793, l'assemblée générale
des paroissiens constitutionnels de Saint-Roch à Paris avait nommé des
commissaires pour recevoir, mois par mois, les souscriptions destinées au
paiement des officiers laïcs de l'église, chantres, serpent, suisses,
bedeaux, sonneurs, fossoyeurs, porte-dais, porte-croix, organiste, souffleur
; aux dépenses du luminaire, de l'entretien du linge et des ornements, du
balayage de l'église, des grosses et menues réparations, etc.[29] ». Ces
associations cultuelles fondées avant la Terreur sont encore très mal
connues. Elles n'ont d'ailleurs fonctionné que pendant une courte période. Au
contraire les associations similaires organisées sous le régime de la
séparation sont de plus en plus étudiées. Leur histoire est écrite dans leurs
registres de délibérations et de comptabilité qui ont été conservés la
plupart du temps dans les archives des fabriques actuelles. Parmi les
associations réfractaires, celle de Saint-Thomas-d'Aquin, à Paris, a été
étudiée par M. Victor Pierre, celles de Saint-Eustache[30], Saint-Gervais, Saint-Merry,
Saint-Jacques-du-Haut-Pas, dans la même ville, par M. l'abbé Grente, M.
l'abbé Pisani et M. l'abbé Soutif. M. l'abbé Contrasty vient de nous révéler
l'histoire très intéressante du conseil de paroisse qui fonctionna dans le bourg
rural de Seysses, près Muret (Haute-Garonne). Parmi les associations
constitutionnelles, la plus connue est celle de Notre- Dame de Paris, dont M.
Gazier a été l'historien informé. J'ai retrouvé aux Archives nationales le
registre des délibérations de l'association de Saint-Laurent, à la
Bibliothèque nationale les statuts malheureusement incomplets de
l'association de Saint-Etienne-du-Mont rédigés par le jurisconsulte Agier[31]. Il serait très utile de
connaître les associations constitutionnelles qui ont été organisées dans les
campagnes, mais je n'ai pu malheureusement me procurer à leur sujet aucun
renseignement appréciable. De
l'étude des documents connus se dégagent les mêmes conclusions, d'abord que
le fonctionnement des associations réfractaires n'a pas été sensiblement
différent de celui des associations constitutionnelles, ensuite que les
laïques qui composaient les unes et les autres s'attribuèrent des droits
considérables dans l'administration du spirituel comme du temporel du culte.
Chose paradoxale, c'est peut-être dans l'Église réfractaire qu'on rencontre
les hardiesses les plus surprenantes. Partout ou presque partout, l'assemblée
des fidèles choisit ses prêtres, au suffrage universel. Mais, alors que dans
l'Église constitutionnelle les hommes seuls prennent part au vote[32], dans l'Église réfractaire il
arrive que l'égalité des sexes est reconnue et que les femmes déposent leur
bulletin comme à Saint-Jacques-du-Haut-Pas[33]. Dans certains cas, comme à
Saint- Étienne- du -Mont, l'assemblée ne choisit que le pasteur en chef et
celui-ci conserve le droit de présenter ses vicaires à l'agrément des
fidèles. Le choix du peuple est parfois soumis à la ratification de
l'autorité ecclésiastique. Ainsi, l'abbé Margarita ayant été nommé curé de
Saint-Laurent par ses paroissiens, n'entre définitivement en fonctions
qu'après avoir été enquêté, reconnu et institué par le presbytère ou conseil
de prêtres qui gouverne le diocèse constitutionnel de Paris, depuis la
vacance du siège épiscopal par la mort de Gobel. De même, les vicaires
généraux des évêques réfractaires se réservent d'approuver ou de désapprouver
les choix des associations cultuelles. Mais les laïques supportent mal
l'exercice de ce droit de contrôle de l'autorité ecclésiastique. A
Saint-Laurent, à Saint-Merri, à Saint-Thomas-d'Aquin, à Notre-Dame il y eut
des conflits violents et fréquents entre les administrateurs laïques et les
prêtres, réfractaires ou constitutionnels, et ce ne furent pas toujours les
prêtres qui eurent le dernier mot. La société catholique ayant investi un
simple prêtre, le citoyen Clausse, de l'autorité supérieure à Notre-Dame,
église cathédrale, l'évêque Royer protesta contre sa décision et prétendit
continuer à y exercer le culte à son aise. Les administrateurs ordonnèrent au
sacristain de « rassembler en un paquet les effets appartenant au
citoyen Royer, évêque de l'Ain, et de les lui porter le lendemain avant huit
heures du matin[34] ». Royer dut regretter sa
vivacité pour rentrer en grâce, après cette expulsion sommaire. A
Saint-Thomas-d'Aquin, le prêtre réfractaire Filastre, simple desservant,
avait voulu s'imposer à l'administration du culte comme principal ministre,
pendant la déportation de l'ancien curé Laurens. Les fabriciens lui coupèrent
les vivres et il dut s'incliner et accepter un accommodement. A
Saint-Laurent, les vicaires généraux réfractaires ayant nommé d'autorité le
prêtre Beguinot pour remplacer le curé Margarita déporté, les administrateurs
laïques, irrités de voir leur droit d'élection méconnu, engagèrent contre
Beguinot une lutte ardente qui ne se termina qu'au Concordat[35]. Il est remarquable que
l'Église romaine dût subir en fait, pendant la première séparation, cette
élection des prêtres par le peuple qu'elle avait condamnée comme schismatique
et hérétique dans la Constitution civile du clergé. L'assemblée
générale des fidèles, qui nomme les prêtres, se réunit tous les trimestres ou
tous les ans, à l'issue de la messe ou des vêpres. Dans l'intervalle elle
confie ses pouvoirs à un conseil d'administration dont le nombre des membres
est variable (de 7 à 20 en général). Le conseil est rarement renouvelable en entier, généralement
par moitié ou par tiers. Il se réunit souvent, parfois toutes les semaines,
au moins tous les mois et rend des comptes fréquents qu'il fait afficher à la
porte de l'église. Les élections ne laissent pas d'être disputées. A Seysses,
on a l'impression qu'elles ne sont pas une simple formalité. Il y a des
compétitions assez vives, parfois des ruptures. Les mêmes hommes ne sont pas
constamment réélus et s'ils le sont c'est avec des majorités variables. Souvent
le conseil se montre très jaloux de son indépendance. Il n'admet pas toujours
les prêtres à ses délibérations ou, s'il les admet, c'est avec voix
consultative. Il tient en général à éviter les conflits avec les autorités.
Il s'efforce d'incliner les prêtres aux concessions. A Seysses, le règlement
de l'association donne à l'agent municipal un droit de contrôle sur la
nomination des membres du conseil. L'autorité municipale est ainsi armée
comme d'un droit d'exequatur. A Paris, dans plusieurs églises partagées avec
les théophilanthropes, le conseil, qu'il soit réfractaire ou constitutionnel,
consent à se montrer aimable et même généreux avec les impies qu'on sait
protégés du gouvernement. A Saint-Eustache, on leur abandonne gratuitement
l'usage de la chaire à prêcher, on leur permet de se servir des chaises,
moyennant une faible redevance. Ailleurs on partage avec eux jusqu'à l'autel
! Les
attributions du conseil sont d'autant plus étendues qu'elles sont plus mal
définies. A Seysses, il apparaît comme le véritable pouvoir religieux de la
paroisse. Les prêtres ne font que se succéder très vite à l'église, lui seul
demeure. Il demande des prêtres aux vicaires généraux réfractaires qui lui en
fournissent. On débat les conditions de part et d'autre, comme on débat les
gages d'un employé. C'est un marché que l'on conclut. Ainsi, quand le conseil
décide d'inviter l'abbé Belin à établir sa résidence dans la commune, il lui
offre 100 francs payables le jour de son arrivée, plus un traitement annuel
de 800 francs, payable de mois en mois. Les
vicaires généraux, avant d'envoyer Belin, font préciser ces conditions par
écrit. Finalement il est entendu qu'en plus de ce traitement, le conseil
fournira au prêtre son logement annuel, qu'il paiera les gages de sa servante
et lui abandonnera les honoraires de messes et le casuel. Les
laïques, qui subventionnent les prêtres, veulent en avoir pour leur argent.
Ils exigent que la messe soit dite régulièrement et à l'heure. Ils font des
observations sur le sermon. Si on ne tient pas compte de leurs désirs, ils
menacent de supprimer leurs subventions. Bref, les prêtres sont alors placés
à l'égard des laïques, toute révérence gardée, comme des fournisseurs à
l'égard de leur clientèle. Ce sont les rôles renversés, c'est la subversion
de la hiérarchie ! Aussi comprend-on que l'Église actuelle, infiniment plus
centralisée, plus hiérarchisée que l'Église d'il y a un siècle, ait refusé de
constituer ces associations cultuelles qu'elle avait elle-même organisées, il
y a un siècle. Elle se souvient de l'intrusion des laïques dans le
sanctuaire, elle en a peur. La
tâche essentielle des conseils de paroisse du temps de la première séparation
était double, c'était d'une part de pourvoir aux frais du culte et de l'autre
à l'entretien de ses ministres. La tâche était lourde si on songe que les
églises étaient restituées aux fidèles dans un état de nudité et même de
délabrement complet, que le mobilier en était absent, ayant été vendu pendant
la Terreur ou transporté dans les magasins nationaux, qu'enfin, seuls
continuaient à toucher des pensions de l'État les prêtres qui avaient
souscrit le serment de liberté et d'égalité et que ces pensions, variant de
800 à 1.000 livres, étaient payées généralement en papier déprécié[36]. A certaines époques même, il
est vrai exceptionnelles, la République ne fournissait pas le local et il
fallait acheter ou louer les églises[37]. Or, nous constatons par les
registres officiels que les associations se procurèrent les ressources
nécessaires. Elles achetèrent le mobilier qui manquait : confessionnaux,
chaires, autels, lutrins, chaises, ornements, linge, calices, livres, etc.
Elles réparèrent les édifices sur lesquels elles n'avaient pourtant qu'une
jouissance partielle et précaire et elles ne firent pas seulement les petites
réparations, mais les grosses. Elles refont la toiture, comme à Saint-Laurent[38] ; elles posent des grilles,
comme à Saint-Thomas-d'Aquin ; elles posent des planches, des pavés, des
vitraux, etc. Elles acquittent des mémoires de fournisseurs qui se chiffrent
par des milliers de francs et elles trouvent moyen de fournir aux prêtres desservants
non seulement un traitement plus ou moins élevé, mais encore assez souvent un
logement[39]. Certaines sociétés prospères,
comme celles de Saint-Eustache, de Notre-Dame, de Saint-Laurent,
s'attachèrent à rendre aux cérémonies leur ancien éclat et prirent à gages
des chantres, serpents, organistes. Quelques-unes même payèrent à prix
d'argent des prédicateurs pour le Carême[40]. Sans doute leur budget eut des
hauts et des bas et, s'il y eut des sociétés prospères, il y en eut aussi de
très pauvres. Quand les théophilanthropes s'installèrent dans les églises,
les recettes des réfractaires et des constitutionnels diminuèrent[41]. Quand le pouvoir faisait la
guerre à l'idée religieuse, les difficultés augmentaient. Mais le pouvoir ne
fut pas constamment hostile et le pouvoir n'était pas toujours exactement
obéi. Dans beaucoup de paroisses des campagnes, les presbytères n'avaient pas
été vendus et les municipalités les laissaient gratuitement aux prêtres. En
plein Paris, en l'an VI, époque de persécution, les prêtres réfractaires de
Saint-Merri continuaient à occuper gratuitement les dépendances de l'église,
et les lecteurs théophilanthropes, malgré l'appui du Directoire, ne pouvaient
réussir à s'y loger. Au
début du Directoire, sous le Consulat, les autorités restituaient aux églises
le mobilier qui existait encore dans les dépôts nationaux[42]. Ce n'est pas à dire qu'il n'y
eut pas, dans certaines régions et dans certains clergés, des prêtres qui
eurent du mal à vivre. Il y en eut certainement dans le clergé
constitutionnel. Il suffit de lire la correspondance de Grégoire pour en être
convaincu. Les plaintes y abondent et, même si on fait la part de ce qu'elles
ont d'exagéré, il reste les faits, qui sont parfois navrants. Certains
évêques ne purent se rendre au premier concile de 1797 qu'en vendant leurs
livres, leur mobilier, jusqu'à leurs draps de lit[43]. A chaque instant Le Coz,
archevêque de Rennes, déclare à Grégoire qu'il va mourir de faim : « Nous
sommes, mes pauvres prêtres et moi, réduits à vendre nos tristes nippes pour
vivre. Nos modiques assignats n'ont plus ici de valeur... » (Lettre du 30
octobre 1795). « C'est
donc décidément que nous sommes condamnés à mourir de faim. Le louis va ici
jusqu'à 9 000 livres (en assignats), jugez de la valeur de 250 livres en
assignats qu'on m'alloue pour trois mois... » (11 janvier 1796). « Je ne fais chaque jour
qu'un très modique repas qui consiste parfois en un peu de pain sec et d'eau
» (14
septembre 1796). Le Coz
pourtant ne mourut pas de faim. Il ne faudrait pas juger de la misère des
autres évêques constitutionnels par la sienne propre. Le Coz habitait en
Bretagne, où la population était dévouée aux réfractaires. Après le 18
fructidor, quand les réfractaires sont obligés de se cacher, Le Coz reprend
courage et appétit. Le ton de ses lettres change. Avant le coup d'État, il
n'avait qu'une église constitutionnelle à Rennes, il en a trois maintenant.
Il écrit avec satisfaction à son neveu Daniélou, le 3 fructidor an VI : « Malgré
leurs manœuvres (des chouans) et celles des impies, le culte constitutionnel
se rétablit partout. A Vannes même, l'église est plus belle et plus ornée
qu'elle ne le fût jamais[44] ». La misère des prêtres
constitutionnels, qui fut réelle à certains moments, ne fut pas générale et
constante. Elle leur pesa surtout parce qu'ils enviaient l'aisance de leurs
concurrents et, qu'ils auraient voulu faire des réformes auxquelles ils durent
renoncer. Grégoire et ses collègues, les évêques réunis à Paris, qui
formaient comme le comité de direction de l'Église constitutionnelle, avaient
conseillé, dans leur première encyclique du. 15 mars 1795, « la suppression
de tout honoraire et de toute rétribution pour prières ou bénédictions et
particulièrement pour la célébration de la messe ». Par cet abandon du
casuel, déjà condamné par la Constitution civile du clergé, ils espéraient
sans doute se concilier la masse des fidèles qui ont toujours considéré le
paiement des sacrements comme vexatoire et peu conforme à l'esprit du
christianisme. Devant la dure loi de la nécessité, il fallut renoncer à cette
grande réforme démocratique. Beaucoup de curés écrivaient qu'ils n'avaient
pour vivre que leurs messes et qu'on allait les réduire à la mendicité. La
réforme ne fut maintenue que dans des cas exceptionnels[45]. Les paysans, âmes simples,
préféraient payer les messes quand ils en commandaient, que de débourser une
cotisation sans objet précis. Même dans les villes, les fidèles ne donnaient
pas facilement. « Sur 15 personnes, il y en avait à peine 3 qui
donnaient, » dit M. Gazier[46]. « Dans les troncs, on ne
trouvait que 12 ou 15 sous et encore ils étaient mauvais pour la plupart[47]. » Moins
heureux que les prêtres réfractaires, les prêtres constitutionnels durent
assez souvent joindre à leur métier sacré un métier profane. Dans le
Loir-et-Cher, ils sollicitèrent et, obtinrent des places d'instituteurs
publics. Cela leur permettait de conserver le presbytère[48]. Dans le Finistère, ils
devenaient commissaires du pouvoir exécutif[49]. Ces commissaires étaient des
agents du gouvernement chargés de faire exécuter la loi dans chaque canton.
Un prêtre de Quimper était en même temps professeur de grammaire générale et
de langues anciennes à l'école centrale[50]. Certains évêques
constitutionnels, qui étaient aussi députés, vivaient de leur indemnité
parlementaire. Quand Grégoire cessa de faire partie du Conseil des Cinq-Cents
au renouvellement de l'an VII, il serait tombé dans la gêne si François (de
Neufchâteau) ne l'avait nommé bibliothécaire de l'Arsenal[51]. La pénurie relative des
constitutionnels explique peut-être, indépendamment de toute autre
considération, pourquoi les rétractations furent si nombreuses dans leurs
rangs. Il ne semble pas qu'ils aient réussi à assurer partout leur
recrutement, sauf dans la période antérieure à la Terreur. Certains évêques,
comme Moïse, du Jura[52], tentèrent bien, après la
réouverture des églises, de fonder des séminaires, communs parfois à deux
diocèses, mais je ne vois pas que l'essai ait été suivi d'une réalisation.
Molinier, évêque des Hautes-Pyrénées, réussit à en fonder un qui eut des
élèves même sous le Directoire. Les
réfractaires soumissionnaires, eux, procédaient à d'assez nombreuses
ordinations. L'un d'eux, l'évêque de Saint-Papoul, Maillé de La Tour-Landry,
n'ordonnait pas moins de 56 prêtres d'un seul coup à Paris, aux
Blancs-Manteaux, en 1797[53]. Ses ordinations furent si
fréquentes que le Directoire s'en émut. Sous un prétexte quelconque, Maillé
fut arrêté par ordre de Reubell et déporté[54]. Si
certains prêtres d'une même Église étaient plus pauvres que d'autres, c'est
peut-être que la législation interdisait aux sociétés cultuelles, comme à toutes
les associations, du reste, de se fédérer entre elles pour organiser des
caisses centrales de résistance ; c'est peut-être aussi qu'on restait
volontiers particulariste. La législation était facile à tourner et elle le
fut en effet en certaines occasions. Les mémoires de l'abbé Baston nous
apprennent qu'à Rouen, en 1792, le doyen du chapitre, l'abbé de
Saint-Gervais, distribuait aux prêtres réfractaires indigents l'honoraire de
600 messes par jour ; « c'était une aumône quotidienne de 25 louis ; elle
continua jusqu'à la déportation et dura trois à quatre mois...[55] ». Chaque prêtre recevait en
même temps qu'un secours un bulletin numéroté et signé. C'est le seul exemple
que j'aie rencontré de caisse centrale qui fasse songer aux caisses
diocésaines qui s'organisent sous nos yeux, et cet exemple est antérieur à la
séparation[56]. Les
évêques constitutionnels n'étaient pauvres que parce qu'ils n'avaient
d'autres revenus assurés que ceux qu'ils tiraient de l'exercice de leurs
fonctions curiales. La seconde encyclique des « évêques réunis » stipulait
que le douzième du revenu de chaque paroisse constitutionnelle devait être
prélevé pour les frais généraux du diocèse, mais cette prescription resta
lettre morte. Quand les constitutionnels tenaient des synodes ou des
conciles, ils recouraient à des collectes ou à des souscriptions extraordinaires[57]. En général, les associations
cultuelles étaient jalouses de leur autonomie. Elles gardaient pour
elles-mêmes les fonds qu'elles s'étaient ingéniées à recueillir. Elles I
n'aimaient pas à partager avec l'association voisine. On a
l'impression très nette, quand on étudie cette histoire de la première
séparation d'un peu près, que le catholicisme se résout alors en ses éléments
constituants. Chaque prêtre, chaque association, chaque fidèle devient en
quelque sorte autonome et n'obéit plus volontiers qu'à ses propres
impulsions. Les habitudes du self-government pénètrent partout. Comme aux
débuts du christianisme, il semble qu'il n'y a plus une Église, mais des
Églises distinctes, vivant d'une vie presque isolée et indépendante. Le lien,
qui réunit les parties à l'ensemble, se fait de plus en plus lâche. La
hiérarchie de l'Église romaine, depuis qu'elle n'est plus garantie par la
loi, subit de profondes atteintes. Ce n'est pas seulement les évêques
réfractaires qui se montrent indociles aux directions pontificales, leurs
vicaires généraux résistent aux évêques et les simples prêtres aux vicaires
généraux et les laïques aux prêtres. La confusion, l'incohérence sont la
règle. Les évêques émigrés ont laissé dans leurs diocèses des grands vicaires
pour les représenter. Ces grands vicaires ont été arrêtés pendant la Terreur,
plusieurs ont péri sur l'échafaud, d'autre ; se sont enfuis à l'étranger.
Ceux qui restent, peu nombreux, communiquent difficilement avec leurs
évêques. Ils sont souvent sans instructions et sans possibilité d'en demander
et il leur faut prendre des décisions promptes. Aussi n'est-il pas rare
qu'ils se divisent, les uns autorisent les déclarations de soumission, le
culte public, les autres les interdisent. L'évêque intervient généralement
trop tard et son intervention augmente d'ordinaire les divisions. Pour se
faire obéir, il est réduit à employer les grands moyens, il révoque ses
grands vicaires récalcitrants et les remplace par d'autres, qu'il choisit mal
et qui n'ont aucune autorité sur leur clergé[58]. Les
évêques meurent l'un après l'autre dans l'exil. Ils étaient 131 en 1791, ils
ne sont plus que 81 en 1802 Qui administrera les diocèses vacants ? D'après
les canons, ce sont les chanoines qui doivent nommer les vicaires
capitulaires. Mais les chanoines sont dispersés, en Allemagne, en Espagne, en
Angleterre, en Suisse, en Italie, en France. A défaut des chanoines, c'est
l'évêque métropolitain ou le plus ancien évêque voisin qui pourvoit à
l'administration du diocèse. Si la vacance se prolonge, c'est le pape ou son
internonce qui nomme un vicaire apostolique. Mais il arrive plus d'une fois
que le pape, ni les métropolitains, ni les chanoines ne s'entendent, et c'est
le gâchis. Le
diocèse de Lyon, où les missions avaient reçu une organisation remarquable,
n'échappa pas, cependant, à l'anarchie régnante. Après la Terreur, de tous
les vicaires généraux de M. de Marbeuf, Linsolas était le seul encore en
fonctions. Les autres avaient été guillotinés ou avaient disparu. Marbeuf
reconstitua le conseil épiscopal. Tout alla bien jusqu'en 1797. A ce moment,
Marbeuf mourut. Les pouvoirs des grands vicaires expirèrent ipso facto. I
Linsolas se mit à la recherche des membres de l'ancien chapitre. Trois de
ceux-ci se réunirent et confirmèrent les pouvoirs des anciens vicaires
généraux qui devinrent aussi vicaires capitulaires. Mais, en 1800, le doyen
des chanoines, M. de Rully, revint de l'étranger. Comme il ne partageait pas
les idées de Linsolas, il convoqua à nouveau le chapitre qui cassa et
remplaça trois vicaires capitulaires. Les vicaires destitués continuèrent
cependant à exercer leur juridiction. Puis, le chanoine Henri de Cordon
revint à son tour de l'étranger. Imitant le doyen, il convoqua aussi le
chapitre et fit annuler les résolutions prises dans les précédentes réunions.
Mais, sur ces entrefaites, les vicaires capitulaires révoqués, qu'on
rétablissait en fonctions, s'étaient adressés au conclave alors assemblé à
Venise pour l'élection de Pie VII. Les trois cardinaux chargés de
l'administration de l'Église pendant la vacance du Saint-Siège annulèrent par
décret les actes du chapitre de Lyon[59] et nommèrent des
administrateurs apostoliques qui furent ensuite confirmés par Pie VII. Ces
conflits de juridiction furent très fréquents. L'archevêque
de Rouen étant mort à Munster le 23 septembre 1800, ses vicaires généraux
demandèrent à l'internonce Salamon le renouvellement de leurs pouvoirs. Mais
les chanoines subsistants, imitant l'exemple de leurs confrères de Bayeux,
qui avaient pris en mains l'administration du diocèse, nommèrent des vicaires
capitulaires qui entrèrent immédiatement en fonctions. Les vicaires voulurent
interdire ou tout au moins restreindre l'exercice du culte privé. Ils étaient
soumissionnaires. Les insoumis irrités contestèrent leurs pouvoirs et
s'adressèrent à la fois au pape et à l'évêque de Séez, Duplessis d'Argentré.
Celui-ci, étant le plus ancien suffragant de feu le cardinal archevêque de
Rouen, prétendit administrer le diocèse vacant. Il refusa de reconnaître les
vicaires capitulaires et nomma à leur place pour son grand vicaire et
official l'abbé Clément, chef des insoumis. Les vicaires capitulaires
résistèrent et continuèrent leurs fonctions. Le pape Pie VII s'émut. Sous
prétexte de faire cesser les divisions, il envoya l'internonce Salamon à
Rouen avec le titre d'administrateur apostolique. Salamon reçut la démission
des vicaires capitulaires et les remit immédiatement en fonctions. Mais
Clément refusa de le reconnaître, le traita d'intrus et l'agitation continua
jusqu'après le Concordat[60]. L'évêque
de Châlons-sur-Marne, réfugié à Altona, avait ordonné à ses grands vicaires
d'autoriser la soumission aux lois afin d'organiser le culte public. L'un
d'eux désobéit formellement, ouvrit un oratoire privé et refusa de
communiquer in divinis avec ses collègues qui avaient soumissionné.
L'évêque interdit l'oratoire du vicaire rebelle et fit défense aux prêtres
insoumis d'exercer les fonctions ecclésiastiques. Mais l'évêque fut fortement
blâmé par ses collègues[61]. Les
chefs ne s'entendent pas ou s'entendent mal entre eux ; les simples prêtres,
qui reçoivent des instructions, des ordres contradictoires, prennent
l'habitude de n'en plus tenir compte. « Pleins de foi, d'héroïsme, dit M.
l'abbé Sicard, chaque jour sur la brèche, obligés de prendre des décisions
qu'ils pouvaient payer de leur tête, ils s'étaient rapidement formés dans un
ministère tout d'initiative à ne recevoir d'impulsion que d'eux-mêmes, du
droit du courage, du-droit au martyre...[62] » Dans le diocèse de Lyon,
les prêtres voulaient retourner dans leurs anciennes paroisses, malgré les
ordres répétés de Linsolas et de ses collègues qui craignaient qu'ils ne
fussent découverts, et qui les avaient déjà remplacés par d'autres prêtres. «
Plusieurs s'entêtèrent et s'obstinèrent dans leur égoïsme[63]. » L'archevêque de Marbeuf dut
retirer aux récalcitrants tous les pouvoirs gracieux qu'il leur avait donnés
et les réduire à la « stricte juridiction ». L'historiographe du diocèse de
Rouen, l'abbé Langlois, enregistre des plaintes analogues. A l'en croire, les
prêtres insoumis étaient souvent des « atrabilaires qui, en pleine paix,
s'obstinaient à célébrer la nuit et se croyaient toujours sur le chemin du
martyre ; des ministres cupides qui tenaient avant tout à gouverner dans
l'obscurité leur petite chapelle devenue pour eux à la lettre le requies
opulenta de l'Écriture et qui, à mesure que les églises s'ouvraient au
culte public, sonnaient l'alarme et croyaient voir Annibal aux portes de Rome
». Il ajoute même « qu'on vit des imposteurs s'introduire dans des
familles simples et confiantes, y exercer les fonctions d'un prétendu
sacerdoce et subsister longtemps de ce commerce impie[64] ». La
hiérarchie ecclésiastique a donc subi un rude assaut pendant ces sept années,
où, pour la première fois, elle n'a plus été protégée et garantie par le
pouvoir civil. Fidèles et prêtres se sont émancipés. « Chaque paroisse
veut choisir son curé, chaque curé sa paroisse[65]. » Les prêtres passaient
facilement d'un oratoire à un autre[66], recherchant celui qui leur
rapporterait le plus et considérant toujours leurs emplois comme des
bénéfices. Les fidèles passent d'une secte à une autre avec plus de facilité
encore. Il y a des prêtres qui n'appartiennent à aucune Église organisée, qui
sont eux-mêmes leurs propres évêques. Sont dans ce cas beaucoup de prêtres
mariés, que l'Église constitutionnelle a rejetés et qui continuent de dire la
messe avec l'agrément de leurs paroissiens[67]. D'autres prêtres trouvaient
commode de passer d'une confession à l'autre, parfois plusieurs fois de
suite. Ils se rétractaient, puis rétractaient leurs rétractations. L'abbé
Cattin nous dit, par exemple, que dans le Lyonnais beaucoup d'anciens
constitutionnels rétractés, qui avaient été employés dans les missions avant
le 18 fructidor, retournèrent, après cette date, « à leur vomissement ».
« Cinq d'entre eux, placés dans un temps comme intrus dans le voisinage,
allèrent jusqu'à faire imprimer la rétractation de leur rétractation, en
l'assaisonnant d'invectives contre les vicaires généraux...[68] » Comment les fidèles, devant
de tels exemples, n'auraient-ils pas été démoralisés et rendus sceptiques sur
la valeur des prêtres et des diverses confessions ? Dans
l'Église constitutionnelle, qui se prétendait volontiers une Église
démocratique, dans l'Église théophilanthropique, qui s'intitulait le culte
républicain, les divisions ne furent pas plus graves que dans l'Église
catholique romaine. Elles le furent moins selon toute apparence. C'est que la
discipline est d'autant mieux observée qu'elle est plus librement acceptée.
Les évêques constitutionnels réunis à Paris, formant un comité sans mandat,
lancèrent des encycliques qui recueillirent l'assentiment presque général. Il
y eut sans doute des difficultés et il serait intéressant d'étudier dans le
détail les divisions du clergé constitutionnel, mais ces difficultés furent
assez rares en somme et elles étaient moins choquantes dans une Église fondée
sur la liberté que dans une autre reposant sur l'autorité. Les deux plus
graves conflits furent provoqués par Royer, évêque de Paris, et par Clément,
évêque de Versailles. Royer s'était opposé à la tenue du second concile
national des constitutionnels, qui se réunit quand même et malgré lui dans sa
cathédrale. Quant à Clément, esprit novateur, il avait inauguré dans son
diocèse la messe en français, au grand scandale des autres évêques et de
Royer en particulier. L'Église
théophilanthropique était la moins hiérarchisée de toutes. Chaque société
fonctionnait à sa guise. Seules, les sociétés parisiennes étaient fédérées
autour du comité de direction morale, qui était composé des prêtres de
l'église, anciens prêtres mariés pour la plupart, qui s'intitulent dans la
théophilanthropie, orateurs ou lecteurs. L'organisation, les cérémonies,
l'esprit de l'enseignement variaient avec les localités. A Paris même, il y
eut un schisme quand l'association de Saint-Thomas-d'Aquin se détacha du
comité de direction. Ainsi
la même cause a produit partout les mêmes effets. La liberté a été un
dissolvant pour les nouvelles Églises comme pour les anciennes, mais
particulièrement pour les anciennes. L'incrédulité ou tout au moins
l'indifférence a fait de grands progrès, surtout dans les villes, dans la
bourgeoisie éclairée. Même dans les campagnes, la tactique intransigeante des
insoumis a eu pour effet de fermer les églises dans beaucoup de cantons. Dans
l'Oise, dans l'Yonne, en Saône-et-Loire, en Indre-et-Loire, le tiers des
paroisses est sans prêtres et ne les réclame pas. Le culte ne s'est maintenu
que là où la foi existait, là où les prêtres ont trouvé de quoi vivre. S'il
est vrai que, dans un sens, la liberté a porté préjudice à l'Église en
restreignant son champ d'action, il n'est pas moins vrai que, dans un autre
sens, elle lui a été salutaire, car elle a été pour elle un principe de vie
et de régénération. La foi est peut-être moins répandue en surface
qu'autrefois, mais elle l'est davantage en profondeur, elle est plus sincère,
plus agissante. En un mot, la liberté a réveillé le sentiment religieux chez
les uns comme elle a émancipé les autres. Toutes les consciences ont ainsi
trouvé de quoi se satisfaire. Les croyants ardents ont réchauffé leur mysticisme dans les oratoires secrets des prêtres insoumis. Les croyants rassis sont entrés en masse dans les églises des réfractaires soumissionnaires. Les patriotes, encore imbus de christianisme, sont allés écouter les prêtres constitutionnels. Les bourgeois déistes se sont donné rendez-vous autour des autels des théophilanthropes. Les indifférents et les athées ont pu en toute tranquillité s'abstenir de toute pratique cultuelle. Les prêtres, pour vivre, ont dû accepter les conditions de leurs fidèles et subir jusqu'à un certain point leur contrôle. La société religieuse et la société civile se sont rapprochées. Comme dans la période héroïque du christianisme, on a vu des prêtres travailler pour vivre. La paix publique, en somme, n pas été gravement compromise. Plus le régime dur plus il se consolide, plus on s'y habitue. En somme la Convention thermidorienne avait été bien inspiré en donnant aux différents cultes la liberté, mais rie que la liberté. Cet exemple pourrait servir de leçon aux gouvernements placés dans des circonstances analogues, mais il est malheureusement trop vrai que les hommes politiques qui, d'ordinaire, ignorent l'histoire, ne cherchent que rarement à profiter de ses enseignements. |
[1]
Sur les pouvoirs extraordinaires conférés par le pape aux évêques, consulter :
Collectio indultorum apostolicorum SS. D. N. Papa Pie VI, quibus amplissimas
et extraordinarias facultates concessit omnibus archiepiscopis, episcopis et
administratoribus diœcesium regni Galliarum, Londini, 50 p. 1797.
[2]
Abbé Sicard, L'ancien clergé de France, t. III, p. 230. La lettre est
citée d'après les Archives des affaires étrangères.
[3]
Les évêques de Saint-Brieuc, Orange, Vienne, Senez, Senlis, Alais,
Saint-Papoul, Lectoure, Mâcon, Sarlat, Troyes, Châlons-sur-Saône, Marseille,
Angers, Séez. (Annales de la Religion du 15 novembre 1797.)
[4]
Paroles d'Emery, supérieur général de la Compagnie de Saint-Sulpice et chef des
soumissionnaires avec Bausset, évêque d'Alais. Cf. mes Contributions à
l'histoire religieuse de la Révolution, Alcan, 1907, p. 214.
[5]
Paroles de J. Meilloc, vicaire général d'Angers et soumissionnaire déterminé, Contributions
à l'histoire religieuse de la Révolution, p. 216.
[6]
Circulaire de l'abbé Bernier en mai 1796. Mêmes appréhensions dans l'Avertissement
concernant l'acte de soumission aux lois de la République daté du 1er juin
1795, de l'évêque de Boulogne, Asseline : « Le peuple, égaré par la conduite
extérieure de ses guides, n'en conclura-t-il pas qu'il peut renoncer absolument
à la monarchie, se déclarer pour la République et que les lois de l'évangile n'ont
rien de contraire à un pareil changement ? » — Mêmes craintes dans une lettre
du prince de Condé, commandant l'armée des émigrés, à son ami La Fare. Cf. Contributions
à l'histoire religieuse de la Révolution, p. 234 et 237.
[7]
Contributions à l'histoire religieuse de la Révolution, p. 238.
[8]
Contributions à l'histoire religieuse de la Révolution, p. 238.
[9]
Louis XVIII transmettait ses instructions politiques à cinq évêques qui les
faisaient passer aux plus ardents missionnaires. L'un de ces évêques,
l'archevêque de Reims, écrit à Louis XVIII, le 8 novembre 1797, de Wolfenbüttel
: « Les prêtres qui peuvent se cacher ont déjà des instructions conformes à
celles de V. M. Il n'y a pas d'évêques qui ne les aient données à ceux des
ecclésiastiques de son diocèse qui sont rentrés. Elles ont déjà été utiles pour
la nomination des dernières assemblées primaires. Il faut les laisser agir. Les
dangers auxquels les expose leur rôle, leur courage héroïque, leur commandent
la plus grande prudence. » (Cité d'après les Archives des affaires étrangères,
par 8icard, Ancien clergé de France, t. III, p. 259.)
[10]
Les évêques intransigeants affectèrent de contester l'authenticité du bref et
adressèrent des remontrances à Rome. Voir à ce sujet une curieuse lettre de
l'archevêque de Reims à Louis XVIII, du 10 juillet 1797. Dans Sicard, Ancien
clergé de France, t. p. 317, note.
[11]
Contributions à l'histoire religieuse de la Révolution, p. 247.
[12]
Voir le livre instructif de M. l'abbé Grente : Le culte catholique à Paris,
de la Terreur au Concordat. Paris. Lethielleux, 1903. M. Grente donne une
notice sur chaque oratoire public et privé et sur les prêtres qui les
desservaient.
[13]
Instructions données aux six missionnaires qui se rendaient on Savoie à la fin
de 1794. Dans Sicard, Ancien clergé, III, p. 412. Voir aussi les
instructions pastorales de La Luzerne, d'Asseline, le manuel de Ceste, etc.
[14]
Abbé Cattin, Mémoire pour servir à l'histoire ecclésiastique des diocèses de
Lyon et de Belley, Lyon, Josserand, 1867, p. 521 et 522. J'emprunte au même
ouvrage beaucoup de renseignements sur les missions du Lyonnais.
[15]
Tableau historique du rétablissement du culte à Lyon et des années de
persécution qui précédèrent ce mémorable événement..., Lyon, 1853, p. 48.
[16]
L'archevêque d'Arles, d'Aviau, étant rentré secrètement en France après le 17
brumaire, procéda à de nombreuses ordinations.
[17]
Tableau historique du rétablissement du culte à Lyon..., p. 58-59.
[18]
Cf. les rapports de police publiés par M. Aulard sous ce titre : État de la
France en l'an VIII et en l'an IX, Paris, 1898. Cf. aussi les rapports des
préfets aux Archives nationales, F¹⁹ 865 et 866.
[19]
Cf. aux Archives nationales le dossier F⁷ 7134. J'en extrais la lettre
suivante du ministre de la Justice, Genissieu, au ministre de la Police :
« Paris, le 16 ventôse an IV de la République une et indivisible. — Je
m'empresse de vous instruire, mon cher collègue, que, dans la commune de
Saint-Aubin, une jeune fille, âgée de neuf ans et demeurant chez son père un
nommé Boutry, s'est fait une réputation dans l'art de prophétiser. Les trop
crédules habitants des campagnes la croient inspirée et se portent en foule
pour recueillir ses prophéties.
« D'après les renseignements prie par le
commissaire du pouvoir exécutif près les tribunaux civil et criminel du
département de l'Allier, il résulte que la jeune Boutry prédit le massacre de
tous les patriotes, de là des provocations, des rixes, et par la suite, si l'on
n'y remédie, la guerre civile.
« Comme il n'est pas douteux que cette jeune fille
ne soit l'instrument des prêtres et des royalistes de ces contrées et comme les
lois ne peuvent atteindre cette coupable enfant, je vous invite, mon cher
collègue, à prendre toutes les mesures nécessaires afin de vous assurer quels
peuvent être les bras qui font mouvoir cette machine et faire cesser les
rassemblements qui se forment autour du nouveau prophète. »
De la correspondance des administrateurs du département
de l'Allier avec le ministre, il résulte que l'affluence autour de la jeune
prophétesse était incroyable. Il a fallu faire intervenir la force armée pour
réprimer une tentative d'insurrection. Les administrateurs ajoutent qu'ils ont
envoyé à la prophétesse des espions qui les renseigneront sur ses faits et
gestes.
[20]
Cf. à ce sujet les lettres adressées par Coliette-Mégrat, juge de paix à
Saint-Quentin, au directeur François (de Neufchâteau), le 6 floréal an VII,
Arch. nat., F¹ C III,
Aisne, 15.
[21]
Lettre de Moïse, évêque constitutionnel du Jura, à Grégoire (22 mai 1801), dans
Moïse, par M. Perrod, Paris, Alph. Picard, 1905, p. 235. Moise ajoute : « Il
se fait souscrire des billets pour de fortes sommes par des enfants de famille
».
[22]
D'après les Annales de la Religion, t. IX, p. 577.
[23]
Sicard, Ancien clergé, p. 479.
[24]
Aulard, État de la France en l'an VIII et en l'an IX. Vœu du conseil
général de la Loire-Inférieure.
[25]
Cf. le dossier F⁷ 7442 aux Arch. nat. Le juge de paix Lecomte, qui a
ordonné les poursuites, se plaint au Directoire des persécutions dont il est
l'objet de la part d'une partie de la population et de certains juges du
tribunal ouvertement favorables aux réfractaires.
[26]
Dans le Toulousain, les paysans donnaient moins facilement que les gens des
villes. (Abbé Contrasty, Le mouvement religieux dans la Haute-Garonne sous
le Consulat, dans les Vocations sacerdotales, 1905, p. 155 et 156.)
[27]
Le préfet de Lot-et-Garonne écrit à Fouché, le 21 prairial an IX, que les
insoumis sont suivis par des citoyens « plus en état de les salarier », que
l'aisance des prêtres est « en raison inverse de leur docilité politique » et
que « c'est peut-être le principal motif qui les empêche de faire leur
soumission ». (L. Séché, Les origines du Concordat, Paris, Delagrave,
1894, t. II, p. 48.)
[28]
Ainsi ils louèrent à Paris l'église des Théatins. L'abbé de Salmon nous dit que
le prix de location payé d'avance était de 2 000 livres par mois. (Lettre à
Zelada du 18 avril 1791, publiée par le vicomte de Richemont dans les Mélanges
de l'École de Rome, 1898, p. 425.)
[29]
Cf. Extrait raisonné du plan proposé le 27 janvier dernier (1793) à l'assemblée
générale des paroissiens de Saint-Roch réunis dans cette église, à l'effet d'y
continuer le culte divin, tel qu'il y eut lied jusqu'à présent, s. I. n. d., de
l'imp. de Boulard, in-4° pièce. Bibl. nat, Ld⁴ 3974. Une quittance,
conservée sous la cote Ld⁴ 3935 pièce, prouve que le plan a été mis à
exécution.
[30]
M. le curé actuel de Saint-Eustache a bien voulu me permettre de consulter les
registres de l'association cultuelle qui fonctionna dans son église de 1795 à
1802.
[31]
Depuis, M. A. Gazier a réimprimé dans la Revue bleue du 20 juillet 1907
un exemplaire complet de ces statuts qui figure dans sa bibliothèque.
[32]
« Les citoyennes membres de la société, dit le règlement de
Saint-Étienne-du-Mont, se contenteront de participer à ses avantages en aidant
à en supporter les charges, elles ne prendront personnellement aucune part à
son gouvernement ; leurs maris, pères, frères et autres parents étant à cet
égard leurs délégués naturels » (Art. 2).
[33]
« Tout citoyen sans distinction de sexe pourra émettre son vœu dans les
assemblées (d'élection), s'agissant de l'intérêt de tous... » (Article IV du
règlement de Saint-Jacques, cité par Grente, p. 22).
[34]
Voir le récit de l'incident dans A. Gazier, Études sur l'histoire religieuse
de la Révolution, Paris, Colin, 1887, p. 327 et 328.
[35]
Il est dommage que M. l'abbé Grente, qui relate le conflit, n'en ait pas
raconté les péripéties. Grente, p. 290.
[36]
Sur les pensions ecclésiastiques, consulter l'important arrêté du 5 prairial an
VI.
[37]
En nivôse an III, un citoyen de Blois demandait à louer l'église Saint-Nicolas,
qui lui était concédée par le district pour 300 livres par an. (A. Gazier, Études,
p. 118.) Un peu plus tard (18 germinal an III), quand le district de Blois mit
en vente plusieurs églises, le vicaire général de Grégoire acheta la cathédrale
qu'il dut disputer aux enchères, d'une part aux impies qui voulaient la
démolir, de l'autre aux réfractaires qui voulaient s'y installer. (Ibid.,
p. 120.)
[38]
Registre officiel, à la date du 24 septembre 1795.
[39]
La société de Saint-Eustache loua l'ancien presbytère au domaine.
[40]
Par exemple à Saint-Eustache, registre officiel, séance du 19 pluviôse an IV.
[41]
C'est ce qui résulte de l'examen des registres de Notre-Dame pour les
constitutionnels ; de Saint-Thomas-d'Aquin pour les réfractaires, etc. (voir
Grente).
[42]
Ainsi le curé de Saint-Etienne-du-Mont, Leblanc de Beaulieu, demanda au
ministre de l'Intérieur, Bénézech, la restitution des livres de chants,
missels, etc., ayant appartenu à son église ; il fut fait droit à sa demande
(Arch. net. F¹⁹ 470).
[43]
A. Gazier, Études, p. 331-332.
[44]
Correspondance de Le Coz publiée par le P. Roussel, Paris, Alph. Picard,
1900, comme les citations qui précédent.
[45]
A Notre-Dame, on cessa de percevoir le casuel, quand la société cultuelle eût
bouclé son budget. (Gazier, Études, p. 330.)
[46]
Gazier, Études, p. 339.
[47]
Gazier, Études, p. 331.
[48]
Gazier, Études, p. 133. « Plusieurs presbytères sont soumissionnés,
écrit Le Coz à Lanjuinais, le 24 juillet 1796 ; c'est une désolation pour les
paroisses. Ne pouvant y être logé, nul prêtre ne voudra y, aller. Les parents
seront donc privés des secours de la religion les enfants de ceux de
l'instruction... ».
[49]
Le Coz à Desbois (24 août 1798).
[50]
Le Coz à Grégoire (25 mars 1799).
[51]
A. Gazier, Études, p. 136.
[52]
Voir dans le livre de M. Perrod le compte-rendu du synode constitutionnel de
Salins.
[53]
Sicard, Ancien clergé de France, Paris, Lecoffre, 1903, t. III, p. 438.
[54]
Cf. dossier aux Archives nationales In 7516. La note de Reubell est ainsi
conçue : « Qu'est devenu cet évêque de Saint-Papoul qui est toujours,
dit-on, à Paris, et qui est le plus grand coquin que je connaisse ? Ne
serait-il pas temps de l'envoyer faire des prêtres ailleurs ? On demande une
réponse. 3 Nivôse, an VII. » — Sur ce personnage, consulter le livre du vicomte
de Broc, Paris, 1894.
[55]
Mémoires de l'abbé Baston, publiés par Julien Loth et Ch. Verger, t. I,
p. 377.
[56]
L'Ami du Roi du 30 mars 1791 publie un appel au sujet d'une souscription
ouverte en faveur des ecclésiastiques séculiers et réguliers de la ville de
Paris qui se trouvent maintenant réduits à l'indigence. L'archevêque de Paris
avait formellement approuvé la souscription. Huit administrateurs en réglaient
et dirigeaient tous les détails.
[57]
Le synode de Salins décida une collecte dans toutes les paroisses pour le
concile de 1801 (Moise, par Perrod, p. 220). Lors du concile de 1797, on
décida une souscription dans toutes les églises de Paris. Cf. lettres de
Detorcy à Diot, publiées par E. Jovy, dans les Mémoires de l'Académie de
Vitry-le-François, 1898 (CL lettres des 30 août et 3 septembre 1797).
[58]
L'évêque de Luçon, l'archevêque de Bourges révoquèrent les pouvoirs de leurs
vicaires généraux. (Sicard, Ancien clergé de France, t. III, p. 467.)
L'évêque de Lombez destitua trois de ses vicaires généraux sur quatre. (Paul
Gabent, Les illuminés ou anticoncordataires de l'ancien diocèse de Lombez,
Auch, imp. centrale, 1906, p. 48 et suiv.)
[59]
D'après Cattin, p. 510 et suiv.
[60]
Abbé P. Langlois, Essai historique sur le chapitre de Rouen pendant la
Révolution, Rouen, 1856, p. 85 à 104.
[61]
Lettre de l'évêque de Châlons-sur-Marne à Monseigneur Brancardoro à Rome,
d'Altona, le 7 mai 1797, dans A. Theiner, Documents inédits relatifs aux
affaires religieuses de la France, Paris, Didot, 1857, in-8°, t. I, p. 447.
[62]
Ancien clergé de France, Paris, Lecoffre, 1903, t. III, p. 466.
[63]
Cattin, p. 519.
[64]
Abbé Langlois, p. 102 et 96.
[65]
Abbé Sicard, Ancien clergé de France, t. III, p. 467.
[66]
Abbé Grente, p. 288.
[67]
Comme Bruslon, curé de Faye-la-Vineuse, près de Tours, qui publiait des
encycliques pour lui seul.
[68]
Cattin, p. 525.