LA RÉVOLUTION ET L'ÉGLISE

 

CHAPITRE IV. — LE RÉGIME LÉGAL DES CULTES SOUS LA PREMIÉRE SÉPARATION.

 

 

La Séparation de l'Église el de l'État en 1794 et en 1906. Différence de législation s'expliquant par la différence des circonstances et des idées. — La loi du 7 vendémiaire an IV. — Le simultaneum. — Cultes catholiques et culte décadaire. — Ce qui distingue la Séparation de 1794 de celle de 1906. — La dévolution des biens. — La déclaration d'enceinte. — Les associations cultuelles sous la législation thermidorienne. — Réglementation du culte privé. — Délits et contraventions. — Le bref Pastoralis sollicitada et le fonctionnement du simultaneum jusqu'au Concordat.

 

Depuis que le refus obstiné du pape à accepter tous les compromis, qu'on lui offrait avec une égale obstination, a rendu inapplicable dans ses dispositions essentielles la loi du 9 décembre 1905, il était devenu nécessaire de remplacer et de compléter cette loi mort-née ; il ne restait plus, semble-t-il, qu'à finir par où on aurait peut-être dû et pu commencer, qu'à soumettre l'Église au droit commun.

Ce droit commun, dont s'effrayaient, au moment de la discussion de la loi de séparation, des hommes politiques d'un rouge pourtant très foncé, on ignore généralement qu'il fut le régime légal des cultes en France pendant les sept années qui ont précédé le Concordat. On ignore que, pendant ces sept années, ont fonctionné très normalement, très tranquillement, ces mêmes associations cultuelles, que Pie X condamne aujourd'hui, mais que son prédécesseur Pie VI autorisa implicitement par le bref Pastoralis sollicitado. On ignore que cette « déclaration d'enceinte », dernière formalité, où vint aboutir et échouer le bon vouloir de M. Briand, les prêtres soumis à Rome l'ont faite des milliers de fois, il y a un siècle. On ignore que la République les plia à bien d'autres exigences, beaucoup plus graves, et que la République, malgré tout, eut le dernier mol... jusqu'à ce que vint Bonaparte.

Faire connaître ce régime des cultes élaboré par la Convention thermidorienne, essayer de montrer comment il fut appliqué dans la pratique, comment surtout les différents clergés catholiques l'accueillirent et s'y accommodèrent, c'est l'objet que je me propose dans cette courte esquisse. Sans doute, l'histoire ne se recommence pas, et la situation actuelle ne ressemble que d'assez loin à la situation de l'an III. Je crois cependant que la connaissance de ce passé, pas très lointain, peut éclairer plus d'un point obscur du présent et suggérer plus d'une utile réflexion.

 

Une différence profonde distingue la législation de l'an III de la législation actuelle. La Séparation s'est faite, il y a quatre ans, dans une période de paix civile. Si une suprême imprudence pontificale en a avancé l'heure, la mesure n'en avait pas moins été préparée de longue main, ayant été systématiquement voulue, pour des raisons philosophiques autant que politiques, par un grand parti organisé.

En l'an III, au contraire, la Séparation s'accomplit en pleine crise, au milieu de la guerre civile, pendant que la terreur blanche succédait à la terreur rouge. Elle est sortie alors des nécessités beaucoup plus que des idées ou des principes. Les révolutionnaires, malgré le préjugé contraire, n'étaient pas, en effet, des laïques, des esprits affranchis de l'idée religieuse et cultuelle. Ils ne croyaient pas, en très grande majorité, qu'un pays pût vivre sans religion, sans culte. Mais ils voulaient fortement, passionnément, que cette religion, qu'ils jugeaient nécessaire, fit corps avec les institutions politiques, leur fournît un appui, au lieu de les contrecarrer et d'être pour elles une cause de ruine.

Les Constituants avaient cru résoudre le problème en organisant, par la Constitution civile du clergé, une sorte de catholicisme national, séparé de Rome et régénéré par le principe de la souveraineté du peuple, appliqué à l'élection des prêtres et des évêques. Mais la Constitution civile échoua par la résistance des évêques qui entraînèrent une partie du clergé et, avec ce clergé, une partie de la population, la portion la plus ignorante ou la plus lésée par l'ordre nouveau. Les paysans fanatisés se soulevèrent, préférant la patrie céleste à la patrie terrestre. C'était le moment des grands périls de 1793. Les prêtres constitutionnels s'étaient solidarisés avec les Girondins. On avait trouvé leur main dans l'insurrection fédéraliste. Les Montagnards, qui gouvernaient, s'efforcèrent d'empêcher les prêtres, tous les prêtres, de nuire et de conspirer. Ils fermèrent les églises. Mais, comme ils croyaient le culte nécessaire, ils remplacèrent la messe catholique du dimanche par la messe civique du décadi. La messe civique, imposée par la force, célébrée à l'ombre de l'échafaud, ne réussit pas, malgré la ferveur indéniable de ses fidèles, à triompher des habitudes anciennes de la foule et à vivre par son seul attrait. Elle fut emportée avec la Terreur, après la chute de Robespierre.

Il n'y avait plus alors ni messe civique, ni messe catholique, la première cessant d'être fréquentée, la seconde restant en fait supprimée. C'était la Séparation issue des événements.

La Convention ne fit qu'enregistrer la leçon des choses.

Le culte civique ayant échoué, comme précédemment le catholicisme réformé et nationalisé par la Constituante, il était inutile de s'obstiner plus longtemps dans la tâche impossible de réunir tous les Français dans une même religion officielle et exclusive.

Du culte civique la Convention sauva ce qu'elle put. Elle maintint les fêtes nationales, destinées à faire aimer la Constitution et les lois[1]. Le décadi resta le dimanche des fonctionnaires[2] et des patriotes[3]. Mais, en même temps, la Convention rendit aux différents cultes mystiques l'usage de la liberté inscrite dans la Déclaration des droits.

Cette législation, élaborée non sans tâtonnements, par la Convention thermidorienne, est contenue dans les lois (on disait alors décrets) du 2e jour sans-culottide an II — suppression du budget des cultes —, 3 ventôse an III — autorisation et police des cérémonies religieuses —, 12 floréal an III — mesures de sûreté contre les prêtres émigrés —, 11 prairial an III — restitution gratuite des églises aux fidèles —, 20 fructidor an III — nouvelles mesures de police contre les prêtres déportés ou émigrés —, 7 vendémiaire an IV — codification des lois précédentes), 22 germinal an IV (sonnerie des cloches —, 19 fructidor an V — pouvoirs extraordinaires confiés au Directoire).

Certaines dispositions de ces lois sont accidentelles et de circonstance, certaines autres sont générales et de principe et dépassent les nécessités de l'heure. Le lecteur démêlera de lui-même ce qui aurait pu revivre de cette législation et s'adapter à la situation présente.

Le préambule de la grande loi du 7 vendémiaire an IV définit nettement l'esprit dans lequel la Convention aborda le problème. Liberté à tous, mais liberté dans les limites de la loi et du respect des institutions. Liberté complète, mais égalité complète aussi. Aucun culte n'aura une situation privilégiée. Aucune conscience ne pourra être violentée :

« Considérant qu'aux termes de la Constitution, nul ne peut être empêché d'exercer, en se conformant aux lois, le culte qu'il a choisi ; que nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d'aucun culte, et que la République n'en salarie aucun ;

« Considérant que, ces bases fondamentales du libre exercice des cultes étant ainsi posées, il importe, d'une part, de réduire en lois les conséquences nécessaires qui en dérivent, et, à cet effet, de réunir en un seul corps, de modifier ou compléter celles qui ont été rendues ; et, de l'autre, d'y ajouter des dispositions pénales qui en assurent l'exécution ;

« Considérant que les lois, auxquelles il est nécessaire de se conformer, dans l'exercice des cultes, ne statuent point sur ce qui est du domaine de la pensée, sur les rapports de l'homme avec les objets de son culte, et qu'elles n'ont et ne peuvent avoir pour but qu'une surveillance renfermée dans des mesures de police et de sûreté publique ;

« Qu'ainsi elles doivent :

« Garantir le libre exercice des cultes par la punition de ceux qui en troublent les cérémonies, ou en outragent les ministres en fonctions ;

« Exiger des ministres de tous les cultes une garantie purement civique contre l'abus qu'ils pourraient faire de leur ministère pour exciter à la désobéissance aux lois de l'État ;

« Prévoir, arrêter ou punir tout ce qui tendrait à rendre un culte exclusif ou dominant et persécuteur, tels que les actes des communes en nom collectif, les dotations, les taxes forcées, les voies de fait relativement aux frais des cultes, l'exposition des signes particuliers en certains lieux, l'exercice des cérémonies et l'usage des costumes hors des enceintes destinées aux dits exercices et les entreprises des ministres, relativement à l'état civil des citoyens ;

« Réprimer les délits qui peuvent se commettre à l'occasion ou par abus de l'exercice des cultes... »

Des principes posés dans ce préambule magistral sont rigoureusement déduites toutes les dispositions de la loi.

La liberté des cultes est protégée contre les perturbateurs par toute une série de pénalités graduées : amende de 50 à 500 livres, emprisonnement d'un mois à 2 ans[4], pour quiconque outrage les objets d'un culte quelconque ou ses ministres en fonctions ou interrompt les cérémonies par un trouble public (Art. 2). Défense est faite sous les mêmes peines à tous administrateurs et juges d'interposer leur autorité, à tous particuliers d'employer les voies de faits, les injures ou les menaces, pour contraindre un ou plusieurs citoyens à célébrer certaines fêtes religieuses, à observer tel ou tel jour de repos, ou pour les mettre dans l'impossibilité de le faire, soit en les empêchant de se livrer à leurs travaux ou en les contraignant à fermer ou ouvrir leurs boutiques[5] (Art. 3).

Les différents cultes sont placés par rapport les uns aux autres sur un pied de parfaite égalité. Des garanties sont prises pour maintenir la neutralité absolue de la voie publique. Aucun emblème d'un culte quelconque ne peut être fixé ou enlevé, en 'quelque lieu public que ce soit, sous peine d'une amende de 100 à 500 livres et d'un emprisonnement de 10 jours à 6 mois (Art. 13 à 15)[6]. Pour la même raison de neutralité absolue, le port du costume ecclésiastique en dehors de l'enceinte du culte est interdit (Art. 5 de la loi du 3 ventôse an III). Interdites aussi les proclamations ou convocations publiques destinées à inviter les citoyens aux cérémonies (Art. 7 de la loi du 3 ventôse). Une loi spéciale prohibera les sonneries de cloches dans un but cultuel, mais cette loi fut difficilement exécutée dans les campagnes (Loi du 22 germinal an IV).

La législation accorde le droit commun aux cultes, mais elle prend ses garanties.

La liberté des cultes n'est pas rendue indistinctement à tous les prêtres. Ceux qui se sont mis ouvertement en lutte contre la Révolution, ceux qui ont volontairement émigré, ceux qui se sont mis dans le cas d'être déportés par les lois de 1792 ou de 1793[7], ceux qui, au lendemain du 10 août, par exemple, ont refusé la garantie civique contenue dans le serment de liberté et d'égalité[8], ceux-là ne peuvent être admis au libre exercice du culte. Ils se sont placés hors la loi par leur hostilité irréductible contre les lois de l'État. La République n'espère pas qu'ils reviendront à résipiscence. Elle leur ferme les portes de ses églises : bien mieux, elle leur ferme ses frontières.

« Les individus qui, ayant été déportés, sont rentrés dans la République, seront tenus de quitter le territoire français dans l'espace d'un mois : passé ce temps, s'ils sont trouvés, après la publication de la présente loi, sur ce territoire, ils seront punis de la même peine que les émigrés, » c'est-à-dire passés par les armes (Art. 2 du décret du 12 floréal an III, repris dans l'article 1er du décret du 20 fructidor an III).

Quand le gouvernement parlait de déposer un projet de loi sur « les fonctionnaires de l'étranger[9] », que faisait-il autre chose qu'exiger des prêtres cette garantie civique que les révolutionnaires mettaient - comme condition, non seulement à l'exercice de leur culte, mais à leur séjour en France ? Quand la loi, qui a été alors votée[10], supprima les allocations des prêtres rebelles à ses dispositions, que faisait-elle autre chose que frapper, d'une sanction pécuniaire et administrative, le délit de désobéissance à la loi ?

La Convention ne rendait pas aux prêtres la liberté toute sèche. Elle leur restituait aussi l'usage gratuit des églises, mais non l'usage des évêchés, séminaires, presbytères. Pour ces derniers édifices, l'usage onéreux n'était pas interdit. Il y eut des associations cultuelles réfractaires qui louèrent les anciens presbytères pour un prix modique, par exemple la société catholique de Saint-Eustache à Paris[11]. Dans bien des cas, surtout dans les campagnes, par une tolérance tacite, les presbytères furent laissés gratuitement aux prêtres. En plein Paris, en l'an VI, « époque de persécution », les prêtres constitutionnels de Saint-Berri occupaient gratuitement et tranquillement les dépendances de l'Église[12].

L'article ter de la loi du 11 prairial an III était ainsi conçu : « Les citoyens des communes et sections de commune de la République auront provisoirement le libre usage des édifices non aliénés, destinés originairement aux exercices d'un ou de plusieurs cultes et dont elles étaient en possession au premier jour de l'an II de la République...

Il y a dans le texte le mot provisoirement. C'est que l'abandon gratuit des églises était une violation du principe de la séparation absolue de l'Église et de l'État[13] et la Convention voudrait faire croire aux patriotes que cette violation n'est que provisoire. La loi précédente du 3 ventôse, dans sa logique rigoureuse, disait, en effet : « La République ne fournit aucun local, ni pour l'exercice du culte, ni pour le logement de ses ministres. » (Art. 3.) Mais le provisoire de la loi du 11 prairial devint, comme beaucoup d'autres provisoires, définitif.

La République donne aux fidèles des différents cultes l'usage gratuit des églises, mais non pas l'usage exclusif.

« Ils (les citoyens) pourront s'en servir, sous la surveillance des autorités constituées, tant pour les assemblées ordonnées par la loi que pour l'exercice de leur culte... » (Art. ter de la loi du 11 prairial.)

Au contraire, la loi de 1903 interdit formellement « de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte. » (Art. 26.)

Les « assemblées ordonnées par la loi », c'étaient, en l'an III, les assemblées électorales qui duraient parfois plusieurs jours et qui continuèrent fréquemment à se tenir dans l'église, comme les assemblées de communautés de l'ancien régime. C'étaient aussi les cérémonies du culte civique officiel, les cérémonies décadaires, comme on les appelait, au cours desquelles les autorités donnaient lecture des lois et instructions du gouvernement, les élèves des écoles récitaient les Droits de l'homme, des amateurs entonnaient des chants républicains repris par l'assistance et des orateurs prononçaient des sermons philosophiques et anticléricaux.

« Chaque décadi, disait la loi du 14-16 frimaire an II, qui ne fut jamais rapportée, les lois seront lues aux citoyens dans un lieu public, soit par le maire, soit par un officier municipal, soit par les présidents de section. » Ce lieu public, pour des nécessités pratiques, parce qu'il n'y avait pas d'autre local approprié et aussi parce que c'était le lieu de rassemblement traditionnel, ce fut, dans les trois quarts des cas, l'église. La loi du 18 floréal an II, rendue sur la proposition de Robespierre et jamais rapportée non I plus, consacrait chaque décadi à un fête morale ou civique spéciale. Les cérémonies décadaires, tombées en désuétude au début du Directoire, furent remises en vigueur et réorganisées par la loi du 19 fructidor an VI.

Ainsi, l'Église pouvait être partagée, et l'était très souvent, en fait, entre le culte officiel et les autres cultes. Le culte officiel, dont les chefs étaient les autorités communales, était occupant privilégié. Les autres cultes n'avaient qu'une jouissance subordonnée et partielle. L'édifice reste théoriquement un bien national, mais l'État en laisse la possession et en confie l'administration à la commune. La commune, bien qu'elle s'en serve, ne contribue pas aux réparations qui sont à la charge des fidèles qui en ont obtenu l'usage :

« Ces édifices sont remis à l'usage desdits citoyens, dans l'état où ils se trouvent, à la charge de les entretenir et réparer, ainsi qu'ils verront, sans aucune contribution forcée. » (Art. 2 de la loi du 11 prairial.)

La plupart des églises avaient servi de magasins ou de salles de réunion pendant la Terreur. Toutes étaient fort délabrées quand elles furent rendues au culte.

II n'est pas question nommément du mobilier qui garnit l'édifice, mais ce mobilier est compris dans l'expression, « dans l'état où ils se trouvent » et, en fait, au moins dans les premiers temps, la République permit aux prêtres de puiser, moyennant une modique redevance, dans les magasins publics les missels, antiphonaires, lutrins, autels, objets religieux de toute sorte qui s'y trouvaient[14]. Au moment de la prise de possession, un inventaire était dressé par les soins des autorités[15].

La non-exécution des réparations constituait-elle pour les fidèles bénéficiaires une cause de déchéance ou même de désaffectation de l'édifice ? La jurisprudence administrative paraît avoir beaucoup varié à cet égard. Tandis que l'administration centrale[16] de l'Aisne, par son arrêté du 24 messidor an VII, ordonnait la fermeture de tous les temples du département non réparés[17], l'administration municipale de Châlons-sur-Marne se déclarait désarmée devant le refus des théophilanthropes de contribuer aux frais des réparations de l'église qu'ils occupaient concurremment avec les catholiques[18]. En fait, cependant, les églises furent partout réparées aux frais des fidèles, sans contributions communales et, à plus forte raison, départementales ou nationales. Les registres des sociétés catholiques prouvent que les fidèles consacrèrent à cet objet des sommes parfois importantes. Les fidèles ne sont pas seulement tenus de réparer et d'entretenir un édifice sur lequel la commune garde un droit d'usage antérieur et supérieur au leur, la loi ne les garantit aucunement contre l'usurpation possible des fidèles d'un culte concurrent :

« Lorsque des citoyens de la même commune ou section de commune exerceront des cultes différents ou prétendus tels, et qu'ils réclameront concurremment l'usage du même local, il leur sera commun, et les municipalités, sous la surveillance des corps administratifs, fixeront pour chaque culte les jours 'et heures les plus convenables, ainsi que les moyens de maintenir la décence et d'entretenir la paix et la concorde. » (Art. 4 de la loi du Zi prairial.)

Ainsi, il pourra se faire (et la chose arriva, en effet) qu'un édifice réparé à grands frais par des catholiques constitutionnels sera réclamé ensuite par des théophilanthropes. La municipalité devra faire droit à la demande des derniers pétitionnaires. Si la municipalité s'y refuse, les pétitionnaires auront le droit d'en appeler de sa décision à l'administration du département et, en dernier recours, au ministre de l'Intérieur. Les théophilanthropes de Poitiers avaient demandé l'usage de l'église Notre-Dame, déjà occupée par les catholiques. La municipalité refusa et leur offrit une autre église inoccupée, mais non réparée. Les théophilanthropes persistèrent dans leur demande. Le département la rejeta et se solidarisa avec la municipalité. Les théophilanthropes en appelèrent au ministre, qui leur donna raison[19].

Certaines municipalités et certains départements interprètent d'une façon très large le droit que la loi leur donnait de fixer pour chaque culte les jours et heures convenables. Au moment oui le Directoire essaya de supplanter le dimanche par le décadi, les églises furent fermées dans beaucoup de régions les jours autres que le décadi. Par son arrêté du 26 messidor an VII, l'administration centrale de l'Aisne avait décidé que les édifices ne pourraient être ouverts, « les autres jours de la décade, qu'aux heures d'inhumation seulement et sur la demande qui en serait faite à l'agent municipal par les parents du décédé ». Mais le ministre de la police cassa cet arrêté comme inconstitutionnel[20].

Quand l’église était commune à différents cultes et aux cérémonies décadaires, il était enjoint aux fidèles d'enlever avant la cérémonie décadaire les signes de leur religion ou de les voiler quand ils ne pourraient être transportés. Pour la même raison, il était interdit aux prêtres « de paraître dans les dits édifices pendant la célébration du décadi avec les habits, ornements ou costumes affectés à des cérémonies religieuses ou à un ministre des cultes[21] ».

Il pouvait arriver, et il arriva assez souvent, que certaines parties de l'édifice, dont l'usage était commun, fussent attribuées exclusivement à tel ou tel culte. Ainsi, les théophilanthropes de Notre-Dame de Paris, ayant demandé à jouir du chœur réservé par la municipalité du 'Xe arrondissement aux cérémonies décadaires, virent leur demande rejetée successivement par la municipalité, le département et le ministre[22].

Comme on le voit, le simultaneum établi par les lois de Fan III est un simultaneum particulièrement précaire. C'est le partage de l'édifice, d'une part, avec les assemblées politiques et les cérémonies philosophiques et, d'autre part, avec les offices des différents cultes existants ou à venir. Quand la loi de prairial fut votée, il n'existait encore en France que deux cultes catholiques, les réfractaires et les constitutionnels, qui pouvaient revendiquer les églises. Mais bientôt vont se fonder des cultes philosophiques[23], qui disputeront aux premiers la jouissance des édifices religieux, à la faveur de l'article 4 de la loi.

En fait, cependant, le simultaneum cultuel fut l'exception. Jusqu'à la naissance de la théophilanthropie, il ne parait guère avoir existé, même dans les villes. Dans les campagnes, il est difficile d'en trouver trace. Les églises des villes étant nombreuses, les autorités municipales et les fidèles des diverses confessions s'entendaient pour une répartition amiable qui laissait à chaque culte l'usage particulier de chacune. Après le 19 fructidor an V, les théophilanthropes qui demandèrent le partage furent souvent en butte au mauvais vouloir des autorités locales[24]. Mais il est important de constater que, là où le simultaneum s'exerça, il ne provoqua pas de troubles sérieux. Il n'y eut ni rixes, ni violences, à peine quelques cris et quelque tapage, et encore seulement au début, ou à la veille du Concordat[25].

Il y a là, dans ce simultaneum, une différence capitale avec la législation actuelle, différence qui tient essentiellement, il faut le dire, à la différence des situations où le législateur était placé. En 1905, la grande question qui l'a préoccupé, c'est la dévolution des biens. C'est sur la dévolution des biens, plus encore que sur l'association cultuelle, qu'il a construit sa loi. Il a voulu que la transition fût ménagée le plus possible entre le régime privilégié du Concordat et le régime nouveau de la Séparation. Il a craint de heurter les habitudes des prêtres et des fidèles. Il s'est ingénié à faire la Séparation, de manière à ce que personne ne s'en aperçût, en apparence, et à plus forte raison ne s'en indignât. Dans cette pensée, il a chargé les conseils de fabrique existants du soin de faire la dévolution des biens aux associations libres, qui assureraient l'entretien du culte à leur place. Il a craint d'intervenir dans l'opération, de peur qu'on ne l'accusât de partialité ou d'inconvenance. Par un scrupule, qu'on peut trouver excessif, lui, qui était le propriétaire, il s'est effacé derrière les occupants, derrière les conseils de fabrique. Il a laissé aux cultes existants l'usage gratuit et privilégié non seulement des édifices cultuels, mais de leurs dépendances, évêchés, séminaires, presbytères, pour un temps plus ou moins long. Il s'est interdit de disposer librement de sa propriété[26].

La désaffectation des églises est limitée à un petit nombre de cas et entourée de grandes précautions. Bref, la République actuelle n'a gardé du propriétaire que les charges. Elle a même pris à son compte, sous couleur de protection des beaux-arts, les grosses réparations d'une multitude de monuments classés. Et, si on en croyait les déclarations du ministre, lors de la discussion de la loi du 2 janvier 1907, elle 'aurait même songé à récompenser l'Église de sa rébellion, en lui faisant un nouveau cadeau, par l'institution d'un budget de l'entretien des édifices du culte, du culte catholique romain, cela &entend[27]. Qu'on dise maintenant que notre République ne pratique pas la charité chrétienne !

Le problème de la dévolution des biens a conduit le législateur de 1905 à organiser des associations cultuelles qui hériteraient des fabriques. Il a stipulé le nombre de membres que comporteraient ces associations, déterminé leur circonscription d'origine, etc. Bien plus, oubliant que l'État laïque n'a pas plus à garantir qu'à briser l'organisation ecclésiastique, par le fameux article 4, il a prémuni les églises existantes contre la possibilité des schismes. li a interdit à leurs membres la liberté d'évoluer.

Rien de pareil en l'an III. Il n'y avait pas alors à s'inquiéter de la dévolution des biens qui avait été réglée dès le début de la Révolution[28]. A partir du 1er janvier 1793, les communes avaient été mises en possession des édifices religieux, au lieu et place des fabriques supprimées. Les communes avaient l'administration et la jouissance des églises. Elles gardèrent l'une et l'autre, mais partagèrent la jouissance avec les différents cultes. Le législateur prit la précaution d'empêcher que les municipalités ne se transformassent en associations cultuelles, ce qui aurait ramené indirectement la confusion de l'Église et de l'État qu'il s'agissait justement de séparer[29].

En l'an III, le législateur faisait, en réalité, un cadeau aux prêtres, un cadeau inespéré ; en 1905, malgré toutes les précautions et tous les ménagements dont il enveloppait sa loi, il leur retirait quelque chose qui était auparavant en leur pouvoir.

La situation a changé de face depuis que le pape, par son intransigeance, a rendu impossible l'application des dispositions de la loi du 9 décembre 1905, stipulées en faveur de son Église. La dévolution des biens s'est trouvée, en fait, réglée en contradiction avec l'attente du législateur. Les associations cultuelles n'ayant pas été formées dans le délai imparti, l'État, le département, la commune, le-propriétaire a repris ses droits. Il peut disposer des séminaires, des archevêchés et évêchés, des presbytères. Il a commencé à en disposer. La dévolution des biens passe donc maintenant, par le fait du pape, à l'arrière-plan et l'exercice du culte au premier. Ainsi, par ce détour inattendu, nous sommes revenus à une situation sensiblement analogue à celle de l'an III. Les lois qui furent votées, les 2 janvier et 28 mars 1907, sont, par certains côtés, un acheminement encore timide, mais un acheminement vers la législation thermidorienne.

En l'an III, le législateur, qui faisait un acte de générosité, était à l'aise pour imposer ses conditions aux bénéficiaires et il ne s'en fit pas faute. Par une série de prescriptions rigoureuses, il s'efforça de maintenir dans toutes les éventualités la suprématie incontestée du pouvoir civil. Il n'exigea pas que les fidèles, à qui il remettait les églises, formassent des associations et il ne soumit ces associations hypothétiques à aucun règlement spécial. L'exigence eût été à cent lieues de sa pensée. II ne l'eût même pas comprise. Les révolutionnaires de tous les partis avaient une égale horreur des « corporations » et des corporations religieuses plus que de toutes les autres.

La loi du 11 prairial, comme les lois antérieures et Postérieures, remit donc les édifices, non pas à des associations, mais à des citoyens individuellement, dont le nombre n'est pas spécifié. Les citoyens pétitionnent et désignent le local qu'ils veulent occuper. Cette déclaration d'enceinte est la seule formalité nécessaire. La déclaration est valable indéfiniment, tant que le culte ne subit pas d'interruption : « L'enceinte choisie pour l'exercice d'un culte sera indiquée et déclarée à l'adjoint municipal dans les communes au-dessous de 5.000 âmes, et, dans les autres, aux administrations municipales de canton ou d'arrondissement[30]. Cette déclaration sera transcrite sur le registre ordinaire de la municipalité ou de la commune et il en sera envoyé expédition au greffe de la police correctionnelle du canton. Il est défendu à tous ministres du culte et à tous individus d'user de ladite enceinte avant d'avoir rempli cette formalité. » (Art. 17 de la loi du 7 vendémiaire an IV.)

Dans la loi de 1905, il y avait également une déclaration d'enceinte obligatoire, mais valable pour une année seulement. (Art. 25.)

Avec la législation récente, la déclaration suffisait pour obtenir le droit à la jouissance de l'édifice[31]. Sous l'empire de la législation thermidorienne, il semble bien que l'autorité administrative, en dernier ressort le ministre ou le Directoire, se réservait la faculté de mettre les déclarants en possession ou non. L'église Saint-Thomas-d'Aquin, à Paris, ayant été fermée à la suite de la déportation de son principal ministre du culte, les fidèles de la paroisse adressèrent vainement des pétitions à la municipalité de l'arrondissement, au département, au ministre ; ils ne purent obtenir la réouverture de l'église pour leur culte. Les fêtes décadaires et les offices des théophilanthropes y continuaient cependant.

Si plusieurs pétitionnaires d'un même culte se disputaient l'usage du même édifice, le pouvoir restait libre de choisir entre eux. Ainsi, au moment du Consulat, Saint-Thomas-d'Aquin, à Paris, fut rendu au prêtre réfractaire Filastre, contrairement aux pétitions et réclamations des fidèles formant l'association cultuelle de cette église. Et le cas est d'autant plus curieux que la pétition de Filastre, à laquelle l'autorité fit droit, portait son unique signature[32].

La loi du 2 janvier 1907 prévoyait de même que l'exercice du culte pourrait être assuré, à défaut des associations cultuelles régulièrement formées d'après la loi de 1903, par des associations de personnes soumises au régime de la loi de 1901, c'est-à-dire par des associations de fait dépourvues de la capacité juridique. Les réunions religieuses pourraient même être tenues sur une simple déclaration individuelle et les églises remises à un seul ministre du culte, après l'accomplissement de la déclaration prévue par l'article 25 de la loi du 9 décembre 1905. La loi ajoutait que la déclaration pourrait être faite indépendamment du ministre officiant qui obtiendrait nécessairement la jouissance de l'édifice, en vertu d'une formalité à laquelle il serait resté étranger !

En l'an III, les églises étaient remises aux pétitionnaires dans l'état où elles se trouvaient, c'est-à-dire avec le mobilier qui les garnissait, s'il y en avait au moment de la prise de possession. Un inventaire était dressé le jour de l'installation par les soins de l'autorité municipale, en général, des commissaires de police dans les grandes villes. Les pétitionnaires ou déclarants signaient le procès-verbal de remise et l'inventaire qui y était contenu.

Dans la loi du 2 janvier 1907, la formalité d'entrée en jouissance était sensiblement analogue : « La jouissance... desdits édifices et des meubles les garnissant sera attribuée, sous réserve des obligations énoncées par l'article 13 de la loi du 9 décembre 1905, au moyen d'un acte administratif dressé : par le préfet pour les immeubles placés sous séquestre et ceux qui appartiennent à l'État ou aux départements ; par le maire pour les immeubles qui sont la propriété des communes. » (Art. 5.) Cet acte administratif dressé par le préfet ou par le maire aurait dû être forcément très semblable au procès-verbal de l'an III et, comme lui, accompagné, sans doute, d'un inventaire[33].

Il y a bien cependant une différence, une différence capitale entre la législation de l'an III et la législation nouvellement promulguée. En l'an III, le simultaneum est formellement autorisé et, sans être général, ni même habituel, il est pourtant d'un usage assez fréquent. La législation nouvelle était obscure sur ce point, qui a dû être éclairci par la jurisprudence.

Qu'arrivera-t-il, en effet, si plusieurs associations de fait, si plusieurs ministres du culte réclament concurremment l'usage du même édifice ? L'autorité devra-t-elle, pourra-t-elle faire un choix entre ces diverses demandes et d'après quelles règles ?

Le ministre avait déclaré, au cours de la discussion de la loi du 2 janvier 1907, que les églises, étant affectées au culte catholique, ce serait aux catholiques à faire valoir leurs droits devant les tribunaux. Mais 1° il ne résultait nullement du texte de la loi nouvelle que les édifices affectés à l'exercice du culte ne le seraient qu'à l'exercice du culte catholique — le mot catholique n'était nulle part prononcé et il aurait été- étrange qu'il le fût — ; et cela ne résultait pas davantage de celles des dispositions de la loi du 9 décembre 1905, qui pouvaient être considérées comme étant encore en vigueur, parce que non contraires à la loi de 1907 ; 2° les articles 4 et 8 de la loi du 9 décembre 1905, auxquels sans doute le ministre avait renvoyé les tribunaux, ne s'appliquaient qu'aux conflits entre associations cultuelles, régulièrement formées en obéissance à cette loi ; c'était une question de savoir si on pouvait les appliquer aux associations de fait, aux déclarants individuels, aux ministres des cultes, auxquels la loi nouvelle remettait indistinctement la jouissance des églises. U était, au contraire, permis de penser que l'affectation exclusive et privilégiée, stipulée dans la loi du 9 décembre 1905, avait cessé de plein droit après l'expiration du délai accordé aux bénéficiaires pour faire valoir leurs droits, car l'affectation était conditionnelle. En tout cas, si l'interprétation ministérielle devait prévaloir, il en résulterait que la République (la troisième) entendait continuer à garantir la hiérarchie catholique ou plutôt qu'elle espérait encore se ménager ainsi un terrain de négociation indirecte[34].

En l'an III, les déclarants, qui recevaient l'église et qui signaient le procès-verbal, étaient individuellement responsables de la manière dont ils usaient de, la faveur qui leur était faite. La responsabilité collective du groupe n'existait pas légalement[35]. Si les déclarants formaient entre eux une société, une association, et c'était presque toujours le cas[36], l'autorité ignorait cette société, cette association, qu'elle n'interdisait pas cependant. Elle ne voulait avoir devant elle que des individus.

Les associations cultuelles de ce temps-là fonctionnaient, comme toutes les autres associations, d'après le droit commun en vigueur. Or, ce droit commun était très sévère. Loin de garantir la hiérarchie et les règles générales des différents cultes, il les brisait. La loi du 25 vendémiaire an III défendait « toutes affiliations, agrégations, fédérations, ainsi que toutes correspondances en nom collectif entre sociétés, sous quelque dénomination qu'elles existent... comme subversives du gouvernement et contraires à l'unité de la République » et punissait les contrevenants de l'emprisonnement comme suspects. Les associations cultuelles ; qui se formèrent en grand nombre, n'avaient donc pas le droit de se fédérer entre elles, de former ces unions que la loi de 1905 autorise. A plus forte raison n'avaient-elles pas le droit de posséder à titre collectif ou d'ester en justice. Les textes étaient rédigés de manière à empêcher la reconstitution d'une mainmorte. « Il ne pourra être formé aucune dotation perpétuelle ou viagère ni établi aucune taxe pour en acquitter les dépenses (du culte). » (Art. 9 de la loi du 3 ventôse, repris dans l'article 10 de la loi du 7 vendémiaire an IV.) Le culte devait vivre uniquement d'aumônes ou d'offrandes volontaires[37]. La législation actuelle, au contraire, autorise formellement les fondations (Art. 21).

Les lois de l'an III interdisaient absolument toute subvention directe ou indirecte aux différents cultes. Elles édictaient des peines sévères contre les agents de l'autorité qui se rendraient complices des contraventions :

« Tous actes, contrats, délibérations, arrêtés, jugements ou rôles, faits, pris ou rendus, en contravention aux deux articles précédents, seront nuls et comme non avenus. Les fonctionnaires publics qui les signeront seront condamnés chacun à cinq cents livres d'amende et à un emprisonnement qui ne pourra être moindre d'un mois, ni en excéder six ». (Art. 11 de la loi du 7 vendémiaire an IV.)

Contre la hiérarchie ecclésiastique, le pouvoir n'était pas seulement armé, en l'an III, par le droit commun des associations, il pouvait aussi se servir de l'article 351 de la Constitution ainsi conçu : « Il n'existe entre les citoyens d'autre supériorité que celle des fonctionnaires publics ». L'évêque constitutionnel de Versailles, Clément, s'étant refusé à transférer sa grand'messe au décadi, fut l'objet d'une dénonciation de l'administration municipale fondée, en partie, sur cet article. La dénonciation s'exprimait ainsi : « Il existe dans le département une hiérarchie théocratique dépendante d'un concile général et c'est cette hiérarchie qui s'oppose aux institutions républicaines, sans lesquelles il ne peut y avoir d'ordre public ». Et le ministre de l'Intérieur, François (de Neufchâteau), trouvait la dénonciation fondée, puisqu'il la transmettait en ces termes à son collègue de la police : « Je vous invite à examiner s'il n'y aurait pas lieu à proposer des mesures de sévérité contre ce prêtre qui, dans ses lettres aux autorités constituées, s'intitulant évêque de Versailles, fait un acte extérieur du culte et dont la conduite parait avoir pour objet de neutraliser les institutions républicaines du gouvernement[38] ». L'affaire fut portée au directeur du jury. L'évêque constitutionnel des Vosges, Maudru, fut traduit devant le tribunal criminel de ce département sous différents prétextes, mais notamment pour avoir distribué « un écrit dont tout ou partie était annoncé comme émané d'un ministre du culte non résidant en France ». Cette périphrase désignait le bref du pape du 5 juillet 1796. Maudru fut condamné à cent livres d'amende et à six mois d'emprisonnement, mais obtint la remise de sa peine, par l'influence du ministre François (de Neufchâteau), son compatriote[39]. On pourrait facilement citer d'autres exemples de poursuites du même ordre.

Briser la hiérarchie catholique, afin (le détruire le clergé comme corporation, c'est un des buts principaux visés par la législation thermidorienne. Elle s'ingénie aussi à mettre en relief la responsabilité du ministre officiant. Le groupe de pétitionnaires, à qui l'église est remise, n'offrait pas une prise suffisante. Le ministre qui présidait les cérémonies, plus directement saisissable, était là pour répondre du bon ordre et de l'exécution des lois.

Aucun ministre du culte n'est autorisé à faire usage de l'édifice remis aux pétitionnaires s'il n'a donné, au préalable, à la République une garantie civique, en souscrivant devant la municipalité du lieu une déclaration ou en prêtant un serment, dont les formules ont varié, mais dont le fond est resté identique. Cette déclaration est indépendante de la déclaration d'enceinte. Elle doit être renouvelée chaque fois que l'officiant change de commune. Deux copies certifiées doivent en être constamment affichées à l'intérieur de l'édifice destiné aux cérémonies : « Nul ne peut remplir le ministère d'aucun culte dans lesdits édifices, à moins qu'il ne se soit fait décerner acte devant la municipalité du lieu où il voudra exercer, de sa soumission aux lois de la République. Les ministres des cultes qui auront contrevenu au présent article et les citoyens qui les auront appelés ou admis, seront punis chacun de mille livres d'amende par voie de police correctionnelle. » (Art. 5 de la loi du 41 prairial repris par l'art. 5 de la loi du 7 vendémiaire an IV.) Le libellé de la déclaration est fixé par la loi. Il est interdit d'y changer ou d'y ajouter un mot ou une syllabe ; à peine, pour les fonctionnaires qui l'auront reçue, d'une amende de 500 livres et d'un emprisonnement d'un an et 3 mois, de la même peine pour les ministres des cultes, en cas de récidive de dix ans de gêne (travaux forcés), en cas de rétractation du bannissement à perpétuité[40]. Notons que l'expression « ministre des cultes » s'entend dans un sens très large. Elle ne s'applique pas particulièrement et exclusivement aux personnes ordonnées prêtres, d'après les rites définis d'une religion positive. La loi ne connaît pas ces rites. Est, pour elle, ministre du culte quiconque en fait les fonctions, quiconque préside les cérémonies, fut-il laïque. En fait, dans beaucoup de régions, ce sont des laïques qui dirigent le culte, même dans le catholicisme. Les maîtres d'école disent « des messes aveugles », à la place des prêtres disparus. Dans l'Aisne, le commissaire central écrivait, le 27 vendémiaire an VIII, moins d'un mois avant le 18 brumaire : « L'exercice des cérémonies religieuses est exclusivement presque partout transféré aux décades. Peu de prêtres s'en mêlent publiquement. Les magisters, les tonneliers, les marchands fripiers leur ont succédé et discréditent beaucoup cette sainte besogne[41] ». Ces laïques, magisters, tonneliers et fripiers, sont astreints à la formalité de la déclaration au même titre, du reste, que les lecteurs et orateurs de la théophilanthropie[42].

La loi du 2 janvier 1907, dans son article 5, mettait les églises « à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion ». Les fidèles semblaient ainsi être placés sur le même pied que les ministres. On pouvait se demander si c'était le désaveu définitif du système de l'article 4 de la loi de 1905 ? S'il plaisait aux fidèles de se passer des ministres et de dire des messes plus ou moins aveugles, comme il y a cent ans, en vertu de ce texte, pourraient-ils être mis en possession, les formalités d'ailleurs remplies ? Mais cela cadrait mal avec les commentaires du ministre[43].

La législation de l'an III autorisait le culte privé, mais en le réglementant. Ne pouvaient assister aux cérémonies privées que les habitants de la maison où elles étaient célébrées, et, en outre, dix personnes étrangères au maximum (Art. 16 de la loi du 7 vendémiaire an IV). Le culte privé était exempté de la déclaration d'enceinte, mais non de la déclaration de soumission aux lois. Aucun prêtre ne pouvait exercer dans un oratoire particulier sans avoir fait sa déclaration civique à la municipalité[44]. En fait, au début du Directoire, la loi ne fut pas toujours respectée et il s'ouvrit de nombreuses églises clandestines dans les locaux privés. Après le 19 fructidor, les contraventions furent poursuivies[45] et les oratoires fermés en grand nombre[46]. Les propriétaires ou locataires des maisons où s'exerçait un culte clandestin s'exposaient à une amende de 1.000 livres et, en cas de récidive, à une détention de 6 jours à 3 mois (Art. 4 de la loi du 30 fructidor an III).

La loi du 9 décembre 1905 ne dit rien du culte privé qui se trouve, par cela même, régi par les dispositions très libérales du droit commun.

En l'an III, comme de nos jours, des garanties précises sont stipulées pour que le culte, privé ou public, ne serve pas de prétexte à des attaques contre le gouvernement, mais, en l'an III, les peines sont beaucoup plus sévères, trop sévères même pour qu'elles aient pu être régulièrement appliquées. Seront punis de la gêne à perpétuité tout ministre qui provoquera, par ses discours, ses exhortations, ses invocations ou prières « en quelque langue que ce soit », au rétablissement de la royauté, à l'anéantissement de la République, à la dissolution de la représentation nationale, à la désertion des conscrits, à la rébellion, à l'avilissement des signes et couleurs républicains, à la mutilation des arbres de la liberté, etc. (Art. 23 de la loi du 7 vendémiaire an IV).

La loi de 1905 réprime le délit (l'outrage ou de diffamation contre les citoyens chargés d'un service public — amende de 500 à 3.000 fr., emprisonnement de un mois à un an —, la provocation directe à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, l'excitation à la révolte — emprisonnement de 3 mois à 2 ans —. L'association cultuelle est rendue civilement responsable (Art. 34, 35, 36).

En l'an III, un article spécial protégeait les acquéreurs de biens nationaux contre les attaques du clergé (amende de 1.000 livres, emprisonnement de 2 ans). Un autre article défendait contre les entreprises des prêtres les registres (le l'état civil, que la loi du 20 septembre 1'792 avait confiés aux municipalités. Étaient punis de 1.000 livres d'amende et de 2 ans de prison tous fonctionnaires qui auraient égard aux registres de baptême, de mariage et de sépulture tenus par les prêtres ou les mentionneraient dans les actes publics, tous particuliers qui les produiraient devant les tribunaux ou les administrations (Art. 20 de la loi du 7 vendémiaire an IV).

Le législateur de 1905 n'a pas cru devoir protéger spécialement contre les vengeances des gens d'église les acquéreurs des biens ecclésiastiques récemment repris par la nation. Mais, dans un intérêt d'ordre public, il a maintenu pour les prêtres l'obligation de ne célébrer le mariage religieux qu'après la conclusion du mariage civil. Cette obligation n'existait pas en l'an III, car la législation ignorait alors le sacrement de mariage, comme tous les autres sacrements.

En l'an III, les contraventions à la police des cultes étaient justiciables de la police correctionnelle en cas d'amende ou d'emprisonnement, du jury en cas de peine afflictive ou infamante. Les jugements de la police correctionnelle étaient exécutés par provision nonobstant l'appel. Il était défendu aux tribunaux criminels d'accorder aucune surséance, à peine de nullité et d'une amende de 500 livres . Les condamnations à l'amende comportaient de plein droit la contrainte par corps, qui était cependant fixée à un maximum de trois mois. (Cf. titre IV de la loi du 7 vendémiaire.)

Ce bref exposé de la législation thermidorienne serait trop incomplet si je ne disais, pour terminer, un mot de la manière dont elle fut accueillie par le clergé réfractaire soumis à Rome[47].

Il y eut, pendant toute la Révolution, deux partis bien tranchés dans le clergé réfractaire et cela dès le lendemain de la Constitution civile. Les querelles, les divisions de ces deux partis allèrent parfois jusqu'au schisme[48]. Les uns, les intransigeants, plus dévoués au fond au roi qu'à l'Église, ceux qui avaient émigré les premiers, ne voulaient avec la Révolution d'aucun compromis. Mis hors la loi pour la plupart, frappés d'arrêtés de déportation, ils condamnaient toutes les déclarations, tous les serments que la République exigeait pour la remise des églises et l'exercice du culte. Ces serments leur semblaient aussi illicites que le serment de la Constitution civile du clergé. Déclarant à la Révolution une guerre à mort, ils n'espéraient le salut pour l'Église que de l'excès du mal. Quand les modérés leur reprochaient de vouloir la suppression complète du culte en France, ils acceptaient le reproche et s'en glorifiaient. Leur tactique constante fut, en effet, de pousser à la révolte, par la privation des sacrements, par la grève du culte, les populations ignorantes des campagnes. Cette politique paraît être aujourd'hui celle de l'entourage de Pie X.

L'autre parti, au contraire, dont le chef était l'ancien supérieur de Saint-Sulpice, l'abbé Émery, accepta de faire toutes les déclarations, tous les serments que la République demandait, et cela, dans l'intérêt de l'Église, afin de disputer les fidèles au clergé constitutionnel. Ces soumissionnaires, comme on les appela (aujourd'hui on les appelle les soumissionnistes), étaient des politiques, des opportunistes qui comprenaient admirablement que la France ne voulait plus de royauté et qu'à solidariser l'Église avec la royauté, on détruirait celle-là, sans rétablir celle-ci. Très habilement, ils eurent l'air de s'accommoder de la République, ils essayèrent d'endormir ses défiances, et ils firent des progrès rapides. Cette tactique des soumissionnaires de l'an III aurait été celle de la grande majorité du clergé d'aujourd'hui s'il n'était pas tombé dans l'esclavage de Rome.

Il y avait dans la législation de l'an III trois sortes de dispositions qui pouvaient particulièrement sembler rigoureuses au clergé catholique romain : 1° la garantie civique exigée des prêtres ; 2° la part des laïques dans l'administration du culte ; 3° le simultaneum imposé aux différentes confessions. Aucune de ces exigences ne parut canoniquement insurmontable aux prêtres du clergé soumissionnaire. Aucune ne fut condamnée par le pape. Une grande partie de l'église réfractaire se soumit, le pape se soumit.

Le pape Pie VI avait condamné le serment exigé des prêtres par la Constituante[49] et cette condamnation avait été la cause du schisme constitutionnel qui subsistera jusqu'au Concordat. Or, deux ans ne s'étaient pas écoulés, qu'une partie des réfractaires soumis à Rome acceptaient de prêter le serment, beaucoup plus civique, imposé par la Législative au lendemain du 10 août. Malgré les exhortations et les instances très vives dont il fut l'objet, Pie VI refusa de condamner ce nouveau serment, comme il avait condamné l'ancien. Il se borna à faire entendre discrètement qu'il désapprouvait ceux qui l'avaient prêté, mais il n'exigea d'eux aucun désaveu, aucune rétractation. Les réfractaires soumissionnaires restèrent dans l'Église romaine et leur nombre s'augmenta de plus en plus, quand la Convention rouvrit les églises, en l'an III. De nombreux évêques émigrés ou non émigrés autorisèrent les diverses déclarations de prairial, de vendémiaire, le serment du 19 fructidor, la promesse de l'an VIII, et les justifièrent canoniquement contre les attaques des réfractaires insoumis. Cette fois, non seulement le pape ne désapprouva pas la soumission, il l'autorisa, il la conseilla formellement par son bref Pastoralis sollicitudo du 5 juillet 1796, qu'il offrit au Directoire comme gage de ses intentions pacificatrices, au moment où Bonaparte négociait avec lui l'armistice de Bologne. Le Directoire, qui exigeait du pape le retrait pur et simple de sa condamnation de la Constitution civile du clergé, ne trouva pas ce bref suffisant et le pape ne le promulgua pas officiellement. Mais le texte en fut publié par le journal des réfractaires soumissionnaires, les Annales catholiques, et le pape ne désavoua pas la publication.

Voici le passage le plus important de ce bref qui emprunte aux circonstances que nous avons naguère traversées une actualité quelque peu piquante : « Nous croirions manquer à nous-même, si nous ne saisissions pas avec empressement toutes les occasions de vous exhorter à la paix et de vous faire sentir la nécessité d'être soumis aux autorités constituées. En effet, c'est un dogme reçu dans la religion catholique que l'établissement des gouvernements est l'ouvrage de la sagesse divine pour prévenir l'anarchie et la confusion et pour empêcher que les peuples ne soient ballottés, çà et là, comme les flots de la mer. Aussi, saint Paul, en parlant, non d'aucun prince isolément, mais de la chose en elle-même, affirme-t-il qu'il n'y a pas de puissance qui ne vienne de Dieu et que résister à celle puissance c'est résister aux décrets de Dieu même. Ainsi, nos chers Fils, ne vous laissez pas égarer ; n'allez pas, par une piété mal entendue, fournir aux novateurs l'occasion de décrier la religion catholique. Votre désobéissance serait un crime qui serait puni sévèrement, non seulement par les puissances de la terre, mais, qui pis est, par Dieu même qui menace de la damnation éternelle ceux qui résistent à la puissance. Ainsi, nos chers Fils, nous vous exhortons, au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, à vous appliquer de tout votre cœur, de toutes vos forces, à prouver votre soumission à ceux qui vous commandent. Par là, vous rendrez à Dieu l'hommage d'obéissance qui lui est da, et vous convaincrez vos gouvernants que la vraie religion n'est nullement faite pour renverser les lois civiles... » Telles sont les instructions que le pape rédigea à l'adresse de son clergé, deux ans à peine après l'entrée en vigueur de la législation thermidorienne, singulièrement plus sévère, on l'a vu plus haut, que les lois Briand.

La publication du bref du 5 juillet 1796 atterra les « zélés », qui furent réduits à en contester l'authenticité, imitant ainsi la tactique que les constitutionnels avaient pratiquée contre les brefs condamnant la Constitution civile du clergé. Il fallut, néanmoins, se rendre à l'évidence. Le nombre des soumissionnaires augmenta encore quand Bonaparte n'exigea plus d'eux qu'une simple promesse de fidélité à la Constitution. Il n'est pas douteux que la majorité du clergé réfractaire s'était soumise, du bout des lèvres, mais s'était soumise cependant à la République, quand Bonaparte négocia son funeste Concordat.

Retenons donc ce premier point acquis. L'exigence d'une garantie civique de la part des ministres des cultes ne fut pas un obstacle à la mise en pratique de la législation de l'an III. De nos jours, l'exigence d'une formalité des plus anodines provoque une rébellion unanime.

La question des associations cultuelles a été la pierre d'achoppement de la loi de 1903. A aucun moment, sous la Révolution, les prêtres réfractaires et le pape n'ont manifesté d'appréhension à ce sujet. Jamais, que je sache, ils n'ont exprimé publiquement la crainte que les pétitionnaires laïques, à qui les églises étaient remises, n'abusassent dans un but anti-canonique des pouvoirs qu'ils tenaient de la loi.

Dès le lendemain de la Constitution civile du clergé, des associations laïques se fondaient spontanément, en dehors de toute prescription légale ou ecclésiastique, pour faire vivre le culte réfractaire expulsé des églises. En avril 1791, une société de catholiques se formait à Paris sous la direction de l'ancien curé de Saint-Sulpice, Pancemont, pour organiser le culte dissident dans l'église désaffectée des Théatins[50]. Dès le 20 octobre 1'790, une société analogue fonctionnait à Saint-Lizier-de-Couzerans (Ariège)[51].

Après la Terreur, ce furent, en bien des cas, les vicaires généraux eux-mêmes des évêques réfractaires qui autorisèrent ou suggérèrent la formation de ces associations qui jouirent dans la pratique de pouvoirs qui nous paraîtraient singulièrement étendus. On commence à faire l'histoire de ces associations cultuelles que les contemporains appelaient de noms variés : consistoire, directoire du culte, administration, conseil de paroisse, etc., et cette histoire est fort intéressante.

Voici, par exemple, ce que nous apprend M. l'abbé J. Contrasty au sujet du conseil de paroisse qui entretint le culte réfractaire sous le Directoire et sous le Consulat, à Seysses, bourg rural du canton de Muret[52]. Le Conseil était élu dans l'église après vêpres par tous les fidèles. Il était rééligible chaque année et rarement réélu en entier. Les élections sont disputées, il se produit même un moment une sorte de scission. Le conseil se réunit tous les mois. Le règlement qui le régit est fait de manière à sauvegarder le contrôle de l'assemblée des fidèles qui approuve les comptes, Les états de recettes et de dépenses sont affichés à la porte de l'église. Chose curieuse, ce règlement d'association libre soumise à Rome accorde à la municipalité une sorte de droit de contrôle sur la nomination des membres de son conseil. Les municipaux approuvent ou désapprouvent la liste arrêtée par l'assemblée générale. Chose plus curieuse, les prêtres desservants, qui présidaient le conseil de fabrique avant la Révolution, n'ont plus accès dans le nouveau conseil de paroisse qui délibère hors de leur présence. L'association entretient avec les vicaires généraux qui représentent le pape des rapports réguliers, mais des rapports d'égalité plus que de dépendance. L'association leur demande des prêtres. Les vicaires généraux en fournissent. On débat de part et (l'autre les conditions. C'est un marché que l'on conclut. Ainsi, quand le conseil décide d'inviter l'abbé Belin à établir sa résidence dans la commune, il lui offre 100 francs le jour de son arrivée, plus un traitement annuel de 800 francs, payable de mois en mois. Avant d'envoyer Belin, les vicaires généraux font préciser ces conditions par écrit. Finalement, il est décidé qu'en plus le conseil fournira au prêtre un logement annuel, paiera les gages (le sa servante, et abandonnera les honoraires de messes et le casuel. L'association cultuelle, formée spontanément, apparaît comme très vivante et très autonome. C'est le véritable pouvoir religieux de la commune. Les prêtres qu'elle engage ne font que passer. Il ne s'en succède pas moins d'une douzaine de 1795 à 1802. Elle seule reste. Elle tient sa force de sa permanence et aussi de ses subventions.

L'association de Seysses n'est pas une exception. Toutes celles que je connais ont présenté des caractères analogues. A Paris, elles se réunissent très fréquemment, presque toutes les semaines à Saint-Eustache puis deux fois par mois, tous les dimanches à Saint-Étienne-du-Mont, à Paris et provoquent des réunions générales des fidèles assez rapprochées, tous les mois à Saint-Laurent. Les désaccords, les conflits même, ne furent pas rares entre les associations et les prêtres desservants, ainsi à Saint-Thomas-d'Aquin sous le Concordat. Dans cette église le prêtre Filastre, qui avait obtenu des autorités la jouissance de l'édifice, contrairement au vœu de l'association cultuelle, dut s'incliner devant ses paroissiens', après quelques semaines de résistance, et consentir à partager la jouissance et les subsides avec un autre réfractaire comme lui, l'ancien curé Laurens. « Il est curieux, dit un récent auteur[53], de voir la part que les laïques essayèrent de s'arroger, non seulement dans la conservation des édifices, dont ils avaient la responsabilité, et dans l'entretien du matériel du culte, mais dans le choix même des ministres du culte et les objets d'administration spirituelle. » Dans les associations réfractaires, aussi bien que dans les constitutionnelles, les prêtres étaient choisis au scrutin par l'assemblée des fidèles. Le pape subissait, en fait, cette élection par le peuple qu'il avait condamnée dans la Constitution civile du clergé. La société du culte catholique de Saint-Eustache à Paris élut d'abord, comme « chef du culte », l'ancien curé Poupart, puis, à sa mort, l'abbé Juvigny. Ici, tous les citoyens, sans distinction de sexe, pouvaient prendre part à l'élection. A Saint-Étienne-du-Mont, église constitutionnelle, les femmes ne votaient pas, mais l'assemblée générale des fidèles se réservait « le droit d'élire le pasteur en chef, d'agréer ou de refuser sur sa présentation les vicaires qui devront être portés sur l'état de la société et d'en déterminer le nombre, d'instituer et de destituer les différentes personnes attachées au service de l'Église, telles que chantres, serpent, sacristain, concierge, fournisseur de chaises, etc.[54], » M. l'abbé Grente nous dit que les administrateurs du culte ne se faisaient pas faute d'avertir tel ou tel prêtre, arrivé en retard pour dire sa messe, qu'ils se verraient, obligés de supprimer son traitement.

Il n'est pas douteux que les laïques exercèrent alors dans le gouvernement de l'Église une action de plus en plus importante, une action qu'ils n'avaient exercée qu'aux premiers temps de l'Église. Il n'est pas douteux que la hiérarchie ecclésiastique, n'étant plus garantie par la loi, subit plus d'une lézarde. Il n'est pas douteux que beaucoup de prêtres des deux clergés, forts de l'appui de leurs paroissiens, s'émancipèrent. Malgré les censures, dont ils furent frappés par leurs évêques et par leur concile national, plusieurs prêtres constitutionnels mariés continuèrent leurs fonctions et gardèrent leurs femmes comme ce Bruslon, curé de Faye-la-Vineuse en Touraine, qui se regardait comme son propre évêque[55].

Si, en fait, la hiérarchie catholique subsista dans les deux clergés, ce fut en cachette et du seul assentiment volontaire des prêtres et des fidèles.

L'église constitutionnelle tint de nombreux synodes provinciaux et deux conciles nationaux en 1797 et en 1801. Elle exigeait de ses prêtres de se mettre en règle avec les décrets de ses conciles. A Paris, fonctionnait au-dessus des associations cultuelles laïques un conseil de prêtres ou presbytère pour les contrôler et pour exercer les attributions de l'évêque non remplacé depuis la mort de Gobel. Ce presbytère vérifiait les procès-verbaux d'élections des prêtres par les paroisses, enquêtait sur la moralité et la doctrine des nouveaux élus, leur délivrait ou refusait la confirmation canonique. Choisi par le consistoire de Saint-Laurent, le 8 fructidor an III (29 août 1795), l'abbé Margarita fut d'abord confirmé par l'assemblée générale de la paroisse, le 19 vendémiaire an IV (11 octobre 1795). Acte fut dressé de l'élection. Le presbytère fit son enquête, approuva à son tour et délégua son président, Clausse, curé de Saint-André-des-Arcs, pour installer définitivement le nouveau curé et lui conférer l'institution canonique[56].

De même, dans l'église réfractaire, les évêques non émigrés (au nombre de 15) et les vicaires généraux des autres purent exercer leurs fonctions sous le contrôle de l'internonce, Mgr de Salamon, dont nous possédons les Mémoires et la Correspondance[57]. Le clergé réfractaire continua même à se recruter et on peut citer plusieurs exemples d'ordinations conférées par l'évêque de Saint-Papoul[58].

Pendant les sept années qu'a duré la première Séparation, les deux clergés catholiques, faisant contre fortune bon cœur, se sont donc accommodés de la législation thermidorienne, tant en ce qui concerne la part des laïques dans l'administration du culte qu'en ce qui concerne le fonctionnement de leur hiérarchie.

Ils s'en sont accommodés, même en ce qui concerne le simultaneum. Quand les théophilanthropes demandèrent à partager les églises de Paris avec les prêtres constitutionnels ou réfractaires, les uns et les autres témoignèrent naturellement quelque mauvaise humeur, mais ils se résignèrent et ne manquèrent même pas de bonnes raisons canoniques pour justifier leur résignation. Le curé de Saint-Étienne-du-Mont, Leblanc de Beaulieu, après une conférence avec les chefs théophilanthropes qui venaient s'installer dans son église, décidait de rester pour les raisons suivantes :

« 1° Au lieu de servir la religion, on lui ferait une plaie irréparable. Privés des églises, il nous faudra nous rassembler dans des chambres. La grande partie du peuple sera donc dépourvue de tous les moyens de sanctification que lui fournit encore la publicité du culte.

« Le peuple ira aux exercices des théophilanthropes, il s'accoutumera à se dire religieux sans avoir de religion. L'apostasie générale se consommera et, quoiqu'elle paraisse inévitable, nous serions responsables à Dieu et aux hommes de n'avoir pas fait tout ce qui est en nous pour la retarder.

« 2° Même parmi les personnes plus attachées à la religion que le commun peuple, il y en aura beaucoup à qui la clandestinité sera un prétexte pour ne pas venir, pour s'abstenir de la confession et tomber dans le relâchement.

3° Le mal sera peut-être sans remède, car si l'on abandonne les temples, ils seront probablement perdus sans retour[59]... » Et Leblanc de Beaulieu invoquait, pour justifier sa conduite, l'exemple de certaines églises d'Allemagne, consacrées à la fois au culte catholique et au culte luthérien.

Les prêtres réfractaires soumissionnaires acceptèrent le simultaneum pour les mêmes raisons que les prêtres constitutionnels. N'oublions pas, du reste, que ce n'était pas la première fois que ce simultaneum leur était imposé. Déjà, au lendemain de la Constitution civile, l'évêque réfractaire de Langres, La Luzerne, dans une Instruction, qui fut adoptée par la grande majorité de l'épiscopat, avait autorisé ses prêtres à continuer de dire la messe dans les églises occupées par les jureurs, et même à entrer en rapports in divinis avec ceux des jureurs qui n'avaient pas pris la place des curés légitimes[60]. Pendant deux ans, de 1791 à 1793, ce simultaneum fut pratiqué dans toute la France, les curés et évêques constitutionnels ne s'y étant pas opposés.

Sous le Directoire, il s'agissait de partager l'église, non plus seulement avec une secte schismatique, mais avec une secte impie. Les prêtres réfractaires firent taire leurs scrupules. Certains, pour éviter un contact trop direct avec les impies, leur abandonnèrent le chœur et se retirèrent dans la nef. Certains firent construire des autels roulants, afin de ne pas se servir de l'autel fixe occupé par les théophilanthropes. D'autres purifiaient l'église par des aspersions d'eau bénite, avant de s'en servir pour leurs cérémonies. A Notre-Dame, la société catholique décida de ne plus se servir de l'orgue souillé par l'usage des théophilanthropes, mais l'évêque Royer, moins dégoûté que les laïques de la société, passa outre à la défense et l'orgue continua d'être touché par des mains catholiques aux grandes fêtes du culte[61].

Il y eut des prêtres qui mirent de la coquetterie à faciliter le simultaneum. Ainsi, à Saint-Germain-l'Auxerrois, les théophilanthropes déclarèrent qu'ils n'avaient qu'à se louer des ministres et des administrateurs du culte catholique. A Saint-Roch, les lecteurs théophilanthropes se félicitaient de la bonne entente qui régnait entre eux et les prêtres réfractaires attachés à cette église. Ils se servaient du même autel, de la même chaire à prêcher, etc.[62]. A Saint-Gervais, les mêmes prévenances existaient entre les prêtres réfractaires et les lecteurs théophilanthropes[63] La séparation intégrale fut ainsi une école de tolérance mutuelle.

Si on juge de l'arbre par les fruits, il nous est facile maintenant de conclure que la séparation intégrale réalisée par la Convention thermidorienne fut un régime viable, un régime appliqué sans difficultés insurmontables pour le plus grand affranchissement des consciences, des consciences religieuses, aussi bien que des consciences laïques, pour la garantie de la paix publique et pour la prépondérance du pouvoir civil, pendant les sept années qui précédèrent le Concordat. La République, alors fidèle aux principes, ne fournit aux cultes, aucune subvention, même indirecte. Elle ne garantit nullement leur hiérarchie interne qu'elle ne veut connaître que pour la briser si elle devient une cause de danger pour l'ordre public. Elle ne tolère pas qu'un culte quelconque devienne dans la République un État dans l'État. Elle exige de tous une soumission complète à la loi faite pour tous. Elle met sur le même pied les fidèles de toutes les confessions, des confessions existantes comme des confessions à venir. Elle ne limite pas l'activité religieuse dans le cercle étroit et fossile des formes anciennes. Elle donne aux croyants comme aux incroyants la liberté entière dans l'égalité entière, sous cette seule réserve que les uns et les autres seront également soumis à la loi, à toute la loi, et que de cette soumission ils donneront, au préalable, une garantie civique.

Ce régime de droit commun a fonctionné normalement, malgré les souvenirs de la Terreur toute proche, malgré l'ignorance de la foule, alors infiniment plus attachée à son culte qu'aujourd'hui. Il ne manqua pas d'appels à la violence, alors comme maintenant, mais ces appels laissèrent, en général, les populations indifférentes, et si des troubles graves éclatèrent sous le Directoire, ce fut après les défaites de la seconde coalition et pour des causes plus politiques encore que religieuses. Le Concordat, que personne n'attendait, surprit les réfractaires comme les patriotes et fut considéré par le pape comme un vrai miracle.

Les nouveaux réfractaires, si le cœur leur en dit, peuvent tenter une fois encore cette grève du culte qui se retourna contre eux, il y a cent ans. La République n'a qu'a laisser faire. Elle n'a pas même le droit d'empêcher une religion de recourir au suicide ! Le suicide n'est pas un délit, et c'est quelquefois une belle fin[64].

 

 

 



[1] Loi du 3 brumaire an IV, titre VI.

[2] La loi du 16 vendémiaire an II interdisait aux administrations, tribunaux, agents ou fonctionnaires publics, de prendre des vacances les jours autres que le décadi (Art. 2).

[3] Dans certaines villes, comme à Sens, à Besançon, la messe civique continua à être célébrée régulièrement tous les décadis.

[4] Dans la loi de 1905, les peines sont l'amende de 16 à 200 francs, l'emprisonnement de 6 jours à 2 mois (Art. 31, 32).

[5] Cf. article 31 de la loi de 1905. La loi de 1905 ne touche pas aux jours anciennement fériés ; les lois de la Révolution non seulement ne reconnaissaient pas le chômage légal des fêtes catholiques, mais ordonnaient le chômage obligatoire du décadi pour tous les fonctionnaires d'abord et, à partir de la loi du 17 thermidor an VI, pour tous les citoyens.

[6] Cf. article 28 de la loi de 1905.

[7] La loi du 24 avril 1793 ordonnait la déportation de tous les ecclésiastiques âgés de moins de soixante ans qui avaient refusé de prêter le serment de liberté et d'égalité.

La loi du 29 et 30 vendémiaires an II punissait de mort les déportés rentrés.

[8] « Au nom de la nation, je jure de maintenir de tout mon pouvoir la liberté et l'égalité ou de mourir à mon poste. » (Loi du 15-23 août 1792.)

[9] En janvier 1907.

[10] La loi du 2 janvier 1907.

[11] D'après le registre de ses délibérations conservé aux archives de la fabrique.

[12] Cf. mon livre, La Théophilanthropie et le culte décadaire. Paris, Alcan, 1903, p. 549 et suiv.

[13] Rigoureusement parlant, la Séparation n'est pas complète quand l'État reste propriétaire d'édifices légalement et obligatoirement affectés aux cultes. Toutes les difficultés actuelles proviennent de cette anomalie.

[14] Exemples à Saint-Eustache, à Notre-Dame, à Saint-Étienne-du-Mont, à Paris (d'après les registres de la société catholique de ces deux églises). Cf. aussi Arch. Nat., F¹⁹ 470.

[15] Ainsi à Saint-Thomas-d'Aquin lors de l'entrée en fonctions du prêtre Filastre. (Arch. nat., F⁷ 7599.)

[16] L'administration centrale, qui ressemble à la commission départementale actuelle, avait les pouvoirs qui seront ensuite attribués au préfet.

[17] Archives nationales, F¹CIII, Aisne, 9.

[18] Archives de la Marne. Délibération de l'administration muni• cipale de Châlons en date du 1er brumaire an VII.

[19] Cf. sur cet incident La Théophilanthropie, p. 341 et suiv.

[20] La Théophilanthropie, p. 488.

[21] Arrêté de l'administration centrale de la Seine du 2e jour complémentaire an VI. (La Théophilanthropie, p. 462.)

[22] La Théophilanthropie, p. 545 et suiv. Cf. aussi p. 548. De même, à Auxerre, le préfet de l'Yonne affecte une partie de l'église d'Eusèbe à l'usage exclusif des théophilanthropes et leur interdit de se servir de l'autel des catholiques. (Arrêté du 7 nivôse an IX, cité dans La Théophilanthropie, p. 684.)

[23] La Théophilanthropie est le plus connu et fut le plus prospère de ces cultes rationalistes, mais il y en eut d'autres dont plusieurs la précédèrent : le culte des Adorateurs du conventionnel Daubermesnil, le culte social de Benoist-Lamothe à Sens, le culte naturel du médecin Bressy à Arpajon, etc.

[24] Par exemple : à Poitiers, à Dijon, à Rouen, etc., même à Paris, dans certains cas. (La Théophilanthropie, p. 211.)

[25] La Théophilanthropie, passim.

[26] On sait que les catholiques français ayant refusé de former les associations cultuelles, la loi du 2 janvier 1907 a rendu à, l'État, aux départements et aux communes la libre disposition des évêchés, presbytères et séminaires.

[27] Le projet n'a pas eu de suite. Mais la réparation des églises incombe en fait au budget communal.

[28] Le décret du 19 août-3 septembre 1792 supprima les fabriques et remit leurs fonctions aux municipalités. Le décret du 13-14 brumaire an II (3 nov. 1793) déclara propriété nationale « tout l'actif affecté à quelque titre que ce soit aux fabriques des églises, cathédrales, particulières et succursales, ainsi que l'acquit des fondations ».

[29] « Les communes ou sections de communes, en nom collectif, ne pourront acquérir ni louer de local pour l'exercice des cultes. » (Art. 8 de la loi du 3 ventôse, repris dans l'art. 10 de la loi du 7 vendémiaire an IV.)

[30] Il n'y avait plus depuis l'an III que des municipalités cantonales dans les campagnes et d'arrondissement dans les villes.

[31] Cette déclaration a été abrogée par la loi du 28 mars 1907 sur les réunions publiques.

[32] Cf. Victor Pierre, L'église Saint-Thomas-d'Aquin pendant la Révolution, Paris, 1887.

[33] Depuis, la loi du 28 mars 1907 sur les réunions publiques a permis aux prêtres romains d'occuper les églises sans formalité et sans responsabilité d'aucune sorte. Les églises sont devenues des lieux publics comme les halles, les musées et les bibliothèques.

[34] On sait que les tribunaux ont admis l'interprétation ministérielle, si favorable au pape, et qu'ils ont partout expulsé les prêtres indépendants au profit des prêtres strictement romains. La jurisprudence de la troisième république impose définitivement au clergé français l'absolutisme pontifical. Voyez le jugement du tribunal de Brive du 23 décembre 1906 dans les Textes de la politique française en matière ecclésiastique, Paris, Noury, 1009, p. 166.

[35] Les faits invoqués par M. l'abbé Soutif, pour prouver le contraire, ne sont pas correctement interprétés. Il est bien certain que les fournisseurs de la société cultuelle de Saint-Eustache, comma des autres sociétés cultuelles, s'adressaient dans leurs mémoires et leurs factures à la société qui existait en fait, — mais le droit ne connaissait pas cette société. Il ne connaissait que des citoyens exerçant leur culte dans l'église. La quittance du receveur des domaines nationaux, citée par M. Soutif, est ainsi libellée : « Je soussigné... reconnais avoir reçu des citoyens exerçant le culte catholique, etc. », des citoyens et non de la société. (L. Soutif, La paroisse de Saint-Eustache de 1795 à 1802, p. 24.)

[36] Il y eut quelques églises où le curé dirigea le culte à lui seul, recevant lui-même les cotisations et rendant ses comptes aux fidèles, à l'issue de la messe (exemple, le curé Marduel à Saint-Roch). Mais ce fut tout à fait l'exception.

[37] Il arriva, dans la pratique, que la loi fut violée. M. l'abbé Soutif cite un article du règlement de la société cultuelle de Saint-Étienne-du-Mont, d'après lequel les fonds possédés par la société ne pouvaient jamais être revendiqués par les membres qui la quitteraient. Mais ce règlement n'avait pas, semble-t-il, de valeur légale. (L. Soutif, La paroisse Saint-Eustache de 1795 à 1802, p. 23.)

[38] Voir le dossier aux Archives nationales sous la cote F⁷ 7 344 (prairial an VI).

[39] Cf. aux Arch. nat., AFIII 523, un rapport du ministre de la Justice Lambrechts, en date du 26 floréal an VI F¹⁹ ; 481A, une correspondance échangée entre le ministre de la police Duval et François (de Neufchâteau).

[40] D'après la loi du 11 prairial, la formule de la déclaration était la suivante : « Je demande acte de ma soumission aux lois de la République ». Une circulaire interprétative du comité de législation expliquait que cette soumission du déclarant ne se rapportait nullement au passé, « ainsi il ne doit être question d'aucune recherche ni examen sur la conduite ou les opinions du déclarant... Au surplus, dans les cas qui pourraient présenter des difficultés nouvelles, rappelez-vous toujours ce principe : que la loi entend faciliter de plus en plus le libre exercice des cultes... ». — La loi du 7 vendémiaire, votée au lendemain de Quiberon et à la veille de l'insurrection royaliste du 13, était plus exigeante. La formule était : « Je reconnais que l'universalité des citoyens français est le souverain et je promets soumission et obéissance aux lois de la République ». Après le coup d'État du 19 fructidor an V, nouvelle formule plus rigoureuse : « Ils seront tenus de prêter le serment de haine à la royauté et à l'anarchie, d'attachement et de fidélité à la République et à la Constitution de l'an III » (Art. 25 de la loi du 19 fructidor). Après le 18 brumaire, à ce serment rigoureux fut substituée cette formule adoucie : « Je promets fidélité à la Constitution » (Arrêté du 7 nivôse an VIII).

[41] Archives de l'Aisne. Correspondance du commissaire central. Le commissaire central était le prédécesseur du préfet.

[42] Sous prétexte que, dans la théophilanthropie, il n'y avait pas de sacerdoce et que tous les fidèles pouvaient occasionnellement faire fonctions de prêtres, le ministre de la police Sotin voulait les dispenser du serment. Mais les orateurs théophilanthropes étaient allés au-devant de la formalité. Sur cet incident voir La Théophilanthropie, p. 220 et suiv.

[43] Un maire ayant dit récemment les prières des morts sur le cercueil d'un de ses administrés, s'est vu appeler au tribunal par le curé et a été condamné à l'amende pour avoir fait au prêtre romain une concurrence déloyale. (Note de 1909.)

[44] Le tribunal criminel du Puy-de-Dôme ayant demandé l'avis du Directoire sur l'interprétation à donner de la loi du 7 vendémiaire an IV, au sujet de cette obligation, le Directoire répondit à son jugement de référé par l'arrêté du 4 brumaire an VI, très fortement motivé.

[45] Par exemple à Blois, où on découvrit, en prairial an VI, l'existence d'une paroisse clandestine ayant son conseil de fabrique, ses livres de comptes, ses listes d'adhérents, son mobilier, ses prêtres attachés, etc. (Arch. nat., F⁷ 7442.)

[46] Par un arrêté du 14 floréal an VI, l'administration centrale de la Seine fit fermer tous les oratoires particuliers ouverts illégalement à Paris. La mesure fut exécutée sans aucun trouble dans une soixantaine de maisons particulières.

[47] Je ne dirai rien des autres clergés qui se prêtèrent en général très volontiers aux exigences de la République. Seul le clergé constitutionnel, qui jouissait des faveurs du pouvoir au début du Directoire, fit entendre des plaintes et des réclamations quand le Directoire lui préféra, après le 19 fructidor an V, la théophilanthropie d'abord, le culte décadaire ensuite, et quand il voulut le contraindre à transférer la messe du dimanche au décadi.

[48] J'ai retracé en détail cette histoire des divisions du clergé réfractaire dans mes Contributions à l'histoire religieuse de la Révolution. Paris, Alcan, 1907.

[49] Serment de la Constitution civile du clergé : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles du diocèse (ou de la cure) qui m'est confié, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi ».

[50] Moniteur, réimp., VIII, 170.

[51] La Révolution française, du 14 septembre 1905, p. 222, article de M. Aulard sur les origines de la Séparation.

[52] Abbé J. Contrasty, Un conseil de paroisse sous le régime de la première séparation. Toulouse, Privat, 1906.

[53] Abbé Joseph Grente, Le culte catholique à Paris, de la Terreur au Concordat, Paris, Lethielleux, 1903, p. 21.

[54] D'après le règlement officiel élaboré par le jurisconsulte Agier et publié par M. A. Gazier dans la Revue bleue du 20 juillet 1907.

[55] Abbé Grégoire, Histoire du mariage des prêtres. Paris, Baudouin, 1826, p. 62. Les curés de Culey et de Puymasson ont eu des précurseurs.

[56] D'après le registre des délibérations de la Société catholique de Saint-Laurent (Arch. nat., F⁷ 7134.) Le registre est aux archives parce qu'il fut saisi à la suite d'une dénonciation visant le fonctionnement de cette hiérarchie de l'église constitutionnelle.

[57] Ils ont été publiés par l'abbé Bridier (1892) et par le vicomte de Richemont (1898).

[58] Cf. les articles de M. l'abbé Contrasty sur « le Recrutement du clergé de Toulouse pendant la Révolution », dans les Vocations sacerdotales, bulletin trimestriel, 1904.

[59] La Théophilanthropie, p. 226.

[60] Instruction donnée par M. l'évêque de Langres aux curés, vicaires et autres ecclésiastiques de son diocèse qui n'ont pas prêté le serment. Paris, 1791.

[61] D'après le registre officiel des délibérations de la société catholique de Notre-Dame communiqué par M. A. Gazier.

[62] La Théophilanthropie, p. 231.

[63] D'après l'abbé Grente, p. 382.

[64] Écrit à la fin de décembre 1906, quand, le délai de formation des associations cultuelles étant expiré, on pouvait s'attendre à une cessation concertée des cérémonies du culte.