La lecture et
l'explication des décrets de l'Assemblée doivent être faites par les curés au
prône (décret
du 23 février 1790).
Comment fut accueillie cette mesure. — Résistance des
contre-révolutionnaires. -- La consultation du Journal ecclésiastique.
Protestations du haut clergé après le vote de la Constitution civile. — Le
décret du 27 juin édicte des pénalités et poursuit les contrevenants. —
Premier essai de mobilisation du clergé réfractaire. — L'institution des a
lecteurs patriotes s. — La lecture des décrets dans les messes décadaires. —
Les préfets de Napoléon et les proclamations au prône.
Il n'y
a plus guère que des pamphlétaires incurables ou des historiens attardés pour
soutenir sérieusement que la Constituante fut une assemblée impie, dont toute
la politique religieuse fut de faire au catholicisme une guerre aussi
sournoise qu'implacable. La vérité, longtemps obscurcie par les légendes
pieuses mises en circulation après le Concordat, commence enfin à s'imposer.
Il apparaît à ceux qui lisent les textes que la première Séparation de
l'Église et de l'État, dont les Constituants n'avaient même pas eu l'idée,
est sortie moins encore des efforts du parti philosophique que des
provocations des prêtres aristocrates. Ce ne sont pas les révolutionnaires
qui ont pris l'initiative de la rupture avec l'Église. Cette rupture, ils ont
dû la subir et peut-être l'ont-ils regrettée. Leur anticléricalisme, né de la
lutte, est sorti des nécessités plus que des théories. C'est une chose
remarquable qu'il n'a presque jamais pris la forme de l'irréligion. L'idée de
l'État laïque, de l'État neutre, indifférent aux dogmes et aux cultes, leur
fut pour ainsi dire étrangère. Même au plus fort du combat anti-chrétien, ils
gardèrent l'âme religieuse et toute leur ambition se borna à transposer le
catholicisme dans le patriotisme érigé en Église. Le catholicisme ne devint
l'ennemi que parce qu'il n'avait pas voulu être l'allié. Si
surprenante que la chose puisse paraître, ce sont les prêtres aristocrates
qui, les premiers, se sont préoccupés de distinguer le domaine de l'État du
domaine de l'Église. La théorie de la séparation des deux puissances fut en
grande partie leur œuvre. Ils la formulaient dès 1790 pour refuser à la
Révolution le concours que celle-ci sollicitait naïvement de leur civisme et
de leur amour du bien public en les invitant à lire ses décrets au prône.
L'année suivante, quand ils s'insurgèrent contre la constitution civile du
clergé, ils réclamèrent les premiers, — contre les révolutionnaires qui la
leur refusèrent jusqu'au 20 septembre 1792, — la sécularisation des actes de
l'état civil. C'est qu'il leur importait au plus haut point de soustraire
leurs fidèles à la dépendance et au contact hérétique des prêtres
constitutionnels qui tenaient les registres de baptêmes, de mariages et de
sépultures[1]. Dans son dépit de ne plus
dominer l'État, l'ancienne Église se détacha de l'État. Pour
qui sait réfléchir, l'idée de la Séparation, l'idée laïque, si on
veut, bien que le mot laïque n’eût pas encore le sens que nous lui donnons,
cette idée a eu pour principaux théoriciens et pour efficaces propagateurs
les prêtres ultramontains. C'est ce que montre bien, entre autres exemples,
la résistance qu'opposèrent les curés aristocrates au décret du 23 février
1790, par lequel la Constituante ordonnait aux desservants des paroisses de
lire ses décrets au prône. L'épisode est très mal connu. Aucun historien, si
je ne me trompe, ne s'y est arrêté. Il vaut pourtant qu'on l'examine parce
qu'il est révélateur aussi bien de la mentalité religieuse des Constituants
que de celle de leurs adversaires. Le 9
février 1790, à la séance du soir, l'abbé Grégoire, en sa qualité de
président du comité des rapports, vint rendre compte des troubles graves qui
agitaient certaines provinces. Dans le Quercy, le Rouergue, le Périgord, le
Bas-Limousin la Basse-Bretagne, les paysans parcouraient la campagne en
bandes armées et ravageaient les propriétés nobles et parfois aussi les
propriétés bourgeoises. D'après les municipalités, il fallait chercher la
cause des troubles dans une fausse interprétation des décrets du 4 août, due
surtout à l'ignorance de la langue française : « Les
paysans entendent par décrets de l'Assemblée nationale des décrets de prise
de corps[2] ». Pour
ramener le calme, le meilleur moyen, selon Grégoire, était d'imiter les
bourgeois de Sarlat. Ils s'étaient groupés sous la présidence de l'évêque et
avaient rédigé, pour instruire le peuple et le clé-tromper, une circulaire
qui était « un modèle de patriotisme et de simplicité ». Et Grégoire
proposait à l'Assemblée d'ordonner la rédaction d'une adresse qui éclairerait
les provinces sur le véritable sens des arrêtés du 4 août en même temps
qu'elle menacerait les perturbateurs de toute la rigueur des lois. Grégoire
ajoutait ensuite cette réflexion : « Il me semblerait utile d'engager
les curés, membres de celte assemblée, à écrire à leurs confrères, afin que
ceux-ci donnent la véritable interprétation des décrets, et en favorisent
l'exécution par tous les moyens que leur offre la confiance due au Ministère
sacré dont ils sont revêtus[3] ». L'idée
sourit à une assemblée qui ne séparait pas encore le patriotisme du
christianisme. Les curés n'avaient-ils pas été jusque-là les meilleurs
ouvriers de la Révolution ? Sans eux, la Révolution aurait-elle même été
possible ? Dans ce temps d'universelle ignorance, n'étaient-ils pas bien
souvent, surtout dans les petites paroisses de campagnes, les seules
personnes en état de lire et d'interpréter convenablement les documents
législatifs ? Puisqu'ils avaient prêté jusque-là leur aide précieuse à la régénération,
pourquoi ne pas mettre officiellement à contribution leurs bonnes volontés ?
Ils seraient à la fois les ministres de l'ancien et du nouvel évangile. Ils
apprendraient à leurs fidèles à révérer la Loi comme ils révéraient
l'Écriture. Ils seraient à la fois les agents du bonheur social et les agents
du bonheur céleste. Quel beau rêve ! Mais
les aristocrates n'entendaient pas que le clergé Mt enrôlé au service du
régime qui les dépouillait. L'abbé
Maury, après avoir déploré l'impuissance du pouvoir exécutif et raillé
l'efficacité de l'adresse proposée, essaya de démontrer que le recours aux
curés était pour le moins chose inutile : « Je loue ce système de charité
sacerdotale ; mais, en 1775, M. Turgot usa de ce moyen. Ce remède,
insuffisant alors, serait insuffisant aujourd'hui. Ce n'est pas à des hommes
soumis à la religion que vous avez affaire, vous n'auriez pas besoin de tous
ces moyens. Eh ! quand celui-ci pourrait être efficace, le serait-il sur un
peuple que les ennemis de la nation ont égaré ? L'influence des curés serait
donc absolument inutile[4]. » L'objection
était assez faible et tout indirecte. Maury n'avait pas osé discuter le
principe : était-il permis au pouvoir politique de transformer les ministres
du culte en proclamateurs de ses actes ? En fin
de séance, Grégoire remonta à la tribune. Il se défendit d'avoir eu
l'intention d'obliger les curés, par un texte impératif, à la lecture des
décrets. Il n'avait émis qu'un simple vœu. Le
lendemain, 10 février, Talleyrand communiqua à l'Assemblée l'adresse qu'il
avait rédigée, au nom du comité de constitution, pour faire connaître au
peuple l'esprit des décrets, le prémunir contre les faux bruits et l'engager
au calme et à la confiance. Sa lecture fut accueillie par des « applaudissements
sans exemples[5] ». L'Assemblée entendit
une seconde lecture de l'adresse, le lendemain, et en ordonna l'envoi aux
provinces. Le décret était muet sur le vœu de Grégoire. Il n'y était pas
question de proclamation au prône par les soins des curés. L'idée
cependant avait fait son chemin. La semaine suivante, la discussion sur les
troubles ayant recommencé et s'étant élargie, Goupil de Préfelne demanda, le
'23 février, que l'adresse du 11 aux provinces fût soumise à la sanction
royale et publiée au prône dans chaque paroisse. La proposition fut adoptée
et généralisée sous la forme suivante : « Le discours que S. M. a prononcé
dans l'Assemblée nationale, le 4 de ce mois[6], et l'adresse de l'Assemblée
nationale aux Français seront incessamment envoyés à toutes les municipalités
du royaume ainsi que tous les décrets, à mesure qu'ils seront acceptés ou
sanctionnés, avec ordre aux officiers municipaux de faire publier et afficher
les décrets sans frais et aux curés ou vicaires desservant les paroisses
d'en faire lecture au prône[7] ». Ce
n'était plus une invitation amiable qui était adressée au clergé, mais un
ordre formel. On ne lui demandait plus un concours provisoire et momentané
exigé par les circonstances, on lui imposait un service permanent. Les curés
étaient nettement et obligatoirement transformés en fonctionnaires, en agents
de l'autorité publique. La
discussion cependant fut très courte. Seul l'évêque de Clermont protesta
contre l'article préparé par Goupil. Dédaignant les adresses de l'abbé Maury,
il aborda, mais sans y insister, semble-t-il, la question de principe. Les
pasteurs, dit-il, ne doivent annoncer au peuple que des vérités d'un ordre
supérieur. Mais ses « sages représentations », assez timides, ne trouvèrent
pas d'écho. A peine ont-elles laissé une trace dans les journaux du temps[8]. On peut
être surpris que la protestation des prélats de l'Assemblée n'ait pas été
plus énergique, plus I véhémente, quand on sait que sous l'ancienne monarchie
les assemblées du clergé s'étaient constamment refusées à permettre la
lecture des actes royaux au prône. Mais les prélats de l'Assemblée
représentaient certainement la partie la plus modérée du haut clergé. A cette
date de février 1790, tous n'avaient pas encore rompu, tant s'en faut, avec
la Révolution. Beaucoup même n'avaient pas l'intention de rompre. Puis, la
force du courant révolutionnaire était telle alors qu'il y avait comme une
impossibilité morale à y résister. L'abbé Maury et les énergumènes de la
contre-Révolution avaient seuls assez d'audace et de décision pour s'exposer
de gaieté de cœur au terrible reproche d'aristocratie. Le
clergé patriote, comme bien on pense, accueillit la nouvelle obligation qu'on
lui imposait avec joie. Les prêtres remuants et ambitieux, — il y en avait
alors un grand nombre, — n'étaient pas fâchés de l'occasion qui s'offrait à
eux (le se faire une facile popularité en glorifiant du haut de la chaire
l'œuvre de la Constituante. L'un
d'eux, qui signe « Pupunat, curé-citoïen d'Étables en Bugey-sur-Cerdon,
département de l'Ain, district de Nantua », écrivait, le 22 juillet 1790, au
comité des recherches de l'Assemblée, pour se plaindre que les officiers
municipaux de sa commune, sans doute par jalousie, faisaient des difficultés pour
lui communiquer au fur et à mesure les décrets qu'il lisait et commentait à
ses ouailles au beau milieu de la grand'messe. Il réclamait une loi spéciale
pour ordonner l'envoi en double des décrets aux curés en même temps qu'aux
municipalités et il insistait longuement sur l'importance de la mission
civique confiée aux prêtres : « J'ai vu qu'il étoit de mon devoir le plus
religieux d'unir inséparablement l'instruction des décrets de l'Auguste
Assemblée nationale à ceux des dogmes de la morale chrétienne. Cette sainte
morale, règle de nos mœurs, si elle étoit susceptible de perfection, si elle
n'étoit parfaite, s'améliorerait par cette alliance, par cette union.... Il
est de la plus haute importance que tous les décrets sanctionnés soient
connus, expliqués, développés au peuple pour qui ils sont faits et qui
doivent s'incorporer avec lui, devenir sa substance même, l'objet de sa joie,
de son culte, et de tout son bonheur. Qui peut mieux faire sentir à ses
ouailles tous ces beaux avantages que le pasteur qui en a la confiance, la
direction ? Je crois cette voie infaillible pour toujours mieux consolider la
Révolution...[9] », Qu'on
ne s'y trompe pas ! La plupart des révolutionnaires n'avaient pas sur les
rapports de l'Église et de l'État d'autre conception que celle de ce prêtre
obscur du Bugey. Appuyer sur l'autel la souveraineté populaire, employer le
clergé à expliquer et à consolider- l'ordre nouveau, entourer la Constitution
d'une vénération quasi religieuse, telle était leur pensée intime et leur
espoir. Rêve chimérique éclos dans l'enthousiasme de la régénération. Tous
les prêtres ne pouvaient se prêter à ce dessein. Les aristocrates ne
pardonnaient pas à la Révolution ses spoliations. Les timorés s'effrayaient
de ses innovations audacieuses. Prêtres
aristocrates et prêtres timorés furent d'abord plus surpris encore
qu'indignés par le décret du 23 février. Laissés sans direction par le haut
clergé de l'Assemblée, ils ne durent prendre conseil que d'eux-mêmes. Pendant
les premiers temps ils tâtonnèrent et cherchèrent leur voie. Mais chaque jour
les nouveaux décrets de l'Assemblée mettaient leur soumission et leur
patience à une plus rude épreuve. Annonceraient-ils eux-mêmes à leurs
paroissiens la suppression des ordres religieux, la remise aux corps élus de
l'administration des biens d'église, la constitution nouvelle donnée au
clergé, etc. ? Les plus hardis ou les plus inquiets écrivirent à l'abbé
Augustin Barruel, ex-jésuite devenu directeur du Journal ecclésiastique,
le moniteur attitré du parti ultramontain, pour faire part de leurs
angoisses, exhaler leur indignation, réclamer des conseils, suggérer des
solutions. S'inspirant de cette correspondance, Barruel résuma l'état de la
question et donna son avis dans une longue consultation qu'il publia dans le
numéro de mai de son journal[10]. Deux
tendances, l'une modérée et conciliante, l'autre nettement intransigeante et
agressive, s'étaient manifestées dans les lettres qu'il avait reçues. La
première, qui était aussi la sienne, était celle de la grande majorité. Mais
la seconde était exposée dans un mémoire anonyme « infailliblement d'un curé
très instruit, très zélé ». Le curé
intransigeant posait en principe que les fonctions religieuses sont tout à
fait indépendantes des fonctions civiles : « Le disciple, l'homme de
Jésus-Christ n'est point dans ses fonctions augustes l'homme de César ; s'il
a des vérités, des lois à publier, ce sont les vérités, les lois de
Jésus-Christ ; ce sont et les préceptes et les conseils de l'évangile, non
pas les édits de l'empereur ou le code civil et criminel des nations... ;
quand les nations, les rois viendront lui proposer d'être l'homme du siècle,
puisqu'il est l'homme de Jésus-Christ, puisqu'il doit essentiellement le
représenter, qu'il réponde donc alors comme Jésus-Christ : Ô hommes, qui
est-ce qui m'a établi pour traiter de vos affaires ? — Ne savez-vous pas que
je dois être à celles de mon père ? Nescilis quia in his quæ patris mei
sunt oportet me esse[11]. » Le
principe posé avec cette netteté et avec cette rigueur, le correspondant (le
Barruel invoquait, à l'appui de son refus d'obtempérer aux ordres du nouveau
pouvoir civil, les précédents en usage sous l'ancien. « Nos rois avoient
senti l'indécence et les inconvénients de ces métamorphoses d'un ministre de
Jésus-Christ en officier du prince, d'un prêtre en héraut de district, en
huissier de paroisse, de la chaire évangélique en tribune de proclamations
civiles. Dans son édit de 1695, Louis XIV statue que les curés ne pourront
être obligés de publier au prône ni pendant l'office divin les actes de
justice et autres qui regardent l'intérêt particulier des sujets, pas même
ceux qui regardent les propres affaires du Roi. Il défend dans nos temples
ces proclamations pour ne pas avilir le saint ministère, pour ne pas causer
l'indécence dans le service divin, pour ne pas interrompre par des lectures
profanes l'action la plus sainte de la religion, le redoutable sacrifice de
nos autels (ibid.).
Ces motifs, dignes d'un prince très chrétien, animoient et dictoient les
arrêts des premiers sénateurs des François[12]. Magistrats très chrétiens, ils
prononçoient ainsi dans leur arrêt du 4 août 1775 qu'il n'en sera fait
dans les églises aucune publication pour les affaires purement séculières ou
profanes[13]... » Cette
argumentation par les précédents n'était peut-être pas absolument valable
dans toutes ses parties. Les légistes de l'Assemblée auraient pu y trouver à
redire et y répliquer sans grand mal. S'il était dit dans l'article 32 de
l'édit de 1693 que les curés et vicaires ne seraient pas obligés de publier
aux prônes ni pendant l'office les actes de justice et autres qui regardent
l'intérêt des particuliers et que les publications en seraient faites
désormais par les sergents, huissiers ou notaires à l'issue de la
grand'messe, il n'était pas défendu par cet article de faire publier aux
prônes les actes intéressant les affaires du Roi. Sans doute, une déclaration
du 16 décembre 1698 décida que l'article 32 de l'édit de 1695 serait exécuté
même à l'égard des affaires qui regardaient l'État. Il n'en est pas moins
certain qu'à diverses reprises, au XVIIIe siècle, les actes royaux furent
publiés par les curés. Les édits de Turgot supprimant les corvées furent lus
au prône, sans protestation, semble-t-il. Il arriva même que de simples
particuliers obtinrent des arrêts de parlement forçant Iles curés à publier
au prône des actes ne concernant que des intérêts privés[14]. Mais ces arrêts furent généralement
cassés en appel par le Conseil du Roi. Quoi
qu'il en soit, le théologien intransigeant, dont Barruel résume l'opinion,
était mal venu à invoquer, en faveur de sa thèse de l'indépendance absolue de
l'Église envers l'État, la pratique de l'ancien régime. Il oubliait que
l'Église consentait, dans certains cas assez fréquents, à mettre à la
disposition de la justice séculière toute l'influence morale qu'elle tenait
de sa mission sacrée. C'était un principe reçu, incontestable, dit la Table
des procès-verbaux du clergé, « que les Ministres de la religion doivent
concourir au maintien précieux de l'ordre public par la terreur des peines
ecclésiastiques[15] ». Les monitoires étaient en
usage dans l'Église depuis que le pape Alexandre III avait décidé, vers 1170,
que l'on pouvait contraindre par les censures ecclésiastiques ceux qui
refusaient leur témoignage à la justice. On appelait de ce mot des lettres comminatoires
enjoignant aux fidèles de révéler ce qu'ils savaient des faits exposés dans
les lettres elles-mêmes. Le juge d'église ou official pouvait être contraint
à accorder un monitoire, sur la requête d'un juge laïque, sous peine de la
saisie de son temporel. L'édit de 1695' qu'invoquait justement le
correspondant de Barruel, avait seulement stipulé, dans son article 26, que
les monitoires ne pouvaient être accordés que pour « des crimes graves
et des scandales publics ». Les monitoires se publiaient au prône et le
prêtre qui en donnait connaissance était tenu d'exposer à ses paroissiens la
nature et les effets de l'excommunication qu'ils encouraient en ne révélant
pas ce qu'ils savaient. Les révélations reçues étaient envoyées sous pli
cacheté par les soins des curés au greffe des tribunaux jugeant le procès qui
avait motivé le monitoire[16]. L'Église
de l'ancien régime acceptait donc de se faire l'auxiliaire de la puissance
civile dans la recherche des crimes. Il serait facile de citer d'autres cas
où les deux pouvoirs s'unissaient et se confondaient. Mais ce qu'il faut
remarquer, c'est que, depuis la Renaissance, l'évolution des idées et des
mœurs tendait insensiblement à disjoindre sinon à séparer l'institution
humaine et l'institution divine. Le temps n'était plus où l'église servait à
la fois, comme au moyen âge, de halle, de forum[17], de salle de spectacle ou de
forteresse. En essayant de rétablir plus étroite l'union ou la confusion de
l'Église et de l'État, les Constituants remontaient en réalité le courant de
l'histoire. Les prêtres aristocrates qui résistaient à leur dessein par
passion ou par calcul, par égoïsme ou par scrupule, se trouvaient servir
inconsciemment la cause du progrès. Ils ne se doutaient guère que la
séparation, dont ils formulaient la théorie, serait plus tard leur ruine,
bien plus que la confusion qu'ils redoutaient. Le curé
intransigeant, qui écrivait à Barruel, entendait réserver les églises aux
seuls usages cultuels. « Ma
maison, a dit Jésus-Christ, est une maison de prière. Cette haute
destination, cette consécration spéciale n'est pas seulement violée, quand on
fait d'une église une caverne de voleurs ; elle l'est, toutes les fois que ce
lieu saint, sans la nécessité la plus stricte, la plus indispensable,
retentit d'autres voix que de celles qui chantent les louanges de Dieu ou qui
portent ses lois aux peuples, qui lui offrent leurs vœux ou leur arrachent
des larmes de pénitence. Nos temples ne sont point une place publique ou un
hôtel de ville, encore moins un Champ de Mars ou une place d'armes. Hélas !
quelle profanation nous rappellent ces mots affreux !... Rien ne doit se
faire dans le lieu saint qu'au nom de Dieu trois fois saint. Le faire
retentir des paroles de l'homme, c'est l'exposer à retentir des paroles du
mensonge, de l'erreur ; et la vérité seule doit y reposer sur nos lèvres[18]... » La
conclusion, c'était qu'aucun prêtre ne pouvait, sans manquer à son caractère,
obéir à l'ordre de l'Assemblée en donnant lecture de ses décrets dans
l'église, à plus forte raison au prône : « ... Qu'est-ce que le prône ?
s'écrie-t-il. En quel lieu èt par qui, devant qui, en quel temps se fait-il ?
Le prône est cette instruction destinée à extirper du milieu des fidèles
l'ignorance des mystères de la foi et des vérités de la religion. Cet objet
est assez important pour que l'attention des paroissiens ne soit pas
continuellement distraite par les mystères de votre politique, les nouvelles
de vos comices, les impositions, les charges et les dettes du fisc... Mais,
en quel temps surtout se fait le prône ! au moment où le plus redoutable
sacrifice n'est suspendu que pour nous annoncer les grandeurs de celui à qui
il est offert. Quoi ! dans ce moment même où les fidèles doivent oublier la
terre et toutes les choses de la terre pour se transporter en esprit dans le
plus haut des cieux, se placer au milieu des puissances célestes, se disposer
avec elles au sacrifice de l'agneau, immoler eux-mêmes cet agneau sans tache
! Quoi ! dans ce moment même, nous, pasteurs des âmes, nous dirions aux
fidèles : non, non, n'élevez pas vos esprits et vos cœurs jusqu'au ciel ; ne
vous occupez pas de la victime sainte ; descendez et restez attachés à la
terre,' écoutez les décrets de vos assemblées politiques... » Emporté
par sa sainte indignation, le prêtre aristocrate laissait échapper le fond de
sa pensée, le motif réel de sa résistance : « ... Nous dirions aux
fidèles... Apprenez et réjouissez-vous, apprenez les décrets qui dépouillent
nos prêtres de leurs possessions, apprenez l'abolition de tous ces corps
religieux, l'extraction de tous ces hommes voués à votre Dieu par la
profession la plus sainte et la plus parfaite Apprenez à prêter à usure ;
apprenez l'éligibilité des juifs, des protestants, de tous les sectaires... Apprenez
encore la division du royaume en districts, en départements, en cantons...
nue sais-je ? Nous aurons peut-être bien un jour d'autres choses à vous
apprendre : la légitimité d'un divorce prescrit par Jésus-Christ, la
réduction des évêchés établis par l'Église, et confondus, mélangés ou
détruits par la puissance temporelle... C'est pour vous annoncer toutes ces
choses que nous avons choisi et le lieu le plus saint et le moment le plus
précieux de nos mystères[19]... ». Ainsi,
les belles théories sur la distinction des deux puissances ne servaient qu'à
masquer toute l'amertume d'un cœur ulcéré et le refus de lire les décrets
était à la fois une vengeance et une arme contre l'Assemblée spoliatrice et
novatrice. Mais était-il prudent était-il habile d'engager le combat contre
la Révolution sur ce terrain étroit ? La plupart des correspondants de
Barruel ne le pensaient pas. Ils eurent l'air de se soumettre au décret, mais
en l'interprétant à leur façon, et ils arrangèrent leur soumission de manière
qu'elle devint profitable en définitive à la cause de l'aristocratie. Sur la
question de principe, Barruel prenait bien soin de le proclamer, il ne
pouvait y avoir qu'une opinion. Avec « l'édifiant auteur » du
mémoire qu'il avait reçu, il n'hésitait pas à conclure que les curés et
vicaires ne sont pas tenus de se prêter à la publication des décrets de la
puissance civile. Mais, le principe posé de la séparation des deux
puissances, Barruel s'empressait de rejeter la solution radicale exposée par
son correspondant. Il distinguait entre les fonctions « simplement
étrangères » et les fonctions « opposées » au ministère
évangélique. Parmi les premières, il rangeait la médecine et le barreau : « Il
est très possible qu'un bon curé soit un bon médecin et un bon avocat, il fut
même un temps ou ces deux professions n'étaient exercées que par des prêtres
». Au nombre des secondes il mettait les professions qui peuvent obliger à
répandre le sang : « Je crois qu'un curé, un évêque, maires, un vicaire
commandant de la garde nationale sont des professions qui jurent, qui sont
incompatibles[20]... » Quant à la publication des
lois, si elle était un service étranger au sacerdoce, elle ne lui était pas
pourtant forcément incompatible. « Cette publication, cette lecture publique
n'empêche aucune autre partie de nos fonctions ; elle n'expose point les
curés et les vicaires à manquer à aucun de leurs devoirs, à démentir
absolument leur caractère ; en un mot, elle est au-delà ou en deçà de notre
vocation, elle n'est pas contre. Il est des circonstances où le prince peut
attacher un grand intérêt à la publication des lois, des édits, des décrets,
par notre bouche. Le Dieu de l'Évangile est le Dieu de la paix, de la
concorde ; en nous soumettant à César, comme tous les autres citoyens, il ne
nous a permis de lui résister qu'au moment où ses ordres se trouvent en
contradiction avec la loi de Dieu[21]... » Et Barruel déduisait
de tes distinctions les règles de conduite qu'il proposait aux nombreux
lecteurs de son journal. D'abord la publication ne pourrait pas se faire au
prône, pas même dans l'église, mais à l'issue de la messe et sur le parvis,
comme cela se pratiquait d'ailleurs assez souvent sous l'ancien régime.
Ensuite tous les décrets indistinctement ne sauraient être publiés, du moins
sans commentaires et sans explications. Quand le curé croira qu'une loi n'est
pas juste ou qu'elle n'est pas conforme aux principes [le l'évangile, il
n'oubliera pas qu'il se doit à lui-même et au ministère, dont il est revêtu,
« de prévenir l'erreur, quelle qu'en soit la source, et plus encore peut-être
si jamais elle sort de la bouche de César, si elle est appuyée sur une
autorité qui l'accrédite, que si elle venoit de ces hommes sans dignité et
sans crédit, qui ne peuvent lui donner de l'importance ». Autrement dit, sa
lecture faite, le prêtre la fera suivre d'un commentaire, et, dans toute la
France, la pensée du législateur sera discutée et réfutée par l'homme de Dieu
: « Nous oserons le dire, en pareille circonstance, nous croirions nos
devoirs compromis, si le respect pour César même exposoit nos ouailles à
s'égarer des voies de la justice ou de la vérité. Nous sommes les apôtres des
vérités évangéliques, avant d'être l'organe des décrets politiques. En
publiant les vôtres, nous justifierons ceux de Jésus-Christ même ; en disant
ce que vous avez fait, ce que vous ordonnez, nous dirons ce que vous n'auriez
pas dt1 faire et ce que Dieu défendoit. Oui, nous le dirons ; mais ne
redoutez pas cet évangile que nous avons à soutenir avant tous vos décrets ;
s'il nous a défendu de souscrire à l'erreur et à l'iniquité, il nous défend
aussi l'insurrection, il nous fait une loi d'en préserver les peuples[22] ... » En dépit des
assurances diplomatiques de la conclusion, la menace était claire. Les
Constituants n'avaient pas prévu que leur décret du 23 février pouvait avoir
cette conséquence de transformer la moitié des curés en censeurs attitrés de
leurs actes ! Il
serait intéressant de rechercher dans quelle mesure le clergé aristocrate
suivit les conseils d'Augustin Barruel et clans quelle mesure aussi il
résista ouvertement à l'ordre de l'Assemblée nationale. On assisterait ainsi
comme à un premier essai de mobilisation des futurs prêtres réfractaires.
Malheureusement une pareille recherche, en l'état actuel des connaissances,
est presque impossible. Si l'histoire politique de la Révolution n'est pas
encore faite, son histoire religieuse est dans l'enfance. Je dois
me borner nécessairement aux quelques indications recueillies au hasard de
mes lectures et de mes dépouillements. On vit
de simples municipalités employer le ministère des curés pour convoquer leurs
administrés à des assemblées générales[23]. Le 30
juin, les membres de l'association patriotique de Grasse dénoncèrent la
résistance opposée aux décrets de l'Assemblée par M. Roux, évêque de Senez.
Ce prélat avait nommé tout récemment à un canonicat vacant, alors que
l'Assemblée avait suspendu toutes les nominations aux bénéfices, sauf aux
cures[24], et il avait même poussé
l'audace jusqu'à interdire à son clergé, par une ordonnance spéciale, la
lecture des décrets aux prônes. Plusieurs curés ayant refusé d'obéir à
l'ordonnance, il avait renouvelé sa défense par une circulaire imprimée que
les patriotes de Grasse dénoncèrent à l'indignation de l'Assemblée[25]. L'exemple
de cet évêque batailleur, — dont le siège venait d'être supprimé, — fut-il
suivi par d'autres prélats ? Je l'ignore, mais je serais bien surpris s'il
n'avait pas eu des imitateurs. Beaucoup
de curés en tout cas se distinguèrent par leur intransigeance. Les habitants
de la paroisse de Dammarie, Farcy et Voves[26] se plaignent au comité
ecclésiastique, le 5 août 1790, que leur pasteur, ennemi de la Révolution, ne
leur communique jamais aucun des décrets de l'Assemblée nationale. Ils
ajoutent qu'il fait tous ses efforts pour soulever ses paroissiens les uns
contre les autres et qu'il a été sur le point de causer la mort du meunier de
sa paroisse en faisant courir le bruit qu'il accaparait les blés. Ils
l'accusent encore de mener la conduite la plus scandaleuse, d'être débauché,
processif, de mauvaise foi, concussionnaire, etc. Et ils terminent naïvement
en demandant à l'Assemblée de les en débarrasser dans la huitaine[27]. Voici
un religieux prémontré, M. Petit, qui écrit bau Comité le 26 mai pour se
plaindre qu'on transforme les églises en salles d'assemblées politiques, mais
il se « courbe, dit-il, sans murmurer, sous la verge qui fouette les
ecclésiastiques[28] ». Dans
certains cas, niais assez rares, semble-t-il, la Constituante essaya de
sévir. Le 29 septembre 1790, Voidel vint dénoncer, au nom du comité des
recherches, le curé de Lordevèze dans la Flandre maritime. Non seulement ce
curé ne cessait de faire des prédications dangereuses, non seulement il ne
publiait aucun décret, « mais il damnait impitoyablement ceux qui
parlaient de la vente ou de l'acquisition des biens nationaux. Il allait
plus loin. Il étendait sa damnation jusqu'aux derniers individus de
leur famille, et jettait ainsi le trouble dans la contrée[29]. » Un mois
après, le même Voidel, dans son célèbre rapport sur le serment à exiger des
prêtres, énumérait plusieurs cas de rébellion à la loi dont les curés étaient
les auteurs : « Ainsi le curé de Cambon proteste publiquement en chaire
contre les décrets de l'Assemblée nationale sanctionnés par le roi ; ainsi le
curé de Noordpeene damne impitoyablement ceux qui acquerront des domaines
nationaux et ceux même qui se prêteront aux opérations préliminaires de cette
vente ; il déclare que ni lui, ni les évêques, ni le pape, même au moment de
la mort, ne peuvent donner l'absolution d'un pareil crime. Ainsi M. Lavallée,
prêtre habitué d'une paroisse de Rouen, prêche contre l'émission des
assignats et l'aliénation des biens ci-devant ecclésiastiques. Ainsi le curé
de Condé imite ces criminelles extravagances. Ainsi M. Levasseur, curé près
de Péronne, engage le peuple à s'armer contre la perception des impôts, à
massacrer les commis, et promet de marcher à leur tête. Ainsi M. Cahuel, curé
de Chartres, dispose et excite au refus des impôts une partie des citoyens du
Gâtinais[30]... » Il
serait facile d'allonger cette liste. Elle suffit pour montrer comment le Journal
ecclésiastique avait été écouté. Les aristocrates fougueux s'étaient
refusés à lire les décrets d'une assemblée de pestilence. Les aristocrates
modérés ne s'y étaient résignés que pour avoir l'occasion de les réfuter. Les uns
et les autres avaient transformé leur chaire en une tribune. Il
était inévitable que la Constituante s'aperçût de la faute qu'elle avait
commise par son décret précipité et naïf du 23 février. On ne pouvait pas
transformer malgré eux les prêtres, tous les prêtres, en ouvriers de la
Révolution. Les prêtres patriotes n'avaient besoin d'aucune invitation,
d'aucun ordre pour faire leur devoir de curés-citoyens. Quant aux prêtres
aristocrates, il fallait prendre contre eux une mesure de préservation et une
mesure d'ensemble. On les obligea au serment, c'est-à-dire qu'on les força à
choisir entre la Révolution et leurs fonctions. Quand,
à la séance du 2 novembre 1790, Thouret, au nom du Comité de constitution,
vint proposer un projet de décret sur le mode de sanction, de promulgation et
de publication des lois, il ne dit rien de la lecture au prône et cette
omission était certainement intentionnelle. Après « une légère discussion »,
dit le Moniteur[31], son projet fut adopté. Son
article 12 disait simplement que les municipalités de campagne étaient tenues
de donner lecture des lois « à l'issue de la messe paroissiale ». Il n'était
plus question des curés. Sur le principe, les prêtres aristocrates avaient
donc obtenu gain de cause. Les
curés patriotes continuèrent cependant d'entretenir leurs ouailles des
travaux de l'Assemblée. Dans les paroisses dirigées par les adversaires de
l'ordre nouveau, les patriotes pourvurent d'eux-mêmes à la proclamation des
décrets en instituant partout des lecteurs dont la fonction était de
remplacer les curés pour cet office. C'est en Bretagne que j'ai rencontré le
plus ancien exemple de cette institution qui ne tarda pas à se développer et
à prendre une réelle importance. Dès le début de décembre 1790, le district de
Rostrenen, dans le Finistère, établissait un lecteur patriote par
municipalité. Ce lecteur devait être pris parmi les citoyens actifs. Le
département du Finistère approuva la conduite du district, « sur le pou
d'empressement, dit-il, des curés à lire au prône les décrets de l'Assemblée
nationale[32] ». Le département soumit
sa conduite au Comité ecclésiastique qui répondit, le 4 janvier : « On
ne peut qu'approuver leur zèle [des patriotes du district de Rostrenen], mais
il n'entre plus dans le dessein de l'Assemblée d'employer nécessairement le
ministère des curés à cette publication [des décrets], comme il résulte du
décret du 2 novembre[33] ». Les lecteurs
patriotes verront leur rôle s'élargir au fur et à mesure que le combat
contre le clergé aristocrate d'abord, contre le clergé constitutionnel plus
tard, se fera plus ardent. Au début ils remplacent les curés comme
proclamateurs, bientôt ils les remplaceront aussi comme prédicateurs. Dès la
fin de 1791, les Girondins organisent une vaste propagande civique dans toute
la France pour soutenir le clergé constitutionnel et au besoin pour le
remplacer[34]. L'année suivante, le ministre
Roland accumule circulaires sur circulaires pour recommander les « lectures
patriotiques ». L'une de ces circulaires, qui annonçait l'envoi aux
départements des pièces de l'armoire de fer, est particulièrement
significative. Roland y insistait fortement sur la nécessité pressante «
d'instruire ces hommes précieux à qui le défaut de moyens et la continuité de
leurs travaux enlèvent tant d'occasions de savoir ce qui se passe et de juger
avec discernement les intérêts de la chose publique ». Et il exprimait comme
le regret que la lecture au prône n'ait pu être maintenue et généralisée « Il
existe pour eux [polir ces illettrés] dans quelques endroits un usage simple
et dont la loi avait même imposé le devoir aux curés, celui des lectures faites
à haute voix au peuple rassemblé. Cet usage devrait être général et, au
défaut des curés, les juges de paix, les notaires, tous les hommes publics
auraient dû s'occuper de le répandre et de le maintenir. Chercher à rétablir
cet usage, faire lire les pièces de conviction et d'instruction que
l'Assemblée nationale et le gouvernement répandent dans l'Empire[35]... » — tel est le premier
devoir des patriotes. Les
conseils de Roland furent suivis. A la fin de 1799., il n'était si petite
commune patriote qui n'eût son lecteur. Beaucoup de ces lecteurs deviendront,
moins d'un an après, les anti-curés des messes républicaines célébrées le
décadi. Ainsi
la résistance des prêtres aristocrates eut des conséquences que ceux-ci
n'avaient pas prévues. Pour se défendre contre les entreprises de la
Révolution, ils avaient invoqué le principe de la séparation des deux
puissances. Les révolutionnaires peu à peu les prirent au mot. Ils séparèrent
de plus en plus, non pas l'État de l'Église, mais l'État de l'ancienne
Église. Ils ne changèrent pas pour cela de mentalité. Ils ne devinrent pas laïques
à notre sens. Ils se bornèrent à remplacer les prêtres par des lecteurs qui
feraient l'office que les prêtres avaient décliné[36]. Quand ils se brouillèrent en
1793 avec les prêtres constitutionnels eux-mêmes et qu'ils firent la guerre
au catholicisme, ils ne cessèrent pas pour autant d'avoir l'âme religieuse.
Leurs lecteurs enseignèrent au peuple la religion de l'État, la religion de
la Patrie. Il n'y eut de changé qu'un calendrier et que le contenu du culte. * * * * *
L'étude
qu'on vient de lire était à peine imprimée que je mettais la main sur de
nouveaux documents qui m'obligent maintenant à la compléter, sinon à la
rectifier. J'aurais pu la remanier entièrement. A la réflexion, j'ai préféré
lui laisser sa forme primitive, afin de ne pas en rompre le mouvement. Les
lecteurs ne seront peut-être pas fâchés de se rendre compte, par un exemple
pris sur le fait, de la manière dont se bâtit et se détruit l'édifice
historique. Ils me pardonneront de les introduire au milieu même du chantier
de travail. Ils comprendront mieux ainsi pourquoi l'histoire religieuse de la
Révolution est encore dans l'enfance. Je
croyais que l'Assemblée Constituante n'avait été saisie du projet d'utiliser
les curés comme proclamateurs de ses actes que par l'abbé Grégoire, à la
séance du 9 février 1790. Le procès-verbal officiel de l'Assemblée, à la date
du 24 décembre 1789, séance du matin, m'apprend qu'une demande fut déjà
faite, ce jour-là, pour que « les décrets de l'Assemblée fussent envoyés à
MM. les curés de Paris, à l'effet de les Publier au prône de leurs paroisses
», et que cette demande fut renvoyée « aux quatre commissaires chargés
de veiller à l'exécution des décrets[37] ». J'ignorais
que le décret du 23-26 février 1790, qui ordonnait aux curés et desservants
de donner lecture au prône des actes législatifs, avait été renouvelé,
complété et aggravé par le décret un peu postérieur du 2 juin 1790, rendu sur
le rapport des Comités de Constitution et des recherches réunis. En juin
comme en février, on discutait les moyens d'arrêter les excès commis par les
paysans déchaînés contre le régime féodal. Des mesures coercitives furent
votées. On y ajouta le rappel de la mesure préventive, déjà décrétée en
février, de la lecture des décrets au prône. Mais on ne se borna pas, cette
fois, à une invitation platonique. On crut nécessaire d'édicter des sanctions
pour effrayer les prêtres récalcitrants : « Les curés, vicaires et
desservants qui se refuseront à faire au prône à haute et intelligible voix
la publication des décrets de l'Assemblée nationale acceptés ou sanctionnés'[38] par le Roi, sont déclarés
incapables de remplir aucune fonction de citoyen actif ; à l'effet de quoi il
sera dressé procès-verbal, à la diligence du procureur de la commune, de la
réquisition faite aux curés, vicaires et desservants et de leur refus[39] ». Les
autorités patriotes s'empressèrent de faire exécuter le décret qui comblait
leurs vœux. Dans plus d'un endroit, elles en étendirent singulièrement les
dispositions. Vers les mois de septembre et d'octobre 1790, quand
commencèrent les ventes des biens d'Église, les municipalités, les districts,
les départements prétendirent obliger les curés à donner lecture au prône des
affiches annonçant les enchères. Les
évêques de l'Assemblée s'étaient abstenus, par patriotisme autant que par un
sentiment de haute convenance, de protester publiquement contre l'aliénation
des biens ecclésiastiques. Ils s'étaient gardés de toute démarche qui aurait
pu troubler la liberté des acquéreurs. Les évêques non députés, les curés
aristocrates n'observèrent pas la même réserve. Les pièces conservées dans le
carton DXXIXb25 du comité des recherches de l'Assemblée
nationale ne laissent aucun doute à cet égard. Le 1er
décembre 1790, les administrateurs du département du Nord dénoncent au
président de la Constituante le curé de Terdeghem pour avoir refusé de lire
au prône les décrets de l'Assemblée, protesté hautement contre la vente des
biens nationaux, refusé toute communication des' baux des biens ci-devant
attachés à sa cure. Les curés de Noordpeene et de Wasiers avaient fulminé
l'anathème contre les acquéreurs de biens nationaux. Le procureur général
syndic du département du Nord précise que le curé de Terdeghem, un certain
Van den Bavière[40], qui avait été dix-huit ans
chapelain dans les terres autrichiennes, « a accablé tous les acquéreurs
de biens nationaux, tant eux que leur postérité, de misères, malheurs et
calamités », en invoquant les canons du concile de Trente. « Il est
temps, ajoute le procureur général syndic, que lui et ses pareils apprennent
qu'il n'y a plus de clergé, qu'il y a des citoyens et qu'ils doivent être
punis s'ils ne sont soumis aux lois[41]. » Les
autorités ne sont pas seules à dénoncer l'opposition faite par le clergé
aristocrate à la vente de ses biens. De simples particuliers, sans doute
acquéreurs ou futurs acquéreurs, en font autant, comme l'atteste la plainte
suivante adressée au district de Douai par plusieurs habitants et paroissiens
du village de Waziers : « Nous soussignés, Louis Tollet, François Loisel
et Joseph Carlier, habitans et paroissiens du village de Waziers, certifions
à MM. les administrateurs du district de Douay que dimanche dernier, 28 de ce
mois, étant à la messe paroissiale dudit Waziers, nous avons entendu le sieur
Doyen, curé dudit lieu, dire à haute voix et d'un ton menaçant en faisant le
prône, que tous ceux de ses paroissiens qui feroient des soumissions et
acquerroient des biens ecclésiastiques seroient excommuniés et qu'il leur
fermeroit le confessionnal, sans qu'ils puissent jamais espérer d'avoir
l'absolution ; de plus, ledit Loisel a encore déclaré que ledit e Doyen curé
lui a demandé, en sortant de ladite messe, s'il avoit envie d'acheter des
biens nationaux, que, lui ayant répondu qu'il feroit comme les autres, sur
quoi il lui a fait entendre qu'il seroit aussi dans le cas de
l'excommunication[42] ». Quand
ces curés du Nord organisaient ainsi la résistance, le décret de l'Assemblée,
ordonnant aux prêtres de prêter serment à la Constitution civile du clergé,
n'était pas encore promulgué. A peine était-il voté. Ce
n'était pas seulement dans les Flandres que les curés aristocrates se
mettaient en rébellion et entravaient de leur mieux les enchères. Le 21
novembre 1790, un sieur Huard dénonce au Comité des recherches le curé
Cahouet, de Chartrettes en Gâtinais, qui fanatise ses paroissiens et les
invite à ne pas acheter de biens d'Église. Ces biens leur seront repris,
dit-il, avant un an par le clergé[43]. Le 4
novembre, le directoire du district de Broons (Côtes-du-Nord) dénonce de même le vicaire
Chartier de cette ville pour avoir prêché, le 31 octobre, contre
l'acquisition des biens nationaux et contre la Constitution civile du clergé[44]. Dans
certaines régions, nous l'avons vu, le refus de lire les décrets au prône
avait commencé de bonne heure. La résistance ne prit pourtant une réelle
extension qu'au moment de la promulgation dans les départements de la
Constitution civile du clergé, vers la fin de septembre 1790[45], juste au moment où
commençaient les premières adjudications de biens d'Église. Les
évêques, qui jusque-là n'avaient vu aucun inconvénient sérieux à la
publication des décrets par les soins des curés, changèrent d'avis. La
réponse du pape consulté par le roi se faisait attendre. Les évêques même
partisans de la conciliation ne voulurent pas s'associer en quelque manière à
la mise en vigueur de la Constitution civile, avant d'y être autorisés par le
chef de l'Église. Ainsi,
l'archevêque d'Auch, qui avait cependant écrit au pape au début du mois
d'août, pour lui soumettre une série d'expédients de nature à rendre la
Constitution civile canonique et exécutoire, fit défense, en octobre, aux
curés de son diocèse de lire les décrets au prône[46]. Il Dans
la plupart des cas, les seuls décrets que les curés refusaient de lire
étaient ceux sur la Constitution civile du clergé. Le recteur de
Port-Saint-Père (Loire-Inférieure), contre qui la municipalité dressa procès-verbal pour une
infraction de ce genre, déclara, en manière d'excuse, que c'était le seul
acte (le l'assemblée qu'il se refusait de lire. Il ajouta que la lecture en
serait trop longue et qu'elle ennuierait ses ouailles[47]. Les
évêques portés à la concorde se réjouirent du décret du 2 novembre 1790 qui
réglait le mode de promulgation des lois. De l'absence dans ce décret de
toute disposition relative à la lecture des décrets au prône, ils conclurent
que l'obligation précédemment édictée, le 2 juin et le 23 février, cessait
d'être en vigueur. Le comité ecclésiastique, on l'a vu, adopta finalement
cette interprétation ex silentio. Mais, dans l'intervalle, certaines
autorités départementales avaient continué à faire appliquer les décrets
implicitement abrogés. Après
le 2 novembre, l'évêque de Langres, La Luzerne, avait cru pouvoir conseiller
à ses curés de s'abstenir désormais de toute publication au prône.
Contravention fut dressée contre deux curés de la ville de Langres qui
avaient obéi à l'évêque. La Luzerne intervint en faveur des délinquants, prit
sur lui la faute commise et s'excusa sur là croyance où il était que le
décret du 2 novembre avait supprimé l'obligation. Il ajouta qu'il était bien
résolu à se conformer aux lois. Le département, peu satisfait de
l'explication, n'en menaça pas moins les curés contrevenants d'une suspension
de traitement. Il fit plus. Il voulut contraindre les curés à donner lecture
non seulement des décrets de l'Assemblée, mais de ses propres délibérations,
notamment de celle par laquelle il avait sommé l'évêque d'exécuter sans délai
la Constitution civile du clergé. Cette fois, La Luzerne répondit par un
refus catégorique. « Certes, ce serait une chose bien extraordinaire que tout
ce qu'il plaît aux corps administratifs d'ordonner fût publié dans les
annonces du prône ![48] » Le
département de la Haute-Marne ne fut pas le seul à donner au décret du 2 juin
une extension arbitraire et à exiger son application, même après la date du 2
novembre. La
Loire-Inférieure le précéda dans cette voie. Dès le 25 octobre 1790, le
procureur général syndic de ce département avait adressé une circulaire aux
neuf districts pour leur rappeler que les curés devaient lire les décrets
intégralement, à haute et intelligible voix, à peine pour les contrevenants
de la perte du titre de citoyen actif[49]. Le lendemain, 26 octobre, le
directoire du département arrêtait que le sieur Badaud, recteur de Cambon,
serait déchu de ses droits de citoyen actif, en conformité de l'article 4 du
décret du 2 juin. Or,
qu'avait fait ledit curé ? Les considérants de l'arrêté disent seulement
qu'il avait refusé de procéder aux publications concernant la vente des biens
ecclésiastiques. Le même
arrêté qui frappait le recteur de Cambon donnait au décret du 2 juin une
interprétation parfaitement arbitraire et aggravait ses sanctions ... « Au
surplus, arrête : « 1°
Que toutes les municipalités dans le ressort du département seront tenues, à
peine de tous dommages et intérêts, de requérir que publication soit faite
par les curés, vicaires et desservants aux prônes des messes paroissiales, à
haute et intelligible voix, de tous décrets de l'Assemblée nationale
sanctionnés par le Roy, de toutes affiches et convocations concernant la
vente des domaines nationaux ; « 2°
Que, dans le cas où les curés, vicaires et desservants refuseraient de faire
ces publications, il sera dressé procès-verbal, à la diligence du procureur
de la commune, de son substitut ou suppléant, en cas d'absence ou de
démission, tant de la réquisition leur faite que de leur refus, auquel cas
leur traitement demeurera suspendu ; « 3°
Que, dans ce dernier cas, les municipalités feront elles-mêmes publier, à
l'endroit de la porte commune dans les églises paroissiales, par leur
secrétaire-greffier, tous décrets et affiches qui leur auront été transmis
par la voie du district ainsi que toutes convocations y relatives et
certifieront, dans le délai requis, de toutes diligences à cet égard, sous
les peines cy-devant, le procureur-syndic de leur district...[50] » Cette
délibération ne resta pas lettre morte, car je vois dans le dossier que les
curés de Port-Saint-Père et de Savenay furent frappés des mêmes peines que le
curé de Cambon et pour les mêmes motifs. Les
victimes se plaignirent sans doute et crièrent à la violation de la loi, car
le ministre de l'Intérieur écrivit au département, le 10 novembre, pour
désapprouver la suppression du traitement du curé de Cambon, « aucun
décret n'ordonnant la suspension de traitement en cas de refus de publication ». Il ne
paraît pas que le département ait tenu compte du blâme du ministre puisque
celui-ci revenait à la charge, le 30 novembre, à propos de la suppression des
traitements des curés de Port-Saint-Père et de Savenay. Remarquons que dans
l'une et l'autre de ses lettres, postérieures au 2 novembre, le ministre
continuait à considérer le décret du 2 juin comme étant encore en vigueur. L'obligation
du serment imposé aux prêtres par le décret du 27 novembre rendit inutile le
maintien ou l'abrogation du décret ordonnant la lecture au prône. Il allait
de soi que les prêtres jureurs, que les prêtres de la Loi, comme on disait,
ne songeraient pas à esquiver une mission qui les rehaussait au contraire
dans l'esprit des peuples, en les faisant les organes attitrés du pouvoir. Et
cependant, il y eut des prêtres jureurs qui, tout en acceptant de donner
lecture des actes du gouvernement, refusèrent d'en faire autant pour les
mandements des nouveaux évêques constitutionnels. Curieux cas de conscience !
Il ne leur avait pas coûté d'obéir à la loi civile, en prêtant serment, mais
il ne leur était pas possible d'entrer en relations avec des évêques intrus,
dont les pouvoirs étaient frappés d'invalidité, puisque leurs prédécesseurs,
les anciens évêques, n'avaient pas été canoniquement destitués. Dans presque
tous les départements, ces réfractaires d'un nouveau genre, ces jureurs qui
ne voulaient pas devenir schismatiques, furent assez nombreux[51]. C'étaient tous, naturellement,
d'anciens curés que le serment avait conservés en fonctions. Je ne vois pas
que, dans les statistiques qu'on a récemment tenté de dresser des différentes
catégories de prêtres, on ait tenu compte de celle-là. Aussi
longtemps que dura la Constitution civile du clergé, ce ne furent pas
seulement les décrets qu'on lut au prône, mais toutes sortes d'actes plus ou
moins officiels. Ainsi, par délibération du 16 janvier 1792, le tribunal du
district de Neufchâteau ordonna l'envoi aux curés du ressort, pour être lue
aux prônes des messes paroissiales, de la circulaire du ministre de la
Justice Duport sur les troubles religieux, datée du 10 janvier 1792[52]. Il
arriva plus d'une fois que les curés patriotes transformèrent volontairement,
joyeusement, leur chaire en tribune et leur église en réunion publique. Le 6
octobre 1793, les frères patriotes Hubert, Decussy, Debrun, Gervais,
Lequeue, Auvray, Laval, Planquet, Busire, Le Voyer, Lenormand, adressaient de
Caen au ministre de l'Intérieur Roland ce satisfecit, à l'adresse des curés
constitutionnels du département : « Depuis que les prêtres réfractaires
sont expulsés du département du Calvados, l'air pur commence à y régner et le
peuple à être tranquille. MM. les curés constitutionnels se signalent d'une
manière surprenante pour anéantir le fanatisme ; ils ne cessent d'annoncer
dans la chaire de vérité les lois de la religion et celles de la liberté et
de l'égalité. L'ordre, l'harmonie et un accord parfait sont rétablis dans la
société. Le serpent de l'aristocratie ne siffle plus de toutes parts. Nous
n'avons plus que quelques municipalités de campagne qui sont très mal
organisées. La plupart sont composées de gens abâtardis par l'ignorance et
pétris des principes de l'ancien régime et ils se croyeroient déshonorés de
faire propager dans chacun de leurs cantons tous les décrets qui intéressent
d'une manière essentielle la Constitution, mais des curés constitutionnels
déjouent hardiment leurs trames odieuses et instruisent le peuple de toutes
les opérations de l'Assemblée nationale. Il seroit à souhaiter, Monsieur, que
vous donnassiez vos ordres pour envoyer aux curés de chefs-lieux du
territoire français, surtout du département du Calvados, tous les décrets. Le
peuple sera plutôt instruit de la loi par le ministère du prêtre assermenté
que de tout autre[53]. » Quand
le clergé constitutionnel devint suspect et qu'il perdit tout caractère
officiel, la lecture des décrets fut faite par les soins des municipalités au
beau milieu de la messe décadaire. L'obligation en subsista jusqu'à la veille
du Concordat. Après
le Concordat, les préfets de Napoléon remirent de temps en temps en usage les
proclamations au prône. J'en
connais au moins un exemple. Voici ce qu'écrivait le préfet de la Meurthe à
l'évêque de Nancy, le 24 frimaire an XIV (15 déc. 1805), quelques jours'
après Austerlitz : « M. l'évêque, le gouvernement désire que les
bulletins de l'armée, dont je fais l'envoi aux communes, soient lus au prône
ou après le service divin avant d'être affichés. Je prescris, en conséquence,
aux maires de se concerter à cet égard avec MM. les curés ou desservants, et
j'ai l'honneur de vous prier de saisir la première occasion pour les inviter
de votre côté à seconder l'exécution d'une mesure à laquelle le gouvernement
attache de l'intérêt[54]... » L'évêque Osmond se
conforma à cette invitation et manda à ses prêtres de faire les publications
ordonnées par le gouvernement et de les faire au prône[55]. Ce
n'est pas en vain que pendant des siècles l'Église et l'État ont été alliés
et leurs domaines confondus. Les vieilles habitudes se conservent longtemps
encore après qu'elles ne répondent plus aux mœurs et aux temps. Même quand
les esprits et les lois se sont laïcisés en apparence, il arrive que les
vieilles formes surnagent. L'État n'a renoncé que d'hier à utiliser l'Église.
L'Église n'a jamais renoncé à utiliser l'État. La même Église, qui refusait de servir la Révolution, acceptait parfaitement de servir Bonaparte, tant il est vrai que les principes n'ont souvent d'autre importance que celle que les circonstances veulent bien leur concéder. |
[1]
Voir l'instruction de l'évêque de Langres, La Luzerne, aux curés de son
diocèse, en date du 15 mars 1791. Cette instruction fut adoptée par 41 évêques
réfractaires. Elle est analysée dans l'article de M. Aulard sur la laïcisation
de l'état civil (La Révolution française, t. XLIX, p. 294).
[2]
Moniteur, réimp., t. III, p. 336.
[3]
Moniteur, réimp., t. III, p. 337.
[4]
Moniteur, réimp., t. III, p. 337.
[5]
Moniteur, t. III, p. 340. L'adresse, qui est une glorification habile et
vigoureuse de l'œuvre de la Constituante, est reproduite dans le Moniteur des
13 et 14 février.
[6]
Ce discours, par lequel le Roi s'associait à l'œuvre de l'Assemblée, avait
provoqué un grand enthousiasme.
[7]
Art. 2 du décret du 23-26 février 1790.
[8]
Le Journal ecclésiastique fut seul, à ma connaissance, à mentionner
l'intervention de l'évêque de Clermont, et encore très tardivement, dans son n°
de mai 1790, p. 51.
[9]
Archives nationales, DXXIX bis, 10 (Comité des recherches).
[10]
Consultation intitulée : De la publication des décrets de l'Assemblée
nationale par MM. les curés et vicaires, p. 34 à 65 du numéro de mai 1790.
Faisons remarquer en passant que le Journal ecclésiastique, qui est une des
sources les plus importantes de l'histoire religieuse de la Révolution, parait
tout à fait inconnu des historiens. Je ne le trouve pas mentionné dans la Bibliographie
Tourneux. L'exemplaire que j'ai consulté à la Bibliothèque nationale n'était
pas coupé.
[11]
P. 41 et 42 du numéro cité.
[12]
Cette paraphrase désigne les membres du Parlement de Paris.
[13]
P. 43-44.
[14]
Un sieur de Capdeville voulut obliger le curé de Piets à publier au prône un
aveu et dénombrement. Le curé s'y refusant, le Parlement de Pau, par arrêt du 4
octobre 1742, condamna le curé à faire la publication requise, à peine de
saisie du temporel de son bénéfice. Sur opposition du curé, le même Parlement
confirma son arrêt et ordonna au curé d'obéir sur-le-champ, à peine de cent
livres d'amende et de plus grande peine en cas de délai. Mais, sur appel formé
par les agents du clergé, l'arrêt de Pau fut cassé par le Conseil d'État (arrêt
du 24 sept. 1743). En général, les publications royales étaient faites par les
curés dans l'église à l'issue de la messe paroissiale. Voir à ce sujet le Précis
des rapports de l'agence du clergé de France par ordre de matières depuis 1660
jusqu'en 1760. Paris, Desprez, 1786, in-f°. p. 159 et suiv.
[15]
Précis par ordre alphabétique ou table raisonnée des matières contenues dans
la nouvelle collection des procès-verbaux des assemblées générales et
particulières du clergé de France. Paris, Guillaume Desprez, 1780,
in-folio. Second supplément, cahiers de l'Assemblée générale de 1775, art. IV, Monitoires,
p. 2307.
[16]
Voir article MONITOIRE
dans le Dictionnaire ecclésiastique et canonique portatif, 1765, t. II.
[17]
Beaucoup d'assemblées bailliagères, réunies pour élire les députés aux Etats
généraux de 1789, se tinrent dans les églises. Pendant toute la durée de la
Révolution, les assemblées électorales y siégèrent fréquemment.
[18]
P. 56-57.
[19]
P. 57-58.
[20]
P. 47-48.
[21]
P. 48.
[22]
P. 61.
[23]
Ainsi le Conseil général de la commune d'Alençon délibère, le 1er mai 1790, que
les curés annonceront aux prônes de leurs paroisses une assemblée générale des
citoyens actifs qui seront consultés sur l'utilité que présenterait pour la
ville une acquisition de biens nationaux. (F. Mourlot, Recueil des documents
d'ordre économique du district d'Alençon, Paris, E. Leroux, 1908, t. I, p.
66.)
[24]
Par son décret du 9-27 novembre 1789.
[25]
Archives nationales, DXIX, 100, feuilles de travail du Comité ecclésiastique,
f. n° 323. En marge cette mention : « renvoyé au Comité des recherches ».
Les cartons du comité des recherches correspondant aux mois de mai à août 1790
ne contiennent rien sur cette affaire.
[26]
Eure-et-Loir, canton de Chartres.
[27]
Archives nationales, DXIX, 100, feuille 374.
[28]
Archives nationales, DXIX, 100, feuille 268.
[29]
Moniteur, réimp., t. V, p. 778.
[30]
Moniteur, réimp., t. VI, p. 483 (séance du 26 novembre 1790 au soir).
[31]
Réimp., t. VI, p. 271 et suiv.
[32]
Archives nationales, DXIX, 102, feuille 610. La lettre du département du
Finistère au comité ecclésiastique est du 18 décembre 1790. — Rostrenen est
aujourd'hui dans le département des Côtes-du-Nord, arr. de Guingamp.
[33]
Archives nationales, DXIX, 102, feuille 610.
[34]
J'ai dit un mot de cette propagande dans mon livre sur les Origines des
cultes révolutionnaires, Paris, Cornély, 1904, p, 101-107.
[35]
Circulaire de Roland, aux archives de Condé-sur-Noireau (Calvados). La fin
manque.
[36]
Les prêtres théophilanthropes s'appelleront lecteurs.
[37]
Le procès-verbal ne dit pas par qui fut formulée cette demande.
[38]
Faisons remarquer, en passant, que ces deux mots acceptés et sanctionnés
n'étaient pas synonymes, tant s'en faut ! Les décrets constitutionnels étaient
placés hors de l'atteinte du veto royal et soumis seulement à la formalité
d'une acceptation forcée. La Constitution civile du clergé fut dans ce cas. Les
décrets rendus par l'Assemblée, fonctionnant, non pas comme Constituante, mais
comme Législative, étaient au contraire soumis à la sanction, c'est-à-dire au
veto.
[39]
Art. 4 du décret. Déjà, le décret du 15 mai 1790 supprimant le droit
seigneurial de triage se terminait par l'ordre formel donné aux desservants des
paroisses de lire ce décret au prône et de relire tous les décrets précédemment
rendus sur les droits seigneuriaux.
[40]
Ancien constituant, n'avait pas tardé à démissionner et à rentrer en Flandre.
[41]
Arch. nat. DXXIXb25. La lettre du procureur syndic n'est pas datée, mais elle
est postérieure au 26 octobre 1790, car elle rappelle une délibération du
département du Nord, en date de ce jour.
[42]
Archives nationales, même dossier, 30 novembre 1790.
[43]
Archives nationales, même dossier, 30 novembre 1790.
[44]
Archives nationales, même dossier, 30 novembre 1790.
[45]
La Constitution civile du clergé fut promulguée à Paris le 24 août, mais le
ministère en retarda le plus qu'il pût la promulgation dans les départements,
afin de donner le temps d'arriver à la réponse du pape qu'il attendait.
[46]
Le fait est affirmé dans une lettre des administrateurs du Gers, en date du 20
novembre. Même dossier.
[47]
Le procès-verbal de la municipalité de Port-Saint-Père est daté du dimanche 24
octobre 1790. (Ibid.)
[48]
Lettre de M. l'évêque de Langres à MM. les administrateurs du département de la
Haute-Marne (en réponse à leur délibération du 8 décembre 1790), 82 p. in-4°.
Arch. nat., F¹⁹ 448.
[49]
A. Lallié, Le diocèse de Nantes pendant la Révolution, Nantes, 1893, p.
43.
[50]
Archives nationales, F¹⁹ 440.
[51]
Les Jacobins de Belley écrivent à Danton, le 4 septembre 1793, pour lui
signaler que beaucoup de curés en fonctions ne veulent pas reconnaître l'évêque
constitutionnel Royer. (Arch. nat., F¹⁹ 398.) Il résulte d'une
correspondance de Roland avec le Directoire de l'Oise, en avril et mai 1792,
que dans ce département les constitutionnels non schismatiques étaient
également nombreux. (Arch. nat., F¹⁹ 457.)
[52]
Arch. nat., F¹⁹ 481⁴. — Duport expliquait dans cette circulaire que
le refus de sanction du décret du 29 nov. 1791 n'était pas une approbation des
menées des prêtres fanatiques, mais un hommage à la liberté des cultes. Il
stimulait les tribunaux à punir les prêtres perturbateurs.
[53]
Arch. nat., F¹⁹ 410. — Les frères ajoutent que les curés qui se
distinguent le plus par leur prédication civique sont ceux de Bretteville
l'Orgueilleuse, de Carpiquet et de Saint-Étienne de Caen.
[54]
Vie épiscopale de Mgr Antoine-Eustache Osmond, par l'abbé Guillaume,
Nancy, 1862, p. 686.
[55]
Vie épiscopale de Mgr Antoine-Eustache Osmond, par l'abbé Guillaume,
Nancy, 1862, p. 484.